LUCIEN
LXXVI.
LE PSEUDOSOPHISTE OU LE
SOLÉCISTE (01).
LYCINUS, LE SOLÉCISTE,
l.
LYCINUS.
Est-ce que, quand, on est capable de remarquer les solécismes des autres, on ne
doit pas se garder d'en faire ?
LE SOLÉCISTE. C'est mon avis.
LYCINUS. Et quand on ne sait pas s'en
garder n'est-on pas in capable de remarquer ceux des autres ?
LE SOLÉCISTE. Assurément.
LYCINUS. Eh bien ! prétends-tu ne jamais
faire de solécismes, ou devons-nous dire autre chose de toi ?
LE SOLÉCISTE. Je serais un ignorant, si je
faisais des solécismes à mon âge.
LYCINUS. Alors tu es capable de prendre en
flagrant délit celui qui en commet, et de l'en convaincre, malgré ses
dénégations ?
LE SOLÉCISTE. Complètement.
LYCINUS. Prends-moi donc en flagrant délit
de solécisme ; je vais en faire tout à l'heure.
LE SOLÉCISTE. Voyons !
LYCINUS. Cette œuvre affreuse est
accomplie, et tu ne t'en es pas aperçu (02).
LE SOLÉCISTE. Tu veux rire.
LYCINUS. Non pas, au nom des dieux ! J'ai
fait un solécisme, à ton insu, et tu n'y as rien compris. Fais bien attention
une seconde fois, car je dis que tu n'y vois goutte. Il y a des choses que tu
sais et d'autres que tu ne sais pas.
LE SOLÉCISTE. Parle donc.
LYCINUS. Mais en ce moment même je fais un
solécisme, et tu ne l'as pas remarqué (03).
LE SOLÉCISTE. Comment le remarquer? Tu ne
dis rien.
LYCINUS. Mais si; je parle et je fais des
solécismes; seulement tu n'es pas sur la piste. Puisses-tu bientôt te mettre
sur la voie (04) !
2. LE
SOLÉCISTE. Tu es étonnant de me dire que
je ne puis pas découvrir un solécisme.
LYCINUS. Comment pourrais-tu en découvrir
un, puisque tu viens d'en laisser passer trois (05).
LE SOLÉCISTE. Trois ! lesquels ?
LYCINUS. Tous déjà barbus.
LE SOLÉCISTE. Je crois que tu plaisantes.
LYCINUS. Je dis que tu ne sais pas quand on
fait une faute de langage.
LE SOLÉCISTE. Comment veux-tu qu'on s'en
aperçoive, lorsque personne n'en fait?
LYCINUS. C'est pourtant fait: j'en ai
commis quatre et tu n'en as rien vu. C'eût été un bel exploit que de les
comprendre (06).
LE SOLÉCISTE. Pas, très beau, mais
nécessaire aprés mon aveu.
LYCINUS. Mais en ce moment même tu n'as
pas compris.
LE SOLÉCISTE. Quand donc?
LYCINUS. Quand je disais que c'eût été
un bel exploit.
LE SOLÉCISTE. Je ne sais pas ce que tu
veux dire.
LYCINUS. Tu as raison ; tu ne sais pas.
Remonte en avant vers ce qui précède, puisque tu ne veux pas me suivre. Tu
aurais pourtant compris, si tu avais voulu (07).
3. LE
SOLÉCISTE. Je le veux bien, mais tu n'as
pas prononcé un seul des mots que prononcent les faiseurs de solécismes.
LYCINUS. Vraiment, ce que je viens de dire
te paraît excusable ? Alors, marche derrière moi, puisque tu ne t'aperçois
pas quand je sors du droit chemin.
LE SOLÉCISTE. De par tous les dieux, je ne
m'aperçois de rien.
LYCINUS. J'ai laissé le lièvre courir au
galop (08). T'a-t-il donc échappé ? Il
n'est cependant pas difficile d'apercevoir ce lièvre. Autrement, il y aura une
foule de lièvres pris au solécisme, sans que tu les voies.
LE SOLÉCISTE. Je les verrai bien.
LYCINUS. Tu ne les as pas vus.
LE SOLÉCISTE. Tu m'étonnes.
LYCINUS. C'est ta grande érudition qui te
fait du tort (09), à ce point que tu ne
vois pas encore ici de solécisme. Or, je n'ai pas ajouté à di¡fyoraw
son complément tÛna.
LE SOLÉCISTE.
Je ne saisis pas bien ; cependant j'ai pris beaucoup de gens à faire des
solécismes.
LYCINUS. Aussi tu me prendras, quand tu
deviendras quelqu'un de ces enfants qui tettent leurs nourrices (10).
Ou, si tu ne sens pas que je trouble mon discours par des solécismes, les
enfants, en grandissant,en feront un aussi, sans que tu t'en doutes (11)
LE SOLÉCISTE C'est la vérité.
LYCINUS. Si nous ignorons cela, nous
n'entendrons rien à nos autres affaires ; car voilà encore un solécisme qui
t'échappe. Ne dis donc plus que tu es capable de prendre quelqu'un en flagrant
délit de solécisme, et incapable d'en faire toi-même. C'est un conseil que je
te donne.
4. Socrate de Mopse,
avec qui j'ai été en Egypte, ne reprenait jamais 1es gens avec aigreur ni
dureté ; il ne vous reprochait jamais une faute. Mais si on lui demandait :
"Quand sortez-vous (12). - Qui est-ce
qui peut vous répondre, disait-il, qu'il sortira aujourd'hui ?" Si
on lui disait : " Je suis attaché aux lois de ma patrie. - Comment
dites-vous ? répondait-il ; est-ce que votre père est mort (13)
? " Quelqu'un lui dit un jour : "C'est mon compatriote. - Nous ne
savions pas ,dit-il, que vous fussiez barbare (14)."
A un autre qui disait : "En voilà un d'ivrogne ! - Parlez-vous de sa
mère, reprit-il, ou comment l'entendez-vous (15)
? Un homme employait le mot ¤kleloxñtaw.
"Vous avez tort, dit-il, de vous servir d’¤jeiloxñtaw
avec un redoublement (16).) Un autre voulait
dire : "Il a de la présence d'esprit ;" mais comme il mit deux m
au mot l°ma (présence
d'esprit), sa phrase se changea en celle-ci : "Il a du profit. - Eh bien,
dit Socrate, qu'il profite donc !" Quelqu'un lui dit : "Ah ! voici une
jeunesse qui est de mes amis ! - Ce n'est pas bien, dit Socrate, vous l'insultez
(17). On lui dit une fois : "J'effraye
cet homme et je le fuis. - Tiens ! dit-il, quand vous craignez un homme, vous le
poursuivez (18) ? "Un autre disait :
"La plus haute sommité de mes amis. - Il est plaisant, dit Socrate, de
voir quelque chose de plus haut que la sommité (19).
"Je pousse vers la porte, dit un autre, - Ah ! qui chassez-vous donc
?" répondit-il (20). Quelqu'un
ayant dit : "Au-dessus de la surface. - C'est cela, dit-il ; au-dessus de
la surface, comme on dit au-dessus du tonneau." Un autre ayant dit : "
Il m'a ordonné. - Xénophon, reprit-il, a aussi ordonné des bataillons."
A un autre qui disait : " Je l'avais entortillé pour me cacher. - C'est
extraordinaire, répondit-il, qu'à vous seul vous ayez entortillé un homme (21)
: " Un autre voulant dire : " Il disputait avec lui," se servit
des mots sunekrÛneto aétÒ qui peuvent signifier:
"Il était comparé avec lui," Socrate alors lui dit: " Eh bien,
ils étaient distincts. "
5. Socrate avait également coutume de
railler avec courtoisie ceux qui solécisaient par excès d'atticisme. A
quelqu'un qui disait : "A nous, cela nous paraît bon. Vous direz aussi,
n'est-ce pas, à nous, nous faisons une faute (22)
?" Un autre racontait gravement un fait relatif à sa patrie, et disait :
" Cette femme ayant eu commerce avec Hercule. - Eh bien, reprit Socrate,
Hercule n'a-t-il donc pas eu commerce avec elle (23)
?" Quelqu'un disait : " Je vais me faire tondre. - Quel mal avez-vous
donc fait, dit-il, et qui vous vaille d'être noté d'infamie (24)
?" Un autre disait : "Je vais ferrailler. - Ah ! vous allez vous
battre avec les ennemis (25) ?"
"Mon fils malade est à la torture, disait un autre. - Que lui veut-on
donc, de le mettre ainsi à la question (26)
? " Il avance dans les sciences, disait quelqu'un. - Platon, reprit
Socrate, appelle cela faire des progrès (27)
" On lui demandait un jour : "Déclamerez-vous?, au lieu de dire :
"Un tel déclamera-t-il ? " melet®sei
au lieu melet®setai
?« Comment, dit-il, vous me demandez si je déclamerai, et vous me parlez d'un
tel? "
7. Unimitateur des Attiques s'étant servi
à la troisième personne de teyn®jei,
tu mourras, en place de teyn®jetai,
il mourra : " Mieux eût valu, dit Socrate, ne pas affecter le beau
langage, pour médire un mot de mauvais augure." Quelqu'un s'étant servi
de la locution stox‹zomai aétoè,
je le vise, dans le sens de je l'épargne : "Est-ce que vous
avez mal ajusté ? " dit-il. Quelqu'un ayant employé Žristn,
et un autre Žrist‹nein,
pour Žrist‹nai,
entraîner à la révolte : "Ma foi ! dit-il, je ne connais ni l'un
ni l'autre." On se servait devant lui de la locution sauf excepté que.
"Voilà, dit-il, de la prodigalité !" Un autre disant xrasyai
au lieu de xr°syai
: " C'est un mot pseudattique," dit-il. "Dès alors, disait un
autre. - C'est fort beau, reprit-il, de parler à l'ancienne mode ; Platon, en
effet, a dit " Pour lors (28)." Un
autre ayant dit ÞdÅ
au lieu de Þd¡ :
"Vous employez, dit-il, un mot pour un autre (29)."
Quelqu'un ayant employé Žntilamb‹nomai
, j'entends, au lieu de sunÛhmi,
je comprends : " Je m'étonne, dit Socrate, que voulant jouer le
premier rôle dans la conversation, il se condamne au second." Un autre
disant br‹dion, plus
lent, au lieu de bradéteron
: "'Est-ce que ce n'est pas la même chose, dit-iI, que t‹xion,
plus prompt (30) ?" Il en entendit un
autre qui se servait du mot bareÝn, être à charge : "barænein,
lui dit-il, n'est pas aussi suranné que vous le croyez (31).
" Quelqu'un disait l¡lvgxa
au lieu d'eàlhxa,
j'ai obtenu par le sort : " La différence est légère, dit-il, on
peut s'y tromper (32)." Beaucoup de
gens disant ¦ptasyai,
voler, au lieu de p¡tesyai
: «Nous savons bien, dit-il, que ce mot vient de pt°siw."
Quelqu'un ayant appelé pigeon une colombe, afin d'être plus attique : "
Nous finirons, dit-il, par appeler cet oiseau une oie. " Un autre ayant dit
qu'i! avait mangé fakñn
(au lieu de fak°n)
: " Comment peut-on dire, s'écria Socrate, qu'on a mangé un vase d'huile
(33)." Mais en voilà assez sur Socrate
de Mopse.
8. Revenons, si bon te semble, à notre
première discussion. Je vais te citer les solécismes les plus notables ;
reconnais-les au passage. Je pense que maintenant tu ne seras pas embarrassé,
après en avoir entendu une si belle série.
LE SOLÉCISTE. Peut-être ne pourrai-je pas te suivre. Dis pourtant.
LYCINUS. Comment dis-tu que tu ne pourras pas ? La porte ouvre pour toi,
afin que tu puisses les reconnaître (34).
LE SOLÉCISTE. Dis donc.
LYCINUS. J'ai dit.
LE SOLÉCISTE. Rien au moins qui m'ait paru extraordinaire.
LYCINUS. Tu n'as pas remarqué ouvre pour toi ?
LE SOLÉCISTE. Non !
LYCINUS. Que deviendrons-nous, si tu ne suis pas exactement mes paroles ? En
revenant à ce que tu as dit au commencement, je croyais que j'appelais les
cavaliers dans la plaine. Eh bien ! as-tu remarqué ces cavaliers (35)
? Mais tu parais te soucier fort peu de ce qu'on dit ; et même de la question
qui se débat entre nous eux-mêmes (36).
LE SOLÉCISTE. Je m'en coucie beaucoup ; mais tu fais tes coups à la
sourdine.
9. LYCINUS. A la sourdine, quand je dis entre nous eux-mêmes ! C'est
pourtant bien clair. Mais il me semble qu'il n'y a pas de dieu qui puisse te
dessiller les yeux, sauf Apollon. Il prophétise (37)
à tous ceux qui le consultent : mais tu n'as pas fait attention à cette
prophétie.
LE SOLÉCISTE. Pas le moins du monde, j'en atteste les dieux !
LYCINUS. Vraiment ! les solécismes t'échappent à la passage (38)
?
LE SOLÉCISTE. Complètement.
LYCINUS. Et cet à la passage, tu ne t'en es pas aperçu ?
LE SOLÉCISTE. Ma foi ! non.
LYCINUS. Mais connais-tu quelqu'un qui veuille se marier ?
LE SOLÉCISTE. Pourquoi cela ?
LYCINUS. C'est qu'il ne peut vouloir se marier sans commettre un solécisme
(39).
LE SOLÉCISTE. Qu'est-ce que cela me fait, je te le demande, qu'on commette
un solécisme en voulant se marier ?
LYCINUS. Cela fait qu'on ignore une chose qu'on prétendait savoir. C'est
comme cela. Mais si quelqu'un te dit eu passant qu'il divorce d'avec sa femme,
le lui permettras-tu ?
LE SOLÉCISTE. Pourquoi ne pas le lui permettre ?
LYCINUS. S'il te le dit en faisant un solécisme, le lui permettras-tu
également (40)?
LE SOLÉCISTE. Non pas.
LYCINUS..Tu as raison. Il ne faut pas d'indulgence avec un faiseur de
solécismes ; seulement il faut lui apprendre à les éviter. Et si quelqu'un
fait crier la porte en entrant, et qu'il y frappe en sortant, que diras-tu de
lui ?
LE SOLÉCISTE. Rien, si ce n'est qu'il a voulu entrer et sortir.
LYCINUS. Eh bien ! si tu ne vois pas la différence qu'il y a entre faire
crier la porte et y frapper, je te déclare un ignorant (41).
LE SOLÉCISTE. Et toi, tu es un insolent.
LYCINUS. Que dis-tu ? comment veux-tu que je sois un insolent en discutant
avec toi ? Tiens ! je viens de faire encore un solécisme, et tu n'en as rien vu
(42)!
10. LE SOLÉCISTE. Assez, au nom de Minerve ! ou, du moins, dis-moi quelque
chose que je puisse remarquer.
LYCINUS. Et comment y arriveras-tu ?
LE SOLÉCISTE. Si tu m'avertis chaque fois que tu fais un solécisme à mon
insu, en me signalant ta faute et en me disant en quoi elle consiste.
LYCINUS. Pas du tout, mon bon. Notre conversation n'en finirait plus. Mais
si tu veux me faire des questions sur tout cela, je suis entièrement ton homme.
Passons donc„ s'il te plaît , à d'autres exercices. Et d'abord, le mot tta,
dont je viens de me servir, doit avoir ici un esprit doux, et non pas un esprit
rude (43). C'est le moyen qu'il soit employé
correctement après §tera. De cette manière, il
ne sera pas étrange. Maintenant, parlons de l'outrage que je t'ai fait, et qui
m'a valu de toi le nom d'insolent. Si je ne parlais pas comme cela, mon
expression serait incorrecte (44).
LE SOLÉCISTE. Je n'y trouve rien à reprendre.
LYCINUS. Le voici. Quand je dis s¢ êbrÛzein,
c'est à ta personne que je fais outrage, avec des coups, des liens, ou de toute
autre manière. Mais quand je dis eÞw s¡,
l'outrage retombe sur quelque chose à toi. Ainsi celui qui fait outrage à ta
femme, te fait outrage à toi-même (eÞw s¡); et
il en est de même de celui qui fait outrage à ton fils, à ton ami, à ton
esclave, à tout ce qui t'appartient. Car Platon, dans son Banquet, dit dans ce
sens, sous une forme proverbiale, qu'on peut faire outrage à un objet inanimé.
LE SOLÉCISTE. Je comprends la différence.
LYCINUS. Eh ! ne comprends-tu pas également que celui qui brouille tout
cela mérite qu'on lui reproche de faire des solécismes ?
LE SOLÉCISTE. Maintenant que tu me l'as dit, je le comprends.
LYCINUS. Mais quand on dit brouiller et embrouiller, crois-tu que ce soit la
même chose ?
LE SOLÉCISTE. Oui.
LYCINUS. Est-ce possible ? L'un peut-il être employé pour l'autre ? Le bon
pour le mauvais ? Le mot qui est pour celui qui n'est pas ?
LE SOLÉCISTE. Je comprends : brouiller, c'est user du terme impropre au
lieu du terme propre, et embrouiller, c'est tantôt se servir du mot propre,
tantôt du terme impropre (45).
LYCINUS. Il y a d'autres observations tout aussi jolies : montrer du zèle
à quelqu'un exprime une arrière-pensée d'intérêt chez celui qui montre ce
zèle ; montrer du zèle pour quelqu'un exprime une idée de dévouement à
cette personne (46). Il y a des gens qui négligent
ces nuances, et d'autres qui les observent avec une attention scrupuleuse. Cette
attention scrupuleuse me semble de beaucoup préférable.
11. LE SOLÉCISTE. Tu as bien raison.
LYCINUS. Sais-tu également la différence qu'il y a entre se seoir et
s'asseoir, sieds-toi et assieds-toi ?
LE SOLÉCISTE. Non ; mais je t'ai entendu dire que sois assis n'est pas
correct.
LYCINUS. Tu as bien entendu. Je dis en outre qu'il y a une différence entre
sieds-toi et assieds-toi.
LE SOLÉCISTE. En quoi consiste-t-elle ?
LYCINUS. En ce qu'on dit assieds-toi à quelqu'un qui est debout, et
sieds-toi à quelqu'un qui est assis. Par exemple : Sieds-toi donc, étranger,
nous nous siérons ailleurs (47),au lieu de lui
dire : Assieds-toi donc, étranger. Ainsi, pour le dire une seconde fois, c'est
une faute que de changer tout cela. Ne vois-tu pas, en effet, la nuance qui
sépare ces deux locutions, dont l'une s'applique aux autres, et l'autre à
nous-mêmes ?
12. LE SOLÉCISTE. En voilà assez sur ce point ; passons à un autre, car
il faut que tu me donnes des leçons.
LYCINUS. C'est juste ; quand je parle autrement, tu ne m'entends plus.
Sais-tu précisément ce que signifie juggrafeæw ?
LE SOLÉCISTE. Je le sais parfaitement maintenant ; après t'avoir entendu (48).
LYCINUS. Tu confonds aussi, je crois, katadouloèn
et katadouloèsyai, tandis que moi, je vois entre
ces deux mots une énorme différence.
(01) Nous avons eu quelque peine à faire
passer dans notre langue ce dialogue qui roule sur des finesses et des
subtilités grammaticales. Nous espérons que les notes éclairerons une
traduction devant laquelle ont reculé jusqu'ici les interprètes français de
Lucien.,
(02) …Arti
soloikÇ est un solécisme, parce que les Attiques n'emploient pas rti
avec le futur, mais avec le présent ou le passé.
(03) Selon Thomas Magister, on ne doit
pas dire †A
m¡n oäsy' , ‘ d'oék oàsya
mais tinŒ m¢n, tinŒ d¡..
(04)…Ofelon
dun®sú est une
faute, parce que öfelon
ne se construit pas avec le futur de l'indicatif.
(05) Le premier est …rti,
le second, ‘ m¢n, ‘ d¡
, le troisième öfelon
.
(06) Le quatrième solécisme consiste
dans l'emploi d’”ylon,
prouesse, au genre neutre : il eût fallu m¡gan
”ylon, au lieu de m¡ga.
(07) Un Attique eût remplacé sun®sv
par sun°kaw n. Lehmann
lit sun®sv
,
première personne du futur actif, et
traduit : Intellexero, si voluisses, "je comprendrais, si tu
voulais" D'autres éditeurs donnent sun®svn
: intellecturus. Nous avons suivi la leçon adoptée par Grévius.
(08) En place de yeÝn
lagÅ, il eût fallu dire, en bon attique, y¡ein
lagÅn, et au lieu de au lieu de genñmenoi
lagÒ, genñmenoi lagoÛ.
(09) Di¡fyoraw,
aurait dû être remplacé par diefy‹rhw.
(10) Il y a ici un jeu de mots qui porte
sur le double sens de
yhl‹zv
allaiter et être, allaité, lactare et lactere
(11) Autre jeu de mots sur
aéj‹nenta,
qui signifie à la fois grandissant et agrandissant.
(12)
PhnÛka
forme un solécisme, si on l'emploie dans le sens de quand, et à quel
moment ? Il signifie, proprement, à quelle heure ?
(13)
„IpanŒ
¦xv tŒ patrÒa peut
avoir le sens que nous lui donnons dans notre traduction, mais en bon attique il
faudrait dire tŒ p‹tria
sans quoi on pourrait croire, comme Socrate de Mopse, que le sens est : J'ai
un patrimoine convenable, et s'attirer la réponse que Lucien lui prête.
(14)
SumpatriÅthw,
est un mot barbare, un Attique eût dit polÛthw
¤sti mou ou moi.
(15)
Meyæshw
attiquement ne s'emploie qu'au féminin. J'ai cherché à donner quelque idée
de ce solécisme grec en employant la tournure triviale: En voilà un d’ivrogne
! qui justifie mieux le mot de Socrate de Mopse : "Parlez-vous de sa
mère?"
(16) Le parfait du verbe
¤kl¡gv,
choisir, est ¤jeÛloxa,
au lieu de l’inusité ¤kl¡loxa
Voy. Maubiae Gramm. Gr. § 189. Cf. Burnouf, méth. Gr., § 103,
note. En traduisant littéralement le mot de Socrate, nous aurions : Vous
doublez ceux qui choisissent.
(17)
MeÛraj,
que nous traduisons par le mot de jeunesse, ne s'emploie attiquement
qu'au féminin : avec l'article masculin, il signifie un débauché.
(18) L'interlocuteur de Socrate donne mal
à propos le sens de craindre au mot
dedÛttomai
qui signifie effrayer. Il aurait dû se servir de d¡doika.
Toute cette équivoque est intraduisible en français.
(19)
Korufaiñtatow,
n'est pas plus permis en grec, qu'en latin summissimus.
(20)
ƒEjormÇ
signifie absolument je sers : les Attiques ne l’emploient qu’avec le
sens de pousser, chasser.
(21) Les Attiques blâment le verbe
peri¡sthn, dans le sens
d'entourer, quand il ne s'agit que d'une seule personne. Nous blâmerions de
même le mot entortiller, comme trivial.
(22) J'ai tâché de rendre ici l’équivalent
du grec
nÇi. Le
solécisme consiste en ce qu'il fallait dire nÇin.
(23) Le
verbe
mÛgnumai
s’emploie spécialement pour exprimer les r'apports de l'homme avec la femme,
et non pas ceux de la femme avec l'homme.
(24) En place de
kar°nai,
il fallait dire keÛrasyai
: le premier mot était un terme injurjeux.
(25)
ZugomaxeÝn,
que nous traduisons par ferrailler, indique plutôt le sens de se
mettre en ligne contre les ennemis que celui de discuter amicalement.
(26)
BasanÛzesyai
ne se dit pas, en grec, d'une maladie, suivant Thomas Magister ; il fallait ¤jet‹zesyai.
(27) Au lieu du verbe
prokñptein,
il fallait employer ¤pididñnai.
(28) Platon se servant de
eÞw
tñte, notre hypérattique se croit autorisé
à dire ¦k tote :
j'ai fait de mon mieux pour rendre cette faute intelligible.
(29) Les Attiques, selon Thomas Magister,
préfèrent
ƒIdoè
à …Ide
(30) Au lieu de
taxeon,
les Attiques disent ytton,
et les Ioniens taxçteron.
(31) Thomas Magister dit que
bareÝn
est inusité, et qu'il faut se servir de barænein.
(32) Voy. Matthiae, Gramm. gr, ,§
165,3 ; § 186, 3 ; et § 242.
(33)
Fakñn,
en, effet ,signifie un vase d'huile, tandis que l'interlocuteur de
Socrate voulait dire qu'il avait mangé une lentille fak°n
ou au pluriel fakoæw.
(34)
Au lieu de Žn¡Äg¡
soi il faudrait Žn¡ÄktaÛ
soi. Nous avons cherché à donner une
idée de ce solécisme, en disant : la porte ouvre, au lieu de s'ouvre pour toi.
(35)
En place d'ßppeÝw,
cavaliers, Lycinus aurait de employer l'accusatif pluriel ßpp¡aw
avec tous les écrivains de la bonne grécité.
(36)
Nous demandons la permission de faire
ce solécisme, qui correspond à celui du grec.
(37)
Manteæetai,
employé par Lycinus, ne signifie pas prophétiser en bon attique ; c'est des
verbes xr˜n
ou ŽnaireÝn
qu'il aurait dit se servir. Cependant manteæesyai
est autorisé par des écrivains d'une correction non équivoque, et notamment
par Lucien lui-même.
(38)
Le grec dit kay'
eåw, au lieu de kay'
¦na, ad unus au lieu de ad
unum. Nous avons essayé d'en donner un équivalent en français.
(39)
Toute cette équivoque roule sur
l'emploi vicieux demnhsteæesyai,
qui ne se dit que pour les filles à marier : on se sert de mnsyai
quand il s'agit d'un prétendu.
(40)
Ce solécisme consiste à se servir d'ŽpoleÛpein,
en parlant d'un homme. Ce verbe est réservé exclusivement pour les femmes qui
se séparent de leur mari. L'homme qui répudie sa femme doit dire ¤kb‹llein
gunaÝka.
(41)
Il faut intervertir ici la place des
verbes grecs cofeÝn
et kñptein.
CofeÝn,
faire crier la porte, se disait de ceux qui sortaient, et kñptein,
de ceux qui frappaient avant d'entrer.
(42)
En effet, il a dit : Nèn
d¯ gen®somai, au lieu de nèn
d¯ g¡nomai, attendu que nèn
d¯ ne se construit pas avec le futur,
mais avec le présent seulement.
(43)
†Atta,
avec un esprit rude, est pour ‘tina,
n'importe quoi, et ne s'emploie qu'au commencement d'un membre de phrase. …Atta,
avec un esprit doux, est pour tin‹,
quelques, quaedam, avec un mot qui le détermine, comme dans ce passage
§ter' tta.
(44)
Il y a cette différence entre êbrÛzv
s¡ et êbrÛzv
eÞw s¡ que le premier signifie, je
te fais outrage directement, tandis que le second signifie, je fais outrage à
tes amis, à quelque chose qui t'appartient. Lycinus, du reste, l'explique à
son interlocuteur.
(45)
Nous avons rendu de notre mieux la
différence subtile que Lycinus établit entre êpall‹ttein
et . Cette distinction est rendue plus sensible pour le grec par les
substitutifs qui correspondent à chacun de ces deux verbes: Au verbe êpall‹ttein
se rattache êpallag®,
l'hypallage, figure par laquelle on paraît attribuer à certains mots d'une
phrase l'idée qui appartient à d'autres mots de cette même phrase; et au
verbe ¤nall‹ttein
se rattache ¤nallag®,
l'énallage, qui consiste à employer une forme de verbe pour un autre. En
français, brouiller, c'est mettre en confusion, avec l'idée de dessein,
d'intention malveillante ; embrouiller, c'est mettre en désordre, à son insu,
par inhabileté ou par maladresse.
(46)
J'ai tenté de rendre en français la
nuance qui existe entre spoud‹zein prñw
tina et spoud‹zein
perÛ tina.
(47)
Odyssée, XVI , v. 44.
(48)
Nous n'avons pas insisté sur les
arguties minutieuses qui précédent. Quant au véritable sens de juggrafeæw,
qui signifie proprement écrivain, il veut dire historien dans tous les auteurs
de la bonne grécité.