LUCIEN
X.
DIALOGUE DES MORTS .
1 DIOGÈNE ET POLLUX.
1.
DIOGÈNE. Pollux, je te
recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c'est à toi, je
pense, à ressusciter demain (01), si tu
aperçois quelque part Ménippe le chien (02),
et tu le trouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien au Lycée (03),
riant des disputes des philosophes, de lui dire : "Ménippe, Diogène
t'engage, si tu as assez ri de ce qui se passe sur la terre, à venir dessous
rire encore davantage. En haut, tu n'es pas toujours certain d'avoir à rire ;
car, comme on dit, qui sait au juste ce qu'il advient après la vie ? Mais en
bas tu riras sans fin, ainsi que moi, quand tu verras les riches, les satrapes,
les tyrans rabaissés, perdus dans l'ombre, sans autre distinction que des
gémissements, arrachés à leur mollesse et à leur lâcheté par le souvenir
des choses de là-haut." Dis-lui cela ; et ajoute qu'il ait soin de venir
la besace pleine de lupins, ou bien d'un souper d'Hécate (04)
trouvé dans quelque carrefour, d'un oeuf lustral (05),
ou enfin de quelque chose de pareil.
2. POLLUX. Je lui dirai tout cela,
Diogène ; mais pour que je le reconnaisse mieux, fais-moi son portrait.
DIOGÈNE. C'est un vieillard chauve, ayant un manteau plein de trous,
ouvert à tous les vents, et rapiécé de morceaux de toutes couleurs : il rit
toujours, et se moque, la plupart du temps, de ces hâbleurs de philosophes.
POLLUX. Il ne sera pas difficile à trouver avec ce signalement.
DIOGÈNE. Veux-tu bien aussi te charger d'une commission pour ces
philosophes eux-mêmes ?
POLLUX. Parle : cela ne sera pas non plus lourd à porter.
DIOGÈNE. Dis-leur en général de faire trêve à leurs
extravagances, à leurs disputes sur les universaux (06),
à leurs plantations de cornes réciproques, à leurs fabriques de crocodiles,
à toutes ces questions saugrenues qu'ils enseignent à la jeunesse (07).
POLLUX. Mais ils diront que je suis un ignorant, un malappris, qui
calomnie leur sagesse.
DIOGÈNE. Eh bien ! dis-leur de ma part d'aller se... lamenter.
POLLUX. Je le leur dirai, Diogène.
3. DIOGÈNE. Quant aux riches,
mon cher petit Pollux, dis-leur aussi de ma part."Pourquoi donc, insensés,
gardez-vous cet or ! Pourquoi vous torturer à calculer les intérêts, à
entasser talents sur talents, vous qui devrez bientôt descendre là-bas avec
une seule obole ?"
POLLUX. Tout cela leur sera dit.
DIOGÈNE. Dis à ces gaillards beaux et solides, Mégille de Corinthe
et Damoxène le lutteur, qu'il n'y a plus chez nous ni chevelure blonde, ni
tendres regards d'un oeil noir, ni vif incarnat des joues, ni muscles fermes, ni
épaules vigoureuses : mais tout n'est ici que poussière (08),
comme l’on dit, un amas de crânes sans beauté (09).
POLLUX. Ce n'est pas difficile d'aller dire cela à tes gaillards
beaux et solides.
4. DIOGÈNE. Mais aux pauvres,
dont le nombre est grand, et qui, mécontents de leur sort, déplorent leur
indigence, dis, leur, Laconien, de ne plus pleurer, de ne plus gémir ;
apprends-leur qu'ici règne l'égalité, qu'ils y verront les riches de la terre
réduits à leur propre condition ; et, si tu veux bien, reproche de ma part à
tes Lacédémoniens de s'être bien relâchés.
POLLUX. Ne dis rien, Diogène, des Lacédémoniens : je ne le
souffrirais pas ; mais ce que tu mandes aux autres, je le leur ferai savoir.
DIOGÈNE. Eh bien ! laissons en paix les Lacédémoniens, puisque tu
le veux ; mais porte mes avis à ceux dont je t'ai parlé.
2. PLUTON, CRÉSUS, MIDAS, SARDANAPALE ET MÉNIPPE.
1.
CRÉSUS. Nous ne pouvons
supporter, Pluton, que ce chien de Ménippe demeure avec nous : envoie-le
s'établir ailleurs, ou bien nous émigrerons dans un autre endroit.
PLUTON. Hé ! quel mal vous a-t-il donc fait ? Il est mort comme vous
!
CRÉSUS. Dès que nous gémissons et que nous nous rappelons avec
regret les choses de là-haut, Midas son or, Sardanapale ses plaisirs, et moi
mes trésors, il se met à rire, il nous insulte, il nous appelle esclaves,
coquins ; d'autres fois, il chante pour troubler nos lamentations ; enfin, il
est insupportable.
PLUTON. Que disent-ils, Ménippe ?
MÉNIPPE. La vérité, Pluton : je déteste ces lâches, ces
misérables, qui, non contents d'avoir mal vécu, se rappellent, tout morts
qu'ils sont, et regrettent les choses de là-haut je suis charmé de les vexer.
PLUTON. C'est mal : ils sont assez punis par l’étendue de leur
perte.
MÉNIPPE. Toi aussi tu es fou, Pluton, d'approuver leurs regrets.
PLUTON. Je ne les approuve pas ; mais je ne puis souffrir qu'il y ait
sédition parmi vous.
2. MÉNIPPE. Cela ne fait rien :
vous, les plus méchants des Lydiens, des Phrygiens et des Assyriens, sachez
bien que je ne vous lâcherai pas ; partout où vous irez, je vous suivrai pour
vous molester, pour vous chanter aux oreilles et me moquer de vous.
CRÉSUS. Quoi ! ce n'est pas là un outrage ?
MÉNIPPE. Non l’outrage, c'était votre conduite, quand vous
vouliez qu'on vous adorât, quand vous faisiez les insolents avec des hommes
libres, quand vous oubliiez complètement qu'il faut mourir ! Pleurez donc,
aujourd'hui que vous avec perdu tout cela !
CRÉSUS. Où sont, grands dieux, mes immenses richesses ?
MIDAS. Où est mon or ?
SARANAPALE. Où sont mes plaisirs ?
MÉNIPPE. A la bonne heure ! Pleurez donc, pendant que je vous
cornerai à la tête le fameux : Connais-toi toi-même, c'est en effet,
ce qu'on peut chanter de mieux, pour répondre à de pareils gémissements.
3. MÉNIPPE, AMPHILOQUE ET TROPHONIUS.
1.
MÉNIPPE. Aujourd’hui,
Amphiloque et Trophonius (10), que vous
voilà morts, je me demande comment on a pu vous dédier des temples et vous
regarder comme des devins ; comment les hommes sont assez fous pour vous croire
des dieux.
AMPHILOQUE. Eh quoi ! Est-ce notre faute, s’ils ont l'extravagance
de penser ainsi au sujet des morts ?
MÉNIPPE. Mais ils ne penseraient pas ainsi, si, de votre vivant,
vous n’eussiez fait croire par quelques prestiges que vous connaissiez
l'avenir, et que vous pouviez répondre à ceux qui vous interrogeaient.
TROPHONIUS. Ménippe, Amphiloque, ici présent, sait ce qu'il doit
répondre pour se justifier ; moi, je suis un héros, et je donne des oracles à
quiconque descend auprès de moi. Mais tu me parais n'avoir jamais voyagé à
Lébadie ; autrement, tu ne serais pas si incrédule.
2. MÉNIPPE. Que dis-tu ! Il faut
avoir été à Lébadie (11), s'être
affublé d'une toile ridicule, avoir pris un gâteau entre les mains et s'être
glissé dans ton antre par son étroite ouverture, pour savoir que tu es mort,
comme nous, sans autre distinction que ton charlatanisme ! Mais, au nom de la
divination, qu'est-ce qu'un héros ? Je l'ignore.
TROPHONIUS. C'est un composé d'homme et de dieu.
MÉNIPPE C'est, dis-tu, un être qui n'est ni homme, ni dieu, mais
les deux ensemble. Où donc est alors ta moitié divine ?
TROPHONIUS. Elle rend des oracles en Béotie, Ménippe !
MÉNIPPE Je ne comprends pas, Trophonius, ce que tu dis ; je vois
clairement que tu es tout à fait mort.
4 MERCURE ET CHARON.
MERCURE. Comptons, s'il te plaît,
nocher, combien tu me dois, afin d'éviter toute discussion à l'avenir.
CHARON. Très volontiers, Mercure ; aussi
bien, c'est le parti le meilleur et le plus sûr.
MERCURE. je t'ai apporté, sur ta demande,
une ancre : cinq drachmes.
CHARON. C'est bien cher.
MERCURE. Par Pluton, je l'ai payée cinq
drachmes, plus une courroie pour attacher la rame : deux oboles.
CHARON. Mets cinq drachmes, deux oboles.
MERCURE. Plus une aiguille pour coudre la
voile ; déboursé : cinq oboles.
CHARON. Ajoute cinq oboles.
MERCURE. Plus, de la cire pour boucher les
trous de ta barque ; des clous et un bout de corde dont tu as fait une attache
d'antenne : le tout deux drachmes.
CHARON. C'est bien, c'est le prix.
MERCURE. Voilà tout…à moins que je n'ai
oublié quelque chose dans mon calcul. Quand me rendras-tu cela ?
CHARON. Pour le moment, Mercure, c'est
impossible. Mais que la peste ou la guerre m'envoie du monde, et je pourrai
faire quelque argent, en augmentant en douce le prix du passage.
MERCURE. Je n'ai donc plus qu'à invoquer
tranquillement tous les fléaux possibles, pour être payé un jour ?
CHARON. Impossible autrement, Mercure, tu le
vois bien toi-même, il me vient bien peu de monde, car c'est la paix.
MERCURE. C'est mieux ainsi, même si je dois
attendre encore longtemps que tu paies ta dette. Mais, t'en souviens-tu, Charon,
ceux qui venaient autrefois étaient tous d'un tempérament vigoureux et sanguin
; la plupart couverts de blessures ; tandis qu'à présent c'est un homme
empoisonné par sa femme ; un autre dont la débauche a fait enfler le ventre ou
les jambes ; ils sont tous pâles et débiles ; bien différents des autres. La
plupart d'entre eux, à ce qu'il paraît ne viennent ici qu'en se prenant aux
pièges qu'ils se dressent réciproquement pour se ravir leurs biens les uns aux
autres.
CHARON. C'est que l'argent est une chose
très désirable.
MERCURE. Alors il paraît que je n'ai pas
tort de me montrer un peu pressant à réclamer mon dû.
5 PLUTON ET MERCURE.
1.
PLUTON. Connais-tu ce vieillard, tout à fait vieux et cassé, le riche
Eucrate, qui n’a pas d’enfants, et dont l’héritage est pourchassé par
des gens qui sont bien cinquante mille ?
MERCURE. Oui, il est de Sicyone, n’est-ce
pas ? Que veux-tu dire ?
PLUTON. Laisse-le vivre, mercure, au delà
de quatre-vingt-dix ans qu’il a déjà vécu ; ajoutes-en même, sil se peut,
autant et plus encore ; mais tous ses flatteurs, et le jeune Charinus, et Damon,
et tous les autres, détache-les-moi ici à la suite les uns des autres.
MERCURE. Cela paraîtra tout à fait
étrange.
PLUTON. Non pas ; mais tout à fait juste.
Et qui donc peut leur faire souhaiter la mort de ce vieillard ? Pourquoi, sans
être ses parents, veulent-ils s’approprier ses biens ? Mais, ce qu’il y a
de plus infâme, c’est qu’en dépit de ces souhaits, ils lui font la cour
aux yeux de tous. Tombe-y-il malade, leurs desseins secrets se révèlent à
tout le monde, malgré la promesse qu’ils font d’offrir des sacrifices, s’il
recouvre la santé ; enfin la flatterie de ces hommes sait prendre mille formes
: voilà pourquoi je désire qu’il soit immortel, et que les autres s’en
aillent avant lui, après avoir tenu pour rien la bouche ouverte.
2. MERCURE.
Il y aura de quoi rire à voir ces rusés compères. Mais Eucrate ne les attrape
déjà pas mal, en les nourrissant d’espérances ; on croit toujours qu’il
va mourir, il se porte mieux qu’un jeune homme, et c’est en vain que ses
flatteurs se repaissent déjà de la succession, qu’ils se partagent et
rêvent pour eux une vie toute de bonheur.
PLUTON. Eh bien ! qu’il dépouille sa
vieillesse, et que, semblable à Iolas (12),
il redevienne jeune, tandis que ceux-ci, déçus dans leur espoir, abandonneront
une richesse qu'ils n'auront vue qu'en songe. Que ces misérables viennent ici,
emportés par une mort misérable !
MERCURE. Laisse-moi faire, Pluton ; avant
peu je te les enverrai tous, à la file ; ils sont sept, je crois.
PLUTON. Détache-les-moi Eucrate, de
vieillard devenu jeune homme, conduira chacun d'eux au tombeau.
6 TERPSION ET PLUTON.
1. TERPSION.
Est-il juste, Pluton ; que je meure à trente ans, et que Thucrite, qui en a
plus de quatre-vingt-dix, vive encore !
PLUTON. C'est on ne peut plus juste,
Terpsion, puisque Thucrite, en vivant, ne souhaite pas la mort de ses amis ; au
lieu que toi, tu ne cessais de lui tendre des pièges, dans l'attente de son
héritage.
TERPSION. Mais ne fallait-il pas qu'un
vieillard, qui ne peut plus user de sa richesse, sortit de la vie, et cédât sa
place aux jeunes gens ?
PLUTON. Voilà de nouvelles lois, Terpsion
! Quand un homme ne peut plus user de la richesse pour le plaisir, il faut qu'il
meure ! Mais le destin et la nature en ont décidé autrement.
2. TERPSION.
Mais c'est de cette décision meure que je me pleins. Il faudrait que les choses
se fissent avec ordre ; que le plus vieux partit le premier, puis l'homme dont
l'âge sait immédiatement, et qu'on ne vît pas, par un renversement étrange,
vivre un vieillard tout cassé, n'ayant plus que trois dents, presque aveugle
appuyé sur quatre esclaves, la roupie au nez, l’œil tout plein de chassie,
insensible à tous les plaisirs, sépulcre vivant, risée de la jeunesse, tandis
que meurent de jeunes, vivant, florissants de vigueur et de beauté.
C'est faire remonter un fleuve vers sa source (13).
Du moins faudrait-il savoir, en définitive, quand
mourra chacun de ces vieillards, afin de ne pas leur faire une cour inutile.
Mais c'est ici le cas d'appliquer le proverbe : "La charrue traîne les bœufs".
3. PLUTON. Tout
cela se fait, Terpsion, avec plus de sagesse que tu ne penses. Pourquoi
désirez-vous avec tant d'ardeur le bien d'autrui ? Pourquoi toutes vos
intrigues auprès de vieillards sans enfants, afin de vous faire adopter par eux
? Vous méritez bien qu'on se moque de vous ; quand ce sont eux qui vous
enterrent, tout le monde trouve la chose amusante ; et plus vous avez fait de vœux
pour les voir mourir, plus on rit de vous voir mourir les premiers. C’est
un art nouveau de votre imagination, que cet amour pour les vieilles femmes et
les vieillards, surtout quand ils n'ont pas d'enfants ; car ceux qui en ont ne
vous semblent guère aimables. Il y a cependant bon nombre de ceux que vous
aimez, qui devinent la perfidie de votre tendresse, et qui, ayant des enfants,
font semblant de les haïr pour s'attirer vos hommages ; mais dans la suite, on
voit exclus de leurs testaments ces anciens satellites de leur fortune ;
l'enfant et la nature l'emportent, comme de juste, sur ces flagorneurs, qui s'en
vont grinçant des dents, avec un pied de nez.
4. TERPSION. C’est la vérité ! Ah ! que
de bons morceaux m'a avalés ce Thucrite, que je croyais toujours voir mourir,
et qui, lorsque j'entrais, faisait entendre un gémissement sourd, un soupir
exhalé du fond de sa poitrine, comme le cri plaintif du poussin qui sort de l'œuf
! Si bien que, persuadé qu'il allait bientôt descendre au cercueil, je
lui faisais mille présents, afin que mes rivaux demeurassent au-dessous de ma
munificence. Souvent je passais la nuit sans dormir, rongé de soucis, faisant
mes calculs, mes dispositions. Ce sont probablement ces inquiétudes et ces
insomnies qui ont causé ma mort. Et lui, après avoir avalé mon appât, riait,
avant-hier, pendant qu'on m'enterrait !
PLUTON. A merveille, Thucrite, vis le plus
longtemps possible, toujours riche, toujours riant de ces flatteurs, et ne meurs
qu'après nous les avoir envoyés tous !
TERPSION. A présent, Pluton, mon plus
grand plaisir serait de voir mourir Chariadés avant Thucrite.
PLUTON. Sois tranquille, Terpsion ; et
Phidon, et Mélanthe, et tous les autres enfin, viendront ici conduits par les
mêmes chagrins.
TERPSION. Approuvé ; et longue vie à
Thucrite !
7 ZÉNOPHANTE ET CALLIDÉMIDE.
1.
ZÉNOPHANTE.
Et toi, comment es-tu mort, Callldémide ? Moi, qui étais parasite de Dinias,
j'ai été étouffé pour avoir trop mangé ; tu te le rappelles, tu étais
présent à ma mort.
CALLIDÉMIDE. Oui, Zénophante ; mais ce
qui m'est arrivé est incroyable Tu connais, je crois, le vieux Ptéodore.
ZÉNOPHANTE. Ce vieillard sans enfants,
riche, et avec qui je te voyais souvent ?
CALLIDÉMIDE. Lui-même ! Je lui faisais
une cour assidue, : et il me promettait que je ne perdrais rien à sa mort. Mais
comme la chose traînait en longueur, et que le bonhomme vivait plus que Tithon
(14), j'imaginai un chemin plus court pour
arriver à l'héritage. J'achète du poison, j'engage l'échanson de Ptéodore
à le mêler dans sa coupe, et, quand le vieillard, qui boit volontiers,
demanderait à boire, à la tenir prête et à la lui présenter : je lui jure
que, s'il le fait ainsi, je lui donnerai sa liberté.
ZÉNOPHANTE. Eh bien ! qu'est-il arrivé ?
Il me semble qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire.
2. CALLIDÉMIDE.
Quand nous fûmes revenu du bain, le jeune homme, qui déjà tenait les deux
coupes toutes prêtes, l'une où était le poison pour Ptéodore, l'autre pour
moi, me présenta, je ne sais par quelle erreur, la coupe empoisonnée, et à
Ptéodore celle qui ne l'était pas. Il boit, et moi je tombe aussitôt à la
renverse et j'expire à la place du vieillard. Eh quoi ! tu ris, Zénophante ?
Tu ne devrais pas te moquer d'un ami !
ZÉNOPHANTE. C'est que l'aventure est
plaisante, cher Callidémide ! Et le vieillard ?
CALLIDÉMIDE. D'abord cette mort soudaine
le troubla ; mais comprenant, je crois, ce qu'il en était, il se mit à rire du
tour que m'avait joué l'échanson.
ZÉNOPHANTE. Tu as eu tort de prendre le chemin le plus court ; la
grande route était plus sûre, quoique un peu plus longue.
8 CNÉMON ET DAMNIPPE.
CNÉMON.
Le proverbe est bien vrai : "Le faon a dévoré le lion"
DAMNIPPE. D'où vient cette colère,
Cnémon ?
CNÉMON. Tu me demandes pourquoi je suis en
colère ? J'ai laissé sans le vouloir, malheureuse dupe que je suis, mon
héritage à qui je ne voulais pas, et je n'ai rien laissé à qui je le voulais
le plus.
DAMNIPPE. Comment cela s'est-il fait ?
CNÉMON. Je faisais la cour, dans
l'espérance de le voir mourir, à Hermolaüs, homme très riche et sans
enfants, et lui paraissait content de mes soins. Je crus faire un beau coup
d'adresse, en produisant en public mon testament, dans lequel je lui léguais
toute ma fortune, afin que, piqué d'émulation, il en fit autant.
DAMNIPPE. Qu'a-t-il donc fait ?
CNÉMON. Je ne sais ce qu'il a écrit dans
le sien, car je suis mort subitement de la chute d'un toit. Hermolaüs a
maintenant toute ma fortune ; comme un vrai loup marin, il a avalé l'amorce et
l'hameçon.
DAMNIPPE. Et par-dessus le marché, le
pêcheur, qui s'est pris dans ses propres filets.
CNÉMON. Je le vois bien ; et c'est pour
cela que je pleure !
9 SIMYLUS ET POLYSTRATE.
1. SIMYLUS. Te voilà
donc arrivé aussi chez nous, Polystrate, après avoir vécu ; je crois, à peu
prés une centaine d'années !
POLYSTRATE. Quatre-vingt-dix-huit ans,
Simylus.
SIMYLUS. Et comment as-tu passé les trente
ans que tu as vécu après moi ? Tu avais, en effet, quelque soixante-dix ans,
quand je suis mort.
POLYSTRATE. Très agréablement : on dirait
que cela te parait étrange.
SIMYLUS. Fort étrange : comment vieux,
malade et sans enfants, pouvais-tu encore mener joyeuse vie ?
2. POLYSTRATE.
D'abord, j'avais un pouvoir sans limites ; puis autour de moi une foule de jolis
garçons, de femmes charmantes, des parfums, des vins d'une odeur exquise, une
table comme on n'en voit pas en Sicile (15).
SIMYLUS. Voilà du nouveau : je t'avais
toujours cru fort économe.
POLYSTRATE. Oui ; mais, mon cher, tous ces
biens m'arrivaient par les autres ; dès le matin une foule de complaisants
assiégeaient mes portes ; puis il me venait les plus magnifiques présents de
tons les points de la terre.
SIMYLUS. Tu as donc été roi après ma
mort, Polystrate ?
POLYSTRATE. Non ; mais j'avais des millions
d'adorateurs.
SIMYLUS. Tu veux rire ? Des adorateurs, un
homme de ton âge, avec tes quatre dents ?
POLYSTRATE. Par Jupiter ! c'étaient les
premiers de la ville : vieux, chauve, comme tu vois, l'œil chassieux ; la
roupie au nez, j'étais pourtant l'objet de leur culte empressé, et celui-là
s'estimait heureux qui obtenait un seul de mes regards.
SIMYLUS. Aurais-tu donc, nouveau Phaon (16),
passé Vénus de Chio à l'autre rive ? Et cette déesse aurait-elle accordé à
tes vœux de redevenir un jeune homme, beau comme autrefois et tout aimable ?
POLYSTRATE. Non ; mais tel que j'étais,
j'étais l'objet de tous les vœux.
SIMYLUS. Tu me proposes des énigmes.
3. POLYSTRATE.
Rien cependant n'est plus commun que cette vive tendresse pour des vieillards
riches et sans enfants.
SIMYLUS. Ah ! je comprends à présent : ta
beauté, homme étonnant, venait d'une Vénus d'or.
POLYSTRATE. Quoi qu'il en soit, Simylus, je
me suis bien amusé de tous ces adorateurs pour lesquels j'étais comme un dieu
; souvent je les malmenais, j'en faisais mettre à la porte ; tous alors se
disputaient à qui se surpasserait en égards pour moi.
SIMYLUS. Mais à la fin quel parti as-tu
pris au sujet de tes biens ?
POLYSTRATE. Je disais publiquement à
chacun d'eux que je lui laissais mon héritage ; il le croyait, et se montrait
encore plus flatteur ; mais j'ai laissé un autre testament, un vrai que je
gardais, et qui ne les a pas fait rire.
4. SIMYLUS.
Et quel est celui que tes dernières dispositions font ton héritier ? Est-ce
quelqu'un de ta famille ?
POLYSTRATE. Non, par Jupiter ! c'est un
jeune esclave phrygien, d'une beauté parfaite, et que j'avais acheté depuis
peu.
SIMYLUS. Quel âge a-t-il à peu près,
Polystrate ?
POLYSTRATE. Environ vingt ans.
SIMYLUS. Je comprends maintenant comment il
se rendait agréable.
POLYSTRATE. Il méritait mieux que les
autres d'être mon héritier, quoique étranger et perdu de débauche ; et voici
déjà que les premiers citoyens lui font la cour. Ainsi, il m'a succédé en
tout ; on le compte parmi les meilleures familles, malgré son menton rasé et
son jargon barbare ; enfin, on le dit plus noble que Codrus , plus beau que
Nirée et plus prudent qu'Ulysse.
SIMYLUS. Peu m' importe : qu'on en fasse,
si l'on veut, le généralissime de la Grèce, pourvu que les autres n'héritent
pas !
10 CHARON, MERCURE, PLUSIEURS MORTS, MÉNIPPE, CHARMOLÉUS, LAMPICHUS, DAMASIAS, UN PHILOSOPHE, UN ORATEUR.
1.
CHARON.
Sachez où nous en sommes ! Notre barque, vous le voyez, est petite, pourrie de
toutes parts ; pour peu qu'elle penche d'un côté, elle va chavirer et sombrer.
C'est qu'aussi vous arrivez tous ensemble, en si grand nombre et avec tant de
bagages ! Oui, si vous montez avec tous ces paquets, je crains que vous ne vous
en repentiez bientôt, surtout ceux d'entre vous qui ne savent pas nager.
LES MORTS. Que faut-il donc faire pour
traverser sans accident ?
CHARON. Je vais vous le dire : il faut
monter nus, et laisser tous ces fardeaux inutiles sur le rivage : à peine la
barque pourra-t-elle vous recevoir en cet état. Veille donc, toi, Mercure, à
n'admettre ici personne qui ne soit entièrement nu, et qui n'ait laissé, comme
je l'ai dit, même son plus léger bagage. Debout auprès de l'échelle,
examine-les, retiens-les, et ne laisse monter que ceux qui se seront
dépouillés.
2. MERCURE. Tu as raison, et je vais le faire. Quel est
celui qui se présente le premier ?
MÉNIPPE. Je suis Ménippe, Tiens, Mercure,
voici ma besace et mon bâton ; jette-les dans le lac ! Pour mon manteau, je ne
l'ai point apporté, et j'ai bien fait.
MERCURE. Monte, Ménippe, le meilleur des
hommes, et prends la première place, en haut, à côté du pilote, pour avoir
l'oeil sur les autres.
3. Quel est ce beau garçon ?
CHARMOLÉUS. L'aimable Charmoléus de
Mégare, dont le baiser valait deux talents.
MERCURE. Eh bien t laisse là ta beauté,
tes lèvres et leurs baisers, ta chevelure touffue, l'incarnat de tes joues, et
toute ta peau. Très bien ! te voilà leste ! monte à présent.
4. Et celui-ci avec sa robe de pourpre, son
diadème, cet air farouche ? Qui es-tu ?
LAMPICHUS. Lampichus, tyran de Géla.
MERCURE. Et pourquoi, Lampichus, tout cet
attirail ?
LAMPICHUS. Commenta fallait-il donc,
Mercure, qu'un tyran vint ici tout nu ?
MERCURE. Un tyran, non, mais un mort !
Dépose-moi tout cela.
LAMPICHUS. Hé bien ! voilà ma richesse
par terre.
MERCURE. Jette aussi parterre ton orgueil,
Lampichus, et ton air dédaigneux : ils chargeraient trop la barque, s'ils y
montaient avec toi.
LAMPICHUS. Mais laisse-moi au moins mon
diadème et mon manteau.
MERCURE. Non pas ; il faut les quitter
aussi.
LAMPICHUS. Et maintenant ? tu le vois, j'ai
tout quitté.
MERCURE. Et ta cruauté, et ta folie, et
ton insolence, et ta colère, défais-toi encore de tout cela.
LAMPICHUS. Hé bien ! me voilà nu !
5. MERCURE.
Monte à présent. Et toi ; l'homme épais et charnu, qui es-tu donc ?
DAMASIAS. Damasias l'athlète (17).
MERCURE. C'est vrai ; il me semble te
reconnaître : je t'ai vu souvent dans les palestres.
DAMASIAS. Oui, Mercure : laisse-moi passer,
je suis nu.
MERCURE. Comment nu, mon cher ami ? Et ces
chairs grasses ? Quitte-les vite, tu ferais couler la barque, en y mettant
seulement le pied ; laisse aussi là ces couronnes et ces éloges lus par le
héraut.
DAMASIAS. Je suis maintenant tout à fait
nu, tu le vois, et je ne pèse pas plus que les autres morts.
6. MERCURE.
Voilà comme il faut être très léger ; monte donc. Et toi, Craton, quitte tes
trésors, ta mollesse, ton goût pour les voluptés ; n'apporte ici ni tes
vêtements funèbres, ni les dignités de tes aïeux ; laisse là ta noblesse,
ta gloire, les titres pompeux que t'ont décernés tes concitoyens, les
inscriptions gravées sur tes statues ; ne parle pas du grand monument qu'ils
ont érigé en ton honneur ; tous ces souvenirs sont trop pesants.
CRATON. C'est malgré moi ; mais je le
jette par terre : le moyen de faire autrement !
7. MERCURE.
Ah ! ah ! Que veux-tu, toi, qui viens tout en larmes ? Pourquoi portes-tu ce
trophée ?
LE SOLDAT. J'ai été vainqueur, Mercure,
je me suis distingué par mon courage, et mes concitoyens m'ont donné cette
récompense.
MERCURE. Laisse-moi là ton trophée : la
paix règne aux enfers, et les armes y sont inutiles. Mais qu'est cet autre au
maintien grave, à la mine arrogante, aux sourcils froncés, à l'air méditatif
et à la longue barbe ?
MÉNIPPE. C'est un philosophe, Mercure, ou
plutôt un imposteur, un charlatan : mets-le à nu, et tu verras cachées sous
son habit bien des choses risibles.
MERCURE. Allons, quitte-nous d'abord ce
maintien-là, et puis après, tout le reste. Par Jupiter ! qu'il a donc sur lui
de forfanterie ! que d'ignorance, d'esprit de chicane, de suffisance, de
questions captieuses, de discours épineux, de pensées entortillées, et avec
cela de travaux stériles, de frivolités, de balivernes, de sottes minuties !
Mais, par Jupiter, voilà aussi de l'or, du goût pour les jouissances, de
l'impudence, de la colère, du luxe, de la mollesse ! Rien de cela ne m'a
échappé, malgré le soin avec lequel tu le cachais. Laisse là aussi tes
mensonges, ton orgueil, et cette opinion de valoir mieux que les autres ! Si tu
montais dans la barque avec tout ce bagage, quel vaisseau de cinquante rameurs
pourrait te recevoir ?
LE PHILOSOPHE. Je vais donc m'en défaire,
puisque tu le veux.
9. MÉNIPPE.
Fais-lui donc ôter aussi, Mercure, cette énorme barbe, si velue, comme tu vois
: chaque poil pèse au moins cinq mines (18).
MERCURE. C'est juste : ôte-moi cela !
LE PHILOSOPHE. Et qui la coupera ?
MERCURE. Ménippe que voici : il va prendre
la hache du batelier, et l'échelle lui servira de billot.
MÉNIPPE. Non, Mercure ; donne-moi une scie
; ce sera plus risible.
MERCURE. Il suffit de la hache... Fort bien
! tu as repris un air plus humain, en quittant cette odorante parure des boucs.
MÉNIPPE. Veux-tu aussi que je lui rogne un
peu les sourcils ?
MERCURE. Oui, il les relève trop sur son
front, et je ne sais pourquoi il se redresse ainsi. Eh bien ! tu pleures, coquin
; tu trembles à l'aspect de la mort allons, monte !
MÉNIPPE. Il porte encore sous l'aisselle
quelque chose de fort lourd.
MERCURE. Qu'est-ce donc, Ménippe ?
MÉNIPPE. La flatterie, Mercure qui lui a
été très utile durant sa vie.
LE PHILOSOPHE. Et toi, Ménippe, laisse là
ta liberté, ton franc parler, ton caractère sana souci, ton sans-gêne et ton
rire : tu es ici le seul qui ne pleure point.
MERCURE. Non pas ; garde-les, Ménippe ;
c'est léger, facile à porter, et très utile pour ce trajet.
10. Mais toi, l'orateur, quitte-nous cet immense
fleuve de paroles, antithèses, comparaisons, périodes, barbarismes, et tout ce
qui donne du poids aux discours.
L'ORATEUR. Tiens, je ne les ai plus.
MERCURE. Fort bien ! Lâche les amarres,
tirons l'échelle et levons l'ancre ! Déploie la voile, nocher, prends le
gouvernail, et bon voyage !
11. Pourquoi pleurez-vous, fous que vous
êtes, toi surtout, philosophe, à qui l'on vient de couper la barbe ?
LE PHILOSOPHE. Parce que, Mercure, je
croyais l’âme immortelle.
MÉNIPPE. Il en a menti, c’est autre
chose qui le chagrine.
MERCURE. Quoi donc ?
MÉNIPPE. Il ne fera plus de splendides
soupers ; il ne sortira plus la nuit, en cachette, la tête fourrée dans son
manteau, pour courir à la ronde les lieux de débauche ; et le matin, il n'en
imposera plus aux jeunes gens, dont il touchait l'argent pour ses leçons de
sagesse : voilà ce qui le chagrine.
LE PHILOSOPHE. Et toi, Ménippe ; n’es-tu-pas
fâché d'être mort ?
MÉNIPPE. Comment cela ? j'ai couru
au-devant de la mort , sans y être appelé par personne.
12. Mais pendant que nous parlons,
n'entendez-vous pas des cris, comme de gens qui font grand bruit sur la terre !
MERCURE. C'est vrai. Ménippe, et ces cris
ne viennent pas d'un seul pays : ici, des gens courent en riant à la place
publique, tout joyeux de la mort de Lampichus ; sa femme est arrêtée par les
autres femmes ; ses enfants tout petits encore sont lapidés par les autres
enfants ; là, on applaudit l'orateur Diophante, qui vient de prononcer dans
Sicyone l'oraison funèbre de ce Caton. Par Jupiter ! voici la mère de
Damasias, tout éplorée et menant avec d'autres femmes le deuil de son fils.
Pour toi, Ménippe, personne ne te pleure ; tu es couché tout seul, bien
tranquille.
13. MÉNIPPE.
Eh ! non pas ! tu entendras bientôt, à cause de moi, les hurlements lugubres
des chiens, et le battement de l'aile des corbeaux, quand ils se rassembleront
pour me donner la sépulture.
MERCURE. Tu es un brave, Ménippe. Mais le
trajet est fait allons, rendez-vous au tribunal, par cette route qui y mène
tout droit : moi et le batelier, nous allons passer d'autres morts.
MÉNIPPE. Bon voyage, Mercure ! Avançons,
nous autres. Eh bien ! que tardes-vous ? Il faut absolument que nous soyons
jugés : on dit que les punitions sont dures ; ce sont des roues, des vautours,
des rochers ! et la vie de chacun va paraître au grand jour.
11 CRATÈS ET DIOGÈNE.
1. CRATÈS. Connaissais-tu, Diogène, le riche Mérichus, cet opulent Corinthien, qui possédait un grand nombre de vaisseaux, et auquel son cousin Aristéas, non moins riche que lui, avait coutume de dire le mot d’Homère :
Ou tu m'enlèveras ou je t'enlèverai (19).
DIOGÈNE. Pourquoi cela, Cratès ?
CRATÈS. Ils se courtisaient mutuellement
dans l'espérance d'hériter l'un de l'autre, ayant tous deux le même âge :
tous deux avaient fait connaître leur testament. Mérichus, s'il mourait le
premier, instituait Aristéas son légataire universel, et Aristéas, s'il
partait avant lui. Voilà ce qui était écrit : ils se courtisaient donc et
faisaient assaut de flatterie. Et non seulement les devins, qui prédisent
l'avenir d'après les astres, ou bien d'après les songes, comme les disciples
des Chaldéens, mais le dieu pythien lui-même, donnait l'avantage tantôt à
Aristéas, tantôt à Mérichus : la balance penchait un jour pour celui-ci, un
autre jour pour celui-là.
2. DIOGÈNE.
Quelle a été la fin de la lutte, Cratès ? cela est curieux à savoir.
CRATÈS. Tous les deux sont morts le même
jour, et leur succession a passée à Eunomius et à Trasiclès, leurs parents
auxquels on n’avait jamais prédit qu'il en adviendrait ainsi. Nos deux
cousins, naviguant de Sicyone à Cirrha (20),
ont été pris en travers par l'Iapyx (21)
et ont fait naufrage.
3. DIOGÈNE.
Ils ont bien fait. Mais nous, lorsque nous étions en vie, nous n'avons jamais
songé à rien de pareil entre nous. Jamais je n'ai souhaité la mort
d'Antisthène pour hériter de son bâton ; cependant il en possédait un
solide, qu'il avait taillé dans un olivier franc, et je ne pense pas, Cratès,
que tu aies jamais désiré, moi mort, hériter de mes biens, je veux dire mon
tonneau et ma besace, qui tenait deux chénices (22)
de lupins.
CRATÈS. Je n'avais pas besoin de cela, ni
toi non plus, Diogène. Ce qu’il nous fallait, nous l'avions hérité, toi
d'Antisthène, et moi de toi ; héritage plus grand et plus précieux que la
royauté des Perses.
DIOGÈNE. Que veux-tu dire ?
CRATÈS. La sagesse, la modération, la
vérité, la franchise, la liberté.
DIOGÈNE. Par Jupiter ! je me souviens que
c'est là la richesse que je reçus d'Antisthène, et je te la laissai
augmentée encore.
4. CRATÈS.
Mais les autres négligeaient ces biens, et personne ne nous faisait la cour
dans l'espoir de devenir notre héritier. Tous n’avaient d'yeux que pour l'or.
DIOGÈNE. Cela n'est pas étonnant. Ils
n'étaient pas en état de recevoir de nous ces richesses, tellement le plaisir
les avait épuisés et rendus comme des bourses sans fond. Ces gens-là, quand
on voulait verser en eux de la sagesse, de la franchise, de la vérité, ils
coulaient, ils fuyaient ainsi qu'un vase qui ne peut rien garder. C'est
l'histoire des Danaïdes versant aussi de l'eau dans un tonneau percé ; mais
l'or, ils le serraient avec les dents, avec les ongles, avec tout ce qu'ils
pouvaient.
CRATÈS. Aussi avons-nous, même ici, toute
notre richesse ; eux, ils ne viendront qu'avec une obole, et encore
restera-t-elle au batelier.
12 ALEXANDRE, ANNIBAL, MINOS, SCIPION (23).
1.
ALEXANDRE.
Il est juste que j'aie la préférence sur toi, Africain ; tu ne me vaux pas.
HANNIBAL. Pas du tout ; c'est à moi
qu'elle est due !
ALEXANDRE. Eh bien ! prenons Minos pour
juge.
MINOS. Qui êtes-vous ?
ALEXANDRE. Celui-ci est Hannibal le
Carthaginois ; moi je suis Alexandre, fils de Philippe.
MINOS. Par Jupiter, vous êtes illustres
tous deux l Mais quel est le sujet de votre dispute ?
ALEXANDRE. La prééminence ! Celui-ci
prétend avoir été meilleur général que moi ; et moi, comme chacun sait, je
soutiens que je l'ai emporté en talents militaires non seulement sur lui, mais
sur presque tous ceux qui m'ont précédé.
MINOS. Eh bien, parlez chacun à votre
tour. Toi, Africain, commence.
2. HANNIBAL.
J'ai retiré de mon séjour ici, Minos, l'avantage d'avoir appris la langue
grecque, en sorte que mon rival n'aura, sur ce point, aucun avantage sur moi (24).
Maintenant je dis que ceux-là sont par-dessus tout digues d'éloges qui,
n'étant rien dans le principe, se tout élevés par eux-mêmes an premier rang,
ont conquis de la puissance et ont été revêtus de l'autorité suprême. Moi,
par exemple, débarqué en Espagne avec quelques soldats, comme lieutenant de
mon beau-frère, je fus bientôt jugé capable des plus grands emplois et nommé
général en chef. Je réduisis alors les Celtibériens, je triomphai des
Gaulois occidentaux, et, franchissant de hautes montagnes, je parcourus en
vainqueur toute la contrée qu'arrose l'Éridan, renversant un grand nombre de
villes, soumettant tout le pays plat de l'Italie, et arrivant jusqu'aux
faubourgs de la capitale ; je tuai tant de soldats en un seul jour, que je
mesurai leurs anneaux au boisseau, et que je jetai sur les fleuves des ponts de
cadavres (25). Et j'ai fait tout cela, sans
me faire appeler fils d'Ammon, sans me donner pour un dieu, sans raconter les
rêves de ma mère, mais en avouant que j'étais homme, ayant affaire aux
généraux les plus consommés, luttant, dans la mêlée, contre les plus braves
soldats, et non pas avec des Mèdes, des Arméniens, gens qui fuient avant qu’on
les poursuive, et qui cèdent la victoire à l'audace.
3. Alexandre, il est vrai, a augmenté
l'héritage qu'il avait reçu de son père ; il en a reculé les bornes, porté
sur les ailes de la fortune ; mais à peine est-il vainqueur, à peine a-t-i1
triomphé du lâche Darius, près d'Issus et dArbèles, qu'il renonce aux
institutions de sa patrie, se fait adorer comme un dieu, adopte les costumes des
Mèdes, tue ses amis dans les festins, ou les fait condamner à mort. Moi, j'ai
commandé à ma patrie avec équité et dès qu'elle m'eut rappelé contre la
flotte nombreuse de nos ennemis faisant voile sur l'Afrique, j'obéis à
l'instant, je revins simple particulier, et la condamnation qui me frappa me
trouva plein de calme. Voilà ce que j'ai fait, moi, barbare, qui n'étais point
versé dans les sciences des Grecs, qui ne chantais pas, comme Alexandre, les
vers d'Homère, qui n'avais pas été élevé par le philosophe Aristote, mais
qui me laissais aller à mon bon naturel : voilà en quoi je prétends valoir
mieux qu'Alexandre. S'il paraît plus beau que moi, parce que sa tête était
couronnée du diadème, peut-être sera-ce un titre aux yeux des Macédoniens ;
mais ce n'est pas une raison pour être mis au-dessus d'un homme brave, d'un
général habile, qui doit plus à son conseil qu'à la fortune.
MINOS. Il a plaidé sa cause avec assez de
noblesse et mieux qu'on ne pouvait l'attendre d'un Africain. Et toi, Alexandre,
que vas-tu lui répondre ?
4. ALEXANDRE.
Je devrais, Minos, ne rien dire à un homme aussi audacieux. La renommée seule
suffit à t'apprendre quel monarque je fus ; et quel brigand il était. Voici
toutefois de combien je l’emporte sur lui. Parvenu, jeune encore, au pouvoir,
je relevai un trône mal affermi, je poursuivis les meurtriers de mon père,
j'effrayai les Grecs par la ruine de Thèbes, et fus proclamé généralissime
de la Grèce. Alors je ne me contentai plus de la Macédoine, ni des autres
États que mon père m'avait laissés. Je formai le projet de conquérir toute
la terre, ne pouvant supporter de ne pas être le souverain de l'univers. Je
m'élance sur l'Asie avec quelques soldats, je suis vainqueur dans un grand
combat près du Granique ; je prends la Lydie, l'Ionie et la Phrygie ; bientôt,
subjuguant tout ce qui est sous mes pas, je marche vers Issus, où Darius
m'attendait à la tête d'une armée innombrable.
5. Vous savez ici, Minos, que de morts je vous
ai envoyés ce jour-là ; le batelier dit que sa barque ne pouvait leur suffire,
et qu'il fut obligé de construire des radeaux pour en passer an grand nombre.
Et dans tous ces exploits, je faisais le premier face au danger et m'honorais de
mes blessures. Ensuite, pour ne parler ni de Tyr ni d’Arbèles, j'ai
pénétré jusque chez les Indiens, en faisant de l'Océan les bornes de mon
empire ; j'ai pris leurs éléphants, j'ai soumis Porus, j'ai défait les
Scythes, guerriers qui ne sont pas méprisables, j'ai traversé le Tanaïs, et
remporté la victoire dans un grand combat de cavalerie. J'ai fait du bien à
mes amis, du mal à mes ennemis. Si j'ai paru un dieu aux hommes, il faut leur
pardonner une erreur qu'explique la grandeur de mes exploits.
6. Enfin je suis mort sur le trône, tandis
que celui-ci, chassé de sa patrie, est mort chez Prusias le Bithynien, comme il
convenait à un homme fourbe et cruel (26).
Car, comment a-t-il triomphé des Italiens, je ne veux pas le dire : ce n'est
pas par la valeur, mais par la scélératesse, la perfidie et la ruse. Dans sa
lutte, rien de juste, rien de franc. Il me reproche ma mollesse ; mais il a donc
oublié ce qu'il faisait à Capoue, lorsqu'aux bras des courtisanes, ce bon
général perdait dans les plaisirs un temps précieux pour la guerre !
Dédaignant la conquête de l'Occident, je me suis tourné contre les nations
orientales. Mais qu'aurais-je fait de grand, si j'eusse soumis, sans coup
férir, l'Italie, la Libye et les contrées qui s'étendent jusqu'à Gadès ?
Ces pays ne me parurent pas dignes de mes armes, tout tremblants qu'ils étaient
et prêts à reconnaître un maître. J'ai dit. A toi de décider, Minos. Je
crois qu'il n'est pas besoin d'en ajouter davantage.
7. SCIPION. Pas d’arrêt qu'on m'ait aussi entendu !
MINOS. Qui es-tu donc, l’ami ? quelle est
ta patrie ?
SCIPION. Je suis Italien ; Scipion, le
général qui a détruit Carthage et soumis l'Afrique après de grands combats.
MINOS. E bien, que veux-tu dire ?
SCIPION. Que je le cède à Alexandre, mais
que je suis bien au-dessus d’Hannibal ; car je l'ai vaincu, poursuivi, et
condamné à une fuite honteuse. Quelle est donc son impudence de disputer le
pas à Alexandre, lorsque moi, Scipion, son vainqueur, je me place au-dessous de
ce prince ?
MINOS. Par Jupiter ! tu as raison, Scipion
! Que le premier rang soit à Alexandre et le second à toi ; Hannibal, s'il lui
plaît, aura le troisième, et sa part n'est pas encore à dédaigner.
13 DIOGÈNE ET ALEXANDRE.
1.
DIOGÈNE.
Qu'est-ce donc, Alexandre ? te voilà mort comme nous tous !
ALEXANDRE. Tu le vois ; Diogène ; il n'y a
rien d'extraordinaire ; j'étais homme, je suis mort.
DIOGÈNE. Ainsi Ammon mentait, lorsqu'il
disait que tu étais son fils ; car tu étais bien, n'est-ce pas, celui de
Philippe (27) ?
ALEXANDRE. Oui celui de Philippe. Je ne
serais pas mort, si j'avais été le fils d’Ammon.
DIOGÈNE. Et c'étaient aussi des mensonges
qu'on débitait sur Olympias, quand on disait qu'un serpent avait couché avec
elle, qu'on l'avait vu dans son lit, que tu lui devais la naissance, et que
Philippe était dans l'erreur en se croyant ton père ?
ALEXANDRE. J'ai entendu dire cela comme toi
; maintenant, je vois que ni ma mère ni les oracles d'Ammon n'avaient le sens
commun.
DIOGÈNE. Ce mensonge, toutefois,
Alexandre, n'a pas nui à tes affaires. Nombre de gens tremblaient devant toi,
convaincus que tu étais un dieu.
2. Mais, dis-moi, à qui as-tu légué ton
immense empire ?
ALEXANDRE. Je n'en sais rien, Diogène ; je
n'ai eu le temps de prendre aucune disposition à cet égard. Tout ce que j'ai
pu faire, ç'a été, en mourant, de donner mon anneau à Perdiccas. Pourquoi
ris-tu, Diogène ?
DIOGÈNE. Je ris en me rappelant toutes les
flatteries que les Grecs t'ont prodiguées, lorsque, maître du pouvoir, tu as
été nommé leur chef et leur généralissime contre les barbares ; on en a vu
qui te mettaient au nombre des douze grands dieux, te bâtissant des temples, et
t'offrant des sacrifices comme étant le fils du serpent.
3. Mais, dis-moi. Où les Macédoniens
t'ont-ils enseveli ?
ALEXANDRE. Voilà trois jours que je suis
gisant à Babylone ; mais Ptolémée, l'un de mes gardes, a promis que, dès
qu'il serait sorti des embarras de la situation, il me ferait porter en Égypte,
afin d'y être enseveli et mis au rang des divinités égyptiennes.
DIOGÈNE. Et je ne rirais pas, Alexandre,
quand je te vois, jusque dans les enfers, occupé de ces billevesées, espérant
devenir un Anubis ou un Osiris ? Va, très divin personnage, quitte cet espoir !
Il n'y a plus de retour, quand une fois on a traversé le lac des enfers et
franchi cet étroit passage (28). Éaque est
vigilant, et il faut compter avec Cerbère.
4. Cependant je voudrais bien savoir de toi
comment tu supportes ton état actuel, lorsque tu songes à ce grand bonheur que
tu as laissé sur la terre : gardes du corps, satellites, satrapes, or en
abondance, peuple d'adorateurs, Babylone, Bactres, éléphants énormes,
honneur, gloire, promenade triomphante sur un char, la tête ceinte d'une
bandelette blanche, le corps couvert d'un manteau de pourpre. Tout cela ne te
fait-il pas de peine, en te revenant à la pensée ? Pourquoi pleures-tu,
insensé ? Le sage Aristote ne t'a-t-il pas appris qu'il n'y a rien de solide
dans ce qui nous vient de la fortune !
5. ALEXANDRE
Ah ! ce philosophe a été le plus détestable de tous mes flatteurs ! Personne
ne sait donc tout ce qu'il a fait, cet Aristote, quelles demandes il m'a
adressées, quelles lettres il m'a écrites, combien il a abusé de mon amour
pour les sciences, toujours prêt à me flatter, à louer ma beauté, comme si
la beauté faisait partie du bonheur, ou bien mes exploits, ou bien mes
richesses ; car il disait aussi que c'étaient là de vrais biens, afin de
n'avoir point à rougir de recevoir mes riches présents. C'était un charlatan,
Diogène, un vrai faiseur. Tout le fruit que j'ai retiré de sa sagesse a été
de m'affliger de me voir enlever, comme de grands biens, tout ce dont tu viens
de faire l'énumération.
6. DIOGÈNE.
Sais-tu ce que tu as à faire ? car je veux t'indiquer un remède à ton
chagrin. Comme il ne croît pas ici d'ellébore, va boire à longs traits l'eau
du Léthé, puis retourne en boire encore et souvent ; c'est le seul moyen de ne
plus regretter les biens d'Aristote. Aussi bien j'aperçois Clitus,
Callisthène, et plusieurs autres qui viennent en hâte de ce côté, sans doute
pour te mettre en pièces et se venger des maux que tu leur as faits. Prends
donc cette autre route, et bois souvent, comme je te l'ai dit.
14 ALEXANDRE ET PHILIPPE.
1.
PHILIPPE.
Maintenant, Alexandre, tu ne peux plus dire que tu n'es pas mon fils ; car tu ne
serais pas mort, si tu avais été celui d'Ammon.
ALEXANDRE. Je savais bien, mon père, que
j'étais le fils de Philippe, fils d'Amyntas, mais j'acceptais l'oracle, le
croyant utile à mes desseins.
PHILIPPE. Comment dis-tu ? Tu croyais utile
de te laisser duper par les prophètes ?
ALEXANDRE. Je ne dis pas cela. Mais les
barbares avaient peur de moi ; aucun d'eux ne me résistait, croyant avoir
affaire à un dieu, et je n'eus pas de peine à les vaincre.
2. PHILIPPE.
Et quels hommes as-tu vaincus avec lesquels on pût se mesurer, toi qui n’as
jamais lutté qu'avec des lâches, toujours prêts à jeter leurs arcs, leurs
javelots et leurs boucliers d'osier ? C'était autre chose de soumettre les
Grecs, les Béotiens, les Phocéens, les Athéniens ! Culbuter l'infanterie des
Arcadiens, la cavalerie thessalienne, les Éléens habiles à lancer le javelot,
les fantassins de Mantinée, les Thraces, les Illyriens, les Péoniens : voilà
de grands exploits. Mais les Mèdes, les Perses, les Chaldéens, race brillante
d'or et efféminée, ne sais-tu pas qu'avant toi les dix mille conduits par
Cléarque les ont battus, sans qu'ils aient même attendu les traits des Grecs
pour prendre la fuite ?
3. ALEXANDRE.
Cependant les Scythes, mon père, et les éléphants indiens, ce ne sont pas
ennemis à dédaigner ; et pourtant je les ai vaincus, sans semer entre eux la
discorde, sans acheter la victoire par des trahisons (29).
Jamais je n'ai fait de faux serments, trahi la foi jurée, commis la moindre
perfidie pour être vainqueur. J'ai soumis une partie de la Grèce sans verser
de sang ; mais pour Thèbes, vous savez, sans doute, comment je m'en suis
vengé.
PHILIPPE. Je sais tout cela ; Clitus me l'a
appris, lui que tu as tué d'un coup de lance au milieu d'un festin, parce qu'il
avait l'audace de louer mes exploits comparés aux tiens.
4. Mais il paraît que tu as mis de côté
la chlamyde macédonienne pour te revêtir de la robe persique, coiffé ta tête
d'une tiare droite et voulu te faire adorer par les Macédoniens, qui sont des
hommes libres ; qu'enfin, ce qui est le comble du ridicule, tu as adopté les mœurs
des vaincus. Je ne parle pas ici de tes autres prouesses, comme de
renfermer avec des lions des hommes distingués par leur sagesse, de contracter
de singuliers mariages, et d'aimer Héphestion d'une tendresse excessive. Il n'y
a qu'un trait que j'aie approuvé en l'apprenant, c'est que tu as respecté la
femme de Darius, qui était belle, et que tu as pris soin de la mère et des
filles de ton ennemi ; c'est agir en roi.
5. ALEXANDRE.
Et cette ardeur, mon père, qui me faisait braver le danger, vous ne la louez
pas, ni ce courage à franchir le premier le mur des Oxydraques, à sauter dans
la ville et à recevoir tant de blessures ?
PHILIPPE. Non, je n'approuve pas cela,
Alexandre. Ce n'est pas qu'il ne soit quelquefois glorieux à un roi d'être
blessé et d'affronter le danger pour son armée ; mais ici une pareille
conduite ne te rapportait rien. L'idée que tu étais un dieu, si une fois tu
étais blessé et porté aux yeux de tous hors du combat, tout couvert de sang
et gémissant de tes blessures, eût donné matière à rire aux spectateurs.
Ammon était convaincu de charlatanisme et d'imposture, et ses prophètes
d'adulation. Le moyen, en effet, de ne pas rire, en voyant le fils de Jupiter
tombant en syncope et implorant le secours des médecins ! Car, aujourd'hui que
tu es mort, crois-tu qu'une foule de gens ne raillent pas amèrement cette
comédie, en voyant le fils d'un dieu étendu dans le cercueil, déjà livré à
la pourriture et enflé comme tous les autres cadavres ? D'ailleurs, Alexandre,
cette prétendue utilité de l'oracle, qui te facilitait, disais-tu, la
victoire, t'a ravi en grande partie la gloire de tes exploits ; tous
paraissaient moindres, venant d'un dieu.
6. ALEXANDRE.
Ce n'est pas là ce que les hommes pensent de moi ; au contraire, ils me mettent
en parallèle avec Hercule et Bacchus (30) ;
et, malgré tout, je suis le seul qui ait pris la Roche Aornos (31),
dont aucun des deux n'a pu s'emparer.
PHILIPPE. Tu le vois, tu parles encore
comme si tu étais le fils d'Ammon, tu te compares à Hercule et à Bacchus !
N'auras-tu donc jamais de honte, Alexandre ? ne te déferas-tu pas de cette
vanité ? ne te connaîtras-tu jamais toi-même, et ne comprendras-tu pas enfin
que tu es mort ?
1.
ANTILOQUE.
Quels propos, Achille, tu tenais avant-hier à Ulysse au sujet de la mort !
Qu'ils étaient bas et indignes de tes maîtres, Chiron et Phénix ! Je t'ai
entendu dire que tu aimerais mieux travailler à la terre, comme un mercenaire,
auprès de quelque colon indigent, que de régner sur tous les morts. Un lâche
et vil Phrygien, attaché moins à la vertu qu'à la vie, pourrait tenir un
semblable langage ; mais que le fils de Pélée, le plus intrépide de tous les
héros, conçoive d'aussi basses pensées, c'est le comble de la honte ; c'est
un démenti donné à ta vie tout entière, puisque pouvant régner sans gloire
pendant de longs jours en Phthiotide, tu préféras un trépas glorieux.
2. ACHILLE.
Hélas ! fils de Nestor, je ne savais pas ce que sont les enfers ; et ne pouvant
juger lequel des deux vaut le mieux, j'ai préféré une misérable gloriole à
la vie. Aujourd'hui je sais ce qu'il en est, combien cette gloire est inutile ;
et malgré ce que chantent là-haut tous ces rhapsodes, les morts sont tous
égaux. Notre beauté, Antiloque, notre force ne nous suit pas ici ; nous sommes
campés, tous semblables dans les mêmes ténèbres, sans que rien nous
distingue. Les ombres des Troyens ne me craignent plus, celles des Grecs ne s’inclinent
plus devant moi ; l'égalité est complète, et un mort est semblable à un
mort, qu'il ait été lâche ou brave. Voilà ce qui me chagrine, voilà ce qui
me réduit au désespoir et me fait désirer de vivre mercenaire.
3. ANTILOQUE.
Et rependant qu'y faire, Achille ? Telle est la loi de la nature, tous les
hommes meurent. Le plus simple est d'obéir à cette loi, et de ne point se
chagriner des ordres du destin. D'ailleurs, tu nous vois ici, nous tous tes amis
: Ulysse nécessairement y viendra bientôt. C'est une consolation de partager
le même sort et de n'être pas seul à le subir. Tu vois Hercule, Méléagre et
tous les autres héros : je suis convaincu que nul d'entre eux ne consentirait
à remonter là-haut, si on les y renvoyait mercenaires chez des gens
misérables et sans avoir.
ACHILLE. Le conseil est d'un ami :
cependant je ne sais pourquoi le souvenir de la vie me chagrine, et je crois que
chacun de vous éprouve le même chagrin. Si vous n'en convenez pas, c’est que
vous êtes pires que moi, puisque vous souffrez sans vous plaindre.
ANTILOQUE. Non ; mais nous valons mieux que
toi, Achille. Nous voyons qu'il est inutile de rien dire, et alors nous prenons
le parti de nous taire, de nous résigner et de souffrir afin de ne pas prêter
à rire, comme toi, en formant de pareils vœux.
1.
DIOGÈNE.
N'est-ce pas Hercule que je vois ? Par Hercule, c'est lui-même ; voici son arc,
sa massue, sa peau de lion, sa stature : c'est Hercule tout entier ! Eh quoi !
il est mort, lui, le fils de Jupiter ? Dis-moi, beau vainqueur, tu es mort ? Et
moi qui, sur la terre, t'offrais des sacrifices, comme à un dieu (34)
!
HERCULE. Tu avais raison : le véritable
Hercule est dans le ciel avec les dieux ; il est l'époux d'Hébé aux pieds
charmants : moi, je suis son ombre.
DIOGÈNE. Que dis-tu ? L'ombre d'un dieu ?
Est-il possible qu'on soit dieu par une moitié et mort par l'autre ?
HERCULE. Oui, l'autre Hercule n'est pas
mort, mais seulement moi, qui suis son image.
2. DIOGÈNE.
J'entends : il t'a donné comme remplaçant à Pluton, et tu tiens ici sa place.
HERCULE. C'est quelque chose comme cela.
DIOGÈNE. Mais comment se fait-il
qu'Éaque, ce juge sévère, n'ait pas reconnu que tu n'étais pas le véritable
Hercule, et qu'il ait reçu l'Hercule supposé qui se présentait ?
HERCULE. C'est que je lui ressemble à s'y
méprendre.
DIOGÈNE. C'est juste : on peut croire que
c'est tout à fait lui. Prends garde toutefois que ce ne soit le contraire, et
qu'étant, toi, le véritable Hercule, ton simulacre ne sort l'époux d'Hébé
chez les dieux.
3. HERCULE.
Tu es un impertinent et un bavard, et si tu ne cesses tes brocards contre moi,
tu sauras bientôt de quel dieu je suis l'ombre.
DIOGÈNE. Oui, je te vois l'arc en main,
prêt à tirer ; mais qu'ai-je à craindre de toi, une fois mort ! Cependant,
dis-moi, au nom de ton Hercule, quand ce héros vivait, étais-il placé près
de lui comme son image, ou ne faisiez-vous qu'un seul être dans la vie ? Puis,
maintenant que vous êtes morts, vous êtes-vous séparés, l'un pour revoler
vers les dieux, et toi, l'image, pour descendre naturellement chez les morts ?
HERCULE. Je devrais ne pas répondre un mot
à un homme qui ne s'ingénie qu'à se moquer de moi. Toutefois écoute bien
ceci : tout ce qui dans Hercule était l'œuvre d'Amphitryon est mort, et c'est
moi qui suis ce tout ; mais ce qui était de Jupiter vit dans le ciel avec les
dieux.
4. DIOGÈNE.
Je comprends à merveille. Alcmène, d'après ce que tu dis, est accouchée à
la fois de deux Hercules, l'un fils d’Amphitryon, l'autre de Jupiter, et nous
ne savions pas que vous étiez deux jumeaux, issus de la même mère.
HERCULE. Mais non, imbécile ; nous étions
tous les deux le même être.
DIOGÈNE. Il n'est pas facile de comprendre
que deux Hercules n'en fissent qu'un ; à moins que vous ne fussiez, comme les
Centaures, deux natures en une seule, homme et dieu.
HERCULE. Tous les hommes ne te
paraissent-ils pas composés de deux êtres, d'une âme et d'un corps ? Qui
empêcherait que l'âme, émanée de Jupiter, ne fût dans le ciel, et que la
partie mortelle ne fût chez les morts ?
5. DIOGÈNE.
Oui, très excellent fils d'Amphitryon, tu aurais raison, si tu étais un corps
; mais tu n'es qu'une ombre, en sorte que tu cours le risque d'imaginer encore
un triple Hercule.
HERCULE. Pourquoi triple ?
DIOGÈNE. Voici pourquoi. S'il y a un
Hercule dans le ciel et une ombre d'Hercule avec nous, puis sur le mont OEta un
corps qui n'est déjà plus que poussière, cela nous étonnerait ! vois alors
quel troisième père tu trouveras pour ce corps.
HERCULE. Tu es un insolent et un sophiste.
Comment t'appelles-tu ?
DIOGÈNE. L'ombre de Diogène de Sinope. Ma
personne, j'en atteste Jupiter, n'est pas du tout chez les dieux immortels, mais
parmi les meilleurs morts, où je ris d'Homère et de ses froides inventions.
17 MÉNIPPE ET TANTALE.
1.
MÉNIPPE.
Pourquoi pleurer ainsi Tantale ? pourquoi gémir sur ton sort, debout près de
ce lac ?
TANTALE. Parce que je meurs de soif,
Ménippe.
MÉNIPPE. Es-tu donc si paresseux que tu ne
te baisses pour boire, ou bien, par Jupiter, que tu ne puises de l'eau dans le
creux de ta main ?
TANTALE. C'est vainement que je me
baisserais : l'eau fuit, dès qu'elle me sent approcher d'elle, et si, par
hasard, j'en puise un peu dans ma main et la porte à ma bouche, je n'ai pas le
temps de mouiller le bord de mes lèvres que déjà elle s'écoule, je ne sais
comment, à travers mes doigta, et que ma main reste sèche.
MÉNIPPE. Ce qui t'arrive est prodigieux,
Tantale. Mais, dis-moi, pourquoi as-tu besoin de boire ? Tu n'as plus de corps ;
le tien est enseveli quelque part en Lydie, et c'est lui qui pouvait jadis avoir
soif ou faim. Aujourd'hui que tu n'es qu'une âme, comment peux-tu éprouver la
faim ou la soif ?
TANTALE. C'est cela même qui est mon
supplice : mon âme éprouve la soif, comme si elle était mon corps.
2. MÉNIPPE.
Je veux bien le croire, puisque tu dis que cette soif est ta punition ; mais
qu'est-ce que cela peut avoir d'affligeant pour toi ? Crains-tu de mourir, faute
de boire ? Je ne vois pas qu'il y ait d'autre enfer que celui-ci, ni de mort qui
nous fasse passer en d'autres lieux.
TANTALE. Tu as raison ; et c'est une partie
de ma peine de désirer de boire sans en avoir besoin.
MÉNIPPE. Tu es fou, Tantale, et ce n'est
pas d'eau que tu parais avoir besoin, mais, par Jupiter, d'ellébore pur. Tu
éprouves le contraire des gens mordus par un chien enragé : ce n'est pas
l'eau, c'est la soif que tu crains.
TANTALE. Je ne refuserais pas, Ménippe, de
boire même de l'ellébore ; puissé-je en avoir !
MÉNIPPE. Sois tranquille. Tantale : ni
toi, ni aucun mort ne boira jamais ; c'est impossible. Cependant, tous ne sont
pas condamnés, comme toi, à une soif perpétuelle, tandis que l'eau s'échappe
de leurs mains.
18 MÉNIPPE ET MERCURE.
1.
MÉNIPPE.
Où sont donc, Mercure, les beaux garçons et les belles femmes ? Sers-moi de
conducteur : je ne fais que d'arriver.
MERCURE. Je n'ai pas le temps, Ménippe ;
seulement regarde de ce côté, à ta droite, par ici, est Hyacinthe, Narcisse,
Nirée, Achille, Tyro, Hélène, Lédà, en un mot, tontes les beautés des
temps antiques.
MÉNIPPE. Je ne vois que des os, des
crânes décharnés, qui se ressemblent tous (35).
MERCURE. Eh ! ce sont là ces beautés tant
admirées des poètes, les mêmes os que tu parais si fort dédaigner.
MÉNIPPE. Alors montre-moi donc Hélène :
je ne saurais la reconnaître.
MERCURE. Tiens ! c'est ce crâne-là qui
est Hélène.
2. MÉNIPPE.
Comment ! c'est pour cela que les mille vaisseaux ont été rassemblés de tous
les points de la Grèce, que tant de Grecs et de Barbares sont tombés, que tant
de villes ont été renversées ?
MERCURE. Oui, mais tu n'as pas vu cette
beauté quand elle était vivante ; tu aurais dit aussi : "Il est bien
naturel que pour une pareille femme nous endurions de si longs malheurs (36)."
Ainsi, quand on voit des fleurs desséchées et privées de leur coloris ; on
les trouve sans grâce et sans charmes ; mais au moment où florissait leur
éclat, elles semblaient ravissantes.
MÉNIPPE. Et voilà justement, Mercure, ce
qui m'étonne c'est que les Grecs n'aient pas compris qu'ils se donnaient tant
de mal pour une beauté passagère et sitôt fanée.
MERCURE. Je n'ai pas le temps, Ménippe, de
philosopher avec toi : choisis la place où tu veux être, et t'y couche ; moi,
je vais chercher d'autres morts.
19 ÉAQUE, PROTÉSILAS, MÉNÉLAS ET PARIS.
1.
ÉAQUE.
Pourquoi, Protésilas (37), te jeter ainsi
sur Hélène et l'étrangler ?
PROTÉSILAS. Parce qu'elle est cause de ma
mort, Éaque. Pour elle j'ai quitté mon palais avant qu'il fût achevé, et
j'ai laissé veuve celle que je venais de prendre pour épouse.
ÉAQUE. Accuse donc Ménélas, qui vous a
conduits à Troie pour une pareille femme.
PROTÉSILAS. Ton conseil est bon ; c'est à
lui que je dois m'en prendre.
MÉNÉLAS. Non pas à moi, mon cher ami,
mais bien plutôt à Paris, qui, au mépris de tous les droits de
l'hospitalité, m'a enlevé ma femme et s'est enfui avec elle. Il ne mérite pas
seulement d'être étranglé par toi, mais par tous les Grecs et par tous les
Barbares dont il a causé la mort.
PROTÉSILAS. Oui, cela vaut mieux. Ainsi,
détestable Paris, tu ne t'échapperas pas de mes mains.
PARIS. Tu as tort, Protésilas, et surtout
avec un homme de ton métier : je suis amoureux, comme toi, et soumis aux lois
du même dieu. Tu sais qu'il triomphe de la volonté, qu'il mène où bon lui
semble, et qu'il est impossible de lui résister.
2. PROTÉSILAS.
C'est vrai : ah ! que ne m'est-il donné de tenir ici l'Amour !
ÉAQUE. Moi, je vais plaider sa cause
auprès de toi. Il te dira qu'il a causé peut-être la passion de Paris, mais
nullement la mort de personne, Protésilas, ni la tienne. C'est toi qui,
oubliant ta jeune épouse, quand vous abordiez à Troie, t'es élancé avant
tous les autres sur le rivage avec une audace insensée, transporté du désir
de la gloire ; et c'est ce désir qui t'a fait périr le premier à la descente
des vaisseaux.
PROTÉSILAS. Eh bien, Éaque, je te
répondrai quelque chose de plus juste encore à mon égard. Ce n'est pas moi
qui suis la cause de tout cela, c'est la Parque qui a filé ma vie depuis ma
naissance.
ÉAQUE. D'accord : aussi, que ne
l'accuses-tu ?
20 MÉNIPPE ET ÉAQUE.
1.
MÉNIPPE.
Par Pluton, Éaque, fais-moi voir tout ce qu'il y a dans les enfers.
ÉAQUE. Il n'est pas facile de te montrer
tout, Ménippe ; mais les objets les plus importants, regarde-les. Voici
Cerbère que tu connais, et le nocher qui t'a fait passer, puis le lac et le
Pyriphlégéthon, que tu as vus en entrant.
MÉNIPPE. Je connais tout cela ; je sais
aussi que tu gardes la porte ; j'ai vu également le Roi et les Furies. Mais
montre-moi les hommes d'autrefois, et surtout les plus célèbres d'entre eux.
ÉAQUE. Voici Agamemnon, Achille ; puis à
côté Idoménée ; ensuite Ulysse, Ajax, Diomède, les plus illustres des
Grecs.
MÉNIPPE. Hélas ! Homère comme les
premiers personnages de tes rhapsodies sont couchés là, par terre,
méconnaissables, sans forme, simple poussière, restes dérisoires, crânes
vraiment sans consistance ! Et celui-ci, quel est-il, Éaque ?
ÉAQUE. C'est Cyrus : puis voici Crésus,
et prés de lui Sardanapale ; au-dessus d'eux Midas, et là-bas Xerxès.
MÉNIPPE. C'est donc toi, misérable, qui
faisais trembler la Grèce, enchaînant l'Hellespont et voulant faire passer ta
flotte à travers les montagnes. Et ce Crésus, comme le voilà ! Quant à
Sardanapale, j'ai envie, Éaque, avec ta permission, de lui donner un soufflet.
ÉAQUE. N'en fais rien ; tu briserais ce
crâne de femme.
MÉNIPPE. Eh bien ! je veux au moins
cracher au visage de cet androgyne.
3. ÉAQUE.
Veux-tu que je te fasse voir les sages ?
MÉNIPPE. Oui, par Jupiter !
ÉAQUE. Le premier que tu vois est
Pythagore.
MÉNIPPE. Salut, Euphorbe (38),
Apollon, ou qui tu voudras.
PYTHAGORE. Salut, Ménippe.
MÉNIPPE. Tu n'as plus ta cuisse d'or (39)
?
PYTHAGORE. Non : mais voyons un peu dans ta
besace s'il y a quelque chose à manger.
MÉNIPPE. II y a des fèves, mon ami, mais
tu n'en manges pas.
PYTHAGORE. Donne toujours : on a d'autres
principes chez les morts, et j'ai appris que les fèves n'ont rien de commun
avec les têtes de nos pères.
4. ÉAQUE.
Voici Solon, fils d'Exécestide, puis Thalès, puis auprès d'eux Pittacus et
les autres sages : ils sont là tous les sept, tu vois.
MÉNIPPE. Oui, Éaque, et, seuls des
autres, ils sont sans souci, l'air joyeux. Mais en voici un qui est poudreux
comme un pain cuit sous la cendre ; son corps est tout fleuri de pustules : quel
est-il ?
ÉAQUE. C'est Empédocle, Ménippe, tombé
à moitié rôti de l'Etna dans les enfers (40).
MÉNIPPE. Brave homme aux sandales
d'airain, quelle idée as-tu eue d'aller te jeter ainsi dans le cratère ?
EMPÉDOCLE. C'est un accès d'humeur noire,
Ménippe.
MÉNIPPE. Non, par Jupiter, mais plutôt de
vaine gloire, d'orgueil et de folie ! Voilà ce qui t’a réduit en charbon
avec tes sandales, et c était justice. Mais cette ruse t'a été inutile, et
l'on a vu que tu étais mort. Et Socrate, dis-moi, Éaque, où donc est-il ?
ÉAQUE. Près de Nestor et de Palamède,
bavardant avec eux (41).
MÉNIPPE. Cependant je voudrais bien le
voir, s'il est là quelque part.
ÉAQUE. Tu vois cette tête chauve ?
MÉNIPPE. Tout le monde l'est ici ; c’est
un signalement uniforme chez les morts.
ÉAQUE. Hé bien ! ce nez camus ?
MÉNIPPE. C'est encore la même chose :
tout le monde est camus.
5. SOCRATE.
Tu me cherches, Ménippe ?
MÉNIPPE. Oui, Socrate.
SOCRATE. Que fait-on à Athènes ?
MÉNIPPE. La plupart des jeunes gens s'y
disent philosophes ; et si l'on en juge par les habits et la démarche, ce sont
tous des philosophes parfaits. Du reste tu as pu voir comment sont arrivés ici
Aristippe et Platon, l'un fleurant la myrrhe, l'autre appris à faire la cour
aux tyrans de Sicile.
SOCRATE. Et que pense-t-on de moi ?
MÉNIPPE. Tu es heureux, Socrate, sous ce
rapport. Chacun t'estime un homme admirable, sachant tout, et pourtant, disons
la vérité, ne sachant rien.
SOCRATE. C'est ce que je leur disais
moi-même ; mais ils croyaient que c'était pure ironie.
8. MÉNIPPE.
Quels sont ceux que je vois autour de toi ?
SOCRATE. Charmide, Phèdre, et le fils de
Clinias (42).
MÉNIPPE. A merveille, Socrate : ici même
tu ne négliges pas ton métier, et ne dédaignes point les jolis garçons.
SOCRATE. Que faire de plus agréable ? Mais
rapproche-toi de nous, si bon te semble.
MÉNIPPE. Non, par Jupiter, je vais
m'établir auprès de Crésus et de Sardanapale : j'espère avoir beaucoup à
rire, en les entendant pleurer.
ÉAQUE. Et moi je m'en vais, de peur que
quelque mort ne nous échappe : tu en verras plus long une autre fois, Ménippe.
MÉNIPPE. Va-t'en, Éaque ; en voilà bien
assez.
21 MÉNIPPE ET CERBÈRE.
1.
MÉNIPPE.
Cerbère (car je suis ton parent, en ma qualité de chien), dis-moi, par le
Styx, quelle mine faisait Socrate en descendant chez vous. Comme dieu, tu ne
dois pas seulement savoir aboyer, tu dois parler, quand tu veux, la langue des
hommes.
CERBÈRE. De loin, Ménippe, il parut à
tous s'avancer d'un pas résolu, et sans craindre la mort ; il cherchait du
moins à le faire croire à ceux qui étaient hors de la porte. Mais quand il
eut mis la tête dans l'intérieur du gouffre et vu les ténèbres, il hésita ;
et je fus obligé en même temps que la ciguë, de lui mordre les pieds pour le
faire descendre ; il pleurait comme un enfant, il regrettait ses marmots, et il
se tournait dans tous les sens.
2. MÉNIPPE.
Ce n'était donc qu'un sophiste : il ne méprisait pas réellement la mort.
CERBÈRE. Non : seulement, lorsqu'il vit
qu'elle était inévitable, il se donna des airs courageux, afin de ne pas
paraître subir malgré lui le sort qu'il ne pouvait empêcher, et de se faire
admirer des spectateurs. En général, j'en pourrais dire autant de tous les
gens de cette espèce : tant qu'ils ne sont qu'à l'entrée, on les voit
résolus, décidés ; à peine entrés, l'expérience est faite.
MÉNIPPE. Mais moi, quelle mine avais-je en
descendant ici ?
CERBÈRE. Tu es le seul, Ménippe, avec
Diogène, qui te sois montré digne de ta race. Tous les deux vous êtes entrés
sans contrainte, sans violence, mais de bonne humeur, le rire sur les lèvres,
et priant les autres d'aller pleurer.
22 CHARON, MÉNIPPE ET MERCURE
CHARON.
Paie-moi ton passage, misérable.
MÉNIPPE. Tu peux crier, Charon, si cela t'amuse.
CHARON. Paie-moi, te dis-je, la peine que
j'ai prise de te passer
MÉNIPPE. Qui n'a rien, ne peut rien donner.
CHARON. Qui donc n'a pas une obole ?
MÉNIPPE. Tout le monde en a peut-être ;
mais moi, je n'en ai pas.
CHARON. J'en atteste Pluton, vaurien, je
t'étrangle, si tu ne me paies.
MÉNIPPE. Et moi, d'un coup de bâton, je te
brise la tête
CHARON. C'est donc pour rien que tu auras
fait une si longue traversée ?
MÉNIPPE. Que Mercure paie pour moi, puisque
c'est lui qui m'amène.
MERCURE. Par Zeus, où en serais-je, s'il me
fallait payer pour les morts ?
CHARON. Je ne te lâcherai pas
MÉNIPPE. A ce compte, tu peux tirer ta
barque au sec et attendre. Aussi bien, ce que je n'ai pas, comment pourrais-tu
le prendre ?
CHARON. Tu ne savais pas qu'il fallait
apporter de l'argent ?
MÉNIPPE. Je le savais, mais je n'en avais
pas. Et quoi ! fallait-il pour cela ne pas mourir ?
CHARON. Toi seul, donc, tu te vanteras
d'avoir navigué gratis ?
MÉNIPPE. Pas gratis, mon cher, car j'ai
écopé, je t'ai aidé à ramer, et je suis le seul de tous les autres passagers
à ne pas avoir pleuré.
CHARON. Ce n'est pas le problème du nocher.
Tu dois payer ton obole, car il n'est pas permis qu'il en soit autrement.
MÉNIPPE. Ramène-moi donc à la vie
CHARON. Tu plaisantes, pour cela je devrais
recevoir des coups de la part d'Éaque.
MÉNIPPE. Ne m'embête donc pas.
CHARON. Montre ce que tu as dans ta besace.
MÉNIPPE. Des lupins, si tu veux, et le
dîner d'Hécate
CHARON. D'où nous sors-tu ce chien-là,
Mercure ? Comme il bavardait tout au long de la traversée, se moquant et riant
de tous les autres passagers, lui seul chantait, alors qu'eux pleuraient.
MERCURE. Ignores-tu, Charon, quel homme
véritablement libre tu viens de faire traverser ? C'est Ménippe.
CHARON. Ah, si jamais je t'attrape…
MÉNIPPE. Si tu m'attrapes, mon cher ? Tu ne
saurais m'attraper deux fois.
1.
PROTÉSILAS. Mon maître, mon roi, notre Jupiter, et
vous, fille de Cérès, ne rejetez pas la prière d'un amant.
PLUTON. Que nous demandes-tu ? Qui es-tu ?
PROTÉSILAS. Je suis Protésilas, fils
d'Iphiclès, roi des Phylaciens, allié des Grecs, et qui mourus le premier sous
les murs de Troie. Je vous supplie de m'accorder quelques jours de congé pour
aller revivre.
PLUTON. Ce désir, Protésilas, tous les
morts l'ont comme toi ; mais nul d'entre eux n'obtient ce qu'il souhaite.
PROTÉSILAS. Ce n'est pas la vie que
j'aime, Pluton ; c'est ma femme (44), que
j'ai laissée, nouvelle épouse, pour aller m'embarquer ; et puis, infortuné,
en descendant des vaisseaux, je fus tué par Hector (45).
C'est cet amour conjugal, ô mon maître ! qui me déchire l'âme ; je ne veux
que paraître un moment aux yeux de ma femme, et je reviens aussitôt.
2. PLUTON. N'as-tu pas bu, Protésilas, de l'eau du
Léthé ?
PROTÉSILAS. Si, mon maître ; mais la
passion est plus forte.
PLUTON. Eh bien ! attends ; ta femme
viendra quelque jour ici, et tu n'auras pas besoin de remonter sur la terre.
PROTÉSILAS. L'attente m'est insupportable,
Pluton ; toi aussi, tu as aimé, et tu sais ce que c'est que l'amour.
PLUTON. A quoi te servirait de revivre un
seul jour, pour retomber bientôt après dans les mêmes regrets ?
PROTÉSILAS. J'espère lui persuader de me
suivre chez vous, si bien qu'avant peu, vous aurez deux morts au lieu d'un.
PLUTON. C'est impossible ; cela ne s'est
jamais fait.
3. PROTÉSILAS. Rappelle tes souvenirs, Pluton ; vous avez
rendu à Orphée son Eurydice pour un motif semblable (46),
et vous avez laissé descendre ici Alceste (47),
ma parente, avec Hercule, à qui vous vouliez être agréable.
PLUTON. Tu voudrais donc, crâne nu et
difforme, paraître ainsi à ta belle et jeune épouse ? Comment pourrait-elle
voler dans tes bras, incapable même de te reconnaître ? Elle aura peur,
sache-le bien ; elle te fuira ; et c'est pour rien que tu auras fait un si long
voyage.
PROSERPINE. Eh bien, mon mari, tu peux y
remédier : ordonne à Mercure de toucher Protésilas de sa baguette, aussitôt
qu'il aura revu la lumière, et d'en faire un beau jeune homme, tel qu'il était
au sortir de la chambre nuptiale.
PLUTON. . Puisque Proserpine le veut,
emmène-le sur la terre et fais-en un jeune époux. -Toi , n'oublie pas que tu
n'as qu'un jour.
24 DIOGÈNE ET MAUSOLE.
1.
DIOGÈNE. Carien (48),
qui te rend si fier, et pourquoi veux-tu qu'on t'honore plus que nous tous ?
MAUSOLE. Mais d'abord, citoyen de
Sinope, à cause de ma royauté ; j'ai régné sur la Carie tout entière,
commandé à bon nombre de Lydiens, soumis des îles, pénétré jusqu'à Milet,
et assujetti une partie de l'Ionie. Ensuite, j'étais beau, grand, courageux
dans les combats : Mais, ce qui est plus encore, j'ai dans Halicarnasse un
tombeau immense (49), tel que jamais mort
n'en a eu de plus splendide. Les chevaux et les hommes qu'on y a sculptés sont
si admirablement faits et d'un si beau marbre, qu'on ne saurait aisément
trouver même un temple aussi magnifique. Crois-tu maintenant que je n'ai pas
raison d'être fier ?
2. DIOGÈNE. .
A cause de ta royauté, dis-tu, de ta beauté et de l'énormité de ce tombeau ?
MAUSOLE. Oui, par Jupiter !
DIOGÈNE. Mais, beau Mausole, tu n'as plus
ni cette force, ni cette tête charmante. Si nous prenions un juge de notre
beauté respective, je ne sais pas trop en quoi ton crâne serait préférable
au mien : tous deux ils sont chauves et nus ; tous deux nous montrons les dents,
nous avons les yeux creux et le nez camus. Ce tombeau, ces pierres précieuses,
les habitants d'Halicarnasse en font montre, et s'en vantent auprès des
étrangers comme possédant an superbe édifice. Mais toi, mon cher, je ne vois
pas à quoi cela te sert, à moins que tu ne veuilles dire que tu portes un
poids plus lourd que le nôtre, soue les grosses pierres qui t'écrasent.
3.MAUSOLE.
Ainsi tout cela m'est inutile ? il y a égalité entre Mausole et Diogène ?
DIOGÈNE. Égalité ! non pas, mon ami, non
pas. Mausole gémira sans cesse au souvenir de son bonheur chimérique sur la
terre, et Diogène se rira de lui : Mausole vantera le tombeau que lui a fait
élever, dans Halicarnasse, Artémise son épouse et sa sœur ; et Diogène ne
sait pas même si son corps est dans une tombe. Jamais il ne s'en est inquiété
; mais il a laissé dans le cœur des gens de bien le souvenir d'un homme qui a
bâti une vie plus haute que ton monument, ô le plus vil des Cariens, et posée
sur des bases plus solides.
25 NIRÉE, THERSITE ET MÉNIPPE.
1.
NIRÉE.
Ah ! tiens, voici Ménippe ; il va juger qui de nous deux est le plus beau.
Parle, Ménippe ; ne me crois-tu pas plus beau que lui ?
MÉNIPPE. Qui êtes-vous ? avant tout, il
faut que je le sache.
NIRÉE. Nirée et Thersite (50).
MÉNIPPE. Qui des deux est Nirée, qui des
deux est Thersite ? Ce n'est pas facile à voir.
THERSITE. J'ai déjà un avantage, celui de
te ressembler ; nous ne sommes pas si différents que le prétendait, pour te
flatter, cet aveugle d'Homère, quand il t'appelait le plus beau des hommes ; si
bien qu'avec ma tête chauve et pointue, notre juge ne m'a pas trouvé
inférieur à toi. Vois maintenant, Ménippe, lequel des deux tu trouves le plus
beau.
NIRÉE. C'est moi, sans doute, le fils
d'Aglaïa et de Charops :
Le plus beau des guerriers qui sont venus à Troie (51).
MÉNIPPE. Oui, mais non pas, je pense,
Le plus beau des mortels qui sont venus sous terre.
Tes os sont les mêmes, ton crâne ne diffère de celui de Thersite que parce
qu'il est plus facile à briser, étant plus mou et n'ayant rien de viril.
NIRÉE. Demande donc à Homère qui
j'étais, quand je vins me joindre à l'armée des Grecs.
MÉNIPPE. Visions ! je vois ce que je vois
et ce que tu es : ce que tu étais, ceux de ton temps le savent.
NIRÉE. Ainsi, je ne suis pas plus beau que
lui ?
MÉNIPPE. Vous n'êtes beaux ni l'un ni
l'autre ; l'égalité règne aux enfers ; vous vous ressemblez tous !
THERSITE. Cela me suffit.
26 MÉNIPPE ET CHIRON.
1.
MÉNIPPE.
J'ai ouï dire, Chiron, qu'étant dieu, tu-avais souhaité de mourir (52).
CHIRON. On t'a dit vrai, Ménippe, et je
suis mort, comme tu vois, pouvant être immortel.
MÉNIPPE. Quel désir de mourir t'a donc
pris ? c'est une passion peu ordinaire aux hommes.
CHIRON. Je vais te le dire ; car tu me
parais avoir de l’intelligence : l'immortalité n'avait plus de charmes pour
moi.
MÉNIPPE. Tu ne trouvais plus de charmes à
vivre, à voir la lumière ?
CHIRON.
Non, Ménippe : le plaisir, selon moi, consiste dans la variété, et non pas
dans l'uniformité : en vivant toujours, je ne cessais de voir les mêmes
objets, le soleil, la lumière, tout ce qui sert à la vie : les heures se
succédaient pareilles, les événements se suivaient et s'enchaînaient
toujours l'un à l'autre (53). J’en étais
rassasié, car ce n'est pas dans ce qui est toujours, mais dans ce qui varie
sans cesse, qu'est la vraie jouissance.
MÉNIPPE. Tu dis vrai, Chiron : mais
comment te trouves-tu dans l'enfer, où tu as préféré descendre ?
2. CHIRON.
Assez bien, Ménippe : j'y trouve une égalité qui tient du gouvernement
démocratique ; peu importe qu'on y soit dans la lumière ou dans l'obscurité ;
on n'y éprouve nos plus ni faim ni soif ; on y est délivré de tous les
besoins.
MÉNIPPE. Prends garde, Chiron, d'être en
contradiction avec toi-même et de rouler dans un cercle vicieux.
CHIRON. Comment !
MÉNIPPE. Si la régularité et
l'uniformité des choses de la vie t'ont donné du dégoût, il peut se faire
que le dégoût te vienne aussi des choses de l'enfer, et il faudra que tu
cherches quelque diversité dans une autre vie, ce qui me paraît impossible.
CHIRON. Que faire à cela, Ménippe ?
MÉNIPPE. Ce que l'on dit et ce que je
crois vrai, c'est à savoir que le sage se contente et jouit du présent, sans y
rien trouver qu'il ne puisse supporter.
27 DIOGÈNE, ANTISTHÈNE, CRATÈS, UN MENDIANT.
1.
DIOGÈNE. Antisthène et Cratès, nous n’avons rien
à faire ; allons donc nous promener vers l'entrée des enfers ! nous verrons
ceux qui descendent, quels ils sont, et la mine de chacun d'eux.
ANTISTHÈNE. Allons,
Diogène : ce sera un amusant spectacle de voir les uns pleurer, les autres
supplier qu'on les lâche, quelques-uns descendre à grande peine, quoique
Mercure les pousse par le cou, puis se révolter, se coucher sur le dos, toutes
résistances inutiles.
CRATÈS. Et moi, j'achèverai de vous
raconter, en route ce que j'ai vu quand je suis descendu.
DIOGÈNE. Raconte-nous cela, Cratés : il
me semble que ton récit va nous donner à rire.
2. CRATÈS.
Avec moi descendait une foule nombreuse d'hommes, parmi lesquels se trouvaient
des gens de distinction : le riche lsménodore, notre concitoyen, Arsace,
gouverneur de Médie, et Oroetès l'Arménien. Isménodore avait été
assassiné par des brigands, auprès du Cithéron, lorsqu'il se rendait, je
crois, à Éleusis : il gémissait, tenait les deux mains sur sa blessure,
appelait ses enfants qu'il laissait en bas âge, se reprochait son imprudence
d'avoir osé passer le Cithéron et les contrées voisines d'Eleuthère (54),
lieux déserts, dévastés par la guerre, n'ayant emmené avec lui que deux
esclaves, et cela, lorsqu'il portait cinq fioles d'or et quatre cymbes (55).
3. Arsace, déjà vieux, et d'un air assez
respectable ; ma foi ? se plaignait en vrai barbare : il s'indignait d'aller à
pied et demandait qu'on lui amenât son cheval : son cheval, en effet, avait
péri avec lui : tous deux avaient été percés du même coup par un peltaste
thrace, dans un combat livré près de l'Araxe contre un prince de Cappadoce.
Arsace, comme il nous le raconta lui-même, s'avançait loin des siens à la
rencontre de l'ennemi : ce Thrace, opposant son bouclier à l'attaque, se
glisse, détourne la lance dArsace, et d'un coup de sarisse perce d'outre en
outre le cavalier et le cheval.
4. ANTISTHÈNE.
Comment, Cratès ! d'un seul coup ? Cela n'est pas possible.
CRATÈS. Rien de plus facile, Antisthène.
Arsace fondait sur son ennemi avec une lance de vingt coudées : le Thrace,
parant le, coup avec son bouclier, de manière que la pointe de la lance passe
derrière lui, met un genou en terre, et, soutenant le choc avec sa sarisse, il
blesse le cheval, qui s'enterre en plein poitrail, emporté par trop d'ardeur et
de fougue ; puis, du même coup, il traverse l'aine d'Arsace, et plonge son fer
jusqu'aux reins. Tu vois comment cela s'est fait : c'est plutôt la faute du
cheval que de l'homme. Arsace, cependant, s'indignait d'être mis au rang des
autres morts, et il prétendait descendre ici tout à cheval.
5. Oraetés, qui n'est, lui, qu'un simple
particulier, avait les pieds si délicats, qu'il ne pouvait se tenir debout,
loin d'être capable de marcher : presque tous les Mèdes en sont là : dès
qu'ils descendent de cheval, on dirait des gens qui marchent sur des épines,
ils se posent à peine sur la pointe des pieds. Aussi notre homme s'était-il
couché, et il n'y avait pas moyen de le faire lever : le bon Mercure le prit
sur ses épaules et le porta jusqu'à la barque, ce qui me fit beaucoup rire.
6. ANTISTHÈNE.
Moi, quand je vins ici, je ne me mêlai point aux autres ; mais, les laissant
pleurer, je courus m'asseoir dans la barque, à la première place, afin de
traverser à mon aise. Durant le trajet, les uns pleuraient, les autres avaient
des nausées, et moi je me divertissais beaucoup à leurs dépens.
7. DIOGÈNE.
Voilà, Cratès et Antisthène, quels ont été vos compagnons de voyage : moi,
je suis descendu avec l'usurier Blepsias, l'Acarnien Lampis, commandant des
troupes mercenaires, et le riche Damis de Corinthe. Damis avait été
empoisonné par son fils. Lampis, amoureux de la courtisane Myrtium, s'était
coupé la gorge pour elle. Le malheureux Blepsias s'était laissé mourir de
faim : on le voyait du reste à son excessive pâleur et à sa maigreur
extrême. Je savais bien comment ils étaient morts ; cependant je leur en fis
la demande ; et comme Damis accusait son fils : "Tu as bien mérité, lui
dis-je, ce qu'il t'a fait : possesseur de plus de mille talents, menant joyeuse
vie, malgré tes quatre-vingt-dix années, tu ne donnais que quatre oboles à un
jeune homme de seize ans ; et toi, Acarnien (il gémissait et il maudissait
Myrtium), pourquoi t'en prendre à l'amour et non pas à toi-même ? Jamais tu
n'es tombé devant l'ennemi ; tu combattais intrépide à la tête des soldats,
et je ne sais quelle courtisane, avec ses larmes feintes et ses soupirs, a
vaincu ton courage." Blepsias était le premier à s'accuser lui-même de l’excessive
folie qui lui avait fait garder ses richesses pour des héritiers inconnus,
s'imaginant, l'insensé, qu'il ne mourrait jamais ! Bref, je prenais un plaisir
peu commun à les entendre gémir.
8. Mais nous voici à l'entrée des enfers
: il faut regarder et considérer de loin ceux qui arrivent. Bon ! quelle foule
! il y en a de toute espèce : ils pleurent tous, excepté les petits enfants et
ceux qui viennent de naître : les plus âgés sont ceux qui crient le plus (56). Eh quoi t y a-t-il donc un philtre qui leur fasse aimer la vie ?
9. Je veux dire un mot à ce vieux
décrépit. Pourquoi pleures-tu donc d'être mort à ton âge ? Pourquoi te
fâches-tu, bonhomme, de venir ici, étant si vieux ? Est-ce que tu étais roi ?
LE MENDIANT. Non.
DIOGÈNE. Satrape ?
LE MENDIANT. Pas davantage.
DIOGÈNE. Riche alors ; et tu te désoles
d'avoir perdu en mourant tout ton bien-être ?
LE MENDIANT. Ce n'est point encore cela.
J'avais, en mourant, près de quatre-vingt-dix ans. Je vivais misérable, de ma
canne à pêche et de ma ligne ; j'étais plus pauvre qu'on ne peut dire, sans
enfants, boiteux et presque aveugle...
DIOGÈNE. Et, dans cet état, tu voulais
vivre ?
LE MENDIANT. Oui, C'est une douce chose que
la lumière (57), une chose terrible et
odieuse que la mort.
DIOGÈNE. Vieillard, tu radotes, et tu
résistes au sort comme un enfant, quoique tu sois aussi âgé que le batelier
lui-même. Que dire alors des jeunes gens, puisque des hommes de cet âge
tiennent tant à la vie, eux qui devraient courir après la mort, comme après
un remède à leurs infirmités ? Mais allons-nous en, de peur qu'on ne nous
soupçonne de vouloir nous enfuir, en nous voyant rôder auteur de la porte.
1.
MÉNIPPE. Tirésias, es-tu bien aveugle ? Cela n'est
pas chose facile à reconnaître : nous avons tons également les yeux vides ;
et il ne nous en reste que la cavité, si bien qu'on ne peut distinguer au juste
qui fut autrefois Phinée ou Lyncée (59).
Quant à toi, je sais, pour l'avoir lu dans les poètes, que tu étais devin, et
que seul parmi tous, tu fus tour à tour homme et femme. Dis-moi donc, je te
prie, laquelle de ces deux conditions t'a paru la plus agréable : aimais-tu
mieux être du sexe masculin ou du féminin ?
TIRÉSIAS. Je préférais être du
féminin, Ménippe ! on y a moins d'embarras : les femmes sont les souveraines
des hommes ; elles ne sont pas contraintes d'aller à la guerre, de faire
sentinelle sur les remparts, de disputer dans les assemblées, de juger dans les
tribunaux.
2. MÉNIPPE. Tu
n'as donc pas entendu, Tirésias, la Médée d'Euripide (60),
plaignant la malheureuse condition des femmes, condamnées aux douleurs
insupportables de l'enfantement ? Mais dis-moi, car les iambes de Médée m'y
font penser, lorsque tu étais femme, as-tu fait des enfants, ou bien es-tu
demeurée bréhaigne et stérile ?
TIRÉSIAS. Pourquoi cette question,
Ménippe ?
MÉNIPPE. Je n'y vois rien d'embarrassant,
Tirésias. Réponds donc, si tu veux bien.
TIRÉSIAS. Je n'étais pas stérile, et
pourtant je n'ai pas fait d'enfant.
MÉNIPPE. Fort bien ; mais avais-tu ce
qu'il faut pour en faire ? Je suis curieux de le savoir.
TIRÉSIAS. J'avais ce qu'il faut.
MÉNIPPE. Est-ce insensiblement que tout
cela s'est défait, que les canaux sexuels se sont obstrués, que ta gorge a
disparu, que ta virilité s'est produite, que ton menton s'est garni de barbe,
ou bien as-tu passé tout à coup d'un sexe à l'autre ?
TIRÉSIAS. Je ne vois pas où tu veux en
venir avec tes questions ; mais tu ne me sembles pas bien convaincu que cela se
soit passé de la sorte.
MÉNIPPE. Pourquoi donc, Tirésias ? On
n'en doit pas douter, et il faut, comme un niais, accepter ces faits, possibles
ou non.
3. TIRÉSIAS.
Tu ne crois pas non plus aux autres métamorphoses, quand tu entends dire que
des femmes sont devenues oiseaux, arbres, bêtes sauvages, par exemple, une
Aédon, une Daphné et la fille de Lycaon (61)
?
MÉNIPPE. Si jamais je les rencontre, je
saurai ce qu'elles en disent. Pour toi, mon cher, quand tu étais femme,
connaissais-tu toujours l'avenir comme auparavant, on bien n'étais-tu devin que
quand tu étais homme ?
TIRÉSIAS. Tu le vois, tu ne sais pas toute
mon histoire, comment je décidai le différend qui s'était élevé entre les
dieux , comment Junon me rendit aveugle et Jupiter devin, pour me consoler de ce
malheur (62).
MÉNIPPE. Vraiment, Tirésias, tu tiens
encore à ces mensonges ! Au surplus, tu suis en cela l'usage des devins vous
avez l'habitude de ne rien dire de sensé.
29 AJAX ET AGAMEMNON.
1.
AGAMEMNON.
Si, dans un accès de fureur (63), Ajax, tu
t'es donné la mort, en voulant nous la donner à nous tous, pourquoi en accuser
Ulysse ? Dernièrement tu n'as pas même voulu le regarder, lorsqu'il venait
consulter Tirésias ; tu n'as pas dit un mot à ton compagnon d'armes, à ton
ami, et tu as passé fièrement, à grands pas, devant lui (64)
?
AJAX. J'avais raison, Agamemnon. Lui seul
fut cause de ma fureur, en me disputant les armes d'Achille.
AGAMEMNON. Prétendais-tu n'avoir point de
concurrent et triompher de tous sans combattre ?
AJAX. Certainement : ces armes me
revenaient de droit, puisqu'elles étaient à mon, cousin - d'ailleurs vous
autres, braves guerriers, vous ne me les disputiez pas, - tous m'accordiez ce
prix de ma valeur, tandis que le fils de Laërte, que j'ai mille fois sauvé du
danger d'être taillé en pièces par les Phrygiens, osa prétendre qu'il valait
mieux que moi et qu'il était plus digne d'avoir ces armes.
2. AGAMEMNON.
Accuse plutôt Thétis, mon cher, qui, au lieu de t'accorder, en ta qualité de
parent, l'héritage de cette armure, est venue l'apporter au milieu du camp.
AJAX. Non : je ne m'en prends qu'à Ulysse,
qui seul la revendiqua contre moi.
AGAMEMNON. Il faut lui pardonner, Ajax, si,
étant homme, il fut passionné pour la gloire, cette douce récompense, pour
laquelle chacun de nous supporte les dangers. Et puis, il l'emporta sur toi, au
jugement même des Troyens.
AJAX. Je sais qui m'a fait condamner ; mais
il n'est pas permis de rien dire contre les dieux. Seulement, Agamemnon, je ne
puis m'empêcher de détester Ulysse, quand Minerve elle-même me le
défendrait.
30 MINOS ET SOSTRATE.
1.
MINOS.
Que ce brigand de Sostrate (65) soit plongé
dans le pyriphlégéthon ? que ce sacrilège sort mis en pièces par la Chimère
; que ce tyran, Mercure, soit étendu près de Tityus, et qu'il ait, comme lui,
le foie dévore par des vautours ! Pour vous, hommes de bien, allez su plus tôt
dans les Champs-Elysées, devenez citoyens des îles Fortunées, pour prix de
vos vertus durant la vie.
SOSTRATE. Écoute-moi, Minos, S'il te
semble que j'aie raison.
MINOS. Que je t'écoute encore ? N'as-tu
pas été convaincu, Sostrate, d'être un scélérat, un affreux tueur de gens ?
SOSTRATE. J'en ai été convaincu, mais
examine s'il est juste que j'en sois puni.
MINOS. Certainement, si l'on doit rendre à
chacun selon ses oeuvres.
SOSTRATE. Cependant, réponds-moi, Minos ;
je n'ai qu'un mot à te dire.
MINOS. Parle ; mais sois bref : j'en si
d'autres encore à juger.
2. SOSTRATE. Tout ce que j'ai fait durant ma vie,
l'ai-je fait de mon plein gré, ou la trame de mes actions n'était-elle pas
filée par la Parque ?
MINOS. C'est la Parque qui l'avait filée.
SOSTRATE. En ce cas, gens de bien ou
scélérats seulement en apparence, nous ne sommes donc que ses serviteurs,
lorsque nous agissons.
MINOS. C'est juste : vous obéissez à
Clotho, qui assigne à chacun, au moment de sa naissance, tout ce qu'il doit
faire.
SOSTRATE. Si donc un homme est contraint
d'en tuer un autre, sans pouvoir résister à celui qui l'y force, par exemple
un bourreau, un doryphore, qui obéissent l'un au juge, l'autre su tyran, qui
doit-on accuser de l'homicide ?
MINOS. Il est évident que c'est 1e juge ou
le tyran : on ne peut accuser l'épée, ministre et instrument de colère, pour
celui qui est la cause première du meurtre.
SOSTRATE. A merveille, Minos : tu me
fournis plus d'exemples qu'il ne m'en faut. Et maintenant, si un esclave va, par
ordre de son maître, porter de l'or ou de l'argent à quelqu'un, à qui doit-on
en savoir gré ? Qui doit-on inscrire au rang des bienfaiteurs ?
MINOS. Celui qui envoie l’esclave,
Sostrate : le porteur n'est que son ministre.
3. SOSTRATE.
Tu vois alors quelle injustice tu commets en nous punissant, nous les ministres
des ordres de Clotho, et en récompensant les dispensateurs d'un bien qui
n'était point à eux. On ne saurait dire, en effet, que nous ayons été les
maîtres de résister aux ordres impérieux de la Nécessité.
MINOS. Sostrate, tu verrais bien d'autres
choses, qui ne te paraîtraient pas plus logiques, si tu regardais de bien
près. Aussi, tout le profit que te valent tes questions, c'est de paraître
aussi bon sophiste qu'insigne brigand. Cependant, détache-le, Mercure, et qu'on
ne le punisse plus. Et toi, ne t'avise pas d'apprendre aux autres morts à nous
faire des questions semblables.
(01) Voy. l'article Dioscures dans le Dict. de Jacobi.
(02) Ménippe, philosophe cynique, originaire de Gadara, en Phénicie, florissait vers l'an 314 avant Jésus-Christ : il s'établit à Thèbes, où, selon Diogène de Laërce, il s'enrichit sa faisant le métier d'usurier. Il avait composé treize livres de satires, perdues aujourd'hui. Lucien l'a rendu immortel.
(03) Le Cranium était an gymnase situé sur une colline voisine de Corinthe, et entouré d'un bois sacré, Le Lycée était aussi un gymnase situé dans na des faubourgs d'Athènes, où la jeunesse se rassemblait pour s'exercer, et les philosophes pour controverser. Diogène avait coutume de passer l'été à Corinthe et l'hiver à Athènes, se comparant en cela au Grand Roi, qui passait la balle saison à Ecbatane et la mauvaise à Suze
(04) Hécate présidait au carrefours. A chaque nouvelle lune, les riches offraient un repas à la déesse, en forme de sacrifice. Les mets, qui se composaient ordinairement d'œufs et de fromage, étaient abandonnés dans la rue, et les pauvres s'en saisissaient aussitôt. Hécate passait pour les avoir mangés." M. Artaud, note sur le vers 693 du Plutus d'Aristophane.
(05) Juvénal, Sat. VI. v. 516.
(06) "Les Idées universelles ou idées générales, étaient appelées par les scolastiques Universaux (universalisa) aussi bien que les termes qui les expriment. Ils avaient distribué ces idées, d'après leur nature, en un certain nombre de classes, qu'ils appelaient catégories. En outre, ils distinguaient, sous le rapport de leur office, cinq sortes d'universaux : le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident." Bouillet, Dict. des Sciences et des Arts. Col : 1687.
(07) Allusion à certains syllogismes des sophistes. Cf. Hermotinus, chap. LXXXI.
(08) Hemsterhuys propose ici une variante qui a été reçue dans le texte par quelques éditeurs. A ces mots
p‹nta miŒ ²mÝn kñniw, "Tout n'est chez nous que poussière", il demande à substituer la locution, selon lui proverbiale, p‹nta miŒ Mækonow, "Tout Ici n'est qu'une Mycone,"leçon qu'il justifie par des citations empruntées à Plutarque, à Clément d'Alexandrie, à Thémistius, et par ce vers du poète satirique Lucilius, que cite Donat, dans une remarque sur l'Hécyre de Térence : "Myconi calva omnis juventus." En effet, dans la petite île de Mycone, une des Cyclades, la calvitie était générale, et Pline l'Ancien, Hist. nat, chap. XXXVII, en parle expressément. Lors donc que Lucien. fait dire à Diogène que l’on ne trouve plus aux enfers qu'un amas de crânes sans beauté, il n'est point extraordinaire qu'il fasse allusion à la calvitie de ces têtes privées "de leurs chevelures blondes." Nous ne pouvons disconvenir que cette explication comme l'a dit un éditeur de Lucien, ne soit docte et ingénieuse; mais n'est-elle pas quelque peu raffinée et la leçon ordinaire est-elle si mauvaise qu'il faille absolument la modifier! Lehmann n'adopte la variante d'Hemsterhuys qu'avec quelque hésitation et les éditions toutes récentes de Tauchnitz et de Teulmer restent fidèles au texte p‹nta miŒ ²mÝn kñniw, nous le conservons égaiement, en nous fondant sur ce vers de l'Anthologie, cité par Lehmann : p‹nta g¡lvw, kaÜ p‹nta kñniw, kaÜ p‹nta tò mhd¡n "Tout est risée, tout est poussière, tout est néant ;" et sur ce vers d'Horace, Ode VII du livre IV, v. 16. : Pulvis et umbra sumus. "Nous ne sommes qu'ombre et poussière."(09) Cf. avec Villon, Ballade des dames du temps jadis.
(10) Amphiloque, Argien, fils dAmphiaraüs et d'Eriphyle, et devin, comme son père, avait fondé la ville de Malien, en Cilicie. Son oracle était en haute considération du temps de Pausanias. Sur Trophonius et sur sa fameuse grotte, voy. le Dict. de Jacobi.
(11) Ville de la Boétie méridionale, près de l'Hélicon, aujourd'hui Livadia.
(12) Fils d'Iphiclès et d'Automédème, neveu d'Hercule, qu'il assista dans son combat contre l'hydre de Lerne: Lorsqu'il fut parvenu à une extrême me vieillesse, deux astres s'arrêtèrent sur son char et l'enveloppèrent d'un nuage épais : c'était Hercule, avec son épouse Hébé. Iolas sortit de ce brouillard, sous la forme d’un jeune homme plein de force. Cf. Ovide, Métam., IX, v. 398.
(13) Voy. Euripide, Médée, v. 410.
(14) Voy., le Dict. de Jacobi.
(15) Allusion à la magnificence et à la délicatesse dos festins en Sicile. Cf. Horace, Ode I du. livre II, v. 18. Le Sicilien Archestrate, de Géla, était l'auteur d'un poème sur la Gastronomie, dont il existe des fragments dans Athénée.
(16) "Phaon était, dit-on, un vieillard, batelier de son métier, qui transporta Vénus de Chio à l'autre rivage. La déesse devint amoureuse de lui, et, comme il était vieux, elle le changea en un beau jeune homme. Élien, Hist. diverses, XII, XVIII, dit que Vénus cacha sous des laitues Phaon, le plus beau des hommes, et qu'elle lui donna un parfum, dont il s'oignit, et reçut une beauté merveilleuse, qui le faisait aimer de toutes les femmes. Surpris en adultère, il fut tué. C'est de lui que Sappho était amoureuse, par la vertu d'une plante dont Pline parle au livre XXII, chap. VIII." Note de Belin de Ballu.
(17) Damasias, citoyen d'Amphipolis, fut vainqueur aux jeux olympiques, dans la CXVème olympiade, de 320 à 317 avant J. C.
(18) Environ 21 kilogrammes.
(19) Iliade, XXIII, v. 724. "Pendant le jour, dit Suétone, Caligula conversait secrètement avec Jupiter capitolin, tantôt lui parlant à l'oreille et lui prêtant la sienne à son tour, tantôt élevant la voix et même le querellant ; car on entendit une voit menaçante crier : Ou enlève-moi ou je t'enlève." Suétone, Caligula, § 22, traduction de M. Emile Pessoneaux. Cf. Sénèque, De la colère, I, chap. XVI, § 29.
(20) Sicyone, aujourd'hui Vasilica, était située dans la partie septentrionale du Péloponèse. Cirrha, aujourd'hui Salona, était une ville de la Phocide, sur le golfe de Corinthe, au pied du Parnasse.
(21) Vent qui souffle du nord-ouest au sud-est.
(22) Près de trois litres : le chénice est de plus d'un litre.
(23) Cf. avec les historiens, les biographes, et le traité de Plutarque, De la fortune d'Alexandre.
(24) Cf. avec Cornélius Népos, vie d'Annibal, chap. XIII.
(25) "La seconde guerre punique, a dit Montesquieu, est si fameuse que tout le monde la sait."
(26) Voy. Juvénal, sat, X, v. 147 et suivants.
(27) Voy. notre Essai sur la légende d'Alexandre le Grand dans les romans français du XIIème siècle, qui facilitera l'intelligence de tout ce dialogue.
(28) Voy. Juvénal, Sat. X, v. 468 et suivants.
(29) Voy. Horace, Ode XVI du livre II, v. 15 et suivants.
(30) Voy. notre Essai sur la légende d'Alexandre le Grand, p. 61 et suivantes.
(31) Voy. !e même ouvrage, p. 108 et 109.
(32) Parodie de l’Odyssée, XI v. 488 et suivants. - Cf. Virg., Én., VI, v. 436 et 437.
(33) Voy. l'Odyssée, XI, v. 600 et suivants. Cf. Lucrèce, De la nature, t, I, v. 121, 122.
(34) Les Cyniques avaient un respect tout particulier pour Hercule. - Voy. Juvénal, Sat.. II, v. 19 et 20. Cf Le Banquet ou les Lapithes, § 6.
(35) Voy. le 1er Dialogue.
(36) Homère, Iliade, III, v. 164. Cf. Quintilien, Éducation de l'orateur, VIII, chap. IV.
(37) Fils d’Iphiclès et d'Astioché et père de Podarcès, originaire de Phylacé, en Thessalie, il quitta sa patrie pour se rendre A Troie, et sauta le premier sur le rivage ennemi, il tut tué aussitôt, comme un oracle l’avait prédit.
(38) Pythagore prétendait avoir été Euphorbe, fils de Panthoüs : voy. le dialogue intitulé le Songe ou le Coq, § 4 6. Cf. Horace, Ode XXVIII du livre I.
(39) Voy. Plutarque, Vie de Numa, chap. 1.
(40) Cf. Icaroménippe, § 13. Horace, Art poétique, v. 461.
(41) Voy. Apologie de Socrate, chap. XVIII.
(42) Charmide et Phèdre sont illustrés par les dialogues auxquels Platon donné leur nom. Le fils de Clinias est Alcibiade.
(43) Voy. le Dialogue XIX.
(44) Laodamie.
(45) Voy. Ovide, Métam., XII, v. 97.
(46) Voy. cet épisode si connu dans Virile, Géorgiques, IV, v. 462 et suivants.
(47) Voy. l'Alceste d’Euripide. On trouvera d'intéressants détails sur cette tragédie dans la thèse latine de M. Blanchet: De Aristophane Euripidis censore ; dans la thèse française de M. Maignen : Morale d’Euripide, et un rapprochement curieux entre la pièce grecque et la Savitri, épisode du Maha-Bhârata, dans la thèse de M. Dilandy, intitulée : Parallèle d'un épisode de l'ancienne poésie indienne avec des poèmes de l'antiquité classique.
(48) Mausole était roi de la Carie, une parce de l'Anatolie moderne, et mari de la célèbre Artémise, auxiliaire de Xerxès.
(49) C'était une des sept merveilles du monde. On peut lire la description qu'en a faite le comte de Caylus dans la tome XLIV des Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-Lettres.
(50) Nirée, fille de Charops et d'Aglaïa, né à Cymé, île située entre Rhodes et Cnide, le plus beau des Grecs. Thersite, le plus laid et le plus lâche des Grecs venue à Troie. Voy. son portrait dans Homère, Il., II, v. 211 et suivants.
(51) Iliade, II, v. 673.
(52) Sur Chiron, voy. le Dict.
(53) Cf. un beau fragment de Ménandre, dans l'édition de Meineke, p. 168, et comparez avec Montaigne, Essais, 1, chap. XIX.
(54) Ville de Béotie, voisine du mont Cithéron.
(55) Petites tasses , verres à boire.
(56) Lafontaine : la Mort et le Mourant, livre VIII, fable I : le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
(57) Allusion à un passage d'Euripide, Iphigénie en Aulide, v. 1248 et 1250.
(58) Sur la double nature de Tirésias voy. De l'astrologie, § 11..
(59) Phinée, roi de Thrace, aveuglé par Neptune ; Lyncée, l'un des Argonautes, renommé pour l'excellence de sa vue.
(60) Vers 260.
(61) Aédon est la même que Philomèle. Nous avons déjà parié de Daphné. La fille de Lycaon est Calliste, que représente au ciel la constellation de la grande Ourse.
(62) Voy. l’article Tirésias dans le Dict. de Jacobi.
(63) Voy. l'Ajax de Sophocle dans la traduction de N. Artaud et dans celle de Théodore Gulard. Cf. Ovide, Métam., fin du livre XII et commencement du livre XIII.
(64) Homère, Odyssée, XI, v. 543. De même Didon dans les enfers, ne daigne pas jeter un regard sur Énée repentant. Virgile, En., VI, v. 450 et suivants.
(65) Ce brigand parait être le même que celui dont il est question dans Alexandre ou le Faux prophète, § 4 et la Vie de Démoniae.