1
PROMÉTHÉE ET JUPITER
1.
PROMÉTHÉE. Délivre-moi, Jupiter. Il y a longtemps que je souffre des maux
cruels.
JUPITER. Te délivrer, dis-tu ! Toi qui devrais porter des chaînes encore plus
lourdes, avoir tout le Caucase par-dessus la tête, et non seulement le foie dévoré
par seize vautours, mais les yeux crevés, pour nous avoir fabriqué les êtres
appelés hommes, volé le feu et créé les femmes ! Car de m'avoir trompé dans
la distribution des viandes, et servi des os recouverts de graisse, pour te réserver
la meilleure part, à quoi sert d'en parler !
PROMÉTHÉE. Eh ! ne suis-je pas assez puni, depuis le temps que je suis cloué
au Caucase, nourrissant de mon foie un aigle, que la pire mort puisse emporter ?
JUPITER. Ce n’est pas la millième partie de ce que tu dois souffrir.
PROMÉTHÉE. Cependant si tu me délivrais, Jupiter, ce ne serait pas sans récompense,
mais je te donnerais un avis tout à fait intéressant.
2. JUPITER. Tu veux m'attraper, Prométhée.
PROMÉTHÉE. Et qu'y gagnerais-je ? Tu sauras bien où est le Caucase, et tu ne
manqueras pas de chaînes, si je te tends quelque piège.
JUPITER. Dis-moi donc d'abord par quelle récompense si intéressante tu veux me
payer.
PROMÉTHÉE. Si je te dis ou tu vas en ce moment, te paraîtrai-je pour le reste
un prophète digne de foi ?
JUPITER. Pourquoi pas?
PROMÉTHÉE. Tu vas trouver Thétis, pour coucher avec elle.
JUPITER. Tu as deviné : mais que s'ensuivra-t-il ? Car il me semble que tu vas
me dire la vérité.
PROMÉTHÉE. Garde-toi bien, Jupiter, d'avoir commerce avec la Néréide. Si
elle devient grosse de tes œuvres, son enfant te traitera comme tu as traité
Saturne.
JUPITER.. Tu veux dire qu'il me détrônera.
PROMÉTHÉE. Puisse cela ne jamais arriver, Jupiter ! mais c'est l'issue qui
menace tes amours avec elle.
JUPITER. Adieu donc Thétis. Que Vulcain te délivre pour prix de ton service !
2.
L’AMOUR ET JUPITER
L'AMOUR.
Oui, si j'ai commis quelque faute, pardonne-moi, Jupiter. Je suis encore un
enfant, et n'ai pas l'âge de raison.
JUPITER. Toi, Amour, un enfant ! Mais tu es plus vieux que Japet. Parce que tu
n'as ni barbe ni cheveux blancs, est-ce une raison pour dire que tu es un enfant
? Non. Tu es un vieillard, et un vieillard malin !
L'AMOUR. Et quel grand mal t'a donc fait ce vieillard, comme tu dis, pour que tu
songes à l'enchaîner ?
JUPITER. Vois, petit misérable, si ce n'est pas un grand mal que de m'insulter
à ce point, qu'il n'y a pas de forme que tu ne m'aies fait prendre : satyre,
taureau, or, cygne, aigle. Tu n'as rendu aucune femme amoureuse de moi-même, et
je ne sache pas que par toi j'aie su plaire à quelqu'une. Il faut, au
contraire, que j'use d'enchantements avec elles, et que je me cache. Il est vrai
qu'elles aiment le taureau, ou le cygne, mais si elles me voyaient, elles
mourraient de peur.
L'AMOUR. C'est tout naturel, Jupiter, elles sont mortelles, elles ne peuvent
donc pas supporter ta vue.
JUPITER. Comment donc se fait-il qu'Apollon soit aimé de Branchus (02)
et d'Hyacinthe ?
L'AMOUR. Oui, mais Daphné l'a fui (03), malgré
ses beaux cheveux et son menton imberbe. Si tu veux devenir aimable, n'agite
plus cette égide, ne porte plus cette foudre, rends-toi charmant, les cheveux
tombant en boucles des deux côtés, et rattachés avec un bandeau. Prends une
robe de pourpre, mets des chaussures d'or, marche en cadence au son de la flûte
et des tambours, et tu verras s'avancer sur tes pas une troupe plus nombreuse
que les Ménades de Bacchus.
JUPITER. Fi donc ! Je ne puis me décider à prendre, pour titre aimable, un
pareil accoutrement.
L'AMOUR. Eh bien alors, Jupiter, renonce à aimer. C'est plus facile.
JUPITER. Non pas, je veux aimer, mais jouir plus commodément de mes amours, et
ce n'est qu'à cette condition que je te laisse partir.
3.
JUPITER ET MERCURE
JUPITER.
Tu connais, Mercure, la jolie fille d'lnachus ?
MERCURE. Oui, tu veux parler d'Io (04).
JUPITER. Elle n'est plus fille aujourd'hui. Elle est devenue génisse.
MERCURE. C'est prodigieux ! Et de quelle manière ce changement s'est il fait ?
JUPITER. C'est la jalousie de Junon qui l'a ainsi métamorphosée. En outre,
elle a imaginé un autre supplice contre cette malheureuse. Elle a placé près
d'elle un bouvier à cent yeux, nommé Argus, qui fait paître la génisse, et
ne s'endort jamais.
MERCURE. Qu'avons-nous donc à faire ?
JUPITER. Descends jusqu'à Némée (05), c'est là
qu’est le bouvier Argus. Tue-le. Tu conduiras ensuite Io en Égypte, à
travers la mer, et tu en feras Isis (06). Qu'elle
soit considérée comme une déesse par les habitants du pays, qu'elle fasse déborder
le Nil et souffler les vents, et qu'elle sauve les navigateurs !
4
JUPITER ET GANYMÈDE
1.
JUPITER. Voyons, Ganymède, nous sommes arrivés en lieu sûr. Embrasse-moi,
pour t'assurer que je n'ai plus ni bec crochu, ni serres aiguës, ni ailes,
enfin que je ne suis plus un oiseau comme je le paraissais.
GANYMÈDE. Oui ! tu es homme ! Mais tout à l'heure n'étais-tu pas aigle,
lorsque, t'abattant sur moi, tu m'as enlevé du milieu de mon troupeau ? Comment
tes ailes se sont-elles fondues ? Comment as-tu pris tout à coup une autre
forme ?
JUPITER. Mais je ne suis pas un homme comme tu le crois, mon garçon ni un
aigle. Je suis le roi de tous les dieux, et je me suis métamorphosé pour la
circonstance.
GANYMÈDE. Que dis-tu ? Tu es notre dieu Pan (07) ?
Pourquoi donc alors n'as-tu ni flûte, ni cornes, ni jambes velues ?
JUPITER. Tu crois qu'il n'y a que ce dieu-là ?
GANYMÈDE. Sans doute, et nous lui sacrifions un bouc entier, que nous
conduisons à la caverne où s'élève sa statue (08),
mais toi, tu me parais être un voleur d’enfants.
2. JUPITER. Dis-moi, n'as-tu jamais entendu le nom de Jupiter ? N'as-tu jamais
vu sur le Gargarus (09) l'autel du dieu qui envoie
la pluie, le tonnerre et les éclairs ?
GANYMÈDE. C'est donc toi, excellent dieu, qui nous as dernièrement accablés
de tant de grêle, toi que l’on dit habiter là-haut, toi qui fais tant de
tracas, et à qui mon père a sacrifié un bélier ! Quel mal t'ai-je fait pour
m'enlever ainsi, roi des dieux ? Peut-être les loups ont-ils déjà mis en pièces
mes brebis, qu'ils ont trouvées seules.
JUPITER. Tu songes encore à ton troupeau, quand tu es devenu immortel, destiné
à vivre ici avec nous ?
GANYMÈDE. Que dis-tu ? Tu ne me feras pas redescendre aujourd'hui sur l'Ida ?
JUPITER. Pas le moins du monde. Ce n'est pas pour rien que ma divinité s'est
changée en aigle.
GANYMÈDE. Mais mon père me cherchera et se fâchera quand il m'aura découvert,
et je serai battu pour avoir abandonné mon troupeau.
JUPITER. Et où pourra-t-il te voir ?
GANYMÈDE. Non, je veux retourner près de lui. Si tu m'y reconduis, je te
promets qu'il te sacrifiera un autre bélier, pour prix de ma rançon. Nous en
avons un qui a trois ans, qui est fort, et qui conduit le troupeau au pâturage.
3. JUPITER. Que ce garçon est simple et naïf ! Que c'est bien un véritable
enfant ! Allons, Ganymède, dis adieu à tout cela. Oublie le passé, et ton
troupeau, et le mont Ida. Te voilà habitant du ciel, et tu pourras d'ici répandre
tes bienfaits sur ton père et sur ta patrie. Au lieu de fromage et de lait, tu
mangeras l’ambroisie et boiras le nectar. C'est toi qui le verseras et qui
viendras nous l'offrir, mais, destinée plus belle encore, tu cesseras d'être
homme pour devenir immortel, je ferai briller ton astre du plus vif éclat.
Enfin tu seras au comble du bonheur.
GANYMÈDE. Mais si je veux jouer, qui jouera avec moi ? Sur le mont Ida nous étions
beaucoup d'enfants du même âge.
JUPITER. Ici tu auras pour compagnon de jeux l'Amour avec beaucoup d'osselets (10).
Seulement tranquillise-toi, sois gai, et ne regrette rien des choses de la
terre.
4. GANYMÈDE.À quoi donc pourrai-je vous être utile ? Me faudra-t-il ici
garder les troupeaux !
JUPITER. Non, non. Tu seras notre échanson, tu auras l'intendance du nectar et
le soin du banquet.
GANYMÈDE. Cela n'est pas difficile, car je sais comme il faut verser le lait et
présenter la coupe.
JUPITER. Bon ! Le voilà qui songe encore à son lait, et s'imagine qu'il va
servir des hommes ! Mais c'est ici le ciel, et nous buvons, je te l'ai dit, le
nectar.
GANYMÈDE. Est-ce meilleur que le lait, Jupiter ?
JUPITER. Tu le sauras avant peu, et, lorsque tu en auras bu, tu ne regretteras
plus le lait.
GANYMÈDE. Mais où coucherai-je la nuit ? Sera-ce avec mon camarade l'Amour ?
JUPITER. Non pas, je t'ai enlevé pour que nous dormions ensemble.
GANYMÈDE. Ah ! tu ne peux pas dormir seul, et tu trouves plus agréable de
dormir avec moi ?
JUPITER. Sans doute, surtout quand on est joli garçon comme tu l'es, Ganymède.
5. GANYMÈDE. Comment ma beauté te fera-t-elle mieux dormir ?
JUPITER. C'est un charme puissant et qui rend le sommeil plus doux.
GANYMÈDE. Cependant mon père se fâchait contre moi, quand nous couchions
ensemble, et il me racontait le matin comment je l'avais empêché de dormir, en
me retournant, en lui donnant des coups de pied, en rêvant tout haut. Aussi
m'envoyait-il souvent dormir auprès de ma mère. Je te conseille donc, si tu
m'as enlevé pour cela, comme tu le dis, de me redescendre sur la terre.
Autrement, tu auras fort à faire à ne pas dormir, et je t'incommoderai en me
retournant sans cesse.
JUPITER. Tu ne peux rien faire qui me soit plus agréable que de me tenir éveillé
avec toi, car alors je ne cesserai de te donner des baisers et de te serrer dans
mes bras.
GANYMÈDE. Tu verras, moi, je dormirai, pendant que tu me donneras tes baisers.
JUPITER. Nous saurons alors ce qu'il faudra faire. Maintenant, Mercure, emmène-le,
fais-lui boire l'ambroisie, et ramène-le ensuite pour nous servir d'échanson.
Seulement apprends-lui d'abord comment il faut présenter la coupe.
5
JUNON ET JUPITER
1.
JUNON. Depuis que tu as amené ici ce, jeune Phrygien que tu as enlevé de
l'Ida, il me semble, Jupiter, que tu fais moins attention à moi.
JUPITER. Eh quoi ! Junon, en es-tu jalouse ? Il est si simple ! si inoffensif !
Je croyais que tu ne te fâchais que contre les femmes que j'avais pour maîtresses.
2. JUNON. Tout cela n'est ni beau ni convenable. Toi, le maître souverain des
dieux, tu me laisses, moi qui suis ta femme légitime, pour aller courir en bas
les aventures galantes, transformé en or, en satyre nu, en taureau. Toutefois
ces maîtresses demeurent sur la terre, mais ce jeune pâtre de l'Ida, que tu as
enlevé sur tes ailes, ô toi le plus vaillant des dieux, le voilà fixé chez
nous, et toujours sur notre tête, sous prétexte d'échansonnerie. Manques-tu
donc d'échansons ? Hébé et Vulcain sont-ils las de nous servir ? Mais tu ne
prendrais jamais la coupe de ses mains, sans l'avoir d'abord embrassé, sous les
yeux de tout le monde, et ce baiser te semble plus doux que le nectar. C'est
pour cela que souvent, sans avoir soif, tu demandes à boire. Quelquefois même,
content de goûter la coupe, tu la lui rends aussitôt, puis, quand il a bu, tu
la lui redemandes pour boire le reste du breuvage qu'il y a laissé, du côté où
se sont posées ses lèvres, afin de boire et de baiser tout ensemble. Dernièrement
enfin, toi le roi, toi le maître des dieux, tu as déposé ton égide et ta
foudre pour jouer aux osselets avec lui, malgré cette longue barbe qui te pend
au menton. Oui, je vois tout cela, et tu ne dois pas songer à m'échapper.
3. JUPITER. Et quel mal y a-t-il, Junon, à embrasser, en buvant, un si joli garçon,
à me plaire tout ensemble aux baisers et au nectar ? Ah ! si je lui permettais
de t'embrasser une fois, tu ne me reprocherais plus de trouver le nectar moins
doux que ses baisers.
JUNON. Voilà les discours de nos amateurs de garçons ! Moi, je ne serais
jamais assez folle pour toucher des lèvres ce mol enfant de la Phrygie, tout
efféminé qu'il est.
JUPITER. Cessez, très noble dame, d'insulter à mes amours. Cet efféminé, ce
barbare, cet enfant plein de mollesse, m'est plus agréable, plus désirable
que... je ne veux pas dire qui, de peur de vous irriter davantage.
4. JUNON. Il ne vous manque plus que de l'épouser pour me plaire. Souvenez-vous
de votre conduite indigne envers moi à propos de cet échanson.
JUPITER. Non, ce n'est pas lui qu'il fallait choisir pour vous verser à boire,
mais Vulcain, votre fils boiteux, sortant de sa forge, tout couvert de limaille
brûlante, et déposant à peine ses tenailles ! C'était de ses doigts mêmes
qu'il fallait recevoir la coupe, c’était lui qu'il fallait tirer à nous et
embrasser, lui dont vous, qui êtes sa mère, ne pouvez sans répugnance baiser
le visage tout barbouillé de suie ! Voilà qui serait agréable, n'est-ce pas ?
Voilà un échanson bien fait pour la table des dieux ! Il faut renvoyer Ganymède
au mont Ida. Il est propre, il a les doigts roses, il est adroit à présenter
la coupe, et ce qui vous chagrine le plus, il a des baisers plus doux que le
nectar.
5. JUNON. Aujourd’hui, Jupiter, Vulcain te paraît boiteux, ses doigts ne sont
pas faits pour la coupe, il est tout noir de suie, et sa vue te donne la nausée,
depuis que l'Ida nous a produit ce beau garçon aux longs cheveux. Jadis tu ne
voyais rien de tout cela, et la limaille brûlante de la forge ne t'empêchait
pas de recevoir le breuvage de ses mains.
JUPITER. Tu te fais du chagrin à toi-même, Junon, et sans autre profit que
d'accroître mon amour par ta jalousie. S'il te fâche de prendre la coupe des
mains de ce gentil garçon, fais-toi servir par ton fils. Et toi, Ganymède, ne
présente la coupe qu'à moi seul, et, chaque fois, tu me donneras deux baisers,
d'abord en me la présentant pleine, et puis en me la reprenant. Eh quoi ! tu
verses des larmes ? Ne crains rien. Je ferai pleurer celui qui voudra te faire
de la peine.
6
JUNON ET JUPITER
1.
JUNON. Tu vois cet Ixion, Jupiter. Quelle idée as-tu de ses moeurs ?
JUPITER. Je le crois un galant homme, Junon, et un joyeux convive. Nous ne
l'aurions pas à notre table, s'il n'était pas digne de s'y asseoir.
JUNON. Eh bien ! il n'en est pas digne. C'est un insolent. Qu'il ne demeure plus
dans notre société !
JUPITER. Quelle insolence a-t-il commise ? Il faut, je pense, que j'en sois
instruit.
JUNON. Quelle insolence ? La pudeur m'empêche de le dire son audace est d'une
nature...
JUPITER. Eh bien ! Mais il faut d'autant plus me le dire, que son entreprise a
été plus téméraire. A-t-il voulu séduire quelque déesse ? Car je crois
deviner que c'est là le crime honteux que tu n'oses avouer.
2. JUNON. Oui, et c'est moi, et non pas une autre, Jupiter, et il y a déjà
quelque temps. D'abord, je ne pouvais m'expliquer pourquoi il avait sans cesse
les yeux fixés sur moi. Il poussait des soupirs, il versait des larmes. Si
parfois, après avoir bu, je rendais la coupe à Ganymède, il la lui demandait
pour boire dans le même vase que moi. Puis, après l'avoir reçue, il y
appliquait ses lèvres, l'approchait de ses yeux et tournait de nouveau ses
regards vers moi. Je compris dès lors que tout cela n'était que truchements
d'amour, et pendant longtemps j'eus honte de t'en parler, espérant que cet
homme ferait trêve à sa folie. Mais du moment qu'il a osé me tenir d'amoureux
propos, je l'ai laissé tout en larmes, se roulant à mes genoux, je me suis
bouché les oreilles pour ne pas entendre ses injurieuses prières, et je suis
venue te dire ce qu'il en est. Vois maintenant toi-même comment te venger du
galant.
3. JUPITER.À la bonne heure ! Le scélérat ! S'attaquer à moi, à la couche
de Junon ! S'était-il donc si bien enivré de nectar ? Mais aussi c'est notre
faute, et nous avons tort d'aimer les hommes au point de les faire asseoir à
notre table. Ils sont excusables, lorsque, abreuvés de la même boisson que
nous, voyant des beautés célestes et telles qu'ils n'en voient point sur la
terre, ils désirent en jouir et se sentent pris d'amour. L'Amour est un maître
tyrannique. Il ne règne pas seulement sur les hommes, mais parfois aussi sur
nous.
JUNON. Il se montre bien ton maître. Il te fait aller, il te mène, comme on
dit, par le bout du nez, et tu le suis partout où il lui plaît de te conduire.
Il te fait changer en tout ce qu'il veut. En un mot, tu es l'esclave et le jouet
de l'Amour. Et je sais bien pourquoi tu pardonnes aujourd'hui à Ixion, c'est
qu'autrefois toi-même tu as séduit sa femme (11),
qui t'a rendu père de Pirithoüs.
4. JUPITER. Tu te souviens encore des parties de plaisir que je suis descendu
faire sur la terre ? Maintenant sais-tu ce que je veux faire d'Ixion ? Le châtier,
non pas, ni le renvoyer de notre table. Ce ne serait pas poli. Puisqu'il est sérieusement
amoureux, puisqu'il pleure, dis-tu, et souffre des maux cruels...
JUNON. Que vas-tu dire ? J'ai peur que tu ne me fasses à ton tour quelque
proposition outrageante.
JUPITER. Pas du tout. Nous allons former avec une nuée un fantôme qui te
ressemble, et, quand le repas sera fini, lorsque l'amour, suivant toute
apparence, le tiendra éveillé, nous porterons ce fantôme et le ferons coucher
près de lui. Ainsi se calmeront ses douleurs, quand il croira tenir l'objet de
sa passion.
JUNON. Fi donc ! Qu'il lui arrive malheur (12),
pour avoir désiré ce qui est au-dessus de lui (13)
!
JUPITER. Laisse un peu faire, Junon. Qu'as-tu à craindre de ce fantôme ?
puisque c'est une nuée qu'Ixion caressera ?
6. JUNON. Oui, mais cette nuée semblera être moi-même, et la honte retombera
sur moi, à cause de la ressemblance.
JUPITER. Ce que tu dis ne signifie rien. Jamais une nuée ne pourra être Junon,
ni Junon une nuée. Ixion tout seul sera bien attrapé.
JUNON. C'est juste. Seulement, comme tous les hommes sont mal élevés, il se
vantera sans doute, une fois redescendu sur la terre, et ira disant partout
qu'il a obtenu les faveurs de Junon et partagé la couche de Jupiter. Peut-être
même dira-t-il que je l'aime, et les autres le croiront, ne sachant pas qu'il
n'a caressé qu'une nuée.
JUPITER. Alors, s'il tient de semblables propos, je le plonge dans les Enfers,
je l'attache à une roue qui tournera sans cesse. Je lui inflige un supplice éternel,
et il portera la peine, non de son amour, la faute est légère, mais de sa
jactance.
7
APOLLON ET VULCAIN (14)
VULCAIN.
Tu as vu, Apollon, l'enfant que Maia vient de mettre au monde. Comme il est
gentil, souriant à tout le monde ! Il annonce déjà qu'il deviendra quelque
chose de bon.
APOLLON. Comment pourrai-je l'appeler enfant et en attendre quelque chose de
bon, quand il est plus vieux que Japet pour la malice ?
VULCAIN. Eh ! quel mal peut avoir fait un enfant qui vient de naître ?
APOLLON. Demande à Neptune, dont il a volé le trident ou à Mars, dont il a
tiré secrètement l'épée hors du fourreau, sans parler de moi, qu'il a désarmé
de mon arc et de mes flèches.
2. VULCAIN. C'est le nouveau-né qui a fait tout cela, lui qui pouvait à peine
se remuer dans les langes ?
APOLLON. Tu le sauras, Vulcain, pour peu qu'il s'approche de toi.
VULCAIN. Il s'en est déjà approché.
APOLLON. Eh bien ! As-tu tous tes outils ? N'en as-tu point perdu ?
VULCAIN. Je les ai tous, Apollon.
APOLLON. Malgré cela regarde bien.
VULCAIN. Par Jupiter ! je ne vois pas mes tenailles !
APOLLON. Va, tu les trouveras dans les langes du nouveau-né.
VULCAIN. Comme il a la main preste ! Il s'est donc exercé à voler dans le
ventre de sa mère ?
3. APOLLON. Mais tu ne l'as pas entendu parler. C'est un caquet, un flux de
paroles ! Et puis, il veut déjà nous servir. Hier, il a défié l'Amour à la
lutte, et l'a renversé sur-le-champ en lui donnant je ne sais quel
croc-en-jambe, et pendant qu'on le félicitait, il a volé la ceinture de Vénus,
qui l'embrassait à cause de sa victoire, ainsi que le sceptre de Jupiter, qui
éclatait de rire. Enfin, si la foudre n'avait pas été trop lourde et trop brûlante,
il l'aurait aussi emportée.
VULCAIN. Tu nous parles d'un enfant bien alerte
APOLLON. Ce n'est pas tout, il est encore musicien.
VULCAIN. Et comment peux-tu en juger ?
4. APOLLON. Il a trouvé quelque part une tortue morte, et il en a fabriqué un
instrument, en y adaptant un manche, une traverse, plusieurs chevilles qu'il y a
fixées, et une table au-dessus de laquelle il a placé sept cordes. Avec cela,
Vulcain, il fait entendre des sons agréables et harmonieux, au point de me
rendre jaloux, moi depuis longtemps exercé à jouer de la cithare. Maïa disait
encore qu'il ne reste pas la nuit dans le ciel, mais qu'entraîné par la
curiosité il descend aux Enfers, pour y voler sans doute. En effet il a des
ailes, et il s'est fait une baguette d'une vertu merveilleuse, à l'aide de
laquelle il conduit les âmes et fait descendre les morts.
VULCAIN. C'est moi qui la lui ai donnée pour s'amuser.
APOLLON. Et, pour te remercier, il t'a volé tes tenailles.
VULCAIN. Tu as bien fait de me le rappeler, et je vais aller les reprendre, si
toutefois, comme tu dis, je les retrouve dans ses langes.
8
VULCAIN ET JUPITER
VULCAIN.
Que faut-il que je fasse, Jupiter ? J'arrive, sur ton ordre, armé d'une hache
bien affilée et qui pourrait, au besoin, couper une pierre d'un seul coup.
JUPITER.À merveille, Vulcain. Fends-moi la tête en deux.
VULCAIN. Tu veux m'éprouver ? Ou bien es-tu fou ? Donne-moi un ordre sérieux,
dis ce que tu veux que je fasse !
JUPITER. Je te l'ai dit : fends-moi la tête. Si tu désobéis, tu éprouveras
une seconde fois ma colère (15). Mais il faut
frapper de toutes tes forces, et sans tarder. Je ne puis vivre avec les douleurs
qui me déchirent le cerveau.
VULCAIN. Prends garde, Jupiter, que nous n’allions faire une mauvaise besogne.
Ma hache est affilée. Elle te fera venir du sang et ne t'accouchera pas à la
façon de Lucine.
JUPITER. Frappe toujours, Vulcain. Ne crains rien, je sais ce qu'il me faut.
VULCAIN. C'est malgré moi, mais je vais frapper, car que faire, quand tu
l'ordonnes ? ... Que vois-je ? Une jeune fille armée de pied en cap ! Tu avais
là, Jupiter, un grand mal de tête ! Il n'est pas étonnant que tu te sois
montré irascible, quand tu portais toute vivante, sous la membrane de ton
cerveau, une jeune fille de cette taille, et cela, tout armée. Nous ne savions
pas que tu avais un camp au lieu de tête. Mais vois donc, elle saute, danse la
pyrrhique (16), agite son bouclier, brandit sa
lance, est saisie d'enthousiasme. Ce qui est plus fort, c’est qu'elle est
devenue tout à coup fort belle et bonne à marier. Il est vrai qu'elle a les
yeux gris (17), mais son casque embellit ce défaut.
Ainsi, Jupiter, pour prix de l'accouchement, donne-la-moi pour épouse.
JUPITER. Tu me demandes l'impossible, Vulcain. Elle veut rester toujours vierge.
Moi, cependant, je ne m'oppose pas à ce que tu désires.
VULCAIN. C'est tout ce que je demandais. Le reste est mon affaire, je vais
l'enlever.
JUPITER. Fais-le, si tu veux, mais je sais que tu veux l'impossible.
9
NEPTUNE, MERCURE
1.
NEPTUNE. Peut-on, Mercure, entrer maintenant chez Jupiter ?
MERCURE. Non, Neptune !
NEPTUNE. Annonce-moi toujours.
MERCURE. Ne me presse pas davantage, te dis-je. Le moment est mal choisi, et tu
ne le peux voir en cet instant.
NEPTUNE. Est-ce qu'il est auprès de Junon ?
MERCURE. Non. C'est tout autre chose.
NEPTUNE. J'entends. Ganymède est là dedans.
MERCURE. Tu te trompes, Jupiter est malade.
NEPTUNE. Quelle est sa maladie, Mercure ? Ce que tu dis est étonnant.
MERCURE. J'ai honte de te le dire, mais c'est comme cela.
NEPTUNE. Il ne faut pas te gêner avec moi, qui suis ton oncle.
MERCURE. Eh bien ! Neptune, il vient d'accoucher tout à l'heure.
NEPTUNE. D'accoucher ? Lui ! Fi donc ! Et par où ? Il nous a donc caché qu'il
fût des deux sexes. Mais son ventre ne nous avait jamais fait présumer une
grossesse.
MERCURE. Tu as raison. Aussi n'était-ce pas là qu'il portait son enfant.
NEPTUNE. Je comprends. Il sera encore accouché par la tête, comme pour
Minerve. Il a la tête féconde !
MERCURE. Pas du tout. C'est dans la cuisse qu'il portait l'enfant qu'il a eu de
Sémélé (18).
NEPTUNE. Ô l'excellent dieu, qui porte des enfants et accouche de tous les côtés
l Et quelle est cette Sémélé ?
2. MERCURE. Une Thébaine, une des filles de Cadmus. Il a eu commerce avec elle
et l'a rendue grosse.
NEPTUNE. Et puis après, Mercure, il est accouché pour elle ?
MERCURE. Justement, tout étrange que cela te paraît, Junon, dont tu sais
l'humeur jalouse, étant descendue chez Sémélé, lui persuada de prier Jupiter
de la venir voir avec ses tonnerres et ses éclairs. Jupiter consentit, arriva
la foudre en main, mit le feu au toit, et Sémélé périt dans l'incendie. Il
m'ordonna alors de fendre le ventre de cette femme et de lui apporter l'embryon
imparfait, qui n'avait encore que sept mois. J'obéis, il s'ouvrit la cuisse et
y déposa l'enfant jusqu'à ce qu'il vînt à terme. Aujourd'hui que le troisième
mois est arrivé, il l’a mis au monde, et les douleurs de l'accouchement l'ont
rendu malade.
NEPTUNE. Où l'enfant est-il donc à présent ?
MERCURE. Je l'ai porté à Nysa (19), et donné à
élever aux nymphes, sous le nom de Dionysos (20).
NEPTUNE. Par conséquent, Jupiter est tout à la fois le père et la mère de ce
Dionysos.
NEPTUNE. Naturellement. Mais je m'en vais lui porter de l'eau pour laver la
blessure, et lui faire tout ce qui se fait, en pareil cas, à une nouvelle
accouchée.
10
MERCURE ET LE SOLEIL
1.
MERCURE. Soleil, ne monte sur ton char, c'est Jupiter qui l'ordonne (21),
ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain, mais reste chez toi. Pendant tout
ce temps, il n'y aura qu'une seule nuit, bien longue. Fais donc dételer tes
chevaux par les Heures, éteins ton feu, et jouis de ce long repos.
LE SOLEIL. Voilà qui est nouveau, Mercure, et tu me donnes des ordres un peu étranges
! Est-ce que, dans ma course, je me suis écarté de la route voulue ? Est-ce
que j'ai poussé mes chevaux hors de la voie, et Jupiter, irrité, veut-il, à
cause de cela, faire la nuit trois fois plus longue que le jour ?
MERCURE. Nullement, et, il n'en sera pas toujours ainsi. Mais Jupiter a besoin
aujourd'hui d'une nuit plus longue qu'à l'ordinaire.
LE SOLEIL. Où est-il donc et de quel endroit t'envoie-t-il m'apporter de
pareils ordres ?
MERCURE. De la Béotie, mon cher Soleil, de chez Amphitryon, dont il aime la
femme, avec laquelle il est couché.
LE SOLEIL. Eh quoi ? n'a-t-il pas assez d'une nuit ?
MERCURE. Non pas, car de ce commerce doit naître un dieu grand, illustre par de
nombreux travaux, et l'achever en une seule nuit, c'est chose impossible.
2. LE SOLEIL. Qu'il l'achève donc !À la bonne heure ! Mais tout cela, Mercure,
n'arrivait pas du temps de Saturne, entre nous soit dit. Ce dieu passait toutes
ses nuits près de Rhéa, et il n'abandonnait pas le ciel pour aller coucher à
Thèbes. Le jour était le jour, et la nuit durait en proportion des saisons. Il
ne se faisait rien d'étrange, rien d'extraordinaire. Personne n'avait
d'intrigues avec les mortelles. Aujourd'hui, pour une misérable femelle, il
faut tout mettre sens dessus dessous. L'oisiveté va rendre mes chevaux plus rétifs.
Le chemin sera plus difficile, en restant trois jours sans être pratiqué, et
les hommes auront le malheur de rester dans les ténèbres. Voilà le fruit
qu'ils retireront des amours de Jupiter. Ils attendront assis dans une longue
obscurité que Jupiter ait achevé l'athlète dont tu parles.
MERCURE. Tais-toi, Soleil, de peur que ta langue ne te cause malheur. Moi, je
m'en vais auprès de la Lune et du Sommeil leur annoncer les ordres de Jupiter,
et dire à l'une de ne marcher qu'à petits pas, et au Sommeil de ne pas lâcher
les hommes, de peur qu'ils ne s'aperçoivent de l'excessive durée de la nuit.
11
VÉNUS ET LA LUNE
1.
VÉNUS. Que dit-on de vous, chère Lune ? Que, lorsque vous êtes en Carie, vous
arrêtez votre char pour contempler d'en haut le chasseur Endymion (22)
dormant à la belle étoile, que parfois même, an milieu de votre course, vous
descendez vers lui ?
LA LUNE. Demande, Vénus, à ton fils. C'est lui qui en est la cause.
VÉNUS. Ah ! c'est un insolent ! Que de tours ne m'a-t-il pas joués, à moi sa
mère ? Ne m'a-t-il pas fait descendre tantôt sur le mont Ida pour Anchise
d'Ilion, tantôt sur le Liban, vers ce jeune Assyrien (23)
qu'il a rendu également aimable aux yeux de Proserpine, si bien qu'il m'a ravi
la moitié de mes amours ? Je l'ai souvent menacé, s'il continuait d'agir
ainsi, de briser son arc et son carquois, et de lui couper les ailes. Une fois même
je l'ai claqué sur le derrière avec ma pantoufle, mais je ne sais comment lui,
si effrayé, si suppliant au moment même, a tout oublié l'instant d'après.
2. Mais dis-moi, ton Endymion est-il beau ? C'est une consolation dans les
tribulations amoureuses.
LA LUNE. Pour moi, Vénus, je le trouve charmant, surtout lorsque, s'étant fait
un lit de sa tunique étendue sur une pierre, il repose, tenant de la main
gauche des traits près de lui échapper, tandis que la droite, recourbée sur
sa tête, encadre avec grâce son joli visage (24).
Quand il est ainsi plongé dans le sommeil, sa bouche exhale une haleine
d'ambroisie. C'est alors que je descends à petit bruit, marchant sur la pointe
du pied, de peur de l'éveiller en sursaut et de l'effrayer. Tu connais ces
sortes d'instants. Qu'ai-je besoin de te dire le reste, sinon que je meurs
d'amour ?
12
VÉNUS ET L'AMOUR (25)
1.
VÉNUS. Amour, mon fils, vois ce que tu fais. Je ne parle pas de ce qui a lieu
sur la terre ni des excès où tu entraînes les hommes soit contre eux-mêmes,
soit les uns contre les autres, mais de ce qui se passe dans le ciel. Tu nous
montres Jupiter sous mille formes, tu lui imposes le changement qu'il te plaît.
Tu fais descendre la Lune du ciel, tu forces le Soleil à s'arrêter quelquefois
chez Clymène (26), où il oublie de donner l'essor
à son char, sans compter les outrages dont tu m'accables, moi, ta mère, avec
une audace... Enfin, scélérat, tu vas jusqu'à inspirer à Rhéa, cette
vieille déesse, cette mère de tant de dieux, un tendre amour pour un enfant,
une vive passion pour ce jeune garçon de la Phrygie (27).
La voilà tout affolée par toi, attelant ses lions, se faisant suivre des
Corybantes (28), aussi fous qu'elle, et parcourant l'Ida tous
ensemble du haut en bas, elle, appelant à grands cris son Atys, les Corybantes,
se pratiquant des incisions aux coudes ou courant furieux, les cheveux épars,
au travers des montagnes, sonnant de la corne, battant du tambour, frappant des
cymbales. Ce n'est que bruit et frénésie par tout te mont Ida. Aussi je
crains, moi qui ai donné le jour à un monstre comme toi, que Rhéa, dans un
accès de fureur, ou plutôt de bon sens, n'ordonne aux Corybantes de sauter sur
toi, de te mettre en pièces ou de te livrer aux lions. Je tremble de te voir
exposé à un pareil danger.
2. L'AMOUR. Rassure-toi, ma mère, je suis déjà familier avec les lions.
Souvent je monte sur leur dos, les saisis par la crinière, et les conduis comme
une monture. Eux, de leur côté, me caressent de leur queue, reçoivent ma main
dans leur gueule, la lèchent et me permettent de la retirer. Quant à Rhéa,
comment aurait-elle le temps de songer à moi, tout occupée qu'elle est de son
Atys ? D'ailleurs quel mal fais-je en montrant où est la beauté ? Vous-mêmes,
déesses, n'aimez-vous pas ce qui est beau ? Ne me le reprochez donc pas. Et
toi, ma mère, voudras-tu cesser d'aimer Mars ou d'en être aimée ?
VÉNUS. Que tu es terrible ! Comme tu es maître de tout ! Cependant songe
quelquefois à ce que je t'ai dit.
13
JUPITER, ESCULAPE, HERCULE
1.
JUPITER. Cessez, Esculape et Hercule, de vous quereller comme des hommes. C'est
inconvenant et indigne de la table des dieux.
HERCULE. Veux-tu donc, Jupiter, que cet empoisonneur soit assis au-dessus de moi
?
ESCULAPE. Hé ! certainement, puisque je vaux mieux.
HERCULE. Comment cela, cerveau brûlé ? Est-ce parce que Jupiter t'a foudroyé,
pour avoir fait ce que tu ne devais pas faire (29),
et que tu es admis, par pure pitié, à partager de nouveau notre destin
immortel ?
ESCULAPE. Tu oublies, Hercule, que tu as été brûlé sur l'Oeta, toi qui me
reproches d'avoir passé par le feu.
HERCULE. Avec cela que nous avons vécu de la même manière ! Fils de Jupiter,
j'ai accompli de prodigieux travaux, purgeant le monde, luttant contre les
monstres, punissant les brigands qui outrageaient l'humanité. Toi, tu n'es
qu'un herboriste, un charlatan, bon tout au plus pour appliquer des remèdes aux
malades, et qui n'as jamais rien fait de viril.
2. ESCULAPE. Tu as raison, et c'est moi qui ai guéri tes brûlures, lorsque,
dernièrement, tu es monté ici, le corps rôti d'un côté par la tunique du
Centaure, et de l'autre par le feu du bûcher. Mais quand je n'aurais rien autre
chose à dire, je n'ai pas été esclave comme toi, je n'ai pas cardé de laine
en Lydie (30), vêtu d'une robe de pourpre,
recevant des coups de la sandale dorée d'Omphale, et surtout, dans un accès de
fureur, je n'ai pas tué mes enfants et ma femme (31).
HERCULE. Si tu ne fais trêve à tes insolences, tu sauras bientôt que ton
immortalité n'empêchera pas que je ne te saisisse et ne te jette du haut du
ciel la tête la première, et si bien que Péan lui-même ne pourra guérir ton
crâne fracassé (32).
JUPITER. Cessez, vous dis-je, et ne troublez pas la réunion, autrement je vous
mets à la porte. Toutefois, il est juste, Hercule, qu'Esculape se place à
table au-dessus de toi, puisqu'il est mort le premier !
14
MERCURE ET APOLLON
1.
MERCURE. D’où te vient cet air triste, Apollon ?
APOLLON. C'est, Mercure, que je suis bien malheureux en amours !
MERCURE. Juste sujet de tristesse, en effet. Mais quel est le motif de ton
malheur ? Daphné cause-t-elle encore tes peines ?
APOLLON. Non, je regrette le Lacédémonien, fils d'Oebalus.
MERCURE. Hyacinthe est donc mort, dis-moi !
APOLLON. Hélas ! oui.
MERCURE. Et qui l'a tué, Apollon ? Qui peut avoir eu le coeur assez dur pour
tuer un aussi joli garçon ?
APOLLON. C'est moi qui ai commis ce meurtre.
MERCURE. Étais-tu donc fou ?
APOLLON. Non, ce malheur est involontaire.
MERCURE. Comment cela ? Je désire entendre le récit de cette aventure.
2. APOLLON. Il apprenait à lancer le disque (33),
et je le lançais avec lui, lorsque Zéphyr, le pire des vents, qui depuis
longtemps aimait Hyacinthe, mais en était méprisé, outré de ce mépris,
profite du moment où, selon l'ordinaire, je jetais le disque en l'air, se met
à souffler du mont Taygète et dirige le disque sur la tête du pauvre enfant.
Le coup fait jaillir le sang en abondance, et l'enfant expire sur-le-champ. Je
me suis vengé de Zéphyr en le poursuivant à coups de flèches, tandis qu'il
fuyait vers la montagne. J'ai élevé au jeune garçon un tombeau à Amyclée (34),
au lieu même où le disque l'a frappé, et de son sang j'ai fait produire à la
terre la plus agréable, Mercure, et la plus charmante des fleurs, ornée de
lettres qui témoignent mes regrets de cette mort. Ma douleur maintenant te
semble-t-elle déraisonnable ?
MERCURE. Oui, Apollon, car tu savais bien que l'objet de ta tendresse était
mortel. Ne te chagrine donc pas de sa mort.
15
MERCURE ET APOLLON
1.
MERCURE. Ce boiteux (35), ce vil artisan que tu
sais, Apollon, ne vient-il pas d'épouser Vénus et l'une des Grâces (36)
?
APOLLON. Heureuse faveur du destin, cher Mercure ! Mais ce qui m'étonne le
plus, c'est qu'elles aient le courage de coucher avec lui, lorsqu'elles le
voient tout dégouttant de sueur, penché sur sa forge, le visage tout noirci de
fumée. En cet état elles l'embrassent, le caressent et dorment à ses côtés.
MERCURE. Voilà ce qui m'indigne, et j'envie le sort de ce Vulcain. Soigne ta
chevelure, Apollon, joue de la cithare, sois fier de ta beauté, et moi de ma
belle attitude et de ma lyre. Puis, quand il s'agira de se coucher, nous irons
dormir seuls.
2. APOLLON. Pour ma part, je ne suis pas heureux en amour de deux personnes que
j'ai le plus tendrement aimées, Daphné et Hyacinthe, l'une me fuit et me déteste
au point d'aimer mieux se voir changée en arbre qu'avoir commerce avec moi,
l'autre, je le tue d'un coup de disque, et maintenant, à leur place, je ne possède
plus que des couronnes.
MERCURE. Moi, jadis j'ai possédé Vénus, mais je n'ai pas lieu d'en être
fier.
APOLLON. Je le sais, et l'on raconte qu'elle a eu de toi Hermaphrodite. Mais
dis-moi, si tu le sais, comment il se fait que Vénus ne soit pas jalouse d'Aglaé,
ni Aglaé de Vénus.
3. MERCURE. C'est, Apollon, que l'une habite avec Vulcain dans Lemnos, et Vénus
dans le ciel. D'ailleurs, celle-ci est tellement occupée de son amour pour
Mars, qu'elle se soucie fort peu de son forgeron.
APOLLON. Mais crois-tu que Vulcain se doute de cette intrigue ?
MERCURE. Il la connaît. Seulement, que faire contre un jeune homme, brave, et
soldat de son métier ? Aussi se tient-il tranquille. Il menace cependant de
fabriquer pour eux certains liens et de les y prendre, en enveloppant leur lit
d'un filet.
APOLLON. Je ne sais, mais je voudrais bien être celui qu'il y prendra.
16
JUNON ET LATONE
1.
JUNON. Ils sont fort beaux, Latone, les enfants que tu as donnés à Jupiter.
LATONE. Nous ne pouvons pas toutes, Junon, en faire qui ressemblent à Vulcain.
JUNON. Mais, tout boiteux qu'il est, il a son utilité. C'est un excellent
ouvrier, il a bien décoré le ciel, il a épousé Vénus, et elle le tient en
grande estime. Quant à tes enfants, ta fille est un peu trop mâle, trop
montagnarde, et enfin, lorsqu'elle va en Scythie, tout le monde sait quels repas
elle y fait des étrangers qu'elle égorge, à l'exemple des Scythes
anthropophages. Pour Apollon, il fait montre de tout savoir, tirer de l'arc,
jouer de la cithare, exercer la médecine, prédire l'avenir, et dans les
boutiques d'oracles qu'il a établies à Delphes, à Claros et à Didyme, il
trompe ceux qui l'interrogent, en donnant à leurs demandes des réponses ambiguës
et à double sens, de sorte qu'il ne risque jamais de se tromper. Par ce moyen,
il grossit sa fortune, car il y a beaucoup de sots qui se laissent prendre à
ses impostures. Seulement, les sages n'ignorent pas que la plupart du temps,
c'est un menteur. Ainsi ce devin n'a pas deviné qu'il tuerait son amant avec un
disque et que Daphné le fuirait, lui, si beau, orné de si longs cheveux. D'après
cela, je ne vois pas pourquoi tu as la réputation d'avoir fait de plus beaux
enfants que Niobé.
2. LATONE. Ces enfants, cependant, et cette fille qui tue les étrangers, et ce
devin menteur, sont, je le sais, la cause de, ton chagrin, parce que tu les vois
au nombre des dieux, et surtout parce que la beauté de l'une lui attire toutes
les louanges, tandis que la cithare de l'autre excite dans les festins
d'unanimes applaudissements.
JUNON. Tu me fais rire, Latone. C'est un fameux musicien, celui que Marsyas
vainqueur, si les Muses avaient prononcé un jugement équitable, aurait dû écorcher
vif, mais le malheureux, indignement trompé, est mort condamné par une
sentence inique (37). Et ta fille, que tu dis si
belle, elle est si belle, en effet, qu'à peine s'est-elle aperçue qu'elle a été
vue par Actéon (38), la voilà, dans la crainte
que ce jeune homme ne révèle sa laideur, qui lâche les chiens sur lui ! Je ne
rappelle pas qu'elle ne viendrait pas si bien en aide aux accouchées, si elle
était vierge.
LATONE. Tu es fière, Junon, de partager la couche et le trône de Jupiter.
C'est pour cela que tu m'outrages impunément, mais bientôt je te verrai verser
des larmes, quand ton mari, te délaissant, descendra sur la terre transformé
en taureau ou en cygne.
17
APOLLON ET MERCURE (39)
1.
APOLLON. Pourquoi ris-tu, Mercure ?
MERCURE. Parce que je viens de voir, Apollon, une chose des plus risibles.
APOLLON. Dis-la-moi, afin que je puisse en rire avec toi.
MERCURE. Vénus et Mars viennent d'être pris couchés ensemble, et Vulcain les
a tous deux enveloppés dans un filet.
APOLLON. Comment cela ? Ce que tu racontes est piquant.
MERCURE. Depuis longtemps, je pense, Vulcain, se doutant du jeu, les épiait. Il
avait posé autour du lit des liens invisibles, et s'en était allé travailler
à sa forge. Bientôt Mars entre, croyant n'avoir été vu de personne, mais le
Soleil, qui l'avait aperçu, va le dire à Vulcain. Quand les deux amants, montés
sur le lit, se furent mis à l'oeuvre, et, pris dans les filets, ils se furent
enlacés dans les liens, Vulcain arriva. Vénus, qui était nue, ne savait
comment se couvrir, toute honteuse. Mars essaya d'abord de fuir, espérant
briser les liens, mais se voyant pris sans issue, il recourait aux prières.
2. APOLLON. Eh bien, Vulcain les a-t-il relâchés ?
MERCURE. Non pas. Il appelle tous les dieux et les rend témoins de l'adultère.
Les deux amants, nus et les regards baissés, rougissent d'être ainsi liés
ensemble, et ce fut un spectacle délicieux pour moi que celui de l'oeuvre
amoureuse, presque accomplis sous nos regards.
APOLLON. Et le forgeron n'avait pas honte d'étaler ainsi son déshonneur
conjugal ?
MERCURE. Par Jupiter ! Il était là, riant comme les autres.
Pour moi, s'il faut dire le vrai, j'étais jaloux de Mars, en le voyant
non seulement aimé d'une si jolie déesse, mais attaché avec elle.
APOLLON. Te laisserais-tu donc attacher à ce prix ?
MERCURE. Et toi, Apollon, refuserais-tu ? Viens un instant les voir, et je te
louerai fort, si tu ne fais le même souhait après les avoir vus.
18
JUNON ET JUPITER
1.
JUNON. J'aurais honte, Jupiter, d'avoir un fils comme celui-là, si efféminé,
si corrompu par l'ivresse, les cheveux retenus par un ruban, il se plaît à
vivre avec des femmes à moitié folles, qu'il surpasse en mollesse, dansant au
son des tambours, des flûtes et des cymbales (40).
Vraiment, il ressemble à tout autre plutôt qu'à toi, son père.
JUPITER. Cependant ce fils, coiffé comme les femmes, qu'il surpasse en
mollesse, non seulement, Junon, il a soumis la Lydie, pris les habitants du
Tmolus (41) et réduit les Thraces, mais lançant
sur les Indiens ses bataillons féminins, il s’est emparé des éléphants,
s'est rendu maître du pays, et a fait prisonnier le roi qui avait osé lui résister
quelque temps. Et tout en opérant ces prodiges, il a continué de sauter, de
danser, d'avoir en main des thyrses entourés de lierre, de se livrer, comme tu
dis, à l'ivresse et à la folie. De plus, si quelqu'un a essayé de lui dire
des injures et d'insulter à ses mystères, il l'a puni en l'enchaînant dans
les liens de pampre, ou en le faisant déchirer par sa propre mère, comme un
faon (42). Tu vois que ce sont là des actes virils
et dignes de son père. Si maintenant il y mêle des jeux et des plaisirs, on ne
peut lui en faire un crime, surtout en songeant à ce dont il serait capable
sans boire, lui qui fait de pareilles choses après avoir trop bu.
2. JUNON. Il me semble que tu vas aussi vanter sa découverte de la vigne et du
vin, et cela quand tu vois ce que font les gens ivres, quand ils chancellent, se
livrent à l'insolence, et deviennent fous par la boisson. Témoin Icarius (43),
auquel il fit le premier don du pampre, et que tuèrent ses compagnons de table
en l'assommant à coups de pioche.
JUPITER. Ce que tu dis là ne prouve rien. Ce n'est ni le vin ni Bacchus qui
agit ainsi, c'est l'excès de la boisson, c'est l'usage immodéré et honteux du
vin pur. Au contraire, celui qui boit modérément n'en devient que plus gai et
plus aimable, et ce qui est arrivé à Icarius n'arrivera jamais à de tels
buveurs. C'est un reste de jalousie, Junon, qui te vient du souvenir de Sémélé,
et te fait blâmer les belles qualités de Bacchus.
19
VÉNUS ET L'AMOUR
1.
VÉNUS. Pourquoi donc, Amour, toi qui as vaincu tous les autres dieux, Jupiter,
Neptune, Apollon, Rhéa, et moi, ta mère, épargnes-tu la seule Minerve ?
Contre elle ton flambeau n'a-t-il pas de feux, ton carquois est-il vide de flèches,
n’as-tu plus d'arc, ne sais-tu plus décocher un trait ?
L'AMOUR. J'ai peur d'elle, ma mère. Elle est effrayante, son oeil est terrible,
son air imposant et mâle. Chaque fois que je m'avance contre elle pour lui
lancer une flèche, elle m'effraye en agitant son aigrette, je deviens tout
tremblant, et les traits s'échappent de mes mains.
VÉNUS. Est-ce que Mars n'est pas plus terrible ? Et cependant tu l'as désarmé
et vaincu.
L'AMOUR. Oui, mais il vient de lui-même au-devant de mes coups, il les appelle.
Minerve, au contraire, me regarde toujours avec défiance. Un jour même que,
par hasard, je volais auprès d'elle, tenant mon flambeau : "Si tu
m'approches, dit-elle, j'en jure par mon père, je te perce de ma lance, je te
prends par le pied, et te précipite dans le Tartare ou je te déchire de mes
mains pour te faire périr." Telles sont ses menaces sans fin, et en même
temps elle jette sur moi des regards furieux. Elle a en outre, sur la poitrine
une tête hideuse, dont la chevelure est de vipères, et qui me cause le plus
grand effroi. Je crois voir un spectre, et je fuis dès que je l'aperçois.
2. VÉNUS. Ainsi tu as peur de Minerve, dis-tu, et de la Gorgone, toi qui ne
redoutes pas la foudre de Jupiter ! Mais pourquoi les Muses n'ont-elles pas
encore été blessées par toi, pourquoi sont-elles à l'abri de tes flèches ?
Agitent-elles aussi des aigrettes ? Te font-elles voir des Gorgones ?
L'AMOUR. Je les respecte, ma mère, car elles sont respectables, toujours en méditation,
toujours occupées de quelque chant, et je m'approche souvent d'elles, séduit
par leurs mélodies.
VÉNUS. Laisse-les donc en repos, puisqu'elles sont si respectables. Mais
pourquoi ne blesses-tu pas Diane ?
L'AMOUR. D'abord, c'est qu'il n'est pas facile de l'atteindre. Elle fuit
toujours à travers les montagnes. Ensuite elle a depuis longtemps un autre
amour au coeur.
VÉNUS. Et lequel, mon fils ?
L'AMOUR. Celui de la chasse, des cerfs, des faons, à la poursuite desquels elle
s'élance, pour les percer de ses flèches. Elle est tout entière à cette
passion. Quant à son frère, qui est aussi un archer, et qui lance au loin ses
traits (44)...
VÉNUS. J'entends, mon fils, tu l'as souvent percé de tes flèches.
20
LE JUGEMENT DES DÉESSES (45)
JUPITER, MERCURE, JUNON, MINERVE, VÉNUS, PÂRIS ou ALEXANDRE
1.
JUPITER. Mercure, prends cette pomme, descends en Phrygie vers le fils de Priam,
qui garde ses boeufs sur l'Ida, auprès du Gargarus, et dis-lui : "Pâris,
Jupiter t'ordonne, parce que tu es beau et connaisseur en amour, de prononcer
entre ces déesses laquelle est la plus belle. Que celle qui remportera la
victoire reçoive cette pomme pour prix du combat." Allons, déesses, il
est temps que vous vous rendiez auprès de votre juge. Quant à moi, je me récuse,
vu que je vous aime également toutes trois, et que, s'il était possible, je
vous verrais volontiers toutes trois victorieuses. Or, il ne peut manquer
d'arriver que celui qui donnera le prix à l'une de vous devienne odieux aux
deux autres. Aussi je suis fort mauvais juge de votre différend, tandis que ce
jeune Phrygien, devant qui je vous renvoie, est de race royale, parent de notre
Ganymède, simple habitant des montagnes, et digne de jouir d'un si beau
spectacle.
2. VÉNUS. Pour moi, Jupiter, quand tu nous donnerais Momus même pour arbitre,
j'irais avec confiance m'exposer à ses yeux car que pourrait-il reprendre (46)
en moi ? Mais il faut que le juge plaise aussi à ces dames.
JUNON. Nous ne craignons rien non plus, Vénus, quand même ton Mars serait
choisi pour nous juger, mais nous acceptons ce Pâris, quel qu'il soit.
JUPITER. Est-ce aussi ton avis, ma fille ? Qu'en dis-tu ? Tu détournes la tête,
tu rougis ? C'est votre habitude de rougir en pareil cas, vous autres vierges :
tu consens, toutefois. Allez donc, mais que les vaincues ne s'emportent pas
contre le juge et ne fassent aucun mal à ce jeune berger, car il n'est pas
possible que vous soyez toutes également belles.
3. MERCURE. Allons directement en Phrygie. Je vais vous montrer le chemin,
suivez-moi promptement, et du courage ! Je connais Pâris. C'est un gentil garçon,
d'un naturel amoureux, et fort propre à trancher ces sortes de questions. Il ne
jugera pas à la légère.
VÉNUS. Je suis ravie de cela, et j'espère, quand j'entends dire que nous avons
un juge équitable. Mais est-il célibataire ou a-t-il une femme avec lui ?
MERCURE. Il n'est pas tout à fait célibataire, Vénus.
VÉNUS. Comment cela ?
MERCURE. Je crois qu'il y a chez lui une femme du mont Ida (47),
assez avenante, mais un peu rustique et montagnarde, à laquelle du reste il ne
semble pas fort attaché. Pourquoi me fais-tu ces questions ?
VÉNUS. C'est sans aucun dessein.
4. MINERVE. Tu manques aux devoirs d'ambassadeur, hé ! l'envoyé, en causant à
part avec celle-ci.
MERCURE. Pas du tout, Minerve. Je ne fais rien qui puisse vous nuire. Elle me
demandait si Pâris est célibataire.
MINERVE. Pourquoi cette question indiscrète ?
MERCURE. Je n'en sais rien. Elle m'a dit que cette idée lui avait traversé
l'esprit, et qu'elle m'avait fait la question sans dessein.
MINERVE. Eh bien, est-il célibataire ?
MERCURE. Je ne crois pas.
MINERVE. Mais se plaît-il à la guerre, aime-t-il la gloire, ou bien n'est-ce
qu'un bouvier ?
MERCURE. Je ne puis te le dire précisément, mais tout porte à croire qu'étant
jeune il peut souhaiter d'avoir ces qualités brillantes et désirer d'être le
premier dans les combats.
MINERVE. Tu le vois ! Moi, je ne me fâche pas, je ne récrimine pas de ce que
tu causes en particulier avec elle. Vénus n’est pas d'humeur à se plaindre
de cela.
MERCURE. Elle me faisait presque la même demande que toi. Aussi ne t'emporte
pas et ne crois pas être moins favorisée, car je lui répondais aussi sincèrement
qu'à toi.
5. Mais tout en devisant, nous voilà bien loin des étoiles. Nous sommes
presque arrivés en Phrygie. J'aperçois même Ida et le Gargarus tout entier.
Si je ne me trompe, voici votre juge, Pâris.
JUNON. Où est-il ? Je ne le vois pas.
MERCURE. Par ici, Junon, regarde à gauche. Pas au haut de la montagne, sur la
pente, où tu vois un antre et un troupeau.
JUNON. Mais je ne vois pas de troupeau.
MERCURE Comment ? Tu ne vois pas, dans la direction de mon doigt, des génisses
qui sortent du milieu des rochers, et un homme qui descend en courant, une
houlette à la main, pour empêcher le troupeau de s'écarter ?
JUNON. Je vois à présent. Est-ce donc là Pâris ?
MERCURE. Lui-même ! Mais puisque nous voici près de terre, marchons à pied,
si vous voulez bien, pour ne pas l'effrayer en nous abattant tout à coup devant
lui.
JUNON. Tu as raison, faisons comme tu dis. Et maintenant que nous sommes
descendues, c'est à toi, Vénus, de nous indiquer la route. Je crois, en effet,
que tu connais le pays, pour être venue souvent, dit-on, visiter Anchise.
MERCURE. Je ne suis pas beaucoup touchée, Junon, de tes plaisanteries.
6. MERCURE. C'est moi qui vous montrerai le chemin, et moi aussi j'ai séjourné
quelque temps sur l'Ida, à l'époque où Jupiter s'éprit de son jeune
Phrygien, et je suis venu souvent ici pour épier l'enfant. Et lorsque mon père
se changea en aigle, je volai près de lui et l'aidai à soulever le jouvenceau.
Ce fut, si j'ai bonne mémoire, de dessus cette roche qu'il l'enleva. Notre
berger était alors occupé à jouer de la flûte près de son troupeau.
Jupiter, s'abattant derrière lui, l'entoura légèrement de ses bras, et
mordant de son bec le ruban qu'il avait à la tête, il enleva l'enfant, qui
tout tremblant retournait la tête pour regarder son ravisseur, et moi je
ramassai la flûte que la peur lui avait fait jeter par terre... Mais nous voici
près de notre juge, il faut lui adresser la parole.
7. Salut, berger.
PÂRIS. Salut aussi, jeune homme. Qui es-tu ? Qui te conduit vers nous ? Quelles
sont ces femmes que tu amènes ? Elles ne sont pas faites pour demeurer dans les
montagnes, à les voir aussi belles.
MERCURE. Ce ne sont pas des femmes : c'est Junon, c'est Minerve, c’est Vénus
que tu vois, ô Pâris ! et je suis Mercure que Jupiter envoie vers toi... Mais
pourquoi trembler ? Pourquoi pâlir ? Sois sans crainte, on ne fera rien qui te
déplaise. Jupiter veut que tu sois juge de leur beauté, parce que, dit-il, tu
es beau toi-même, et connaisseur en amour. Il te confie la décision du différend.
Tu sauras le prix du combat en lisant ce qui est écrit sur cette pomme.
PÂRIS. Donne, que je voie ce qu'il en est : "A la plus belle !"
Comment, souverain Mercure, pourrai-je, moi, simple mortel, habitant des
campagnes, devenir juge d’un spectacle si merveilleux et trop beau pour un
berger ? Un tel jugement est fait pour des gens délicats et façonnés aux manières
de la ville. Pour moi, à peine suis-je capable de bien juger si une chèvre ou
une génisse est plus belle qu'une autre.
8. Mais ces trois déesses sont également belles, et je ne sais comment on peut
détacher ses regards de l'une pour les porter sur l'autre. Où que se soit fixé
le premier coup d'oeil, il ne peut aisément s'en séparer, il s'y arrête, et
se plaît à ce qu'il y rencontre, puis, quand il passe autre part, il y trouve
le même charme, y demeure, et se sent captivé par tout ce qui l'environne.
Enfin la beauté de ces déesses pénètre et enveloppe toute mon âme, si bien
que je regrette de ne pouvoir, comme Argus. regarder de toutes les parties de
mon corps. Il me semble que je rendrais un jugement équitable en leur donnant
à toutes trois la pomme. D'ailleurs, l'une est soeur et femme de Jupiter, les
deux autres sont ses filles : le moyen que le jugement en pareil cas ne soit pas
difficile à porter ?
MERCURE. Je ne sais, mais il n'est pas possible d'éluder les ordres de Jupiter.
9. PÂRIS. Au moins, Mercure, persuade bien à ces déesses que les deux
vaincues ne m'en veuillent point, mais qu'elles ne s'en prennent qu'à l'erreur
de mes yeux.
MERCURE. Elles y consentent, mais voici le moment de procéder au jugement.
PÂRIS. Essayons ! Comment s'y refuser ? Pourtant je veux savoir d'abord s'il
convient de les examiner comme elles sont, ou s'il faut qu'elles se déshabillent,
pour que l'examen soit complet.
MERCURE. C'est l'affaire du juge. Ordonne ce qu'il te plaît.
PÂRIS. Ce qu'il me plaît ? Il me plaît de les voir nues.
MERCURE. Déshabillez-vous, déesses. Toi, examine, moi, je détourne la tête.
10. VÉNUS. Très bien, Pâris, et je serai la première à me déshabiller,
pour que tu voies que je n'ai pas seulement les bras blancs, que je ne me vante
pas outre mesure d'avoir de grands yeux (48), mais
que je suis également belle en tout et partout.
MINERVE. Pâris, qu'elle ne se déshabille point avant d'avoir ôté sa
ceinture. C'est un talisman à l'aide duquel elle pourrait bien te séduire.
D'ailleurs il ne fallait pas qu'elle vînt ainsi parée, le visage tout enluminé,
comme une courtisane, mais quelle montrât sa beauté toute nue.
PÂRIS. Elles ont raison à l'égard de votre ceinture, ôtez-la.
VÉNUS. Eh bien ! Et toi Minerve, que n'ôtes-tu ton casque, pour faire voir ta
tête comme elle est ? Tu agites ton aigrette de manière à effrayer notre
juge. As-tu peur qu'on ne te reproche tes yeux gris, quand on les verra sans ce
casque si terrible ?
MINERVE. Tiens, voilà mon casque ôté.
VÉNUS. Tiens, me voilà sans ceinture.
JUNON. Allons, déshabillons-nous !
11. PÂRIS. Ô Jupiter, dieu des merveilles ! quel spectacle quels charmes !
quelle volupté ! la belle vierge ! et par ici quel port de reine, quel éclat
majestueux, et vraiment digne de Jupiter ! et de ce côté, quel doux regard,
quel sourire gracieux et provoquant ! Je suis au comble du bonheur ! Et
maintenant, s'il vous plaît, je vais vous considérer chacune à part, car en
ce moment, je suis tout indécis et ne sais où fixer mes regards, entraînés
de tous les côtés.
VÉNUS. Obéissons.
PÂRIS. Retirez-vous toutes deux, et vous, Junon, demeurez.
JUNON. Je demeure, et, lorsque tu m'auras considérée avec attention, il te
restera encore à examiner si tu es content des présents qui payeront ton
suffrage. En effet, si tu me déclares la plus belle, tu seras le maître
absolu de toute l'Asie.
PÂRIS. Je ne vends pas mon suffrage. Maintenant retirez-vous. Je prononcerai
selon que je le croirai équitable.
12. Vous, Minerve, approchez.
MINERVE. Me voici. Pâris, si tu me déclares la plus belle, tu ne sortiras
jamais vaincu d'un combat, mais tu seras toujours vainqueur. Je ferai de toi un
guerrier, un conquérant.
PÂRIS. Je n'ai besoin, Minerve, ni de guerre ni de combats. La paix, vous le
voyez, règne en ce moment dans la Phrygie et dans la Lydie. Le royaume de mon père
n'a pas d'ennemis à combattre. Cependant soyez sans crainte,
vos droits ne seront pas méconnus, quoique je ne trafique pas de la
justice. Vous pouvez reprendre vos habits et remettre votre casque. Je vous ai
suffisamment vue. C'est au tour de Vénus de s'approcher.
13. VÉNUS. Me voici près de toi. Examine avec attention et en détail, ne
glisse pas à la légère, mais arrête-toi sur chaque partie de mon corps, et,
si tu le veux bien, charmant jeune homme, écoute ce que je vais te dire. Depuis
longtemps, en te voyant si jeune et si beau, tel enfin que la Phrygie n'en possède
pas un pareil, je te trouve heureux d'avoir tant de charmes, mais j'ai aussi à
te reprocher de ne pas quitter ces montagnes et ces pierres pour aller vivre à
la ville, au lieu de laisser flétrir ta beauté dans un désert. Qu'espères-tu
de ces rochers ? De quoi ta beauté sert-elle à tes génisses ? Tu devrais être
marié, non pas à quelque femme grossière et rustique, mais à une beauté de
la Grèce, d'Argos, de Corinthe ou de Sparte, comme est Hélène, jeune, jolie,
semblable à moi, et, par dessus tout, amoureuse. Si elle t'avait vu seulement
une fois, je suis sûre qu'elle laisserait tout pour se donner à toi, te suivre
et ne te quitter jamais. Mais tu as sans doute entendu parler d'elle.
PÂRIS. Jamais, Vénus. Aussi donc entendrai-je avec plaisir raconter tout ce
que vous en savez.
14. VÉNUS. Elle est fille de Léda, cette belle vers laquelle vola Jupiter
changé en cygne.
PÂRIS. Et comment est-elle ?
VÉNUS. Blanche, puisque un cygne est son père, délicate, puisqu'elle a été
nourrie dans un oeuf, presque toujours nue comme un athlète, et s'exerçant à
la lutte, mais recherchée par tant d'amants qu’elle a causé une guerre,
lorsque Thésée l'enleva toute petite encore (49).
Depuis qu'elle est parvenue à la fleur de la jeunesse, tous les princes de
l'Achaïe sont accourus pour disputer sa main. On a préféré Ménélas, de la
race des Pélopides, mais, si tu veux, je m'arrangerai pour qu'elle soit ton épouse.
PÂRIS. Comment dites-vous ? Une femme mariée !
VÉNUS. Tu es jeune et simple comme au village ! Mais moi, je sais ce qu'il faut
faire pour cela.
PÂRIS. Quoi donc ? Je voudrais le savoir aussi.
16. VÉNUS. Tu vas quitter ton pays, sous prétexte d'aller voir la Grèce,
puis, quand tu seras arrivé à Lacédémone, Hélène te verra. Alors ce sera
mon affaire de la rendre amoureuse de toi et prête à te suivre.
PÂRIS. Je ne puis me décider à croire qu'elle consente à quitter son mari
pour s'embarquer avec un barbare, un étranger.
VÉNUS. Sois tranquille. J'ai deux fils charmants, le Désir et l’Amour. Je te
les donnerai pour te guider dans ton voyage. L'Amour, se glissant dans le coeur
de cette femme, la forcera de t'aimer. Le Désir, répandu sur toute ta
personne, te rendra comme lui désirable et aimable. Moi-même je serai là, je
prierai les Grâces de nous accompagner et tous ensemble nous persuaderons Hélène.
PÂRIS. Qu'adviendra-t-il de tout cela, je l'ignore, Vénus, mais je me sens déjà
tout épris d'Hélène. Je ne sais pourquoi, il me semble déjà la voir,
m'embarquer pour la Grèce, arriver à Sparte, et revenir avec ma maîtresse.
Tout mon regret est de ne pas avoir mieux commencé.
18. VÉNUS. Il ne faut pas t'enflammer, Pâris, avant que celle qui te sert
d'entremetteuse et de médiatrice soit récompensée par un jugement favorable.
Il est juste que je figure auprès te vous avec un air triomphant, et que je célèbre
à la fois votre mariage et ma victoire. C'est à toi d'acheter aujourd'hui
l'amour, la beauté, cet hymen, pour une pomme.
PÂRIS. Je crains que vous ne m'oubliiez après le jugement.
VÉNUS. Veux-tu donc que je jure ?
PÂRIS. Non, mais promettez-moi une seconde fois.
VÉNUS. Je te promets de te donner Hélène pour femme, de l'engager à te
suivre et à retourner avec toi à Ilion, et moi, je serai là et te seconderai
dans l'entreprise.
PÂRIS. Et vous amènerez l'Amour, le Désir et les Grâces ?
VÉNUS. Sois tranquille, et je prendrai de plus avec eux le Souhait et l'Hymen.
PÂRIS. Eh bien ! à ces conditions, je vous donne la pomme ; la voici !
21
MARS ET MERCURE
1.
MARS. As-tu entendu, Mercure, les menaces de Jupiter ? quelle fierté ! quelle
absurdité ! "Si je le veux, a-t-il dit, je laisserai tomber une chaîne du
haut du ciel, et quand même, suspendus à cette chaîne, vous feriez effort
pour m'entraîner en bas, vous vous lasseriez en vain. Vous ne pourriez la détacher.
Moi, au contraire, si je voulais la soulever, j'enlèverais et tiendrais
suspendus non seulement vous, mais en même temps la terre et la mer (50)."
Tu sais le reste. Moi, je ne nie pas qu'il ne soit plus puissant et plus fort
que chacun de nous en particulier, mais qu'il l'emporte sur tous les dieux
ensemble au point que nous ne puissions pas l'entraîner, surtout en ajoutant à
notre poids et la terre et la mer, c’est ce que je ne puis croire.
2. MERCURE. Sois prudent, Mars. Il n'est pas trop sûr de tenir ce langage, et
nous pourrions nous repentir de notre indiscrétion.
MARS. Crois-tu que je parlerais ainsi à tout le monde ! Ce n'est qu'à toi
seul, que je sais discret. Mais j’ai trouvé si ridicule cette menace, quand
je l'ai entendue, que je n'ai pu m'en taire avec toi. Je me rappelle, en effet,
il n'y a pas longtemps, lorsque Neptune, Junon et Minerve, révoltés contre
lui, voulurent le prendre et l'enchaîner, quelle belle peur il a eue, et
cependant il n'avait affaire qu'à trois dieux (51).
Et si Thétis, par pitié pour lui, n'eût appelé à son aide Briarée, ce géant
à cent bras, il eût été enchaîné avec sa foudre et son tonnerre. Le seul
souvenir de cette aventure me donnait envie de rire, en l'entendant faire le
brave.
MERCURE. Tais-toi, sois prudent. Il n'est pas sûr pour toi de parler de la
sorte ni pour moi de t'écouter.
22
PAN ET MERCURE
1.
PAN. Bonjour, Mercure, mon père !
MERCURE. Bonjour aussi, mais comment suis-je ton père ?
PAN. N'êtes-vous pas Mercure, le dieu de Cyllène ?
MERCURE. Oui, mais comment es-tu mon fils ?
PAN. Je suis un fruit adultérin de vos amours.
MERCURE. Par Jupiter ! Dis plutôt celui d'un bouc qui aura violé une chèvre !
Comment peux-tu venir de moi, avec ces cornes, ce nez, ce menton velu, ces
jambes à pied fourchu comme celles d'un bouc, et cette queue au-dessus de ton
derrière ?
PAN. Toutes vos railleries contre moi, votre fils, ne font, mon père, que vous
couvrir de plus de honte, vous qui avez produit un tel enfant. Moi, je n'en suis
pas cause.
MERCURE. Et qui dis-tu être ta mère ? Aurais-je eu, sans le savoir, quelque
commerce adultère avec une chèvre ?
PAN. Non, ce n'est pas avec une chèvre. Rappelez-vous si un jour, en Arcadie,
vous n'avez pas fait violence à une fille de condition libre ? Pourquoi vous
mordre le doigt en cherchant, et d'où vient ce grand embarras ? Je parle de Pénélope,
la fille d'Icarius.
MERCURE. Que lui est-il donc arrivé, pour qu'elle ait donné le jour à un être
qui ressemble à un bouc et non pas à moi ?
2. PAN. Je vais vous dire ce que je tiens de sa bouche. Lorsqu'elle m'envoya en
Arcadie : "Mon fils, me dit-elle, moi, ta mère, je suis Pénélope de
Sparte. Ton père, apprends-le, est Mercure, fils de Maïa et de Jupiter. Si tu
es cornu et à jambes de bouc, n'en sois point en peine. Lorsque ton père
s'approcha de moi, il avait pris la figure d'un bouc, afin de n'être pas découvert,
et voilà pourquoi tu es venu au monde semblable à cet animal. "
MERCURE. Par Jupiter ! je me souviens de l'aventure. Il faudra donc que moi, qui
suis si fier de ma beauté et qui n'ai pas de barbe, je sois appelé ton père.
Tout le monde va rire de moi, pour avoir fait un si joli garçon.
3. PAN. Mais je ne vous déshonore pas, mon père. Je suis musicien, et je joue
fort agréablement de la flûte. Bacchus ne veut faire un pas sans moi. Il m'a
choisi pour ami et compagnon de ses danses, et j'en conduis les choeurs. Si vous
voyiez les troupeaux que je pais sur le Tégée et le Parthénius (52),
vous en seriez ravi. Je suis le maître de toute l'Arcadie. Dernièrement j'ai
combattu pour les Athéniens, et je me suis tellement distingué à Marathon,
que, pour prix de mon courage, on m'a consacré la grotte qui est sous
l'Acropole (53). Si jamais vous allez à Athènes,
vous verrez comme on y vénère le nom de Pan.
4. MERCURE. Dis-moi, es-tu marié, Pan ? Car je crois que c'est là ton nom.
PAN. Non, mon père. Comme je suis fort amoureux, je n'aurais pas assez de
n'aimer qu'une femme.
MERCURE. Alors tu caresses les chèvres...
PAN. Vous voulez plaisanter : j'ai pour maîtresses Echo, Pithys (54),
et toutes les Ménades de Bacchus. Elles sont folles de moi.
MERCURE. Sais-tu, mon fils, comment tu peux m'être agréable, en m'accordant la
première chose que je vais te demander ?
PAN. Ordonnez, mon père, et nous verrons.
MERCURE. Viens, et embrasse-moi. Mais aie soin de ne jamais m'appeler ton père
devant personne.
23
APOLLON ET BACCHUS
1.
APOLLON. Le moyen d'en rien croire ! Bacchus ! La même mère aurait donné le
jour à ces trois frères, l'Amour, Hermaphrodite et Priape, si différents de
figure et d'humeur ? Le premier est charmant, habile archer, doué d'un pouvoir
immense, souverain de l'univers. Le second a l'air d'une fille, c'est une moitié
d'homme et de femme, un être ambigu, dont on ne saurait dire s'il est fille ou
garçon. Enfin Priape est un peu plus mâle que ne le veut la décence.
BACCHUS. N'en sois pas surpris, Apollon ! Vénus n'en est pas cause, ce sont les
pères qui ne se ressemblaient pas, et il arrive souvent que deux enfants, nés
du même père et de la même mère, viennent ensemble au monde l'un garçon et
l'autre fille, par exemple ta soeur et toi.
APOLLON. C'est vrai, mais au moins nous nous ressemblons et nous avons les mêmes
goûts. Tous les deux nous savons tirer de l'arc.
BACCHUS. Mais cela ne va pas plus loin que l'arc, Apollon. La différence est
que Diane égorge les étrangers chez les Scythes, tandis que toi tu rends des
oracles, et soulages les malades.
APOLLON. Crois-tu que ma soeur se plaise chez les Scythes ? Elle a tout disposé,
au cas où quelque Grec aborderait en Tauride, pour s'embarquer avec lui, tant
elle a horreur du meurtre !
2. BACCHUS. Elle fait bien. Quant à Priape, je veux t'en raconter un trait fort
risible. Dernièrement, j'étais à Lampsaque et je traversais la ville. Il vint
à ma rencontre et m'offrit l'hospitalité. Quand nous fûmes allés nous
reposer, après avoir un peu bu à table, l'honnête Priape, se levant au milieu
de la nuit... je n'ose dire le reste.
APOLLON. Il voulut t'entreprendre ?
BACCHUS. Justement.
APOLLON. Et toi, que fis-tu alors ?
BACCHUS. Pas autre chose que d'en rire.
APOLLON. Tu as eu raison de ne pas te fâcher, de ne pas faire le sauvage. Il
est excusable, d'ailleurs, de s'être attaqué à un aussi joli garçon.
BACCHUS. Il pourrait bien aussi, Apollon, pour le même motif, s'attaquer à
toi. Tu n'es pas laid, tu as de beaux cheveux, en sorte que Priape, même à
jeun, pourrait fort bien t'entreprendre.
APOLLON. Il ne l'osera pas, Bacchus. Car si j'ai de beaux cheveux, j'ai aussi un
arc et des flèches.
24
MERCURE ET MAÏA
1.
MERCURE. Est-il dans le ciel, ô ma mère, un dieu plus malheureux que moi (55)
?
MAÏA. Ne parle pas ainsi, Mercure.
MERCURE. Et pourquoi pas, quand j'ai tant de choses à faire, seul, accablé,
tiraillé par toutes sortes d'emplois ? Dès le matin, il faut que je me lève
pour balayer la salle du banquet, puis, quand j'ai étendu des tapis pour
l'assemblée et tout mis en ordre, il faut que je me rende auprès de Jupiter,
afin d'aller porter les ordres en bas, en haut, comme un vrai coureur.À peine
de retour, et tout couvert de poussière, il faut lui servir l'ambroisie, et,
avant l'arrivée de l'échanson dont il a fait récemment emplette, c'était moi
qui lui versais le nectar. Mais le plus désagréable de tout, c'est que, seul
de tous les dieux, je ne ferme pas l'oeil de la nuit. Il faut que j'aille
conduire les âmes chez Pluton, que je lui amène les morts et que je siège au
tribunal. Les travaux de jour ne me suffisent pas. Ce n'est pas assez d'assister
aux palestres, de faire l'office de héraut dans les assemblées, de donner des
leçons aux orateurs, je suis préposé en même temps à tout ce qui regarde
les pompes funèbres.
2. Cependant les enfants de Léda passent, chacun à leur tour, une journée
dans le ciel et une autre dans les Enfers. Moi, j'ai à répéter chaque jour le
même manège, sans nul répit. Les fils d'Alcmène et de Sémélé, nés de
malheureuses mortelles, passent tranquillement leur temps dans les festins, et
moi, fils de Maïa, la fille d'Atlas, je suis leur humble serviteur. En ce
moment j'arrive de Sidon, de chez la fille de Cadmus (56),
vers laquelle Jupiter m'a envoyé, pour voir ce que faisait cette chère enfant,
et, avant que j'aie le temps de souffler, il m'envoie à Argos pour rendre
visite à Danaé : "De là, ajoute-t-il, tu te rendras en Béotie, et, en
passant, tu verras Antiope (57)." Je suis déjà
tout harassé, et, si je le pouvais, j'aimerais mieux être mis en vente, comme
les malheureux esclaves de la terre.
MAÏA. Laisse là ce discours, mon fils. Tu es jeune et tu dois servir ton père.
Suivant les ordres que tu as reçus, hâte-toi d'aller à Argus, puis en Béotie,
de peur qu'un retard ne t'amène des coups. Les amoureux ont l'humeur vive.
25
JUPITER ET LE SOLEIL (58)
1.
JUPITER. La belle équipée, ô le plus mauvais des Titans ! Tu as tout détruit
sur la terre, en confiant ton char à un jeune fou, qui en a brûlé une partie
en s'approchant trop du soleil et qui a gelé l'autre en éloignant trop le feu.
Enfin, il n'y a rien qu'il n'ait bouleversé, confondu. Si je ne m'en fusse aperçu
et ne l'eusse foudroyé, il ne resterait pas un morceau d'homme. Le beau cocher,
le beau conducteur de chars que tu nous as envoyé !
LE SOLEIL. J'ai eu tort, Jupiter, mais excuse-moi d'avoir cédé aux instances
redoublées d'un fils. Pouvais-je prévoir qu'il en résulterait un si grand désastre
?
JUPITER. Eh ! ne savais-tu pas combien cet emploi exige d'adresse, que, pour peu
qu'on s'écarte de la route, tout est perdu ? Ne connaissais-tu pas la fougue de
tes chevaux, auxquels il faut toujours tenir la bride serrée ? Si on la leur
rend, ils se dérobent aussitôt. Et c'est ainsi qu'ils ont emporté ce
malheureux conducteur, tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt en sens
inverse de la route, en haut, en bas, partout où il leur prenait fantaisie,
sans qu'il ait su que faire à tes chevaux.
LE SOLEIL. Je savais tout cela, et c'est ce qui m'a fait résister longtemps à
mon fils et lui refuser la conduite de mes chevaux, mais enfin, cédant à ses
supplications, à ses larmes et à celles de Clymène, sa mère, je l'installai
sur le char, en lui indiquant comment il devait se tenir ferme, jusqu'à quel
point il fallait lâcher les rênes pour s'élever, et les ramener pour
descendre, comment enfin il pourrait toujours être maître des guides et régler
l’ardeur de ses coursiers. Je lui dis à quel danger il s'exposait, s'il ne
suivait pas la ligne droite. Mais lorsque cet enfant, car c'en était un véritable,
se vit debout au milieu d'un si grand feu, et plongea ses regards dans le
gouffre béant, il fut saisi d'un effroi facile à concevoir. Les chevaux,
sentant qu'ils n'avaient plus à faire à ma main, méprisèrent celle du jeune
homme, se détournèrent de la route et causèrent tous ces malheurs. C'est
alors que, craignant sans doute de tomber, il lâcha les rênes, pour se retenir
aux bords du char, mais il porte maintenant la peine de sa témérité, et moi,
Jupiter, j'éprouve une douleur qui doit te suffire.
3. JUPITER. Me suffire, dis-tu ? Après une telle audace ! Je veux bien,
toutefois, t'accorder ton pardon, mais si, dorénavant, tu te permets une
pareille infraction, si tu envoies à ta place un conducteur de cette espèce,
tu sauras aussitôt que le feu de mon tonnerre est plus brûlant que le tien.
Cependant, que ses soeurs l'ensevelissent au bord de l'Éridan, à l'endroit où
il est tombé de son char, qu'elles versent sur lui des larmes d'ambre, et
qu'elles soient changées en peupliers en mémoire de cet événement (59).
Pour toi, raccommode ton char, dont le timon et l'une des roues sont brisés,
attelle tes chevaux, recommence ta carrière, et surtout souviens-toi de toutes
mes recommandations.
20
APOLLON ET MERCURE (60)
1.
APOLLON. Pourrais-tu me dire, Mercure, lequel de ces jeunes gens est Castor ou
bien Pollux ? Car je ne saurais les distinguer.
MERCURE. Celui qui était hier avec nous est Castor, celui-ci est Pollux.
APOLLON. Comment fais-tu pour les reconnaître ? Ils sont tout à fait
semblables.
MERCURE. Celui qui est ici aujourd'hui, Apollon, porte sur la figure les traces
des coups qu'il a reçus de ses adversaires, en se battant à coups de poing, et
surtout les blessures que lui a faites Bébryx, fils d'Amycus, lorsqu'il
naviguait avec Jason (61) : l'autre jumeau n'a rien
de pareil, son visage est net et au complet.
APOLLON. Je te remercie de m'avoir donné ces moyens de les reconnaître, car,
pour le reste, ils se ressemblent en tout point, c'est la même moitié d'oeuf,
la même étoile sur la tête, le même javelot à la main, le même cheval
blanc. Aussi m'est-il arrivé souvent d'appeler Castor celui qui était Pollux,
et Pollux celui qui était Castor. Cependant, dis-moi encore une chose. Pourquoi
ne demeurent-ils pas tous les deux ensemble avec nous, mais pourquoi, à tour de
rôle, l'un est-il mort et l'autre dieu ?
2. MERCURE. C'est par amitié fraternelle qu'ils agissent ainsi. Il fallait que
l'un des deux fils de Léda mourût et que l'autre fût immortel. Alors ils se
sont partagé l'immortalité.
APOLLON. Partage absurde, Mercure ! ils ne pourront jamais se voir, et pourtant
c'était là, je crois, ce qu'ils désiraient avant tout. Le moyen, en effet,
quand l'un est avec les dieux et l'autre avec les morts ? Cependant, de même
que je rends des oracles, qu'Esculape guérit, que Diane préside aux
accouchements, et que chacun de nous, enfin, exerce quelque métier utile aux
dieux ou aux hommes, quelle est leur profession ? Passent-ils tout leur temps à
table, sans rien faire, à l'âge qu'ils ont !
MERCURE. Non pas. Ils ont mission de servir Neptune, ils doivent chevaucher sur
la mer, voir s'il n'y a pas quelque part des matelots battus par l'orage,
s'asseoir sur les navires et sauver l'équipage.
APOLLON. Tu me parles là, Mercure, d'un emploi excellent et salutaire.
(01)
L'intelligence de ce dialogue exige la lecture des Métamorphoses
d'Ovide. On fera bien aussi d'avoir sous la main le Dictionnaire
mythologique universel du docteur Jacobi, traduit de l'allemand par Th.
Bernard, Paris, F. Didot.
(02) Branchus ou Branchos, fils d'Apollon ou aimé
de ce dieu, il obtint de lui la science de la divination, et fonda à Didyme, près
de Milet, l'oracle des Branchides, qui jouissait, après celui de Delphes, de
l'autorité la plus haute, particulièrement auprès des Ioniens et des Éoliens.
- Hyacinthe, fils d'Amyclas et de Diomédé, aimé de Thamyris et d'Apollon.
Celui-ci le tua involontairement d'un coup de palet, en jouant au disque avec
lui. Voy. plus loin le Dialogue XIV.
(03) Selon Ovide, Daphné, ne pouvant se dérober
aux poursuites d'Apollon, implora le secours des dieux, qui la métamorphosèrent
en laurier,
d‹fnh.
(04)
Voy.
sur Io , le Dictionnaire de Jacobi.
(05) Ville de la Grèce, dans l'Argolide sur la
route d'Argos à Corinthe, célèbre par le lion colossal tué par Hercule. Tous
les cinq ans, on y célébrait cette victoire dans les jeux Néméens, institués
en l'honneur de Jupiter.
(06) Voy. sur Isis, le Dictionnaire
de Jacobi.
(07) "Comme berger, Ganymède ne connaît
d'autre dieu que Pan, honoré par les bergers."
Le scoliaste.
(08)
Voy. la Double accusation, § 10.
(09) L'un des trois sommets du mont Ida. Jupiter y
avait un temple. Cf. Homère, Iliad.,VIII,
v. 48.
(10) Apollonius de Rhodes, dans ses Argonautiques, III, v 144, peint en vers gracieux le groupe de
l'Amour et de Ganymède jouant aux osselets.
(11) Dia. Pirithoüs s'appelait ainsi parce que
Jupiter s’était mis à courir (y¡ein)
autour de Dia, sous la forme d'un cheval, en essayant (πειρῶντα)
de l'approcher; d'où le nom de Πειριθόος.
(12) Littéralement : Puisse-t-il ne pas arriver à
la saison prochaine ! Voy. le Dictionnaire d’Alexandre au mot Îra.
(13) Cf. Pindare, 4ème Pythique,
v. 464.
(14) Cf. Homère, Hymne
II, et Horace, ode X du livre Ier.
(15) Vulcain naissant avait éprouvé la colère de
Jupiter qui, d'un coup de pied, l’avait jeté hors de l'Olympe et fait rouler
dans l’île de Lemnos.
(16) Danse qui s'exécutait avec des armes.
(17) L'épithète homérique glaukÇpiw
est d'ordinaire traduite par la périphrase aux
yeux bleus. Il vaut mieux dire aux yeux gris, aux yeux de chouette : γλαὺξ, γλαυκος,
chouette, ὢψ, ώπός, oeil : Cicéron traduit cette épithète par caesiis
oculis. Notons que la chouette était consacrée à Minerve.
(18) Sémélé, fille de Cadmus et d'Harmonia,
inspira d'abord une vive passion à Actéon, mais Diane fit déchirer le
malheureux amant par ses propres chiens. Elle eut ensuite un commerce amoureux
avec Jupiter.
(19) Nysa, nom de plusieurs villes consacrées à
Bacchus, spécialement celle de Thrace.
(20) C'est-à-dire
dieu de Nysa.
(21) Confrontez avec le prologue de l'Amphitryon de Molière.
(22) Fils d'Aethius et de Calycé, ou de Jupiter et
de Protogénie. Voy. le Dict. de
Jacobi.
(23) Adonis. Voy. le Dictionnaire
de Jacobi.
(24) C'en la pose de ce charmant chasseur dans le
tableau de Girodet.
(25) Cf. Apollonius de Rhodes, Argonautiques, in, v. 94 et suivants.
(26) Fille de l'Océan et de Thétys ; mère de Phaéton.
(27) Atys ou Attys, fils de Nana, jeune et beau
berger de Célènes, en Phrygie Voy. le Dict.
de Jacobi.
(28) Prêtres de Cybèle, que Lucien confond avec
Rhéa. Voy., pour plus amples détails, le traité De
la déesse syrienne.
(29) Il avait ressuscité Hyppolyte. Voy. De
la danse, chap. XVL, et Virgile, En.,
VI, v. 761.
(30) Aux pieds d'Omphale.
(31) Mégare, dont il avait eu Onytès, Thérémaque,
Démocron et Créontiadès.
(32) Allusion aux vers 401 et 899 du chant V de l'Iliade.
(33) Cf. Ovide, Métamprh.,
liv. X. v. 162 et suivants.
(34) Ville de Laconie.
(35) Vulcain.
(36) Aglaé : les deux autres sont Euprhosyne et
Thalie.
(37) Voy. le Dict.
de Jacobi.
(38) Voy. Ovide, Métam.,
III, v. 130-252.
(39) Le sujet de ce dialogue est tiré d'un épisode
de l'Odyssée, VIII, v. 266-366. On ne
comprendra bien Lucien qu'avec Homère sous les yeux.
(40) Sur Bacchus, voy le Dict.
de Jacobi.
(41) Montagne de l’Asie Mineure, dans la Lydie
centrale, on y récoltait des vins et du safran très estimés. Aujourd'hui Berki.
(42) Penthée,
roi de Thrace, déchiré par sa mère Agavé. Voy. les Bacchantes d'Euripide.
(43) Voy. les Dionysiaques
de Nonnus, chap. XLVII, v. 80 et suivants.
(44) Epithète homérique.
(45) Confrontez avec le Charidémus.
(46) Il y a ici un jeu de mots intraduisible entre
le nom de
Μῶμος,
Momus, et le verbe μωμήσασθαι,
reprendre.
(47) Oenone, que Pâris avait enlevée de chez son
père Cébrénus.
(48) Allusion aux épithètes homériques
λευκώλενος
et
βοῶπις
(49) Voy. Isocrate, Éloge
d'Hélène.
(50) Allusion au discours de Jupiter dans l’Iliade,
I, v. 398 et suivants.
(51) Voy. Iliade,
I, v. 398 et suivants.
(52) Montagnes de l’Arcadie.
(53) Voy. la
Double accusation, § 10.
(54) Du grec πίτυς,
pin. Jetée par Borée contre un rocher, où elle se fracassa, cette nymphe fut
changée en arbre par les dieux.
(55)
Sur les nombreuses occupations de Mercure, cf. Homère, Hymne II, et le dialogue intitulé : Charon ou les Contemplateurs.
(56)
Ino. Quelques éditeurs proposent de lire
ἀδελφῆς,
au lieu de θυγατρός,
et de traduire par la soeur de Cadmos, Europe.
(57) Fille de Nyctée et de Polyxo. Elle eut de
Jupiter deux fils jumeaux, Amphion et Zéthus.
(58)
Cf.
Le traité de l'astrologie, § 19 et le bel épisode des Métamorphoses
d'Ovide, livre II.
(59)
Cf.
le traité de l'ambre.
(60) Cf. Charidémus.
(61) Voy. Théocrite, Idylle
XXIII.
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