LE CYNIQUE ET LYCINUS
1. LYCINUS. Hé
! l'homme ! Pourquoi as-tu cette barbe et cette chevelure, sans tunique, la peau
à l'air, les pieds déchaux, menant une vie errante et sauvage, à la façon
des bêtes, ne traitant pas ton corps comme tout le monde, allant de çà et de
là, couchant sur la dure, avec un manteau plein de taches, car on ne peut pas
dire qu'il soit mince, moelleux et fleuri ?
LE CYNIQUE. Je n'en ai pas besoin. Tel qu'il est, celui-ci ne me coûte pas cher
et ne me donne pas d'embarras. Tel qu'il est, dis-je, il me suffit.
2. Mais, au nom des dieux, dis-moi, ne regardes-tu pas le luxe comme un vice ?
LYCINUS. Oui.
LE CYNIQUE. Et la simplicité comme une vertu ?
LYCINUS. Assurément.
LE CYNIQUE. Pourquoi donc alors, quand tu me vois venir dans une simplicité
plus parfaite que tous les autres hommes, et ceux-ci avec plus de luxe que moi,
viens-tu m'accuser et non pas eux ?
LYCINUS. C'est que, par Jupiter, tu ne me parais pas vivre dans une plus grande
simplicité, mais dans une plus grande pauvreté ou plutôt dans une indigence
absolue, dans une complète misère.
3. LE CYNIQUE. Veux-tu, puisque la conversation est tombée là-dessus, que nous
examinions ce que c'est que l'indigence, et ce que c'est que le nécessaire ?
LYCINUS. Si tu veux.
LE CYNIQUE. Le nécessaire n'est-il pas ce qui suffit aux besoins de chacun ou
bien est-ce autre chose ?
LYCINUS. C'est cela même.
LE CYNIQUE. L’indigence n'est-elle pas le manque absolu de ce qu'exigent nos
besoins ?
LYCINUS. Sans doute.
LE CYNIQUE. Je ne suis donc point dans l'indigence, car il ne me manque rien de
ce qu'exigent mes besoins.
4. LYCINUS. Comment prouves-tu cela ?
LE CYNIQUE. En te priant de considérer l'objet auquel est destinée chacune des
choses dont nous avons besoin. Par exemple, une maison sert à nous couvrir ?
LYCINUS. Oui.
LE CYNIQUE. Un vêtement, pourquoi est-il fait ? Pour nous couvrir aussi,
n'est-ce pas ?
LYCINUS. Oui.
LE CYNIQUE. Et pourquoi, au nom des dieux, nous couvrons-nous ? N'est-ce pas
pour nous conserver en meilleur état ?
LYCINUS. C'est mon avis.
LE CYNIQUE. Eh bien ! ces deux pieds, pour être nus, t'en paraissent-ils plus
faibles ?
LYCINUS. Je ne sais pas.
LE CYNIQUE. Tu vas l'apprendre. Quel est l'office des pieds ?
LYCINUS. De marcher.
LE CYNIQUE. Mes pieds te semblent-ils moins capables de marcher que ceux des
autres hommes ?
LYCINUS. Il me semble que non.
LE CYNIQUE. Ils ne sont donc pas plus faibles, puisqu'ils ne font pas plus mal
leur service.
LYCINUS. II se peut faire.
LE CYNIQUE. Ainsi, pour ce qui est des pieds, je ne parais pas dans une
condition moins bonne que les autres hommes ?
LYCINUS. Non.
LE CYNIQUE. Eh bien ! le reste de mon corps est-il en plus mauvais état que
celui d'un autre ? Il le serait, s'il était plus faible, car la force est la
première qualité du corps. Mais peut-on dire que le mien soit faible ?
LYCINUS. Il ne le paraît pas.
LE CYNIQUE. Donc, ni mes pieds, ni mon corps n'ont besoin d'être couverts.
S'ils en avaient besoin, ils seraient en mauvais état, car le besoin altère et
détériore les objets auxquels il s'attache. Mais il ne paraît pas que mon
corps soit détérioré par les mets grossiers dont il est nourri.
LYCINUS. On le voit.
LE CYNIQUE. Il ne serait pas vigoureux, s'il était mal nourri, car la mauvaise
nourriture détruit la santé.
LYCINUS. C'est juste.
5. LE CYNIQUE. Pourquoi donc alors, dis-moi, si tu conviens de tous ces points,
méprises-tu ma manière de vivre et la regardes-tu comme misérable ?
LYCINUS. Parce que, ma foi, la nature que tu honores et les dieux ayant mis la
terre à la disposition de tous les hommes, ont tiré de son sein une foule de
biens de toute espèce, afin que nous ayons en abondance non seulement ce qui
sert à nos besoins, mais encore ce qui contribue à nos plaisirs. Or, tu es
privé de tous ces avantages ou du moins de la plupart. Tu n'en jouis pas plus
que les bêtes sauvages. Tu manges tout ce que tu trouves, comme les chiens. Tu
n'as pas un lit plus délicat que le leur, et un peu de paille te suffit comme
à eux. Enfin, tu portes un manteau qui conviendrait à peine à un mendiant.
Si, en suivant ce régime, tu agis en sage, la divinité n'a pas agi sagement
lorsqu'elle a donné aux brebis leur épaisse toison, et à la vigne sa douce
liqueur, lorsqu'elle nous a fourni tous ces assaisonnements d'une admirable variété,
l'huile, le miel et le reste, pour que nous ayons des mets de toutes sortes, des
boissons agréables, une couche molle, de belles maisons, enfin tout ce qui
provoque l'admiration, car les ouvrages des arts sont aussi des présents des
dieux. Vivre privé de tous ces biens, c'est vivre dans le malheur, et si l'on
est à plaindre d'en être privé par un autre, comme ceux qui sont en prison,
on est plus malheureux encore, quand soi-même on s'en interdit l'usage ou plutôt,
c'est une vraie folie.
6. LE CYNIQUE. Peut-être as-tu raison. Cependant réponds-moi.
Si
un homme opulent, humain et libéral, invitait à un grand banquet des convives
nombreux et de tous pays, les uns faibles, les autres robustes, et qu'ensuite,
lorsque la table est couverte de mets abondants et variés, un des convives
enlevât tous les plats, dévorât tout à lui seul, non seulement ce qui est près
de lui, mais jusqu'à la part réservée aux faibles, abusant ainsi de sa bonne
santé, et n'ayant pourtant qu'un seul estomac, qui n'exige que peu d'aliments,
si bien que la quantité le rendrait malade, que dirais-tu de cet homme ? te
paraîtrait-il sensé ?
LYCINUS. Non.
LE CYNIQUE. Tempérant ?
LYCINUS. Encore moins.
LE CYNIQUE. Maintenant, si un convive invité à la même table, sans s'arrêter
à la multiplicité variée des mets, en choisissait un à sa portée et pouvant
suffire à ses besoins, et qu'il en mangeât modérément, n'usant que de
celui-là seul, ne jetant pas même les yeux sur les autres, ne le croirais-tu
pas plus tempérant et plus sensé que l'autre ?
LYCINUS. Évidemment.
7. LE CYNIQUE. Eh bien ! comprends-tu ou faut-il que je t'explique ?
LYCINUS. Explique.
LE CYNIQUE. Dieu est cet hôte magnifique qui traite un grand nombre de
convives. Il nous présente une foule de mets de toute espèce et de tous les
pays, et appropriés au goût de chacun. Il y en a pour les gens bien portants,
il y en a pour les malades. Les uns sont pour les tempéraments robustes, les
autres pour les faibles, afin que nous ne nous jetions pas tous sur les plats,
mais que chacun prenne le sien, celui qui est fait pour lui, et dont il a le
plus besoin.
8. Vous cependant, par votre intempérance et votre insatiabilité, vous
ressemblez à l'homme qui enlève tous les mets. Vous voulez jouir de tous à la
fois, et de ceux qui naissent dans votre patrie et de ceux que produisent les
autres contrées : ni la terre, ni la mer de votre pays ne vous suffit ; vous
courez acheter des plaisirs aux extrémités de l'univers : vous préférez les
jouissances étrangères à celles du sol natal, les plus dispendieuses aux plus
économiques, les plus difficiles à obtenir à celles qu'on a sous la main. En
un mot, vous aimez mieux vous livrer à mille embarras, à mille tourments, que
de vivre exempts de soins. Et pourtant cet appareil précieux, dont le prétendu
bonheur gonfle votre orgueil, vous coûte bien des misères et bien des maux.
Jette un coup d'œil avec moi, si tu le veux, sur ces monceaux d'or et d'argent
que chacun désire. Regarde ces maisons somptueuses, regarde ces habits
magnifiques, et regarde tout ce qu'ils traînent à leur suite, par combien
d'embarras, de travaux, de périls, il faut les acheter, disons mieux, par
combien de sang, de meurtres, de carnage. Je ne parle point de ceux qui périssent
dans le cours de longues navigations qu'ils entreprennent pour ces objets, de
ceux qui souffrent des maux cruels en fouillant la terre, en bâtissant, mais
que de combats, que de pièges à propos des richesses, amis contre leurs amis,
enfants contre leurs pères, femmes contre leurs époux ! C'est pour un peu d'or
qu'Eriphyle a jadis trahi le sien.
9. Telle est cependant la nature de tous ces objets. Les vêtements richement
brodés n'en sont pas plus chauds. Les toits dorés d'un palais ne mettent pas
mieux à l'abri. Les coupes d'argent ne rendent pas les liqueurs plus délicieuses.
Les lits d'or et d'ivoire ne procurent pas un sommeil plus agréable. Au
contraire, tu verras souvent sur ce lit d'ivoire, sur ces tapis précieux, les
heureux du jour ne pouvoir goûter le repos. Il en est de même de ces mets
qu'on se procure avec tant de peines, ils ne nourrissent pas mieux, ils
affaiblissent le corps et produisent des maladies.
10. Qu'est-il besoin de parler du rôle actif ou passif que jouent les hommes
dans les plaisirs de Vénus ? Il n'est pourtant pas difficile de calmer ces
sortes de désirs, quand on ne veut pas y mettre tant de délicatesse. Mais ce
n'est pas seulement dans cette passion qu'éclatent la folie et la corruption
des hommes. Ils intervertissent l'usage des objets et les détournent de leur
destination naturelle. C'est comme si quelqu'un, au lieu d'un char, voulait se
servir d'un lit qui fît l'office d'un char.
LYCINUS. Et quel est ce quelqu'un ?
LE CYNIQUE. Vous, qui vous servez de vos semblables comme de bêtes de somme, en
les forçant de porter sur leur cou ces lits qui vous servent de chars, où vous
êtes couchés voluptueusement, et du haut desquels, les rênes à la main, vous
conduisez les hommes comme des ânes, et les faites tourner de ce côté, non
pas de cet autre. Ceux qui se montrent le plus souvent dans cet équipage sont réputés
les plus heureux.
11. Et ces hommes qui ne se servent pas seulement de la chair des animaux pour
nourriture, mais qui cherchent à en extraire des couleurs, tels que les
teinturiers en pourpre, n'abusent-ils pas de la nature, ne changent-ils pas
l'ordre établi par la divinité ?
LYCINUS. Non, par Jupiter ! puisque la chair de la pourpre a la vertu de teindre
aussi bien que de nourrir.
LE CYNIQUE. Mais ce n'est pas pour cela qu'elle a été faite. Autrement on
pourrait, à la rigueur, se servir d'une coupe au lieu de marmite, cependant
elle n'est point destinée à cet usage. Mais qui pourrait faire le tableau de
toutes les misères humaines ? Elles sont incalculables. Et cependant, parce que
je ne veux pas en avoir ma part, tu viens m'en faire un crime. Je fais comme le
convive modéré, j'use des mets placés à ma portée ; je prends les aliments
les plus simples, et je ne désire point ceux qu'on va demander aux autres pays.
12. En second lieu, si je te parais vivre comme une bête, parce que j'ai besoin
de peu et que je me contente d'une vie frugale, les dieux, d'après ton
raisonnement, courent grand risque d'être inférieurs à la bête, car ils
n'ont besoin de rien. Or, pour bien comprendre la différence qu'il y a entre
avoir beaucoup ou bien avoir peu de besoins, considère que les enfants en ont
plus que les hommes faits, les femmes que les hommes, les malades que les gens
en bonne santé, bref, le faible en a plus que le fort. Il suit de là que les
dieux n'en éprouvent aucun, et qu'en éprouver très peu c'est se rapprocher le
plus possible de la divinité.
13. Crois-tu donc qu'Hercule, le plus fort des mortels, cet homme divin, si
justement mis au rang des dieux, ait été contraint par le malheur à errer nu,
le corps couvert d'une peau de lion, et privé des choses que vous croyez nécessaires
? Non, il n'était pas malheureux, ce héros qui délivrait les autres de leurs
maux ; il n'était pas pauvre, lui qui régnait sur la terre et sur la mer.
Partout où l'entraînait son courage, il subjuguait tout, et jamais il ne
trouva d'égal, encore moins de maître, tant qu'il vécut parmi les hommes.
Crois-tu qu'il manquât de couvertures ou de chaussures, et que c'est pour cela
qu'il errait ainsi ? Cette supposition serait absurde, mais il était tempérant
et patient, il voulait se vaincre lui-même et non pas se laisser aller à la
mollesse. Thésée, disciple d'Hercule, n'était-il pas roi des Athéniens, fils
de Neptune, dit-on, et le plus vaillant héros de son temps ?
14. Cependant il voulut aussi marcher sans chaussure, voyager nu, et laissa croître
ses cheveux et sa barbe, et ce n'était pas lui seulement, mais tel était aussi
le goût, de tous les anciens qui valaient mieux que vous. Aucun ne se serait
laissé raser, pas plus qu'un lion. Ils pensaient que la délicatesse et la
douceur de la peau ne conviennent qu'à des femmes. Ils voulaient paraître ce
qu'ils étaient, c'est-à-dire des hommes. Ils regardaient la barbe comme un
ornement de la virilité, de même que la crinière est celui des chevaux et des
lions, auxquels Dieu l'a donnée pour rehausser leur beauté et leur parure.
C'est aussi pour cela que les hommes ont reçu leur barbe. Je veux rivaliser
avec ces anciens, je veux les imiter. Quant à ceux d'aujourd'hui, je n'envie
point l'étonnant bonheur que leur donnent leurs tables, leurs vêtements, leur
mode de se polir et de s'épiler toutes les parties du corps, ne laissant aucun
de leurs membres tel que la nature l'a produit.
15. Je souhaiterais, moi, que mes pieds fussent semblables au sabot des chevaux,
comme, l’étaient, dit-on, ceux du centaure Chiron. Je voudrais n'avoir pas
plus besoin de couvertures que les lions, ni d'une nourriture plus délicate que
les chiens. J'aimerais que la terre m'offrît partout un lit commode, que
l'univers fût ma maison, et ma nourriture les mets les plus faciles à trouver.
Puissé-je, ainsi que mes amis, n'avoir jamais besoin d'or ni d'argent ! Tous
les malheurs des hommes ne proviennent que du désir des richesses :
dissensions, guerres, embûches, meurtres, n'ont d'autre source que la passion
d'avoir plus. Loin de moi cette folie, loin de moi la fureur de posséder !
Puissé-je au contraire voir diminuer mes biens sans regret !
16. Tu connais mon système : il ne ressemble guère aux idées du vulgaire. Il
n'est donc pas extraordinaire que j'en diffère autant par l'extérieur, puisque
j'en suis si loin par l'esprit. Mais je suis étonné que toi, qui conviens
qu'un cithariste doit avoir une robe longue, un joueur de flûte un costume, un
acteur tragique une robe traînante, tu ne veuilles pas qu'un homme vertueux ait
sa robe et son costume. Tu prétends qu'il doit avoir un extérieur semblable à
celui de tout le monde, quand tout le monde est vicieux. Ah ! s'il faut aux gens
de bien un costume particulier, quel autre leur convient mieux que celui qui
contraste le plus avec les mœurs des hommes perdus de débauche, et pour lequel
ils témoignent le plus d'aversion ?
17. C'est pour cela que j'ai choisi cette manière de vivre, me montrant sale,
velu, couvert d'un mauvais manteau, les cheveux longs, les pieds déchaux. Pour
vous, votre costume ne diffère point de celui des mignons. Il serait impossible
de vous en distinguer par la couleur ou le moelleux de vos vêtements, le nombre
de vos tuniques, votre manteau, votre chaussure, le soin et le parfum de vos
cheveux. En effet, vous exhalez les mêmes senteurs que les débauchés, vous
qui passez pour les plus heureux des hommes. Mais que pourrait-on donner d'un
homme qui sent comme les mignons ? Vous êtes aussi faibles qu'eux dans les
travaux, aussi esclaves des voluptés. Vous vous nourrissez des mêmes aliments,
vous dormez, vous marchez comme eux. Mais non, vous ne marchez point, vous vous
faites porter comme des fardeaux, les uns par des hommes, les autres par des bêtes
de somme, tandis que mes pieds me portent partout où j'ai besoin d'aller. Je
suis en état de braver le froid et la chaleur. Je ne me plains jamais de ce
qu'ordonnent les dieux, et cela à cause de mon indigence. Quant à vous, votre
bonheur même fait que vous n'êtes contents de rien. Vous vous plaignez sans
cesse. Les objets présents vous sont insupportables, vous souhaitez ceux qui
sont absents. L'hiver, vous désirez l'été, et l'été l'hiver. Vous voudriez
avoir chaud quand il fait froid, et froid quand il fait chaud, difficiles comme
des malades et mécontents de votre sort. Enfin, ce que la maladie produit en
eux, votre caractère le produit en vous.
18. Après cela, vous vous donnez des airs de nous réformer, de censurer notre
conduite, comme des gens qui agissent follement, tandis que c'est vous dont les
actions sont folles ; vous ne faites rien, en effet, avec jugement et
raisonnement, mais par routine et par passion. Vous ressemblez à ceux qui sont
emportés par un torrent : ils vont partout où les entraîne la rapidité de
l'eau, de même vous allez où vos passions vous entraînent. Il vous arrive
quelque chose d'approchant à cet homme qui était monté, dit-on, sur un cheval
indompté : l'animal l'entraînait, et le cavalier ne pouvait descendre de son
cheval lancé au galop. Quelqu'un le rencontre et lui demande où il va. "Où
il voudra", répond-il en montrant le cheval. De même, si l'on vous
demandait où vous allez, pour être sincères, vous devriez répondre : "Où
voudront nos passions ; où nous conduiront tour à tour le plaisir, la vaine
gloire, la cupidité, la colère, la crainte ou tout autre de ces mouvements déréglés
qui nous entraînent." Car ce n'est pas un seul cheval que vous montez,
mais un grand nombre, tantôt l'un, tantôt l'autre, et tous d'un naturel
fougueux. Aussi vous emportent-ils dans des abîmes et dans des précipices, où
vous tombez avant d'avoir prévu la chute.
19. Mais ce manteau dont vous vous moquez, cette chevelure, tout mon extérieur
enfin, possède la vertu de me faire vivre dans une douce oisiveté. Je ne fais
que ce qu'il me plaît et ne vis qu'avec qui il me convient. Dans cette foule
d'insensés et d'ignorants, il n'en est pas un seul qui voulût m'aborder. Vos délicats
me fuient du plus loin qu'ils m'aperçoivent. Je ne vois s'empresser autour de
moi que les hommes aimables, doux et amis de la vertu. Ce sont ceux-là surtout
qui m'approchent. C'est avec eux que j'aime à me trouver. Mais je ne vais point
courtiser la porte de ceux que vous décorez du nom d'hommes, leurs couronnes
d'or, leur pourpre, ne sont à mes yeux que de la fumée, et je me ris de ces
vaniteux.
20. Pour apprendre à connaître combien cet extérieur, dont tu te moques, ne
convient pas seulement aux gens de bien, mais aux dieux eux-mêmes, jette les
regards sur les statues des dieux. À qui ressemblent-elles davantage, à vous
ou à moi ? Sans t'arrêter aux temples de la Grèce, parcours ceux des
Barbares. Les dieux y sont-ils chevelus et barbus comme moi ou bien sont-ils
peints et sculptés comme vous, sans cheveux et sans barbe ? Que dis-je ? ils
sont presque tous, comme moi, sans tunique. Comment oserais-tu donc à présent
mépriser un costume dont s’honorent les dieux ?
(01) C'est
sans aucune preuve que Dusoul doute de l'authenticité de ce dialogue, dont
saint Jean Chrysostome a inséré une partie dans une de ses Homélies sur l'Évangile de saint Jean.
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