Aristote : Politique

ARISTOTE

POLITIQUE.

LIVRE I

  livre II

 

Traduction française : Jean-François CHAMPAGNE, revue et corrigée par M. HOEFER.

 

Traduction Saint-Hilaire

 

 

POLITIQUE

 

AVERTISSEMENT.

Les traductions de la Politique d'Aristote sont nombreuses ; la première en date, est celle de Louis Le Roi, la dernière, celle de M. Barthélemy Saint-Hilaire. Sans vouloir porter un jugement sur les divers systèmes des divers traducteurs, nous dirons en général que les uns, sacrifiant tout au sens littéral, sont secs et arides, tandis que les autres, sacrifiant tout à l'élégance, sont tombés dans la diffusion. Entre ces excès, il fallait chercher la bonne route, la route du bon goût; c'est ce qu'a fait Champagne. Sa traduction n'est ni trop libre, ni trop littérale ; il ne manque ni d'élégance, ni de fermeté, et, sans violenter le génie de la langue française, qui est la clarté, il rend toujours fidèlement, sinon le mot à mot, au moins la pensée de l'auteur. C'est son ouvrage, consacré par une estime de plus de quarante ans, que nous publions aujourd'hui ; toutefois cette traduction avait besoin d'être corrigée sur l'excellent texte grec publié par M. Barthélemy Saint-Hilaire; c'est la tâche dont M. Hoefer a bien voulu se charger, tâche aussi difficile et plus ingrate qu'une traduction nouvelle.

L.

PREFACE.

La Politique d'Aristote est un des ouvrages les plus précieux de l'antiquité , et le plus profond peut-être de ceux que ce philosophe nous a laissés. Aristote vivait dans le siècle, non pas le plus vertueux, mais le plus éclairé de la Grèce : il avait vu Épaminondas et la gloire de Thèbes. La splendeur de Sparte et d'Athènes n'était pas .encore éclipsée : Carthage, dont il venge le sage gouvernement de la partialité des Romains, brillait de tout son éclat ; Lycurgue et Solon, Socrate et Platon , avaient paru, et semblaient avoir épuisé les sciences de la législation et de la morale. Aristote, le plus savant homme de son temps, avait encore ajouté à tant de ressources que lui offrait son siècle. Il avait recueilli et discuté les constitutions de cent cinquante-huit peuples différents, ouvrage immense qui malheureusement est perdu (a). C'est au sein de tant de lumières qu'Aristote, dans sa retraite de Mitylène, a écrit sa. Politique. Aussi cet ouvrage est-il le résultat le plus complet des principes de la législation et de l'ordre social des peuples de la Grèce. L'auteur avait pour lui une science profonde, l'expérience d'un siècle éclairé, et son génie.

Quand la Politique d'Aristote ne serait que le tableau fidèle et raisonné des mœurs, des lois, des révolutions du peuple le plus étonnant qui ait existé sur la terre, cet ouvrage serait fait pour exciter toute notre curiosité. Mais il acquiert pour nous un nouveau degré d'intérêt, depuis que nous avons adopté un mode de gouvernement si rapproché de celui des anciens peuples de la Grèce. Que sera-ce, lorsque nous y verrons que notre révolution a suivi à peu près le cercle qu'ont parcouru celles de tant de peuples dont Aristote cite les exemples ; lorsque nous y retrouverons les mêmes passions, les mêmes erreurs, les mêmes crimes, ayant les mêmes résultats ; lorsque nous y reconnaîtrons les mêmes caractères, et sous d'autres noms, les mêmes hommes? Alors Aristote nous semblera souvent, moins un écrivain du siècle d'Alexandre, que l'historien et le censeur sévère des faits qui se sont passés de nos jours. La lecture du cinquième livre nous convaincra surtout de cette vérité.

On n'y lira point encore sans étonnement qu'Aristote, en développant les principes des bons gouvernements (b), donne à celui qu'il appelle vraie république, les bases mêmes de notre constitution (c).

La vraie république, dit-il, n'est point une oligarchie dans laquelle une minorité tient les rênes de l'État par le privilège des richesses. Elle n'est point une démocratie dans laquelle tou£gouvernent par l'influence de leur multitude. Elle est la prépondérance politique de la classe moyenne, tenant à la patrie par le lien de la propriété ; classe qui, dans toutes les nations, se distingue par son amour de l'ordre, sa haine pour les révolutions, ses talents, sa vertu.

Voici quelles sont les bases de sa vraie république.

Premier principe. La vraie république, comme tous les bons gouvernements, est essentiellement fondée sur la vertu et sur la justice égale pour tous dans l'exercice de leurs droits.

2°. L'égalité doit être proportionnelle, c'est-à-dire dans la raison des talents, des vertus, des moyens que chacun apporte dans la mise commune de l'association.

3°. La vraie république a un cens ou revenu nécessaire pour prendre part aux affaires. Ce cens sera tellement calculé , que la majorité du peuple seulement, et non tous, participent au gouvernement. Ceux qui ne tiennent par aucun lien à la patrie, et qui sont presque toujours livrés aux passions et à l'ignorance, ne doivent point avoir d'influence sur la chose publique.

4°. Elle a un cens plus élevé pour être éligible aux honneurs. Il faut que les magistrats soient à l'abri des séductions et du besoin.

5°. Le droit des citoyens, dans les assemblées, doit se borner à élire les magistrats, à juger leur responsabilité. La multitude ne doit faire que ce qu'elle est en état de décider suffisamment.

6°. Les emplois seront temporaires : le droit d'obéir et de pouvoir commander à son tour, tient à l'essence de l'homme libre.

7°. La cité doit avoir un conseil suprême pour la direction générale des affaires, et des magistrats chargés de veiller à l'exécution des lois. Les pouvoirs seront perpétuels, et les hommes qui en seront chargés, alterneront.

8°. Ces principes une fois adoptés, quels que soient le nom, l'organisation, les attributions des conseils ou des magistrats , vous aurez constitué une véritable république.

A ces caractères généraux qu'Aristote expose et démontre sans cesse dans sa Politique, qui ne reconnaît les bases sur lesquelles repose le pacte social du peuple français?

Cependant, malgré ces traits de ressemblance, Aristote, d'après ses principes, eût fait un reproche sévère à notre constitution. Les anciens, dans l'institution d'un gouvernement, ne séparaient jamais l'organisation du pacte social, des moyens de le conserver. L'organisation était l'établissement des pouvoirs publics; la conservation était les moyens politiques employés par le législateur pour formelles mœurs et les habitudes, pour inspirer aux citoyens l'amour de la patrie et le respect pour les lois, pour donner à tous un caractère et un esprit national. C'était l'organisation des pouvoirs, réunie aux moyens de conservation, qu'ils appelaient une constitution. Nous avons organisé notre gouvernement. Aristote nous demanderait avec Ly- curgue et Solon, où sont nos institutions conservatrices, afin que nous ayons, dans les principes des anciens, un système complet de constitution.

Mais ce n'est point là le seul rapport qui se trouve entre notre constitution et celles des peuples anciens. Voici une ressemblance plus frappante. Qu'on lise l'examen de la constitution carthaginoise, on y retrouvera le système presque entier de notre gouvernement. Ce peuple fameux avait comme nous son conseil des cinq cents, senatus; son conseil des anciens tiré du sénat, seniores; son directoire, composé, comme le nôtre, de cinq membres, sanctius consilium. Cette conformité est-elle une imitation véritable, ou bien n'est-elle due qu'au hasard ?

Quoi qu'il en soit, Aristote eût mis notre constitution au rang des bons gouvernements : en effet, il déclare que les trois constitutions de Crète, de Lacédémone et de Carthage, sont les plus sages qui aient existé sur la terre. Cependant il a fait à Carthage une grande prédiction qui s'est vérifiée cent dix ans après lui : « Si jamais, dit-il, les « Carthaginois éprouvent quelques grands revers, si leurs sujets se refusent à l'obéissance, ils ne trouveront aucun moyen dans la constitution pour ramener la tranqnillité. » Nous avons adopté les bases du gouvernement de Carthage ; que cette leçon, qui fut perdue pour elle, ne le soit pas pour nous.

Tel est encore le mérite de cet ouvrage, que les écrivains politiques les plus célèbres y ont puisé comme dans une source féconde, et ne l'ont pas fait oublier. Je ne parlerai pas de Bodin et de Grotius. Montesquieu y a peut-être pris l'idée de son immortel ouvrage. En effet, Aristote consacre son sixième livre à l'examen de cette question : Quels doivent être les principes des lois dans leurs rapports avec les différentes espèces de gouvernements ? Qu'est-ce que ce traité, sinon un véritable Esprit des lois ? Rousseau cite et critique souvent Aristote dans le Contrat social. Cependant qu'on y lise les chapitres si fortement pensés du souverain, du peuple, du gouvernement en général, du législateur, on y retrouve tous les principes du précepteur d'Alexandre. Machiavel, surtout, l'a suivi presque pas à pas dans son fameux ouvrage du Prince. D'abord il établit la démocratie entre les bons et les mauvais gouvernements, comme l'a fait Aristote dans son livre troisième. Le reste du Prince n'est presque que le commentaire des chapitres 10, 11, 12 du cinquième livre de la Politique. Voici la seule différence : Machiavel, s'enveloppant dans lui-même, ne laisse pas entrevoir son opinion sur la moralité et les crimes de ses tyrans. Aristote , au contraire, indique les ressorts de la politique de ces mêmes tyrans ; mais il déclare en honnête homme que ces moyens sont vicieux, et qu'ils sont tous marqués au sceau de la perversité (d). Machiavel ajoute à son plagiat un trait digne de lui ; il s'est fait honneur de l'ouvrage, et s'est bien gardé d'indiquer la source où il a puisé.

La méthode d'Aristote se ressent quelquefois de l'argumentation de l'école. La matière, la forme, les espèces, les différences, les causes finales, prises moins dans la nature que dans la métaphysique, étaient les grands principes de l'école péripatéticienne. Leur usage trop fréquent donne quelquefois à sa pensée un air sophistique et vague qui lui a mérité ce reproche de Bacon, qu'il met quelquefois sa méthode à la place de l'évidence. Il dispute trop souvent contre ses adversaires, et surtout contre Platon, au point que, suivant Montesquieu et Rousseau, il semble n'avoir fait sa Politique que pour en opposer les principes à ceux de Platon.

On peut encore lui reprocher une sorte d'obscurité qui vient de plusieurs causes : d'abord, Aristote avoue lui-même qu'il a quelquefois, à dessein, voilé ses principes et sa pensée, et qu'il avait deux doctrines, l'une publique et l'autre réservée à ses seuls disciples. Lorsque Alexandre lui reprocha, dans sa lettre qu'Aulu-Gelle nous a conservée (e), d'avoir publié sa doctrine, de manière que ses disciples n'avaient plus d'avantage sur le commun des hommes, sachez, lui répondit Aristote, que ma doctrine est publique sans l'être, et que mes seuls disciples qui m'ont entendu en ont la clef ; j'entends par là ma doctrine de vive voix, que j'ai réservée pour eux et pour moi. Plusieurs passages de la Politique prouvent que cette lettre n'est pas une excuse ingénieuse, mais une vérité.

En second lieu, que l'on fasse attention à la différence prodigieuse qui se trouve entre les mœurs, les coutumes, les institutions, les convenances, les rapports politiques des peuples de la Grèce et les nôtres ; on comprendra que le code politique de ces temps si reculés offre nécessairement une foule de lois, d'exemples, de principes mêmes, qui, après vingt-deux siècles, doivent présenter quelque obscurité.



Enfin, la méthode même employée, non-seulement par Àristote, mais par les anciens en général, contribue encore à rendre difficile la lecture de la Politique. Les modernes divisent la politique en droit naturel, droit public, droit de la paix, droit de la guerre, etc., et ils appellent l'ensemble de ces connaissances, science des gouvernements. Les anciens, et surtout Aristote, qui est ici d'accord avec Platon, n'admettaient point ces divisions; ils posaient en principe ! que la science des gouvernements est l'art de rendre les ; hommes heureux en société; qu'ainsi la politique n'est| qu'une partie et le complément de la morale. Aristote était tellement persuadé de cette vérité, qu'il avait fait de sa Politique une suite de ses traités moraux , et que sa morale même est souvent un traité de politique. De là des dissertations sur la nature de la vertu, sur le bonheur, sur la perfectibilité de l'homme, qui nous paraissent étrangères au sujet, mais qui y tiennent essentiellement dans le plan des anciens, qui ne séparaient jamais la politique de la morale.

Cependant, si cette manière d'envisager la politique donne lieu à des discussions que nous pourrions regarder comme étrangères au sujet, d'un autre côté elle offre un grand et beau résultat, digne d'être adopté par les vrais législateurs, c'est que la politique n'étant, chez les anciens, que le complément de la morale, vertu, bonheur, ordre social et gouvernement ne sont que des expressions synonymes; qu'ainsi il n'y a pas deux sortes de vertus, mais une seule, qui est la même pour les individus et pour les gouvernements.

CHAMPAGNE.

(a) Diog. Laert. Aristotelis Vita.

(b) Les trois bons gouvernements sont, selon Aristote, la royauté, l'aristocratie , suivant la rigoureuse acception du mol, c'est-à-dire le gouvernement des meilleurs, et la vraie république.

(c) Cette préface fut écrite en 1797.

(d) Voyez liv. V, ch. XI, p. 255.

(e)  Aul. Gel!., liv. XX, ch. 5.

 

 

 

 

 

POLITIQUE D'ARISTOTE.

LIVRE PREMIER.

SOMMAIRE.

La politique n'étant, chez les anciens, que le complément de la morale, qui est la science du bonheur, Aristote part de ce principe pour établir que le bonheur se trouve éminemment dans la société par excellence, qui est la cité.

Il cherche dans la nature l'origine des sociétés. La nature veut que l'homme et la femme se réunissent pour avoir des enfants. Elle veut encore que des êtres faibles de raison et d'intelligence se rapprochent de ceux qui ont la prudence nécessaire pour leur commander. Le père, mari et maître, la femme, les enfants et les esclaves forment la première société organisée, qui est la famille.

Les enfants de la première famille, tous égaux et indépendants, en forment bientôt de nouvelles, qui se réunissent en hameaux, dont l'agrégation constitue la cité.

Le maître, par le droit de nature, ordonne à l'esclave ; voilà le despotisme.

Le père et mari, par le même droit, est obéi par sa femme et ses enfants, à titre d'attachement et de reconnaissance : voilà la monarchie.

Les chefs des familles indépendants et égaux se réunissent pour les intérêts et la défense commune. Ils obéissent sous la condition de pouvoir commander à leur tour : voilà la république.

Ces trois pouvoirs établis par la nature sont la base de l'orga nisation des cités.

D'un autre coté, la nature a pourvu à la subsistance de l'homme , on lui gardant son indépendance. L'agriculture, la chasse, la pêche, la guerre , voilà les moyens naturels de l'homme pour exister en demeurant libre et sans se dégrader. L'ensemble cle ces professions constitue ce qu'Aristote appelle la spéculation naturelle.

D'autres hommes s'écartent de la nature pour pourvoir à leur subsistance. Ce sont les mercenaires etles gens de main-d'œuvre qui sont entachés d'esclavage, parce qu'ils opèrent passivement sous les ordres et pour les caprices des autres. Leurs professions sont des spéculations artificielles, c'est-à-dire contre nature.

Les premiers, conservant l'indépendance de la nature, doivent seuls cire membres du corps social.

Les seconds, dépendants par habitude, ne sont pas faits pour commander, et doivent être exclus de l'exercice des droits politiques.

Telle est la théorie des pouvoirs publies établis dans ce premier livre.

CHAPITRE PREMIER.

De la formation des sociétés.

[1252a]  §1. Ἐπειδὴ πᾶσαν πόλιν ὁρῶμεν κοινωνίαν τινὰ οὖσαν καὶ πᾶσαν κοινωνίαν ἀγαθοῦ τινος ἕνεκεν συνεστηκυῖαν (τοῦ γὰρ εἶναι δοκοῦντος ἀγαθοῦ χάριν πάντα πράττουσι πάντες), δῆλον ὡς πᾶσαι μὲν ἀγαθοῦ τινος στοχάζονται, μάλιστα δὲ καὶ τοῦ κυριωτάτου πάντων ἡ πασῶν κυριωτάτη καὶ πάσας περιέχουσα τὰς ἄλλας. Αὕτη δ' ἐστὶν ἡ καλουμένη πόλις καὶ ἡ κοινωνία ἡ πολιτική.

 Ὅσοι μὲν οὖν οἴονται πολιτικὸν καὶ βασιλικὸν καὶ οἰκονομικὸν καὶ δεσποτικὸν εἶναι τὸν αὐτὸν οὐ καλῶς λέγουσιν (πλήθει γὰρ καὶ ὀλιγότητι νομίζουσι διαφέρειν ἀλλ' οὐκ εἴδει τούτων ἕκαστον, οἷον ἂν μὲν ὀλίγων, δεσπότην, ἂν δὲ πλειόνων, οἰκονόμον, ἂν δ' ἔτι πλειόνων, πολιτικὸν ἢ βασιλικόν, ὡς οὐδὲν διαφέρουσαν μεγάλην οἰκίαν ἢ μικρὰν πόλιν· καὶ πολιτικὸν δὲ καὶ βασιλικόν, ὅταν μὲν αὐτὸς ἐφεστήκῃ, βασιλικόν, ὅταν δὲ κατὰ τοὺς λόγους τῆς ἐπιστήμης τῆς τοιαύτης κατὰ μέρος ἄρχων καὶ ἀρχόμενος, πολιτικόν· ταῦτα δ' οὐκ ἔστιν ἀληθῆ)· δῆλον δ' ἔσται τὸ λεγόμενον ἐπισκοποῦσι κατὰ τὴν ὑφηγημένην μέθοδον. Ὥσπερ γὰρ ἐν τοῖς ἄλλοις τὸ σύνθετον μέχρι τῶν ἀσυνθέτων ἀνάγκη διαιρεῖν (ταῦτα γὰρ ἐλάχιστα μόρια τοῦ παντός), οὕτω καὶ πόλιν ἐξ ὧν σύγκειται σκοποῦντες ὀψόμεθα καὶ περὶ τούτων μᾶλλον, τί τε διαφέρουσιν ἀλλήλων καὶ εἴ τι τεχνικὸν ἐνδέχεται λαβεῖν περὶ ἕκαστον τῶν ῥηθέντων.

Εἰ δή τις ἐξ ἀρχῆς τὰ πράγματα φυόμενα βλέψειεν, ὥσπερ ἐν τοῖς ἄλλοις, καὶ ἐν τούτοις κάλλιστ' ἂν οὕτω θεωρήσειεν.
 

Ἀνάγκη δὴ πρῶτον συνδυάζεσθαι τοὺς ἄνευ ἀλλήλων μὴ δυναμένους εἶναι, οἷον θῆλυ μὲν καὶ ἄρρεν τῆς γενέσεως ἕνεκεν (καὶ τοῦτο οὐκ ἐκ προαιρέσεως, ἀλλ' ὥσπερ καὶ ἐν τοῖς ἄλλοις ζῴοις καὶ φυτοῖς φυσικὸν τὸ ἐφίεσθαι, οἷον αὐτό, τοιοῦτον καταλιπεῖν ἕτερον),

ἄρχον δὲ καὶ ἀρχόμενον φύσει, διὰ τὴν σωτηρίαν. Τὸ μὲν γὰρ δυνάμενον τῇ διανοίᾳ προορᾶν ἄρχον φύσει καὶ δεσπόζον φύσει, τὸ δὲ δυνάμενον τῷ σώματι ταῦτα πονεῖν ἀρχόμενον καὶ φύσει δοῦλον· διὸ δεσπότῃ καὶ δούλῳ ταὐτὸ συμφέρει.

[1252b]  Φύσει μὲν οὖν διώρισται τὸ θῆλυ καὶ τὸ δοῦλον (οὐθὲν γὰρ ἡ φύσις ποιεῖ τοιοῦτον οἷον οἱ χαλκοτύποι τὴν Δελφικὴν μάχαιραν, πενιχρῶς, ἀλλ' ἓν πρὸς ἕν· οὕτω γὰρ ἂν ἀποτελοῖτο κάλλιστα τῶν ὀργάνων ἕκαστον, μὴ πολλοῖς ἔργοις ἀλλ' ἑνὶ δουλεῦον)· ἐν δὲ τοῖς βαρβάροις τὸ θῆλυ καὶ τὸ δοῦλον τὴν αὐτὴν ἔχει τάξιν. Αἴτιον δ' ὅτι τὸ φύσει ἄρχον οὐκ ἔχουσιν, ἀλλὰ γίνεται ἡ κοινωνία αὐτῶν δούλης καὶ δούλου. Διό φασιν οἱ ποιηταὶ

βαρβάρων δ' Ἕλληνας ἄρχειν εἰκός,

ὡς ταὐτὸ φύσει βάρβαρον καὶ δοῦλον ὄν.

 Ἐκ μὲν οὖν τούτων τῶν δύο κοινωνιῶν οἰκία πρώτη, καὶ ὀρθῶς Ἡσίοδος εἶπε ποιήσας

οἶκον μὲν πρώτιστα γυναῖκά τε βοῦν τ' ἀροτῆρα

Ωδ ὁ γὰρ βοῦς ἀντ' οἰκέτου τοῖς πένησίν ἐστιν.

Ἡ μὲν οὖν εἰς πᾶσαν ἡμέραν συνεστηκυῖα κοινωνία κατὰ φύσιν οἶκός ἐστιν, οὓς Χαρώνδας μὲν καλεῖ ὁμοσιπύους, Ἐπιμενίδης δὲ ὁ Κρὴς ὁμοκάπους.

Ἡ δ' ἐκ πλειόνων οἰκιῶν κοινωνία πρώτη χρήσεως ἕνεκεν μὴ ἐφημέρου κώμη. Μάλιστα δὲ κατὰ φύσιν ἔοικεν ἡ κώμη ἀποικία οἰκίας εἶναι, οὓς καλοῦσί τινες ὁμογάλακτας, παῖδάς τε καὶ παίδων παῖδας.

Διὸ καὶ τὸ πρῶτον ἐβασιλεύοντο αἱ πόλεις, καὶ νῦν ἔτι τὰ ἔθνη· ἐκ βασιλευομένων γὰρ συνῆλθον· πᾶσα γὰρ οἰκία βασιλεύεται ὑπὸ τοῦ πρεσβυτάτου, ὥστε καὶ αἱ ἀποικίαι, διὰ τὴν συγγένειαν. Καὶ τοῦτ' ἐστὶν ὃ λέγει Ὅμηρος

Θεμιστεύει δὲ ἕκαστος
παίδων ἠδ' ἀλόχων.

Σποράδες γάρ· καὶ οὕτω τὸ ἀρχαῖον ᾤκουν.

Καὶ τοὺς θεοὺς δὲ διὰ τοῦτο πάντες φασὶ βασιλεύεσθαι, ὅτι καὶ αὐτοὶ οἱ μὲν ἔτι καὶ νῦν οἱ δὲ τὸ ἀρχαῖον ἐβασιλεύοντο, ὥσπερ δὲ καὶ τὰ εἴδη ἑαυτοῖς ἀφομοιοῦσιν οἱ ἄνθρωποι, οὕτω καὶ τοὺς βίους τῶν θεῶν.

[1252a] Tout État est une association, et toute, association se forme dans la vue de quelque avantage ; car l'homme dirige nécessairement ses actions vers ce qu'il regarde comme un bien. Les individus ne se réunissent donc en société que dans la vue d'un bien : or ce bien doit se trouver éminemment dans cette société par excellence, qui, renfermant toutes les autres, porte le nom d'État et d'association politique.

Quelques politiques soutiennent à tort que le magistrat , le monarque, le père de famille, et le maître, sont investis de pouvoirs de même nature (1). Ils pensent que ces pouvoirs diffèrent moins par leur essence que par le nombre des gouvernés; qu'un maître commande à peu d'individus, un père de famille à un plus grand nombre, un magistrat ou un monarque à une société plus étendue. Il suivrait de ce principe, qu'il n'y aurait pas de différence entre une grande famille et un petit État, entre un monarque et un magistrat républicain : seulement on appellerait monarque, un chef unique et indépendant; et magistrat, celui qui, d'après les termes de la constitution politique, est tout à la fois chef et sujet. Nous démontrerons le vice de ce principe (2), à l'aide de la méthode qui nous a guidé dans nos autres ouvrages. L'analyse est la clef de toutes les sciences : par elle, le tout est décomposé en ses éléments. Ainsi, nous examinerons la cité dans les plus simples parties qui la constituent. Nous saisirons plus aisément leurs différences, et nous réunirons ces connaissances isolées pour essayer d'en former un art.

Examinons l'ordre de la nature dans la composition des êtres; nous suivrons sa marche : c'est la plus belle des méthodes.

La première société se forme de deux individus, qui ne peuvent exister l'un sans l'autre, ce sont l'homme et la femme. Ils se rapprochent par le désir de se reproduire; leur union n'est pas le résultat d'une volonté réfléchie ; elle est commandée par cet instinct de la nature qui entraîne les animaux et les plantes mêmes vers le plaisir de laisser après eux des êtres qui leur ressemblent.

La seconde société se forme entre deux individus que la nature a faits, l'un pour commander, l'autre pour obéir. Ils se réunissent pour leur mutuelle conservation. L'homme qui a la force de l'entendement et de la prudence, a reçu de la nature le commandement et l'empire. Celui qui n'a que la force du corps pour exécuter, est par l'ordre de la nature obéissant et esclave. Le maître et l'esclave trouvent donc dans leur réunion un commun avantage.

[1252b] Il suit de ces premières bases, que la nature a mis une différence essentielle entre la femme et l'esclave : car la nature ne procède pas mesquinement comme les couteliers de Delphes, dont les couteaux servent à plusieurs usages ; elle donne à chaque être sa destination particulière; ainsi chaque pièce de son grand œuvre est d'autant plus parfaite, qu'elle a un emploi plus exclusif. Les Barbares, il est vrai, ne distinguent pas la femme de l'esclave, mais aussi la nature ne leur a point départi l'instinct du commandement : tous, hommes et femmes, ne sont qu'un troupeau d'esclaves. Aussi, lorsque les poêles nous disent :

Les Grecs ont droit de commander aux Barbares (3),

ils partent de cette idée, que, dans la nature, esclaves et barbares sont synonymes.

Cette double réunion de l'homme et de la femme, du maître et de l'esclave, constitue d'abord la famille : de là cette pensée vraie d'Hésiode (4).

La maison d'abord, puis la femme et le bœuf laboureur.

Le poète compte le bœuf comme partie de la famille , parce qu'il est l'esclave du pauvre.

Voilà une première maison établie par la nature. Là, dit Charondas, tous mangent le même pain; tous, dit Épiménides de Crète (1), se chauffent au même foyer: cette société est celle de tous les jours.

Bientôt il se forme une agrégation de maisons, ayant besoin de services réciproques, mais non de secours de tous les moments. Voilà le premier hameau, qui semble être la colonie naturelle de la maison primitive. Il comprend en effet la génération des enfants, et celle des enfants des enfants, qui tous, comme on dit, ont sucé le même lait.

De là, le berceau des monarchies. Les premières sociétés étaient soumises au pouvoir monarchique. Les peuples ont conservé jusqu'à nos jours cette forme de gouvernement, parce que leurs aïeux avaient vécu sous des rois. En effet, une maison est administrée par le plus âgé, qui est une espèce de monarque ; les colonies qui en sont descendues ont conservé le gouvernement de la mère patrie. C'est l'idée d'Homère, lorsqu'il dit :

Aux femmes, aux enfants, un seul donne des lois  (5).

Cette institution était naturelle, lorsque les premières familles vivaient éparses et indépendantes.

La monarchie adoptée, tant par les premiers hommes que par ceux d'aujourd'hui, a donné l'idée de la hiérarchie céleste. Tous s'accordent à dire que les dieux reconnaissent un maître suprême. L'homme a fait les dieux à son image : il leur donne aussi ses mœurs.

CHAPITRE II.

De l'État.

 Ἡ δ' ἐκ πλειόνων κωμῶν κοινωνία τέλειος πόλις, ἤδη πάσης ἔχουσα πέρας τῆς αὐταρκείας ὡς ἔπος εἰπεῖν, γινομένη μὲν τοῦ ζῆν ἕνεκεν, οὖσα δὲ τοῦ εὖ ζῆν. Διὸ πᾶσα πόλις φύσει ἔστιν, εἴπερ καὶ αἱ πρῶται κοινωνίαι. Τέλος γὰρ αὕτη ἐκείνων, ἡ δὲ φύσις τέλος ἐστίν· οἷον γὰρ ἕκαστόν ἐστι τῆς γενέσεως τελεσθείσης, ταύτην φαμὲν τὴν φύσιν εἶναι ἑκάστου, ὥσπερ ἀνθρώπου ἵππου οἰκίας. Ἔτι τὸ οὗ ἕνεκα καὶ τὸ τέλος βέλτιστον· [1253a]  Ἡ δ' αὐτάρκεια καὶ τέλος καὶ βέλτιστον.

 Ἐκ τούτων οὖν φανερὸν ὅτι τῶν φύσει ἡ πόλις ἐστί, καὶ ὅτι ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον, καὶ ὁ ἄπολις διὰ φύσιν καὶ οὐ διὰ τύχην ἤτοι φαῦλός ἐστιν, ἢ κρείττων ἢ ἄνθρωπος· ὥσπερ καὶ ὁ ὑφ' Ὁμήρου λοιδορηθεὶς

Ἀφρήτωρ ἀθέμιστος ἀνέστιος·

Ἅμα γὰρ φύσει τοιοῦτος καὶ πολέμου ἐπιθυμητής, ἅτε περ ἄζυξ ὢν ὥσπερ ἐν πεττοῖς.

Διότι δὲ πολιτικὸν ὁ ἄνθρωπος ζῷον πάσης μελίττης καὶ παντὸς ἀγελαίου ζῴου μᾶλλον, δῆλον. Οὐθὲν γάρ, ὡς φαμέν, μάτην ἡ φύσις ποιεῖ· λόγον δὲ μόνον ἄνθρωπος ἔχει τῶν ζῴων· ἡ μὲν οὖν φωνὴ τοῦ λυπηροῦ καὶ ἡδέος ἐστὶ σημεῖον, διὸ καὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει ζῴοις (μέχρι γὰρ τούτου ἡ φύσις αὐτῶν ἐλήλυθε, τοῦ ἔχειν αἴσθησιν λυπηροῦ καὶ ἡδέος καὶ ταῦτα σημαίνειν ἀλλήλοις), ὁ δὲ λόγος ἐπὶ τῷ δηλοῦν ἐστι τὸ συμφέρον καὶ τὸ βλαβερόν, ὥστε καὶ τὸ δίκαιον καὶ τὸ ἄδικον· τοῦτο γὰρ πρὸς τὰ ἄλλα ζῷα τοῖς ἀνθρώποις ἴδιον, τὸ μόνον ἀγαθοῦ καὶ κακοῦ καὶ δικαίου καὶ ἀδίκου καὶ τῶν ἄλλων αἴσθησιν ἔχειν· ἡ δὲ τούτων κοινωνία ποιεῖ οἰκίαν καὶ πόλιν.

Καὶ πρότερον δὲ τῇ φύσει πόλις ἢ οἰκία καὶ ἕκαστος ἡμῶν ἐστιν. Τὸ γὰρ ὅλον πρότερον ἀναγκαῖον εἶναι τοῦ μέρους· ἀναιρουμένου γὰρ τοῦ ὅλου οὐκ ἔσται ποὺς οὐδὲ χείρ, εἰ μὴ ὁμωνύμως, ὥσπερ εἴ τις λέγοι τὴν λιθίνην

(διαφθαρεῖσα γὰρ ἔσται τοιαύτη), πάντα δὲ τῷ ἔργῳ ὥρισται καὶ τῇ δυνάμει, ὥστε μηκέτι τοιαῦτα ὄντα οὐ λεκτέον τὰ αὐτὰ εἶναι ἀλλ' ὁμώνυμα.  Ὅτι μὲν οὖν ἡ πόλις καὶ φύσει πρότερον ἢ ἕκαστος, δῆλον· εἰ γὰρ μὴ αὐτάρκης ἕκαστος χωρισθείς, ὁμοίως τοῖς ἄλλοις μέρεσιν ἕξει πρὸς τὸ ὅλον, ὁ δὲ μὴ δυνάμενος κοινωνεῖν ἢ μηδὲν δεόμενος δι' αὐτάρκειαν οὐθὲν μέρος πόλεως, ὥστε ἢ θηρίον ἢ θεός.

Φύσει μὲν οὖν ἡ ὁρμὴ ἐν πᾶσιν ἐπὶ τὴν τοιαύτην κοινωνίαν· ὁ δὲ πρῶτος συστήσας μεγίστων ἀγαθῶν αἴτιος. Ὥσπερ γὰρ καὶ τελεωθὲν βέλτιστον τῶν ζῴων ὁ ἄνθρωπός ἐστιν, οὕτω καὶ χωρισθεὶς νόμου καὶ δίκης χείριστον πάντων. Χαλεπωτάτη γὰρ ἀδικία ἔχουσα ὅπλα· ὁ δὲ ἄνθρωπος ὅπλα ἔχων φύεται φρονήσει καὶ ἀρετῇ, οἷς ἐπὶ τἀναντία ἔστι χρῆσθαι μάλιστα. Διὸ ἀνοσιώτατον καὶ ἀγριώτατον ἄνευ ἀρετῆς, καὶ πρὸς ἀφροδίσια καὶ ἐδωδὴν χείριστον. Ἡ δὲ δικαιοσύνη πολιτικόν· ἡ γὰρ δίκη πολιτικῆς κοινωνίας τάξις ἐστίν, ἡ δὲ δικαιοσύνη τοῦ δικαίου κρίσις.
 

 

La fusion parfaite de plusieurs villages dans un seul corps, constitue un État ; cet État forme déjà un tout à peu près parfait dans son organisation ; car les hommes en avaient fondé les premières bases pour conserver leur existence, et le résultat de l'ordre politique de l'État est pour eux de bien vivre. Si donc les associations élémentaires de l'État sont dans la nature, l'État est aussi dans la nature : or la nature était la fin de ces associations, et la nature est la vraie fin de toutes choses. Ainsi nous disons des différents êtres, par exemple, d'un homme, d'un cheval, d'une famille, qu'ils sont dans la nature, lorsqu'ils sont constitués suivant le système complet d'organisation qui leur est propre. D'ailleurs les éléments disposés pour une fin sont bons, mais le complément de l'organisation est une fin aussi, [1253a] et une fin plus parfaite encore.

Il résulte de là que l'État est dans la nature ; que la nature a créé l'homme pour vivre en société politique ; que celui qui, par sa nature n'appartient à aucun État, sans qu'il puisse en accuser la fortune, est, ou plus qu'un homme, ou un être dégradé : on peut lui appliquer ce vers qu'Homère adresse comme un reproche sanglant (6).

Sans famille, tans lois, sang foyer.

Un tel être est indocile au joug comme un oiseau de proie. Il est en guerre avec la nature.

Oui, l'homme est l'animal social par excellence : il l'est davantage que l'abeille, que tous les autres animaux qui vivent réunis. La nature ne fait rien en vain. Seul entre les animaux, l'homme a l'usage de la parole ; d'autres ont, comme lui, le développement de la voix pour manifester la douleur et le plaisir. La nature, en leur donnant des sensations agréables ou pénibles, les a pourvus d'un organe propre à les communiquer aux individus de leur espèce ; .elle a borné là leur langage; mais elle a doué l'homme de la parole pour exprimer le bien et le mal moral, et par conséquent le juste et l'injuste; elle a fait à lui seul ce beau présent, parce qu'il a exclusivement le sentiment du bon et du mauvais, du juste et de l'injuste, et de toutes les affections qui en dépendent. C'est la communication de ces sentiments moraux qui constitue la famille et l'État.

L'État est avant la famille et les individus, parce que le tout est avant sa partie. Ainsi un homme est un tout: s'il meurt, on ne peut plus dire que son pied ou sa main existent encore. On appellera bien pied ou main ces membres inanimés, mais par analogie, comme on appelle main, la main d'une statue.

Tous les êtres ont également leurs fonctions et leurs propriétés déterminées. S'ils perdent les caractères qui leur sont propres, il ne reste plus qu'une ressemblance sans réalité. D'après ces principes, l'État est par sa nature avant l'individu ; car si chaque individu isolé ne peut se suffire à lui-même, tous seront, pris séparément, dans le même rapport avec le tout. S'il se trouvait donc un homme qui ne pût vivre en société, ou qui prétendît n'avoir besoin que de ses propres ressources, ne le regardez point comme faisant partie de l'État : c'est une bête féroce ou un dieu.

La vie sociale est pour l'homme un penchant impérieux de la nature. Le premier qui constitua un État, fut l'auteur du plus grand des bienfaits. L'homme perfectionné par la société est le meilleur des animaux ; il est le plus terrible de tous, lorsqu'il vit sans justice et sans lois. Quel fléau que l'injustice qui a les armes à la main ! Les armes que la nature donne à l'homme, sont la prudence et la vertu, pour combattre surtout les passions et les vices. Sans vertu, il n'est qu'un être impur et féroce, qui ne sait que se remplir et se reproduire. La justice est la base de la société ; le jugement constitue l'ordre de la société : or le jugement est l'application de la justice.

CHAPITRE III.

Des éléments de la famille.

[1253b]  Ἐπεὶ δὲ φανερὸν ἐξ ὧν μορίων ἡ πόλις συνέστηκεν, ἀναγκαῖον πρῶτον περὶ οἰκονομίας εἰπεῖν·

πᾶσα γὰρ σύγκειται πόλις ἐξ οἰκιῶν. Οἰκονομίας δὲ μέρη ἐξ ὧν πάλιν οἰκία συνέστηκεν· οἰκία δὲ τέλειος ἐκ δούλων καὶ ἐλευθέρων. Ἐπεὶ δ' ἐν τοῖς ἐλαχίστοις πρῶτον ἕκαστον ζητητέον, πρῶτα δὲ καὶ ἐλάχιστα μέρη οἰκίας δεσπότης καὶ δοῦλος, καὶ πόσις καὶ ἄλοχος, καὶ πατὴρ καὶ τέκνα, περὶ τριῶν ἂν τούτων σκεπτέον εἴη τί ἕκαστον καὶ ποῖον δεῖ εἶναι. Ταῦτα δ' ἐστὶ δεσποτικὴ καὶ γαμική (ἀνώνυμον γὰρ ἡ γυναικὸς καὶ ἀνδρὸς σύζευξις) καὶ τρίτον τεκνοποιητική (καὶ γὰρ αὕτη οὐκ ὠνόμασται ἰδίῳ ὀνόματι). Ἔστωσαν δὴ αὗται τρεῖς ἃς εἴπομεν. Ἔστι δέ τι μέρος ὃ δοκεῖ τοῖς μὲν εἶναι οἰκονομία, τοῖς δὲ μέγιστον μέρος αὐτῆς· ὅπως δ' ἔχει, θεωρητέον· λέγω δὲ περὶ τῆς καλουμένης χρηματιστικῆς.

Πρῶτον δὲ περὶ δεσπότου καὶ δούλου εἴπωμεν,

ἵνα τά τε πρὸς τὴν ἀναγκαίαν χρείαν ἴδωμεν, κἂν εἴ τι πρὸς τὸ εἰδέναι περὶ αὐτῶν δυναίμεθα λαβεῖν βέλτιον τῶν νῦν ὑπολαμβανομένων.  Τοῖς μὲν γὰρ δοκεῖ ἐπιστήμη τέ τις εἶναι ἡ δεσποτεία, καὶ ἡ αὐτὴ οἰκονομία καὶ δεσποτεία καὶ πολιτικὴ καὶ βασιλική, καθάπερ εἴπομεν ἀρχόμενοι· τοῖς δὲ παρὰ φύσιν τὸ δεσπόζειν ννόμῳ γὰρ τὸν μὲν δοῦλον εἶναι τὸν δ' ἐλεύθερον, φύσει δ' οὐθὲν διαφέρεινν· διόπερ οὐδὲ δίκαιον· βίαιον γάρ.

Ἐπεὶ οὖν ἡ κτῆσις μέρος τῆς οἰκίας ἐστὶ καὶ ἡ κτητικὴ μέρος τῆς οἰκονομίας (ἄνευ γὰρ τῶν ἀναγκαίων ἀδύνατον καὶ ζῆν καὶ εὖ ζῆν), ὥσπερ δὲ ταῖς ὡρισμέναις τέχναις ἀναγκαῖον ἂν εἴη ὑπάρχειν τὰ οἰκεῖα ὄργανα, εἰ μέλλει ἀποτελεσθήσεσθαι τὸ ἔργον, οὕτω καὶ τῷ οἰκονομικῷ. Τῶν δ' ὀργάνων τὰ μὲν ἄψυχα τὰ δὲ ἔμψυχα αοἷον τῷ κυβερνήτῃ ὁ μὲν οἴαξ ἄψυχον ὁ δὲ πρῳρεὺς ἔμψυχον· ὁ γὰρ ὑπηρέτης ἐν ὀργάνου εἴδει ταῖς τέχναις ἐστίνν· οὕτω καὶ τὸ κτῆμα ὄργανον πρὸς ζωήν ἐστι, καὶ ἡ κτῆσις πλῆθος ὀργάνων ἐστί, καὶ ὁ δοῦλος κτῆμά τι ἔμψυχον, καὶ ὥσπερ ὄργανον πρὸ ὀργάνων πᾶς ὑπηρέτης. 

Εἰ γὰρ ἠδύνατο ἕκαστον τῶν ὀργάνων κελευσθὲν ἢ προαισθανόμενον ἀποτελεῖν τὸ αὑτοῦ ἔργον, καὶ ὥσπερ τὰ Δαιδάλου φασὶν ἢ τοὺς τοῦ Ἡφαίστου τρίποδας, οὕς φησιν ὁ ποιητὴς αὐτομάτους θεῖον δύεσθαι ἀγῶνα, οὕτως αἱ κερκίδες ἐκέρκιζον αὐταὶ καὶ τὰ πλῆκτρα ἐκιθάριζεν, οὐδὲν ἂν ἔδει οὔτε τοῖς ἀρχιτέκτοσιν ὑπηρετῶν οὔτε τοῖς δεσπόταις δούλων.

 [1254a]  Τὰ μὲν οὖν λεγόμενα ὄργανα ποιητικὰ ὄργανά ἐστι, τὸ δὲ κτῆμα πρακτικόν· ἀπὸ μὲν γὰρ τῆς κερκίδος ἕτερόν τι γίνεται παρὰ τὴν χρῆσιν αὐτῆς, ἀπὸ δὲ τῆς ἐσθῆτος καὶ τῆς κλίνης ἡ χρῆσις μόνον. § 6. Ἔτι δ' ἐπεὶ διαφέρει ἡ ποίησις εἴδει καὶ ἡ πρᾶξις, καὶ δέονται ἀμφότεραι ὀργάνων, ἀνάγκη καὶ ταῦτα τὴν αὐτὴν ἔχειν διαφοράν. Ὁ δὲ βίος πρᾶξις, οὐ ποίησις, ἐστιν· διὸ καὶ ὁ δοῦλος ὑπηρέτης τῶν πρὸς τὴν πρᾶξιν.

Τὸ δὲ κτῆμα λέγεται ὥσπερ καὶ τὸ μόριον.  Τό γὰρ μόριον οὐ μόνον ἄλλου ἐστὶ μόριον, ἀλλὰ καὶ ἁπλῶς ἄλλου· ὁμοίως δὲ καὶ τὸ κτῆμα. Διὸ ὁ μὲν δεσπότης τοῦ δούλου δεσπότης μόνον, ἐκείνου δ' οὐκ ἔστιν· ὁ δὲ δοῦλος οὐ μόνον δεσπότου δοῦλός ἐστιν, ἀλλὰ καὶ ὅλως ἐκείνου.

Τίς μὲν οὖν ἡ φύσις τοῦ δούλου καὶ τίς ἡ δύναμις, ἐκ τούτων δῆλον· ὁ γὰρ μὴ αὑτοῦ φύσει ἀλλ' ἄλλου ἄνθρωπος ὤν, οὗτος φύσει δοῦλός ἐστιν, ἄλλου δ' ἐστὶν ἄνθρωπος ὃς ἂν κτῆμα ᾖ ἄνθρωπος ὤν, κτῆμα δὲ ὄργανον πρακτικὸν καὶ χωριστόν.

Πότερον δ' ἔστι τις φύσει τοιοῦτος ἢ οὔ, καὶ πότερον βέλτιον καὶ δίκαιόν τινι δουλεύειν ἢ οὔ, ἀλλὰ πᾶσα δουλεία παρὰ φύσιν ἐστί, μετὰ ταῦτα σκεπτέον. Οὐ χαλεπὸν δὲ καὶ τῷ λόγῳ θεωρῆσαι καὶ ἐκ τῶν γινομένων καταμαθεῖν.

Τὸ γὰρ ἄρχειν καὶ ἄρχεσθαι οὐ μόνον τῶν ἀναγκαίων ἀλλὰ καὶ τῶν συμφερόντων ἐστί, καὶ εὐθὺς ἐκ γενετῆς ἔνια διέστηκε τὰ μὲν ἐπὶ τὸ ἄρχεσθαι τὰ δ' ἐπὶ τὸ ἄρχειν. Καὶ εἴδη πολλὰ καὶ ἀρχόντων καὶ ἀρχομένων ἔστιν (καὶ ἀεὶ βελτίων ἡ ἀρχὴ ἡ τῶν βελτιόνων ἀρχομένων, οἷον ἀνθρώπου ἢ θηρίου· τὸ γὰρ ἀποτελούμενον ὑπὸ τῶν βελτιόνων βέλτιον ἔργον· ὅπου δὲ τὸ μὲν ἄρχει τὸ δ' ἄρχεται, ἔστι τι τούτων ἔργον).  

Ὅσα γὰρ ἐκ πλειόνων συνέστηκε καὶ γίνεται ἕν τι κοινόν, εἴτε ἐκ συνεχῶν εἴτε ἐκ διῃρημένων, ἐν ἅπασιν ἐμφαίνεται τὸ ἄρχον καὶ τὸ ἀρχόμενον, καὶ τοῦτο ἐκ τῆς ἁπάσης φύσεως ἐνυπάρχει τοῖς ἐμψύχοις· καὶ γὰρ ἐν τοῖς μὴ μετέχουσι ζωῆς ἔστι τις ἀρχή, οἷον ἁρμονίας. Ἀλλὰ ταῦτα μὲν ἴσως ἐξωτερικωτέρας ἐστὶ σκέψεως.

Τὸ δὲ ζῷον πρῶτον συνέστηκεν ἐκ ψυχῆς καὶ σώματος, ὧν τὸ μὲν ἄρχον ἐστὶ φύσει τὸ δ' ἀρχόμενον. Δεῖ δὲ σκοπεῖν ἐν τοῖς κατὰ φύσιν ἔχουσι μᾶλλον τὸ φύσει, καὶ μὴ ἐν τοῖς διεφθαρμένοις· διὸ καὶ τὸν βέλτιστα διακείμενον καὶ κατὰ σῶμα καὶ κατὰ ψυχὴν ἄνθρωπον θεωρητέον, ἐν ᾧ τοῦτο δῆλον. [1254b]  Τῶν γὰρ μοχθηρῶν ἢ μοχθηρῶς ἐχόντων δόξειεν ἂν ἄρχειν πολλάκις τὸ σῶμα τῆς ψυχῆς διὰ τὸ φαύλως καὶ παρὰ φύσιν ἔχειν. § 11. Ἔστι δ' οὖν, ὥσπερ λέγομεν, πρῶτον ἐν ζῴῳ θεωρῆσαι καὶ δεσποτικὴν ἀρχὴν καὶ πολιτικήν· ἡ μὲν γὰρ ψυχὴ τοῦ σώματος ἄρχει δεσποτικὴν ἀρχήν, ὁ δὲ νοῦς τῆς ὀρέξεως πολιτικὴν ἢ βασιλικήν· ἐν οἷς φανερόν ἐστιν ὅτι κατὰ φύσιν καὶ συμφέρον τὸ ἄρχεσθαι τῷ σώματι ὑπὸ τῆς ψυχῆς, καὶ τῷ παθητικῷ μορίῳ ὑπὸ τοῦ νοῦ καὶ τοῦ μορίου τοῦ λόγον ἔχοντος, τὸ δ' ἐξ ἴσου ἢ ἀνάπαλιν βλαβερὸν πᾶσιν.  § 12. Πάλιν ἐν ἀνθρώπῳ καὶ τοῖς ἄλλοις ζῴοις ὡσαύτως· τὰ μὲν γὰρ ἥμερα τῶν ἀγρίων βελτίω τὴν φύσιν, τούτοις δὲ πᾶσι βέλτιον ἄρχεσθαι ὑπ' ἀνθρώπου· τυγχάνει γὰρ σωτηρίας οὕτως. Ἔτι δὲ τὸ ἄρρεν πρὸς τὸ θῆλυ φύσει τὸ μὲν κρεῖττον τὸ δὲ χεῖρον, καὶ τὸ μὲν ἄρχον τὸ δ' ἀρχόμενον. Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον ἀναγκαῖον εἶναι καὶ ἐπὶ πάντων ἀνθρώπων.

Ὅσοι μὲν οὖν τοσοῦτον διεστᾶσιν ὅσον ψυχὴ σώματος καὶ ἄνθρωπος θηρίου (διάκεινται δὲ τοῦτον τὸν τρόπον ὅσων ἐστὶν ἔργον ἡ τοῦ σώματος χρῆσις, καὶ τοῦτ' ἐστ' ἀπ' αὐτῶν βέλτιστον), οὗτοι μέν εἰσι φύσει δοῦλοι, οἷς βέλτιόν ἐστιν ἄρχεσθαι ταύτην τὴν ἀρχήν, εἴπερ καὶ τοῖς εἰρημένοις. Ἔστι γὰρ φύσει δοῦλος ὁ δυνάμενος ἄλλου εἶναι (διὸ καὶ ἄλλου ἐστίν), καὶ ὁ κοινωνῶν λόγου τοσοῦτον ὅσον αἰσθάνεσθαι ἀλλὰ μὴ ἔχειν. Τὰ γὰρ ἄλλα ζῷα οὐ λόγῳ αἰσθανόμενα ἀλλὰ παθήμασιν ὑπηρετεῖ.  Καὶ ἡ χρεία δὲ παραλλάττει μικρόν· ἡ γὰρ πρὸς τἀναγκαῖα τῷ σώματι βοήθεια γίνεται παρ' ἀμφοῖν, παρά τε τῶν δούλων καὶ παρὰ τῶν ἡμέρων ζῴων.

Βούλεται μὲν οὖν ἡ φύσις καὶ τὰ σώματα διαφέροντα ποιεῖν τὰ τῶν ἐλευθέρων καὶ τῶν δούλων, τὰ μὲν ἰσχυρὰ πρὸς τὴν ἀναγκαίαν χρῆσιν, τὰ δ' ὀρθὰ καὶ ἄχρηστα πρὸς τὰς τοιαύτας ἐργασίας, ἀλλὰ χρήσιμα πρὸς πολιτικὸν βίον (οὗτος δὲ καὶ γίνεται διῃρημένος εἴς τε τὴν πολεμικὴν χρείαν καὶ τὴν εἰρηνικήν),

§ 15. συμβαίνει δὲ πολλάκις καὶ τοὐναντίον, τοὺς μὲν τὰ σώματα ἔχειν ἐλευθέρων τοὺς δὲ τὰς ψυχάς· ἐπεὶ τοῦτό γε φανερόν, ὡς εἰ τοσοῦτον γένοιντο διάφοροι τὸ σῶμα μόνον ὅσον αἱ τῶν θεῶν εἰκόνες, τοὺς ὑπολειπομένους πάντες φαῖεν ἂν ἀξίους εἶναι τούτοις δουλεύειν. Εἰ δ' ἐπὶ τοῦ σώματος τοῦτ' ἀληθές, πολὺ δικαιότερον ἐπὶ τῆς ψυχῆς τοῦτο διωρίσθαι· ἀλλ' οὐχ ὁμοίως ῥᾴδιον ἰδεῖν τό τε τῆς ψυχῆς κάλλος καὶ τὸ τοῦ σώματος. [1255a]  Ὅτι μὲν τοίνυν εἰσὶ φύσει τινὲς οἱ μὲν ἐλεύθεροι οἱ δὲ δοῦλοι, φανερόν, οἷς καὶ συμφέρει τὸ δουλεύειν καὶ δίκαιόν ἐστιν.

[1253b] Nous connaissons les parties constituantes de l'État. Nous allons maintenant les examiner en détail , en commençant par la famille.

Les parties de l'État sont les familles, qui ont aussi leurs éléments. Une famille complètement organisée se compose d'individus libres et d'esclaves; mais il est nécessaire de la décomposer encore pour arriver à de plus simples éléments. Ces éléments sont le maître et l'esclave, le mari et la femme, le père et les enfants ; de là résultent trois pouvoirs différents dont il faut connaître l'étendue et la nature. Ces pouvoirs sont le pouvoir du maître, le pouvoir marital et le pouvoir paternel. On ne compte ordinairement que ces trois éléments de la famille. Il y en a un quatrième bien important, c'est la spéculation ou industrie qui pourvoit au bien-être des individus qui composent la maison. Quelques-uns la confondent avec l'économie, d'autres soutiennent qu'elle en est seulement la partie la plus essentielle. Nous discuterons ces deux opinions.

Nous commencerons la discussion par le maître et l'esclave.

Voyons comment l'esclave est, par la nature de ses services, partie essentielle de la famille. Développons aussi la théorie de l'esclavage; peut-être y a-t-il sur cette matière quelque chose de mieux à dire que ce .qu'on en a écrit jusqu'à présent. En effet, les uns prétendent que les pouvoirs du maître, du père de famille, du magistrat et du monarque sont tous de même nature (7). Nous avons déjà parlé de cette opinion au commencement de cet ouvrage. D'autres soutiennent que le pouvoir du maître sur l'esclave est contre la nature : la loi, disent-ils, établit seule la différence entre l'homme libre et l'esclave. Or la nature fait les hommes égaux, donc l'esclavage est une injustice, attendu qu'il est le résultat de la violence.

Le bien est un élément essentiel de la famille, donc le moyen d'acquérir ce bien est aussi partie de la famille; car il faut avoir le nécessaire pour vivre, et surtout pour vivre commodément. Voyez les arts dont l'objet est déterminé. N'ont-ils pas tous besoin d'outils particuliers pour la perfection de leur œuvre ? Or ceci s'applique également à l'économie domestique. Actuellement il y a deux sortes d'outils, les uns sont vivants et les autres inanimés. Ainsi un pilote a un outil inanimé, qui est le gouvernail, et un outil animé, qui est le timonier, parce que l'ouvrier est dans les arts un véritable instrument. De même le bien est un instrument essentiel à l'existence; posséder ce bien, c'est avoir dans sa main les instruments nécessaires pour arriver à ce but ; or, qu'est-ce qu'un esclave ? c'est un instrument animé dont on est propriétaire.

L'esclave n'est, par sa nature, qu'un instrument plus parfait et susceptible de manier d'autres instruments. Ainsi les statues de Dédale avaient un principe d'action, les trépieds de Vulcain, dit Homère , accouraient d'eux-mêmes aux divins combats (8). Si un outil pouvait pressentir l'ordre de l'artiste et l'exécuter, si la navette courait d'elle-même sur la trame, si le plectrum tirait spontanément des sons de la cithare, l'art n'aurait pas besoin d'ouvriers, ni le maître d'esclaves.

[1254a] J'ajouterai que parmi les objets qui constituent essentiellement la propriété de la famille, les uns sont des instruments proprement dits, et servent à produire quelque chose ; les autres servent simplement par leur usage. Ainsi une navette , non-seulement sert au tisserand, mais lui sert à faire de la toile ; tandis qu'on fait simplement usage d'un lit et d'un vêtement. Il y a donc de la différence entre ce qui sert comme fin, et ce qui sert pour parvenir à une fin ; d'où il suit qu'il faut des instruments différents pour l'un et pour l'autre. Mais la vie nous est propre simplement et comme fin, par conséquent l'esclave est un instrument nécessaire pour servir à la vie simplement et comme fin.

D'ailleurs, notre propriété peut être considérée comme partie de nous-mêmes; mais une partie, non-seulement est une section d'un tout, mais encore elle lui appartient tout entière. Ce principe s'applique également à la propriété; par conséquent un maître est propriétaire de son esclave, et est autre que lui; l'esclave, au contraire, non-seulement est l'esclave du maître, mais encore il est tout entier à lui.

Ces raisonnements servent à démontrer quelles sont les propriétés et la nature de l'esclavage. Être homme et n'être pas à soi par nature, mais être à un autre, n'est-ce pas être esclave par nature ? Or l'esclave est homme, et homme d'un autre, autrement sa propriété. Mais qu'est-ce qu'une propriété? un instrument hors de nous, qui est nécessaire comme fin à l'existence.

Actuellement n'est-il pas démontré que la nature elle-même a créé l'esclavage ? Est-il utile et juste qu'il y ait des esclaves ? ou bien toute espèce de servitude est-elle contre nature? C'est ce que nous allons examiner ; nous arriverons aisément à la vérité. La raison et l'expérience vont nous servir de guides.

Le commandement et l'obéissance sont non-seulement nécessaires, mais encore utiles ; ils sont tellement dans la nature des choses, que la naissance seule assigne souvent l'état de soumission ou d'empire. Les êtres faits pour obéir ou commander se divisent en plusieurs espèces. Le commandement est aussi d'autant plus relevé, que les êtres obéissants sont plus parfaits ; ainsi il est plus beau de commander à des hommes qu'à des animaux. L'œuvre est d'autant plus noble que les agents sont plus parfaits ; or il y a œuvre, dès qu'il y a d'une part commandement , et de l'autre, obéissance.

Considérez la marche de la nature dans la création des êtres ; soit que des éléments divers constituent leur organisation, soit que des parties se rapprochent sans se confondre, pour former un corps, elle combine constamment le commandement avec l'obéissance. Cette dépendance coordonnée existe même dans les êtres inanimés. Je citerai pour exemple la musique. Mais je m'aperçois que je m'écarte de mon sujet.

Tout animal est composé de corps et d'âme. Celle-ci commande, l'autre est essentiellement obéissant. Telle est la loi qui régit les êtres vivants, lorsqu'ils ne sont pas viciés. Supposons donc un homme dont le corps et l'âme soient en parfaite harmonie, car je ne parle pas de ces êtres dégradés chez lesquels le corps commande à l'âme; ceux-là sont constitués contre le vœu de la nature. D'abord, cet homme trouve dans son organisation un double commandement, celui du maître et celui du magistrat. L'âme commande au corps, comme un maître à sou esclave. L'entendement commande à l'instinct, comme un magistrat à des citoyens, et un monarque à des sujets. Ainsi la nature veut, l'instinct réciproque exige que le corps obéisse à l'âme, que la raison et l'entendement commandent à l'instinct. L'égalité, ou le droit de commander tour à tour, les perdrait tous deux. Le même rapport existe entre l'homme et la bête. La nature a été plus libérale pour l'animal qui vit dans la société de l'homme, qu'à l'égard de la bête sauvage : cependant il est avantageux à tous les animaux d'obéir à l'homme; ils trouvent leur bien-être dans cette obéissance. De plus, les animaux se divisent en mâles et femelles. Le mâle est plus parfait, il commande. La femelle est moins accomplie, elle obéit. Cette loi de nature s'applique aussi à l'homme.

Or, il y a dans l'espèce humaine des individus aussi inférieurs aux autres que le corps l'est à l'âme, ou que la bête l'est à l'homme ; ce sont ces êtres propres aux seuls travaux du corps, et qui sont incapables de faire rien de plus parfait. En partant des principes que nous venons de poser, ces individus sont destinés par la nature à l'esclavage, parce qu'il n'y a rien de meilleur pour eux que d'obéir. Un homme est voué à l'esclavage par la nature, lorsque, par la mesure de ses facultés, il peut appartenir à un autre; et par là même il doit être à autrui, lorsqu'il ne participe à la raison que par un sentiment vague, sans avoir la plénitude de la raison même. Les autres animaux, dépourvus de raison, obéissent à un aveugle instinct. Y a-t-il donc une si grande différence entre l'esclave et la bête ? Leurs services se ressemblent ; c'est par le corps seul qu'ils nous sont utiles.

Aussi la nature, conséquente à elle-même (2), crée-t-elle des corps différents à l'homme libre et à l'esclave; elle donne à celui-ci des membres robustes pour des travaux grossiers ; l'homme libre a le corps droit et sans destination pour les œuvres serviles (9) : il est constitué pour la vie politique qui se divise en travaux de la paix et de la guerre. Il est vrai que ce vœu de la nature est souvent contrarié ; que les uns ont seulement le développement physique, et les autres les qualités morales de l'homme libre. Mais s'il naissait des mortels aussi beaux que les images des dieux, le reste des hommes s'accorderait pour jurer à ces êtres supérieurs une entière obéissance. Que mériterait donc la beauté de l'âme, si celle du corps obtenait une si belle prérogative? Mais il est moins aisé d'apercevoir la perfection de l'âme que celle du corps. [1255a] Concluons de ces principes, que la nature crée des hommes pour la liberté, et d'autres pour l'esclavage ; qu'il est utile et qu'il est juste que l'esclave obéisse.

 

CHAPITRE IV.

Suite et réfutation des systèmes opposés.

ὅτι δὲ καὶ οἱ τἀναντία φάσκοντες τρόπον τινὰ λέγουσιν ὀρθῶς, οὐ χαλεπὸν ἰδεῖν. Διχῶς γὰρ λέγεται τὸ δουλεύειν καὶ ὁ δοῦλος.

Ἔστι γάρ τις καὶ κατὰ νόμον δοῦλος καὶ δουλεύων· ὁ γὰρ νόμος ὁμολογία τίς ἐστιν ἐν ᾧ τὰ κατὰ πόλεμον κρατούμενα τῶν κρατούντων εἶναί φασιν. Τοῦτο δὴ τὸ δίκαιον πολλοὶ τῶν ἐν τοῖς νόμοις ὥσπερ ῥήτορα γράφονται παρανόμων, ὡς δεινὸν εἰ τοῦ βιάσασθαι δυναμένου καὶ κατὰ δύναμιν κρείττονος ἔσται δοῦλον καὶ ἀρχόμενον τὸ βιασθέν. Καὶ τοῖς μὲν οὕτως δοκεῖ τοῖς δ' ἐκείνως, καὶ τῶν σοφῶν.

Αἴτιον δὲ ταύτης τῆς ἀμφισβητήσεως, καὶ ὃ ποιεῖ τοὺς λόγους ἐπαλλάττειν, ὅτι τρόπον τινὰ ἀρετὴ τυγχάνουσα χορηγίας καὶ βιάζεσθαι δύναται μάλιστα, καὶ ἔστιν ἀεὶ τὸ κρατοῦν ἐν ὑπεροχῇ ἀγαθοῦ τινος, ὥστε δοκεῖν μὴ ἄνευ ἀρετῆς εἶναι τὴν βίαν, ἀλλὰ περὶ τοῦ δικαίου μόνον εἶναι τὴν ἀμφισβήτησιν (διὰ γὰρ τοῦτο τοῖς μὲν ἄνοια δοκεῖν τὸ δίκαιον εἶναι, τοῖς δ' αὐτὸ τοῦτο δίκαιον, τὸ τὸν κρείττονα ἄρχειν)· ἐπεὶ διαστάντων γε χωρὶς τούτων τῶν λόγων οὔτε ἰσχυρὸν οὐθὲν ἔχουσιν οὔτε πιθανὸν ἅτεροι λόγοι, ὡς οὐ δεῖ τὸ βέλτιον κατ' ἀρετὴν ἄρχειν καὶ δεσπόζειν.  Ὅλως δ' ἀντεχόμενοί τινες, ὡς οἴονται, δικαίου τινός ςὁ γὰρ νόμος δίκαιόν τἰ τὴν κατὰ πόλεμον δουλείαν τιθέασι δικαίαν, ἅμα δ' οὔ φασιν· τήν τε γὰρ ἀρχὴν ἐνδέχεται μὴ δικαίαν εἶναι τῶν πολέμων, καὶ τὸν ἀνάξιον δουλεύειν οὐδαμῶς ἂν φαίη τις δοῦλον εἶναι· εἰ δὲ μή, συμβήσεται τοὺς εὐγενεστάτους εἶναι δοκοῦντας δούλους εἶναι καὶ ἐκ δούλων, ἐὰν συμβῇ πραθῆναι ληφθέντας. Διόπερ αὐτοὺς οὐ βούλονται λέγειν δούλους, ἀλλὰ τοὺς βαρβάρους. Καίτοι ὅταν τοῦτο λέγωσιν, οὐθὲν ἄλλο ζητοῦσιν ἢ τὸ φύσει δοῦλον ὅπερ ἐξ ἀρχῆς εἴπομεν·  ἀνάγκη γὰρ εἶναί τινας φάναι τοὺς μὲν πανταχοῦ δούλους τοὺς δ' οὐδαμοῦ. Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον καὶ περὶ εὐγενείας· αὑτοὺς μὲν γὰρ οὐ μόνον παρ' αὑτοῖς εὐγενεῖς ἀλλὰ πανταχοῦ νομίζουσιν, τοὺς δὲ βαρβάρους οἴκοι μόνον, ὡς ὄν τι τὸ μὲν ἁπλῶς εὐγενὲς καὶ ἐλεύθερον τὸ δ' οὐχ ἁπλῶς, ὥσπερ καὶ ἡ Θεοδέκτου Ἑλένη φησὶ

Θείων δ' ἀπ' ἀμφοῖν ἔκγονον ῥιζωμάτων
τίς ἂν προσειπεῖν ἀξιώσειεν λάτριν;

Ὅταν δὲ τοῦτο λέγωσιν, οὐθενὶ ἀλλ' ἢ ἀρετῇ καὶ κακίᾳ διορίζουσι τὸ δοῦλον καὶ ἐλεύθερον, καὶ τοὺς εὐγενεῖς καὶ τοὺς δυσγενεῖς. [1225b]  Ἀξιοῦσι γάρ, ὥσπερ ἐξ ἀνθρώπου ἄνθρωπον καὶ ἐκ θηρίων γίνεσθαι θηρίον, οὕτω καὶ ἐξ ἀγαθῶν ἀγαθόν. Ἡ δὲ φύσις βούλεται μὲν τοῦτο ποιεῖν πολλάκις, οὐ μέντοι δύναται.

Ὅτι μὲν οὖν ἔχει τινὰ λόγον ἡ ἀμφισβήτησις, καὶ οὐκ εἰσί τινες οἱ μὲν φύσει δοῦλοι οἱ δ' ἐλεύθεροι, δῆλον, καὶ ὅτι ἔν τισι διώρισται τὸ τοιοῦτον, ὧν συμφέρει τῷ μὲν τὸ δουλεύειν τῷ δὲ τὸ δεσπόζειν καὶ δίκαιον, καὶ δεῖ τὸ μὲν ἄρχεσθαι τὸ δ' ἄρχειν ἣν πεφύκασιν ἀρχὴν ἄρχειν, ὥστε καὶ δεσπόζειν, τὸ δὲ κακῶς ἀσυμφόρως ἐστὶν ἀμφοῖν (τὸ γὰρ αὐτὸ συμφέρει τῷ μέρει καὶ τῷ ὅλῳ, καὶ σώματι καὶ ψυχῇ, ὁ δὲ δοῦλος μέρος τι τοῦ δεσπότου, οἷον ἔμψυχόν τι τοῦ σώματος κεχωρισμένον δὲ μέρος· διὸ καὶ συμφέρον ἐστί τι καὶ φιλία δούλῳ καὶ δεσπότῃ πρὸς ἀλλήλους τοῖς φύσει τούτων ἠξιωμένοις, τοῖς δὲ μὴ τοῦτον τὸν τρόπον, ἀλλὰ κατὰ νόμον καὶ βιασθεῖσι, τοὐναντίον).

Φανερὸν δὲ καὶ ἐκ τούτων ὅτι οὐ (αὐτόν ἐστι δεσποτεία καὶ πολιτική, οὐδὲ πᾶσαι ἀλλήλαις αἱ ἀρχαί, ὥσπερ τινές φασιν. Ἡ μὲν γὰρ ἐλευθέρων φύσει ἡ δὲ δούλων ἐστίν, καὶ ἡ μὲν οἰκονομικὴ μοναρχία αμοναρχεῖται γὰρ πᾶς οἶκος), ἡ δὲ πολιτικὴ ἐλευθέρων καὶ ἴσων ἀρχή.   Ὁ μὲν οὖν δεσπότης οὐ λέγεται κατ' ἐπιστήμην, ἀλλὰ τῷ τοιόσδ' εἶναι, ὁμοίως δὲ καὶ ὁ δοῦλος καὶ ὁ ἐλεύθερος.

Ἐπιστήμη δ' ἂν εἴη καὶ δεσποτικὴ καὶ δουλική, δουλικὴ μὲν οἵαν περ ὁ ἐν Συρακούσαις ἐπαίδευεν· ἐκεῖ γὰρ λαμβάνων τις μισθὸν ἐδίδασκε τὰ ἐγκύκλια διακονήματα τοὺς παῖδας· εἴη δ' ἂν καὶ ἐπὶ πλεῖον τῶν τοιούτων μάθησις, οἷον ὀψοποιικὴ καὶ τἆλλα τὰ τοιαῦτα γένη τῆς διακονίας. Ἔστι γὰρ ἕτερα ἑτέρων τὰ μὲν ἐντιμότερα ἔργα τὰ δ' ἀναγκαιότερα, καὶ κατὰ τὴν παροιμίαν

Δοῦλος πρὸ δούλου, δεσπότης πρὸ δεσπότου.

Αἱ μὲν οὖν τοιαῦται πᾶσαι δουλικαὶ ἐπιστῆμαί εἰσι· δεσποτικὴ δ' ἐπιστήμη ἐστὶν ἡ χρηστικὴ δούλων. Ὁ γὰρ δεσπότης οὐκ ἐν τῷ κτᾶσθαι τοὺς δούλους, ἀλλ' ἐν τῷ χρῆσθαι δούλοις. Ἔστι δ' αὕτη ἡ ἐπιστήμη οὐδὲν μέγα ἔχουσα οὐδὲ σεμνόν· ἃ γὰρ τὸν δοῦλον ἐπίστασθαι δεῖ ποιεῖν, ἐκεῖνον δεῖ ταῦτα ἐπίστασθαι ἐπιτάττειν. Διὸ ὅσοις ἐξουσία μὴ αὐτοὺς κακοπαθεῖν, ἐπίτροπός τις λαμβάνει ταύτην τὴν τιμήν, αὐτοὶ δὲ πολιτεύονται ἢ φιλοσοφοῦσιν.

Ἡ δὲ κτητικὴ ἑτέρα ἀμφοτέρων τούτων, οἷον ἡ δικαία, πολεμική τις οὖσα ἢ θηρευτική. Περὶ μὲν οὖν δούλου καὶ δεσπότου τοῦτον διωρίσθω τὸν τρόπον.
 

Les partisans des systèmes opposés sont forcés d'admettre jusqu'à un certain point la vérité de nos assertions ; c'est ce qu'il est aisé de démontrer.

Ils admettent un esclavage différent du nôtre ; c'est celui qui est établi par la loi. On appelle esclavage légal, ce droit des gens en vertu duquel tout ce qui est pris à la guerre devient la propriété du vainqueur, D'un autre côté, des hommes versés dans la théorie des lois citent ce droit prétendu au tribunal de la raison , comme on accuse un démagogue pervers qui a provoqué un injuste décret. Il est atroce, disent-ils, de se voir esclave et soumis aux caprices d'autrui, parce qu'on a trouvé des hommes plus puissants et plus forts. Ces deux sentiments sont également soutenus par des sages.

Au milieu de la divergence et de l'incertitude de ces opinions, posons un principe : c'est que la violence est en quelque sorte le résultat nécessaire de la vertu qui a des moyens; que la victoire est le prix naturel des qualités brillantes et de la supériorité, et qu'ainsi il ne peut y avoir de violence sans vertu. Il ne reste donc à discuter que la légitimité du droit positif qui établit l'esclavage; mais les uns prétendent que le droit résulte de la bienveillance qui se soumet, d'autres qu'il est fondé sur la force qui contraint à l'obéissance. Au milieu de tant de raisonnements qui se combattent et se croisent, on ne peut adopter tous ceux qui tendent à prouver que la supériorité de la vertu ne donne pas le droit de commander et de dominer; ils sont faibles et ne démontrent rien. Nous n'avons donc plus qu'une seule espèce d'adversaires, parmi ceux qui prétendent que l'esclavage vient du droit positif, car la loi est une sorte de droit : ce sont ceux qui soutiennent que l'esclavage est légitimé par le droit de la guerre ; mais ils ne prétendent pas que ce droit soit absolu : premièrement, parce que la cause de la guerre peut être injuste ; secondement, parce qu'on ne peut jamais appeler esclave l'homme qui n'est pas fait pour l'esclavage. Autrement, ajoutent-ils , les hommes de l'origine la plus noble deviendraient esclaves et race d'esclaves, s'ils avaient le malheur d'être pris et vendus. Pour éviter la difficulté, ils nous disent que les captifs de cette classe ne doivent point être appelés esclaves, mais barbares. Où les conduit ce raisonnement? à chercher l'esclave par nature, comme nous l'avons fait; car ils sont forcés de convenir comme nous, que certains individus sont esclaves partout, et que d'autres ne peuvent l'être nulle part. Ils appliquent le même principe à la noblesse. Celle-ci porte, disent-ils, un caractère distinctif non-seulement en Grèce, mais dans tout l'univers-, quant aux Barbares , cet avantage se restreint à leur pays, comme s'il y avait noblesse et liberté absolue, noblesse et liberté relative. C'est là l'idée de l'Hélène de Théodecte (10), lorsqu'elle s'écrie :

Esclave, moi! quel homme assez audacieux
Pourrait ainsi nommer une fille des dieux !

Or, quel est le résultat de ce raisonnement? de prouver, comme nous, que la vertu et la dégradation morale forment la différence entre la noblesse et le sang impur, entre l'esclavage et la liberté. [1225b] Ils prétendent que le bien vient du bien, comme l'homme naît de l'homme, et la bête de la bête. Telle est à la vérité l'intention de la nature, mais son vœu n'est pas toujours rempli.

Actuellement la discussion a prouvé que notre principe est fondé en raison, et que la nature a fait des hommes libres et des esclaves. On a vu qu'il est utile que certains êtres soient soumis à d'autres, qu'il est juste, indispensable même qu'il y ait commandement et obéissance dans l'ordre des pouvoirs établis par la nature. Donc il est aussi dans la nature qu'il y ait maître et esclave. Ce principe est si vrai, que le rapprochement contre nature du maître et de l'esclave, est nuisible à tous les deux. En effet, ce qui est utile au tout, l'est à la partie; ce qui est avantageux à l'âme l'est par là même au corps. Or, l'esclave fait partie du maître, il en est pour ainsi dire un organe vivant, qui existe séparément. Donc il existe entre le maître et l'esclave par nature, des rapports nécessaires d'attachement et d'avantages communs, puisque la nature n'a fait des deux qu'un seul tout. Mais si la loi seule a fait l'esclave, s'il n'est enchaîné que par la violence, où seront l'attachement et les communs avantages?

Il suit de là que le pouvoir du maître et celui du magistrat sont très différents, et qu'en général la nature des pouvoirs n'est pas la même, quoique le contraire ait été avancé par quelques écrivains. La nature a fait le pouvoir politique pour l'homme libre, et le pouvoir du maître pour l'esclave. Le pouvoir du père est monarchique, parce que toute famille est gouvernée par un monarque; celui du magistrat est politique, car c'est l'art de gouverner des égaux. Le pouvoir du maître ne s'enseigne pas ; il est tel que la nature l'a fait, et il s'applique également à l'homme libre et à l'esclave.

J'accorderai cependant, si l'on veut, qu'il y a une sorte de science du maître, et de science de l'esclave. Celle de l'esclave se borne à savoir ce qu'enseignait à prix d'argent une espèce d'instituteur de Syracuse. Il apprenait aux jeunes esclaves le service domestique, comme la cuisine et autres offices de la maison. Il peut même y avoir des occupations serviles plus ou moins relevées, plus ou moins nécessaires, parce que, dit le proverbe,

il y a maître et maître, valet et valet.

Quant à la science du maître, elle se réduit à savoir user de son esclave. Il est maître, non parce qu'il est propriétaire, mais parce qu'il se sert de sa chose. Une pareille science n'a rien de beau ni d'estimable ; savoir ordonner ce que l'esclave sait faire, voilà la science tout entière : aussi les maîtres qui peuvent se dispenser de ces soins ennuyeux, chargent-ils un intendant de cette peine, tandis qu'ils se livrent aux affaires publiques ou à la philosophie.

Au reste, il ne faut pas confondre cette espèce de science du maître et de l'esclave, avec l'art d'acquérir. Celui-ci est un art véritable qui a ses principes, comme la chasse et la guerre. Nous terminerons là notre discussion sur le maître et l'esclave.

CHAPITRE V.

De l'acquisition des biens nécessaires à la vie, et des vraies richesses.

[1256a] § 1. Ὅλως δὲ περὶ πάσης κτήσεως καὶ χρηματιστικῆς θεωρήσωμεν κατὰ τὸν ὑφηγημένον τρόπον, ἐπείπερ καὶ ὁ δοῦλος τῆς κτήσεως μέρος τι ἦν.

Πρῶτον μὲν οὖν ἀπορήσειεν ἄν τις πότερον ἡ χρηματιστικὴ ἡ αὐτὴ τῇ οἰκονομικῇ ἐστιν ἢ μέρος τι, ἢ ὑπηρετική, καὶ εἰ ὑπηρετική, πότερον ὡς ἡ κερκιδοποιικὴ τῇ ὑφαντικῇ ἢ ὡς ἡ χαλκουργικὴ τῇ ἀνδριαντοποιίᾳ (οὐ γὰρ ὡσαύτως ὑπηρετοῦσιν, ἀλλ' ἡ μὲν ὄργανα παρέχει, ἡ δὲ τὴν ὕλην· λέγω δὲ ὕλην τὸ ὑποκείμενον ἐξ οὗ τι ἀποτελεῖται ἔργον, οἷον ὑφάντῃ μὲν ἔρια ἀνδριαντοποιῷ δὲ χαλκόν).

Ὅτι μὲν οὖν οὐχ ἡ αὐτὴ ἡ οἰκονομικὴ τῇ χρηματιστικῇ, δῆλον (τῆς μὲν γὰρ τὸ πορίσασθαι, τῆς δὲ τὸ χρήσασθαι· τίς γὰρ ἔσται ἡ χρησομένη τοῖς κατὰ τὴν οἰκίαν παρὰ τὴν οἰκονομικήν;)

Πότερον δὲ μέρος αὐτῆς ἐστί τι ἢ ἕτερον εἶδος, ἔχει διαμφισβήτησιν· εἰ γάρ ἐστι τοῦ χρηματιστικοῦ θεωρῆσαι πόθεν χρήματα καὶ κτῆσις ἔσται, ... Ἥ δὲ κτῆσις πολλὰ περιείληφε μέρη καὶ ὁ πλοῦτος, ὥστε πρῶτον ἡ γεωργικὴ πότερον μέρος τι τῆς οἰκονομικῆς ἢ ἕτερόν τι γένος, καὶ καθόλου ἡ περὶ τὴν τροφὴν ἐπιμέλεια καὶ κτῆσις;  Ἀλλὰ μὴν εἴδη γε πολλὰ τροφῆς, διὸ καὶ βίοι πολλοὶ καὶ τῶν ζῴων καὶ τῶν ἀνθρώπων εἰσίν· οὐ γὰρ οἷόν τε ζῆν ἄνευ τροφῆς,

ὥστε αἱ διαφοραὶ τῆς τροφῆς τοὺς βίους πεποιήκασι διαφέροντας τῶν ζῴων. Τῶν τε γὰρ θηρίων τὰ μὲν ἀγελαῖα τὰ δὲ σποραδικά ἐστιν, ὁποτέρως συμφέρει πρὸς τὴν τροφὴν αὐτοῖς διὰ τὸ τὰ μὲν ζῳοφάγα τὰ δὲ καρποφάγα τὰ δὲ παμφάγα αὐτῶν εἶναι, ὥστε πρὸς τὰς ῥᾳστώνας καὶ τὴν αἵρεσιν τὴν τούτων ἡ φύσις τοὺς βίους αὐτῶν διώρισεν, ἐπεὶ δ' οὐ ταὐτὸ ἑκάστῳ ἡδὺ κατὰ φύσιν ἀλλὰ ἕτερα ἑτέροις, καὶ αὐτῶν τῶν ζῳοφάγων καὶ τῶν καρποφάγων οἱ βίοι πρὸς ἄλληλα διεστᾶσιν.  Ὁμοίως δὲ καὶ τῶν ἀνθρώπων. Πολὺ γὰρ διαφέρουσιν οἱ τούτων βίοι. Οἱ μὲν οὖν ἀργότατοι νομάδες εἰσίν νἡ γὰρ ἀπὸ τῶν ἡμέρων τροφὴ ζῴων ἄνευ πόνου γίνεται σχολάζουσιν· ἀναγκαίου δ' ὄντος μεταβάλλειν τοῖς κτήνεσι διὰ τὰς νομὰς καὶ αὐτοὶ ἀναγκάζονται συνακολουθεῖν, ὥσπερ γεωργίαν ζῶσαν γεωργοῦντεσσ· οἱ δ' ἀπὸ θήρας ζῶσι, καὶ θήρας ἕτεροι ἑτέρας, οἷον οἱ μὲν ἀπὸ λῃστείας, οἱ δ' ἀφ' ἁλιείας, ὅσοι λίμνας καὶ ἕλη καὶ ποταμοὺς ἢ θάλατταν τοιαύτην προσοικοῦσιν, οἱ δ' ἀπ' ὀρνίθων ἢ θηρίων ἀγρίων· τὸ δὲ πλεῖστον γένος τῶν ἀνθρώπων ἀπὸ τῆς γῆς ζῇ καὶ τῶν ἡμέρων καρπῶν.   Οἱ μὲν οὖν βίοι τοσοῦτοι σχεδόν εἰσιν, ὅσοι γε αὐτόφυτον ἔχουσι τὴν ἐργασίαν καὶ μὴ δι' ἀλλαγῆς καὶ καπηλείας πορίζονται τὴν τροφήν, [1256b] Νομαδικὸς, λῃστρικὸς, ἁλιευτικὸς, θηρευτικὸς, γεωργικός. Οἱ δὲ καὶ μιγνύντες ἐκ τούτων ἡδέως ζῶσι, προσαναπληροῦντες τὸν ἐνδεέστερον βίον, ᾗ τυγχάνει ἐλλείπων πρὸς τὸ αὐτάρκης εἶναι, οἷον οἱ μὲν νομαδικὸν ἅμα καὶ λῃστρικόν, οἱ δὲ γεωργικὸν καὶ θηρευτικόν· ὁμοίως δὲ καὶ περὶ τοὺς ἄλλους· ὡς ἂν ἡ χρεία συναναγκάζῃ, τοῦτον τὸν τρόπον διάγουσιν. Ἡ μὲν οὖν τοιαύτη κτῆσις ὑπ' αὐτῆς φαίνεται τῆς φύσεως διδομένη πᾶσιν, ὥσπερ κατὰ τὴν πρώτην γένεσιν εὐθύς, οὕτω καὶ τελειωθεῖσιν. Καὶ γὰρ κατὰ τὴν ἐξ ἀρχῆς γένεσιν τὰ μὲν συνεκτίκτει τῶν ζῴων τοσαύτην τροφὴν ὥσθ' ἱκανὴν εἶναι μέχρις οὗ ἂν δύνηται αὐτὸ αὑτῷ πορίζειν τὸ γεννηθέν, οἷον ὅσα σκωληκοτοκεῖ ἢ ᾠοτοκεῖ· ὅσα δὲ ζῳοτοκεῖ, τοῖς γεννωμένοις ἔχει τροφὴν ἐν αὑτοῖς μέχρι τινός, τὴν τοῦ καλουμένου γάλακτος φύσιν.  Ὥστε ὁμοίως δῆλον ὅτι καὶ γενομένοις οἰητέον τά τε φυτὰ τῶν ζῴων ἕνεκεν εἶναι καὶ τὰ ἄλλα ζῷα τῶν ἀνθρώπων χάριν, τὰ μὲν ἥμερα καὶ διὰ τὴν χρῆσιν καὶ διὰ τὴν τροφήν, τῶν δ' ἀγρίων, εἰ μὴ πάντα, ἀλλὰ τά γε πλεῖστα τῆς τροφῆς καὶ ἄλλης βοηθείας ἕνεκεν, ἵνα καὶ ἐσθὴς καὶ ἄλλα ὄργανα γίνηται ἐξ αὐτῶν.

Εἰ οὖν ἡ φύσις μηθὲν μήτε ἀτελὲς ποιεῖ μήτε μάτην, ἀναγκαῖον τῶν ἀνθρώπων ἕνεκεν αὐτὰ πάντα πεποιηκέναι τὴν φύσιν. Διὸ καὶ ἡ πολεμικὴ φύσει κτητική πως ἔσται (ἡ γὰρ θηρευτικὴ μέρος αὐτῆς), ᾗ δεῖ χρῆσθαι πρός τε τὰ θηρία καὶ τῶν ἀνθρώπων ὅσοι πεφυκότες ἄρχεσθαι μὴ θέλουσιν, ὡς φύσει δίκαιον τοῦτον ὄντα τὸν πόλεμον.

Ἓν μὲν οὖν εἶδος κτητικῆς κατὰ φύσιν τῆς οἰκονομικῆς μέρος ἐστίν, καθὸ δεῖ ἤτοι ὑπάρχειν ἢ πορίζειν αὐτὴν ὅπως ὑπάρχῃ ὧν ἔστι θησαυρισμὸς χρημάτων πρὸς ζωὴν ἀναγκαίων, καὶ χρησίμων εἰς κοινωνίαν πόλεως ἢ οἰκίας.  § 9. Καὶ ἔοικεν ὅ γ' ἀληθινὸς πλοῦτος ἐκ τούτων εἶναι. Ἡ γὰρ τῆς τοιαύτης κτήσεως αὐτάρκεια πρὸς ἀγαθὴν ζωὴν οὐκ ἄπειρός ἐστιν, ὥσπερ Σόλων φησὶ ποιήσας

Πλούτου δ' οὐθὲν τέρμα πεφασμένον ἀνδράσι κεῖται.

Κεῖται γὰρ ὥσπερ καὶ ταῖς ἄλλαις τέχναις· οὐδὲν γὰρ ὄργανον ἄπειρον οὐδεμιᾶς ἐστι τέχνης οὔτε πλήθει οὔτε μεγέθει, ὁ δὲ πλοῦτος ὀργάνων πλῆθός ἐστιν οἰκονομικῶν καὶ πολιτικῶν. Ὅτι μὲν τοίνυν ἔστι τις κτητικὴ κατὰ φύσιν τοῖς οἰκονόμοις καὶ τοῖς πολιτικοῖς, καὶ δι' ἣν αἰτίαν, δῆλον.

Nous venons de voir que l'esclave fait partie de la richesse de la famille. Nous allons traiter de la propriété en général, et de l'acquisition des biens. Nous suivrons notre méthode ordinaire.

D'abord, il faut examiner si l'acquisition des biens est le même art que l'administration domestique, ou s'il en fait seulement partie, et lui est subordonné. Si l'acquisition des biens est aux ordres de l'administration domestique, en quoi consiste ce rapport ? En dépend-elle, comme le tablier du tisserand, comme le fondeur du statuaire? Or ces rapports sont différents. Le tabletier donne la navette qui n'est qu'un instrument, mais le fondeur fournit la matière même de l'ouvrage. J'appelle matière, le fond et le corps de l'œuvre, c'est-à-dire la laine pour le tisserand , et le bronze pour le statuaire.

D'après cela, il est évident que l'acquisition des biens diffère de l'administration domestique. La première fournit les objets de consommation : la seconde les emploie eu dépense. Car, à qui appartient-il de disposer des biens de la maison? c'est à la seule administration domestique.

Mais l'acquisition des biens fait-elle partie de l'administration domestique, ou forme-t-elle un objet à part? Nous allons examiner cette question. Sans doute il est du ressort de la spéculation industrielle de connaître les sources de l'abondance et de la richesse ; mais cette abondance arrive à la maison par différents canaux. Il faut donc savoir, comme préliminaire nécessaire, si l'agriculture, et généralement si les moyens d'industrie naturelle pour procurer des subsistances à la famille, font partie de la spéculation industrielle, ou s'ils forment un objet séparé.

La nature diversifie à l'infini les substances nutritives : de là cette prodigieuse variété dans la manière d'être des hommes et des animaux, qui tous ne maintiennent leur existence qu'au moyen des aliments. Or, la seule différence de nourriture modifie leur vie et leurs caractères. Les animaux se réunissent en société, ou vivent errants et seuls suivant leur genre de nourriture : les uns sont carnivores, les autres frugivores ou herbivores, et d'autres omnivores. Tous ont reçu de la nature un instinct analogue au genre de leurs aliments et à la facilité de les trouver; mais ils n'ont pas tous les mêmes goûts. La nourriture qui plaît aux uns est dédaignée par les autres; voilà pourquoi les frugivores et les carnivores n'ont pas les mêmes habitudes. La même variété de mœurs s'observe parmi les hommes, et forme entre leur manière de vivre des nuances très prononcées : les uns sont pasteurs ou nomades ; c'est la classe d'hommes la plus oisive, parce que leurs paisibles troupeaux leur procurent sans travail une facile nourriture : toute leur peine consiste à conduire leurs troupeaux dans de gras pâturages : c'est une sorte d'agriculteurs cultivant un champ vivant. D'autres vivent de chasse, genre d'industrie très varié; on renferme sous le nom de chasseurs ceux qui enlèvent des troupeaux (3), ceux qui s'occupent de pêche, lorsque le hasard les a placés près de la mer, des lacs ou des rivières, enfin ceux qui poursuivent les oiseaux ou les animaux sauvages. D'autres, et c'est le plus grand nombre, se nourrissent des productions de la terre et des fruits que leur industrie a fait naître. [1256b] Ainsi, éducation des troupeaux, agriculture, brigandage, pêche, chasse, voilà les moyens d'industrie naturels à l'homme pour se procurer sa subsistance; car le commerce et le courtage sont des moyens factices. Quelquefois les hommes réunissent plusieurs de ces professions pour augmenter leurs jouissances ; ils remplissent le vide d'une occupation peu productive par une autre qui puisse y suppléer et leur donner le nécessaire ; ainsi ils sont en même temps pasteurs et brigands, chasseurs et laboureurs. Chacun adopte plusieurs genres de vie suivant ses besoins et les circonstances : c'est la nature elle-même qui assure ces moyens de subsistance à tout ce qui respire, à l'animal adulte comme à celui qui vient de naître, jusqu'à ce qu'il puisse la chercher lui-même : telles sont les classes des ovipares et des insectes (11). Les vivipares portent dans leurs mamelles la nourriture propre pour un temps à leurs petits : c'est cette substance naturelle qu'on appelle lait. Concluons de cet ordre invariable que la nature a voulu pourvoir aussi aux besoins de l'animal adulte ; qu'elle fait végéter les plantes pour les animaux, et croître les animaux pour l'homme. En effet, les uns vivent avec nous ; ils nous aident et nous nourrissent ; les autres sont sauvages : tous, ou presque tous nous fournissent des aliments, des vêtements, ou d'autres objets d'utilité.

La nature ne fait rien en vain ; il n'y a point d'imperfection dans son ouvrage. Elle a donc créé tout ce qui peuple et orne la terre pour les besoins de l'homme. Il suit de là que l'art de la guerre est un moyen d'acquisition naturelle, car la chasse est une partie de cet art ; ainsi la guerre est une espèce de chasse aux bêtes et aux hommes nés pour obéir, et qui se refusent à l'esclavage. Il semble que la nature imprime le sceau de la justice à de pareilles hostilités.

Voilà l'espèce d'acquisition conforme à la nature, qui fait partie de l'économie domestique. C'est par elle que le sage administrateur doit avoir d'avance sous sa main, ou bien être en état d'acquérir les moyens d'existence et l'abondance nécessaire tant à la famille qu'à la cité. C'est là ce qu'on doit appeler la vraie richesse ; ce sont là ces vrais biens suffisants pour le bonheur, qui ont une fin déterminée, qui n'excitent pas ce désir insatiable que Solon nous peint dans ses vers, lorsqu'il dit (12) :

L'homme veut amasser des richesses sans fin,

L'art d'acquérir des biens a une fin et des limites comme les autres arts, parce que tous ne peuvent avoir que des instruments bornés tant pour le nombre que pour l'étendue, et que les diverses espèces de biens naturels ne sont que des instruments de l'économie domestique pour l'usage de la famille et de l'État. Il y a donc une espèce de richesse conforme à la nature qui tient à l'économie politique et privée. C'est ce que nous avons démontré.

 

CHAPITRE VI.

Des produits artiflciels ; origine du commerce et de la monnaie.

Ἔστι δὲ γένος ἄλλο κτητικῆς, ἣν μάλιστα καλοῦσι, καὶ δίκαιον αὐτὸ καλεῖν, χρηματιστικήν, δι' ἣν οὐδὲν δοκεῖ πέρας εἶναι πλούτου καὶ κτήσεως· [1257a] Ἣν ὡς μίαν καὶ τὴν αὐτὴν τῇ λεχθείσῃ πολλοὶ νομίζουσι διὰ τὴν γειτνίασιν· ἔστι δ' οὔτε ἡ αὐτὴ τῇ εἰρημένῃ οὔτε πόρρω ἐκείνης. Ἔστι δ' ἡ μὲν φύσει ἡ δ' οὐ φύσει αὐτῶν, ἀλλὰ δι' ἐμπειρίας τινὸς καὶ τέχνης γίνεται μᾶλλον. Λάβωμεν δὲ περὶ αὐτῆς τὴν ἀρχὴν ἐντεῦθεν.

Ἑκάστου γὰρ κτήματος διττὴ ἡ χρῆσίς ἐστιν, ἀμφότεραι δὲ καθ' αὑτὸ μὲν ἀλλ' οὐχ ὁμοίως καθ' αὑτό, ἀλλ' ἡ μὲν οἰκεία ἡ δ' οὐκ οἰκεία τοῦ πράγματος, οἷον ὑποδήματος ἥ τε ὑπόδεσις καὶ ἡ μεταβλητική. Ἀμφότεραι γὰρ ὑποδήματος χρήσεις· καὶ γὰρ ὁ ἀλλαττόμενος τῷ δεομένῳ ὑποδήματος ἀντὶ νομίσματος ἢ τροφῆς χρῆται τῷ ὑποδήματι ᾗ ὑπόδημα, ἀλλ' οὐ τὴν οἰκείαν χρῆσιν· οὐ γὰρ ἀλλαγῆς ἕνεκεν γέγονε. Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον ἔχει καὶ περὶ τῶν ἄλλων κτημάτων. Ἔστι γὰρ ἡ μεταβλητικὴ πάντων, ἀρξαμένη τὸ μὲν πρῶτον ἐκ τοῦ κατὰ φύσιν, τῷ τὰ μὲν πλείω τὰ δὲ ἐλάττω τῶν ἱκανῶν ἔχειν τοὺς ἀνθρώπους  (ᾗ καὶ δῆλον ὅτι οὐκ ἔστι φύσει τῆς χρηματιστικῆς ἡ καπηλική· ὅσον γὰρ ἱκανὸν αὐτοῖς, ἀναγκαῖον ἦν ποιεῖσθαι τὴν ἀλλαγήν). Ἐν μὲν οὖν τῇ πρώτῃ κοινωνίᾳ (τοῦτο δ' ἐστὶν οἰκία) φανερὸν ὅτι οὐδὲν ἔστιν ἔργον αὐτῆς, ἀλλ' ἤδη πλειόνων τῆς κοινωνίας οὔσης. Οἱ μὲν γὰρ τῶν αὑτῶν ἐκοινώνουν πάντων, οἱ δὲ κεχωρισμένοι πολλῶν πάλιν καὶ ἑτέρων, ὧν κατὰ τὰς δεήσεις ἀναγκαῖον ποιεῖσθαι τὰς μεταδόσεις, καθάπερ ἔτι πολλὰ ποιεῖ καὶ τῶν βαρβαρικῶν ἐθνῶν, κατὰ τὴν ἀλλαγήν. Αὐτὰ γὰρ τὰ χρήσιμα πρὸς αὑτὰ καταλλάττονται, ἐπὶ πλέον δ' οὐθέν, οἷον οἶνον πρὸς σῖτον διδόντες καὶ λαμβάνοντες, καὶ τῶν ἄλλων τῶν τοιούτων ἕκαστον.  Ἡ μὲν οὖν τοιαύτη μεταβλητικὴ οὔτε παρὰ φύσιν οὔτε χρηματιστικῆς ἐστιν εἶδος οὐδέν νεἰς ἀναπλήρωσιν γὰρ τῆς κατὰ φύσιν αὐταρκείας ἦνν· ἐκ μέντοι ταύτης ἐγένετ' ἐκείνη κατὰ λόγον. Ξενικωτέρας γὰρ γενομένης τῆς βοηθείας τῷ εἰσάγεσθαι ὧν ἐνδεεῖς ἦσαν καὶ ἐκπέμπειν ὧν ἐπλεόναζον, ἐξ ἀνάγκης ἡ τοῦ νομίσματος ἐπορίσθη χρῆσις. Οὐ γὰρ εὐβάστακτον ἕκαστον τῶν κατὰ φύσιν ἀναγκαίων. Διὸ πρὸς τὰς ἀλλαγὰς τοιοῦτόν τι συνέθεντο πρὸς σφᾶς αὐτοὺς διδόναι καὶ λαμβάνειν, ὃ τῶν χρησίμων αὐτὸ ὂν εἶχε τὴν χρείαν εὐμεταχείριστον πρὸς τὸ ζῆν, οἷον σίδηρος καὶ ἄργυρος κἂν εἴ τι τοιοῦτον ἕτερον, τὸ μὲν πρῶτον ἁπλῶς ὁρισθὲν μεγέθει καὶ σταθμῷ, τὸ δὲ τελευταῖον καὶ χαρακτῆρα ἐπιβαλλόντων, ἵνα ἀπολύσῃ τῆς μετρήσεως αὑτούς· ὁ γὰρ χαρακτὴρ ἐτέθη τοῦ ποσοῦ σημεῖον.  Πορισθέντος οὖν ἤδη νομίσματος ἐκ τῆς ἀναγκαίας ἀλλαγῆς θάτερον εἶδος τῆς χρηματιστικῆς ἐγένετο, τὸ καπηλικόν, τὸ μὲν πρῶτον ἁπλῶς ἴσως γινόμενον, εἶτα δι' ἐμπειρίας ἤδη τεχνικώτερον, πόθεν καὶ πῶς μεταβαλλόμενον πλεῖστον ποιήσει κέρδος.  Διὸ δοκεῖ ἡ χρηματιστικὴ μάλιστα περὶ τὸ νόμισμα εἶναι, καὶ ἔργον αὐτῆς τὸ δύνασθαι θεωρῆσαι πόθεν ἔσται πλῆθος, ποιητικὴ γὰρ εἶναι πλούτου καὶ χρημάτων.

Καὶ γὰρ τὸν πλοῦτον πολλάκις τιθέασι νομίσματος πλῆθος, διὰ τὸ περὶ τοῦτ' εἶναι τὴν χρηματιστικὴν καὶ τὴν καπηλικήν.

Ὁτὲ δὲ πάλιν λῆρος εἶναι δοκεῖ τὸ νόμισμα καὶ νόμος παντάπασι, φύσει δ' οὐθέν, ὅτι μεταθεμένων τε τῶν χρωμένων οὐθενὸς ἄξιον οὐδὲ χρήσιμον πρὸς οὐδὲν τῶν ἀναγκαίων ἐστί, καὶ νομίσματος πλουτῶν πολλάκις ἀπορήσει τῆς ἀναγκαίας τροφῆς· καίτοι ἄτοπον τοιοῦτον εἶναι πλοῦτον οὗ εὐπορῶν λιμῷ ἀπολεῖται, καθάπερ καὶ τὸν Μίδαν ἐκεῖνον μυθολογοῦσι διὰ τὴν ἀπληστίαν τῆς εὐχῆς πάντων αὐτῷ γιγνομένων τῶν παρατιθεμένων χρυσῶν.

Διὸ ζητοῦσιν ἕτερόν τι τὸν πλοῦτον καὶ τὴν χρηματιστικήν, ὀρθῶς ζητοῦντες. Ἔστι γὰρ ἑτέρα ἡ χρηματιστικὴ καὶ ὁ πλοῦτος ὁ κατὰ φύσιν, καὶ αὕτη μὲν οἰκονομική, ἡ δὲ καπηλική, ποιητικὴ πλούτου οὐ πάντως ἀλλὰ διὰ χρημάτων μεταβολῆς. Καὶ δοκεῖ περὶ τὸ νόμισμα αὕτη εἶναι· τὸ γὰρ νόμισμα στοιχεῖον καὶ πέρας τῆς ἀλλαγῆς ἐστιν. Καὶ ἄπειρος δὴ οὗτος ὁ πλοῦτος, ὁ ἀπὸ ταύτης τῆς χρηματιστικῆς. Ὥσπερ γὰρ ἡ ἰατρικὴ τοῦ ὑγιαίνειν εἰς ἄπειρόν ἐστι, καὶ ἑκάστη τῶν τεχνῶν τοῦ τέλους εἰς ἄπειρον (ὅτι μάλιστα γὰρ ἐκεῖνο βούλονται ποιεῖν), τῶν δὲ πρὸς τὸ τέλος οὐκ εἰς ἄπειρον (πέρας γὰρ τὸ τέλος πάσαις), οὕτω καὶ ταύτης τῆς χρηματιστικῆς οὐκ ἔστι τοῦ τέλους πέρας, τέλος δὲ ὁ τοιοῦτος πλοῦτος καὶ χρημάτων κτῆσις.  § 18. Τῆς δ' οἰκονομικῆς χρηματιστικῆς ἔστι πέρας· οὐ γὰρ τοῦτο τῆς οἰκονομικῆς ἔργον. Διὸ τῇ μὲν φαίνεται ἀναγκαῖον εἶναι παντὸς πλούτου πέρας, ἐπὶ δὲ τῶν γινομένων ὁρῶμεν συμβαῖνον τοὐναντίον· πάντες γὰρ εἰς ἄπειρον αὔξουσιν οἱ χρηματιζόμενοι τὸ νόμισμα. Αἴτιον δὲ τὸ σύνεγγυς αὐτῶν.

Ἐπαλλάττει γὰρ ἡ χρῆσις τοῦ αὐτοῦ οὖσα ἑκατέρας τῆς χρηματιστικῆς. Τῆς γὰρ αὐτῆς ἐστι κτήσεως χρῆσις, ἀλλ' οὐ κατὰ ταὐτόν, ἀλλὰ τῆς μὲν ἕτερον τέλος, τῆς δ' ἡ αὔξησις. Ὥστε δοκεῖ τισι τοῦτ' εἶναι τῆς οἰκονομικῆς ἔργον, καὶ διατελοῦσιν ἢ σῴζειν οἰόμενοι δεῖν ἢ αὔξειν τὴν τοῦ νομίσματος οὐσίαν εἰς ἄπειρον.  Αἴτιον δὲ ταύτης τῆς διαθέσεως τὸ σπουδάζειν περὶ τὸ ζῆν, ἀλλὰ μὴ τὸ εὖ ζῆν· [1258a]  Εἰς ἄπειρον οὖν ἐκείνης τῆς ἐπιθυμίας οὔσης, καὶ τῶν ποιητικῶν ἀπείρων ἐπιθυμοῦσιν. Ὅσοι δὲ καὶ τοῦ εὖ ζῆν ἐπιβάλλονται τὸ πρὸς τὰς ἀπολαύσεις τὰς σωματικὰς ζητοῦσιν, ὥστ' ἐπεὶ καὶ τοῦτ' ἐν τῇ κτήσει φαίνεται ὑπάρχειν, πᾶσα ἡ διατριβὴ περὶ τὸν χρηματισμόν ἐστι, καὶ τὸ ἕτερον εἶδος τῆς χρηματιστικῆς διὰ τοῦτ' ἐλήλυθεν.

Ἐν ὑπερβολῇ γὰρ οὔσης τῆς ἀπολαύσεως, τὴν τῆς ἀπολαυστικῆς ὑπερβολῆς ποιητικὴν ζητοῦσιν· κἂν μὴ διὰ τῆς χρηματιστικῆς δύνωνται πορίζειν, δι' ἄλλης αἰτίας τοῦτο πειρῶνται, ἑκάστῃ χρώμενοι τῶν δυνάμεων οὐ κατὰ φύσιν.  Ἀνδρείας γὰρ οὐ χρήματα ποιεῖν ἐστιν ἀλλὰ θάρσος, οὐδὲ στρατηγικῆς καὶ ἰατρικῆς, ἀλλὰ τῆς μὲν νίκην τῆς δ' ὑγίειαν. Οἱ δὲ πάσας ποιοῦσι χρηματιστικάς, ὡς τοῦτο τέλος ὄν, πρὸς δὲ τὸ τέλος ἅπαντα δέον ἀπαντᾶν.

Περὶ μὲν οὖν τῆς τε μὴ ἀναγκαίας χρηματιστικῆς, καὶ τίς, καὶ δι' αἰτίαν τίνα ἐν χρείᾳ ἐσμὲν αὐτῆς, εἴρηται, καὶ περὶ τῆς ἀναγκαίας, ὅτι ἑτέρα μὲν αὐτῆς οἰκονομικὴ δὲ κατὰ φύσιν ἡ περὶ τὴν τροφήν, οὐχ ὥσπερ αὕτη ἄπειρος ἀλλ' ἔχουσα ὅρον.

Il y a une autre espèce de biens, qu'on appelle plus ordinairement richesses. L'art de les acquérir mérite plus particulièrement le nom de spéculation industrielle: ce sont ces produits artificiels que l'avarice accumule sans mesure et sans fin. [1257a] On confond quelquefois ces deux espèces de spéculation à cause de leur affinité ; il est vrai qu'elles se touchent, mais leurs caractères ne sont pas les mêmes. La première est fondée sur la nature ; l'autre n'est que le résultat de l'industrie et de l'adresse : c'est de celle-ci que nous allons traiter.

Tout objet de propriété a deux usages, tous deux inhérents à l'objet, avec une destination particulière; l'un est l'usage naturel, l'autre l'usage artificiel. Ainsi l'usage naturel d'une chaussure est de servir à marcher; son usage industriel est d'être un objet d'échange. Un homme a besoin de chaussures : le cordonnier qui lui en fournit en échange, contre des subsistances ou de l'argent, se sert de chaussures; mais ce n'est point là leur usage naturel, parce qu'il n'est point de leur essence d'être des objets de trafic. Ce double rapport existe dans toute espèce de propriété. Le commerce, dans son origine, était fondé sur la nature, il avait lieu entre les hommes, à raison de l'abondance ou de la disette respective des objets de première nécessité; donc le trafic qui consiste à acheter pour revendre, ne fait point partie de l'industrie naturelle, parce que l'échange ne se faisait que dans la juste proportion du nécessaire. Il fut inconnu à la société primitive qui était concentrée dans la famille ; alors tous les biens étaient communs : la société s'agrandit ; on se dispersa ; on connut le mien et le tien ; on fut obligé d'échanger respectivement les objets de consommation dont on eut besoin : tel est encore aujourd'hui l'état du commerce chez plusieurs peuples barbares qui échangent des objets utiles contre d'autres objets utiles, par exemple, subsistances contre subsistances, et ainsi du reste. Ce genre de commerce n'est point contraire à la nature, puisqu'il ne sort pas du cercle des besoins naturels. On ne peut donc le classer dans l'espèce des spéculations qui donnent des produits artificiels; cependant, par la force même des choses, il y a donné lieu. Plus les hommes s'éloignèrent les uns des autres, plus il fut difficile de s'aider, et d'importer le nécessaire, ou d'exporter le superflu. Les objets de première nécessité sont eu général d'un transport incommode : le besoin fit inventer la monnaie. On convint de donner et de recevoir dans les transactions, une matière convenable (4) et d'une circulation aisée. On adopta pour cet usage le fer, l'argent et autres substances. Ce premier signe d'échange ne valut d'abord qu'à raison du volume et du poids; ensuite on le frappa d'une empreinte qui en marquait la valeur, afin d'être dispensé de toute autre vérification. Après l'adoption nécessaire de la monnaie pour les échanges, il apparut une nouvelle espèce de transaction commerciale, le trafic. Celui-ci fut compliqué dans l'origine ; mais bientôt il fit des combinaisons plus habiles, afin de tirer des échanges le plus grand bénéfice possible.

Il est arrivé de là qu'on s'est accoutumé à restreindre l'art commercial à la seule monnaie ; on a pensé que son but était d'amasser de l'argent, parce que le résultat de ses opérations est de procurer des richesses et de l'argent.

Cependant la monnaie ne serait-elle pas un bien imaginaire ? Sa valeur est toute dans la loi : où est celle qu'elle a de la nature ? Si la convention qui l'admet dans la circulation vient à changer, où est son prix réel? Quel besoin de la vie pourrait-elle soulager? A côté d'un monceau d'or, on manquerait des plus indispensables aliments. Quelle folie, d'appeler richesse une abondance au sein de laquelle on meurt de faim ! C'est bien la fable de Midas dont les dieux avaient exaucé le souhait avare, et qui périssait d'inanition parce que tout ce qu'il touchait se changeait en or.

On a donc raison de chercher une autre espèce d'industrie commerciale et de richesses. Or cette industrie et ces richesses existent et sont dans la nature. L'art véritable est l'économie elle-même. L'art factice est ce commerce de courtage qui procure la richesse uniquement par le moyen du trafic, et dont la monnaie paraît être l'agent naturel, parce qu'elle est la base et le dernier résultat de toute transaction de commerce. Or, cet art factice d'amasser des richesses n'a pas de fin déterminée. Les arts véritables tendent sans cesse à leur fin, parce qu'ils visent de plus en plus à une perfection absolue ; ainsi la médecine veut guérir, et le veut jusqu'à l'infini; mais ces arts sont bornés dans les moyens pour arriver à leur fin , attendu que tous ont des bornes ; de même, l'art factice de se procurer l'abondance tend sans cesse à sa fin, mais cette fin n'a point de limites : il ajoute sans cesse richesses à richesses. Au contraire, l'art industriel, bien différent de cet art qui ne s'occupe que d'argent, a sa fin déterminée. 11 n'est pas dans son essence d'entasser toujours. Il est donc dans la nature de l'économie, que toute espèce de richesse ait sa limite ; mais ce qui se passe sous nos yeux est l'opposé de ce principe. Tous ceux qui emploient l'argent comme moyen de spéculation, acquièrent et entassent sans mesure; pourquoi? parce que les deux espèces de spéculation se touchent. Leurs résultats étant les mêmes, on les emploie l'une pour l'autre. Toutes deux ont une fonction commune, qui est de procurer les moyens de satisfaire les besoins de la vie, mais leurs opérations sont bien différentes. L'une s'arrête à sa fin, l'autre tend à accroître la richesse dans une progression indéfinie ; aussi se persuade-t-on souvent que la tendance d'amasser sans fin est du ressort de l'économie naturelle : en conséquence, on regarde comme un devoir de conserver et d'entasser trésors sur trésors. D'où vient ce renversement de principes? de ce qu'on ne pense qu'à vivre sans s'inquiéter de bien vivre. [1258a] Le désir de la vie est infini ; on veut posséder à l'infini des moyens de vivre. Ceux même qui cherchent à bien vivre, ne laissent pas de rechercher aussi les plaisirs du corps ; mais ce sont les richesses qui procurent ces jouissances; tous courent donc après les richesses. Voilà ce qui a donné lieu à l'espèce de spéculation factice qui ne s'occupe que d'argent.

L'homme insatiable dans ses désirs poursuit sans mesure tous les moyens de jouissance. Si l'économie naturelle ne le conduit pas à son but, il a recours à d'autres ressources, en employant ses facultés contre le vœu même de la nature. Il appartient à la grandeur d'âme, non de gagner des richesses, mais du courage. Où tendent les talents du général et du médecin ? n'est-ce pas uniquement à vaincre et à guérir? On a fait de tout cela des spéculations d'argent, comme si l'argent était la fin de tout, car tout dans la nature tend nécessairement à sa fin.

Il y a donc une espèce d'industrie hors nature. Nous l'avons définie, et nous avons indiqué sous quel rapport elle était utile. Il y a aussi une espèce d'industrie différente de la précédente : c'est l'industrie naturelle qui pourvoit aux besoins de la famille, et fait partie de l'économie; celle-ci a sa fin déterminée, l'autre, au contraire, n'a ni but fixe ni mesure.





 

CHAPITRE VII.

La spéculation naturelle est aux ordres de l'économie : ses attributions. Du produit artiliciel et de ses divisions ; arts honnêtes et vils.

Δῆλον δὲ καὶ τὸ ἀπορούμενον ἐξ ἀρχῆς, πότερον τοῦ οἰκονομικοῦ καὶ πολιτικοῦ ἐστιν ἡ χρηματιστικὴ ἢ οὔ, ἀλλὰ δεῖ τοῦτο μὲν ὑπάρχειν

(ὥσπερ γὰρ καὶ ἀνθρώπους οὐ ποιεῖ ἡ πολιτική, ἀλλὰ λαβοῦσα παρὰ τῆς φύσεως χρῆται αὐτοῖς, οὕτω καὶ τροφὴν τὴν φύσιν δεῖ παραδοῦναι γῆν ἢ θάλατταν ἢ ἄλλο τι), ἐκ δὲ τούτων, ὡς δεῖ ταῦτα διαθεῖναι προσήκει τὸν οἰκονόμον. Οὐ γὰρ τῆς ὑφαντικῆς ἔρια ποιῆσαι, ἀλλὰ χρήσασθαι αὐτοῖς, καὶ γνῶναι δὲ τὸ ποῖον χρηστὸν καὶ ἐπιτήδειον, ἢ φαῦλον καὶ ἀνεπιτήδειον.

Καὶ γὰρ ἀπορήσειεν ἄν τις διὰ τί ἡ μὲν χρηματιστικὴ μόριον τῆς οἰκονομίας, ἡ δ' ἰατρικὴ οὐ μόριον· καίτοι δεῖ ὑγιαίνειν τοὺς κατὰ τὴν οἰκίαν, ὥσπερ ζῆν ἢ ἄλλο τι τῶν ἀναγκαίων.

Ἐπεὶ δὲ ἔστι μὲν ὡς τοῦ οἰκονόμου καὶ τοῦ ἄρχοντος καὶ περὶ ὑγιείας ἰδεῖν, ἔστι δ' ὡς οὔ, ἀλλὰ τοῦ ἰατροῦ, οὕτω καὶ περὶ τῶν χρημάτων ἔστι μὲν ὡς τοῦ οἰκονόμου, ἔστι δ' ὡς οὔ, ἀλλὰ τῆς ὑπηρετικῆς· μάλιστα δέ, καθάπερ εἴρηται πρότερον, δεῖ φύσει τοῦτο ὑπάρχειν. Φύσεως γάρ ἐστιν ἔργον τροφὴν τῷ γεννηθέντι παρέχειν· παντὶ γάρ, ἐξ οὗ γίνεται, τροφὴ τὸ λειπόμενόν ἐστι. Διὸ κατὰ φύσιν ἐστὶν ἡ χρηματιστικὴ πᾶσιν ἀπὸ τῶν καρπῶν καὶ τῶν ζῴων.  Διπλῆς δ' οὔσης αὐτῆς, ὥσπερ εἴπομεν, καὶ τῆς μὲν καπηλικῆς τῆς δ' οἰκονομικῆς, καὶ ταύτης μὲν ἀναγκαίας καὶ ἐπαινουμένης, τῆς δὲ μεταβλητικῆς ψεγομένης δικαίως [1258b] οὐ γὰρ κατὰ φύσιν ἀλλ' ἀπ' ἀλλήλων ἐστίν,

εὐλογώτατα μισεῖται ἡ ὀβολοστατικὴ διὰ τὸ ἀπ' αὐτοῦ τοῦ νομίσματος εἶναι τὴν κτῆσιν καὶ οὐκ ἐφ' ὅπερ ἐπορίσθη. Μεταβολῆς γὰρ ἐγένετο χάριν, ὁ δὲ τόκος αὐτὸ ποιεῖ πλέον (ὅθεν καὶ τοὔνομα τοῦτ' εἴληφεν· ὅμοια γὰρ τὰ τικτόμενα τοῖς γεννῶσιν αὐτά ἐστιν, ὁ δὲ τόκος γίνεται νόμισμα ἐκ νομίσματος)· ὥστε καὶ μάλιστα παρὰ φύσιν οὗτος τῶν χρηματισμῶν ἐστιν.

Ἐπεὶ δὲ τὰ πρὸς τὴν γνῶσιν διωρίκαμεν ἱκανῶς, τὰ πρὸς τὴν χρῆσιν δεῖ διελθεῖν. Πάντα δὲ τὰ τοιαῦτα τὴν μὲν θεωρίαν ἐλευθέραν ἔχει, τὴν δ' ἐμπειρίαν ἀναγκαίαν.

Ἔστι δὲ χρηματιστικῆς μέρη χρήσιμα· τὸ περὶ τὰ κτήματα ἔμπειρον εἶναι, ποῖα λυσιτελέστατα καὶ ποῦ καὶ πῶς, οἷον ἵππων κτῆσις ποία τις ἢ βοῶν ἢ προβάτων, ὁμοίως δὲ καὶ τῶν λοιπῶν ζῴων (δεῖ γὰρ ἔμπειρον εἶναι πρὸς ἄλληλά τε τούτων τίνα λυσιτελέστατα, καὶ ποῖα ἐν ποίοις τόποις· ἄλλα γὰρ ἐν ἄλλαις εὐθηνεῖ χώραις), εἶτα περὶ γεωργίας, καὶ ταύτης ἤδη ψιλῆς τε καὶ πεφυτευμένης, καὶ μελιττουργίας, καὶ τῶν ἄλλων ζῴων τῶν πλωτῶν ἢ πτηνῶν, ἀφ' ὅσων ἔστι τυγχάνειν βοηθείας.  Τῆς μὲν οὖν οἰκειοτάτης χρηματιστικῆς ταῦτα μόρια καὶ πρῶτα·  τῆς δὲ μεταβλητικῆς μέγιστον μὲν ἐμπορία (καὶ ταύτης μέρη τρία, ναυκληρία φορτηγία παράστασις· διαφέρει δὲ τούτων ἕτερα ἑτέρων τῷ τὰ μὲν ἀσφαλέστερα εἶναι, τὰ δὲ πλείω πορίζειν τὴν ἐπικαρπίαν), δεύτερον δὲ τοκισμός, τρίτον δὲ μισθαρνία (ταύτης δ' ἡ μὲν τῶν βαναύσων τεχνῶν, ἡ δὲ τῶν ἀτέχνων καὶ τῷ σώματι μόνῳ χρησίμων)· τρίτον δὲ εἶδος χρηματιστικῆς μεταξὺ ταύτης καὶ τῆς πρώτης (ἔχει γὰρ καὶ τῆς κατὰ φύσιν τι μέρος καὶ τῆς μεταβλητικῆς), ὅσα ἀπὸ γῆς καὶ τῶν ἀπὸ γῆς γιγνομένων, ἀκάρπων μὲν χρησίμων δέ, οἷον ὑλοτομία τε καὶ πᾶσα μεταλλευτική.

 Αὕτη δὲ πολλὰ ἤδη περιείληφε γένη· πολλὰ γὰρ εἴδη τῶν ἐκ γῆς μεταλλευομένων ἔστιν. Εἰσὶ δὲ τεχνικώταται μὲν τῶν ἐργασιῶν ὅπου ἐλάχιστον τῆς τύχης, βαναυσόταται δ' ἐν αἷς τὰ σώματα λωβῶνται μάλιστα, δουλικώταται δὲ ὅπου τοῦ σώματος πλεῖσται χρήσεις, ἀγεννέσταται δὲ ὅπου ἐλάχιστον προσδεῖ ἀρετῆς. Περὶ ἑκάστου δὲ τούτων καθόλου μὲν εἴρηται καὶ νῦν, τὸ δὲ κατὰ μέρος ἀκριβολογεῖσθαι χρήσιμον μὲν πρὸς τὰς ἐργασίας, φορτικὸν δὲ τὸ ἐνδιατρίβειν.  Ἐπεὶ δ' ἔστιν ἐνίοις γεγραμμένα περὶ τούτων, οἷον Χαρητίδῃ τῷ Παρίῳ [1259a] καὶ Ἀπολλοδώρῳ τῷ Λημνίῳ περὶ γεωργίας καὶ ψιλῆς καὶ πεφυτευμένης, ὁμοίως δὲ καὶ ἄλλοις περὶ ἄλλων, ταῦτα μὲν ἐκ τούτων θεωρείτω ὅτῳ ἐπιμελές· ἔτι δὲ καὶ τὰ λεγόμενα σποράδην, δι' ὧν ἐπιτετυχήκασιν ἔνιοι χρηματιζόμενοι, δεῖ συλλέγειν.

Πάντα γὰρ ὠφέλιμα ταῦτ' ἐστὶ τοῖς τιμῶσι τὴν χρηματιστικήν, οἷον καὶ τὸ Θάλεω τοῦ Μιλησίου· τοῦτο γάρ ἐστι κατανόημά τι χρηματιστικόν, ἀλλ' ἐκείνῳ μὲν διὰ τὴν σοφίαν προσάπτουσι, τυγχάνει δὲ καθόλου τι ὄν. Ὀνειδιζόντων γὰρ αὐτῷ διὰ τὴν πενίαν ὡς ἀνωφελοῦς τῆς φιλοσοφίας οὔσης, κατανοήσαντά φασιν αὐτὸν ἐλαιῶν φορὰν ἐσομένην ἐκ τῆς ἀστρολογίας, ἔτι χειμῶνος ὄντος εὐπορήσαντα χρημάτων ὀλίγων ἀρραβῶνας διαδοῦναι τῶν ἐλαιουργίων τῶν τ' ἐν Μιλήτῳ καὶ Χίῳ πάντων, ὀλίγου μισθωσάμενον ἅτ' οὐθενὸς ἐπιβάλλοντος· ἐπειδὴ δ' ὁ καιρὸς ἧκε, πολλῶν ζητουμένων ἅμα καὶ ἐξαίφνης, ἐκμισθοῦντα ὃν τρόπον ἠβούλετο, πολλὰ χρήματα συλλέξαντα ἐπιδεῖξαι ὅτι ῥᾴδιόν ἐστι πλουτεῖν τοῖς φιλοσόφοις, ἂν βούλωνται, ἀλλ' οὐ τοῦτ' ἐστὶ περὶ ὃ σπουδάζουσιν.

Θαλῆς μὲν οὖν λέγεται τοῦτον τὸν τρόπον ἐπίδειξιν ποιήσασθαι τῆς σοφίας· ἔστι δ', ὥσπερ εἴπομεν, καθόλου τὸ τοιοῦτον χρηματιστικόν, ἐάν τις δύνηται μονοπωλίαν αὑτῷ κατασκευάζειν. Διὸ καὶ τῶν πόλεων ἔνιαι τοῦτον ποιοῦνται τὸν πόρον, ὅταν ἀπορῶσι χρημάτων· μονοπωλίαν γὰρ τῶν ὠνίων ποιοῦσιν. § 7. Ἐν Σικελίᾳ δέ τις τεθέντος παρ' αὐτῷ νομίσματος συνεπρίατο πάντα τὸν σίδηρον ἐκ τῶν σιδηρείων, μετὰ δὲ ταῦτα ὡς ἀφίκοντο ἐκ τῶν ἐμπορίων οἱ ἔμποροι, ἐπώλει μόνος, οὐ πολλὴν ποιήσας ὑπερβολὴν τῆς τιμῆς· ἀλλ' ὅμως ἐπὶ τοῖς πεντήκοντα ταλάντοις ἐπέλαβεν ἑκατόν.

Τοῦτο μὲν οὖν Διονύσιος αἰσθόμενος τὰ μὲν χρήματα ἐκέλευσεν ἐκκομίσασθαι, μὴ μέντοι γε ἔτι μένειν ἐν Συρακούσαις, ὡς πόρους εὑρίσκοντα τοῖς αὑτοῦ πράγμασιν ἀσυμφόρους· τὸ μέντοι ὅραμα Θάλεω καὶ τοῦτο ταὐτόν ἐστιν· ἀμφότεροι γὰρ ἑαυτοῖς ἐτέχνασαν γενέσθαι μονοπωλίαν.

Χρήσιμον δὲ γνωρίζειν ταῦτα καὶ τοῖς πολιτικοῖς. Πολλαῖς γὰρ πόλεσι δεῖ χρηματισμοῦ καὶ τοιούτων πόρων, ὥσπερ οἰκίᾳ, μᾶλλον δέ· διόπερ τινὲς καὶ πολιτεύονται τῶν πολιτευομένων ταῦτα μόνον.

Nous venons de résoudre la question que nous avons posée au commencement de cette discussion. Il s'agissait de savoir si l'industrie naturelle fait partie ou non de l'économie domestique et politique ; or, elle en fait partie. J'ajoute de plus que l'industrie naturelle doit, sous le rapport de ses acquisitions, exister avant l'économie.

En effet, la politique ne crée pas l'homme, mais elle le reçoit tout formé des mains de la nature ; son art consiste à savoir l'employer.. De même, c'est à l'industrie naturelle à chercher les objets de première nécessité, sur la terre, dans la mer, partout où la nature les a placés ; l'économie les reçoit de sa main pour en faire l'emploi. Ainsi, l'économe ne fait pas la laine. Son art consiste à la mettre en œuvre, à connaître si elle est de bonne ou de mauvaise qualité, si elle est convenable ou non à la fabrique.

Ici s'élève une question : Puisque l'industrie naturelle tient à l'économie domestique, pourquoi la médecine n'en fait-elle pas aussi partie ? Or, il est évident que les individus qui composent la famille ont autant besoin de santé que d'aliments, ou de tout autre objet de première nécessité.

Je réponds que l'économie domestique ou politique doit, par son essence, soigner la santé des administrés, mais comme surveillance seulement. L'application de l'art appartient exclusivement à la médecine. De même, l'acquisition des biens nécessaires est, sous un rapport général, un des devoirs de l'économie, mais c'est la fonction plus directe de l'industrie qui opère sous ses ordres. Cependant, je le répète encore : que cette industrie soit dans la nature, parce qu'à la nature seule appartient de pourvoir à la nourriture de tout ce qui respire, sa marche constante est de placer les aliments des différents êtres dans le sein même qui les engendre : d'où il suit que la spéculation , qui tire les subsistances des productions de la terre ou des animaux, est parfaitement dans la nature. Ainsi, il y a deux espèces d'industrie, comme nous l'avons déjà dit : l'une naturelle, et faisant partie de l'économie ; l'autre factice, et consistant dans les opérations du trafic ; la première, essentielle à nos besoins, est un art noble et honnête; la seconde est justement méprisée, [1258b] parce qu'elle n'existe que par l'avarice des hommes qui l'ont créée.

Une des branches de cette espèce d'industrie mérite surtout l'exécration générale : c'est ce trafic d'argent qui tire un profit de la monnaie, et altère ainsi sa véritable destination. Le signe monétaire a été inventé pour faciliter les échanges ; l'usure le rend productif par lui-même, et c'est de là qu'elle a tiré son nom (13); car, de même qu'un être engendre son semblable, de même l'usure est monnaie qui engendre monnaie. On a eu raison de regarder cette espèce d'industrie comme la plus contraire à la nature.

Après le développement des principes, passons à leur application. S'il est beau pour un écrivain d'approfondir une théorie, n'oublions pas que les connaissances pratiques sont surtout vraiment utiles.

L'industrie naturelle embrasse plusieurs branches de première nécessité. Il est essentiel d'avoir approfondi la nature des objets à acquérir, de savoir ceux qui sont d'un meilleur rapport, et comment on les obtiendra. Il faut se connaître en chevaux, en bœufs, en moutons, en troupeaux de tout genre; savoir quelles sont les races les plus productives, et dans quel lieu elles se trouvent, parce que les localités influent sur la perfection des animaux. La science agricole est également nécessaire : elle embrasse le défrichement et la plantation ; l'éducation des abeilles, des volailles, des poissons et de tous les animaux qui peuvent servir à nos besoins : ces connaissances font partie de l'industrie naturelle, elles en sont même la base. L'industrie artificielle embrasse aussi plusieurs branches r dont la plus importante est le commerce, qui se fait de trois manières : par eau, par transport et par vente sur place. Ces genres de trafic diffèrent entre eux : les uns présentent un produit plus sûr, les autres offrent l'appât d'un plus gros bénéfice. La seconde branche de l'industrie artificielle comprend toutes les opérations d'argent qui produisent un intérêt. La troisième se compose des salaires du travail : elle se divise en deux parties, savoir, les métiers mécaniques et les travaux grossiers qui n'exigent que la force du corps.

Il y a encore une autre espèce d'industrie qu'on peut regarder comme un moyen terme entre les deux autres, parce qu'elle se compose des produits de la nature et des opérations du trafic : c'est l'art d'exploiter les productions renfermées dans le sein de la terre ou croissant à sa surface; productions qui, sans être des fruits, sont cependant très utiles : telles sont la coupe des bois et la fouille des mines. La métallurgie comprend plusieurs espèces, à raison des divers minéraux que l'on extrait de la terre. Nous nous contenterons d'indiquer sommairement ces différentes branches d'industrie ; des développements de détails seraient utiles aux progrès de ces arts; mais nous ne nous appesantirons pas sur ces détails ennuyeux (5). Il suffit de poser en principe que, plus un métier demande d'art et de combinaison, plus il est honnête; plus il déforme et abâtardit le corps, par l'emploi des forces physiques, plus il est servile; enfin, que moins la main-d'œuvre a besoin d'intelligence, plus la profession est ignoble. Au reste, il y a des écrivains qui ont traité de toutes ces matières : Charès de Paros [1259a] et Apollodore de Lemnos ont écrit sur la culture des champs et des bois ; toutes les parties des arts et métiers ont été approfondies par d'autres auteurs. Ceux qui veulent acquérir des connaissances plus précises sur ces objets peuvent consulter leurs ouvrages (14). On peut encore recueillir des préceptes ingénieux épars dans divers écrits.

Des spéculateurs adroits en ont tiré grand parti, et ceux qui attachent du prix aux richesses ne doivent pas négliger des connaissances qui peuvent leur apporter un bon intérêt. Je me contenterai de citer ici la spéculation de Thalès de Milet : il fit une affaire d'argent dont le succès fut attribué à ses rares connaissances, quoique, dans le fait, son opération fût fort ordinaire et sûre. On lui reprochait sa pauvreté, d'où l'on concluait que la philosophie ne servait à rien. 11 avait prévu par ses connaissances astronomiques qu'il y aurait l'année suivante une grande abondance d'olives; on était encore en hiver; il se procura quelque argent, loua tous les pressoirs de Milet et de Chio, et donna des arrhes ; il les afferma tous à un prix très modéré, attendu qu'il ne se trouva pas d'enchérisseurs ; au moment de la récolte, il y eut concurrence ; alors il mit à ses pressoirs le prix qu'il voulut, fit de gros bénéfices, et prouva ainsi qu'il était facile aux philosophes de gagner de l'argent, quoique les spéculations mercantiles ne soient pas l'objet de leurs études.

Thalès, dit-on, fit cette affaire afin de prouver l'étendue des ressources de la philosophie ; mais, je le répète, son opération n'exigeait pas une science profonde, attendu que l'accaparement réussit toujours. Ainsi, les gouvernements emploient quelquefois le monopole dans la pénurie de leurs finances, et la vente exclusive leur forme une branche de revenu. Un Sicilien avait une sommé- d'argent en dépôt; il en acheta tout le fer qui se trouva dans les forges ; bientôt les marchands arrivèrent de différentes contrées, et ne trouvèrent du fer que chez lui. Quoiqu'il n'en eût pas trop élevé le prix, il doubla cependant sa mise de fonds qui était de cinquante talents.

Denys eut connaissance de cette spéculation. Il ne dépouilla pas cet adroit monopoleur de son argent; mais il lui ordonna de sortir de Syracuse, attendu qu'un tel système de commerce était nuisible à l'État. Ce Sicilien avait fait le même calcul que Thalès, c'est- à-dire que tous deux avaient habilement accaparé à leur profit.

Il est bon que les hommes qui sont à la tête des gouvernements, connaissent ces sortes de spéculations ; elles sont utiles à un État qui a souvent autant et plus besoin qu'une famille, d'argent et de moyens d'en acquérir. Aussi voit-on partout que quelques-uns des premiers magistrats sont uniquement chargés des finances.

CHAPITRE VIII.

Du pouvoir marital et paternel. Si ceux qui obéissent ont des vertus.

Ἐπεὶ δὲ τρία μέρη τῆς οἰκονομικῆς ἦν, ἓν μὲν δεσποτική, περὶ ἧς εἴρηται πρότερον, ἓν δὲ πατρική, τρίτον δὲ γαμική ήκαὶ γὰρ γυναικὸς ἄρχει καὶ τέκνων, ὡς ἐλευθέρων μὲν ἀμφοῖν, οὐ τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον τῆς ἀρχῆς, ἀλλὰ γυναικὸς μὲν πολιτικῶς τέκνων δὲ βασιλικῶς· [1259b]  τό τε γὰρ ἄρρεν φύσει τοῦ θήλεος ἡγεμονικώτερον, εἰ μή που συνέστηκε παρὰ φύσιν, καὶ τὸ πρεσβύτερον καὶ τέλειον τοῦ νεωτέρου καὶ ἀτελοῦς-  § 2. ἐν μὲν οὖν ταῖς πολιτικαῖς ἀρχαῖς ταῖς πλείσταις μεταβάλλει τὸ ἄρχον καὶ τὸ ἀρχόμενον (ἐξ ἴσου γὰρ εἶναι βούλεται τὴν φύσιν καὶ διαφέρειν μηδέν), ὅμως δέ, ὅταν τὸ μὲν ἄρχῃ τὸ δ' ἄρχηται, ζητεῖ διαφορὰν εἶναι καὶ σχήμασι καὶ λόγοις καὶ τιμαῖς, ὥσπερ καὶ Ἄμασις εἶπε τὸν περὶ τοῦ ποδανιπτῆρος λόγον· τὸ δ' ἄρρεν ἀεὶ πρὸς τὸ θῆλυ τοῦτον ἔχει τὸν τρόπον. Ἡ δὲ τῶν τέκνων ἀρχὴ βασιλική· τὸ γὰρ γεννῆσαν καὶ κατὰ φιλίαν ἄρχον καὶ κατὰ πρεσβείαν ἐστίν, ὅπερ ἐστὶ βασιλικῆς εἶδος ἀρχῆς. Διὸ καλῶς Ὅμηρος τὸν Δία προσηγόρευσεν εἰπὼν

Πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε

Τὸν βασιλέα τούτων ἁπάντων. Φύσει γὰρ τὸν βασιλέα διαφέρειν μὲν δεῖ, τῷ γένει δ' εἶναι τὸν αὐτόν· ὅπερ πέπονθε τὸ πρεσβύτερον πρὸς τὸ νεώτερον καὶ ὁ γεννήσας πρὸς τὸ τέκνον.

Φανερὸν τοίνυν ὅτι πλείων ἡ σπουδὴ τῆς οἰκονομίας περὶ τοὺς ἀνθρώπους ἢ περὶ τὴν τῶν ἀψύχων κτῆσιν, καὶ περὶ τὴν ἀρετὴν τούτων ἢ περὶ τὴν τῆς κτήσεως, ὃν καλοῦμεν πλοῦτον, καὶ τῶν ἐλευθέρων μᾶλλον ἢ δούλων. Πρῶτον μὲν οὖν περὶ δούλων ἀπορήσειεν ἄν τις, πότερον ἔστιν ἀρετή τις δούλου παρὰ τὰς ὀργανικὰς καὶ διακονικὰς ἄλλη τιμιωτέρα τούτων, οἷον σωφροσύνη καὶ ἀνδρεία καὶ δικαιοσύνη καὶ τῶν ἄλλων τῶν τοιούτων ἕξεων, ἢ οὐκ ἔστιν οὐδεμία παρὰ τὰς σωματικὰς ὑπηρεσίας (ἔχει γὰρ ἀπορίαν ἀμφοτέρως· εἴτε γὰρ ἔστιν, τί διοίσουσι τῶν ἐλευθέρων; Εἴτε μὴ ἔστιν, ὄντων ἀνθρώπων καὶ λόγου κοινωνούντων ἄτοπον). Σχεδὸν δὲ ταὐτόν ἐστι τὸ ζητούμενον καὶ περὶ γυναικὸς καὶ παιδός, πότερα καὶ τούτων εἰσὶν ἀρεταί, καὶ δεῖ τὴν γυναῖκα εἶναι σώφρονα καὶ ἀνδρείαν καὶ δικαίαν, καὶ παῖς ἔστι καὶ ἀκόλαστος καὶ σώφρων, ἢ οὔ;

Καθόλου δὴ τοῦτ' ἐστὶν ἐπισκεπτέον περὶ ἀρχομένου φύσει καὶ ἄρχοντος, πότερον ἡ αὐτὴ ἀρετὴ ἢ ἑτέρα. Εἰ μὲν γὰρ δεῖ ἀμφοτέρους μετέχειν καλοκαγαθίας, διὰ τί τὸν μὲν ἄρχειν δέοι ἂν τὸν δὲ ἄρχεσθαι καθάπαξ; Οὐδὲ γὰρ τῷ μᾶλλον καὶ ἧττον οἷόν τε διαφέρειν· τὸ μὲν γὰρ ἄρχεσθαι καὶ ἄρχειν εἴδει διαφέρει, τὸ δὲ μᾶλλον καὶ ἧττον οὐδέν.  Εἰ δὲ τὸν μὲν δεῖ τὸν δὲ μή, θαυμαστόν. Εἴτε γὰρ ὁ ἄρχων μὴ ἔσται σώφρων καὶ δίκαιος, πῶς ἄρξει καλῶς; Εἴθ' ὁ ἀρχόμενος, πῶς ἀρχθήσεται καλῶς; [1260a] Ἀκόλαστος γὰρ ὢν καὶ δειλὸς οὐδὲν ποιήσει τῶν προσηκόντων. Φανερὸν τοίνυν ὅτι ἀνάγκη μὲν μετέχειν ἀμφοτέρους ἀρετῆς, ταύτης δ' εἶναι διαφοράς, (ὥσπερ καὶ τῶν φύσει ἀρχομένων). Καὶ τοῦτο εὐθὺς ὑφήγηται τὰ περὶ τὴν ψυχήν· ἐν ταύτῃ γάρ ἐστι φύσει τὸ μὲν ἄρχον τὸ δ' ἀρχόμενον, ὧν ἑτέραν φαμὲν εἶναι ἀρετήν, οἷον τοῦ λόγον ἔχοντος καὶ τοῦ ἀλόγου. Δῆλον τοίνυν ὅτι τὸν αὐτὸν τρόπον ἔχει καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων, ὥστε φύσει πλείω τὰ ἄρχοντα καὶ ἀρχόμενα. Ἄλλον γὰρ τρόπον τὸ ἐλεύθερον τοῦ δούλου ἄρχει καὶ τὸ ἄρρεν τοῦ θήλεος καὶ ἀνὴρ παιδός, καὶ πᾶσιν ἐνυπάρχει μὲν τὰ μόρια τῆς ψυχῆς, ἀλλ' ἐνυπάρχει διαφερόντως. Ὁ μὲν γὰρ δοῦλος ὅλως οὐκ ἔχει τὸ βουλευτικόν, τὸ δὲ θῆλυ ἔχει μέν, ἀλλ' ἄκυρον, ὁ δὲ παῖς ἔχει μέν, ἀλλ' ἀτελές.  Διὸ τὸν μὲν ἄρχοντα τελέαν ἔχειν δεῖ τὴν διανοητικὴν ἀρετήν (τὸ γὰρ ἔργον ἐστὶν ἁπλῶς τοῦ ἀρχιτέκτονος, ὁ δὲ λόγος ἀρχιτέκτων), τῶν δ' ἄλλων ἕκαστον ὅσον ἐπιβάλλει αὐτοῖς. Ὁμοίως τοίνυν ἀναγκαίως ἔχειν καὶ περὶ τὰς ἠθικὰς ἀρετὰς ὑποληπτέον, δεῖν μὲν μετέχειν πάντας, ἀλλ' οὐ τὸν αὐτὸν τρόπον, ἀλλ' ὅσον ἑκάστῳ πρὸς τὸ αὑτοῦ ἔργον. Ὥστε φανερὸν ὅτι ἔστιν ἠθικὴ ἀρετὴ τῶν εἰρημένων πάντων, καὶ οὐχ ἡ αὐτὴ σωφροσύνη γυναικὸς καὶ ἀνδρός, οὐδ' ἀνδρεία καὶ δικαιοσύνη, καθάπερ ᾤετο Σωκράτης, ἀλλ' ἡ μὲν ἀρχικὴ ἀνδρεία ἡ δ' ὑπηρετική, ὁμοίως δ' ἔχει καὶ περὶ τὰς ἄλλας.  Δῆλον δὲ τοῦτο καὶ κατὰ μέρος μᾶλλον ἐπισκοποῦσιν· καθόλου γὰρ οἱ λέγοντες ἐξαπατῶσιν ἑαυτοὺς ὅτι τὸ εὖ ἔχειν τὴν ψυχὴν ἀρετή, ἢ τὸ ὀρθοπραγεῖν, ἤ τι τῶν τοιούτων· πολὺ γὰρ ἄμεινον λέγουσιν οἱ ἐξαριθμοῦντες τὰς ἀρετάς, ὥσπερ Γοργίας, τῶν οὕτως ὁριζομένων. Διὸ δεῖ, ὥσπερ ὁ ποιητὴς εἴρηκε περὶ γυναικός, οὕτω νομίζειν ἔχειν περὶ πάντων·

Γυναικὶ κόσμον ἡ σιγὴ φέρει,
ἀλλ' ἀνδρὶ οὐκέτι τοῦτο.

Ἐπεὶ δ' ὁ παῖς ἀτελής, δῆλον ὅτι τούτου μὲν καὶ ἡ ἀρετὴ οὐκ αὐτοῦ πρὸς αὑτόν ἐστιν, ἀλλὰ πρὸς τὸ τέλος καὶ τὸν ἡγούμενον· ὁμοίως δὲ καὶ δούλου πρὸς δεσπότην. Ἔθεμεν δὲ πρὸς τἀναγκαῖα χρήσιμον εἶναι τὸν δοῦλον, ὥστε δῆλον ὅτι καὶ ἀρετῆς δεῖται μικρᾶς, καὶ τοσαύτης ὅπως μήτε δι' ἀκολασίαν μήτε διὰ δειλίαν ἐλλείψῃ τῶν ἔργων. 

Ἀπορήσειε δ' ἄν τις, τὸ νῦν εἰρημένον εἰ ἀληθές, ἆρα καὶ τοὺς τεχνίτας δεήσει ἔχειν ἀρετήν· πολλάκις γὰρ δι' ἀκολασίαν ἐλλείπουσι τῶν ἔργων. Ἢ διαφέρει τοῦτο πλεῖστον; [1260b] Ὁ μὲν γὰρ δοῦλος κοινωνὸς ζωῆς, ὁ δὲ πορρώτερον, καὶ τοσοῦτον ἐπιβάλλει ἀρετῆς ὅσον περ καὶ δουλείας. Ὁ γὰρ βάναυσος τεχνίτης ἀφωρισμένην τινὰ ἔχει δουλείαν, καὶ ὁ μὲν δοῦλος τῶν φύσει, σκυτοτόμος δ' οὐθείς, οὐδὲ τῶν ἄλλων τεχνιτῶν.
 

 Φανερὸν τοίνυν ὅτι τῆς τοιαύτης ἀρετῆς αἴτιον εἶναι δεῖ τῷ δούλῳ τὸν δεσπότην, ἀλλ' οὐ τὴν διδασκαλικὴν ἔχοντα τῶν ἔργων δεσποτικήν. Διὸ λέγουσιν οὐ καλῶς οἱ λόγου τοὺς δούλους ἀποστεροῦντες καὶ φάσκοντες ἐπιτάξει χρῆσθαι μόνον· νουθετητέον γὰρ μᾶλλον τοὺς δούλους ἢ τοὺς παῖδας. Ἀλλὰ περὶ μὲν τούτων διωρίσθω τὸν τρόπον τοῦτον·

περὶ δ' ἀνδρὸς καὶ γυναικός, καὶ τέκνων καὶ πατρός, τῆς τε περὶ ἕκαστον αὐτῶν ἀρετῆς καὶ τῆς πρὸς σφᾶς αὐτοὺς ὁμιλίας, τί τὸ καλῶς καὶ μὴ καλῶς ἐστι, καὶ πῶς δεῖ τὸ μὲν εὖ διώκειν τὸ δὲ κακῶς φεύγειν, ἐν τοῖς περὶ τὰς πολιτείας ἀναγκαῖον ἐπελθεῖν.  Ἐπεὶ γὰρ οἰκία μὲν πᾶσα μέρος πόλεως, ταῦτα δ' οἰκίας, τὴν δὲ τοῦ μέρους πρὸς τὴν τοῦ ὅλου δεῖ βλέπειν ἀρετήν, ἀναγκαῖον πρὸς τὴν πολιτείαν βλέποντας παιδεύειν καὶ τοὺς παῖδας καὶ τὰς γυναῖκας, εἴπερ τι διαφέρει πρὸς τὸ τὴν πόλιν εἶναι σπουδαίαν καὶ τοὺς παῖδας εἶναι σπουδαίους καὶ τὰς γυναῖκας σπουδαίας. Ἀναγκαῖον δὲ διαφέρειν· αἱ μὲν γὰρ γυναῖκες ἥμισυ μέρος τῶν ἐλευθέρων, ἐκ δὲ τῶν παίδων οἱ κοινωνοὶ γίνονται τῆς πολιτείας.  Ὥστ', ἐπεὶ περὶ μὲν τούτων διώρισται, περὶ δὲ τῶν λοιπῶν ἐν ἄλλοις λεκτέον, ἀφέντες ὡς τέλος ἔχοντας τοὺς νῦν λόγους, ἄλλην ἀρχὴν ποιησάμενοι λέγωμεν,

καὶ πρῶτον ἐπισκεψώμεθα περὶ τῶν ἀποφηναμένων περὶ τῆς πολιτείας τῆς ἀρίστης.

Nous avons dit que l'économie se compose de trois pouvoirs, de celui du maître ; nous avons traité cette question ; de celui du père, enfin de celui du mari. En eflet, le père de famille est investi d'une autorité naturelle sur sa femme et ses enfants ; [1259a] mais il leur commande comme à des êtres libres, le pouvoir qu'il exerce sur eux n'est pas le même sous tous les rapports. Il a sur sa femme l'autorité d'un magistrat constitué dans le système de l'égalité ; ii règne sur ses enfants en roi. Le mâle doit commander à la femelle ; c'est un ordre naturel qui ne doit point être interverti. Le père, qui a la maturité de l'âge et de la raison , doit diriger l'enfant qui est plus jeune et moins formé : telle est la loi de la nature. Il est vrai que dans l'ordre politique, fondé sur les principes de l'égalité, le magistrat commande pour obéir à son tour, parceque des égaux n'admettent pas de prérogative; mais il existe des distinctions réelles extérieures de respect, de marques d'honneur, entre celui qui commande de fait et celui qui obéit, distinctions qu'Amasis fit si bien valoir en parlant de son vase à laveries pieds (6). De même l'homme, dans ses relations avec la femme, a une prérogative, et ilva l'avantage de ne pouvoir jamais la perdre. Quant aux enfants, le père règne sur eux en monarque, parce qu'il est père, parceque c'est l'amour qui commande, parcequ'il a la prééminence de l'âge, caractères distinctifs de la royauté. C'est la pensée d'Homère lorsqu'il appelle Jupiter :

Père des dieux et des hommes.

La nature donne aux rois la même origine qu'au reste des hommes, mais elle lui assigne des caractères particuliers qui les font distinguer, comme l'âge mûr se distingue de la jeunesse, ou le père de l'enfant.

Il suit de là que celui qui est investi du pouvoir dans la famille, doit s'occuper plus des hommes que de l'acquisition des choses, plus de la vertu des individus que de la qualité des biens, plus enûn des êtres libres que des esclaves. Mais avant d'aborder la discussion de ces objets, on fait une question préliminaire. L'esclave a-t-il des vertus autres que celles qui sont dans la nature de son travail manuel et passif? Peut-il être doué de qualités plus relevées, comme de tempérance, de force, de justice? En un mot, est-il susceptible de posséder les vertus morales, ou bien est- il réduit aux vertus physiques d'une matérielle obéissance? Des deux côtés la question est également difficile à résoudre ; car si l'esclave est susceptible de vertus morales, où est la différence entre l'homme libre et l'esclave? Prétendra-t-on qu'il est incapable de vertus? Mais il est homme, il a la raison en partage ; ce serait une absurdité. Il semble qu'on peut demander aussi, à l'égard de la femme et des enfants: Ont-ils des vertus? la femme peut-elle être douée de tempérance, de force et de justice? l'enfant est-il ou non susceptible de mettre un frein à ses desirs et à ses passions ?

Toutes ces questions se réduisent à savoir si tous les êtres, tant ceux qui sont faits pour commander que ceux destinés à l'obéissance, ont les mêmes vertus. Si tous sont susceptibles du développement des mêmes vertus, pourquoi les uns jouiraient-ils de la prérogative de toujours commander, tandis que les autres seraient réduits à une perpétuelle obéissance ? Or il n'est pas possible d'admettre ici la différence du plus et du moins, commander et obéir sont deux choses essentiellement distinctes qui ne permettent pas d'établir le plus et le moins. Car, d'un autre côté les uns seraient-ils vertueux, et les autres sans vertus? Alors quelle étrange désorganisation? Si celui qui doit commander n'a ni tempérance ni justice, où sera la sagesse de ses ordres? Si celui qui obéit est sans vertus, comment agira-t-il avec discernement? [1260a] Être intempérant et pusillanime, il ne fera rien à propos. Il est donc indispensable que les uns et les autres soient doués de vertus, mais de vertus qui diffèrent entre elles dans la raison du commandement et de l'obéissance. Ceci ressort de la nature même de l'ame. Elle a deux parties, l'une faite pour commander, l'autre essentiellement obéissante ; la première est douée de raison, et la dernière en est privée. Or cette harmonie existe dans toutes les œuvres de la nature : il y a seulement différents genres de commandement et d'obéissance. Ainsi le maître, le mari et le père commandent différemment à l'esclave , à la femme et à l'enfant : ces êtres obéissants ont reçu de la nature les deux parties de l'ame, mais le développement des facultés n'est pas le même pour tous. L'esclave n'a pas la faculté consultative; la femme la possède faiblement; l'enfant n'en a que le germe. Cette différence entre les facultés intellectuelles existe aussi entre les vertus morales. Tous doivent participer à ces vertus, chacun dans la mesure donnée de sa fonction. Ainsi celui qui commande sera susceptible du développement parfait de la vertu morale. Son emploi consistee être simplement ordonnateur comme un architecte; or, l'architecte, c'est la raison. Quant aux individus faits pour obéir, il leur suffît d'être assez vertueux pour remplir respectivement leurs devoirs d'obéissance : tous auront donc des vertus morales, mais ces vertus auront des différences. Ainsi la tempérance, la force et la justice de l'homme ne ressembleront pas à ces mêmes vertus de la femme, comme Socrate l'a pensé. Dans l'homme, elles auront le caractère du commandement; dans la femme, celui de l'obéissance. La même nuance existe entre toutes leurs autres vertus. On en demeurera convaincu, en les comparant toutes en détail : c'est la méthode qu'il faut suivre, plutôt que de donner des définitions générales de la vertu, de l'appeler bonne disposition de l'ame, conduite conforme à la raison, enfin de la définir par toute autre idée vague équivalente. Préférons à ces expressions insignifiantes, la méthode de ceux qui, à l'exemple de Gorgias, ont dressé le tableau détaillé de toutes les vertus. Il est indispensable d'assigner individuellement le caractère de toutes. Un poëte a dit de la femme :

Un modeste silence est sa belle parure.

Cette qualité ne conviendrait pas à l'homme. L'enfant étant un être encore incomplet, sa vertu ne consiste pas à s'appuyer sur lui-même, mais bien sur une vertu plus parfaite, qui doit le diriger. Le même rapport existe entre l'esclave et le maître : mais nous avons dit que l'esclave était fait pour nos besoins physiques : il aura donc un peu de vertu, c'est-à- dire autant qu'il en faut pour que la pusillanimité et l'intempérance ne l'empêchent pas de remplir sa tâche.

Mais en partant de ce dernier principe, j'entends qu'on me demande si les artisans sont susceptibles de vertus, car on les voit souvent devenir le jouet de l'intempérance, et s'acquitter fort mal de leurs travaux. Je réponds qu'il y a une grande disparité entre l'esclave et l'artisan. [1260b] L'esclave vit sous les yeux de son maître: l'artisan existe plus indépendant; car il ne tient à une sorte d'esclavage que sous le rapport de ses travaux grossiers. Il a donc la même proportion de vertu que de servitude ; mais l'esclave est tout entier l'homme de peine de la nature, qui n'a créé ni cordonniers ni aucune autre espèce d'artisans.

Nous conclurons des principes posés dans cette discussion, que l'esclave a des vertus dont le maître est la cause nécessaire; mais qu'il en est la cause comme maître qui ordonne, et non comme instituteur qui enseigne. Par conséquent on a tort de refuser la raison à l'esclave et de prétendre qu'il n'a que l'instinct pour exécuter ce qui lui est commandé. Seulement il faut le diriger dans ses actions plus soigneusement encore que l'enfant. Nous terminerons là notre discussion sur l'esclave.

Il nous reste à traiter de la femme et du mari, du père et des enfants; des vertus propres à chacun d'eux ; de leurs rapports dans le commerce de la vie, des devoirs qu'ils ont à remplir, des écarts qu'ils doivent éviter. Ces connaissances sont indispensables pour l'organisation d'un gouvernement. En effet, une famille est partie intégrante de l'État ; les femmes et les enfants sont partie de la famille, la partie doit être en harmonie avec le tout; la saine politique veillera donc soigneusement à l'éducation des femmes et des enfants. Pourrait-on douter de l'immense intérêt qu'a l'Etat de renfermer dans son sein des femmes et des enfants vertueux? Qu'on songe seulement que les femmes composent la moitié de la population libre, et que les enfants sont la pépinière de l'État. Mais ces questions importantes trouveront leur place ailleurs (7). Celles que nous venons de traiter nous paraissent suffisamment développées : ainsi nous regardons cette discussion comme terminée, et nous allons passer à une autre matière.

Nous examinerons d'abord les opinions qui ont été émises sur le mode le plus parfait de gouvernement.

§ 1.

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(1)  Platon amatores, p. 7; Politicus seu de regno, p. 170, ed. Marcil. fic.

(2) Aristote semble n'avoir fait sa Politique que pour opposer ses sentiments à ceux de Platon. Espr. des lois, 1. IV, ch. VIII.

(3) Iphigénie d'EURIPIDE, v. 1400.

(4) Les OEuvres et les Jours, V. 402.

(5) Odyss., liv. IX, v. 114.

(6) Iliade, liv. IX, v. 13

(7) C'est l'opinion de Platon , liv. I, chap. I.

(8) Iliade, XVIII, 370.

(9)  II est curieux de rappeler ici que la différence d'organisation a été aussi de nos jours invoquée comme un argument contre l'émancipation des nègres. Ainsi, les non-abolitionnistes prétendaient que les nègres n'appartiennent pas véritablement à l'espèce humaine, en ce qu'ils offrent de nombreux points de ressemblance avec la famille des quadrumanes, et particulièrement avec le genre pongo ou orang-outang. Ils alléguaient, entre autres raisons anatomiques, que la capacité crânienne du nègre est constamment plus petite que celle des autres races humaines ; que les circonvolutions du cerveau présentent la même disposition régulière que chez les singes ; que les os du tarse se relèvent sensiblement chez le nègre comme chez les animaux en dehors de l'espèce humaine, etc. M. Tiedemann, dont le nom fait ici autorité, démontra, dans un Mémoire spécial, le peu de fondement de ces prétentions qui avaient été mises en avant au sein du parlement britannique, à l'époque où se débattait la grande question de l'abolition de l'esclavage.

(10) Théodecte était un poète tragique, ami et disciple d'Aristote. Il ne nous reste de lui que fort peu de fragments. Voy. Fabiïcii biblioth. graec., t. II, p. 19.

(11) Il y a dans îe texte ὅσα σκωληκοτοκεῖ, tout ce qui engendre des vers. Les mouches et en général tous les insectes étaient compris sous cette dénomination. On ignorait encore du temps d'Aristote que les insectes sont ovipares comme tous les animaux, à l'exception des mammifères. (H.)

(12) V. Solonis Gnomica. Eleg. I, v. 71.

(13) Τόκος; signifie en grec tout à la fois usure et enfantement, jeu de mots difficile à rendre.

(14) Aucun de ces ouvrages n'est parvenu jusqu'à nous. Il ne nous en restε pas même de fragments. Apollodore de Lemnos est cité par Ωarron, de Re rustica, I, 8. (H.)

NOTES.

LIVRE PREMIER.

(1) Épiménides de Crète. C'est ce fameux Épiménides qui dormit, selon la tradition, pendant cinquante-sept ans. Il était poète, et avait composé un poème de 5000 vers en l'honneur des curétés et des corybantes. Il avait aussi mis en vers la constitution Crétoise. Il mourut âgé, dit-on, de 157 ans.

(2) La nature conséquente à elle-même. Hippocrate dit bien que le climat influe sur les habitudes morales et le physique des hommes ; mais personne n'avait encore soutenu cette opinion étrange, que la nature donnait une constitution particulière aux hommes libres et aux esclaves.

(3) On renferme sous le nom de chasseurs ceux qui enlèvent des troupeaux. C'était une profession honorable dans les temps héroïques. Hercule était chasseur dans ce sens. Il enleva, dit Pindare ( cité par Platon dans le Gorgias), les troupeaux de Géryon , parcequ'il en devint propriétaire parle droit de la force.

(4) On convint de donner et de recevoir dans les transactions une matiere convenable. Les premiers hommes employèrent du bétail comme monnaie. Les Athéniens se servirent de bœufs, et les Romains de brebis. Mais un bœuf ou une brebis n'était pas toujours de la même valeur qu'un autre bœuf, ou une autre brebis, tandis qu'une pièce de monnaie est plus ordinairement égale en valeur à une autre de même espèce. Hérodote nous apprend que les Lydiens furent les premiers qui inventèrent l'art de battre monnaie, et que les Grecs leur, empruntèrent cet usage. Clio.

(5) Nous ne nous appesantirons pas sur ces délails ennuyeux. Les écrivains politiques grees s'accordaient tous a regarderie bas commerce et les arts mécaniques comme vils et indignes de l'homme libre. Platon dit que le commerce de boutique est vil, parceque ces sortes de marchands s'accoutument à mentir et à tromper. On ne les souffrira, dit-il, dans l'État que comme un mal nécessaire. Le citoyen qui se sera avili par le commerce de boutique sera poursuivi pour ce délit. S'il est convaincu, il sera condamné à un an de prison. La punition sera doublée à chaque récidive. Ce genre de trafic ne sera permis qu'aux étrangers qu'on trouvera être les moins corrompus. Le magistrat tiendra un registre exact de leurs factures et de leurs ventes. On ne leur permettra de faire qu'un très petit bénéfice. Lois, liv. XI.

(6) Amasis en parlant de son vase à laver les pieds. Amasis, après avoir vaincu Apriès, roi d'Egypte, s'était emparé du trône. Mais les Égyptiens firent, dans le commencement, peu de cas de sa personne, parcequ'ilétait d'une naissance obscure. Il parvint à obtenir le respect par le moyen suivant : 11 avait entre autres pièces d'un métal précieux, un bassin d'or qui servait à sa chaise percée. Il le fit fondre, et changer en une statue représentant une des divinités les plus respectées dans le pays. Le nouveau dieu fut placé dans l'un des lieux les plus apparents de la ville , et il se fit un grand concours d'Egyptiens qui vinrent l'adorer. Alors Amasis fit assembler le peuple, lui déclara la première destination du métal précieux dont il avait fait un dieu, et s'appliqua la comparaison. Hérodote, Euterpe.

(7) Prouveront leur place ailleurs. Aristote n'a pas parlé des femmes, ni de leurs vertus. Fabricius en conclut qu'Aristote n'a pas terminé sa Politique, et qu'il y manque des parties qui étaient annoncées comme devant faire le complément de l'ouvrage. Mais il est bon de faire observer, qu'Aristote emploie souvent cette formule pour écarter une foule de questions importantes qu'il ne veut pas traiter. Il a également promis un traité sur l'Esclavage, un autre sur les Relations extérieures avec les peuples voisins, liv. VII, cb. 2 ; un autre sur l'emploi des Propriétés, liv. VII, en. 5. Il n'en a pas dit un mot. V. Fab. Bibliothi. Gr., t. II, ch. 6.