Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE VI. DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT. CHAPITRE VIII
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre VII - chapitre IX

paraphrase du livre VI

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE

 

LIVRE VI.


DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE VIII.


Du primitif du changement; double sens de cette expression. Le primitif du changement est dans le changement achevé et non dans le changement initial; démonstration de cette proposition. Le primitif n'est ni dans l'objet ni dans le temps.

1  Λέγεται δὲ τὸ ἐν ᾧ πρώτῳ μεταβέβληκε διχῶς, τὸ μὲν ἐν ᾧ πρώτῳ ἐπετελέσθη ἡ μεταβολή (τότε γὰρ ἀληθὲς εἰπεῖν ὅτι μεταβέβληκεν), τὸ δ' ἐν ᾧ πρώτῳ ἤρξατο μεταβάλλειν.

2 Τὸ μὲν οὖν κατὰ τὸ τέλος τῆς μεταβολῆς πρῶτον λεγόμενον ὑπάρχει τε καὶ ἔστιν (ἐνδέχεται γὰρ ἐπιτελεσθῆναι μεταβολὴν καὶ ἔστι μεταβολῆς τέλος, ὃ δὴ καὶ δέδεικται ἀδιαίρετον ὂν διὰ τὸ πέρας εἶναι)· 3 τὸ δὲ κατὰ τὴν ἀρχὴν ὅλως οὐκ ἔστιν· οὐ γὰρ ἔστιν ἀρχὴ μεταβολῆς, οὐδ' ἐν ᾧ πρώτῳ τοῦ χρόνου μετέβαλλεν. Ἔστω γὰρ πρῶτον ἐφ' ᾧ τὸ ΑΔ. Τοῦτο δὴ ἀδιαίρετον μὲν οὐκ ἔστιν· συμβήσεται γὰρ ἐχόμενα εἶναι τὰ νῦν. Ἔτι δ' εἰ ἐν τῷ ΓΑ χρόνῳ παντὶ ἠρεμεῖ (κείσθω γὰρ ἠρεμοῦν), καὶ ἐν τῷ Α ἠρεμεῖ, ὥστ' εἰ ἀμερές ἐστι τὸ ΑΔ, ἅμα ἠρεμήσει καὶ μεταβεβληκὸς ἔσται· ἐν μὲν γὰρ τῷ Α ἠρεμεῖ, ἐν δὲ τῷ Δ μεταβέβληκεν. Ἐπεὶ δ' οὐκ ἔστιν ἀμερές, ἀνάγκη διαιρετὸν εἶναι καὶ ἐν ὁτῳοῦν τῶν τούτου μεταβεβληκέναι· διαιρεθέντος γὰρ τοῦ ΑΔ, εἰ μὲν ἐν μηδετέρῳ μεταβέβληκεν, οὐδ' ἐν τῷ ὅλῳ· εἰ δ' ἐν ἀμφοῖν μεταβάλλει καὶ ἐν τῷ παντί, εἴτ' ἐν θατέρῳ μεταβέβληκεν, οὐκ ἐν τῷ ὅλῳ πρώτῳ. Ὥστε ἀνάγκη ἐν ὁτῳοῦν μεταβεβληκέναι. Φανερὸν τοίνυν ὅτι οὐκ ἔστιν ἐν ᾧ πρώτῳ μεταβέβληκεν· ἄπειροι γὰρ αἱ διαιρέσεις.

4 Οὐδὲ δὴ τοῦ μεταβεβληκότος ἔστιν τι πρῶτον ὃ μεταβέβληκεν. Ἔστω γὰρ τὸ ΔΖ πρῶτον μεταβεβληκὸς τοῦ ΔΕ· πᾶν γὰρ δέδεικται διαιρετὸν τὸ μεταβάλλον. Ὁ δὲ χρόνος ἐν ᾧ τὸ ΔΖ μεταβέβληκεν ἔστω ἐφ' ᾧ ΘΙ. Εἰ οὖν ἐν τῷ παντὶ τὸ ΔΖ μεταβέβληκεν, ἐν τῷ ἡμίσει ἔλαττον ἔσται τι μεταβεβληκὸς καὶ πρότερον τοῦ ΔΖ, καὶ πάλιν τούτου ἄλλο, κἀκείνου ἕτερον, καὶ αἰεὶ οὕτως. Ὣστ' οὐθὲν ἔσται πρῶτον τοῦ μεταβάλλοντος ὃ μεταβέβληκεν.

5 Ὅτι μὲν οὖν οὔτε τοῦ μεταβάλλοντος οὔτ' ἐν ᾧ μεταβάλλει χρόνῳ πρῶτον οὐθέν ἐστιν, φανερὸν ἐκ τῶν εἰρημένων·

6 [236b] αὐτὸ δὲ ὃ μεταβάλλει ἢ καθ' ὃ μεταβάλλει, οὐκέθ' ὁμοίως ἕξει. Τρία γάρ ἐστιν ἃ λέγεται κατὰ τὴν μεταβολήν, τό τε μεταβάλλον καὶ ἐν ᾧ καὶ εἰς ὃ μεταβάλλει, οἷον ὁ ἄνθρωπος καὶ ὁ χρόνος καὶ τὸ λευκόν. Ὁ μὲν οὖν ἄνθρωπος καὶ ὁ χρόνος διαιρετοί, περὶ δὲ τοῦ λευκοῦ ἄλλος λόγος. Πλὴν κατὰ συμβεβηκός γε πάντα διαιρετά· ᾧ γὰρ συμβέβηκεν τὸ λευκὸν ἢ τὸ ποιόν, ἐκεῖνο διαιρετόν ἐστιν· ἐπεὶ ὅσα γε καθ' αὑτὰ λέγεται διαιρετὰ καὶ μὴ κατὰ συμβεβηκός, οὐδ' ἐν τούτοις ἔσται τὸ πρῶτον, οἷον ἐν τοῖς μεγέθεσιν. Ἔστω γὰρ τὸ ἐφ' ᾧ ΑΒ μέγεθος, κεκινήσθω δ' ἐκ τοῦ Β εἰς τὸ Γ πρῶτον. Οὐκοῦν εἰ μὲν ἀδιαίρετον ἔσται τὸ ΒΓ, ἀμερὲς ἀμεροῦς ἔσται ἐχόμενον· εἰ δὲ διαιρετόν, ἔσται τι τοῦ Γ πρότερον, εἰς ὃ μεταβέβληκεν, κἀκείνου πάλιν ἄλλο, καὶ ἀεὶ οὕτως διὰ τὸ μηδέποτε ὑπολείπειν τὴν διαίρεσιν. Ὥστ' οὐκ ἔσται πρῶτον εἰς ὃ μεταβέβληκεν. Ὁμοίως δὲ καὶ ἐπὶ τῆς τοῦ ποσοῦ μεταβολῆς· καὶ γὰρ αὕτη ἐν συνεχεῖ ἐστιν. Φανερὸν οὖν ὅτι ἐν μόνῃ τῶν κινήσεων τῇ κατὰ τὸ ποιὸν ἐνδέχεται ἀδιαίρετον καθ' αὑτὸ εἶναι.

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§ 1. Quand on parle du point primitif où l'objet a changé, cette expression peut avoir deux sens : ou bien c'est le premier point où le changement est complet et achevé; car c'est seulement alors qu'il est exact de dire que l'objet a changé ; ou bien c'est le point où le changement a commencé à se produire.

§ 2. Ainsi, le primitif dont on parle, quand il s'agit de la terminaison du mouvement, est réellement et subsiste par lui-même, puisqu'il est possible que le changement se termine et qu'il y ait une fin du changement; et nous avons démontré que ce point est indivisible, précisément parce qu'il est une limite et un terme. § 3. Mais quant au primitif qui se rapporte au début du changement, il n'existe pas, parce qu'il n'y a pas de début du changement, ni un premier moment du temps où le changement ait eu lieu. Soit en effet ce primitif AD. Ce primitif n'est certes pas indivisible; car, autrement, il en résulterait que les instants sont continus. De plus, si l'objet est en repos durant tout le temps CA, car nous pouvons supposer le repos, il est en repos également durant le temps A. Par conséquent, si AD est indivisible et sans parties, il en résultera que tout à la fois le corps sera en repos, et qu'il sera en état de changement. En effet, il est en repos en A, et il est changé en D. Mais si AD n'est pas sans parties, il faut nécessairement qu'il soit divisible, et qu'il y ait changement dans une quelconque des parties dont il se compose. Par suite AD étant divisé, si l'objet n'a changé ni dans l'une ni dans l'autre partie, il n'a pas non plus changé dans le tout. Si au contraire, il a changé dans les deux, il a changé dans le tout également. S'il n'a changé que dans l'une des deux, il n'a pas changé dans le tout primitivement. Par conséquent, il y a nécessité qu'il ait changé dans une des deux quelconque. Donc, il est clair que ce n'est pas là le point où primitivement il a changé, puisque les divisions sont infinies.

§ 4. Ce n'est pas davantage dans l'objet changé, qu'il y a quelque chose qui ait changé primitivement. Soit DF, la partie de DE, qui ait changé primitivement, puisque on a démontré que tont ce qui change est divisible. Soit le temps dans lequel DF a changé, représenté par HI. Si donc DF a changé dans tout le temps, ce qui a changé dans la moitié du temps sera moindre que DF et antérieur à DF. Une autre partie sera moindre encore ; puis encore une troisième, moindre que la seconde; et ainsi à l'infini. Par conséquent, il n'y aura rien dans l'objet qui change qui ait changé primitivement.

§ 5. Il ressort donc clairement de ce que nous venons de dire qu'il n'y a pas de primitif, ni pour une partie de l'objet qui change, ni pour le temps dans lequel il a changé.

§ 6. [236b] Mais il n'en sera plus tout à fait de même de la chose dans laquelle l'objet se change, c'est-à-dire de la qualité selon laquelle il change. En effet, il y a trois choses à considérer dans tout changement : d'abord l'objet qui change, puis ce dans quoi il change, et ce en quoi il change. Par exemple, l'homme, le temps et la blancheur. L'homme et le temps sont divisibles ; mais c'est autre chose pour la blancheur, si ce n'est qu'indirectement tout est toujours divisible; et ainsi l'objet qui reçoit la blancheur, par exemple, et la qualité, est divisible. Mais tout ce qui par soi-même et non par accident est appelé divisible ne peut jamais non plus avoir de primitif. Prenons notre exemple dans les grandeurs. Soit, si l'on veut AB, la grandeur, et qu'elle se meuve de B en C primitivement. Si BC est considéré comme indivisible, il en résultera qu'un objet sans parties sera continu à un autre objet sans parties également. S'il est divisible, il y aura quelque chose d'antérieur à C et en quoi le corps a changé; puis il y aura un autre antérieur à celui–là, et toujours ainsi, parce que la division ne fera jamais défaut. Par conséquent, il n'y aura pas de primitif dans lequel l'objet aura changé. Même raisonnement encore pour le changement dans la quantité ; car la quantité est essentiellement comprise dans le continu. Donc, il est évident que le mouvement relatif à la qualité est le seul dans lequel il puisse y avoir de l'indivisible en soi.

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Ch. Vlll, § 1. Du point primitif, l'expression du texte est indéterminée et signifie seulement : « Du primitif. »

Est complet et achevé, il n'y a qu'un seul mot dans le texte grec.

il commencé à se produire, Aristote va essayer de prouver qu'il n'y a pas de primitif en ce dernier sens, et que le point primitif du changement ne peut s'entendre que du premier moment où le changement est tout à fait accompli. Mais l'expression de primitif a quelque chose de contradictoire, du moins à l'apparence, avec l'idée de terminaison et de fin.

§ 2. Est réellement, j'ai rajouté ce dernier mot.

Il est possible, et l'observation sensible nous l'atteste.

Nous avons démontré, voir plus haut Livre IV, ch. 19, § 14 et passim, dans le Livre IV et la théorie du temps.

Une limite et un terme, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 3. Il n'y a pas de début du changement, il semble, tout au contraire, qu'il y a un début très réel au changement, et qu'on peut saisir un moment du temps où en effet il commence. Mais quand le changement commence, on ne peut pas dire encore que la chose est changée, et c'est le seul cas qu'Aristote considère. Le changement n'est vraiment un changement que quand il est achevé. Cette distinction est vraie, quoiqu'elle soit certainement un peu subtile.

Le changement ait eu lieu, tant qu'il devient, il n'est pas encore.

Ce primitif n'est certes pas indivisible, parce qu'il n'est point une limite, et que tout au contraire il est un point de départ.

- Il en résulterait, Aristote aurait dû expliquer comment il arrive à cette conclusion. Voici sans doute ce qu'il veut dire : Le changement est un continu ; or, si le point de départ est indivisible, comme il est un instant, il faut que l'instant qui succède au premier y soit continu, et ainsi de tous les instants qui s'écoulent durant le changement. Mais les instants étant des limites, ne peuvent jamais être des continus; seulement c'est par eux que le temps est continu, parce que l'instant, tout indivisible qu'il est, peut encore être considéré comme la fin du passé, et le commencement de l'avenir. Voir plus haut Livre IV, ch. 17, § 4, et cl,. 19, § 15.

- Durant tout le temps CA, il faut supposer une ligne où les lettres seraient CAD ; CA représenterait un temps antérieur à CD, et pendant lequel le changement n'aurait pas lieu, puisqu'on suppose le corps en repos. — Durant le temps A, puisque c'est de A en D qu'on supposait le point primitif du changement.

— Si AD est indivisible, c'est ce qui résulte de l'hypothèse, puisqu'on suppose que AD est le primitif.

Tout à la fois... en repos... et en état de changement, ce qui est impossible en tant que contradictoire.

- Mais comme AD, le texte n'est pas tout à fait aussi précis, et ne répète pas AD. Au lieu de Comme, je préférerais Si.

Qu'il soit divisible, c'est la seconde hypothèse qui est tout aussi insoutenable que celle qui faisait AD indivisible. Dans le texte, cette seconde forme de l'hypothèse n'est pas indiquée assez nettement.

Il n'a pas non plus changé dans le tout, ce qui est contre l'hypothèse principale, puisqu'on supposait que le primitif du changement se trouvait dans AD.

Il a changé dans le tout également, et alors le primitif est dans la partie et non plus dans le tout.

 - Que ce n'est pas là le point, c'est-à-dire que le point primitif du changement n'est pas le point où le changement commence, mais celui où il est achevé.

§ 4.. Dans l'objet changé, le primitif du changement ne se trouve pas plus dans le mobile, que dans le moment initial du mouvement.

Soit DF la partie de DE, il faudrait tracer une ligne dont les lettres seraient DFE, DF étant une partie quelconque de DE.

On a démontré, voir la théorie du changement Livre V, ch. 2.

- Ce qui a changé dans la moitié du temps, puisque DF est supposé divisible, il y aura une de ses parties qui aura changé d'une façon proportionnelle au temps écoulé.

Antérieur à DF, et par conséquent DF n'est pas le primitif cherché.

Dans l'objet qui change, c'est-à-dire dans le mobile.

§ 5. Qu'il n'y a pas de primitif, c'est-à-dire que le changement proprement dit n'est, ni dans une partie du mobile qui change, ni dans le temps durant lequel le changement a lieu.

§ 6. De la chose dans laquelle l'objet se change, le texte ordinaire ne paraît pas ici marquer suffisamment la différence de ce passage avec celui qui précède; car il semblerait, d'après ce texte, qu'II n'a été question plus haut que d'une partie du mobile, pour démontrer que le primitif du changement ne pouvait se trouver dans aucune des parties spécialement; et qu'ici au contraire il est question du mobile entier. Mais celle leçon ne s'accorde pus avec le contexte, et je crois devoir adopter la correction proposée par M. Prantl, et admise par lui dans sa traduction (p. 306. ligne 4). Elle consiste dans l'addition d'une préposition qui me semble tout à fait indispensable. Cependant je n'aurais pas cru devoir faire ce changement, tout ingénieux qu'il est, si je ne le trouvais en partic justifié, à défaut de manuscrits, par le commentaire de Simplicius. Avec le texte ordinaire, qui d'ailleurs pourrait suffire, il faudrait traduire : De la chose qui change, au lieu de : De la chose dans laquelle l'objet se change.

— C'est-à-dire, le texte dit simplement : Ou; j'ai cru devoir rendre l'expression un peu plus précise.

 - De la qualité, l'expression du texte est plus vague. — Ce dans quoi, c'est le temps, comme le prouve ce qui suit; ce pourrait être aussi l'espace.

Et en quoi il change, la qualité nouvelle qu'il prend après que le changement est accompli.

C'est autre chose pour la blancheur, c'est-à-dire que la blancheur en tans que qualité n'est pas divisible, ou du moins elle ne l'est qu'indirectement et par l'intermédiaire de la quantité ou substance dans laquelle elle est.

— Tout ce qui par soi-même... est appelé divisible, l'homme, par exemple, en tant flue grandeur quelconque; le temps, en tant que continu.

Les grandeurs... la grandeur, il s'agit ici des grandeurs parcourues par le mouvement, c'est-à-dire de l'espace.

Un objet sans parties sera continu, ceci implique contradiction, puisque le continu suppose nécessairement l'idée de divisible. Le texte aurait dû être ici développé davantage, et sa concision le rend obscur.

Le corps a changé, il faudrait ajouter : Primitivement, pour que la pensée fût complète.

Ne fera jamais défaut, puisqu'on a supposé BC indéfiniment divisible.

Il n'y aura pas de primitif, pour l'espace.

Le changement dans la quantité, au lieu du changement dons l'espace, qui est bien aussi une sorte de quantité.

- Comprise dans le continu, c'est-à-dire qu'elle est continue.

Le mouvement relatif à la qualité, le changement d'altération ; voir les Catégories, ch. iii, § 3, p. 128 de ma traduction. Voir aussi la Paraphrase et la Préface.

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