Morale à Eudème
MORALE A EUDÈME LIVRE II. DE LA VERTU. CHAPITRE XI. De l'influence de la vertu sur l'intention. Elle rend l'action bonne par le but qu'elle se propose. L'acte, à un certain point de vue, a plus d'importance que l'intention ; mais c'est l'intention seule qui fait le mérite ou le démérite. — C'est surtout sur les actes qu'il faut juger le caractère d'un homme. |
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1 Τούτων δὲ διωρισμένων, λέγωμεν πότερον ἡ ἀρετὴ ἀναμάρτητον ποιεῖ τὴν προαίρεσιν καὶ τὸ τέλος ὀρθόν, οὕτως ὥστε οὗ ἕνεκα δεῖ προαιρεῖσθαι, ἢ ὥσπερ δοκεῖ τισί, τὸν [15] λόγον. Ἔστι δὲ τοῦτο ἐγκράτεια· αὕτη γὰρ οὐ διαφθείρει τὸν λόγον. 2 Ἔστι δ᾽ ἀρετὴ καὶ ἐγκράτεια ἕτερον. Λεκτέον δ᾽ ὕστερον περὶ αὐτῶν, ἐπεὶ ὅσοις γε δοκεῖ τὸν λόγον ὀρθὸν παρέχειν ἡ ἀρετή, τοῦτο αἴτιον. Ἡ μὲν <γὰρ> ἐγκράτεια τοιοῦτον, τῶν ἐπαινετῶν δ᾽ ἡ ἐγκράτεια. Λέγομεν δὲ προαπορήσαντες. 3 Ἔστι [20] γὰρ τὸν μὲν σκοπὸν ὀρθὸν εἶναι, ἐν δὲ τοῖς πρὸς τὸν σκοπὸν διαμαρτάνειν· ἔστι δὲ τὸν μὲν σκοπὸν ἡμαρτῆσθαι, τὰ δὲ πρὸς ἐκεῖνον περαίνοντα ὀρθῶς ἔχειν, καὶ μηδέτερον. 4 Πότερον δ᾽ ἡ ἀρετὴ ποιεῖ τὸν σκοπὸν ἢ τὰ πρὸς τὸν σκοπόν; τιθέμεθα δὴ ὅτι τὸν σκοπόν, διότι τούτου οὐκ ἔστι συλλογισμὸς οὐδὲ [25] λόγος. Ἀλλὰ δὴ ὥσπερ ἀρχὴ τοῦτο ὑποκείσθω. Οὔτε γὰρ ἰατρὸς σκοπεῖ εἰ δεῖ ὑγιαίνειν ἢ μή, ἀλλ᾽ εἰ περιπατεῖν ἢ μή, οὔτε ὁ γυμναστικὸς εἰ δεῖ εὖ ἔχειν ἢ μή, ἀλλ᾽ εἰ παλαῖσαι ἢ μή. 5 Ὁμοίως δ᾽ οὐδ᾽ ἄλλη οὐδεμία περὶ τοῦ τέλους· ὥσπερ γὰρ ταῖς θεωρητικαῖς αἱ ὑποθέσεις ἀρχαί, οὕτω καὶ ταῖς [30] ποιητικαῖς τὸ τέλος ἀρχὴ καὶ ὑπόθεσις. Ἐπειδὴ δεῖ τόδε ὑγιαίνειν, ἀνάγκη τοδὶ ὑπάρξαι, εἰ ἔσται ἐκεῖνο, ὥσπερ ἐκεῖ, εἰ ἔστι τὸ τρίγωνον δύο ὀρθαί, ἀνάγκη τοδὶ εἶναι. 6 Τῆς μὲν οὖν νοήσεως ἀρχὴ τὸ τέλος, τῆς δὲ πράξεως ἡ τῆς νοήσεως τελευτή. Εἰ οὖν πάσης ὀρθότητος ἢ ὁ λόγος ἢ ἡ ἀρετὴ αἰτία, εἰ μὴ [35] ὁ λόγος, διὰ τὴν ἀρετὴν ἂν ὀρθὸν εἴη τὸ τέλος, ἀλλ᾽ οὐ τὰ πρὸς τὸ τέλος. Τέλος δ᾽ ἐστὶ τὸ οὗ ἕνεκα. 7 Ἔστι γὰρ πᾶσα προαίρεσις τινὸς καὶ ἕνεκα τινός. Οὗ μὲν οὖν ἕνεκα τὸ μέσον ἐστίν, οὗ αἰτία ἡ ἀρετὴ τῷ προαιρεῖσθαι οὗ ἕνεκα. Ἔστι μέντοι ἡ προαίρεσις οὐ τούτου, ἀλλὰ τῶν τούτου ἕνεκα. 8 Τὸ μὲν οὖν [40] τυγχάνειν τούτων ἄλλης δυνάμεως, ὅσα ἕνεκα τοῦ τέλους δεῖ πράττειν· [1228a] τοῦ δὲ τὸ τέλος ὀρθὸν εἶναι τῆς προαιρέσεως [οὗ] ἡ ἀρετὴ αἰτία. 9 Καὶ διὰ τοῦτο ἐκ τῆς προαιρέσεως κρίνομεν ποῖός τις· τοῦτο δ᾽ ἐστὶ τὸ τίνος ἕνεκα πράττει, ἀλλ᾽ οὐ τί πράττει. 10 Ὁμοίως δὲ καὶ ἡ κακία τῶν ἐναντίων ἕνεκα ποιεῖ [5] τὴν προαίρεσιν. Εἰ δή τις, ἐφ᾽ αὑτῷ ὂν πράττειν μὲν τὰ καλὰ ἀπρακτεῖν δὲ τὰ αἰσχρά, τοὐναντίον ποιεῖ, δῆλον ὅτι οὐ σπουδαῖός ἐστιν οὗτος ὁ ἄνθρωπος. Ὥστ᾽ ἀνάγκη τήν τε κακίαν ἑκούσιον εἶναι καὶ τὴν ἀρετήν· οὐδεμία γὰρ ἀνάγκη τὰ μοχθηρὰ πράττειν. 11 Διὰ ταῦτα καὶ ψεκτὸν ἡ κακία καὶ ἡ [10] ἀρετὴ ἐπαινετόν· τὰ γὰρ ἀκούσια αἰσχρὰ καὶ κακὰ οὐ ψέγεται οὐδὲ τὰ ἀγαθὰ ἐπαινεῖται, ἀλλὰ τὰ ἑκούσια. Ἔτι πάντας ἐπαινοῦμεν καὶ ψέγομεν εἰς τὴν προαίρεσιν βλέποντες μᾶλλον ἢ εἰς τὰ ἔργα· καίτοι αἱρετώτερον ἡ ἐνέργεια τῆς ἀρετῆς, ὅτι πράττουσι μὲν φαῦλα καὶ ἀναγκαζόμενοι, [15] προαιρεῖται δ᾽ οὐδείς. 12 Ἔτι διὰ τὸ μὴ ῥᾴδιον εἶναι ἰδεῖν τὴν προαίρεσιν ὁποία τις, διὰ ταῦτα ἐκ τῶν ἔργων ἀναγκαζόμεθα κρίνειν ποῖός τις. 13 Αἱρετώτερον μὲν οὖν ἡ ἐνέργεια, ἐπαινετώτερον δ᾽ ἡ προαίρεσις. Ἔκ τε τῶν κειμένων οὖν συμβαίνει ταῦτα, καὶ ἔτι ὁμολογεῖται τοῖς φαινομένοις.
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1 Après avoir fixé tous ces points voyons si la vertu peut rendre la préférence infaillible, et la fin qu'elle poursuit, toujours bonne, de telle sorte que la préférence ne choisisse jamais avec intention que ce qu'il faut; ou bien, si comme on le prétend, c'est [15] la raison qu'éclaire ainsi la vertu. A vrai dire, cette vertu c'est la domination de soi-même, la tempérance, laquelle ne détruit pas apparemment la raison. 2 Mais la vertu et la domination de soi sont deux choses différentes, comme on le montrera plus tard ; et si l'on admet que c'est la vertu qui nous donne une raison droite et saine, c'est parce qu'on suppose que c'est la domination de soi qui est la vertu même, et qu'elle est tout à fait cligne des louanges qu'on lui adresse. Mais avant d'en parler, nous examinerons quelques questions préliminaires. 3 Dans bien des cas, il est [20] fort possible que le but qu'on se propose soit excellent, et pourtant qu'on se trompe dans les moyens qui doivent y mener. Il se peut, tout au contraire, que le but soit mauvais, et que les moyens qu'on emploie soient très-bons. Enfin, il se peut que les uns et les autres soient également erronés. 4 Est-ce la vertu qui fait le but? Est-ce elle qui fait simplement les choses qui y mènent ? Nous pensons que c'est elle qui fait le but, puisque le but qu'on se propose n'est la conséquence, ni d'un syllogisme, ni même [25] d'un raisonnement. Supposons donc que le but est en quelque sorte le principe et l'origine de l'action. Par exemple, le médecin n'examine pas apparemment s'il faut ou non guérir le malade ; il examine seulement si le malade doit marcher ou ne pas marcher. Le gymnaste n'examine pas s'il faut ou non avoir de la vigueur ; il examine seulement s'il faut que tel élève se livre à la lutte ou s'il ne le faut pas. 5 Il en est absolument ainsi pour toutes les autres sciences : il n'en est pas une qui s'occupe de la fin même qu'elle poursuit; et de même que les hypothèses initiales servent de principes dans les sciences de pure théorie, de même aussi la fin poursuivie est le principe, et comme l'hypothèse [30] de tout le reste, dans les sciences qui ont à produire quelque chose. Pour guérir telle maladie, il faut nécessairement tel remède, afin que la guérison puisse être obtenue; absolument comme pour le triangle, si ses trois angles sont égaux à deux droits, il faudra nécessairement qu'il sorte telle conséquence de ce principe une fois admis. 6 Ainsi, la fin qu'on se propose est le principe de la pensée ; et la conclusion même de la pensée, est le principe de l'action. Si donc c'est, ou la raison, ou la vertu, qui sont les vraies causes de toute rectitude, [35] soit dans les pensées, soit dans les actes, du moment que ce n'est pas la raison, il faudra que ce soit la vertu qui fasse que la fin soit bonne. Mais elle sera sans influence sur les moyens qu'on emploie pour arriver au but. 7 La fin est ce pourquoi l'on agit, puisque toute intention, toute préférence s'adresse à une certaine chose, et a toujours une certaine chose en vue. Le but qu'on poursuit à l'aide du moyen terme, est causé par la vertu qui consiste à choisir ce but de préférence à tout autre. Mais l'intention ou préférence ne s'applique pas cependant à ce but lui-même ; elle s'applique seulement aux moyens qui peuvent y conduire. 8 Ainsi, c'est à une autre faculté qu'il appartient de nous révéler tout ce qu'il faut faire pour atteindre la fin que nous poursuivons. [1228a] Mais ce qui fait que la fin que se propose notre intention est bonne, c'est la vertu; et c'est elle qui en est l'unique cause. 9 Maintenant, on doit comprendre comment on peut, d'après l'intention, juger le caractère de quelqu'un; c'est-à-dire, comment il faut regarder le pourquoi [5] de son action bien plus que son action elle-même. 10 Par une sorte d'analogie, on doit dire que le vice ne fait son choix et ne dirige son intention qu'en vue des contraires. Il suffit donc que quelqu'un, quand il ne dépend que de lui de faire de belles actions et de n'en pas faire de mauvaises, fasse tout le contraire, pour qu'il soit évident que cet homme n'est pas vertueux. Par une suite nécessaire, le vice est volonlontaire aussi bien que [10] la vertu ; car il n'y a jamais nécessité de vouloir le mal. 11 C'est là ce qui fait que le vice est blâmable, et que la vertu est digne de louange. Les choses involontaires, toutes honteuses et mauvaises qu'elles peuvent être, ne sont pas blâmables ; ce ne sont pas les bonnes qui sont louables ; ce sont les volontaires. Nous regardons plus aux intentions qu'aux actes pour louer ou blâmer les gens, bien que l'acte soit préférable à la vertu, parce qu'on peut faire le mal par suite d'une nécessité, et qu'il n'y a pas de nécessité [15] qui puisse jamais violenter l'intention. 12 Mais, comme il n'est pas facile de voir directement quelle est l'intention, nous sommes forcément obligés de juger du caractère des hommes d'après leurs actes. 13 L'acte vaut certainement plus que l'intention ; mais l'intention est plus louable. C'est là une conséquence qui résulte des principes posés par nous; et de plus, cette conséquence s'accorde parfaitement avec les faits qu'on peut observer. |
Ch. XI. Morale à Nicomaque, livre II I, ch. 3; Grande Morale, livre I, ch. 17 et 18. § 1. Voyons si la vertu.... ou bien si c'est la raison. La pensée est assez confuse. L'auteur se demande si la vertu rend infaillible la préférence, qui dans les cas particuliers détermine notre choix; ou bien si c'est seulement la raison, d'une manière générale, sur laquelle la vertu a celte heureuse influence. — Comme on le prétend. Dans l'école de Platon sans doute. — La domination de soi-même, la tempérance. Il n'y a que ce dernier mot dans le texte; mais sa composition étymologique en grec m'a permis d'ajouter la paraphrase qui le précède. § 2. Comme on le montrera plus tard. Dans la théorie de l'intempérance, au livre 6, ch.; 1 et suiv. — Avant d'en parler. Ceci semblerait indiquer que la théorie de la tempérance devrait venir immédiatement à la suite de ce chapitre. Il n'en est rien cependant. § 4. Est-ce la vertu qui fait... Il semble que la vertu peut tout à la fois déterminer, et le but que l'on doit poursuivre, et les moyens qu'il convient de choisir pour l'atteindre. — Ni d'un syllogisme ni d'un raisonnement. C'est alors la conséquence d'une intention spontanée de l'esprit, tant l'amour du bien est naturel à l'âme de l'homme. § 5. De la fin même qu'elle poursuit. Elle ne s'occupe que des moyens qui mènent à cette fin. Mais il faut ajouter que dans bien des cas les moyens se confondent avec la fin elle-même. — Les hypothèses initiales. Comme celles de la géométrie, par exemple. § 6. Du moment que ce n'est pas la raison. Il semble que c'est induire beaucoup trop le rôle de la raison; et c'est trop la séparer de la vertu qu'elle doit éclairer et conduire. — La vertu qui fasse que la fin soit bonne. En d'autres termes, c'est l'intention vertueuse qui fait que la fin qu'on se propose est bonne, bien que peut-être la raison ne puisse pas toujours l'approuver. § 7. Le but... est causé par la vertu. Répétition de ce qui vient d'être dit un peu plus haut. Ces répétitions sont fréquentes. § 8. C'est à une autre faculté. La raison, qui semble reprendre en ceci la supériorité qu'on lui refusait tout à l'heure. Mais au fond, dans cette théorie la raison reste subordonnée ι la vertu décide souverainement du but que l'homme doit se proposer; la raison n'intervient que pour lui indiquer les moyens propres à loi faire atteindre ce but. Maïs alors c'est plutôt l'intelligence que la raison; car la raison et la vertu paraissent inséparables et identiques. § 9. D'après l'intention juger le caractère. Principe excellent et incontestable, quoique d'une application fort difficile. § 10. Qu'en vue des contraires. Expression obscure et incomplète que la suite éclaircit en partie. — Il n'y a jamais nécessité de vouloir le mal. Socrate et Platon n'ont pas mieux dit. Le mot du texte peut signifier aussi : « faire le mal » ; mais en ce sens qu'on le veut avant de le produire; et qu'avant l'acte du dehors on fait cet acte intérieur qui le précède et le détermine. J'ai pensé que le mot de « vouloir», bien qu'il précisât un peu plus la pensée, était cependant plus fidèle. § 11. Bien que l'acte soit préférable à la vertu. On voit qu'il faut sous entendre : « l'acte vertueux. » § 12. Mais comme il n'est pas facile.... C'est là ce qui donne tant d'importance aux actes, sans même parler des conséquences plus ou moins graves qu'ils peuvent avoir. § 13. L'intention est plus louable. C'est le principe de Kant : « Il n'y a d'absolument bon au monde qu'une bonne volonté ». Voir plus haut, Gr. Morale, livre I, ch. 18, § 1. FIN DU LIVRE DEUXIÈME. |