Aristote : Morale à Eudème

ARISTOTE

 

MORALE A EUDEME

LIVRE I : DU BONHEUR.

CHAPITRE I

chapitre II

 

 

 

Morale à Eudème

 

 

 

 MORALE A EUDÈME

LIVRE I.

DU BONHEUR.

CHAPITRE PREMIER.

Du bonheur. Des causes du bonheur ; ces causes sont, ou la nature, ou l'éducation, ou la pratique et l'expérience ; elles peuvent être aussi, ou la faveur spéciale des Dieux, ou le hasard. - Le bonheur se compose surtout de trois éléments, la raison, la vertu, et le plaisir.

[1214] 1 Ὁ μὲν ἐν Δήλῳ παρὰ τῷ θεῷ τὴν αὑτοῦ γνώμην ἀποφηνάμενος συνέγραψεν ἐπὶ τὸ προπύλαιον τοῦ Λητῴου, διελὼν οὐχ ὑπάρχοντα πάντα τῷ αὐτῷ, τό τε ἀγαθὸν καὶ τὸ καλὸν καὶ τὸ ἡδύ, ποιήσας [5]

“κάλλιστον τὸ δικαιότατον, λῷστον δ᾽ ὑγιαίνειν·,
πάντων ἥδιστον δ᾽ οὗ τις ἐρᾷ τὸ τυχεῖν· ”

ἡμεῖς δ᾽ αὐτῷ μὴ συγχωρῶμεν. Ἡ γὰρ εὐδαιμονία κάλλιστον καὶ ἄριστον ἁπάντων οὖσα ἥδιστον ἐστίν. 2 Πολλῶν δ᾽ ὄντων θεωρημάτων ἃ περὶ ἕκαστον πρᾶγμα καὶ [10] περὶ ἑκάστην φύσιν ἀπορίαν ἔχει καὶ δεῖται σκέψεως, τὰ μὲν αὐτῶν συντείνει πρὸς τὸ γνῶναι μόνον, τὰ δὲ καὶ περὶ τὰς κτήσεις καὶ περὶ τὰς πράξεις τοῦ πράγματος. 3 Ὅσα μὲν οὖν ἔχει φιλοσοφίαν μόνον θεωρητικήν, λεκτέον κατὰ τὸν ἐπιβάλλοντα καιρόν, ὅ τι περ οἰκεῖον ἦν τῇ μεθόδῳ·

4 πρῶτον δὲ [15] σκεπτέον ἐν τίνι τὸ εὖ ζῆν καὶ πῶς κτητόν, πότερον φύσει γίγνονται πάντες εὐδαίμονες οἱ τυγχάνοντες ταύτης τῆς προσηγορίας, ὥσπερ μεγάλοι καὶ μικροὶ καὶ τὴν χροιὰν διαφέροντες, ἢ διὰ μαθήσεως, ὡς οὔσης ἐπιστήμης τινὸς τῆς εὐδαιμονίας, ἢ διά τινος ἀσκήσεως (πολλὰ γὰρ οὔτε κατὰ [20] φύσιν οὔτε μαθοῦσιν ἀλλ᾽ ἐθισθεῖσιν ὑπάρχει τοῖς ἀνθρώποις, φαῦλα μὲν τοῖς φαύλως ἐθισθεῖσι, χρηστὰ δὲ τοῖς χρηστῶς), 5 ἢ τούτων μὲν κατ᾽ οὐδένα τῶν τρόπων, δυοῖν δὲ θάτερον, ἤτοι καθάπερ οἱ νυμφόληπτοι καὶ θεόληπτοι τῶν ἀνθρώπων, ἐπιπνοίᾳ δαιμονίου τινὸς ὥσπερ ἐνθουσιάζοντες, ἢ διὰ τὴν τύχην [25] (πολλοὶ γὰρ ταὐτόν φασιν εἶναι τὴν εὐδαιμονίαν καὶ τὴν εὐτυχίαν).

6 Ὅτι μὲν οὖν ἡ παρουσία διὰ τούτων ἁπάντων ἢ τινῶν ἢ τινὸς ὑπάρχει τοῖς ἀνθρώποις, οὐκ ἄδηλον (ἅπασαι γὰρ αἱ γενέσεις σχεδὸν πίπτουσιν εἰς ταύτας τὰς ἀρχάς· καὶ γὰρ <τὰς> ἀπὸ τῆς διανοίας ἁπάσας πρὸς τὰς ἀπὸ ἐπιστήμης [30] ἄν τις συναγάγοι πράξεις)· 7 τὸ δ᾽ εὐδαιμονεῖν καὶ τὸ ζῆν μακαρίως καὶ καλῶς εἴη ἂν ἐν τρισὶ μάλιστα, τοῖς εἶναι δοκοῦσιν αἰρετωτάτοις. Οἳ μὲν γὰρ τὴν φρόνησιν μέγιστον εἶναί φασιν ἀγαθόν, οἳ δὲ τὴν ἀρετήν, οἳ δὲ τὴν ἡδονήν. 8 Καὶ πρὸς τὴν εὐδαιμονίαν ἔνιοι περὶ τοῦ μεγέθους αὐτῶν διαμφισβητοῦσι, [1214b] συμβάλλεσθαι φάσκοντες θάτερον θατέρου μᾶλλον εἰς αὐτήν, οἳ μὲν ὡς οὖσαν μεῖζον ἀγαθὸν τὴν φρόνησιν τῆς ἀρετῆς, οἳ δὲ ταύτης τὴν ἀρετήν, οἳ δ᾽ ἀμφοτέρων τούτων τὴν ἡδονήν. Καὶ τοῖς μὲν ἐκ πάντων δοκεῖ τούτων, τοῖς δ᾽ [5] ἐκ δυοῖν, τοῖς δ᾽ ἐν ἑνί τινι τούτων εἶναι τὸ ζῆν εὐδαιμόνως.

 

 

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[1214] 1 Le moraliste qui à Délos a mis sa pensée sous la protection du Dieu, a écrit les deux vers suivants sur le Propylée du Latoon, en considérant sans doue l'ensemble de tous les avantages qu'un homme à lui seul ne peut jamais réunir complètement, le bien, le beau et l'agréable : [5]

« Le juste est le plus beau; la santé, le meilleur;
Obtenir ce qu'on aime est le plus doux au coeur. »

Nous ne partageons pas tout à fait l'idée exprimée dans cette inscription ; et suivant nous, le bonheur qui est la plus belle et la meilleure de toutes les choses, en est aussi tout à la fois la plus agréable et la plus douce. 2 Parmi les considérations nombreuses que chaque espèce de choses et [10] chaque nature d'objets peuvent soulever, et qui demandent un sérieux examen, les unes ne tendent qu'à connaître la chose dont on s'occupe ; d'autres tendent en outre à la posséder, et à en tirer toutes les applications qu'elle comporte. 3 Quant aux questions qui ne sont, dans ces études philosophiques , que de pure théorie, nous les traiterons, selon que l'occasion s'en présentera, au point de vue qui les rend spéciales à cet ouvrage.

4 D'abord, [15] nous rechercherons en quoi consiste bonheur, et par quels moyens on peut l'acquérir. Nous nous demanderons si tous ceux qui reçoivent ce surnom d'heureux, le sont par le simple effet de la nature, comme ils sont grands ou petits, et comme ils diffèrent par le visage et le teint ; ou bien, s'ils sont heureux grâce à l'enseignement d'une certaine science qui serait celle du bonheur ; ou bien encore, si c'est par une sorte de pratique et d'exercice ; car il est une foule de qualités diverses que les hommes possèdent non pas par [20] nature ni même par étude, mais qu'ils acquièrent par la simple habitude, mauvaises quand ils ont contracté de mauvaises habitudes, et bonnes quand ils en ont contracté de bonnes.  5 Enfin nous rechercherons si, toutes ces explications du bonheur étant fausses, le bonheur n'est l'effet que de l'une de ces deux causes : ou il vient de la faveur des Dieux qui nous l'accordent, comme ils inspirent les hommes saisis d'une fureur divine et embrasés d'enthousiasme sous le souffle de quelque génie ; ou bien, il vient du hasard ; [25] car il y a beaucoup de gens qui confondent le bonheur et la fortune.

6 On doit voir sans peine que le bonheur ne se trouve dans la vie humaine que grâce à tous ces éléments réunis, ou à quelques-uns d'entre eux, ou tout au moins à un seul. La génération de toutes les choses vient , ou peu s'en faut, de ces divers principes ; et c'est ainsi qu'on peut assimiler tous les actes qui dérivent de la réflexion aux actes même [30] qui relèvent de la science. 7 Le bonheur, ou en d'autres termes une heureuse et belle existence, consiste surtout dans trois choses, qui semblent être les plus désirables de toutes ; car le plus grand de tous les biens, selon les uns, c'est la prudence ; selon les autres, c'est la vertu ; selon d'autres enfin, c'est le plaisir. 8 Aussi, l'on discute sur la part de chacun de ces éléments dans le bonheur, [1214b] suivant que l'on croit que l'un d'eux y contribue plus que l'autre. Les uns prétendent que la prudence est un bien plus grand que la vertu ; les autres trouvent au contraire la vertu supérieure à la prudence ; et les autres trouvent le plaisir fort au-dessus de toutes deux. Par suite, les uns croient que le bonheur se compose de la réunion de toutes ces conditions ; les autres croient qu'il suffit de deux d'entre elles ; d'autres même le trouvent dans une seule.

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Ch. I. Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 2 et suiv. ; et livre X, ch. 6 ; Grande Morale, livre I, ch. 4 et 2.

§ 4. Le moraliste. Le texte dit simplement:«   Celui qui...

 Le Latoon. Le sanctuaire consacré à Latone.

Le juste est le plus beau. Voir sur ces deux vers, qui sont de Théognis, la Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 6, § 13, où ils sont déjà cités.

Nous ne partageons pas tout à fait l'idée... C'est-à-dire :«   nous n'acceptons pas la division des biens telle qu'elle est faite dans celte inscription.  » Aristote désapprouve également la pensée de ces vers dans la Morale à Nicomaque, loc. laud.

§ 3. De pure théorie. C'est ainsi que, dans la Morale à Nicomaque, Aristote poursuivait surtout un but pratique.

§ 4. Et par quels moyens on peut l'acquérir. Ce n'est plus là de la pure théorie.

Par le simple effet de la nature. Cette question est traitée tout au long, plus loin, livre VII, ch. 14.

§ 5. Toutes les explications du bonheur. Ce sont les explications qui viennent d'être rappelées, et qui sans doute avaient été données par les autres philosophes.

Le bonheur et la fortune. Ici«   fortune  » doit s'entendre surtout dans le sens de hasard.

§ 6. Et c'est ainsi... Pensée obscure; mais le texte ne peut pas avoir un autre sens que celui que je donne.

Qui dérivent de la réflexion. Ce sont les actes moraux.

§ 7. Selon les uns. Je ne sais si c'est Platon qu'on veut désigner ici ; dans les théories de Platon, la prudence est toujours placée en première ligne parmi les vertus. Voir la République, livre IV, p. 210 et suiv., trad. de M. Cousin.

Selon les autres. Ceci peut s'appliquer aussi. à Platon, puisque la vertu pour lui se divisait en prudence, courage, tempérance et justice.

Selon d'autres enfin. Selon l'École d'Aristippe, et selon Eudoxe, réfuté dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 10, et livre X, ch. 2. Eudoxe était contemporain d'Aristote.

 

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