ONZIÈME PHILIPPIQUE.
I. Pères conscrits, dans la vive douleur, ou plutôt dans la désolation où nous a plongés le récit de la cruelle et déplorable mort de C. Trebonius, excellent citoyen, homme d'une modération remarquable, il peut cependant se trouver quelque chose d'utile à la république. Nous avons au moins reconnu combien, dans ceux qui ont criminellement pris les armes contre la patrie, il y avait de férocité. Car jamais, depuis qu'il existe des hommes, on n'a vu deux êtres plus atroces et plus infâmes que Dolabella et Antoine : l'un a exécuté ce qu'il souhaitait ; et, pour l'autre, on voit assez manifestement ce qu'il méditait. L. Cinna fut cruel; C. Marius persévérant dans sa fureur; L. Sylla violent; mais chez aucun d'eux l'acharnement de la vengeance ne s'est étendu au delà de la mort. Et cependant cette peine, infligée à des citoyens, paraissait trop cruelle. Mais voyez ce couple égal en scélératesse, tel qu'on n'en a jamais vu, monstrueux, féroce, barbare. Eux entre lesquels jadis il y avait haine et guerre à mort, vous vous en souvenez, se sont depuis trouvés unis d'un parfait accord, d'une tendresse singulière, par la conformité du naturel le plus pervers et de la conduite la plus infâme. Oui, le meurtre que vient de commettre Dolabella sur la victime qu'il a pu surprendre, Antoine en menace bien d'autres. Mais le premier, éloigné de nos consuls et de nos armées, ignorant ainsi l'étroit concert qui existe entre le sénat et le peuple romain, comptant sur les forces d'Antoine, a pris l'initiative de crimes dont il croyait l'exemple donné à Rome par l'associé de sa fureur. Celui-ci avait-il d'autres projets, d'autres désirs? Pouvez-vous le penser? Et lui supposez-vous d'autres motifs de guerre? Nous tous qui avons une opinion indépendante sur la marche des affaires, qui avons exprimé des avis dignes de nous, qui avons voulu la liberté du peuple romain, il nous a désignés, non pas comme ses adversaires, mais comme ses ennemis: avec cette différence toutefois qu'il nous réserve des supplices qu'on épargne même à des ennemis. La mort n'est, à son gré qu'une loi de la nature; mais pour la vengeance il lui faut des tortures et des tourments. Quelle idée devons-nous avoir d'un ennemi de qui l'on ne peut attendre pour toute grâce, après sa victoire; qu'une mort exempte de tortures? II. Ainsi donc, Pères conscrits, bien que vous n'ayez pas besoin d'exhortations, enflammés spontanément que vous êtes du désir de recouvrer la liberté, soyez d'autant plus animés, d'autant plus ardents à défendre cette liberté, que vous voyez qu'on réserve à votre défaite les supplices cruels destinés aux esclaves. Antoine s'est élancé sur la Gaule, Dolabella sur l'Asie, tous deux sur une province qui ne leur appartient pas. A l'un s'est opposé Brutus : l'élan d'un furieux qui voulait tout piller, tout dévaster, Brutus l'a su contenir au péril de sa vie; il l'a empêché d'aller plus avant, il lui a coupé la retraite : il a consenti à se laisser assiéger pour enchaîner Antoine de toutes parts. L'autre s'est précipité sur l'Asie : pourquoi? lorsque s'offrait à lui, pour aller en Syrie, un chemin sûr et moins long. Qu'avait-il besoin d'une légion ? Il s'était fait précéder de je ne sais quel Marse, appelé Octavius, brigand déterminé et indigent, chargé de ravager les campagnes, de rançonner les villes, non dans l'espoir de faire sa fortune, jamais cet homme ne saura rien conserver, au dire de ceux qui le connaissent (pour moi je ne connais pas ce sénateur) ; mais on a voulu jeter la pâture d'un moment à ce mendiant affamé. Est venu ensuite Dolabella, sans manifester aucune intention hostile. Et qui aurait pu l'en soupçonner? Alors on vit commencer les entretiens les plus familiers avec Trebonius et les embrassements les plus affectueux, indices menteurs d'une fausse amitié: puis les serrements de mains, symbole ordinaire de bonne foi, furent profanés par la perfidie et la scélératesse. De nuit s'est faite l'entrée à Smyrne, comme dans une ville ennemie; et c'est pourtant la ville de nos plus anciens et plus fidèles alliés. Trebonius a succombé : imprudent, si chez Dolabella il avait à craindre un ennemi déclaré; malheureux seulement, s'il pouvait encore voir en lui un citoyen. Par cette catastrophe la fortune a voulu nous faire comprendre ce que les vaincus auraient à craindre. Un consulaire en possession de la province d'Asie, en qualité de proconsul, a été par Dolabella livré à un Samiarius, à un exilé : il n'a pas voulu tuer aussitôt son prisonnier, de peur, je pense, de paraître trop clément dans sa victoire. Après avoir, par des paroles outrageantes, blessé de sa bouche impure cet excellent citoyen, il a employé contre lui les verges et les tortures pour lui faire déclarer où était l'argent de l'État, et cela pendant deux jours. Ensuite il lui a fait couper la tête, qui par ses ordres a été promenée au bout d'une pique; et le corps traîné, déchiré en lambeaux, il l'a fait jeter dans la mer. C'est contre un pareil ennemi que nous avons la guerre; son atroce cruauté surpasse de bien loin tout ce qu'on peut imaginer d'un Barbare. Que dirai-je du massacre des citoyens romains? du pillage des temples? Qui pourrait, d'après ces affreux détails, déplorer assez de pareilles calamités? Et maintenant il parcourt toute l'Asie, il s'y pavane comme un roi ; il nous croit retenus par une autre guerre comme si ce n'était pas une seule et même guerre, que celle que nous avons à soutenir contre ce couple de scélérats parricides. III. L'image de la cruauté de M. Antoine, vous la retrouvez en Dolabella : l'une s'est modelée sur l'autre; d'Antoine, Dolabella a pris toutes ces leçons de scélératesse. Croyez-vous qu'en Italie, s'il en est le maître, Antoine se montrera plus doux que ne l'a été en Asie Dolabella? Je dois en convenir, Dolabella me semble avoir atteint le dernier degré de férocité où puisse arriver un homme en démence ; mais il n'est aucun genre de supplices que, s'il en a le pouvoir, Antoine ne se fasse un plaisir d'employer. Représentez-vous donc, Pères conscrits, ce tableau affreux, déplorable, mais nécessaire pour enflammer votre indignation : l'irruption nocturne dans une des villes d'Asie les plus illustres, l'invasion de satellites armés dans la maison de Trebonius, alors que cet infortuné vit les épées de ces brigands briller à ses yeux, avant de savoir ce qui se passait ; l'entrée de Dolabella furieux, sa voix impure, son odieux visage, les fers, les fouets, le chevalet, et pour appliquer la torture, le bourreau Samiarius. Toutes ces horreurs, Trebonius, dit-on, les a supportées avec courage et résignation, vertu sublime et, selon moi, sans égale. Il appartient, en effet, au sage de pressentir tous les accidents qui peuvent atteindre un homme, et de les supporter avec calme, lorsqu'ils se présentent. Il faut sans doute un esprit plus clairvoyant pour les prévenir; mais il ne faut pas un coeur moins magnanime pour les supporter, s'ils arrivent. De plus Dolabella s'est montré si oublieux de l'humanité, bien qu'il n'ait jamais rien eu de commun avec elle, que son insatiable cruauté s'est exercée, non seulement sur un homme vivant, mais sur un cadavre; et n'ayant pu, en déchirant, en lacérant ce corps, rassasier son âme, il a voulu du moins en repaître ses yeux. IV. O cent fois plus malheureux, Dolabella, que celui que tu voulus rendre le plus malheureux des hommes ! Trebonius a enduré de grandes douleurs; d'autres en ont, par l'effet de la maladie, supporté de plus grandes encore. Cependant nous ne les appelons pas malheureux, mais éprouvés par la souffrance. Longs furent pour lui les tourments de ces deux jours ; mais, pour bien d'autres, ils furent souvent de plusieurs années; et quelquefois d'ailleurs les souffrances de la maladie ne sont pas moins atroces que les tortures des bourreaux. Mais il en est d'autres, oui, d'autres, ô vous, hommes pervers et forcenés ! qui sont bien plus terribles : car autant la force de l'âme l'emporte sur celle du corps, autant les douleurs qu'elle perçoit sont plus poignantes que celles qu'endure le corps. Il est donc plus malheureux, celui dont la conscience se souille du crime, que celui qui est réduit à souffrir du crime d'autrui. Trebonius a été torturé par Dolabella : Regulus le fut bien par les Carthaginois. A cette occasion les Carthaginois ont été accusés d'une excessive cruauté envers un ennemi; mais l'action de Dolabella envers un citoyen, comment la caractériser? Peut-on comparer les deux cas? Peut-on même mettre en doute lequel est le plus malheureux, ou celui dont la mort trouve dans le sénat et dans le peuple romain des vengeurs, ou celui que toutes les délibérations du sénat ont déclaré ennemi de la patrie? Car, sous tout autre rapport, qui pourrait, sans lui faire le plus sanglant outrage, comparer la vie de Trebonius avec celle de Dolabella? qui ignore quelle était la sagesse de l'un, son génie, sa douceur, soit intégrité, son zèle magnanime pour la défense de la patrie? L'autre, dès son enfance, a fait de la cruauté ses délices; plus tard, telle a été l'infamie de ses désordres, qu'il s'est toujours fait gloire de commettre des excès que rougirait de lui reprocher un ennemi respectant la pudeur. Et cet homme, dieux immortels ! m'a autrefois appartenu! J'ignorais alors ses vices, que je ne cherchais pas à connaître. Peut-être même aujourd'hui ne lui serais-je pas hostile, si contre vous, si contre les murs de la patrie, si contre notre ville, si contre les dieux pénates, si contre les autels et les foyers de nous tous tant que nous sommes, si enfin contre la nature et l'humanité, il ne s'était mis en état de guerre, Instruits par sa conduite, sachons, avec plus de vigilance et d'activité, nous tenir en garde contre Antoine. V. En effet, Dolabella n'avait pas à sa suite autant de brigands insignes et connus. Mais voyez le nombre et l'espèce de ceux qui suivent Antoine. D'abord son frère Lucius. Quel brandon incendiaire, dieux immortels! quel criminel! quel scélérat! quel gouffre! quel abîme ! Que ne dévore-t-il pas en esprit! que n'épuise-t-il pas en idée! de quel sang pensez-vous qu'il ne songe point à s'abreuver ! Est-il une propriété, une fortune sur lesquelles, en espoir, en pensée, il n'attache point ses audacieux regards? Que dirai-je de Censorinus? qui, à l'en croire, songeait à se faire nommer préteur de la ville, et qui, en réalité, n'y pensait nullement? Que dirai-je de Bestia, qui, pour supplanter Brutus, annonce ses prétentions au consulat? Veuille Jupiter détourner de nous un si détestable présage! Mais quelle absurdité, quand on n'a pu être préteur, de briguer le consulat; à moins peut-être qu'il ne compte une condamnation pour une préture ! C'est un autre César que ce Vopiscus, homme d'un génie transcendant, d'urne haute influence, qui de l'édilité veut arriver au consulat. Dispensons-le des lois; mais ce n'est pas lui que les lois peuvent arrêter, grâce sans doute à son mérite incomparable. Cet homme, défendu par moi, a été cinq fois absous. Une sixième palme dans Rome est difficile à obtenir même pour un gladiateur. S'il a été enfin condamné, c'est la faute des juges et non la mienne. Je l'ai défendu de la meilleure foi du monde : ils auraient dû retenir à Rome un sénateur si illustre et si distingué. Je dois ajouter néanmoins qu'il semble avoir pris à tâche de nous prouver par ses actions, que ceux dont nous avons annulé les jugements avaient prononcé avec justice et dans l'intérêt de la république: Et il n'est pas le seul qui soit dans ce cas : il en est d'autres au camp d'Antoine justement condamnés, honteusement rappelés. Les projets de ces hommes, qui sont les ennemis de tous les gens de bien, peuvent-ils ne pas être sanguinaires? le pensez-vous? Ajoutez Saxa, un homme de rien, que, pour nous en gratifier comme tribun du peuple, César a tiré du fond de la Celtibérie. Dans les camps autrefois il marquait les logis, aujourd'hui il va les marquer dans Rome, à ce qu'il espère. Arrière cet étranger ! et puissent, pour notre salut, retomber sur sa tête les voeux qu'il a formés! Avec lui marche le vétéran Caphon, qui de personne n'est plus détesté que des vétérans. A tous ces hommes, comme supplément aux largesses qu'ils ont reçues pendant les désastres de nos guerres civiles, Antoine a distribué les terres de la Campanie, pour devenir les nourricières de leurs autres domaines. Plût aux dieux qu'ils s'en fussent contentés! Nous le supporterions encore, bien que la chose fuit insupportable ; mais que n'a-t-il pas fallu souffrir pour prévenir cette horrible guerre ! VI. Eh bien, ces lumières du camp de M. Antoine, ne vous les représentez-vous pas? D'abord les deux collègues d'Antoine et de Dolabella, Nucula et Lenton, ces distributeurs de l'Italie en vertu de cette loi que le sénat a déclarée portée par violence. L'un a composé des farces; l'autre a joué la tragédie. Que dirai-je de l'opulence de Domitius d'Apulie, dont nous venons de voir les biens vendus à l'encan; tant est grande la négligence de ses fondés de pouvoirs ! C'est lui qui dernièrement a fait prendre de force du poison au fils de sa soeur. Mais peuvent-ils ne pas vivre en prodigues, ceux qui jettent leur dévolu sur nos biens, tout en dissipant les leurs? Voyez aussi la vente à l'encan de P. Decius, homme des plus illustres, qui, fidèle aux exemples de ses ancêtres, s'est dévoué pour ses créanciers. Pas un acheteur, toutefois, ne s'est présenté aux enchères. Personnage ridicule, qui pense se libérer de ses dettes en vendant le bien d'autrui ! Que dirai-je enfin de Trebellius? Il semble qu'à lui se soient attachées les furies vengeresses des débiteurs : en expiation de l'abolition des dettes qu'il n'a pas voulu, on a dressé l'encan pour les siennes. Que dirai-je de T. Plancus, qu'un très estimable citoyen, Aquila, a expulsé de Pollentia, non sans lui avoir cassé la jambe? Plût au ciel que cette correction lui fût arrivée plus tôt! elle aurait prévenu son retour ici. Mais la lumière et la gloire de cette armée, j'ai failli la passer sous silence. C. Annius Cimber, fils de Lysidicus, bien digne lui-même du nom grec de Lysidicus car tous les droits ont été violés par lui, à moins par hasard que tuer un Germain ne soit permis à un Cimbre. Avec une troupe si nombreuse et composée d'hommes d'une pareille trempe, quel crime Antoine hésitera-t-il à commettre quand Dolabella a osé se souiller de tant de parricides, lui qui n'a pas à sa disposition une troupe de brigands à beaucoup près comparable? En conséquence, bien que malgré moi je me sois souvent trouvé en dissentiment avec Q. Fufius, je n'en appuie que plus volontiers son avis : d'où vous pouvez juger que ce n'est jamais l'homme, mais l'opinion que je combats. Il a ouvert un avis sévère, imposant, digne de la république; il a déclaré Dolabella ennemi; il a proposé la confiscation de ses biens au profit de l'État. A cela on ne pouvait rien ajouter; car quelle proposition plus énergique et plus rigoureuse pouvait-il faire? il a dit, toutefois, que si parmi ceux qui, après lui, seraient appelés à opiner, il s'en trouvait un qui ouvrit un avis plus rigoureux, il s'empresserait d'y adhérer. Qui pourrait ne pas louer une pareille sévérité? VII. Maintenant, puisque Dolabella est déclaré ennemi public, il faut le poursuivre les armes à la main ; d'ailleurs il n'est pas homme à rester en repos; il a une légion; il a des esclaves fugitifs; il a une troupe impie de scélérats. Lui-même est plein d'audace et d'emportement ; c'est un de ces gladiateurs qui combattent jusqu'à la mort. Or, puisque contre Dolabella, déclaré hier ennemi public, la guerre doit avoir lieu, il faut choisir un général. On a proposé deux avis; je n'approuve ni l'un ni l'autre: le premier, parce que, s'il n'est pas indispensable, je le crois toujours dangereux; le second, parce qu'il est déplacé dans les circonstances actuelles. Eu effet, déférer un pouvoir extraordinaire peut convenir à la légèreté populaire, mais nullement à notre gravité, à celle de cet ordre. Durant la guerre contre Antiochus, guerre importante et difficile, l'Asie était échue, par le sort, à L. Scipion, fils de Publius. Comme on lui supposait peu de courage et d'énergie, le sénat voulait confier le soin de cette expédition au collègue de L. Scipion, C. Lélius, père de Lélius, surnommé le Sage. Scipion l'Africain, frère aîné de L. Scipion, se leva pour demander qu'on épargnât cet affront à sa famille ; il soutint que son frère ne manquait ni d'un grand courage ni d'une grande prudence; et que lui-même, malgré son âge et ses exploits, ne se refuserait pas à lui servir de lieutenant. D'après ces représentations, il n'y eut rien de changé quant à la province de Scipion; et l'on n'eut pas plus recours à un pouvoir extraordinaire pour la conduite de cette guerre, qu'on ne l'avait fait auparavant dans les deux premières guerres puniques, qui, malgré leur importance, avaient été faites et terminées par des consuls ou par des dictateurs ; pas plus que dans les guerres contre Pyrrhus et contre Philippe ; puis postérieurement dans celle d'Achaïe et dans la troisième guerre punique. Pour cette dernière guerre, si le peuple romain voulut s'attribuer le choix du meilleur général, dans la personne de P. Scipion, encore voulut-il qu'il ne commandât qu'en sa qualité de consul. VIII. Nous eûmes contre Aristonicus une guerre a soutenir sous le consulat de L. Valerius et de P. Licinius. On consulta le peuple sur le choix d'un général. Crassus, consul et grand pontife, prononça l'amende contre son collègue Flaccus, flamine de Mars, s'il abandonnait ses fonctions religieuses. Le peuple fit remise de l'amende, tout en enjoignant au flamine d'obéir au pontife. Mais, alors même, le peuple romain ne chargea point de la guerre un simple particulier, et pourtant l'Africain vivait encore, ce Scipion qui, l'année précédente, avait triomphé de Numance, et qui, bien que supérieur à tous en gloire militaire et en courage, n'obtint le suffrage que de deux tribus; et le peuple romain confia au consul Crassus, de préférence à Scipion, simple particulier, la conduite de cette guerre. Quant aux commandements accordés extraordinairement à Cn. Pompée, cet éminent personnage, ce citoyen sans égal, de séditieux tribuns en firent la proposition : car pour la guerre de Sertorius, le sénat n'en chargea un simple particulier que sur le refus des consuls, ce qui fit dire à L. Philippus qu'il envoyait Pompée pour les consuls, et non pas comme consul. Quels nouveaux comices, quelle brigue L. César, ce ferme et grave citoyen, a-t-il donc introduits au sein du sénat? Assez illustre, assez irréprochable, sans doute, est celui à qui il décerne le commandement, mais il n'est que simple particulier. César nous a imposé par là le fardeau d'une alternative embarrassante. Me ranger à son avis, ce serait introduire la brigue au sénat; le combattre, ce serait, en refusant mon suffrage à un homme qui m'est infiniment cher, avoir l'air de m'opposer à son élévation. Si l'on veut changer le sénat en assemblée des comices, sollicitons, briguons : seulement qu'on nous remette la tablette du scrutin, comme on la remet au peuple. Pourquoi nous exposez-vous, César, ou à faire essuyer au personnage le plus distingué une espèce de refus, si l'on n'adopte pas votre proposition ; ou à chacun de nous une sorte de passe-droit, si, placés au même rang pour la dignité, nous ne sommes pas jugés dignes du même honneur? Mais (j'entends d'ici l'objection) un commandement extraordinaire n'a été déféré au jeune César que d'après mon avis. C'est qu'il m'avait prêté, à moi, un secours extraordinaire. Quand je dis à moi, j'entends au sénat et au peuple romain. Celui dont la république recevait un secours assurément inattendu, mais tellement décisif, que sans lui elle périssait, je ne lui déférerais pas un commandement extraordinaire? Il fallait, ou lui ôter l'armée, ou lui donner un commandement : car quel autre moyen? Comment, sans un commandement, peut-on rester à la tête d'une armée? Et ce qui n'a pas été ôté, peut-on le considérer comme donné? Vous eussiez ôté le commandement à C. César, Pères conscrits, si vous ne le lui aviez pas donné. Les vétérans qui, se soumettant à son influence, à son commandement, à son nom, avaient pris les armes pour la république, voulaient être commandés par lui. La légion de Mars et la quatrième légion, en se dévouant à l'autorité du sénat et à la majesté du peuple romain, l'exigeaient pour général et pour chef. L'empire des circonstances donna le commandement à C. César : le sénat lui en a donné les faisceaux. Mais, à un citoyen oisif, livré au repos de la vie privée, dites-moi, je vous prie, L. César (et je m'adresse à un homme parfaitement versé dans notre histoire), le sénat lui conféra-t-il jamais un commandement extraordinaire? IX. Mais c'en est assez sur cet article : je ne veux point paraître refuser mon suffrage à un homme qui m'est infiniment cher, et dont je n'ai reçu que de bons procédés; quoique, après tout, il soit assez difficile de refuser son suffrage à celui qui, non seulement ne demande pas, mais qui même ne veut point accepter. Il est un autre avis, Pères conscrits, contraire à la dignité des consuls, contraire à la gravité des circonstances; c'est celui qui veut que les consuls, afin de poursuivre Dolabella, tirent au sort l'Asie et la Syrie. Je dirai pourquoi cet avis ne serait d'aucune utilité pour la république; mais auparavant, voyez combien il est offensant pour les consuls. Lorsqu'un consul désigné est assiégé; que de sa délivrance dépend le salut de la république; que l'on voit se séparer du peuple romain des citoyens exécrables et parricides; que nous faisons une guerre où nous combattons pour l'honneur, pour la liberté, pour la vie, une guerre telle que quiconque tomberait entre les mains d'Antoine devrait s'attendre aux tourments, aux supplices les plus atroces; lorsque le soin de tous ces grands intérêts a été commis et recommandé à d'excellents, à de courageux consuls, on viendra nous parler de l'Asie et de la Syrie, pour que nous paraissions donner consistance à de vains soupçons ou fournir des aliments à la malveillance! Mais le décret qu'on propose n'est, dit-on, que pour le moment où "Brutus aura été délivré": il ne manquait plus, en effet, que de dire délaissé, abandonné, trahi. Pour moi, je pense qu'on a parlé des provinces en temps tout à fait inopportun; car, C. Pansa, quelque bien intentionné que vous puissiez être, comme vous l'êtes en effet, pour la délivrance de notre courageux, de notre plus illustre concitoyen, cependant une tendance bien naturelle vous porte nécessairement à songer parfois aux moyens de poursuivre Dolabella, et de porter sur l'Asie et sur la Syrie quelque portion de vos soins et de votre attention. Si la chose était possible, je vous souhaiterais plusieurs âmes que toutes vous concentreriez sur Modène. Cela ne se pouvant pas, nous voulons que votre esprit, si excellent, si distingué, ne s'occupe que de Brutus. C'est bien là ce que vous faites, et avec le plus grand zèle; mais deux objets , surtout deux grands objets, nul ne peut les mener de front, ni même les embrasser par la pensée. Nous devons exciter et enflammer votre zèle incomparable, et nous garder de le distraire en rien par d'autres soins. X. Ajoutez les discours que l'on tient, les soupçons, la malveillance. Imitez-moi, vous qui m'avez toujours loué. Le sénat m'avait donné une province munie, comblée de tout ce qui était nécessaire : je m'en démis, afin de pouvoir, bannissant toute autre pensée, éteindre l'embrasement de la patrie. Personne, excepté moi, à qui sans aucun doute, si vous aviez en vue vos intérêts, vous vous seriez fait un devoir, en considération de notre intime amitié, de m'en faire confidence; personne, dis-je, ne croira qu'on vous ait donné malgré vous une province. Ah ! je vous en prie, que votre rare prudence vous détermine à faire taire ce bruit: faites qu'une chose à laquelle vous n'avez jamais pensé, vous ne paraissiez pas la désirer. Vous devez d'autant plus puissamment y travailler, que laisser en butte au même soupçon votre illustre collègue est impossible. Il ne sait rien de tous ces bruits, il ne soupçonne rien, il fait la guerre, il livre des batailles, il combat pour son sang et pour sa vie ; il apprendra qu'on lui a donné une province avant de pouvoir soupçonner qu'on y ait songé. Je crains aussi que nos armées qui, non par l'effet de la contrainte, comme de nouvelles recrues, mais par un zèle volontaire, se sont réunies pour la défense de la république, ne ralentissent leur ardeur, si elles ont lieu de penser que nous songeons à quelque autre chose qu'à la guerre actuelle. Si les provinces paraissent désirables aux consuls, comme elles ont été souvent recherchées par beaucoup d'hommes illustres, rendez-nous d'abord Brutus, le flambeau, l'honneur de l'État; Brutus qu'il faut conserver comme le signe sacré tombé du ciel et déposé dans le temple de Vesta. Brutus sauvé, nous serons tous sauvés. Alors, s'il est possible, nos bras vous élèveront jusqu'au ciel; nous vous choisirons les provinces les plus dignes de vous. Maintenant occupons-nous de l'affaire qui doit nous occuper; c'est-à-dire de savoir si nous vivrons libres, ou si nous subirons une mort indubitablement préférable à l'esclavage. Que serait-ce, si l'avis qu'on propose apportait des lenteurs à la poursuite de Dolabella? En effet, quand le consul viendra-t-il? Attendrons-nous qu'il ne reste en Asie aucun vestige des États et des villes? Mais, dit-on, les consuls enverront un de leurs lieutenants. Sans doute j'approuverais ce parti, moi qui tout à l'heure au citoyen le plus illustre, mais rentré dans la vie privée, refusais un commandement extraordinaire. Mais, dit-on, ils enverront un homme capable. Plus capable que P. Servilius? La république n'en a pas. Ainsi, ce commandement que Servilius lui-même ne croit pas devoir être conféré par le sénat, je consentirais que la volonté d'un seul en disposât? C'est un homme actif et déjà prêt qu'il nous faut, Pères conscrits. Un homme déjà revêtu d'un pouvoir légal, et qui possède, en outre de l'autorité, un nom, une armée, et des intentions éprouvées pour la délivrance de la république. XI. Quel est cet homme? c'est M. Brutus ou C. Cassius, ou même l'un et l'autre ; je voterais volontiers comme dans maints sénatus-consultes «l'un des deux consuls, ou tous les deux,» si nous n'eussions enchanté Brutus en Grèce, si nous n'eussions préféré que ses forces protectrices fussent à portée de l'Italie plutôt que de l'Asie ; non pour que nous pussions détourner nos regards de l'armée de Modène, mais pour que cette même armée eût une réserve outre-mer. De plus, Pères conscrits, M. Brutus se trouve retenu par C. Antonius, (lui est encore maître d'Apollonie, ville considérable et importante, maître, je crois aussi, de Byllis, maître d'Amantia ; qui menace l'Épire et presse l'Illyrie; qui a quelques cohortes et de la cavalerie. Si nous ôtons de là Brutus pour l'envoyer faire la guerre ailleurs, nous aurons perdu la Grèce. Il faut aussi pourvoir à la sûreté de Brindes et de tout ce littoral de l'Italie. Toutefois je m'étonne qu'Antonius tienne si longtemps ; car il est toujours preste à se mettre sur son départ, et n'est pas d'humeur à supporter trop longtemps les alarmes d'un siége. Cette affaire terminée, si Brutus reconnaît qu'il sera plus utile à la république en poursuivant Dolabella qu'en demeurant en Grèce, il agira de lui-même, comme il a fait jusqu'ici; et parmi tant d'incendies auxquels il faut courir sans délai, il n'attendra pas les ordres du sénat : car Brutus et Cassius, en beaucoup d'occasions, ont été leur sénat à eux-mêmes. Il n'est que trop nécessaire, en effet, dans le bouleversement, dans la perturbation où nous sommes, d'obéir aux circonstances plutôt qu'aux anciens usages. Et ce n'est pas la première fois que Brutus et Cassius ont considéré le salut et la liberté de la patrie comme la plus sainte loi, comme l'usage le plus respectable. Quand donc on ne mettrait pas en délibération les mesures à prendre contre Dolabella, je les considérerais néanmoins comme décrétées, puisque nous avons pour les exécuter des citoyens d'une valeur, d'une influence, d'une noblesse si éminente, à la tête de deux armées dont nous connaissons déjà l'une par nous-mêmes, et l'autre par les rapports qui nous sont parvenus. XII. Brutus n'a donc pas attendu nos décrets, parce qu'il connaissait nos voeux. Il n'est point parti pour la Crète, sa province: il a couru en Macédoine, province d'un autre; il a considéré comme à lui tout ce que vous souhaitiez qui fût à vous; il a enrôlé de nouvelles légions, il a pris le commandement d'anciennes; il s'est approprié la cavalerie de Dolabella, et même avant que ce monstre se fût souillé du plus affreux parricide, il l'a, de son autorité privée, déclaré l'ennemi de la république. Et, s'il en était autrement, de quel droit se serait-il approprié la cavalerie d'un consul? et C. Cassius, l'égal de Brutus en grandeur d'âme et en prudence, n'est-il point parti d'Italie avec l'intention arrêtée de fermer la Syrie à Dolabeila? Par quelle loi? de quel droit? Du droit que Jupiter a sanctionné lui-même, et qui rend juste et légitime tout ce qui peut être utile au salut de la république; car la loi n'est autre chose que la droite raison procédant de la volonté des dieux, ordonnant ce qui est honnête, et défendant le contraire. C'est à cette loi que s'est conformé Cassius en partant pour la Syrie, province qui, selon les lois écrites; lui était étrangère; mais qui, ces lois se trouvant mises au néant, appartenait à Cassius par la loi naturelle. Mais, comme il est bon que ces actes reçoivent la sanction de votre autorité, voici quel est mon avis : Attendu que P. Dolabella et les agents, associés, complices de son atroce, de son exécrable forfait, ont été par le sénat et le peuple romain déclarés ennemis de la république ; qu'il a été décidé par le sénat que P. Dolabella serait poursuivi les armes à la main, afin que cet homme, qui, par un crime nouveau, inouï, que rien ne saurait expier, a violé toutes les lois divines et humaines, et s'est rendu coupable envers la patrie d'un affreux parricide, satisfasse aux dieux et aux hommes, en recevant le châtiment qu'il a si bien mérité ; le sénat ordonne que C. Cassius, proconsul, reste en possession de la Syrie, avec tous les pouvoirs attachés au titre le plus légal; qu'il prenne le commandement des armées de Q. Marcius Crispus, proconsul, de L. Statius Murcus, proconsul, et d'A. Allienus, lieutenant, sur la remise qui lui en sera faite par ceux-ci ; qu'avec ces troupes et toutes celles qu'il aura pu ce procurer d'ailleurs, il poursuive P. Dolabella les armes à la main sur terre et sur mer; que pour soutenir cette guerre il ait, comme bon lui semblera, le droit et le pouvoir de requérir, d'exiger des vaisseaux, des matelots, de l'argent et tous autres objets nécessaires pour le bien du service, en Syrie, en Asie, en Bithynie et dans le Pont; que dans quelque province que le conduisent les opérations de cette guerre, le pouvoir de C. Cassius, proconsul, soit supérieur à celui de quiconque occupera cette même province au moment où C. Cassius, proconsul, y entrera; que si le roi Dejotarus père, et le roi Dejotarus fils. qui dans maintes guerres ont souvent assisté le peuple romain, assistent encore de leurs troupes et de leurs subsides C. Cassius, proconsul, ils feront une chose agréable au sénat et au peuple romain ; dé même, si d'autres rois, tétrarques ou dynastes, en ont fait autant, le sénat et le peuple romain ne perdront pas la mémoire de ce service. Enfin, le sénat ordonne que les consuls C. Pansa et A. Hirtius, l'un ou l'autre, ou tous deux, comme ils le jugeront convenable, s'occuperont, immédiatement après le rétablissement de la république, de faire au premier jour leur rapport sur les provinces consulaires et prétoriennes ; et qu'en attendant, les magistrats actuels resteront en possession des provinces qu'ils occupent, jusqu'à ce qu'il ait été pourvu par un sénatus-consulte à leur remplacement. XIII. Par ce sénatus-consulte, vous enflammerez l'ardeur de Cassius, vous ajouterez de nouvelles forces à celles qu'il possède déjà, car vous ne pouvez ignorer ni ses intentions ni le nombre de ses troupes. Ses intentions,vous les connaissez par vous-mêmes; ses troupes, que vous connaissez par les rapports d'autrui, sont sous les ordres d'un homme ferme et courageux, qui, du vivant même de Trebonius, n'aurait pas souffert que le brigandage de Dolabella pénétrât en Syrie. Allienus, mon intime ami, parti depuis le trépas de Trebonius, ne voudra plus du titre de lieutenant de Dolabella. De plus, aux ordres de Q. Cécilius Bassus, citoyen sans autorité légale, il est vrai, mais brave et distingué, est une armée forte et victorieuse. Les rois Dejotarus, père et fils, ont aussi une armée considérable et disciplinée à la romaine. C'est un homme de grande espérance que le fils, d'un esprit éminent, d'un courage sans égal. Que dirai-je du père? Son dévouement au peuple romain a commencé avec sa vie; il a été non seulement l'allié de nos généraux dans différentes guerres, mais lui-même a toujours commandé ses troupes. Quels éloges n'ont pas faits de lui et Sylla, et Murena, et Servilius, et Lucullus! En quels termes honorables et imposants ne l'ont-ils point loué devant le sénat! Rappellerai-je que Cn. Pompée a déclaré que par tout l'univers il n'avait trouvé que Dejotarus sincèrement attaché et véritablement fidèle et dévoué au peuple romain? Nous avons commandé, M. Bibulus et moi, dans des provinces voisines et limitrophes de son royaume: de ce roi nous avons reçu des secours tant en cavalerie qu'en infanterie. Vint ensuite cette cruelle et déplorable guerre civile. Quelle conduite devait alors tenir Dejotarus? Qu'y avait-il réellement de mieux à faire? il n'est pas nécessaire de le dire, surtout lorsque la fortune des armes a décidé autrement que ne pensait Dejotarus. Si, dans cette guerre, il a erré, son erreur lui fut commune avec le sénat ; s'il a embrassé le meilleur parti, abstenons-nous de blâmer le parti vaincu. A ces forces viendront se joindre d'autres rois, et même de nouvelles levées. Les flottes ne manqueront pas non plus , tant les Tyriens estiment Cassius! tant est grande la puissance de son nom en Syrie et en Phénicie! XIV. La république, Pères conscrits, possède en C. Cassius un général tout prêt contre Dolabella, et non seulement tout prêt, mais plein d'expérience et de bravoure. Il a fait de grandes choses avant l'arrivée de Bibulus, cet illustre citoyen, en repoussant les généraux fameux et les immenses armées de Pacorus ; en délivrant la Syrie des redoutables irruptions des Parthes. Je passe sous silence son plus beau titre, son titre spécial de gloire; car, en le préconisant, je pourrais bien ne pas plaire encore à tout le monde; conservons-le donc en notre mémoire, sans que notre voix le publie. J'ai cru entendre, Pères conscrits, quelques personnes dire que j'honore trop Brutus, que je vante trop Cassius, et que mon avis tendait à donner à Cassius la puissance souveraine. Quels sont les hommes que j'honore? Précisément ceux qui sont eux-mêmes l'honneur de la république. N'ai-je donc pas toujours et par tous mes avis honoré D. Brutus ? M'en ferez-vous donc un reproche? Sont-ce les Antoine que je dois plutôt honorer, eux la honte et l'opprobre de leur race et du nom romain ? Dois-je honorer Censorinus, ennemi dans la guerre, et dans la paix enchérisseur de nos biens? Rassemblerai-je tous les autres débris de cette bande de brigands? Quant à moi, ces ennemis du repos, de la concorde, des lois, de la justice et de la liberté, loin que je les honore, rien ne m'empêchera de les haïr autant que j'aime la république. Prenez garde, dit-on, d'offenser les vétérans. J'entends souvent répéter ces paroles. Oui, je dois tous égards aux vétérans, quand ils pensent bien, mais je ne dois pas les craindre. Ces vétérans, qui pour la république ont pris les armes, qui ont suivi C. César en souvenir des bienfaits de son père, et qui défendent aujourd'hui la république malgré l'imminence des dangers, non seulement je leur dois des égards, mon devoir est aussi de concourir à augmenter leur bien-être. Ceux qui se tiennent en repos comme la sixième et la huitième légion, me paraissent mériter de la considération et des éloges. Mais quant aux compagnons d'Antoine, qui, après avoir dévoré les bienfaits de César, assiégent un consul désigné, menacent Rome du fer et de la flamme, et se sont livrés à Saxa et à Caphon, hommes nés pour le crime et pour le pillage, quels égards peut-on leur devoir? Ainsi ce sont ou des soldats dévoués qu'il faut récompenser, ou des citoyens paisibles qu'il faut protéger, ou des rebelles sacrilèges dont la fureur et les hostilités nous ont justement portés à prendre contre eux les armes. XV. Quels sont donc ceux d'entre les vétérans que nous craignons d'offenser? Seraient-ce ceux qui désirent délivrer D. Brutus des périls d'un siége? Puisqu'ils s'intéressent au salut de Brutus, pourront-ils haïr le nom de Cassius? Seraient-ce ceux qui n'ont pris les armes pour aucun parti? Je ne crains pas de trouver un mauvais citoyen parmi les amis du repos. Quant à la troisième catégorie, ce ne sont pas des vétérans, mais de détestables ennemis auxquels je désire infliger le châtiment le plus terrible. Mais enfin, Pères conscrits, jusques à quand réglerons-nous nos opinions sur la volonté des vétérans ? Quelle est donc leur arrogance, quelle est donc leur présomption, d'exiger qu'au gré de leur caprice nous choisissions des généraux? Quant à moi, Pères conscrits (je dirai toute ma pensée), je crois que nous devons moins nous occuper des vétérans que songer à ce que les jeunes soldats, cette fleur de l'Italie, à ce que les nouvelles légions, toutes prêtes à voler au secours de la patrie, à ce que toute l'Italie penseront de votre fermeté. Rien ne conserve une vigueur éternelle. Une génération nouvelle succède à l'autre. Les légions de César ont longtemps été la force de Rome; maintenant c'est dans les légions de Pansa, dans celles d'Hirtius, dans celles du jeune César, dans celles de Plancus qu'elle réside. Elles l'emportent en nombre, elles l'emportent en jeunesse, elles l'emportent même en influence : car elles font une guerre approuvée par tous les peuples : aussi leur a-t-on promis des récompenses. Envers les vétérans on s'est acquitté. Que ceux-ci jouissent des récompenses qu'ils ont reçues; que les autres reçoivent celles que nous leur avons promises. Voilà, j'en ai l'espoir, la conduite que les dieux immortels jugeront la plus équitable. D'après ces considérations, je demande, Pères conscrits, que la proposition que je viens de vous soumettre obtienne votre approbation. |