Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 100 à 149)

50 à 99 - 150-199

 

OEUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

Cicéron

 

Correspondance : lettres 100 à 150

 

 




 


 

 

100. — A P. LENTULUS, PROCONSUL Rome, février.

F. I, 5 (IIe part). Vous ne manquez pas, je pense, de correspondances et de messages pour vous instruire des nouvelles du jour et des faits accomplis : mon rôle, à moi, est de m'occuper de l'avenir et de vous annoncer les événements en germe. Depuis la scène du 8 des ides de février, où Pompée , défendant Milon dans l'assemblée du peuple, fut accueilli par des clameurs et des injures; depuis la dure et sanglante accusation que Caton lui lança en plein sénat, au milieu d'un silence profond , je le trouve tout consterné, et je crains qu'il ne songe plus à l'affaire d'Alexandrie, laquelle est encore dans le même état par rapport â nous; car le sénat ne vous a ôté que 105 ce qu'il ne veut, par scrupule religieux, donner à  personne. Or donc, le roi verra qu'il ne sera pas rétabli par Pompée, comme il s'en flattait, et qu'à moins que ses intérêts ne vous soient remis , son sort est de languir désormais dans l'oubli et dans l'abandon. Alors il faudra bien qu'il se jette entre vos bras : voilà mon espérance , et c'est dans ce but que je manoeuvre. l'as le moindre doute qu'il ne se tourne vers vous, pour peu que Pompée dise un mot. Mais vous connaissez Pompée, son apathie, son humeur taciturne. Je ne négligerai rien pour arriver au bout. J'espère avoir raison aussi des injurieuses difficultés élevées par Caton. Entre tous les consulaires, je ne vous vois réellement d'amis qu'Hortensius et Lucullus. Chez tout le reste, malveillance sourde ou inimitié non déguisée. Ayez courage et confiance. Votre adversaire est un homme bien léger. L'orage passera , et vous retrouverez et les égards qui vous sont dus, et la gloire qu'on vous dispute.

101.— A P. LENTULUS , PROCONSUL. Rome, mars.

F. I, 6. Vous saurez par Pollion ce qui se passe; il a assisté, présidé à tout. Dans la douleur extrême que j'éprouve à votre sujet , je me console pourtant en pensant qu'infailliblement la sage conduite de vos amis et le temps qui affaiblit tout, jusqu'au venin de l'envie et de la haine, finiront par triompher de la perversité des hommes. C'est une consolation aussi pour moi que le souvenir de mes disgrâces dont je retrouve une image dans les vôtres ; si ce n'est qu'il y va pour vous de peu de chose, et qu'il y allait de beaucoup plus pour moi : le rapport est si frappant , que vous me pardonnerez, j'espère, si je parle avec quelque sang-froid d'un résultat auquel vous étiez vous-même résigné d'avance. Restez tel que je vous connais et vous ai connu , comme disent les Grecs , à l'âge ou vous aviez encore l'ongle tendre. Les attaques de l'envie donneront du relief à votre gloire. Je suis toujours à votre service en tout et pour tout sur ce point; votre attente ne sera pas trompée.

102. — A QUl.NTUS. Rome, mars.

Q. II, 4. Notre Sextius a été absous le cinquième jour des ides de Mars, et, chose importante pour la république, dans une pareille cause, absous sans division. Vous aviez craint de voir les malveillants me taxer d'ingratitude, si je n'avais pas pour cet esprit de travers toute la condescendance possible. Eh bien! sachez que j'ai maintenant la réputation de l'homme le plus reconnaissant qu'il y ait au monde. En défendant un homme de ce caractère , j'ai , certes, bien mérité de lui. Mais ce qui a porté sa satisfaction au comble, c'est que j'ai mis sous mes pieds son adversaire Vatinius, avec l'applaudissement des dieux et des hommes. Bien plus , notre ami Paulus , qui était venu comme témoin à charge , s'est proposé résolument pour accuser Vatinius, au cas ou Licinius Macer hésiterait à se présenter. Et Macer, se levant du banc de Sextius , a protesté qu'il ne manquerait pas à l'appel. Que vous dirai-je? L'insolent, l'effronté Vatinius s'est retiré confondu et humilié. — Votre cher petit Quintus est un charmant garçon ; ses études vont à merveille. Je vois ses progrès, maintenant que Tyrannion  106 lui donne leçon chez moi.  Nos constructions se poursuivent rapidement. J'ai fait payer moitié à votre entrepreneur. Avant l'hiver, nous serons, j'espère, sous le même toit. Je suis enfin d'accord du moins je m'en flatte, avec Crassipès, pour le mariage de ma chère Jullie qui vous aime de tout son coeur. Il y a, après les fêtes latines, deux jours qu'on regarde comme sacrés; tout a été convenu, comme le dernier jour de ces fêtes expirait.

103. — .A QUINTUS.  Rome, avril.

Q. II, 5. Je vous ai écrit dernièrement que notre chère Tullie avait été fiancée à Crassipès la veille des nones d'avril. Ma lettre contenait aussi quelques détails d'affaires publiques et privées. Voici les nouvelles postérieures. Le sénat a décrété, le jour des nones d'avril, qu'une somme de cent mille sesterces serait mise à la disposition de Pompée pour acheter des blés. Le même jour, il y eut au sénat un débat violent sur les terres de Campanie. On y cria presque autant qu'au forum. Ce qui aigrissait les esprits , était la rareté de l'argent et la cherté des subsistances. — Il y a encore (je ne vous fais grâce de rien) l'aventure de Furius Flaccus, chevalier romain, très mauvais sujet que les corporations Capitoline et Mercuriale ont toutes deux évincé de leur collège, lui présent, et malgré toutes ses génuflexions.

104. — A QUINTUS. Rome, avril.

Q.  II,  6. Les des ides d'avril , j'ai donné à Crassipès le souper des fiançailles. Votre bon petit Quintus, qui est mon enfant aussi, avait éprouvé un léger malaise ; il n'a point été de la fête. J'allai le voir le surlendemain, et le trouvai tout a fait remis. Il a beaucoup causé, et de la manière la plus aimable, des querelles de nos femmes. Il faut le dire : c'est le plus charmant enfant, Pomponia .se plaint encore de vous. Je vous en parlerai a notre première rencontre. — Je suis allé, en quittant votre fils, visiter le terrain de vos constructions. Il y avait beaucoup de monde à l'ouvrage. J'ai pressé Longilius, votre entrepreneur, qui m'a juré que nous aurions lieu d'être contents de lui. La maison sera fort belle. On peut mieux en juger aujourd'hui que sur le plan. La mienne aussi avance beaucoup. Je soupai ce jour-là chez Crassipès. En sortant de table, j'allai en litière rendre visite à Pompée dans ses jardins. Je n'ai pu rejoindre Luccéius, qui était absent. Je tenais à le voir, parce que le lendemain je devais quitter Rome, et qu'il allait partir pour la Sardaigne. Enfin, je le rencontrai, et je lui demandai en grâce de vous rendre promptement à nous. « Sur-le-champ, « m'a-t-il répondu. Il partira, dit-il, le troisième des ides d'avril, et s'embarquera à Labron ou à Pise. Vous, mon cher frère, aussitôt après son arrivée, tenez-vous prêt à vous mettre eu mer ; mais choisissez un temps propice. L'avantage dont vous parlez ne m'émeut que très modérément. Il sera bien venu s'il se présente; mais je ne me remuerai certes pas pour le faire naître. Je bâtis dans trois endroits différents, et je remets à neuf tout ce que j'ai ailleurs. J'ai un peu augmenté mon train de vie. Je voudrais vous avoir ici, pour cesser de m'occuper d'ouvriers. Mais nous pourrons bientôt, j'espère , raisonner de tout cela ensemble. — Voici la situation à Rome. Lentulus est un consul excel- 107 lent ; son collègue le laisse faire; il est si bon, dis-je,  que je n'en ai jamais vu de meilleur; il a retranché les jours préparatoires des comices. Il fait recommencer les fériés latines, et cependant les supplications ne manquent pas. C'est un moyen de parer à des lois détestables, celles de Caton notamment. A propos de Caton, notre Milon vient de lui jouer un bon tour. Ce grand protecteur des gladiateurs et des bestiaires avait acheté de Cosconius et de Pomponius un certain nombre de ces derniers, qui l'escortaient en public tout armés. Mais il n'avait pas de quoi les nourrir; aussi n'en était-il maître qu'à peine. Milon s'en douta. Il s'adresse à un étranger, comme moins suspect d'intelligence avec lui, et lui donne mission d'acheter à Caton toute sa séquelle. La marchandise livrée, Rucilius, le seul tribun du peuple qui soit des noires, livre l'affaire en public, déclarant, comme on en était convenu, que l'achat a été fait pour son compte; et il fait afficher qu'il va remettre en vente toute la maison de Caton. Cette affiche a fait bien rire. Lentulus a donc coupé court à cette fabrication de lois de Caton , et à toutes ces propositions monstrueuses sur César, auxquelles personne ne disait mot. Caninius est bien refroidi pour Pompée. Il a trouvé trop peu de faveur. On blâme même Pompée de sa conduite avec Lentulus, son ami. Et certes, ce n'est plus le même homme. L'affaire de Milon l'a mis assez mal avec la canaille; et les honnêtes gens lui donnent tort de ce qu'il fait et de ce qu'il ne fait pas. J'en veux cependant à Marcellinus de le traiter si rudement. Le sénat n'en est pas fâché; raison de plus pour moi de me tenir éloigné du sénat et du gouvernement. Dans les causes privées , je suis toujours ce que j'étais. Ma maison n'a jamais été plus fréquentée. Je n'ai eu qu'un désagrement dans l'affaire de Clodius, et cela par l'étourderie de Milon. J'aurais voulu qu'on choisît pour l'accusation un autre moment, et des hommes plus forts pour porter la parole. Trois voix infâme sont fait manquer la condamnation. Mais la vindicte publique la réclame ; on y reviendra. L'opinion est par trop révoltée. Son arrêt a tenu à si peu, même avec des juges a lui , que d'avance on peut être sur qu'il n'échappera point. Le discrédit de Pompée nous a nui dans cette circonstance. Au .sénat, il y avait majorité pour l'acquittement; les chevaliers étaient partagés ; les tribuns du trésor voulaient punir. Ce qui me console , c'est que je vois chaque jour condamner quelqu'un de mes ennemis. Servius, par exemple, vient d'avoir un rude échec, à ma grande satisfaction. On tombe également sur les autres. C. Caton a menacé à la tribune d'empêcher la tenue des comices, si l'on retranchait les jours où il peut parler au peuple, Appius n'est pas encore revenu d'auprès de César. — J'attends une lettre de vous avec impatience. La mer, je le sais, est encore fermée. Plusieurs voyageurs sont cependant, dit-on, arrivés d'Olbie, ne tarissant pas sur votre éloge et sur la réputation que vous vous êtes faite dans la province. Ils annoncent votre arrivée par le premier navire. Puissent-ils dire vrai! On ne peut vous désirer plus vivement que je ne vous désire. Mais auparavant je veux avoir de vos lettres. Adieu mon cher frère.

105. — A  ATTICUS. Rome.

A. IV, 4. Vous serez bien aimable si vous venez.  Vous verrez le merveilleux arrangement 108 de mes livres par Tyrannion. Ce qui me reste est meilleur que je ne le pensais. Soyez assez bon pour m'envoyer deux hommes de votre bibliothèque : Tyrannion les emploiera comme colleurs et à d'autres ouvrages. Recommandez-leur d'apporter des parchemins pour faire les litres, ce que vous autres Grecs vous appelez, je crois, sillybes (découpures de peau); mais il ne faut pas que cela vous dérange le moins du monde. Surtout, tâchez de venir, de rester un peu, d'amener Pilia (femme d'Atticus). Oui, Pilla; vous le lui devez bien, et Tullie le désire. Sur ma parole, vous avez acheté une troupe magnifique. On dit que ces gladiateurs sont admirables au combat. Si vous aviez voulu les louer , vous auriez en deux fois retrouvé leur valeur. Nous en causerons plus tard. Arrangez-vous pour venir, et expédiez-moi sur-le-champ ce que je vous demande pour ma bibliothèque. Vous serez bien aimable.

106. — A ATTICUS. Antium, avril.

A. IV, 5. Quelle invention! Est-ce qu'il y a quelqu'un au monde par qui je tienne plus à me faire lire et approuver que par vous? Pourquoi avoir donné d'abord ce livre (son poème sur le consulat) à un autre ? Pourquoi?... On me pressait.... Je n'avais qu'un exemplaire; je.... Allons! j'ai beau tourner autour; il faut y arriver.... Eh! bien! c'est une palinodie, dont je ne laissais pas d'être un peu confus. Mais adieu la droiture, l'honneur, les belles maximes. On ne saurait imaginer tout ce qu'il y a de perfidie chez les hommes qui veulent être nos chefs , et qui avec un peu, de loyauté, n'auraient pas en effet manqué de le devenir. Je les ai vus à l'épreuve ; je les connais, je les sais par coeur, moi qu'ils ont mis en avant , puis abandonné et poussé dans le précipice. Cependant mon intention était de ne pas me séparer d'eux. Hélas! tels ils étaient, tels ils sont encore. Vous m'avez ouvert les yeux. — Mais je vous avais, direz- vous, tracé une ligne de conduite, et je ne vous avais pas conseillé d'écrire. Eh bien! je le déclare. J'ai voulu m'imposer la nécessité de cette nouvelle alliance, et m'interdire tout retour vers ceux qui, aujourd'hui encore, continuent de m'envier, quand ils devraient me plaindre. Je suis toutefois, en écrivant, resté dans une certaine réserve. Plus tard, je m'abandonnerai davantage, si cet écrit est bien venu d'un coté, et si de l'autre il fait ronger un peu le frein a ceux qui trouvent mauvais que la maison de Catulus soit à moi , comme si ce n'était pas de Vettius que je l'eusse achetée , et qui me blâment de rebâtir ma maison au lieu d'en vendre le terrain. Mais voici bien mieux. Lorsqu'il m'arrive de parler dans leur sens, et d'obtenir leur approbation, leur plus grande joie est de me voir ainsi en opposition avec Pompée! Il y a fin à tout; et puisque ceux qui ne peuvent rien ne veulent plus de moi, je chercherai des amis parmi ceux qui ont la puissance. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je vous le conseille, allez-vous dire encore. Oui, je lésais, et je n'ai été qu'un âne. Enfin , le temps est venu ou je veux, a défaut d'autres amis, m'aimer un peu moi-même. Mille et mille grâces pour vos visites réitérées à mes travaux. Crassipès me dépouille ; l'argent du voyage y a passé. Débarquez tout droit chez moi , je vous prie. Il me convient mieux de n'aller chez vous que le lendemain ; et à vous, que vous importe? Au surplus, nous réglerons cela. Vos ouvriers ont merveilleusement décoré ma bibliothèque et mes livres. Veuillez leur en faire compliment.

109 107. — A QUINTUS. Antium, avril.

Q. II, 7. Aujourd'hui, troisième des ides d'avril, je vous écris avant le jour et déjà en chemin : car je veux arriver dans la journée à Anagni chez T. Titus, ou je m'arrêterai. Je coucherai demain à Latérium. De là j'irai à Arpinum , ou je passerai cinq jours ; puis à Pompéi. A mon retour, je ne ferai que donner en passant un coup d'oeil à ma maison de Cumes; car je veux être à Rome la veille des nones; l'audience de Milon devant s'ouvrir le lendemain. J'espère bien, mon cher et très aimable frère, vous voir aussi ce jour-là. J'ai cru devoir suspendre les travaux d'Arcanum jusqu'à votre arrivée. Portez-vous bien , mon cher frère , et venez au plus vite.

108  — A L. LUCCÉIUS, FILS DE QUINTUS. Mai.

F. V, 12. J'ai eu souvent la bouche ouverte pour vous faire un aveu ; mais toujours une sotte honte m'a retenu : maintenant que vous êtes loin , je parlerai avec plus de confiance. Une lettre ne rougit point. Je suis tourmenté d'un désir dont il est impossible de se faire une idée , et qu'en vérité je ne crois pas un crime ; c'est que vous vouliez bien répandre sur mon nom le prestige et l'éclat de votre talent. Vous m'avez souvent témoigné l'intention d'écrire mon histoire. Eh bien ! pardonnez à  mon impatience. Vos ouvrages, dont je me faisais une haute idée, ont tellement dépassé mon attente, m'ont tellement subjugué, transporté, que je brûle de voir associer ma gloire aux monuments de votre génie. Ce n'est pas seulement dans l'espérance d'un peu d'immortalité que je souhaite une mention de vous près des siècles à venir : je voudrais aussi jouir, de mon vivant , soit de l'autorité de votre témoignage, soit de cette marque de votre bienveillance, ou de ce charme de votre style. — En exprimant ce voeu, je n'ignore pas que vous pliez sous le poids de vos travaux et des engagements que vous avez pris avec vous-même. Mais je considère que vous venez de finir ou à peu près l'histoire de la guerre Italique et celle de la guerre civile ; et suivant ce que vous m'avez dit, vous êtes au moment d'aborder l'époque qui vient après. Or je ne veux point me faire le tort de ne pas au moins vous demander s'il convient de comprendre ce qui me concerne dans la narration des autres événements , ou s'il ne vaudrait pas mieux , à l'exemple des Grecs qui ont des histoires générales et des histoires particulières pour les guerres, telles que la guerre de Troie, de Callisthènes; la guerre de Pyrrhus, de Timée; la guerre de Numance, de Polybe ; s'il ne vaudrait pas mieux, dis-je, séparer la conjuration de Catilina de l'histoire des guerres extérieures et étrangères de la république. Au fond , je ne vois pas que ma gloire y soit très intéressée. Mais mon impatience l'est bien un peu à vous voir anticiper sur l'ordre des temps, et arriver de plein saut au fait spécial et à la période qui me touchent. J'imagine d'ailleurs que n'ayant à s'occuper que d'une époque et que d'un personnage, l'écrivain traite son sujet avec plus de verve et s'y joue avec plus de grâce. — Je ne me dissimule pas ce qu'il faut d'indiscrétion pour vous proposer un fardeau semblable ; car déjà vos occupations se refusent à tout surcroît de charge; ce qu'il en faut surtout pour oser vous demander, comme je le fais, de célébrer ma vie. Suis-je seulement si vous trouvez le sujet digne devons inspirer? — Après tout, en fait d'indis- 110 crétion, la limite une fois passée, on ne doit pas être effronté à demi : je vous demanderai donc sans détour déchanter mes actions, et de les faire valoir au delà même de ce qu'elles méritent peut-être à vos yeux, et sans trop vous asservir aux lois sévères de l'histoire. Et si vous sentiez, un peu pour moi de cette prévention dont vous parlez avec tant d'agrément dans une préface, où vous déclarez qu'elle n'a pas eu plus de prise sur vous que la volupté sur l'Hercule de Xénophon , n'y résistez pas, je vous prie; et dût-il en coûter un peu à la vérité, laissez-vous aller à ce que votre coeur vous dira pour moi. Si je puis vous décider une fois à commencer, je suis persuadé que le sujet plaira à votre riche et brillante imagination. Il me semble qu'en prenant les choses, depuis le commencement de la conjuration jusqu'à l'époque de mon retour, vous trouvez la matière d'un beau petit volume. Vous avez une connaissance parfaite des modifications successives qu'a subies notre constitution. Vous pourrez expliquer les causes des innovations diverses , signaler le remède a appliquer aux désordres. Vous blâmerez Ce qui est mal ; vous direz comment et pourquoi vous louez ce qui vous semble bien. Enfin, si vous restez fidèle à la franchise habituelle de votre caractère , vous aurez à stigmatiser bien des perfidies, des surprises, des trahisons. Les événements de ma vie ont été si divers qu'il en résultera nécessairement de la variété dans l'ouvrage, de cette variété pleine de charme qui commande jusqu'au bout l'attention et l'intérêt des lecteurs. Il n'y a pas, en général, de tableau plus attachant que celui des vicissitudes humaines et des retours de la fortune. Il eût sans doute mieux valu pour moi n'en pas faire la triste expérience ; mais le récit ne m'en déplaira point : car il y a de la douceur au souvenir de ce qu'il a souffert. Quant aux indifférents, à ceux qui voient, d'un lieu sûr, les épreuves des autres, le spectacle d'une grande infortune les intéresse et les touche. Quel est celui d'entre nous qui ne se sent saisi d'une pitié délicieuse à la vue d'Épaminondas frappé à Mantinée, et inquiet de son bouclier seulement, ne laissant arracher le fer de sa blessure que quand on vient lui dire (pie son bouclier est sauvé, et faisant voir en ce beau trépas une vertu plus haute que la douleur et la mort? Quel est le lecteur dont l'attention ne soit frappée vivement du récit de la fuite et du retour de Thémistocle? La succession méthodique des années ne fait trouver qu'un plaisir médiocre dans le dénombrement des fastes. Mais dans la vie d'un grand homme, dans ses phases et ses péripéties diverses, quelle variété d'émotions! Stupeur, anxiété, joie, tristesse, espérance, terreur; et si la catastrophe a quelque chose d'extraordinaire, le plaisir de l'esprit est au comble. — Voila pourquoi je souhaite si ardemment que vous sépariez du corps de votre histoire ce que j'appellerai le drame de mes actions et des événements qui s'y rapportent. C'est en effet un drame en plusieurs actes, à grands mouvements de scène, où la conduite et la fortune se partagent l'intérêt. Je ne crains pas qu'on me reproche d'user près de vous d'une petite manoeuvre de flatterie pour surprendre votre amour-propre, quand je dissimule si peu combien je désire vous avoir, vous et vous seul, pour panégyriste et pour chantre. Vous n'êtes point de ceux qui ignorent ce qu'ils sont, et vous ne regardez pas plus comme des envieux ceux qui ne vous admirent pas que comme des flatteurs 111 ceux qui vous louent. Je ne suis pas non plus assez c'est simple pour vouloir être recommandé à la postérité par un écrivain qui n'aurait pas de gioire à prétendre de ce qu'il entreprendrait pour la mienne, Le grand Alexandre ne voulait avoir son portrait que de la main d'Apelles,et sa statue, que de Lysippe . Était-ce seulement pour leur plaire? Non. C'était préférence pour le talent, par qui le héros s'associe à la gloire de l'artiste. Cependant la peinture et la statuaire se bornent à reproduire l'image des héros ; et nous n'aurions ni portraits ni statues des grands hommes , que leur gloire n'en serait pas moindre. Agésilas de Sparte ne voulut jamais poser devant peintre ni statuaire. Faut-il l'estimer moins que ceux qui ont tenu à nous conserver leurs traits? Le petit livre de Xénophon sur ce roi a fait bien plus pour sa renommée que ne feraient tous les portraits et toutes les statues du monde. Or ce qui donnera tant de joie à mon coeur et de relief à ma gloire , si mon nom vient à prendre place en vos écrits, c'est que non seulement je proliférai du génie de l'écrivain, comme Timoléon de celui de Timée, et Thémistocle de celui d'Hérodote, mais que je pourrai me prévaloir de l'autorité de l'homme d'État célèbre et respecté, dont les preuves ont été faites dans les temps les plus critiques, et qui est sorti de toutes les positions avec honneur. Heureux Achille, disait Alexandre à Sigée, d'avoir été chanté par Homère! Aussi heureux moi-même, j'aurai de plus le bonheur d'être jugé par un grand et illustre citoyen. J'aime l' Hector de Névius, qui est ravi d'être loué, surtout, ajoute-t-il , par ceux que tout le monde loue. Si vous me refusez, c'est-à-dire, s'il va des obstacles insurmontables à l'accomplissement démon voeu ( un refus de votre part ne peut s'expliquer autrement), j'en serai réduit à une nécessité qui n'est pas du goût de tout le monde. Je serai forcé d'écrire moi-même mon histoire. Il y en a de nombreux exemples, et d'illustres. Mais vous n'ignorez pas la fausse position où l'on se trouve : on doit parler avec timidité de ce qu'on a fait de bien, et passer sur ce qu'on a fait de mal. Le lecteur manque de confiance, et le livre, d'autorité. Enfin les adversaires de ce genre d'écrits disent que, pour se faire historien de soi-même, il faut avoir moins de vergogne que les hérauts des jeux publics qui, après avoir couronné les vainqueurs, et proclamé les noms à haute voix, font eux-mêmes proclamer leurs prix par la voix d'un héraut pour n'avoir pas à se couronner de leurs propres mains. Voilà ce que je voudrais éviter, et il dépend de vous que je l'évite. Consentez donc, je vous en conjure, et ne vous étonnez pas de la répétition et de la vivacité de mes instances, après que vous-même m'avez tant de fois annoncé l'intention de consigner dans un écrit de vous, mes actions et les événements auxquels j'ai été mêlé. Je vous l'ai dit : mon naturel est ardent, et je meurs d'impatience de voir de mon vivant ceux qui ne me connaissent pas apprendre de vous à me connaître, et de jouir au moins avant ma mort du peu de gloire que j'ai mérité. — Je ne voudrais pas vous déranger le moins du monde ; cependant veuillez me faire savoir ce que vous aurez décidé. Si vous dites oui , j'achè- 112 verai les notes que j'aurai a vous remettre. Si vous m'ajournez à un autre temps, nous en reparlerons. Ne suspendez rien jusque-la ; revoyez ce que vous faites, cl surtout ne cessez pas de m'aimer.

109. — A ATTICUS.

A. IV, 6. Oui, je regrette, comme je le dois, Lentulus (Flamen) . Nous avons perdu un homme de bien, de grand caractère, unissant la douceur à l'élévation des sentiments. Mais je me fais une sorte de consolation, fort triste d'ailleurs, qui ne me permet pas de donner le moindre regret à son sort ; non que ma philosophie soit celle de Sauféius et de vos amis; je veux dire seulement qu'aimant autant sa patrie, c'est par une faveur spéciale des dieux que Lentulus échappe au spectacle de son embrasement. Qu'y a-t-il de plus avili que notre existence, que la mienne surtout? car enfin, vous que la nature avait fait homme politique , vous n'avez aucun engagement particulier, et vous ne supportez que le joug commun. Mais moi , si je dis des affaires publiques ce qu'il faut en dire, on me traite de fou; si j'indique le remède applicable , on crie à la bassesse ; si je garde le silence, c'est que je subis l'oppression et me résigne à l'esclavage. Comment ne pas être au supplice? Supplice d'autant plus insupportable que je ne pourrais pas même exhaler mie plainte, sans passer pour un ingrat. Encore si je pouvais tout laisser là et chercher le repos dans un port ! Mais non. Des combats, des camps! Et je serai soldat, lorsque j'aurais pu être général! Hélas! il le faut. Aussi bien vous le voulez, je le vois. Et que n'ai-je toujours suivi vos conseils ! Puis à Sparte comme a Sparte. Mais , grands dieux ! comment s'y résoudre? Ah ! que je comprends bien la réponse de Philoxène : " Retournons aux Carrières ! » Cependant, je commente ici ce mot, et ne le trouve guère de mise. Venez; j'apprendrai de vous à le condamner tout à fait. — Vous m'avez écrit plusieurs lettres; je les ai reçues toutes ensemble. Et quelle triste chose! Le hasard a voulu que je visse d'abord les trois où vous m'annonciez de l'amélioration dans la santé de Lentulus. La quatrième a été un coup de foudre. Cependant il n'est pas malheureux , je le répète, et nous, il faut que nous .soyons de fer ! Vous me rappelez le livre pour Hortensius : des incidents sont survenus. Mais je n'oublie point la tâche que vous m'avez imposée. Pourtant, je vous le jure , j'ai été arrêté au premier pas. Après avoir joué un r^le de dupe lors des bévues de cet ami, ne vais-je pas me montrer une seconde fois dupe en mettant mon injure au grand jour de la publicité ? et ma bonhomie, qui n'a déjà que trop paru dans ma conduite, ne sautera-t-elle pas mille fois plus aux yeux dans un écrit? Puis, cette petite satisfaction ne passera-t-elle pas pour un acte de légèreté? — Enfin, nous verrons. Ne vous lassez point de m'écrire. Tâchez d'obtenir de Luccéius communication de la lettre que je lui ai adressée pour le prier de faire mon histoire. Elle est tout à fait bien. Soyez assez bon pour stimuler son zèle, et remerciez-le mille fois de la bonté qu'il a eue d'accueillir mon voeu. Visitez le plus souvent que vous pourrez les travaux de ma maison, et parlez de moi à Vestorius. Il est impossible d'avoir de meilleurs procédés que lui.

110. — A ATTICUS. Arpinum, mai

A. IV, 7. Jamais lettre ne vint plus à propos : j'étais dans une inquiétude mortelle sur notre 113 cher et charmant Quintus, et elle m'a tout à fait rassuré. Chérippe était arrivé deux heures auparavant. Ses nouvelles étaient à faire trembler. Apollonius, dites-vous, (ce Grec, que les dieux confondent ! ) se croit aussi permis de faire  comme les chevaliers romains. Térentius au moins est dans son droit. — Quant à Métellus Respect aux morts ! Cependant il y avait longtemps qu'on n'avait vu mourir un homme qui.... Eh bien! moi, je vous garantis votre argent. Car que pouvez-vous craindre, quel que soit son héritier? à moins pourtant qu'il n'ait institué Clodius. Au fait, ce n'est pas là ce qu'il aurait fait de pis, tout méchant homme qu'il était. En définitive, votre caisse pourrait bien ne revoir jamais cet argent-là. Une autre fois, vous y regarderez de plus près. — Suivez bien mes instructions, je vous prie, pour ma maison. Placez-y des gardes. Avertissez Milon. On murmure horriblement à Arpinum au sujet du Latérium (Maison de campagne de Quintus). Que voulez-vous?.J'en gémis. Mais il (Quintus ) se moque des propos. Ai-je quelque chose encore à vous dire? Oui. Continuez de bien aimer Cicéron notre cher enfant.

111. —  A ATTICUS. Antium, mai.

A. IV, 8. (1ere part.). Il y a une foule de mots charmants dans votre lettre, mais je n'aime rien tant que le plat de tyrotaritpie (Plat salé fort commun). Et mes rauduscules (Monnaie de cuivre.  Le sens est : plus de petites dettes)? Mais il ne faut, dites- vous, appeler personne heureux avant sa mort. Je ne trouve rien de bâti qui vous convienne dans mon canton. Il y a bien une maison dans la ville même; mais je ne sais si elle est à vendre. Elle est tout près de ma demeure. Or, sachez qu'Antium est à Rome précisément ce que Buthrote est à Corcyre. Il n'y a pas de séjour plus paisible, de meilleur air et de site plus délicieux C'est à prendre en grippe son chez soi. — Depuis que Tyrannion a arrangé ma bibliothèque, il a donné comme une âme à ma maison. Il est vrai que Dyonisius et votre Méxophite y ont aussi fait merveille. Rien de plus élégant que vos telles divisions, surtout avec mes livres, maintenant couverts de leurs ornements. Pariez-moi des gladiateurs, je vous en conjure; mais seulement s'ils ont été bien. Sinon , prenez que je n'en veux rien savoir.

112. Q. MÉTELLUS NÉPOS A CICÉRON. Espagne.

F. V, .3. Vos bons procédés me consolent des outrages dont le plus odieux de tous les hommes m'accable journellement à la face du peuple. Ils sont sans portée, venant d'un pareil personnage, et je les veux compter pour rien. C'est de grand coeur que je vous offre la place d'un frère dans mes affections. Il me semble que déjà vous m'en tenez lieu. Quant à l'autre , je ne veux pas lui conserver même un souvenir, moi qui l'ai pourtant deux fois sauvé malgré lui. Pour ne point vous accabler de lettres, j'ai écrit en détail à Lollius sur ce qui me touche. Il a mes instructions touchant les comptes de la province , et je le charge de vous les communiquer. Tâchez d'avoir toujours pour moi la même bienveillance.

113.  A P. LENTULUS, PROCONSUL

F. I, 7. J'ai reçu la lettre où vous vous montrez si reconnaissant de mon exactitude à vous mettre au courant de ce qui se passe, et de toutes les preuves d'affection que je vous donne. Mais en vous aimant tendrement, que fais-je, sinon me montrer tel que vous m'avez forcé d'être? Et 114  quand je vous écris , n'est-ce pas une douce satisfaction pour moi de m"entretenir  avec vous en dépit de la distance et du temps? Si ce commerce est moins suivi que vous ne le souhaiteriez, c'est que mes lettres ne sont pas de celles qu'on peut confier au premier venu. Mais chaque fois que je trouverai une occasion sûre, J'en profiterai, n'en doutez pas. - Vous désirez savoir comment chacun s'est montre et conduit à votre égard, .le serais fort en peine de le dire de chacun en particulier; je m'en référerai à ce que je vous ai déjà dit en général , et qu'aujourd'hui j'affirme en parfaite connaissance. Les hommes qui vous devaient le plus, et qui pouvaient le mieux vous servir, sont précisément ceux qui se sont montrés les plus envieux de votre grandeur ; et, sous ce rapport, sauf la différence des positions, il y a complète ressemblance entre ce que vous venez d'éprouver et ce que j'éprouvai jadis. Ceux qui avaient eu à souffrir du rigoureux accomplissement de vos devoirs envers la république, vous ont fait guerre ouverte, tandis que ceux dont vous aviez défendu les prérogatives, l'honneur et les principes , sont moins reconnaissants du courage que vous y avez montré , qu'ennemis de votre gloire. Par compensation, ainsi que je vous l'ai mandé précédemment, Hortensius a montré un zèle admirable, et Lucullus, une grande bonne volonté. Parmi les magistrats, L. Racilius a été plein de loyauté et de coeur. Quant aux luttes, aux combats que j'ai soutenus moi-même, je vous dois tant, que peut-être aura-t-on vu dans ma conduite un mouvement de gratitude plutôt qu'un acte de conviction. — A près cela, je ne vois pas un seul consulaire à qui je puisse rendre ce témoignage, qu'il ait fait des voeux, ou qu'il ait agi pour vous, ou qu'il ait donné signe de bienveillance. Pompée, a qui je parle et qui me parle lui-même souvent de vous. Pompée, vous le savez, n'a presque point paru au sénat dans ces derniers temps. Il m'a été facile de voir cependant qu'il avait été on ne peut plus touché de votre dernière lettre. Moi, je ne suis pas seulement touché de votre esprit de conduite et de votre sagesse : je les admire. Vous venez, par cette lettre, de vous assurer l'amitié d'un homme éminent, qui vous était attaché déjà par la reconnaissance, mais qui pouvait vous croire refroidi à cause des vues personnelles qu'on lui a prêtées. Il a toujours été pour vous, même au moment de la terrible épreuve de Caninius; mais depuis votre lettre, c'est de tout coeur qu'il veut votre élévation, et sert vos intérêts. J'ai longtemps raisonné avec lui ; et dans ce que je vais vous dire, c'est sa manière de voir, son opinion personnelle, que je vous exprimerai. Puisqu'il n'y a pas de sénatus-consulte qui annule votre mission relative au loi d'Alexandrie, et attendu que le principe de non-intervention absolue qui a prévalu depuis, non sans opposition, vous le savez, passe généralement pour un effet de l'irritation de quelques hommes, et non d'une résolution réfléchie du sénat, c'est à vous , qui disposez de la Cilicie et de Chypre, à juger votre position et vos moyens. Si les circonstances sont telles que vous puissiez dominer Alexandrie et l'Égypte, il est de votre honneur, il est de l'honneur de Rome, après avoir placé d'abord le roi a Ptolémaïs ou dans quelque lieu 115 voisin , de partir ensuite pour Alexandrie avec votre flotte et votre armée ; et quand vous y aurez rétabli le bon ordre et l'autorité de la forée , Ptolémée pourra revenir alors prendre possession du royaume. Ainsi, la première décision du sénat qui vous chargeait de rendre au roi son trône, serait exécutée , et , en même temps , on ne se serait pas écarté de l'oracle de la Sibylle qui , suivant l'interprétation des dévots, veut que le roi soit ramené dans ses États sans armée. — Nous vous avertissons seulement. Pompée et moi, que vous serez jugé par l'événement. S'il est conforme à nos vues et à nos désirs, on louera votre sagesse et votre courage : mais en cas d'échec, on vous accusera d'ambition et de témérité. Examinez donc bien les choses ; nous ne pouvons pas, nous, les juger d'ici, comme vous qui avez en quelque sorte l'Égypte sous les yeux. Tout ce que nous avons à dire se réduit à ceci : Êtes-vous certain de vous rendre le maître du royaume? agissez alors sans perdre un moment. Avez- vous des doutes? ne tentez pas même un effort. Avec le succès , je vous garantis qu'on vous applaudira même absent , et qu'un concert de louanges saluera votre retour. Mais en cas de revers, la question légale et la question religieuse reparaissent menaçantes. Si donc vous êtes sur d'en finir à votre honneur, n'hésitez pas. Faut-il donner quelque chose au hasard? abstenez-vous. Je termine comme j'ai commencé, et je vous répète que vous serez jugé suivant l'événement. Il y a encore un moyen terme au cas où vous verriez trop de risque à prendre en personne l'initiative. Que le roi engage sa parole à ceux de vos amis de la province qui voudront lui prêter de l'argent; mettez a sa disposition un matériel et des hommes, ce qui nous semble facile dans un tel pays et une telle situation ; puis restez maître ou d'assurer le succès, eu y concourant, ou de laisser échouer la tentative en restant neutre. Vous êtes placé de manière à juger mieux que personne le but, les moyens, la conjoncture : mais j'ai cru devoir vous faire part de nos idées. — Vous me félicitez sur ma position , sur l'amitié de MiIon , sur le peu de consistance personnelle et le discrédit de Clodius. Tout cela est votre oeuvre, admirable ouvrier que vous êtes , et il est tout simple que vous applaudissiez à ce que vous avez fait. Mais n'est-ce pas par une incroyable aberration, je ne veux point employer un mot plus fort, que les hommes à qui la moindre preuve d'intérêt eût assuré mon concours dans une cause commune, s'exposent à mon inimitié en lâchant la bride à leurs passions jalouses? Leurs détestables manoeuvres, je ne vous le cache pas , m'ont presque ébranlé dans mes vieux et éternels principes non toutefois au point de me faire oublier l'honneur : mais je veux désormais songer à ma personne et à mes intérêts. Il y avait garantie pour tout avec un peu de bonne foi et de tenue de la part des consulaires. Mais le plus grand nombre porte si loin l'inconséquence, qu'ils sont bien moins heureux de ma constance à défendre la république, qu'affligés de l'éclat qui en rejaillit sur moi. Avec vous, je m'abandonne volontiers à ces épanchements; car non seulement c'est grâce à vous que je suis en d'autres temps parvenu jusqu'au faite, mais dès les premiers pas dans la carrière 116  des honneurs, ma gloire naissante a trouvé en vous faveur et appui. D'ailleurs, je vois que ce n'est pas, ainsi que je l'ai cru longtemps l'homme nouveau que l'envie poursuivait en moi, puisqu'elle s'attaque en vous au nom le plus antique et le plus illustre. Vos ennemis vous ont souffert dans un rang élevé , mais ils ne vous ont pas permis de prendre votre vol plus haut, . je vous félicite du moins de la différence que la fortune a mise entre nous. Autre chose est, en effet, de se voir froissé dans la plus juste ambition, et d'en être à désespérer de la vie. Somme toute , je ne saurais me plaindre. Vous avez fait pour la gloire de mon nom plus que la fortune ne m'avait ôté. — Mais permettez qu'à mon tour je me fasse un titre de vos bienfaits et de mon affection, pour vous donner un conseil : poursuivez de tous vos efforts, conquérez atout prix cette gloire à laquelle vous pouvez si justement prétendre, dont la pensée jadis faisait battre votre jeune coeur. Que l'injustice reste sans prise sur le noble courage que j'aime et admire en vous. On a de votre caractère une grande idée; votre nom inspire une grande confiance : il reste de votre consulat un grand souvenir. Jugez combien on verrait tout cela prendre corps et reluire si, par la paix ou par la guerre, vous parveniez à acquérir un peu de gloire dans votre province. Seulement , dans le cas où vous voudriez recourir à l'emploi de la force et des armes, ne faites rien sans y avoir bien médité, bien réfléchi; sans avoir tout préparé , tout combiné , de longue main. Il faut être sur du but que votre oeil mesure depuis longtemps, et vous persuader, qu'y étant parvenu , vous tenez dans votre main ce qui donne le haut rang et la première place à Rome. Et afin que vous ne preniez pas ces observations pour de vagues paroles, rappelez-vous que nous avons l'un et l'antre une leçon à tirer de nos disgrâces, c'est d'apprendre a connaître pour toujours a qui croire et de qui se délier. — Vous me demandez où en est la république. La division est bien tranchée. Mais les forces ne sont pas égales. Ceux qui disposent de l'argent , des armes et de tous les éléments de la puissance matérielle, ont si bien profité des fautes et des inconséquences de leurs adversaires qu'ils ont aujourd'hui la force morale pour eux. Aussi n'ont-ils rencontré qu'une imperceptible opposition au sénat pour y faire décider ce qu'ils ne comptaient pas obtenir du peuple , même à l'aide des séditions et des émeutes : on vient d'accorder à César des subsides et dix lieutenants, et on ne tient aucun compte de la loi Sempronia,.qui voulait qu'on lui donnât un successeur. Mais ce sujet est trop triste; je ne veux pas m'y arrêter. Je n'en parle que pour vous faire part d'une réflexion que je dois à l'expérience bien plus qu'à toutes les spéculations qui m'ont occupé depuis l'enfance. Apprenez donc, tandis que la fortune vous sourit encore, qu'il ne faut pas chercher le salut, sans l'honneur, ni croire l'honneur possible .sans le salut. — Je reconnais votre bonté dans vos félicitations sur le mariage de ma fille avec Crassipés. Je me promets toutes sortes de satisfaction et de bonheur de cette union. Notre cher Lentulus est un jeune homme de beaucoup d'espérance et de la plus heureuse nature. Formez-le à l'étude des arts que vous cultivez , mais surtout formez-le à votre exemple. Voilà pour lui la meilleure école. il est votre fils; il marche sur nos traces; il a de l'amitié pour moi ; il m'en a montré toujours. Comment 117 pourrait-il ne pas me plaire et comment pourrai-je ne pas le chérir?

114. — A Q. VALÉRIUS ORCA, PROCONSUL. Rome.

F. XIII, 6 (1ere part.). Vous vous rappelez sans (li)ute une prière que je vous fis , P. Cuspius présent, en vous accompagnant à votre départ de Rome , et que plus tard j'eus occasion de vous renouveler ; c'était de traiter, comme mes propres amis, ceux de ses amis que je vous recommanderais : toujours fidèle à vos habitudes de déférence et de bonté , vous me le promîtes le plus généreusement et le plus gracieusement du monde. — Cuspius , qui n'aime pas à demi , s'intéresse à plusieurs habitants de votre province, pour lesquels il a pris une vive affection lors de ses deux voyages en Afrique, quand il y avait la conduite des intérêts les plus importants de sa compagnie. Je ne manque jamais de le seconder dans le bien qu'il leur veut, toutes les fois que l'occasion se présente. Je vous rappelle donc , d'abord d'une manière générale, mes bonnes dispositions pour ses amis ; plus tard , je marquerai mes lettres du signe dont nous sommes convenus, et vous indiquerai de cette manière qui en est l'objet. — J'arrive maintenant à la demande que j'ai à vous adresser en faveur de L. Julius, que Cuspius me prie de vous recommander de la manière la plus pressante. C'est tout au plus si , en usant du langage qu'on emploie pour ce qu'on désire le plus , je satisferai à son empressement : il veut du nouveau , et prétend que je suis passé maître en ce genre. Je lui ai donc promis de tirer du plus profond de mon art une recommandation tout à fait extraordinaire. Mais comme je ne trouve rien, tirez-moi d'embarras, eu faisant croire à Julius que vous avez reçu de moi une pièce d'éloquence admirable. Il le croira, s'il voit non seulement dans vos actes, mais dans vos paroles, sur votre visage, des inspirations de bienveillance et le désir de le servir. Vous n'imaginez pas de quelle conséquence est tout cela dans une province. Je suis d'ailleurs convaincu que mon protégé mérite vos bontés. Cuspius me l'assure , et le tact de Cuspius est sans pareil , pour connaître les hommes et choisir ses amis. — Je verrai bientôt ce que ma lettre aura produit, et je n'aurai , j'en suis sûr, que des grâces à vous rendre. De mon côté , je saisirai avec empressement et bonheur les occasions de vous être agréable ou utile en toute chose : Portez vous bien.

115. — A Q. V. ORCA , PROCONSUL. Rome.

F. XIII, 6 (2e part.). P. Cornélius, qui vous remettra ce billet, m'est recommandé par P. Cuspius. Vous savez parfaitement quel prix j'attache à ses recommandations. Faites donc en sorte, je vous en conjure, que Cuspius ait à me remercier du témoignage que je vous adresse ici, et qu'il m'en remercie le plus tôt, le plus vivement et le plus souvent possible. Portez-vous bien.

116. — A QUINTUS. Rome, juin.

Q. II, 8. Lettre charmante! Comme elle s'est fait attendre ! quelle impatience d'abord, puis 118 quelles transes elle m'a causées ! Savez-vous bien que c'est la première que je reçois depuis celle qu'un matelot m'a remise, datée d'Ostie? Oui, il faut remettre à causer de tout, quand nous nous verrons. Voici cependant ce que je ne veux pas différer de vous dire. Le jour des ides de mai, le sénat a été divin. Il a refusé les supplications à Gabinius. L'assemblée était nombreuse. Procilius proteste que cela ne s'est jamais fait. Au dehors, grands applaudissements. Quant à moi, j'en suis charmé , d'autant plus que la résolution , qui est unanime , a été prise en mon absence , sans ([ue j'aie eu à exprimer un avis pour ou contre,.  J'étais à Antium. — L'affaire des terres de Campanie, qui devait être finie le jour des ides et le suivant , ne l'est pas encore, .l'ai bien de la peine à avoir un avis a moi sur cette question. Allons, en voilà plus que je ne voulais. Au revoir donc , mon cher et excellent frère; santé et prompt retour. Savez-vous ce que demandent nos enfants? Si on soupera à votre arrivée.

117. — A ATTICUS. Antium, juin.

A. IV,  8. (2e part.) Apénas me quitte, votre lettre arrivée ! Que vois-je? Il ne proposera point la loi! En êtes-vous convaincu'? Parlez un peu plus haut,je vous prie. .U' crains d'avoir malentendu. Que je sache vite la vérité, si toutefois cela se peut sans vous gêner. En attendant , puisqu'on prolonge les jeux d'un jour, c'est une bonne journée de plus que je passerai avec Dyonisius. — Je suis entièrement de votre avis sur Trébonius. Quant a Domitius, " jamais figue, j'en jure par Cérès, ne ressembla plus à une autre figue que son histoire à la mienne. " Mêmes ennemis, même attaque inopinée, même. scrutin des honnêtes gens. Il y a une différence toutefois, c'est qu'il a bien mérité son sort. Je ne sais lequel est le pire des deux , du sien ou du mien. Qu'y a-t-il de plus triste en effet que d'être désigné au consulat en quelque sorte depuis qu'on est au monde, et de ne pouvoir pas être consul? de ne le pouvoir point, quand on est seul candidat, ou du moins quand on a a peine un compétiteur? De plus, s'il est vrai, ce que je ne saurais dire, que, dans leurs fastes consulaires à domicile, la liste qu'ils ont arrêtée est aussi longue pour les consuls à venir que pour les consuls passés, qu'y a-t-il de plus misérable que lui au monde, si ce n'est la république? Car, pour elle, il n'y a pas môme de mieux à espérer. — C'est par vous que j'apprends l'affaire de Natta. J'ai toujours eu cet homme en aversion. Vous me parlez de mon poème. Mais si l'indiscret allait se lancer, eh bien! le souffririez-vous? Quant à mon éloignement prétendu pour Fabius Luscus, cet homme a toujours été mon très chaud partisan , et je ne l'ai jamais repoussé. Il a de l'esprit, de la modération, beaucoup d'ordre. J'ai été quelque temps sans le voir, et Je le croyais absent. Je viens de savoir par Gavius de Firmum qu'il est à Rome, et qu'il ne lu point quittée. Cela m'a fort troublé. Quoi! pour si peu de chose, allez-vous dire? Mais il m'avait fait des communications fort exactes sur les deux frères de Firmum. Pourquoi s'est-il éloigné de moi, si tant est qu'il s'en soit éloigné? c'est ce que je cherche en vain. — Quant à celui envers qui vous me conseillez d'agir politiquement, et de me tenir sur la réserve, je le ferai. Mais il faut bien de la prudence. J'aurai 119 recours à la vôtre, comme de coutume. Si vous trouvez un joint près de Fabius , sachez ce qu'il va en lui. Tâtez aussi cet habitué, de votre table, et écrivez-moi sur cela, comme sur tout ce que vous apprendrez. Si vous n'avez rien à me mander, écrivez-moi qu'il n'y a rien. Portez-vous bien !

AN. DE R. 699. AV. J. C. 55. A. DE C. 53.

Consuls, Cn. Pompée 2e fois, M. L. Crassus, 2eme fois :

118. — A ATTICUS. Cumes, avril.

A. lV, 10. Le bruit est général à Pouzzol que Ptolémée est rentré dans ses États. Si vous en savez quelque chose, mandez-le-moi. Je dévore la bibliothèque de Faustus , et peut-être aussi, dites-vous en vous-même, les bonnes choses qu'on trouve à Pouzzol et dans le lac Lucrin. On ne se fait pas faute ici de ces bonnes choses , en effet, je vous assure; mais dans l'état des affaires publiques, je ne prends goût à aucune espèce de recherche de table ni de volupté. Les lettres seules me soutiennent et me consolent. J'aime bien mieux ce petit banc à vous, où je me repose, au-dessous de l'image d'Aristote , que toutes les chaises curules du monde; j'aime bien mieux une promenade chez vous et avec vous que la compagnie de cet homme avec qui il me faudra me promener aussi , je le vois bien. Mais laissons ces questions de promenade à décider au hasard et aux dieux, s'il y a des dieux pour ces choses-la. — N'oubliez pas mon promenoir et mes lacédémoniennes (Sorte d'étuves, imitées de Lacédémone), et tout ce que Cyrus demande. Faites-y de fréquentes visites. Pressez Philotime, et que je puisse enfin avoir mon tour avec vous. Pompée est venu à Cumes aux fêtes de Parilis. Il a aussitôt envoyé chez moi. C'était avant-hier. Je me dispose à lui faire visite ce matin, quand j'aurai fini ma lettre.

119. — A ATTICUS. Naples, 27 avril.

A. IV, 9. Je veux savoir si , comme le bruit en court, les tribuns empêchent le recensement avec leurs mauvais jours, et en général ce qu'ils font ou ce qu'ils veulent faire à l'égard des censeurs. Je me suis trouvé ici avec Pompée. Il m'a beaucoup parié des affaires ; à l'entendre (cette
restriction est obligée avec lui), à l'entendre , il est dégoûté; il fait fi de la Syrie. L'Espagne, il n'y a que l'Espagne, toujours à l'entendre, et j'opine pour que cette formule, quand nous parlerons de lui, revienne aussi souvent que le καὶ τόδε Φωκυλιίδου (Phocylide, moraliste, affectait cette formule). Il vous remercie beaucoup d'avoir fait placer ses statues; et en vérité, Il a été avec moi d'une effusion charmante. Il est venu aussi me voir à Cumes; rien, à ce qu'il me paraît, ne serait plus contraire à ses vues que la prétention de Messala au consulat. Si vous en savez quelque chose , mandez- le-moi. — Mille remerciements et de votre bonne intention de me recommander à Luccéius , et de vos visites fréquentes aux travaux de ma maison. Quintus mon frère me mande que, puisqu'il a avec lui sou bien-aimé Cicéron , il ira vous voir aux nones de mai. Je me suis mis en route de Cumes avant le jour, le 5 des calendes de mai. Le même jour, j'ai couché à Naples chez L. Pétus; et c'est avant le jour au moment de partir pour Pompéi , le 4 des kalendes de mai , que je vous écris à la fraîche.

120. — A QUINTUS. Rome, mai.

Q. II , 9. Cet ouvrage vous a plu , je m'en doutais un peu. Mais qu'il vous ait plu au point que vous le dites, c'est un vrai bonheur pour moi. 120 Pensez à Uranie, dites-vous; n'oubliez pas le discours de Jupiter à la lin du livre. Non , je ne l'oublie pas. En écrivant ces vers, c'est moi que j'avais en vue avant tout autre. — Le lendemain de votre départ, je suis allé chez Pompée avec Vibullius. La soirée était très avancée. Je lui a parlé de ces ouvrages et de ces inscriptions. Sa réponse a été très obligeante, et me donne grand espoir. Il me dit qu'il en parlerait à Crassus, et m'engagea à en faire autant de mon côté. Je me suis donc mis du cortège de Crassus, .à la sortie du sénat, et je l'ai reconduit jusque chez lui. Il prend en main l'affaire. Il y a , dit-il , une chose que Clodius veut obtenir par son canal et celui de Pompée. Et probablement, si je veux n'y pas faire obstacle , j'aurai bon marché de ce que je désire. J'ai donné les mains à tout, et je m'en suis remis à lui . Le jeune Crassus était là. Vous savez qu'il est fort mon ami. Ce que veut Clodius, c'est une légation quelconque. S'il ne peut en obtenir une officielle du sénat ou du peuple, il veut une légation libre, soit pour Byzance, soit près de Brogitarus, ou bien les deux ensemble. Ce serait une véritable raine d'or pour lui. Je m'en embarrasse assez peu , dût mon affaire n'en pas mieux aller. Pompée cependant a parlé à Crassus. Ils paraissent tout disposés. Si je réussis, tant mieux ; sinon, j'en reviens à mon Jupiter. — Le 3 des ides de mai , on a adopté un sénatus-consulte contre la brigue , sur la proposition d'Afranius. C'est le même que j'avais mis en avant quand vous étiez ici. Mais les consuls ont fait grandement gémir le sénat en refusant de mettre aux voix un article additionnel proposé en haine d'Afranius, et d'après lequel la franchise des préteurs n'aurait commencé que soixante jours après l'élection. Le même jour, Caton a été repoussé, complètement repoussé (pour Vatinius). Que vous dirai-je? Ils sont les maîtres, et ils veulent qu'on le sache.

121. — A QUINTUS. Pouzzol, mai.

Q.  II, 10. Vous, craindre de m'importuner ! D'abord, puisque nous en sommes sur ce point, qu'appelez- vous importuner? Est-ce qu'Atéius vous importune? Vraiment, je suis tenté de croire que vous me donnez là une leçon , parce que je n'ai pas, moi , cette espèce de discrétion à votre égard. Eh! interpellez, interrompez, apostrophez, controversez; je le demande. C'est tout plaisir pour moi. Que je meure, si jamais cerveau touché par les Muses fut plus empressé de lire ses vers nouveaux-nés, que je ne le suis de jouir de votre conversation sur quelque sujet que ce soit, affaires d'État, affaires domestiques, nouvelles de ville ou de campagne : j'aurais dû, en partant, vous enlever de vive force; une sotte réserve m'a retenu : vous objectiez des raisons auxquelles il n'y avait pas à répondre. La santé de notre Cicéron d'abord. Je me suis tu; puis celle de mes deux Cicérons. Je ne pouvais rien dire. — Et voilà que votre lettre, si aimable d'ailleurs, me donne un regret mortel : elle m'apprend que vous n'avez craint qu'une chose, de me gêner, et que vous le craignez encore. Je ne veux pas engager une querelle : je me borne à vous dire ce qui arrivera de vos scrupules : c'est que je ne me trouverai plus avec vous sans craindre de vous être incommode à mon tour. Mais je vous chagrine. Ainsi va le monde. " Tu as vécu parmi les hommes," etc. Ne craignez pas que j'ajoute : « Ils sont tous, etc. Quant à l'ami  121 Marius, Je l'eusse campé dans une bonne litière qui n'aurait pas été la litière donnée par le roi Ptolémée à Anicius. L'aventure me revient ; j'en ai ri de bon cœur. Je conduisais Anicius de Naples à Baies dans cette fameuse litière à huit porteurs. J'avais une suite de cent hommes armés. Mon homme, qui ne se doutait pas d'une pareille escorte, ouvre tout à coup la portière. Nous faillîmes mourir tous deux, lui de peur, moi de rire. Comme je vous le disais, j'aurais enlevé Marius, rien que pour me frotter un peu à cette aimable urbanité, à ce charmant langage d'autrefois. Mais faire venir un valétudinaire dans une maison ouverte, et qui n'offre pas même un commencement d'habitation ! Je n'ai pu m'y résoudre. —Au surplus, j'ai du bonheur. Je n'y perdrai rien. Car vous saurez que j'ai Marius pour voisin, et que les rayons de cet astre viennent briller jusque sur ma demeure. Nous ferons en sorte que tout soit prêt chez Anicius pour le recevoir. Je suis assez philosophe, moi, pour habiter au milieu des ouvriers. C'est une philosophie que j'ai rapportée, non de l'Hymette, mais de l'atelier de Syrus ; elle ne va pas aussi bien à la santé de Marius ni à ses goûts. — Tout le temps que vos importunités me laisseront de reste, je l'emploierai à écrire. Et puissent-elles ne m'en pas laisser du tout ! Du moins, si je n'écris pas, on pourra s'en prendre à vous, et non à ma paresse. C'est avec peine que je vous vois vous affecter de l'état des affaires, et vouloir être meilleur citoyen que Philoctète, dont le cœur ulcéré cherchait des consolations là où vous ne trouvez que des douleurs. Accourez vers moi. Je vous consolerai, je dissiperai vos chagrins ; surtout si vous m'aimez, amenez Marius hâtez-vous tous deux. J'ai ici un jardin.

122. — A ATTICUS. Cumes, mai.

A. IV, 11. Vos lettres me charment. J'en ai reçu deux à la fois avant le 11 des kalendes. Continuez de m'écrire. Je grille de savoir la fin de l'histoire. Tâchez également de vous informer de ceci par Démétrius. Pompée m'a dit qu'il attendait Crassus à Albe, le 4 des kalendes, et qu'aussitôt après son arrivée, ils se rendraient ensemble à Rome pour s'occuper de faire rendre compte aux fermiers publics. Quoi ! le jour des combats de gladiateurs, lui ai-je dit? Non, m'at-il répondu; auparavant. Qu'y a-t-il devrai? Mandez-le-moi sur-le-champ, si vous le savez, ou attendez son arrivée à Rome. —Je dévore ici les livres avec Dionysius, homme prodigieux, c'est le mot. Il vous fait mille compliments à vous et à tous les vôtres : Aie« déplus doux que de tout savoir. Et je suis curieux, vous le savez. Dites-moi donc ce qui s'est fait, quoi le premier jour, quoi le second, et ce que deviennent les censeurs' et ce que fait Appius, aussi bien que cet Apuléius femelle. Enfin, écrivez-moi ce que vous faites vous-même; je le veux. Car, pour être franc, vos lettres ont encore plus d'attrait pour moi que les nouvelles. Je n'ai amené ici que Dionysius. Mais la conversation ne tarira point. Après vos lettres, je n'aime rien tant que le travail. Veuillez remettre mon livre à Luccéius. Je vous envoie celui de Démétrius Magnés, par un exprès, afin d'avoir sur-le-champ une réponse de vous.

123. — A ATTICUS. Mai.

A. IV,12. Egnatius est à Rome : mais je lui ai 122 parlé à Antium de la manière la plus pressante de l'affaire d'Halimète. Il m'a promis de nouveau une démarche sérieuse auprès d'Aquillius. Voyez-le, si vous le jugez à propos. J'aurai bien de la peine à faire pour Macron ce qu'il désire; car nous avons une vente à Larinum le jour des ides ; et elle durera bien les deux jours suivants. J'en suis désolé, en voyant les termes pressants de votre recommandation. Si vous avez de l'amitié pour moi, vous n'en viendrez pas moins souper chez moi avec Pilia, le lendemain des kalendes. Je l'exige absolument. Je compte la veille en passant dîner à la campagne de Crassipès. Je ferai faux bond au sénatus-consulte. Puis, après souper, je gagnerai mon logis, afin de pouvoir être tout à Milon le lendemain de bonne heure. Je vous verrai , et il faudra bien que vous me donniez votre parole. Mille compliments de la part de toute ma maison.

124. — A M. FABIUS GALLUS.

F. VII, 23. J'arrivais de ma campagne d'Arpinum, lorsqu'on m'a remis votre lettre, ainsi qu'une autre d'Avianius, lequel m'écrit de la manière la plus aimable que nous réglerons à son arrivée, et qu'il me laisse maître des termes. Mettez-vous un moment à ma place, je vous prie. Puis, dites-moi, si vous ne vous feriez pas et si je ne dois pas me faire conscience de demander une année de délai et plus, après n'avoir d'abord sollicité que quelques jours. Je n'éprouverais pas le moindre embarras, mon cher Gallus, si vous n'aviez acheté que ce dont j'ai besoin, et au prix que je voulais. Ce n'est pas que je ne ratifie le marché dont vous me rendez compte, et que je ne vous en aie delà reconnaissance. Je vois bien que dans votre zèle et votre amitié, vous vous êtes laissé séduire par une foule de belles choses, et que les jugeant avec votre goût, qui est le plus distingué en tout que je connaisse, vous les avez déclarées dignes de m'appartenir. Puisse seulement Damasippe n'avoir pas changé d'avis 1 car il n'y a pas une seule de ces statues à laquelle je tienne absolument ; et vous, par un malentendu, vous avez dépensé pour en avoir quatre ou cinq, plus que je ne donnerais, moi, pour tout ce qu'il y a de statues au monde. Quoi I vous comparez des Bacchantes aux Muses de Métellus ! Quel rapport, je vous prie, entre les Muses et des Bacchantes? D'abord, je ne voudrais pas, à ce prix, même des Muses de Métellus, et les neuf Sœurs seraient à l'unanimité de mon avis. Ensuite, les Muses allaient a ma bibliothèque et convenaient à mes travaux. Mais des Bacchantes, où voulez-vous que je les place? Elles sont charmantes, dites-vous. Je lésais, je les ai vues cent fois, et si elles m'eussent plu, je vous les aurais spécialement désignées. Je n'achète des statues que pour orner, à la manière des gymnases grecs, le lieu qui me sert de palestre. Et le dieu Mars, quelle figure ferait-il aussi, je vous le demande, chez le partisan déclaré de la paix? Il est bien heureux encore que vous ne m'ayez pas eu de Saturne. Je me serais dit : voilà à coup sûr des dettes! que. n'avez-vous pris un Mercure ! J'aurais du moins la chance d'amener à plus heureuse fin ma négociation avec Avianius. — Il y a un trapézophore que vous désirez vous réserver. Gardez-le, s'il vous fait plaisir. Si l'envie vous en passe, laissez-le. Certes, j'aurais bien mieux aimé employer tout cet argent à acheter un pied à terre à Terracine, afin de n'être pas toujours à charge à l'hôte qui 123 me reçoit. La faute en est à mon affranchi, à qui j'avais bien expliqué mes intentions, et aussi à Junius, que vous connaissez, je crois ; l'ami d'Avianius. J'ai ajouté quelques exhèdres nouveaux à mon joli portique de Tusculum. J'y voulais mettre des tableaux. En fait d'ornement, il n'y a que la peinture que j'aime. Enfin s'il faut que toutes ces statues me restent, je voudrais savoir où elles sont, à quelle époque on les livrera, et par quelle voie elles arriveront. Si Damasippe change d'avis, je trouverai bien quelque singe de Damasippe pour m'en défaire, fût-ce même à perte. — Quant à cette maison dont vous me parlez, j'avais pu laisser des instructions à ma chère Tullie avant mon départ, car j'ai reçu votre première lettre au moment même où je partais. J'ai parlé aussi à votre ami Nicias, qui est fort lié, comme vous le savez, avec Cassius. Mon premier soin, à mon retour, avant d'avoir lu votre dernière lettre, fut de savoir de Tullie où elle en était. Elle s'était adressée à Licinia. Mais, si je ne me trompe, Cassius se soucie assez peu de sa sœur. Puis Licinia aurait craint, je crois, de s'éloigner à l'insu de son mari, qui est absent. Décius est, en effet, parti pour l'Espagne. Je vous sais un gré infini du prix que vous mettez à établir avec moi des relations intimes et une sorte de communauté. Quoi ! c'est pour être près de moi, c'est pour habiter en quelque sorte avec moi que vous avez pris cette maison, et vous ne hâtez tant votre voyage que pour en jouir plus tût! Au surplus, votre empressement n'est pas plus vif que le mien, je vous le jure sur ma tête. Je veux de mon côté que rien ne fasse obstacle à ce dessein. J'y ai trop d'intérêt, nous en avons trop tous deux. Je vous tiendrai au courant. Répondez-moi sur tous les points, et marquez-moi, si vous le pouvez, quel jour je dois vous attendre.

125. — A P. LENTULUS, PROCONSUL.

F. I, 8. Mieux que personne Plétorius vous mettra au courant, et vous dira ce qu'on fait, ce dont on est d'accord, ce que Pompée projette ; car il a assisté, ou pour mieux dire présidé à tout. Son zèle a fait pour vous tout ce qu'on peut attendre d'une vive amitié, d'une grande prudence et d'un dévouement sans réserve. Il vous dira aussi quelle est la situation des affaires en général ; ce qu'il ne serait pas facile de faire par écrit. Nos amis sont certainement les maîtres, et il n'y a pas d'apparence que cela change d'ici à un siècle. Ainsi que je le dois, que vous me l'avez recommandé , et que me le prescrivent à la fois ma gratitude et mon intérêt, je marche tout à fait avec l'homme dont vous jugez nécessaire de vous rapprocher, en me prenant pour intermédiaire. Vous savez la peine qu'on a à renoncer à ses idées eu politique, surtout quand on est persuadé qu'elles sont droites et avouées par l'expérience. Cependant je n'hésite pas à me plier aux vues de qui je ne pourrais pas me séparer avec honneur. Et cela sans aucune arrière-pensée, quoi qu'on en puisse dire. C'est qu'il y a en moi bien de l'affection pour Pompée, et que je suis disposé à trouver bon et juste ce qu'il croit utile et ce qui lui plaît. A mon avis, ce que ses adversaires auraient même de mieux à faire, ce serait de cesser une lutte qu'ils ne sont pas de force à soutenir. Une chose me console, c'est que je suis, plus que personne , dans une position à tout faire, sans qu'on y trouve à redire. Je puis prendre fait et cause pour Pompée ; ou bien rester observateur silen-124 cieux de ce qui se passe ; ou bien encore me livrer exclusivement à mon goût favori pour les lettres; et c'est le parti que je ne manquerai pas de prendre, si son amitié m'en laisse le choix. Car cette honorable influence dans les affaires, cette liberté de suffrages que je m'étais promise, comme conséquence des hautes dignités dont j'ai été revêtu, et des travaux que j'ai accomplis : tout cela je l'ai perdu ; moi, au surplus, comme tout le monde. Nous n'avons désormais qu'une alternative, ou de marcher avec l'oligarchie qui nous gouverne, et il y a bien peu de dignité à le faire, ou de lui faire tête sans aucune chance de succès. Je me laisse aller à ces réflexions, pour vous donner matière à méditer sur le parti que vous aurez vous même à prendre. Tout va maintenant au rebours du droit sens, au sénat, dans la magistrature, dans tous les rouages de la république. Aujourd'hui la seule ambition qu'on puisse avoir, c'est d'être tranquilles; et ceux qui gouvernent seraient disposés à nous le permettre, s'ils trouvaient certaines gens moins roidis contre leur domination. Pour ce qui est de la dignité consulaire, de cette dignité qui convient à des sénateurs courageux et fidèles, il n'y faut plus songer ; elle a disparu sans retour. La faute en est à ceux qui ont aliéné du sénat un ordre qui lui était dévoué et un citoyen illustre. — Mais revenons à ce qui vous touche de plus près; Pompée a de bonnes dispositions pour vous, j'en suis sûr. Lui consul, vous n'aurez, si je ne me trompe, qu'à désirer pour obtenir. Vienne donc l'occasion. Il m'aura sans cesse à ses côtés, veillant dans votre intérêt et attentif à profiter de tout. Je ne craindrai pas de l'obséder; il me saura gré au contraire de montrer ma reconnaissance. Figurez-vous bien qu'une misère, pour peu qu'elle vous concerne, va me toucher de plus près que tout ce que j'ai d'intérêts au monde. Ce sentiment chez moi est si vif, qu'avec la conscience d'un dévouement auquel je ne puis demander rien de plus, au fond je ne suis jamais satisfait; c'est que ma pensée même ne conçoit pas une manière de m'acquitter envers vous. —Le bruit se répand que vous avez parfaitement conduit votre entreprise. On attend vos lettres. J'ai déjà parlé à Pompée. Aussitôt qu'elles seront venues, je ne manquerai point d'aller visiter les magistrats et les sénateurs. En général, pour tout ce qui vous touche, je veux toujours aller au delà du possible. Mais toujours je resterai en deçà de ce que je dois.

126. — A M. MARIUS. Rome.

F. VII, 1. Si c'est à cause de votre mauvaise santé, ou par suite d'indisposition, que vous n'êtes pas venu aux jeux, c'est du bonheur plutôt que de la sagesse. Mais si vous méprisez ce que le vulgaire admire, et si, bien portant, vous restez chez vous par volonté et par choix, je me réjouis tout ensemble de votre bonne santé comme de votre bon goût, et je vous loue de vos dédains pour ces objets d'une admiration saus cause. Seulement vous avez, j'espère, mis à profit vos loisirs; et vous étiez à cet égard en merveilleuse liberté, puisqu'on vous avait laissé à peu près seul dans votre charmante habitation. Aussi, sur ce lit de repos, d'où vous découvrez Misène, grâce à votre belle percée à travers les bois de 125 Stabies, vous passiez, j'en suis sûr, vos matinées à de douces lectures, pendant que vos déserteurs assistaient, ù moitié dormant, à des farces de carrefour. Le reste du jour vous pouviez l'employer encore à des divertissements de votre choix, tandis qu'il nous a fallu supporter tout ce qu'il a plu à Sp. Mécius d'honorer de son approbation. Représentations à grand fracas, si vous voulez le savoir,' mais bien peu faites pour vous plaire. Je juge de votre goût par le mien. D'abord, on a vu reparaître, en l'honneur de la scène, des gens que, pour l'honneur de la scène, on avait selon moi fort sagement congédiés. Ensuite Ésope, vos amours, s'est montré tel qu'il y aurait eu aussi unanimité pour sa retraite. En commençant le serment, à ces mots : Si Sciens Fallo, la voix lui a manqué. C'est assez de ces détails; vous savez le reste. En vérité, on n'y a pas même trouvé l'agrément des jeux ordinaires. Un luxe d'appareil à ôté tout le plaisir du spectacle, et dont sans doute vous vous consolerez aisément d'avoir été privé. Où est le beau, je vous le demande, de voir défiler six cents mulets dans Clytemnestre, de passer en revue, soit trois mille coupes dans le Cheval de Troie, soit encore, dans je ne sais quel combat, toutes les armes diverses de la cavalerie et de l'infanterie; attirail qui a fait ouvrir de grands yeux au peuple, mais qui n'eût pas eu de grands charmes pour vous? Pour peu que vous ayez eu votre Protogène, et qu'il vous ait lu autre chose que mes discours, vous avez certes passé votre temps bien mieux qu'aucun de nous. Il n'y a pas d'apparence que vous regrettiez les jeux grecs ni les jeux osques. Les jeux osques, vous pouvez vous en donner le plaisir en plein sénat ; quant aux jeux grecs, vous êtes si peu amateur de tout ce qui est grec, que vous évitez même la voie grecque pour aller à votre campagne. Les athlètes, vous ne vous en souciez pas beaucoup non plus sans doute, vous qui avez fait fi des gladiateurs. Pompée confesse lui-même y avoir perdu sa peine et son huile. Le reste de la fête a consisté en deux chasses, qui ont duré cinq jours, et qu'on a unanimement trouvées magnifiques. Mais quel plaisir pour un esprit délicat que la vue ou d'un pauvre homme déchiré par quelque bête monstrueuse, ou d'un noble animal que l'épieua percé d'outre en outre? Etait-ce chose à voir? vous l'avez vue cent fois. Et nous, qui en avons eu le spectacle, nous n'y avons rien trouvé de neuf. On avait réservé les éléphants pour le dernier jour. Grande admiration du vulgaire et de la foule; mais de plaisir, point. Que dis-je? c'était plutôt un sentiment de compassion , naissant de l'idée que l'instinct de cet animal le rapproche de l'homme. Du reste, n'allez pas croire que j'ai été tout au plaisir et en parfaite liberté d'esprit durant ces jours de fêtes et ces jeux scéniques. Non. Je me suis époumoné à plaider pour votre ami Gallus Caninius. Que si j'avais affaire à un public aussi facile pour moi que pour Ésope, je laisserais là le métier de grand cœur, et j'irais vivre avec vous et ceux qui nous ressemblent. Il me pesait dans le temps même que j'étais stimulé par l'âge et l'ambition, et que rien ne me forçait à me charger des causes qu'il me répugnait de défendre. Qu'est-ce aujourd'hui où la vie est finie pour moi ? Je n'attends aucun fruit de mes efforts ; et souvent, par condescendance pour des gens à qui j'ai des obligations, je me vois forcé d'en défendre d'autres à qui je n'en ai guère. 126 Aussi je cherche toute sorte de misons pour vivre enfin à ma guise : et vous faites, vous, très bien de ne songer qu'à prendre du bon temps. Seulement vous en employez trop peu à me venir voir; mais je ne veux pas trop m'en plaindre; car, si vous étiez à Rome, ces malheureuses occupations qui m'absorbent, ne nous laisseraient pas la liberté de jouir, moi de vous, vous de moi, si tant est que vous trouviez en moi un peu de cet attrait que je trouve en vous. Mais que ma chaîne vienne un jour à se relâcher (je ne demande pas à la rompre tout à fait) et je prétends vous apprendre l'art de bien vivre, à vous qui pourtant, depuis tant d'années, ne vous occupez d'autre chose. Continuez seulement, je vous en conjure, à avoir de grands ménagements, de grands soins pour cette santé si délicate, afin que nous puissions ensemble visiter nos villas, et faire bien des excursions en litière. — Si je vous en écris aujourd'hui plus long que d'habitude, ce n'est pas excès de loisir; c'est pure amitié. J'ai une certaine lettre, vous en souvenez-vous? où vous m'avez doucement insinué de vous raconter quelque chose là qui pût vous dédommager de ne pas voir les jeux. Si j'ai réussi, tant mieux; sinon, je m'en consolerai en pensant que vous serez désormais forcé de venir vous-même, que j'aurai ainsi la joie de vous voir, et que vous ne placerez plus en mes lettres l'espérance de vos plaisirs. Adieu.

127. — A. Q. PHILIPPUS, PROCONSUL. Rome.

F. XIII, 74. Vous avez trop d'égards pour moi, et vous êtes trop mon ami pour oublier mes recommandations. Cependant j'insiste, et vous recommande encore et L. Oppius, mon ami, qui est près de vous, et les Intérêts de L. Egnatius, mon très-grand ami, qui est absent. Je suis si lié, si intimement lié avec Egnatius, que je ne mettrais pas plus d'intérêt à mes propres affaires qu'aux siennes. Faites lui voir que vous m'aimez autant que je me le persuade : je vous en saurai un gré infini. Oui, il n'est rien dont je puisse vous savoir plus de gré. Je vous demande avec instance de me faire ce plaisir.

128. — A Q. ANCHARIUS, FILS DE QUINTUS, PROCONSUL. Rome.

F. XIII, 40. Je suis lié avec L. et С Aurélius, fils de Lucius, ainsi qu'avec leur père, le meilleur des hommes. Je vous les recommande, comme des jeunes gens pleins de mérite et d'instruction, pour qui j'ai beaucoup d'amitié, et qui sont dignes de la vôtre. Si jamais ma recommandation fut de quelque poids auprès de vous (je sais qu'en plusieurs circonstances elle en a eu beaucoup ) ayez-y particulièrement égard, je vous prie, en cette occasion. Traitez-les tous deux avec honneur et bonté. La reconnaissance vous attachera leurs cœurs généreux, et moi, je vous en saurai un gré infini.

129. — A ATTICUS. Tusculum, novembre.

A.  IV, 13. Je vois que vous savez déjà que je suis arrivé à Tusculum le 17 des kalendes de décembre. Dionysius est à son poste. Je veux être à Rome le 13 des kalendes. Je le veux. Il y a plus, j'y suis forcé. Nous allons avoir les noces de Milon, et déplus, dit-on, peut-être les comices. Moi, je le tiens pour certain. Je ne suis pas fâché de ne m'être point trouvé au sénat à toutes ces tracasseries dont on me parle. Je 127 n'aurais pu y prendre couleur sans déplaire, et rester muet sans manquer à un devoir. Mais, je vous en conjure par Hercule, donnez-moi les détails les plus circonstanciés sur toutes ces vilaines choses, sur l'aspect des affaires, sur la façon dont les consuls ont supporté cette mortification. Je suis affamé de nouvelles, et, si vous voulez que je vous le dise, tout m'est suspect. — On dit que Crassus, le jour qu'il partit revêtu de ses insignes, ne fut pas l'objet des mêmes démonstrations que son confrère Paul Emile, consul pour la seconde fois. Le vilain homme ! J'ai mis bien du soin à mon traité de l' Art oratoire. Je l'ai tenu longtemps et repris cent fois. Vous pouvez le faire copier. Encore une fois, des détails qui me mettent au courant de la situation. Que je ne tombe pas des nues, en arrivant à Rome.

AN DE R. 700. — AV. J. C. 54. — A. DE С 53.

 

L. Domitius Ahenobarbus, Appius Claudius Pulcher, consuls.

 

130. — A QUINTUS. Janvier.

Q. II, 11. Vous ne devrez certainement cette lettre qu'aux gronderies de votre dernier billet. Il n'y a rien que j'aie à vous écrire, surtout quand c'est aujourd'hui que vous m'avez quitté. Mais comme nous ne restons jamais à court quand nous sommes ensemble, nous pouvons bien de même, en nous écrivant, divaguer quelquefois. La liberté des Ténédiens a donc été tranchée à la Ténédienne, par la hache ! Excepté Bibulus et moi, Calidius et Favonius, personne n'a dit un mot pour eux. Les Magnetes du mont Sipyle chantent bien haut vos louanges. Votre opposition seule, disent-ils, a arrêté la prétention de L. Sextius Pansa. A compter d'aujourd'hui, je vous écris tous les jours, qu'il y ait ou non quelque chose d'intéressant. Vous pouvez compter sur moi, vous et Pomponius, pour la veille des ides. — Le poète de Lucrèce est bien tel que vous le dites. Peu de génie, beaucoup d'art. Mais j'attends votre retour ; si alors vous lisez les Empédoclées de Salluste, vous êtes un héros et non plus un homme, je le proclame.

131. — A M. LICIMUS CRASSUS. Rome, janvier.

F. V, 8. Vos amis, en vous écrivant, n'ont pas manqué, je le suppose, de vous dire quel zèle j'ai fait éclater pour vous servir, vous défendre ou vous honorer. Mes actes n'ont été ni faibles, ni obscurs, ni de ceux enfin dont on ne dit rien. J'ai été en lutte ouverte avec les consuls et avec plus d'un consulaire. Jamais pour personne je ne soutins de pareils assauts. C'était un combat de tous les instants pour chacune de vos prérogatives. J'avais une vieille dette d'amitié à payer. Une foule de circonstances se sont longtemps mises à la traverse : mais enfin me voilà quitte et largement. Ce n'est pas au moins qu'à aucune époque la volonté de vous plaire ou de vous servir m'ait manqué. Mais il y a des hommes, véritables pestes sociales, que tout éclat blesse. Ils avaient réussi à vous indisposer contre moi, et même pour un temps à me changer moi-même à votre égard. Enfin un moment très-désiré, peu espéré, est venu, et j'ai pu, nu sein même de vos prospérités, vous montrer que mes sentiments ne sont pas de ceux que le temps efface, et que mon amitié est sûre. Mon bonheur a Voulu que Rome tout entière, non pas seulement votre famille, vit que vous n'avez pas de meilleur ami que moi. Aussi, le modèle 128 de toutes les femmes, votre noble épouse; aussi, vos chers Crassus, ces fils si tendres, si distingués, si aimables, se reposent-ils de tout aujourd'hui sur mes avis et mes conseils, sur mon dévouement et mes démarches. Aussi encore, le sénat et le peuple romain savent-ils que Crassus absent peut, en toute occasion, pour toute espèce de service, compter sur mes efforts, mon activité, ma sollicitude et mon crédit. — Mais votre correspondance de famille vous aura mis au courant de ce qui s'est passé et de ce qui se prépare. N'allez pas croire, je vous en supplie, que cette chaleur de zèle pour vos intérêts soit née d'un caprice ou du hasard. Le jour où j'ai mis le pied au forum, j'ai aspiré à une liaison intime avec vous. Dès lors, et ma mémoire est fidèle, nous n'avons, ni l'un ni l'autre, failli aux occasions de nous témoigner, moi la plus respectueuse déférence, vous, toutes sortes de grâces et de bontés. La confiance a pu s'altérer entre nous; mais il n'y eut que des nuages, point de torts réels. Arrachons de nos cœurs, effaçons de notre mémoire ces fâcheux souvenirs. Deux hommes, avec le caractère que vous avez, avec celui que je prétends avoir, se rencontrant à la même époque, ne peuvent mieux faire, dans l'intérêt de leur gloire mutuelle, que de rester étroitement unis.—Ce que j'ai droit d'attendre de vous, je vous le laisse à vous-même à régler. Vous n'aurez pour moi que d'honorables pensées, j'en suis sûr. De mon côté, il n'est rien de ce qui pourra contribuer d'une manière quelconque à votre honneur et gloire que mon zèle ne vous promette et ne vous engage solennellement. Dans cette carrière, j'aurai beaucoup d'émulés sans doute, mais pas un égal ; j'en ferai juge vos chers Crassus eux-mêmes, que je chéris tous deux si passionnément, avec cette nuance toutefois qu'aimant du même cœur Marcus, j'ai un faible, je l'avoue, pour Publius, qui, depuis son enfance, et surtout dans ces derniers temps, me respecte et me chérit comme un second père. — Que cet écrit soit plus qu'une lettre, qu'il devienne entre nous un pacte d'alliance. Vous avez mes engagements et mes promesses; je vous jure d'y être fidèle, et de les accomplir religieusement. L'œuvre que j'ai commencée en votre absence, je la continuerai désormais, autant pour l'honneur de la foi donnée que pour la satisfaction de mon cœur. Qu'il me suffise donc de vous déclarer ici que j'irai de moi-même au devant de vos désirs et de tout ce que je croirai dans l'intérêt de votre fortune ou de votre grandeur ; et vous verrez au premier avis de vous ou des vôtres, qu'aucun mot de votre part, qu'aucune prière de la leur ne peut m'être adressé en vain. Regardez-moi dès ce moment, je vous prie, comme l'ami le plus dévoué, et ne m'épargnez ni dans les détails, ni dans les questions importantes, ni pour le courant des affaires. Démarches, conseils, crédit, influence, je mets tout à votre service et à celui de vos amis, de vos hôtes, de vos clients, qu'il s'agisse d'intérêts publics ou privés, du forum ou du toit domestique, de quoi que ce soit enfin. Voilà le mot d'ordre qu'il faut donner à tout le monde. Je veux que, grâce à mes soins, vos affaires aient le moins possible à souffrir de votre absence.

129 132. — A QUINTUS. Rome, février.

Q. II, 12. Tant mieux, s imes lettres vous plaisent. Je n'aurais su que vous dire aujourd'hui si je n'avais reçu la vôtre. Appius avait bien convoqué le sénat la veille des Ides ; mais il y vint peu de monde, etil fitsi froid que les cris du peuple le forcèrent de lever la séance. — La manière dont j'ai discuté l'affaire du roi de Commagène a rendu Appius singulièrement doucereux soit dans ce qu'il m'a dit soit dans ce qu'il m'a fait dire par Atticus. C'est qu'il voit que le mois de février n'amènera rien, pour peu que je serve les autres du même style. Je me suis bien moqué du pauvre prince. Non content de lui escamoter sa petite ville sur l'Euphrate, avec ses annexes, je l'ai encore entrepris sur cette robe prétexte obtenue sous le consulat de César. On riaitaux éclats. » Il vous demande, ai-je dit, de lui renouveler cet honneur. Je suis d'avis de «'en rien faire pour lui épargner d'avoir à renouveler sa robe prétexte tous les ans. О vous, nobles Romains, qui n'avez pu tolérer cet insigne sur les épaules de Bnsrénus, souffrirez-vous qu'un Commagénien s'en affuble? » Tout a été de ce ton et dans ce goût. J'en ai dit de toutes manières sur ce roi de bas étage ; c'est un homme abîmé. Appius en est tant soit peu étourdi. Aussi, comme il me cajole ! Rien ne me serait plus facile que de pousser jusqu'au bout cette tactique. Mais je n'en ferai rien. Il faut ménager Appius. Je ne veux pas qu'il atteste Jupiter Hospitalier, ni qu'il appelle à lui tout le ban des Grecs auteurs de notre réconciliation.— Théopompe sera satisfait. César m'était sorti de la tête quand je vous ai écrit; car je vois bien quelles lettres vous attendiez. Mais il vient d'écrire à Balbus que le paquet où se trouvait sa lettre et la mienne lui est parvenu mouillé, au point qu'il ne sait pas s'il y en avait une de moi. Seulement il a pu déchiffrer quelques mots de celle de Balbus; et voici ce qu'il lui a répondu : « Vous m'avez écrit concernant Cicéron quelque chose que je n'ai pu lire ; mais c'est, autant que j'en puis juger, de ces choses qu'on désire plus qu'on ne les espère. » D'après cela, je me suis empressé d'adresser à César une copie de ma lettre. N'est-ce pas une bonne plaisanterie que ce qu'il dit de sa pauvreté? Je lui ai répondu que ma bourse n'étant guère mieux garnie que la sienne, je ne l'engageais pas à dormir tranquille. Je me suis laissé aller sur ce ton à une gaieté d'assez bon goût. Il a pour moi, d'après ce qu'on me rapporte de divers côtés, une affection particulière. La lettre relative à ce que vous attendez n'arrivera guère avant votre retour. Ne me laissez pas manquer d'exprès, et je vous écrirai chaque jour les nouvelles. Avec le froid dont nous sommes menacés, gare que le feu ne prenne à la maison d'Appius !

133. — A CÉSAR IMPERATOR. Rome, février.

F.VII, 5. Voyez si je ne vous regarde point comme un autre moi-même, non-seulement pour mes intérêts personnels, mais encore pour ceux de mes amis. J'avais résolu, quelque part que je dusse aller, d'emmener C. Trébatius et de ne le ramener à Rome qu'après avoir réalisé tout le bien que je lui veux. Le séjour de Pompée s'est prolongé plus longtemps que je ne le pensais ; et par suite d'une hésitation dont vous n'ignorez pas la cause, il est possible que je ne parte point 130

ou que je parte trop tard. Eh bien ! voyez quelle pensée s'est logée dans ma tête : tout ce que je voulais pour Trébatius, j'ai imaginé qu'il pourrait l'obtenir de vous, et par Hercule, je lui ai dit que les effets de votre généreuse bienveillance n'étaient pas moins sûrs que les promesses de mon amitié. — Mais voici un incident curieux qui a justifié, comme à point nommé, ma confiance, et qui me garantit vos bontés. J'étais chez moi à causer avec Balbus, notre ami, et je lui parlais sérieusement de mes vues pour Trébatius ; on me remet une lettre de vous. Or voici ce que j'y lis à la fin : « Puisque vous me recommandez M. Oriius, j'en ferai le roi des Gaules, à moins que vous n'aimiez mieux eu faire le lieutenant de Lepta. Avez-vous quelque autre fortune à faire, je m'en charge. » Balbus et moi d'élever les mains au ciel. Une coïncidence si extraordinaire nous parut, je ne dirai pas un jeu du hasard , mais une faveur des dieux. Je vous envoie donc Trébatius non plus seulement de propos délibéré., mais d'après votre invitation formelle. — Choyez-le, je vous en prie, mon cher César, avec la bonté qui vous caractérise, et réunissez sur lui la somme entière de bienveillance que je puis attendre de vous pour tous mes amis ensemble. Je vous réponds de loi, comme je vous ai répondu de Milon, non plus dans ce langage suranné dont vous vous êtes moqué si justement ; c'est en bon latin, comme parlent les honnêtes gens, que j'affirme qu'il n'y a pas d'homme plus essentiellement honnête et bon, ni plus réservé. Ajoutez que pour le droit civil il fait école ; que sa mémoire est merveilleuse, et son savoir, immense. Je ne vous demande pour lui ni tribunat de légion, ni préfecture, ni aucun autre emploi déterminé. Je vous demande votre bienveillance et votre généreuse amitié, sans m'opposer d'ailleurs à ce que, si tel est votre bon plaisir, il reçoive de vous ces témoignages de confiance et de faveur qui flattent toujours l'amour-propre. Enfin je fais passer Trébatius, comme on dit, de mes mains dans vos mains, dans vos victorieuses et fidèles mains. J'insiste trop peut-être; avec vous je ne le devrais pas. Mais je vois d'ici que vous me le pardonnerez. Ayez soin de votre santé, et aimez-moi comme vous savez aimer.

134. — A QUINTUS. Rome, février.

Q. II, 13. J'ai bien ri de votre neige noire. Que j'aime à vous voir cette gaieté d'esprit, et cette belle humeur! Je suis de votre avis sur Pompée; ou plutôt, vous êtes du mien. Car ce n'est pas d'aujourd'hui, vous le savez, que votre César est mon héros. Croyez que je le porte dans mon cœur, et qu'il y restera. — Voici ce qui s'est passé aux ides. Célius était assigné pour le dixième jour. Mais Domitius ne put réunir les juges en nombre. Servius Pola est un caractère sombre et dur; je crains qu'il n'en vienne à l'accusation. Car toute cette race Clodienne est déchainée contre notre Célius. Rien n'éclate encore ; mais je crains. Ce même jour, le sénat a donné audience aux Tyriens. L'assemblée était nombreuse. De leur côté, les fermiers de Syrie sont venus en masse. Grandes récriminations contre Gabinius. Domitius a tancé les fermiers sur ce qu'ils étaient montés à cheval pour le reconduire. Notre ami Lamia l'а vertement relevé pour certaine apostrophe. « C'est votre faute, chevaliers, avait dit 131 Domtiius ; vous jugez trop mollement. » — « Nous jugeons du moins, et vous vous excusez », a reparti Lamia. La nuit vint, et l'affaire en resta là. — Appius prétend que la loi Puppia ne s'oppose point a ce qu'il convoque le sénat dans les jours de comices qui suivent les Quirinales ; et de plus, que, d'après un article de la loi Gabinia, le sénat doit accorder expressément aux députés une audience chaque jour, depuis les kalendes de février jusqu'à celles de mars. II est donc probable qu'on poussera jusqu'au mois de mars pour la tenue des comices. Mais les tribuns n'en annoncent pas moins leur action contre Gabinius pour cette époque. Je ramasse tout pour vous dire du nouveau. Mais, vous le voyez, la matière manque. —Je reviens donc à Callisthène et à Philiste,dans lesquels je vous vois plongé jusqu'au cou. Callisthène est de ces esprits communs, comme on en voit partout. C'est du moins ce que je tiens de plusieurs Grecs. Le Sicilien, au contraire, est un écrivain de première ligne, fécond, pénétrant , concis ; c'est presque un petit Thucydide. Mais laquelle avez-vous de ses histoires? car il y en a deux. Avez-vous le tout? Je préfère, moi, celle de Denys, maître fourbe que Philiste avait bien connu. Réellement, allez-vous essayer l'histoire? vous le pouvez en toute sûreté, je vous jure. Puisque vous êtes si exact à me fournir des messagers, vous aurez les nouvelles d'aujourd'hui aux Lupercales. Amusez-vous bien, vous et notre Cicéron.

135. — A TRÉBATIUS. Rome, avril.

F. VII, 6. Je n'adresse pas une lettre à César ou à Balbus, sans y mettre un mot pour vous, non pas un mot banal, mais de ces mots significatifs qui disent hautement tout le bien qu'on veut aux gens. De votre côté, point de faiblesses, point de regrets frivoles de Rome et de ses habitudes. Vous êtes parti avec un but : mettez-y de la suite, du courage, et arrivez. Vos amis vous pardonnent votre absence, comme pardonnèrent autrefois à Médée « les riches et puissantes matrones de la haute ville de Corinthe,» à qui elle sut persuader par artifice qu'elles ne devaient pas lui faire un crime de s'être éloignée de sa patrie. Que de fois n'a-t-on pas été utile à soi et à ses concitoyens loin de sa patrie ! que de fois n'at-on pas trouvé la honte sur le sol natal ! C'est ce qui vous attendait, si nous ne vous eussions chassé de Rome. Je reviendrai une autre fois sur ce texte. En attendant, vous qui enseignez si bien aux autres à prendre leurs sûretés, prenez les vôtres contre les chariots bretons, et puisque j'ai déjà fait parler Médée, souvenez-vous toujours de son conseil : « n'est sage que qui sait « être sage à son profit. » Ayez soin de votre santé.

136. — A TIRON. Avril 10.

F. XVI, 13. Revenez-moi bien portant. Je ne vous demande rien autre. Je vous ai envoyé Ménandre, dont j'attends le retour avec la dernière anxiété. Si vous m'aimez, ayez bien soin de vous, et sitôt que vous aurez repris vos forces , accourez, accourez. Adieu.

132  137. — A TIRON. 10 Avril.

F. XVI, 14. Andricus n'est arrivé que le lendemain du jour où je l'attendais. Aussi j'ai passé une nuit d'effroi, une nuit cruelle. Quoique votre lettre ne dise pas comment vousêtes, elle m'a pourtant remis. Je ne m'abandonne à aucun plaisir, ne m'occupe d'aucune étude. Tant que je ne vous verrai pas, je ne suis capable de rien. Qu'on promette au médecin tous les honoraires qu'il demandera , je l'ai écrit à Ummius. On me mande que vous vous affectez beaucoup et votre état s'en ressent, à ce que dit le médecin. Si vous m'aimez, queje voie se ranimer en vous ce goût des lettres et du beau qui fait que vous m'êtes si cher. Il faut que l'esprit soit sain pour que le corps le devienne. Faites quelque chose. Ce n'est pas seulement pour vous, c'est pour moi que je vous en prie. Gardez Acaste ; vous serez mieux servi. Enfin conservez-vous pour moi. Le jour de mes promesses approche. Je l'avancerai même, si vous arrivez. Adieu. Adieu. Le 4 des Ides, à la sixième heure.

138. — A TIRON. Avril.

F. XVI, 15. Égypta est arrivé la veille des ides d'avril. La fièvre, m'a-t-il dit, vous avait entièrement quitté et vous vous trouviez assez bien. Cependant il vous est encore impossible d'écrire, et cela m'inquiète, d'autant qu'Hermia, qui devait arriver le même jour, n'a pas encore paru. Le trouble où je vis est inexprimable : que si vous m'en délivrez, moi, je vous délivrerai de tout soin pour toujours. Je vous écrirais plus longuement, si je vous croyais en état de lire. Vous avez de l'esprit, et vous savez à quel point je le prise. Eh bien! pour vous, pour moi, appliquez tout votre esprit à vous bien porter, et veillez sans cesse sur vous. Adieu. —J 'avais fini ce mot : voici Hermia qui arrive. Il me remet une lettre. Comme votre pauvre main tremble! Il n'y a rien d'étonnant après une maladie si grave. Je vous renvoie Égypta ; il est d'un bon caractère et je crois qu'il vous aime. Il restera près de vous. J'envoie avec lui un cuisinier dont vous pouvez avoir besoin. Adieu.

139. — A TRÉBATTOS. Rome, mai.

F. VII ,7. Je ne cesse d'écrire pour vous. Quel est l'effet de mes recommandations? C'est à vous que je le demande. J'espère beaucoup de Balbus ; il reçoit à chaque instant des lettres de moi toutes plus pressantes les unes que les autres. Ce qui m'étonne, c'est de ne pas avoir des nouvelles de vous chaque fois que j'en ai de mon frère. Cette Bretagne n'a donc ni mine d'or ni mine d'argent. S'il en est ainsi, prenez un de ses chariots, et revenez-nous bien vite. Mais si ce que nous voulons pour vous ne peut se faire qu'en Bretagne, arrangez-vous alors pour gagner l'amitié de César. Mon frère vous y aidera puissamment, et Balbus aussi. Mais croyez-moi, votre probité et votre travail y feront encore plus. Tout concourt à vous servir. Vous avez en César le plus généreux des patrons; vous êtes dans l'âge le plus propice, et recommandé, si on le fut jamais. Ne redoutez qu'une chose, c'est de ne pas savoir profiter de tous ces avantages.

140. A ATTICUS. Cumes, mai.

A. IV, 14. Une lettre de notre ami Vestorius 133 m'apprend que vous n'êtes parti de Rome que le 6 des ides de mai, plus tard qu'il ne me l'avait dit d'abord, parce que vous avez été souffrant. Vous êtes tout à fait bien aujourd'hui ; c'est ma joie de le penser. Obligez-moi de laisser chez vous des ordres pour que vos livres soient à ma disposition en votre absence comme quand vous y êtes, tous indistinctement, ceux de Varron surtout. J'ai besoin de consulter ces ouvrages pour celui que j'ai actuellement en main et que je me flatte d'arranger à votre goût. — Si vous savez quelque chose, d'abord de mon frère Quintus, puis de С César, puis encore des comices et de la situation en général (vous êtes si habile à sentir de loin les événements), mandez-le-moi. Si vous n'avez rien à me dire, écrivez-moi toujours. Une lettre de vous est toujours bien venue et toujours trop courte. Par-dessus toute chose, une fois vos affaires faites, une fois ce voyage accompli de point en point comme vous le projetez, revenez-moi au plus vite. Mes compliments à Dionysius. Portez-vous bien.

141. — A QUINTUS. Cumes, mai.

Q. II, 14. J'ai reçu deux lettres de vous, l'une presque en vous quittant, l'autre écrite d'Ariminum. Vous dites m'en avoir adressé d'autres ; je ne les ai pas reçues. Je suis à Cumes et à Pompéi sans vous ; mais à cela près, le mieux du monde. Je ne quitterai pas ces lieux avant les kalendes de juin. J'y travaille à ce livre de politique dont je vous ai parlé, œuvre serrée et de longue haleine. Mais qu'elle marche à mon gré, et ma peine n'aura pas été perdue. S'il en est autrement, je jette le tout dans la mer, que j'ai là sous mes yeux ; puis je choisirai quelque autre sujet; car ne rien faire est pour moi chose impossible. — Je suivrai vos idées de point en point, tant sur les liaisons nouvelles que nous devons contracter, que sur celles qu'il faut empêcher de se rompre. Votre Cicéron, qui est aussi le mien, sera mon premier soin, mon soin de tous les jours. Je le surveillerai dans ses études, et même, sous son bon plaisir, je m'offrirai pour être son maître. Je me suis habitué à ce rôle en exerçant son jeune cousin dans ces jours de loisir. — De mon côté, j'attends de vous l'exécution réfléchie, active, complète de mes recommandations. Vos lettres m'en donnent l'assurance, et ne le feraient pas, que je n'y compterais pas moins. Quand je serai à Rome, je ne laisserai pas partir un courrier de César sans lui donner une lettre pour vous. Depuis quelques jours (il faut que vous me le pardonniez), je n'ai trouvé d'occasion que celle de M. Orflus, chevalier romain, l'un de mes meilleurs amis. Il est de la ville municipale d'Atella, qui est, comme vous le savez, sous mon patronage. Aussi je vous le recommande d'une façon toute particulière. Prépondérance locale, considération au dehors, cet homme a ce qu'il faut pour que vous cherchiez à vous l'attacher par des bienfaits. Il est tribun militaire dans notre armée. Vous le trouverez en tout reconnaissant et fidèle. Je vous demande aussi de bien aimer Trébatius. Adieu.

142. A TRÉBATIUS. Rome, mars.

F. VII, 8. César m'écrit, avec toute sorte de bontés, qu'il n'a pas encore fait entièrement votre connaissance ; que ses occupations en sont cause ; 134 mais que cela viendra. Je lui réponds qu'il ne peut rien faire de plus agréable pour moi que de vous accorder, dans la plus large mesure, attachement , bienveillance et faveur. Mais je vois, par votre lettre, que votre impatience passe toute raison, et j'admire que vous ayez fait fi des avantages du tribunat, surtout lorsque l'on vous dispensait des fatigues du service militaire. Je m'en plaindrai à Vacerra et à Manilius. Quant à Cornélius , je ne lui en dirai mot. H est trop compromis par cette étourderie d'un homme qui fait profession d'être son disciple. Pourquoi donc ne pas saisir une occasion que vous ne retrouverez jamais si sûre et si belle? J'ai fait ce que vous me demandez pour le fameux jurisconsulte Précianus ; je ne cesse de vous recommander à lui. Il m'a écrit en effet que vous lui deviez des remercîments. De quoi s'agit-il, je vous prie? Mandez-le-moi. Je compte que vous m'écrirez de votre Bretagne. Adieu.

143. - A Quintus.  Rome, juin.

Q. II, 15. ( 1re part. ) J'ai reçu, le 4 des nones de juin, jour de mon arrivée à Rome, votre lettre datée de Plaisance. Celle du lendemain , datée de Lodi, m'est parvenue le jour môme des nones, en même temps qu'une lettre de César, affectueuse, obligeante et gracieuse au dernier point. Voilà des ouvertures brillantes, magnifiques; une perspective assurée de gloire et d'honneurs. Mais ( vous me croirez aisément, vous qui me connaissez) de tous ces avantages, ce que j'estime le plus, je le possède déjà , puisque j'ai un frère tout dévoué aux intérêts de notre commune gloire ; et puisque César m'honore d'une amitié que je mets au-dessus de tout ce qu'il offre d'appât à mon ambition. Deux passages notamment ont été lus par moi avec un plaisir Indicible. Dans le premier (c'est le début de sa lettre), il exprime à quel point il a été joyeux de votre arrivée et de ce renouvellement de notre ancienne amitié. Dans le second, il fera, dit-il, en sorte qu'au milieu de l'amertume d'une séparation et des chagrins de l'absence, Je me félicite du moins de vous savoir près de lui. — M'inviter à concentrer sur lui toutes mes affections, c'est un conseil de frère; mais le coursier que vous piquez est déjà au galop. Je ferai, dans mon ardeur, comme le voyageur pressé qui s'est levé trop tard ; il double le pas, et arrive au but plus tôt même que s'il eût devancé le jour. Vous aviez beau me pousser, je m'étais un peu endormi sur ce qu'il fallait faire pour cultiver l'amitié d'un tel homme. Mais je regagnerai le temps perdu. Déjà je presse le pas, ou plutôt (mon poème lui plaît, dites-vous) je vole sur le quadrige poétique. Que je puisse donc avoir cette Bretagne à peindre ! Prêtez vos couleurs à mon pinceau. Mais que dis-je? Où trouver du temps, à Rome surtout, s'il faut m'y fixer, comme il m'en prie? Mais cette fois encore, ma tendresse pour vous viendra peut-être à bout de tous les obstacles.— César me remercie, très spirituellement, et d'une manière tout aimable, de lui avoir donné Trébatius. Entre tant de gens qui l'entourent, pas un, dit-il, ne serait capable de dresser une assignation. Je lui ai demandé le tribunat pour M. Curtius. Si je me fusse adressé à Domitius, il aurait cru que je me moquais de lui ; car il dit tout haut qu'il ne pourrait nommer même un tribun militaire. Il allait l'autre 134 jjour jusqu'à plaisanter en plein sénat son collègueAppius, qui s'est, dit-il, rendu près de César pour lui arracher quelque nomination de tribun. Au surplus, je ne demande que pour l'année prochaine, et Curtius ne l'entend pas autrement.—Je suis et je continuerai d'être dans mes relations politiques, et même à l'égard de mes ennemis, ce que vous jugez bon que je sois ; c'est-à-dire, souple comme un cheveu.—A Rome, voici où l'on en est. On espère les comices, mais faiblement. On appréhende une dictature, mais sans y croire tout à fait. Au forum, inaction complète, symptôme de décrépitude plutôt que de tranquillité. Quant à ma position dans le sénat, on m'y écoute avec complaisance. Mais je ne suis pas content de moi. « Voilà le fruit de cette guerre fatale. »

144.  - A QUINTUS.  Rome, juin.

Q. II,  15. (2e part.) Allons, je prendrai une plume mieux taillée, de l'encre plus claire, un papier plus lisse, puisque vous n'avez pu lire, dites-vous, ma dernière lettre; mais n'en cherchez pas si loin la cause. Il n'y avait chez moi préoccupation, perturbation, ni colère contre qui que ce fût. C'est tout simplement que j'écris avec la première plume venue, bonne ou mauvaise.—Attention , maintenant ; je vais répondre à tout ce que vous avez su, eu véritable homme d'affaires, resserrer dans si peu de mots. Vous voulez que, sans déguisement, sans réticence, sans ménagements, mais avec franchise et comme il convient à un frère, je vous dise si vous devez, le cas se présentant, accourir au premier mot ; ou attendre tranquillement sur les lieux jusqu'à votre libération. Si la question était de peu d'importance , mon cher Quintus, je vous laisserais libre, tout en vous donnant mon avis. Mais ici il est évident qu'au fond vous voulez savoir sous quel aspect se présente pour moi l'année qui arrive. Eh bien ! de deux choses l'une, ou elle sera paisible, ou elle me trouvera vigoureusement entouré et soutenu. Chez moi, au forum, au théâtre , je reçois les témoignages les moins équivoques. Je crois pouvoir compter sur mes propres ressources, et je suis bien avec César et Pompée. Ce sont là des gages de sécurité. Qu'il éclate, au surplus, quelque agression insensée, mes précautions sont prises. Voilà ma pensée, ma manière de voir; j'y ai bien réfléchi, et je vous la dis tout entière. C'est avec l'autorité d'un frère et non par complaisance pour vous que je vous défends d'en douter. Certainement si je ne consultais que notre commun plaisir, je voudrais vous voir arriver à l'époque que vous aviez fixée. Mais je pense comme vous ( vos intérêts avant tout) qu'il vaut mieux attendre cette éventualité, et ne pas aller au-devant de vos créanciers. Une fois hors de cet embarras, si nous avons la santé, nul ne sera plus heureux que nous. Avec des goûts comme les nôtres, ce qui nous manque est peu de chose, et il est facile d'y pourvoir. Mais il faut se bien porter. — La brigue recommence plus effrénée que jamais. On ne vit jamais rien de pareil. Aux ides de juin, l'intérêt de l'argent est monté au double; c'est l'effet de la coalition de Memmius et de Domitius contre Scaurus. Messalla mollit. Je n'exagère point en disant qu'ils iront jusqu'à dépenser dix millions de sesterces. 136 L'indignation est au comble. Les prétendants au tribunat ont déposé chacun cinq cent mille sesterces entre les mains de Caton, s'engageant à tenir pour coupables ceux qu'il condamnera. Si, comme on l'espère, la corruption n'atteint pas les comices, Caton seul y aura plus fait que toutes les lois et que tous les juges ensemble.

145. — A ATTICUS. Rome, juillet.

A. IV, 15. Je suis charmé de ce que vous avez fait pour Eutychide, qui va désormais s'appeler Titus Cécilius, de votre ancien prénom et de votre nouveau nom; c'est ainsi que de mon nom joint au vôtre, on a composé pour Dionysius celui de Marcus Pomponius. Oui,dites à Eutychide que vos bontés pour moi n'ont pas été tout à fait étrangères à votre détermination, et que la sympathie qu'il m'a témoignée dans le temps de mes malheurs, et qui m'est bien connue, n'a pas été perdue pour lui dans cette circonstance. Je serai heureux qu'il le sache. — Ce voyage d'Asie était sans doute bien indispensable? car vous n'auriez pas consenti, je pense, sans les plus puissants motifs, à vous séparer si longtemps de tout ce qui vous est cher, hommes et choses. Au surplus, c'est à la promptitude de votre retour que nous jugerons de vos sentiments et de votre affection pour les vôtres. Mais je redoute pour vous les séductions du rhéteur Clodius et de ce savant homme qui, dit-on, s'est pris tout à coup de passion pour le grec, l'illustre Pituanius. Allons, soyez brave, et revenez-nous à l'époque promise. En revanche, nous vous laisserons jouir d'eux tout à votre aise à Rome, s'ils y viennent jamais en chair et en os. — Vous auriez grand plaisir, dites-vous, à recevoir de mes nouvelles. Je vous ai adressé une espèce de journal de tout ce qui se passe. Mais je suppose que vous serez resté fort peu de temps en Épire, et qu'il ne vous sera point parvenu. Les lettres que je vous écris sont telles que je ne puis guère les confier qu'à des mains tout à fait sûres. — Mais il est temps de vous parler des affaires de Rome. Le 3 des nones de juillet, Sufénas et Caton ont été absous; Procilius a été condamné. Cela prouve que notre triple aréopage ne tient aucun compte ni de la brigue, ni des comices et de l'interrègne, ni des crimes d'État, ni de la république elle-même. Seulement il ne faut pas tuer un père de famille dans sa maison ; et encore vingt-deux juges ont-ils été d'avis d'absoudre : vingt-huit seulement ont condamné. Dans une péroraison vraiment éloquente, Publius, qui soutenait l'accusation, a ému vivement les juges. Hortalus a été ce qu'il est toujours. Moi, je n'ai pas parlé. Ma fille, qui est malade, avait craint une boutade de ma part contre Clodius. — Ces choses terminées, les habitants de Réate m'ont emmené dans leur Tempe, pour plaider contre ceux d'Intéramne devant un consul et dix commissaires. Il s'agit d'un passage que M. Curius a donné, en coupant la montagne, aux eaux du lac Vélinus, lesquelles se déchargent ainsi dans le Nar, rendant le vallon très-sec et laissant à peine un peu d'humidité à la plaine de Rosa. J'ai logé chez Axius; il m'a mené aux Sept-Fontaines. — Je suis revenu à Rome pour le procès de Fontéius, le 7 des ides de juillet. J'allai au spectacle. A mon entrée, longs et unanimes applaudissements. Mais laissons cela, ce n'est pas à moi d'en parler. Antiphon parut. Il était affranchi avant de se montrer. En deux mots, pour ne pas vous faire languir, il a 137 eu la palme. Mais vous aurez beau dire, il n'y a pas d'acteur plus avorton, de voix plus grêle, de.... Gardez cela pour vous cependant. Dans Andromaque, il faut le dire, il est plus grand qu'Astyanax. Mais partout ailleurs on ne trouverait personne qui fût de taille avec lui. Vous voulez que je vous parle d'Arbuscula ; elle a été charmante. Jeux magnifiques; succès complet. La chasse est ajournée. — Suivez- moi maintenant au Champ de Mars. Là , la brigue est active, a telles enseignes qu'aux ides de juillet, l'intérêt est monté de quatre à huit. Eh! me direz-vous, je n'en suis pas fâché. L'honnête homme! le bon citoyen! César appuie de toutes ses forces Memmius. Les consuls portent Domitius avec lui. Quel a été le prix du marché? c'est ce que je n'ose confier à cette lettre. Pompée ronge son frein, se plaint tout haut, et se déclare pour Scaurus; est-ce du bout des lèvres ou du fond du cœur? je ne saurais vous le dire. Point de candidat qui prime. Nul n'enchérissant, les droits en présence sont de niveau. Messalla faiblit. Ce n'est pas le cœur ou les amis qui lui manquent ; mais la coalition des consuls et Pompée l'entravent. Ces comices-là , je crois, seront prorogés. Les prétendants au tribunat sont convenus, sous serment, de soumettre leur conduite au jugement de Caton. Ils ont déposé chacun cinq cent mille sesterces entre ses mains. Celui qu'il condamnera perdra la somme, et les autres se la partageront. — On attend demain les élections. Si elles ont lieu en effet, et si le messager n'est pas parti, je vous en donnerai tout le détail le 5 des kalendes d'août. Si, comme on s'en flatte, l'argent n'y est pour rien, Caton seul aura plus fait que tous les juges. — Je me suis chargé de la cause de Messius. Appius l'avait placé comme lieutenant près de César ; mais il est revenu pour répondre à la sommation de Servilius, qui lui enjoint de comparaître. Il a pour lui les tribus Promptina, Vélina, Mécia. La lutte sera vive. Cependant on est en mesure. Je me mets ensuite à la disposition de Domitius, puis de Scaurus. Mes discours, vous le voyez, vont se remplir de glorieux noms; peutêtre même les consuls désignés y figureront-ils. Si Scaurus n'en est pas, il aura bien de la peine à se tirer d'affaire. — Je vois, d'après les lettres de mon frère, qu'il doit être déjà en Bretagne. J'attends avec inquiétude des nouvelles ultérieures. J'ai déjà gagné de savoir que César m'aime, et que je lui plais. J'en ai des preuves en foule et des plus positives. Mes compliments à Dionysius. Dites-lui donc, persuadez-le donc de venir, le plus tôt possible, nous donner des leçons à mon cher Cicéron et à moi.

146. — A TRÉBATIUS. Rome, août.

F. VII, 9. Il y a un siècle que je ne sais plus ce que vous devenez. Vous ne m'écrivez point; et voilà deux mois que je ne vous ai écrit moi-même. Vous n'êtes pas avec mon frère Quintus, et je ne sais ni où ni par qui vous écrire. Dites-moi donc ce que vous faites et où vous comptez passer l'hiver. Je voudrais que ce fût avec César. Dans l'affliction où il se trouve, je n'ose lui écrire ; mais j'ai écrit à Balbus. Songez à vos intérêts. Ne revenez pas si vite, et revenez les mains pleines. Rien ne vous presse, surtout depuis la mort de Battara. Mais vous n'avez pas besoin de conseil. Mandez-moi seulement le parti auquel vous vous serez arrêté. Vous avait un ami qu'on appelle, je crois, Cn. Octavius, ou peut-être Cn. Cornélius, gi;rand homme d'ailleurs, et de la plus haute origine , un fils de la terre enfin. Ce quidam , qui sait que je suis votre ami , ne cesse de m'inviter à souper. Je ne me suis pas encore rendu à son invitation , mais je n'y suis pas moins sensible.

147. - A QUINTUS.  Rome, août.

Q. .II, 16. Quand mes lettres sont de la main d'un secrétaire, croyez que mes occupations sont grandes. Quand j'écris moi-même, c'est que j'ai un peu moins à faire. Jamais, par exemple, les travaux judiciaires ne m'ont serré de si près : et cela, dans une saison accablante, par une chaleur excessive. Mais puisque vous le voulez, je me résigne à tout, et l'on ne me reprochera point de trahir votre confiance ou votre pensée. Si d'ailleurs ma tâche est pénible, il y a de l'honneur et de la considération à la poursuivre. Ainsi, pour entrer dans vos vues, non seulement j'ai soin de n'indisposer personne, mais je m'attache encore à me concilier ceux mêmes pour qui c'est un chagrin de me voir en si bonne harmonie avec César. Quant à ceux qui n'ont point pris de parti, ou qui penchent vers le nôtre, je veux tout à fait gagner leur cœur. Le sénat, durant plusieurs Jours, a retenti des plus violentes sorties contre la brigue. Elles s'adressaient aux candidats consulaires qui sont allés en ce genre à des excès vraiment intolérables. Je me suis absenté, bien décidé à ne me mêler qu'à bonnes enseignes du soin de guérir la république. Aujourd'hui même, Drusus, accusé de prévarication, vient d'être absous, à quatre voix de majorité , par les tribuns du trésor. Le sénat et les chevaliers l'avaient condamné. Je plaiderai cet après-midi pour Vatinius. La cause n'est pas difficile. Les comices sont rejetés au mois de septembre. Le procès de Scaurus va s'ouvrir. Je ne lui ferai pas défaut. Je vois bien que vous avez fort gaiement joué votre rôle dans cette scène de parasites à la Sophocle : mais ne comptez pas sur mon suffrage. — Je finis par où j'aurais dû commencer. Quel plaisir m'ont fait vos lettres sur la Bretagne ! J'avais peur de cet Océan ; j'avais peur de ces côtes. Ce n'est pas que tout soit dit encore ; mais il me reste maintenant plus à espérer qu'à craindre, et, pour être souvent impatient, mon cœur du moins ne sera plus rempli d'alarmes. Le beau sujet que vous avez là à traiter ! Cet aspect de la contrée, cette condition des lieux et des choses! ces mœurs locales! ces peuplades! ces faits d'armes ! et ce général par-dessus tout! Je vous promets volontiers mon aide tant qu'il vous plaira. Vous aurez aussi les vers que vous me demandez, puisque vous voulez que je porte des chouettes à Athènes. — Mais à propos, je crois que vous me cachez quelque chose. Que pense César de mon poème, je vous prie? Il m'a déjà écrit qu'il avait lu le premier livre et qu'il n'avait rien vu même en grec qui lui plût davantage. Le reste, jusqu'à certain passage, est plus négligé : c'est son expression. Dites-moi ce qui lui déplaît, le fonds ou la forme, et ne craignez rien de la franchise. Mon affection pour vous n'en diminuera point de l'épaisseur d'un cheveu. Allons, parlez en ami du vrai et en frère.

139 148. - A TREBATIUS.  Rome, août.

F. VII, 10. Je lis votre lettre, et je vois que vous passez pour un très-grand jurisconsulte aux yeux de César. Applaudissez-vous d'être dans un pays où l'on vous tient pour savoir quelque chose. Que n'êtes-vous allé aussi en Bretagne ! On eût fait le tour de cette grande île avant de trouver un plus habile que vous. Je vous dirai toutefois (laissez-moi rire un peu, à votre exemple) que je suis tant soit peu jaloux de vous voir appelé si souvent chez un homme dont personne ne peut approcher, tant il est occupé, non pas certes, tant il est fier. — Pourquoi, s'il vous plaît, ne me donner aucun détail? vous savez, par Hercule, que vos affaires me touchent autant que si elles m'étaient personnelles. J'ai bien peur que vous ne geliez dans vos quartiers d'hiver : mettez double bûche au foyer ; ainsi pensent Mucius et Manilius ; d'autant que votre garde-robe est assez légère. D'un autre côté pourtant, on dit qu'il fait assez chaud maintenant là où vous êtes ; et je me suis mis à trembler pour vous à cette nouvelle. Heureusement, vous êtes moins aventureux à la guerre qu'au barreau, nageur passionné à qui l'eau salée fait peur, vous qui avez si peu d'amour pour les chars bretons, et qu'on ne pouvait ici arracher aux andabates. Mais trêve de raillerie. — Vous savez très-pertinemment en quels termes j'ai écrit à César : combien de fois, moi seul je le sais. J'avais à la fin mis un temps d'arrêt pour ne pas paraître douter des bonnes dispositions du plus généreux et du plus affectueux des hommes. Cependant il m'a paru bon de glisser un souvenir dans ma dernière lettre. Dites-moi ce que ce mot aura produit et parlez-moi en même temps de votre position et de vos projets. Je désire connaître ce que vous faites, ce que vous espérez et combien de temps doivent durer, d'après vos calculs, votre absence et notre séparation. Croyez, je vous prie, que ma seule consolation de ne pas vous avoir ici, est de penser que votre intérêt l'exige. S'il en était autrement, ce serait une folie sans pareille à nous deux, à moi de ne pas vous rappeler vite à Borne, à vous de ne pas prendre des ailes pour y arriver. Je fais, parbleu, plus de cas d'une causerie badine ou sérieuse avec vous que de tous les peuples étrangers ensemble , et même de nos frères les Éduens. Mettez-moi donc bien vite au courant de tout ce qui vous touche. — « Faut-il vous aider de mes consolations, de mes conseils ou de ma bourse?

149. — A  QUINTUS. Rome, fin de septembre.

Q. III, 1. Après ces chaleurs excessives, les plus fortes dont j'aie gardé le souvenir, je suis venu avec délices me refaire aux eaux d'Arpinum. J'y ai passé le temps des jeux, en recommandant à Philotime les gens de ma tribu. J'étais le з des ides de septembre à Arcanum, où j'ai trouvé Messidius et Philoxène. J'ai vu l'eau qu'ils ont amenée du voisinage couler assez bien pour l'extrême sécheresse, et ils se flattaient d'en augmenter le volume. Hérus est bien. A la villa Manilienne, j'ai trouvé Diphilus qui, en fait de lenteur, a trouvé le moyen de se surpasser lui-même. Cependant, il ne lui reste à terminer que les bains, la terrasse et la volière. Je suis enchanté de cette maison. Le portique dallé est tout à fait grandiose. L'effet m'en a frappé aujourd'hui, qu'il 140 est entièrement démasqué et que les colonnes sont taillées. Il ne reste plus (et je m'en charge) qu'à bien choisir le stuc. Les dalles font déjà très bien. Quelques voûtes m'ont paru demander des changements que j'ai indiqués. L'endroit du portique où vous voudriez, disent-ils, un petit vestibule, est mieux comme il est. L'espace manque. Cette disposition d'ailleurs n'est d'usage que dans les édifices où un grand vestibule peut trouver place ; et il n'en serait plus resté pour les chambres à coucher, et leurs dégagements, au lieu que maintenant on a une voûte d'un bon effet et l'avantage de pouvoir y prendre le frais l'été. Si vous persistez cependant, envoyez un nouvel ordre. Autre changement. Le fourneau des bains était disposé de manière que le tuyau qui conduit la chaleur passait précisément sous les chambres à coucher. Je l'ai fait avancer vers l'un des angles de l'apodytère (vestiaire). J'ai fait approuver l'arrangement de la grande chambre à coucher et de celle d'en haut pour l'hiver. Elles sont spacieuses et communiquent à la terrasse du côté le plus voisin des bains. Les colonnes n'étaient ni droites ni alignées; Diphile prendra la peine de les replacer. Peut-être, un jour, saura- t-il se servir du plomb et du cordeau, mais j'espère que d'ici à quelques mois sa besogne sera finie, car j'avais avec moi Césius qui saura bien le presser. — De là je me suis rendu directement par la voie Vitulaire à la terre que j'ai achetée pour vous de Fufidius un million de sesterces, ainsi que je vous l'ai écrit dernièrement d'Arpinum. Nulle part, je n'ai vu de plus beaux ombrages. De l'eau vive partout, et à pleines sources, au point que Césius estime que vous y trouverez l'arrosement de cinquante arpents de prés. Ce queje puis affirmer, par ce que je m'y entends mieux, c'est que ce sera une délicieuse habitation, lorsque vous y aurez ajouté un vivier, des jets d'eau, une palestre et quelques masses de verdure. On m'a dit que vous vouliez conserver la terre de Bovilles ; c'est à vous de vous consulter là-dessus. Cal vus prétend que, même en nous réservant la prise d'eau, constituée en servitude, nous pourrions encore à la vente eu retirer le prix d'achat. J'avais Messidius avec moi. Il m'a dit être convenu avec vous de trois écus le pied, et la superficie est de quatre mille pas, suivant sa mesure. Je crois qu'il y a davantage. Mais à coup sûr on ne peut mieux employer son argent. J'avais fait appeler Chilon de Vénafre ; mais le même jour, quatre de ses camarades ou élèves y ont été ensevelis sous un éboulement. — Le jour des ides de septembre, j'étais à Latérium. J'ai inspecté la route. Elle m'a paru si belle qu'on la prendrait pour une voie publique, excepté un espace de cent cinquante pas à partir du petit pont voisin de la maison de Furina, du côté de Satricum, que j'ai mesuré moi-même et où on a mis de la poussière au lieu de gravier; il faut que cela soit changé. La pente est aussi très-forte. Néanmoins j'ai compris que c'était une nécessité, puisque vous n'aviez pas voulu que le tracé passât sur le terrain de Locusta, ni sur celui de Varron, Véluinus a déjà disposé le sien; celui de Locusta n'est pas même remué. Mais je le verrai à Rome, et j'espère piquer son amour-propre. Je parlerai en même temps à Taurus pour cette concession 141 d'une conduite d'eau sur sa propriété .— J'ai témoigné ma satisfaction à votre fermier Nicéphore, et je lui ai demandé quels ordres il avait reçus de vous touchant le pavillon de Latérium. Il m'a répondu qu'il l'avait soumissionné pour seize cents sesterces, mais que vous aviez fait de nombreuses additions au devis, sans ajouter au prix de l'œuvre ; et qu'il y avait renoncé. Moi J'approuve très fort les additions au projet ; et quoique cette maison , dans son état de simplicité stoïque, semble faire le procès aux extravagances des autres, ces additions la rendront charmante. J'ai fait compliment à votre jardinier décorateur, qui a si bien tout tapissé de lierre depuis le soubassement du corps de logis jusqu'à l'entrecolonnement de la terrasse, que tous ces personnages à manteaux semblent n'être là que pour l'aider dans cette opération comme autant de vendeurs de lierre. L'apodytère est ce qu'il y a de plus frais avec sa garniture de mousse. — Voilà pour la campagne. Philotime et Cinciusse chargent de soigner nos embellissements de la ville. Mais je ne laisse pas que d'y avoir l'œil, et je le puis facilement. Soyez donc sans inquiétude à cet égard. Je comprends à merveille votre sollicitude pour votre Cicéron. Mais, à votre tour, permettez-moi de vous dire que vous ne l'aimez pas plus que je ne l'aime moi-même. Et plût au ciel qu'il eût été avec moi, comme il le désirait et moi aussi, pendant le temps que j'ai passé à Arpinum ! Vous pouvez écrire à Pomponia qu'il ne tient qu'à elle de me tenir compagnie dans mes excursions et d'amener sou fils avec elle. Mais s'il s'amuse à ne rien faire, je ferai tapage. A Rome, je n'ai pas le temps de respirer. Vous savez que j'offrais mes soins gratuitement. Que sera-ce quand vous y mettez un tel prix ? — Parlons de vos lettres. Elles affluaient pendant mon séjour à Arpinum. J'en ai reçu trois le même jour, écrites en apparence sous même date. L'une d'elles était assez longue et contenait cette remarque, que César avait reçu de moi, en même temps que vous, une lettre d'une date plus récente que celle qui vous était adressée. Cela vient d'Oppius, et souvent malgré lui. Il fixe tel jour pour l'envoi d'un courrier. Je lui remets mes lettres, mais un empêchement survient, et le départ ne peut avoir lieu que plus tard. Or, une fois dessaisi de mes lettres, je ne songe plus à en changer la date. — Vous me parlez de l'extrême affection que César a pour moi. Travaillons tous deux, vous à l'entretenir, et moi à l'accroître par tous les moyens possibles. J'ai fait à l'égard de Pompée ce que vous m'avez dit de point en point, et je continuerai. Vous me remerciez de consentir à ce que votre éloignement se prolonge. Hélas! c'est à mon grand regret, mais en un sens je m'en réjouis. Votre intention, en faisant venir les Hippodamus et autres, ne se conçoit guère. Il n'y a pas un de ces gens-là qui ne compte sur vous pour lui faire donner quelque chose, un terrain aux environs de Rome, par exemple. Quant à mon ami Trébatius, vous n'avez pas à vous en occuper sous ce rapport. Je l'ai recommandé à César, qui m'a déjà fait une réponse satisfaisante ; s'il n'est pas content, je n'y puis que faire. Mais vous n'avez à son égard aucun engagement. César vous aime de plus en plus; c'est pour moi un bonheur divin, et je chéris Balbus comme mes yeux, puisque vous en êtes redevable à ses bons offices. Je suis charmé que l'affection 142 soit réciproque entre vous et mon ami Trébonius. — Quant au tribunal, j'ai désigné nominativement Curtius. César aussitôt de me répondre qu'il accepte Curtius et que je suis un demandeur trop timide. A l'avenir, (ai-je dit à Oppius, afin qu'il l'écrive à César) il peut me refuser sans scrupule, car il est des gens qui ne lui conviennent pas et que je ne puis, moi, refuser sans les indisposer beaucoup. Je m'intéresse à Curtius, ainsi que je lui ai dit à lui-même, et parce qu'il s'est adressé à moi, et parce qu'il a pour lui le témoignage de vos lettres où je trouve mille preuves de son dévouement pour nous. Les affaires de Bretagne, d'après vos rapports, ne vont ni très-bien, ni très - mal. Vous vous adressez à Tiron pour être instruit des affaires publiques. C'est un point qu'en effet j'ai un peu négligé, sachant bien que petites nouvelles, grandes nouvelles, tout arrive à César. — J'ai répondu à votre plus longue lettre. Passons à la petite. Vous me parlez d'abord de celle que Clodius a écrite à César. J'approuve très-fort le parti que César a pris de ne faire aucune réponse à cet énergumène, malgré toute votre chaleur à le presser d'en faire une. Vient ensuite le discours de Calventius Marius. En vérité, je vous admire de croire que je dois y répondre. Mais ce discours, si je n'y réponds point, ne sera lu de personne ; et le mien est dans les mains des enfants qui l'apprennent par cœur comme leçon. Les ouvrages que vous attendez de moi sont bien entamés, mais le temps n'est pas venu de les unir. J'ai mis la dernière main à ces plaidoyers pour Scaurus et Plancius demandés avec tant d'instance. J'ai aussi commencé un poème en l'honneur de César, mais il a fallu l'interrompre. Et vous, il vous faut aussi des vers? votre source a donc tari? si j'ai le temps, nous verrons. — J'arrive à la troisième lettre. Quoi! Balbus va venir à Rome et en si bonne compagnie ! Et je le posséderai jusqu'aux ides de mai ! c'est une nouvelle qui me charme. Mais voilà que vous revenez ici sur vos précédentes recommandations de m'évertuer, de me mettre en avant. Eh oui, je le ferai; mais quand donc me sera-t-il permis de vivre? — J'ai reçu le jour des ides de septembre votre quatrième lettre datée de Bretagne, le 4 des ides d'août. Je n'y vois de nouveau que l'annonce d'Érigone (tragédie de Quintus) ; quand je l'aurai reçue d'Oppius, je vous en dirai mon avis. J'en serai content, je n'en doute pas. Effectivement, j'avais omis de vous parler de l'information qu'a reçue César touchant les applaudissements donnés à Milon. Je trouve tout simple que César s'en soit fait une si grande idée. Ils ont été très-grands en effet. Mais bien que ce soit Milon qui les ait reçus, ils étaient bien un peu à mon adresse. — Enfin j'ai encore reçu de vous une lettre arriérée d'une date fort ancienne, où vous me parlez du temple de Tellus et du portique de Catulus. Je n'ai négligé ni l'un ni l'autre. J'avais même fait placer votre statue dans ce temple. A l'égard des jardins, je n'en ai jamais été grand amateur, et celui de ma maison me suffit. Le 13 des kalendes d'octobre, en arrivant à Rome, j'ai trouvé le toit de votre maison achevé. Vous n'avez pas voulu qu'on lui laissât assez d'élévation au-dessus des appartements ; ce qui lui donne une inclinaison un peu disgracieuse du 143 coté du portique inférieur. Notre cher Cicéron a suivi assidûment son cours de rhétorique, en mon absence : soyez sans inquiétude sur ses progrès. Vous connaissez son intelligence, je suis témoin de son application et je réponds du reste. — Gabinius est aux prises avec trois cabales. D'abord L. Lentulus, fils du flamen, renouvelle son action en lèse-majesté. Vient ensuite T. Néron avec ses honnêtes souscripteurs; puis enfin Memmius, tribun du peuple, de concert avec L. Capiton. Il est entré en ville le 12 des kalendes d'octobre. On ne fait pas plus triste figure ; isolement complet. Toutefois je ne fais pas grand fonds sur toutes ces procédures. Caton étant malade, l'action de Spécula reste en suspens. Pompée travaille de toutes ses forces à rentrer en grâce près de moi, mais il n'a pas encore fait un pas vers son but et n'y arrivera guère, s'il dépend de moi le moins du monde de l'en empêcher. J'attends impatiemment de vos lettres. — On vous a dit que je m'étais trouvé à la réunion des candidats consulaires ; pure calomnie. Le mystère de leurs transactions a été dévoilé par Memmius : elles sont de telle nature que nul homme de bien n'a pu y intervenir. Je n'aurais pas été d'ailleurs mettre le pied dans un lieu d'où Messala était exclu ; car je tâche de ne rien faire qui puisse lui déplaire, à lui ainsi qu'à Memmius, et je me flatte d'y réussir. J'ai fait aussi plus d'une chose pour Domitius, et sur sa demande. Ma défense de Scaurus me donne les plus grands droits sur lui. On ne sait encore à quand les comices et quels consuls nous aurons. — Le 11 des kalendes d'octobre, comme je pliais cette lettre, arrive votre courrier, il a été vingt jours en route. Mon inquiétude était mortelle. Que la lettre de César est aimable et touchante ! Il y a dans ce qu'il écrit un charme qui augmente ma sympathie pour le malheur qui l'afflige. Mais occupons-nous de votre lettre. Oui, j'approuve encore une fois votre résolution de ne pas quitter César, aujourd'hui surtout que vous vous en êtes expliqué avec lui. Je suis aussi surpris que fâché qu'Oppius ait quelque chose à démêler avec Publius. — Quant à ce que vous me dites plus loin d'une lieutenance qui me serait donnée près de Pompée vers les ides de septembre, je n'en sais pas un mot, et j'ai écrit à César que son intention de me faire rester à Rome avait été communiquée par Vibullius à Pompée et non à Oppius. Pourquoi? Ce n'est pas que je repousse Oppius, mais Vibullius était porteur des premières instructions de César. César les lui avait données verbalement, et il en avait écrit seulement à Oppius. Je ne puis jamais avoir deux manières d'agir, quand il s'agit des affaires de César. Dans mes affections, il marche après vous et mes enfants, mais de si près que la distance est insensible. En cela, je parais faire acte de raison ; mais si l'aimer est pour moi un devoir, je l'aime bien plutôt encore pour céder au penchant qui m'entraîne.—Au moment où je terminais cette page de ma main, Cicerón est venu souper avec moi, Pomponia ayant un engagement au dehors. Il m'a montré une lettre qu'il venait de recevoir de vous dans le goût d'Aristophane, gaie tour à tour et sérieuse. J'en ai été charmé. II m'a fait lire également celle où vous lui prescrivez de ne me pas quitter plus qu'un maître. Que ces lettres l'ont rendu joyeux ! combien elles m'ont touché ! On n'est pas plus aimable, ni plus aimant que cet 144 enfant-là. Vous saurez que j'emploie ici la main de Tiron à qui je dicte tout en soupant. — Annalis est bien reconnaissant de votre lettre, de vos bons soins et de vos excellents conseils. Servilius père vous témoigne aussi toute sa gratitude pour une lettre qu'il dit avoir reçue de César et où il a pu reconnaître que ses sentiments avaient trouvé en vous un aussi bienveillant qu'habile interprète. — A mon retour d'Arpinum, j'ai appris le départ d'Hippodamus. Ne pas me demander mes lettres, se rendant près de vous, est un procédé dont je ne puis dire que j'aie été surpris de sa part, mais qui m'a sensiblement blessé. J'avais précisément compté sur lui, d'après vos indications mêmes, pour les dépêches de confiance, car je me réduis la plupart du temps à ne rien mettre ou à peu près dans ma correspondance avec vous, dans la crainte qu'elle ne tombe en mains tierces, ce qui pourrait avoir des dangers. J'ai encore Minucius, Salvius et Labéon; mais le dernier ou ne partira que tard, ou ne partira pas. Hippodamus n'a pas même demandé mes commissions. — T. Pinarius m'écrit les plus aimables choses sur votre compte. Il est ravi de vos lettres, de votre conversation, de vos soupers. C'est un jeune homme dont la société m'a toujours plu beaucoup, celle de son frère aussi. Continuez d'avoir pour lui des prévenances. — Cette lettre m'est restée longtemps entre les mains, dans l'attente d'un courrier. C'est ce qui fait que j'y jette quelque particularité de temps à autre, celle-ci par exemple. T. Anicius m'a dit à plusieurs reprises que s'il trouvait une maison à vendre dans les faubourgs, il ne manquerait pas de l'acheter pour vous. Deux choses m'étonnent en ceci. D'abord la correspondance où vous entrez avec lui pour ces achats, non-seulement sans m'en avoir écrit un mot, mais même après m'avoir écrit le contraire; eu second lieu, cet oubli des antécédents de cet homme, de ces lettres de lui que vous me fîtes voir à Tusculum. Ne vous souvenez-vous plus du précepte d'Epicharme ? « Sachez comment il s'est comporté avec « d'autres. » Ne vous rappelez-vous plus cette physionomie, ce caractère, ces propos? Mais j'ai bien tort de supposer Réfléchissez-y. Que je sache seulement vos intentions sur cet achat. Gare quelque fredaine d'Anicius ! — Ai-je encore quelque nouvelle? Eh oui, vraiment. Gabinius a fait son entrée de nuit le 4 des kalendes d'octobre. Aujourd'hui, forcé par l'édit d'Alfius de comparaître à la huitième heure, pour répondre à l'accusation de Majesté, il a failli être accablé par tout un peuple transporté de haine : c'est le dernier des nommes. Mais Pison ne le lui cède guère. Aussi voyez quel précieux morceau pour le second de mes deux livres, que l'épisode d'Apollon régalant le conseil des dieux d'une description du retour à venir de deux généraux qui auront, l'un perdu, l'autre vendu son armée. —César m'a écrit de Bretagne une lettre datée des kalendes de septembre, que j'ai reçue le 4 des kalendes d'octobre. Il paraît que les affaires n'y vont pas mal. César ajoute, pour que je ne sois pas surpris de ne rien recevoir de vous, que vous n'étiez pas avec lui lorsqu'il s'est rapproché des côtes. Son deuil m'a empêché de lui répondre et de le féliciter. Mon cher frère, je vous recommande avec instance le soin de votre santé.