Isocrate : oeuvres complètes, tome I

ISOCRATE

OEUVRES COMPLÈTES.

 

 VI.  ARCHIDAMUS - Ἀρχίδαμος

 VII. Discours aréopagitique - Ἀρεοπαγιτικός

 

OEUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE, TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD  LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine. Ancien élève de l'École polytechnique TOME PREMIER PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56. M D CCC LXII

autre traduction (bilingue)

 

 

 

 

ISOCRATE

ARCHIDAMUS.

ARGUMENT.

Après la bataille de Leuctres (371 ans av. J. C), les Thébains victorieux étaient entrés sur territoire de Sparte. Les Lacédémoniens, vaincus pour la première fois à forces égales, fuyaient de toutes parts, et c'est dans cette circonstance que l'on vit des mères, vraiment dignes de Sparte, accourir au devant de leurs enfants, les accabler de reproches, et, leur présentant le sein qui les avait portés, leur demander s'ils prétendaient qu'elles les reçussent une seconde fois dans leurs entrailles. Les Spartiates réclamèrent le secours d'Athènes; secondés par un corps de cavalerie athénienne, ils obtinrent sur les Thébains, près de Mantinée, un léger avantage sous le commandement d'Archidamus, fils d'Agésilas, et, profitant de cette circonstance, ils offrirent la paix aux Thébains ; ceux-ci leur répondirent qu'ils feraient la paix à condition que les Lacédémoniens abandonneraient Messène et la rendraient à ses anciens habitants. Messène était l'antique ennemie de Sparte; l'inimitié des deux villes avait duré plus de 350 ans : trois guerres acharnées, dans lesquelles les Messéniens avaient toujours été vaincus, en avaient été le résultat. Dans la troisième, Messène avait été détruite, et un grand nombre de ses habitants, transportés à Sparte, avaient été réduits sous le nom d'Ilotes à l'état d'esclaves La politique d'Épaminondas avait compris le grand avantage qu'il y aurait, pour assurer la suprématie de Thèbes, à rétablir une ville qui si longtemps avait mis obstacle au développement de la puissance de Lacédémone, et surtout à y replacer les descendants de ses anciens habitants. il avait donc, après la bataille de Leuctres, conseillé à sa patrie de faire de ce rétablissement la condition préalable de tout traité. D'un autre côté, les alliés de Sparte, qui n'avaient pas un intérêt direct au maintien de sa puissance, insistaient pour que cette condition fût acceptée, et ils avaient pour auxiliaires, à Sparte même, la foule de ces hommes qui ne voient que le présent et ferment les yeux sur l'avenir. Le jeune Archidamus, fils d'Agésilas et destiné à lui succéder, comprit la honte et le danger qu'une semblable concession allait attirer sur sa patrie, et résolut de l'en préserver en faisant rejeter la paix.

C'est l'objet du discours qui porte son nom, Archidamus envoya-t-il vers Isocrate, comme vers le seul orateur qui pût composer un discours à la hauteur d'une situation aussi grave, ou, frappé de cette situation et des dangers qui résulteraient pour Athènes d'un aussi grand accroissement de la puissance de Thèbes, Isocrate composa-t-il ce discours pour l'offrir à Archidamus, ou bien encore, ému de la beauté du sujet, voulut-il le traiter comme un morceau d'étude, et présenter en quelque sorte un modèle spécial d'éloquence ? Deux choses seulement sont certaines : la première, qu'Isocrate est l'auteur de ce noble discours ; la seconde, que l'histoire n'établit nulle part qu'il ait été lu devant l'assemblée des Spartiates.

Ce discours doit avoir été composé vers l'an 370 avant J.C., Isocrate étant âgé d'environ soixante-six ans, et il est universellement regardé comme un des plus beaux entre les discours politiques du grand orateur. Le sujet est noble et élevé; la composition, riche et grande; l'élocution, vive et animée; et, si le style n'a pas toute la magnificence du Panégyrique, Isocrate lui a donné, dans un haut degré, la gravité, la concision, l'énergie qui convenaient à un orateur royal, à un guerrier, à un Lacédémonien. Les phrases sont courtes et distinctes; les arguments simples et lucides, variés, abondants, et vont toujours droit au but. Partout on voit l'homme d'action briller sous les traits de l'orateur. Rien n'est omis de ce qui peut ranimer dans lame des Spartiates des sentiments dignes de leur patrie et de leurs ancêtres : la religion, la justice, l'honneur, le salut du pays, les chances que la fortune réserve aux hommes de courage; en un mot, tout, dans ce discours, est digne d'un roi de Sparte, d'un orateur tel qu'Isocrate et de la grandeur du sujet.

Pour donner une juste idée de ce discours, nous ne croyons pas pouvoir mieux faire que de transcrire ici, comme nous l'avons fait à l'occasion du Panégyrique et du Discours à Philippe, le jugement de Denys d'Halicarnasse: « Qui pourrait, dit-il, ayant à persuader une ville et des citoyens, se servir d'arguments plus nobles que ceux qu'lsocrate emploie dans un grand nombre de discours et surtout dans celui qu'il a composé pour les Lacédémoniens, et qui est intitulé Archidamus ; discours dans lequel il prend pour texte que Messène ne doit pas être livrée aux Béotiens, et qu'on ne doit pas obéir aux injonctions de ses ennemis ? La fortune avait trahi les Lacédémoniens à Leuctres et dans beaucoup d'autres combats. Les affaires des Thébains étaient florissantes, et l'accroissement de leur puissance les conduisait à la domination de la Grèce, La puissance de Sparte s'affaiblissait et n'était plus en rapport avec son ancienne suprématie ; on délibérait sur la question de savoir s'il ne fallait pas, pour obtenir la paix, abandonner la Messénie, parce que les Béotiens faisaient de cet abandon une condition absolue. Isocrate, voyant les Lacédémoniens prêts à faire un acte indigne de la grandeur de leurs ancêtres, composa ce discours pour Archidamus, qui était jeune, qui n'était pas encore roi, mais qui avait de puissants motifs pour espérer de parvenir à cette haute dignité. Il établit d'abord que les Lacédémoniens ont acquis Messène conformément au droit et à l'équité, parce que les enfants de Cresphonte leur en avaient fait don à l'époque où ils avaient été détrônés, qu'Apollon leur avait ordonné d'accepter ce don et de punir les auteurs de l'injustice; que la guerre avait ratifié dans leurs mains la possession de Messène, et que le temps l'avait confirmée. Il leur montre ensuite qu'ils ne rendraient point, en réalité la ville aux Messéniens, qui n'existaient plus; mais qu'ils la remettraient aux mains des Ilotes, de leurs esclaves, comme une place d'armes et un lieu de refuge. Il fait le tableau des dangers que leurs ancêtres ont bravés pour obtenir la suprématie de la Grèce, et leur rappelle la renommée dont ils jouissent parmi les Grecs. Il les exhorte à ne pas se laisser abattre sous les coups de la fortune, et à ne pas désespérer d'un changement heureux; il les engage à se rappeler que beaucoup de peuples, qui possédaient une puissance plus grande que celle des Thébains, ont été vaincus par des peuples plus faibles qu'eux; comme aussi beaucoup d'autres, renfermés dans leurs murailles, assiégés par leurs ennemis, et condamnés à souffrir des calamités plus terribles que celles qui affligeaient alors les Lacédémoniens, ont vaincu et anéanti ceux qui les avaient attaqués; il cite l'exemple d'Athènes, qui, tombée de la plus haute prospérité, et réduite à supporter la dévastation et la ruine, avait bravé les derniers dangers pour ne pas se soumettre aux ordres des Barbares. Il encourage les Spartiates à accepter avec énergie leurs maux présents et à prendre confiance dans l'avenir, instruits par l'expérience que les villes réparent de semblables malheurs à l'aide d'une bonne organisation politique et de la science de la guerre, deux avantages par lesquels Sparte l'emporte sur toutes les autres villes. Il pense qu'ils ne doivent pas souhaiter la paix dans un moment où leurs affaires périclitent, parce qu'ils ont l'espoir de les rétablir en profitant des changements que le temps amène toujours; et que c'est à ceux qui sont dans la prospérité qu'il convient de désirer la paix, parce qu'elle est pour eux la garantie de la conservation des biens qu'ils possèdent.

«Parmi un grand nombre de motifs sur lesquels il fonde son opinion, Isocrate signale aux Lacédémoniens les hauts faits accomplis dans leurs guerres, soit isolément soit en commun, par les hommes les plus célèbres de leur pays ; la honte qui s'attachera à la faute qu'ils veulent commettre, et les accusations auxquelles ils se trouveront en butte de la part de tous les Grecs. Si, au contraire, ils se déterminent à faire la guerre, ils doivent attendre des secours de la part des dieux, de la part de leurs alliés et de tous les peuples pour lesquels l'accroissement de la puissance des Thébains est devenu un objet d'envie, et il fait le tableau des désordres, des troubles qui remplissent toutes les villes de la Grèce soumises au pouvoir de Thèbes. Enfin, si aucune des choses qu'il indique ne doit se réaliser, ou s'il n'existe pour les Lacédémoniens aucun autre espoir de salut, il les exhorte à abandonner leur ville, en leur montrant qu'il faut envoyer en Sicile, en Italie, et dans d'autres contrées amies, leurs femmes, leurs enfants, ainsi que la foule incapable de supporter les fatigues de la guerre, et qu'alors, s'établissant dans la position la plus forte, la mieux située dont ils pourront se saisir, ils porteront sans obstacle, sur terre et sur mer, le ravage et la dévastation chez leurs ennemis. Et en effet (ajoute Denys d'Halicarnasse), aucune armée n'osera aborder, pour les combattre, les hommes les plus belliqueux de la Grèce, résolus de défendre leur vie avec l'arme du désespoir, quand la plus juste colère et les plus nobles motifs leur en imposeront la nécessité. »

SOMMAIRE.

1. Aucun des vieillards accoutumés à prendre la parole devant vous, ni aucun de vos orateurs ne s'étant exprimé d'une manière digne de la république, et d'autres gardant un silence absolu, ou ne s'opposant pas avec assez d'énergie à une résolution honteuse pour Lacédémone, j'entreprendrai, malgré ma jeunesse, malgré l'usage de mon pays et mes propres habitudes, d'exposer mon sentiment. — 2 . L'usage de refuser aux jeunes gens le droit de faire connaître leur opinion doit être blâmé pour divers motifs. La faculté de juger sainement est donnée à la jeunesse aussi bien qu'à l'âge avancé; et il appartient aux jeunes gens, plutôt qu'aux vieillards, de parler sur la guerre, dont le poids est principalement supporté par eux ; s'ils se trompent dans leur opinion, ils se nuisent à eux-mêmes, mais ils ne nuisent point aux autres ; et l'avis le plus sage peut toujours être préféré. — 3. L'objet sur lequel je viens délibérer avec vous est de la plus haute importance, puisque notre liberté., pour la défense de laquelle aucune fatigue, aucun danger ne doivent nous arrêter, est exposée au plus grand péril. Si jamais nous faisions ce que les Thébains demandent, et ce que nos alliés désirent nous persuader de faire pour recouvrer la paix, c'est-à-dire si nous abandonnions Messène, ce serait pour les Thébains un trophée plus grand, plus glorieux que celui qu'ils ont élevé à Leuctres. — 4. Que si vos alliés vous conseillent un acte semblable, et s'ils vous menacent, dans le cas où vous n'y consentiriez pas, de faire une paix séparée, je les considère comme coupables envers vous d'outrage et d'injustice, et comme des hommes sans le secours desquels nous ferons la guerre contre les Thébains plus glorieusement qu'avec de tels auxiliaires. — 5. Je veux d'abord vous rappeler comment Messène est tombée en votre puissance, afin qu'il devienne évident que vous la possédez en vertu du même droit que vous possédez Lacédémone elle-même. — 6. Lorsque, de simple mortel, Hercule eut été élevé au rang des dieux, ses descendants, parvenus à la troisième génération, reçurent de l'oracle de Delphes l'ordre de se rendre dans leur patrie, et, après avoir examiné le sens véritable de l'oracle, ils trouvèrent qu'Argos leur appartenait par droit héréditaire, que Lacédémone leur avait été livrée à titre d'esclave, et que Messène, conquise par Hercule et confiée par lui à la foi de Nestor, devait leur être remise. — 7. Les Doriens, parmi lesquels se trouvaient trois Héraclides (Téménus, Cresphonte et Arislodème), ayant pris vos ancêtres pour auxiliaires, convinrent, par un traité, de partager le pays entre les trois enfants d'Hercule, et consentirent qu'ils le possédassent comme rois, à titre particulier; ils vainquirent ensuite les habitants des trois villes et formèrent de ces contrées autant de royaumes. Mais les Messéniens ayant tué Cresphonte, leur chef et leur roi, ses fils remirent Messène aux Lacédémoniens en reconnaissance de ce qu'ils avaient, sur leur demande, vengé la mort de leur père. — 8, Que si Messène nous appartient au même titre que Lacédémone, ainsi qu'il apparaît par ce court exposé, et si personne de vous ne consentirait à abandonner Lacédémone sur la demande qu'on pourrait lui en adresser, vous ne devez pas être animés d'un sentiment différent en ce qui concerne Messène. — 9. Ajoutez que nous possédions Messène avant que la plupart des villes grecques eussent été fondées, et avant que les Perses eussent soumis l'Asie à leur domination ; et que, d'un autre côté, les Thébains n'ont pas remis la ville de Messène aux Messéniens, mais aux Ilotes, c'est-à-dire à leurs esclaves. —10. La preuve que Messène nous appartient en vertu d'un droit véritable, et que l'on veut exercer à notre égard la plus flagrante injustice, résulte de ce fait que, dans les temps anciens et même alors que nous étions plus inférieurs à nos ennemis que nous ne le sommes aujourd'hui, nous avons été forcés de faire la paix malgré nous, et que jamais ni le roi de Perse, ni la ville de Thèbes, n'ont mis notre droit en question. — 11. C'est ce que le plus ancien, le plus digne de foi entre tous les oracles, a reconnu, lorsqu'il nous a indiqué par quels moyens nous devions nous rendre maîtres de Messène. — 12. Lors donc que nous possédons cette ville avec l'approbation de l'oracle, après l'avoir reçue des fils de Cresphonte, et que nous la possédons depuis tant d'années en vertu d'un droit reconnu même par nos ennemis, comment peuvent-ils nous accuser de refuser maintenant la paix pour satisfaire à nos convenances, et d'avoir fait alors la guerre aux Messéniens, dominés par le désir de nous emparer d'un territoire étranger. — 13. Ceux qui nous engagent à faire la paix disent qu'il faut céder aux exigences des temps, et que, dans de telles circonstances, il faut chercher, non ce qui est juste, mais ce qui est utile. — 14. Pour moi, je dis que ce qui est utile ne doit jamais être préféré à ce qui est honorable, surtout lorsque vaincre est honorable sous tous les rapports, et que, dans la situation actuelle, notre droit à la possession de Messène ne peut être contesté, tandis que l'utilité (c'est-à-dire la paix avec les Thébains) est pleine d'incertitude. — 15. Nous avons en outre une grande espérance d'obtenir la victoire, parce qu'il arrive souvent aux vaincus de l'emporter sur les vainqueurs, et à ceux qui étaient assiégés de triompher de ceux qui les assiégeaient. — 16. Afin de ne pas remonter à une plus haute antiquité, nous citerons comme exemple les Athéniens, qui, dans la guerre de Perse, après avoir abandonné leur ville et leur pays, se sont élevés des dernières calamités à la prospérité la plus grande. — 17. Nous citerons aussi Denys, qui, assiégé par les Carthaginois, et pressé par eux à un tel point que déjà il pensait à chercher son salut dans la fuite recommença la guerre, et non seulement détruisit un grand nombre de ses ennemis, mais affermit sa domination sur ses concitoyens, qui étaient à son égard dans les dispositions les plus hostiles. — 18. Amyntas, roi des Macédoniens, a donné le même exemple. Vaincu par les Barbares voisins de son royaume, il avait perdu la Macédoine entière ; il s'empare d'une petite forteresse, et, dans l'espace de trois mois, il avait reconquis toute la Macédoine. — 19. Enfin les Théhains eux-mêmes, ayant résisté à nos attaques et méprisé nos menaces, sont parvenus à un tel changement de fortune que déjà ils s'arrogent le droit de nous commander. — 20. Il faut donc supporter le présent avec courage et bien espérer de l'avenir, lorsque surtout nous savons que les calamités de cette nature peuvent être réparées par une habile administration des affaires et par l'expérience de la guerre, deux avantages qu'on ne peut nous contester. — 21. Il y a des hommes qui accusent les chances perfides de la guerre, et qui s'étonnent que quelqu'un puisse avoir foi dans un moyen aussi incertain qu'il est barbare — 22. Quant à moi, je pense que la paix peut être désirée par ceux qui jouissent d'une situation prospère, mais que ceux qui gémissent sous le poids de l'infortune doivent faire la guerre et ne songer à la paix que le jour où ils ont vaincu leurs ennemis, ou du moins lorsqu'ils se sont mis en état de les combattre à forces égales. — 23. Réfléchissez à quel point il est honteux, lorsque dans les temps anciens une ville alliée était sauvée par le secours d'un seul Lacédémonien, de ne pas essayer, par nos efforts réunis, de sauver notre patrie. — 24. Qui ne nous adresserait des reproches si, persuadés par de simples paroles et oubliant nos ancêtres, nous abandonnions une contrée que les Messéniens ont défendue pendant vingt ans, et que nos pères avaient acquise par tant de travaux et de dangers? — 25. Il existe cependant des hommes qui, sans s'arrêter à ces considérations, mettent une telle ardeur à nous persuader d'abandonner Messène, qu'après nous avoir rappelé la faiblesse de notre ville et la puissance de nos ennemis, ils osent nous demander sur quels secours nous comptons pour entreprendre cette guerre. —26. Moi, je pense que les meilleurs auxiliaires seront la justice de notre cause, la bienveillance des dieux, la sage administration de la république unie à la vertu et au sentiment d'honneur des citoyens, enfin les fautes de nos ennemis. — 27. Je pense en outre qu'un grand nombre de peuples étrangers, qu'Athènes, d'autres villes grecques, Denys le tyran, le roi d'Égypte et les autres princes de l'Asie, prendront des déterminations conformes à leurs intérêts et aux nôtres. — 28. Il est également certain que les villes du Péloponnèse, les plus puissantes comme les plus faibles, qui dans ce moment sont en proie aux plus grandes calamités, prendront au moins, dans des circonstances si importantes, des mesures pour garantir leur sécurité, encore qu'elles ne l'aient pas fait jusqu'ici. — 29. Quand bien même rien de ce que je viens d'annoncer ne se réaliserait, guidé par le respect pour nos ancêtres et par la confiance dans notre droit, je ne me départirais pas de mon opinion, et je subirais tous les périls que la guerre entraîne, plutôt que d'accepter de si honteuses conditions, et de convaincre de mensonge ceux qui sont dans l'habitude de vanter notre patrie. — 30. Il est certain que les fautes que commettront nos ennemis compenseront les difficultés de notre malheureuse position, et, s'il en était autrement, le parti que je vais vous proposer est sévère, mais il est plus digne de notre courage que les conseils que l'on cherche à nous faire adopter. — 31. Je demande que nos parents, nos femmes, nos enfants, et la multitude inutile pour la guerre, soient transportés dans des lieux où ils puissent être en sûreté, et qu'alors les hommes en état de combattre s'emparent d'une position fortifiée, d'où ils puissent harceler et poursuivre sans relâche nos ennemis sur la terre et sur la mer, jusqu'à ce que, cessant de revendiquer ce qui nous appartient, ils viennent eux-mêmes nous demander la paix. — 32. Je crois qu'une telle armée, qui sera toujours en mouvement et qui verra une patrie dans tous les lieux favorablement situés pour la guerre, sera d'autant plus redoutable que ses ennemis ne pourront pas lui rendre les maux dont elle les accablera. -- 33. Et s'il arrivait que, réunis en une seule masse, nos ennemis vinssent nous attaquer, que pourrions-nous souhaiter avec plus d'ardeur que de voir se présenter devant nous en bataille rangée des hommes sans organisation régulière, tirés de la lie de la société, et conduits par une multitude de chefs différents ? — 34. C'est une vérité reconnue que nous ne l'emportons sur les autres peuples ni par la grandeur de notre ville, ni par le nombre de nos soldats ; mais il n'en est pas moins vrai que notre république est semblable à une armée régulièrement organisée et résolue d'obéir à ses chefs. — 35. Nos ancêtres se sont rendus maîtres de cette contrée avec un petit nombre de soldats ; les Athéniens ont abandonné leur patrie, pour sauver la liberté des Grecs; les Phocéens, pour se soustraire à la domination du roi de Perse, ont quitté l'Asie et fondé Marseille ; nous serions par conséquent en butte à la dérision et au mépris, si, même pour notre propre salut, nous ne consentions pas à abandonner noire ville, et si nous étions capables d'obéir à ceux auxquels nous avons toujours commandé. — 36. Or je ne parle pas ainsi parce que je m'aperçois aucune autre chance de salut, mais seulement pour vous encourager à supporter des calamités plus grandes encore, si cela est nécessaire, plutôt que d'accepter les conditions que l'on vous propose relativement à Messène. — 37. Je ne vous exhorterais pas à la guerre avec tant d'ardeur, si je n'étais convaincu qu'il en sortira une paix solide et honorable, qui ne pourrait avoir lieu si nous avions près de nous une ville rendue puissante dans laquelle nos ennemis auraient établi nos esclaves. — 38. Quel motif plus pressant pourrait nous exciter à la guerre, que de voir, contre toute espèce de droit, les Thébains nous imposer des lois, nous arracher notre territoire, mettre en liberté nos esclaves et les établir sur un sol qui nous appartient, etc., etc. ? Je sens au fond de mon âme que, pour repousser dételles injures, nous devons supporter non pas seulement la guerre, mais l'exil, mais la mort. — 39. Il ne s'agit pas pour nous de faire ce qui convient à nos alliés, il s'agit de déterminer ce qui nous convient à nous-mêmes et aux grandes actions que nous avons faites, en sorte que la mort serait préférable à notre salut, s'il ne pouvait être assuré avec honneur, car la lâcheté ne se manifeste pas moins dans les résolutions que dans les combats. — 40. Notre devoir est, avant tout, de veiller à ce que la république ne subisse aucun affront, et, puisque nous revendiquons l'honneur de commander aux autres peuples, il ne faut pas que l'on nous voie obéir à des ordres étrangers et dégénérer à ce point de la vertu de nos ancêtres que, tandis qu'ils affrontaient la mort pour acquérir le droit de commander, nous n'osions pas la braver pour sauver notre liberté. — 41. Qui de nous voudrait se présenter à Olympie et dans les autres grandes solennités de la Grèce, pour être signalé à cause de sa lâcheté comme il l'eût été autrefois à cause de son courage, et pour y entendre les dégradantes injures de nos esclaves, qui, nous reprochant notre fierté et notre arrogance, refuseraient de reconnaître eu nous l'élévation de l'âme et la dignité du caractère? — 42. Imitez plutôt vos ancêtres dont personne ne pourrait, dans un discours, élever assez haut les vertus ; et, sans attendre que d'autres portent remède à vos maux, osez vous affranchir vous-mêmes de ceux qui vous ont frappés. — 43. Les principales villes de la Grèce n'ont pas obtenu par la paix le haut degré de grandeur et de puissance où on les voit aujourd'hui, mais elles ont reconquis leur dignité première en acceptant les calamités de la guerre. Pour acquérir le même honneur, nous ne devons épargner ni notre vie, ni rien de ce qui est à nous ; et, de plus, nous devons penser que l'univers, les regards fixés sur notre délibération, attend avec anxiété la résolution que nous allons prendre. — 44. Si nous ne refusons pas de braver la mort pour défendre notre droit, nous jouirons dans l'avenir, non seulement des louanges de l'univers, mais de la plus grande sécurité ; si, au contraire, nous redoutons les périls, nous nous trouverons engagés dans des difficultés inextricables. — 45. J'ajoute que jamais nos ennemis n'ont élevé un trophée sur nous quand un roi de ma famille a commandé nos armées, et que c'est un devoir pour vous, lorsque vous délibérez sur la guerre, d'accorder votre confiance aux chefs qui, dans tous les combats, vous ont conduits à la victoire.

 

 

Ἀρχίδαμος

 

[1] Ἴσως τινὲς ὑμῶν θαυμάζουσιν ὅτι, τὸν ἄλλον χρόνον ἐμμεμενηκὼς τοῖς τῆς πόλεως νομίμοις ὡς οὐκ οἶδ' εἴ τις ἄλλος τῶν ἡλικιωτῶν, τοσαύτην πεποίημαι τὴν μεταβολὴν ὥστε, περὶ ὧν ὀκνοῦσιν οἱ πρεσβύτεροι λέγειν, περὶ τούτων νεώτερος ὢν παρελήλυθα συμβουλεύσων. [2] Ἐγὼ δ' εἰ μέν τις τῶν εἰθισμένων ἐν ὑμῖν ἀγορεύειν ἀξίως ἦν τῆς πόλεως εἰρηκὼς, πολλὴν ἂν ἡσυχίαν ἦγον· νῦν δ' ὁρῶν τοὺς μὲν συναγορεύοντας οἷς οἱ πολέμιοι προστάττουσιν, τοὺς δ' οὐκ ἐρρωμένως ἐναντιουμένους, τοὺς δὲ παντάπασιν ἀποσεσιωπηκότας, ἀνέστην ἀποφανούμενος ἃ γιγνώσκω περὶ τούτων, αἰσχρὸν νομίσας εἰ τὴν ἰδίαν τοῦ βίου τάξιν διαφυλάττων περιόψομαι τὴν πόλιν ἀνάξια ψηφισαμένην αὑτῆς.

[3] Ἡγοῦμαι δ' εἰ καὶ περὶ τῶν ἄλλων πρέπει τοὺς τηλικούτους σιωπᾶν, περί γε τοῦ πολεμεῖν ἢ μὴ προσήκειν τούτους μάλιστα συμβουλεύειν, οἵπερ καὶ τῶν κινδύνων πλεῖστον μέρος μεθέξουσιν, ἄλλως τε δὴ καὶ τοῦ γνῶναί τι τῶν δεόντων ἐν κοινῷ καθεστῶτος ἡμῖν. [4] Εἰ μὲν γὰρ ἦν δεδειγμένον ὥστε τοὺς μὲν πρεσβυτέρους περὶ ἁπάντων εἰδέναι τὸ βέλτιστον, τοὺς δὲ νεωτέρους μηδὲ περὶ ἑνὸς ὀρθῶς γιγνώσκειν, καλῶς ἂν εἶχεν ἀπείργειν ἡμᾶς τοῦ συμβουλεύειν· ἐπειδὴ δ' οὐ τῷ πλήθει τῶν ἐτῶν πρὸς τὸ φρονεῖν εὖ διαφέρομεν ἀλλήλων, ἀλλὰ τῇ φύσει καὶ ταῖς ἐπιμελείαις, πῶς οὐκ ἀμφοτέρων χρὴ τῶν ἡλικιῶν πεῖραν λαμβάνειν, ἵν' ἐξ ἁπάντων ὑμῖν ἐξῇ τῶν ῥηθέντων ἑλέσθαι τὰ συμφορώτατα; [5] Θαυμάζω δ' ὅσοι τριήρων μὲν ἡγεῖσθαι καὶ στρατοπέδων ἄρχειν ἀξιοῦσιν ἡμᾶς, ὑπὲρ ὧν μὴ καλῶς βουλευσάμενοι πολλαῖς ἂν συμφοραῖς καὶ μεγίσταις τὴν πόλιν περιβάλλοιμεν, εἰπεῖν δ' ἃ γιγνώσκομεν περὶ ὧν ὑμεῖς μέλλετε κρίνειν οὐκ οἴονται δεῖν ἡμᾶς, ἐν οἷς κατορθώσαντες μὲν ἅπαντας ὑμᾶς ὠφελήσομεν, δια μαρτόντες δὲ τῆς ὑμετέρας γνώμης αὐτοὶ μὲν ἴσως φαυλότεροι δόξομεν εἶναι, τὸ δὲ κοινὸν οὐδὲν ἂν ζημιώσαιμεν. [6] Οὐ μὴν ὡς ἐπιθυμῶν τοῦ λέγειν, οὐδ' ὡς ἄλλως πως παρεσκευασμένος ζῆν ἢ τὸν παρελθόντα χρόνον, οὕτως εἴρηκα περὶ τούτων, ἀλλὰ βουλόμενος ὑμᾶς προτρέψαι μηδεμίαν ἀποδοκιμάζειν τῶν ἡλικιῶν, ἀλλ' ἐν ἁπάσαις ζητεῖν εἴ τίς τι δύναται περὶ τῶν παρόντων πραγμάτων εἰπεῖν ἀγαθόν.

[7] Ὡς ἐξ οὗ τὴν πόλιν οἰκοῦμεν, οὐδεὶς οὔτε κίνδυνος οὔτε πόλεμος περὶ τοσούτων τὸ μέγεθος ἡμῖν γέγονεν, περὶ ὅσων νυνὶ βουλευσόμενοι συνεληλύθαμεν. Πρότερον μὲν γὰρ ὑπὲρ τοῦ τῶν ἄλλων ἄρχειν ἠγωνιζόμεθα, νῦν δ' ὑπὲρ τοῦ μὴ ποιεῖν αὐτοὶ τὸ προσταττόμενον· ὃ σημεῖον ἐλευθερίας ἐστὶν, ὑπὲρ ἧς οὐδὲν ὅ τι τῶν δεινῶν οὐχ ὑπομενετέον, οὐ μόνον ἡμῖν, ἀλλὰ καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς μὴ λίαν ἀνάνδρως διακειμένοις, ἀλλὰ καὶ κατὰ μικρὸν ἀρετῆς ἀντιποιουμένοις. [8] Ἐγὼ μὲν οὖν, εἰ δεῖ τοὐμὸν ἴδιον εἰπεῖν, ἑλοίμην ἂν ἀποθανεῖν ἤδη μὴ ποιήσας τὸ προσταττόμενον μᾶλλον ἢ πολλαπλάσιον χρόνον ζῆν τοῦ τεταγμένου ψηφισάμενος ἃ Θηβαῖοι κελεύουσιν· αἰσχυνοίμην γὰρ ἂν, εἰ γεγονὼς μὲν ἀφ' Ἡρακλέους, τοῦ δὲ πατρὸς βασιλεύοντος, αὐτὸς δ' ἐπίδοξος ὢν τυχεῖν τῆς τιμῆς ταύτης, περιίδοιμι, καθ' ὅσον ἐστὶν ἐπ' ἐμοὶ, τὴν χώραν, ἣν ἡμῖν οἱ πατέρες κατέλιπον, ταύτην τοὺς οἰκέτας τοὺς ἡμετέρους ἔχοντας. [9] Ἀξιῶ δὲ καὶ ὑμᾶς τὴν αὐτὴν ἐμοὶ γνώμην ἔχειν ἐνθυμηθέντας ὅτι μέχρι μὲν ταυτησὶ τῆς ἡμέρας δεδυστυχηκέναι δοκοῦμεν ἐν τῇ μάχῃ τῇ πρὸς Θηβαίους, καὶ τοῖς μὲν σώμασιν κρατηθῆναι διὰ τὸν οὐκ ὀρθῶς ἡγησάμενον, τὰς δὲ ψυχὰς ἔτι καὶ νῦν ἀηττήτους ἔχειν, [10] εἰ δὲ φοβηθέντες τοὺς ἐπιόντας κινδύνους προησόμεθά τι τῶν ἡμετέρων αὐτῶν, βεβαιώσομεν τὰς Θηβαίων ἀλαζονείας καὶ πολὺ σεμνότερον τρόπαιον τοῦ περὶ Λεῦκτρα καὶ φανερώτερον στήσομεν καθ' ἡμῶν αὐτῶν· τὸ μὲν γὰρ ἀτυχίας, τὸ δὲ τῆς ἡμετέρας διανοίας ἔσται γεγενημένον. Μηδεὶς οὖν ὑμᾶς πείσῃ τοιαύταις αἰσχύναις τὴν πόλιν περιβαλεῖν.

[11] Καίτοι λίαν προθύμως οἱ σύμμαχοι συμβεβουλεύκασιν ὑμῖν ὡς χρὴ Μεσσήνην ἀφέντας ποιήσασθαι τὴν εἰρήνην. Οἷς ὑμεῖς δικαίως ἂν ὀργίζοισθε πολὺ μᾶλλον ἢ τοῖς ἐξ ἀρχῆς ἀποστᾶσιν ἡμῶν. Ἐκεῖνοι μὲν γὰρ ἀφέμενοι τῆς ἡμετέρας φιλίας τὰς αὑτῶν πόλεις ἀπώλεσαν, εἰς στάσεις καὶ σφαγὰς καὶ πολιτείας πονηρὰς ἐμβαλόντες, οὗτοι δ' ἡμᾶς ἥκουσι κακῶς ποιήσοντες· [12] τὴν γὰρ δόξαν, ἣν ἡμῖν οἱ πρόγονοι μετὰ πολλῶν κινδύνων ἐν ἑπτακοσίοις ἔτεσιν κτησάμενοι κατέλιπον, ταύτην ἐν ὀλίγῳ χρόνῳ πείθουσιν ὑμᾶς ἀποβαλεῖν, ἧς οὔτ' ἀπρεπεστέραν τῇ Λακεδαίμονι συμφορὰν οὔτε δεινοτέραν οὐδέποτ' ἂν εὑρεῖν ἠδυνήθησαν. [13] Εἰς τοῦτο δ' ἥκουσι πλεονεξίας καὶ τοσαύτην ἡμῶν κατεγνώκασιν ἀνανδρίαν ὥστε, πολλάκις ἡμᾶς ἀξιώσαντες ὑπὲρ τῆς αὑτῶν πολεμεῖν, ὑπὲρ Μεσσήνης οὐκ οἴονται δεῖν κινδυνεύειν, ἀλλ' ἵν' αὐτοὶ τὴν σφετέραν αὐτῶν ἀσφαλῶς καρπῶνται, πειρῶνται διδάσκειν ὑμᾶς ὡς χρὴ τοῖς ἐχθροῖς τῆς ὑμετέρας παραχωρῆσαι, καὶ πρὸς τοῖς ἄλλοις ἐπαπειλοῦσιν, ὡς εἰ μὴ ταῦτα συγχωρήσομεν ποιησόμενοι τὴν εἰρήνην κατὰ σφᾶς αὐτούς. [14] Ἐγὼ δ' οὐ τοσούτῳ χαλεπώτερον ἡγοῦμαι τὸν κίνδυνον ἡμῖν ἔσεσθαι τὸν ἄνευ τούτων, ὅσῳ καλλίω καὶ λαμπρότερον καὶ παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις ὀνομαστότερον· τὸ γὰρ μὴ δι' ἑτέρων, ἀλλὰ δι' ἡμῶν αὐτῶν πειρᾶσθαι σώζεσθαι καὶ περιγενέσθαι τῶν ἐχθρῶν ὁμολογούμενον τοῖς ἄλλοις τοῖς τῆς πόλεως ἔργοις ἐστίν. [15] Οὐδὲ πώποτε δὲ λόγους ἀγαπήσας, ἀλλ' ἀεὶ νομίζων τοὺς περὶ τοῦτο διατρίβοντας ἀργοτέρους εἶναι πρὸς τὰς πράξεις, νῦν οὐδὲν ἂν περὶ πλείονος ποιησαίμην ἢ δυνηθῆναι περὶ τῶν προκειμένων ὡς βούλομαι διελθεῖν· ἐν γὰρ τῷ παρόντι διὰ τούτων ἐλπίζω μεγίστων ἀγαθῶν αἴτιος ἂν γενήσεσθαι τῇ πόλει.

[16] Πρῶτον μὲν οὖν οἶμαι δεῖν διαλεχθῆναι πρὸς ὑμᾶς ὃν τρόπον ἐκτησάμεθα Μεσσήνην καὶ δι' ἃς αἰτίας ἐν Πελοποννήσῳ κατῳκήσατε, Δωριεῖς τὸ παλαιὸν ὄντες. Διὰ τοῦτο δὲ προλήψομαι πορρωτέρωθεν, ἵν' ἐπίστησθ' ὅτι ταύτην ὑμᾶς τὴν χώραν ἐπιχειροῦσιν ἀποστερεῖν, ἣν ὑμεῖς οὐδὲν ἧττον ἢ τὴν ἄλλην Λακεδαίμονα κέκτησθε δικαίως.

[17] Ἐπειδὴ γὰρ Ἡρακλῆς μετήλλαξε τὸν βίον, θεὸς ἐκ θνητοῦ γενόμενος, κατὰ μὲν ἀρχὰς οἱ παῖδες αὐτοῦ διὰ τὴν τῶν ἐχθρῶν δύναμιν ἐν πολλοῖς πλάνοις καὶ κινδύνοις ἦσαν, τελευτήσαντος δ' Εὐρυσθέως κατῴκησαν ἐν Δωριεῦσιν. Ἐπὶ δὲ τρίτης γενεᾶς εἰς Δελφοὺς ἀφίκοντο, χρήσασθαι τῷ μαντείῳ περί τινων βουληθέντες. Ὁ δὲ θεὸς περὶ μὲν ὧν ἐπηρώτησαν οὐκ ἀνεῖλεν, ἐκέλευσεν δ' αὐτοὺς ἐπὶ τὴν πατρῴαν ἰέναι χώραν. [18] Σκοπούμενοι δὲ τὴν μαντείαν εὕρισκον Ἄργος μὲν κατ' ἀγχιστείαν αὑτῶν γιγνό μενον, Εὐρυσθέως γὰρ ἀποθανόντος μόνοι Περσειδῶν ἦσαν καταλελειμμένοι, Λακεδαίμονα δὲ κατὰ δόσιν, ἐκβληθεὶς γὰρ Τυνδάρεως ἐκ τῆς ἀρχῆς, ἐπειδὴ Κάστωρ καὶ Πολυδεύκης ἐξ ἀνθρώπων ἠφανίσθησαν, καταγαγόντος αὐτὸν Ἡρακλέους δίδωσιν αὐτῷ τὴν χώραν διά τε τὴν εὐεργεσίαν ταύτην καὶ διὰ τὴν συγγένειαν τὴν πρὸς τοὺς παῖδας, [19] Μεσσήνην δὲ δοριάλωτον ληφθεῖσαν, συληθεὶς γὰρ Ἡρακλῆς τὰς βοῦς τὰς ἐκ τῆς Ἐρυθείας ὑπὸ Νηλέως καὶ τῶν παίδων πλὴν ὑπὸ Νέστορος, λαβὼν αὐτὴν αἰχμάλωτον τοὺς μὲν ἀδικήσαντας ἀπέκτεινεν, Νέστορι δὲ παρακατατίθεται τὴν πόλιν, νομίσας αὐτὸν εὖ φρονεῖν ὅτι νεώτατος ὢν οὐ συνεξήμαρτεν τοῖς ἀδελφοῖς.

[20] Ὑπολαβόντες δ' οὕτως ἔχειν τὴν μαντείαν καὶ τοὺς προγόνους τοὺς ὑμετέρους παραλαβόντες καὶ στρατόπεδον συστησάμενοι, τὴν μὲν ἰδίαν χώραν εἰς τὸ κοινὸν τοῖς συνακολουθοῦσιν ἔδοσαν, τὴν δὲ βασιλείαν ἐξαίρετον αὑτοῖς παρ' ἐκείνων ἔλαβον· ἐπὶ δὲ τούτοις πίστεις ἀλλήλοις δόντες ἐποιοῦντο τὴν στρατείαν. [21] Τοὺς μὲν οὖν κινδύνους τοὺς ἐν τῇ πορείᾳ γενομένους καὶ τὰς ἄλλας πράξεις τὰς οὐδὲν πρὸς τὸ παρὸν φερούσας τί δεῖ λέγοντα διατρίβειν; Πολέμῳ δὲ κρατήσαντες τοὺς ἐν τοῖς τόποις τοῖς εἰρημένοις κατοικοῦντας τριχῇ διείλοντο τὰς βασιλείας. Ὑμεῖς μὲν οὖν μέχρι ταυτησὶ τῆς ἡμέρας ἐμμένετε ταῖς συνθήκαις καὶ τοῖς ὅρκοις οὓς ἐποιήσασθε πρὸς τοὺς προγόνους τοὺς ἡμετέρους· [22] διὸ καὶ τὸν παρελθόντα χρόνον ἄμεινον τῶν ἄλλων ἐφέρεσθε, καὶ τὸν ἐπιόντα προσδοκᾶν χρὴ τοιούτους ὄντας βέλτιον ἢ νῦν πράξειν. Μεσσήνιοι δ' εἰς τοῦτ' ἀσεβείας ἦλθον ὥστ' ἐπιβουλεύσαντες ἀπέκτειναν Κρεσφόντην τὸν οἰκιστὴν μὲν τῆς πόλεως, κύριον δὲ τῆς χώρας, ἔκγονον δ' Ἡρακλέους, αὐτῶν δ' ἡγεμόνα γεγενημένον. [23] Διαφυγόντες δ' οἱ παῖδες αὐτοῦ τοὺς κινδύνους ἱκέται κατέστησαν ταυτησὶ τῆς πόλεως, ἀξιοῦντες βοηθεῖν τῷ τεθνεῶτι καὶ τὴν χώραν διδόντες ἡμῖν. Ἐπερόμενοι δὲ τὸν θεὸν κἀκείνου προστάξαντος δέχεσθαι ταῦτα καὶ τιμωρεῖν τοῖς ἠδικημένοις, ἐκπολιορκήσαντες Μεσσηνίους οὕτως ἐκτήσασθε τὴν χώραν.

[24] Περὶ μὲν οὖν τῶν ἐξ ἀρχῆς ὑπαρξάντων ὑμῖν ἀκριβῶς μὲν οὐ διῆλθον· ὁ γὰρ παρὼν καιρὸς οὐκ ἐᾷ μυθολογεῖν, ἀλλ' ἀναγκαῖον ἦν συντομώτερον ἢ σαφέστερον διαλεχθῆναι περὶ αὐτῶν· οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ διὰ τούτων οἶμαι πᾶσιν φανερὸν εἶναι διότι τὴν ὁμολογουμένην ἡμετέραν εἶναι χώραν οὐδὲν διαφερόντως κεκτημένοι τυγχάνομεν ἢ τὴν ἀμφισβητουμένην. Ταύτην τε γὰρ οἰκοῦμεν δόντων μὲν Ἡρακλειδῶν, ἀνελόντος δὲ τοῦ θεοῦ, πολέμῳ δὲ κρατήσαντες τοὺς ἔχοντας· ἐκείνην τ' ἐλάβομεν παρὰ τῶν αὐτῶν καὶ τὸν αὐτὸν τρόπον καὶ ταῖς μαντείαις χρησάμενοι ταῖς αὐταῖς. [25] Εἰ μὲν οὖν οὕτως ἔχομεν ὥστε μηδὲ περὶ ἑνὸς ἀντιλέγειν, μηδ' ἂν αὐτὴν τὴν Σπάρτην ἐκλιπεῖν προστάττωσιν ἡμῖν, περίεργόν ἐστιν ὑπὲρ Μεσσήνης σπουδάζειν· εἰ δὲ μηδεὶς ἂν ὑμῶν ἀξιώσειεν ζῆν ἀποστερούμενος τῆς πατρίδος, προσήκει καὶ περὶ ἐκείνης τὴν αὐτὴν ὑμᾶς γνώμην ἔχειν. Τὰ γὰρ αὐτὰ δικαιώματα καὶ τοὺς αὐτοὺς λόγους περὶ ἀμφοτέρων αὐτῶν ἔχομεν εἰπεῖν.

[26] Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ἐκεῖν' ὑμᾶς λέληθεν, ὅτι τὰς κτήσεις καὶ τὰς ἰδίας καὶ τὰς κοινὰς, ἂν ἐπιγένηται πολὺς χρόνος, κυρίας καὶ πατρῴας ἅπαντες εἶναι νομίζουσιν. Ἡμεῖς τοίνυν Μεσσήνην εἵλομεν πρὶν Πέρσας λαβεῖν τὴν βασιλείαν καὶ κρατῆσαι τῆς ἠπείρου καὶ πρὶν οἰκισθῆναί τινας τῶν πόλεων τῶν Ἑλληνίδων. [27] Καὶ τούτων ἡμῖν ὑπαρχόντων τῷ μὲν βαρβάρῳ τὴν Ἀσίαν ὡς πατρῴαν οὖσαν ἀποδιδόασιν, ὃς οὔπω διακόσι' ἔτη κατέσχηκε τὴν ἀρχὴν, ἡμᾶς δὲ Μεσσήνην ἀποστεροῦσιν, οἳ πλέον διπλάσιον χρόνον ἢ τοσοῦτον τυγχάνομεν ἔχοντες αὐτήν· καὶ Θεσπιὰς μὲν καὶ Πλαταιὰς ἐχθὲς καὶ πρώην ἀναστάτους πεποιήκασιν, ταύτην δὲ διὰ τετρακοσίων ἐτῶν μέλλουσι κατοικίζειν, ἀμφότερα παρὰ τοὺς ὅρκους καὶ τὰς συνθήκας πράττοντες. [28] Καὶ εἰ μὲν τοὺς ὡς ἀληθῶς Μεσσηνίους κατῆγον, ἠδίκουν μὲν ἂν, ὅμως δ' εὐλογωτέρως ἂν εἰς ἡμᾶς ἐξημάρτανον· νῦν δὲ τοὺς Εἵλωτας ὁμόρους ἡμῖν παρακατοικίζουσιν, ὥστε μὴ τοῦτ' εἶναι χαλεπώτατον, εἰ τῆς χώρας στερησόμεθα παρὰ τὸ δίκαιον, ἀλλ' εἰ τοὺς δούλους τοὺς ἡμετέρους ἐποψόμεθα κυρίους αὐτῆς ὄντας.

[29] Ἔτι τοίνυν ἐκ τῶν ἐχομένων γνώσεσθε σαφέστερον ὅτι καὶ νῦν δεινὰ πάσχομεν καὶ τότε Μεσσήνην εἴχομεν δικαίως. Πολλῶν γὰρ κινδύνων ἡμῖν γεγενημένων ἤδη ποτὲ ποιήσασθαι τὴν εἰρήνην ἠναγκάσθημεν πολὺ χεῖρον πράττοντες τῶν πολεμίων· ἀλλ' ὅμως ἐν τοιούτοις καιροῖς γιγνομένων τῶν συνθηκῶν, [30] ἐν οἷς οὐχ οἷόν τ' ἦν πλεονεκτεῖν, περὶ μὲν ἄλλων τινῶν ἀμφισβητήσεις ἐγίγνοντο, περὶ δὲ Μεσσήνης οὔτε βασιλεὺς οὔθ' ἡ τῶν Ἀθηναίων πόλις οὐδὲ πώποθ' ἡμῖν ἐνεκάλεσεν ὡς ἀδίκως κεκτημένοις αὐτήν. Καίτοι πῶς ἂν περὶ τοῦ δικαίου κρίσιν ἀκριβεστέραν ταύτης εὕροιμεν τῆς ὑπὸ μὲν τῶν ἐχθρῶν ἐγνως μένης, ἐν δὲ ταῖς ἡμετέραις δυσπραξίαις γεγενημένης;
 

SOCRATE.

ARCHIDAMUS.

VI.

1. [1] Quelques-uns d'entre vous s'étonnent peut-être qu'après avoir été jusqu'à présent fidèle observateur des lois de mon pays à un tel point que j'ignore si, parmi les hommes de mon âge, un autre le fut autant que moi, il se soit fait un si grand changement dans mon caractère que je vienne, malgré ma jeunesse, vous présenter mes conseils sur des intérêts dont les vieillards eux-mêmes hésitent à vous entretenir. [2] Si un seul des orateurs accoutumés à s'exprimer devant vous eût fait entendre des paroles dignes de notre patrie, j'aurais gardé le silence ; mais, en voyant les uns prêter l'appui de leurs discours aux injonctions de nos ennemis, les autres ne pas les repousser avec assez d'énergie, d'autres se renfermer dans un silence absolu, je me suis levé pour vous exposer mon opinion, convaincu que je ferais une chose honteuse si, pour ne pas m'écarter des règles que je m'étais prescrites, je voyais avec indifférence mon pays prendre une résolution indigne de lui.

2. [3] Quand même il pourrait être vrai que les hommes de mon âge dussent s'abstenir de parler sur d'autres sujets, je crois que, dès qu'il s'agit de savoir s'il faut ou non faire la guerre, il convient principalement à ceux qui sont destinés à prendre la plus grande part à ses dangers d'offrir des conseils, lorsque surtout le pouvoir de prononcer sur le parti que l'on doit adopter nous appartient en commun. [4] S'il était démontré que vieillards connussent toujours ce qu'il y a de meilleur et de plus utile à faire, et que les jeunes gens ne pussent jamais donner un avis conforme aux règles de la sagesse, on nous refuserait avec justice le droit de faire connaître notre opinion ; mais, puisque ce n'est pas uniquement en raison du nombre de nos années que nous l'emportons par la prudence, que c'est aussi en raison de nos facultés naturelles et du soin que nous apportons dans l'examen des affaires, pourquoi ne serait-il pas convenable d'interroger les deux âges, afin que vous puissiez entre tous les avis choisir le plus utile ? [5] Je ne puis comprendre les hommes qui nous jugent capables de diriger des flottes et de commander des armées lorsque,par des résolutions imprudentes, nous pouvons causer de si grands et de si nombreux malheurs à notre pays, et qui, d'un autre côté, pensent que nous ne devons pas même donner notre avis sur des questions dont la décision suprême est remise à votre jugement; car, si notre avis l'emporte, nous aurons été utiles à tous, et, si nous n'avons pas obtenu votre assentiment, nous pourrons paraître moins habiles, mais nous n'aurons fait éprouver aucun dommage à la république. [6] Ce n'est donc ni le désir de parler, ni la résolution de changer de conduite, qui m'ont porté à m'exprimer comme je viens de le faire; j'ai voulu seulement vous engager à ne répudier aucun âge, et à chercher .dans toutes les époques de la vie s'il se rencontre un homme capable de donner un conseil sage sur la situation où nous nous trouvons.

3. [7] Depuis que nous habitons notre patrie, nous n'avons fait aucune guerre, nous n'avons bravé aucun péril pour des intérêts aussi grands que ceux dont la discussion nous réunit aujourd'hui. Nous combattions autrefois pour commander aux autres, nous combattons maintenant pour ne pas obéir; et refuser l'obéissance est le signe de la liberté, pour laquelle il n'y a pas de malheur qui ne doive être supporté, non seulement par nous, mais par ceux dont le coeur n'a pas abjuré tout sentiment de courage, toute aspiration à la vertu. [8] Pour moi, s'il m'est permis de m'exprimer sur ce qui me touche, je préférerais mourir à l'instant sans avoir obéi à une volonté étrangère, plutôt que de vivre au delà des limites posées par la nature, en acceptant par mon suffrage les ordres des Thébains. Issu du sang d'Hercule, fils d'un roi, et considéré comme devant l'être un jour, je rougirais de permettre, autant qu'il serait en moi, qu'une contrée que nous ont laissée nos ancêtres devînt la proie de nos esclaves. [9] Je vous conjure de partager mes sentiments, en vous pénétrant de cette pensée, que jusqu'à ce jour nous avons été regardés comme accablés par la fortune dans le combat livré contre les Thébains, et que, si nos corps ont succombé par la faute de notre chef, nos âmes sont demeurées invincibles; [10] tandis que si, fléchissant à l'aspect des dangers qui nous menacent, nous faisons le moindre abandon de ce qui nous appartient, nous sanctionnerons l'insolence des Thébains, et nous élèverons contre nous-mêmes un trophée plus glorieux, plus éclatant, que celui qu'ils ont élevé à Leuctres : car celui-ci est l'oeuvre de la fortune ; l'autre serait le fruit de notre lâcheté. Qu'ainsi donc personne ne puisse vous persuader d'imposer une telle honte à notre patrie !

4. [11] Nos alliés, il est vrai, insistent avec force, et nous pressent de faire la paix en abandonnant Messène. Il y aurait plus de justice à vous indigner contre eux qu'à vous irriter contre les peuples qui se sont séparés de vous dès le commencement de la lutte. Ceux-ci, en renonçant à votre amitié, ont causé la perte de leurs villes, les ont jetées au milieu des séditions, des massacres, les ont livrées à des gouvernements oppresseurs; ceux-là viennent à vous pour vous nuire, puisqu'ils veulent vous persuader de sacrifier en un instant cette gloire [12] que nos ancêtres nous ont laissée, cette gloire qu'ils avaient conquise à travers sept siècles de combats; et certes, ils ne pouvaient trouver une calamité plus humiliante, plus terrible pour Lacédémone ! [13] Ils vont si loin dans leur cupide ambition, ils nous regardent tellement comme dénués de toute énergie, qu'après nous avoir plusieurs fois supplié de combattre pour sauver leur pays, ils croient que nous ne devons pas nous exposer aux périls de la guerre pour la conservation de Messène ; et, afin de jouir eux-mêmes en toute sécurité (les territoires qu'ils possèdent, ils cherchent à nous persuader qu'il faut abandonner à nos ennemis une terre qui nous appartient, que dis-je? si nous n'y consentons pas, ils nous menacent de faire une paix séparée. [14]  Quant à moi, je suis convaincu que leur défection, loin d'accroître pour nous le danger de cette lutte, la rendra plus noble, plus glorieuse, plus célèbre dans tout l'univers, et qu'entreprendre de sauver notre pays et de vaincre nos ennemis, non par des secours étrangers, mais par nos propres efforts, est une résolution digne des faits glorieux qui ont illustré notre patrie. [15] Je n'ai jamais attaché un grand prix à l'éloquence, et j'ai toujours pensé que ceux qui lui consacraient leurs veilles éprouvaient moins d'ardeur lorsqu'il fallait agir; mais aujourd'hui le plus cher de mes voeux serait de pouvoir élever ma parole à la hauteur de mes pensées sur l'objet qui vous occupe, car j'aurais alors l'espoir de devenir pour mon pays la cause des plus nobles prospérités.

5, [16] Je crois devoir commencer par vous rappeler de quelle manière nous avons acquis Messène, et comment, étant Doriens par votre origine, vous vous êtes autrefois établis dans le Péloponnèse. Je reprendrai les choses do plus haut, afin que vous sachiez bien que l'on cherche à vous dépouiller d'un pays qui ne vous appartient pas moins légitimement que Lacédémone elle-même.

6. [17] Hercule, affranchi des conditions de l'humanité, ayant pris rang parmi les dieux, ses enfants furent d'abord contraints d'errer au milieu des dangers, pour se soustraire à la puissance de leurs ennemis ; après la mort d'Eurysthée, ils s'établirent chez les Doriens. Parvenus à la troisième génération, ils se présentèrent à Delphes pour consulter l'oracle sur quelques objets particuliers. Le dieu, sans répondre aux questions qu'ils lui avaient adressées, leur ordonna de se rendre dans la patrie de leurs ancêtres. [18] Ayant cherché à pénétrer le sens de l'oracle, ils trouvèrent qu'Argos leur appartenait comme un héritage de famille, parce qu'Eurysthée étant mort, ils étaient les seuls descendants de Persée ; qu'ils avaient droit de souveraineté sur Lacédémone à titre de donation, parce que Tyndare, détrôné à l'époque où Castor et Pollux disparurent d'entre les mortels, ayant été ramené dans ses États par Hercule, lui avait donné Lacédémone pour prix d'un si grand service, et en considération des liens de parenté qui l'unissaient à ses fils ; [19] qu'enfin ils avaient sur Messène les droits que donne la conquête, parce que Nélée et ses enfants, à l'exception de Nestor, ayant enlevé à Hercule les troupeaux qu'il ramenait d'Érythrée, Hercule s*était emparé de la ville, avait puni de mort les coupables, et avait ensuite confié la garde de sa conquête à Nestor, dont il appréciait la sagesse, parce que, bien qu'étant le plus jeune, il n'avait pas pris part au crime de ses frères.

7. [20] Les enfants d'Hercule, après avoir ainsi interprété le sens de l'oracle, prenant avec eux vos ancêtres, organisèrent une armée, distribuèrent entre leurs compagnons d'armes la contrée qui leur appartenait en propre, reçurent d'eux par voie d'élection le pouvoir royal, et, consacrant par des serments leurs engagements réciproques, firent l'expédition du Péloponnèse. [21] Mais pourquoi consumer le temps à rappeler les dangers qu'ils surmontèrent dans cette expédition, et s'occuper de faits sans aucun rapport avec l'objet de ce discours? Vainqueurs par le sort des combats, ils soumirent les contrées que nous venons de signaler, et les divisèrent en trois royaumes. Vous avez été jusqu'à ce jour fidèles aux traités ; vous avez tenu les serments que vous aviez faits à nos ancêtres ; [22] c'est à cause de cette fidélité que vous avez traversé plus heureusement que les autres peuples les temps qui se sont écoulés, et, en persévérant dans les mêmes sentiments, vous avez le droit d'espérer que l'avenir sera pour vous plus favorable que le présent. Les Messéniens, au contraire, ont poussé l'impiété jusqu'à dresser des embûches à Cresphonte et à massacrer en lui le fondateur de leur ville, le dominateur légitime de leur pays, le descendant d'Hercule, qui était devenu leur chef. [23] Ses fils, s'étant soustraits aux dangers qui l'avaient atteint, se présentèrent comme suppliants à Lacédémone, et, implorant votre secours pour venger la mort de leur père, ils vous firent don de cette contrée. Vous avez consulté l'oracle; le dieu vous a ordonné d'accepter l'offre qui vous avait été faite, et de punir les auteurs de ce crime ; vous avez vaincu les Messéniens; et c'est ainsi que vous êtes devenus les maîtres du pays.

8. [24] Je ne suis point entré dans une discussion approfondie de nos droits anciens, parce que la circonstance actuelle ne me permettait pas les détails mythologiques, et que j'ai dit m'exprimer d'une manière plutôt succincte que développée; je crois néanmoins qu'il est maintenant évident pour tout le monde que nous n'avons pas à la partie du territoire dont on nous reconnaît la possession des titres plus certains qu'à celle qu'on nous conteste. Nous possédons Lacédémone après l'avoir reçue des enfants d'Hercule, après avoir obtenu d'Apollon une réponse favorable, après avoir vaincu par la force des armes les peuples qui en étaient les maîtres, et nous avons reçu Messène des mêmes descendants d'Hercule, avec le concours des mêmes circonstances et sur la foi des mêmes oracles. [25] Si donc nous sommes résignés à ne contester sur aucun point, dussent nos ennemis nous enjoindre d'abandonner Sparte elle-même, il est superflu désormais de nous occuper de Messène; mais, s'il n'est aucun de vous qui puisse consentir à vivre dépouillé de sa patrie, vous devez éprouver le même sentiment pour ce qui concerne Messène que s'il s'agissait de Lacédémone; car nous avons, pour les deux villes, les mêmes droits à défendre, les mêmes motifs à alléguer.

9. [26] Vous n'ignorez pas, en outre, que les propriétés, privées et publiques, sont, avec le temps, pour ainsi dire assimilées à un héritage de famille. Or nous avons pris Messène avant que les Perses fussent arrivés à l'empire et se fussent emparés du continent, et avant que plusieurs des villes de la Grèce eussent été fondées. [27] C'est lorsque nos droits sont ainsi établis, c'est lorsque les Thébains concèdent l'Asie au Barbare comme une possession de droit héréditaire, quand il n'en est pas le maître depuis deux cents ans, qu ils prétendent nous enlever Messène, à nous qui la possédons depuis plus du double de ce temps ; c'est lorsqu'ils viennent de détruire Platée et Thespies qu'ils veulent, après quatre cents ans, rétablir Messène dans ses anciennes conditions, violant ainsi, dans les deux situations, les serments et les traités ! ]28] S'ils ramenaient véritablement les Messéniens dans leur patrie, encore qu'ils blessassent la justice, du moins couvriraient-ils leur insulte à notre égard d'un prétexte plus spécieux; mais ce sont les Ilotes qu'ils établissent sur nos frontières; d'où il résulte que l'outrage le plus sensible ne serait pas même pour nous d'être dépouillés de ce pays, contre toute justice, mais de voir nos esclaves en devenir les maîtres.

10. [29] Vous reconnaîtrez plus évidemment encore, dans ce qui va vous être dit, qu'on nous fait aujourd'hui la plus cruelle injure, et que nous possédions autrefois Messène conformément au droit et à l'équité. Déjà, à d'autres époques, après avoir livré un grand nombre de combats, nous avons été forcés de faire la paix dans une position beaucoup moins favorable que celle de nos ennemis ; cependant, lorsqu'il s'est agi de régler les conditions, [30] dans des circonstances telles qu'il nous était impossible d'obtenir aucun avantage, des discussions s'étant élevées sur plusieurs points, jamais, ni le Roi, ni les Athéniens, relativement à Messène, ne nous ont accusés de l'avoir acquise injustement. Comment pourrait-il exister, sur la légitimité de notre droit, un jugement plus évident, plus certain que celui qui fut alors implicitement rendu par nos ennemis dans un moment où nous étions accablés par la fortune ?

 

[31] Τὸ τοίνυν μαντεῖον, ὃ πάντες ἂν ὁμολογήσειαν ἀρχαιότατον εἶναι καὶ κοινότατον καὶ πιστότατον, οὐ μόνον ἔγνω τόθ' ἡμετέραν εἶναι Μεσσήνην, ὅτε διδόντων ἡμῖν αὐτὴν τῶν Κρεσφόντου παίδων προσέταξε δέχεσθαι τὴν δωρεὰν καὶ βοηθεῖν τοῖς ἀδικουμένοις, ἀλλὰ καὶ τοῦ πολέμου μακροῦ γιγνομένου, πεμψάντων ἀμφοτέρων εἰς Δελφοὺς κἀκείνων μὲν σωτηρίαν αἰτούντων, ἡμῶν δ' ἐπερωτώντων ὅτῳ τρόπῳ τάχιστ' ἂν κρατήσαιμεν τῆς πόλεως, τοῖς μὲν οὐδὲν ἀνεῖλεν ὡς οὐ δικαίαν ποιουμένοις τὴν αἴτησιν, ἡμῖν δ' ἐδήλωσε καὶ τὰς θυσίας ἃς ἔδει ποιήσασθαι καὶ βοήθειαν παρ' ὧν μεταπέμψασθαι.

[32] Καίτοι πῶς ἄν τις μαρτύρια μείζω καὶ σαφέστερα τούτων παράσχοιτο; Φαινόμεθα γὰρ πρῶτον μὲν παρὰ τῶν κυρίων τὴν χώραν λαβόντες, οὐδὲν γὰρ κωλύει πάλιν διὰ βραχέων περὶ αὐτῶν διελθεῖν, ἔπειτα κατὰ πόλεμον αὐτὴν ἑλόντες, ὅνπερ τρόπον αἱ πλεῖσται τῶν πόλεων περὶ ἐκείνους τοὺς χρόνους ᾠκίσθησαν· ἔτι δὲ τοὺς ἠσεβηκότας εἰς τοὺς παῖδας τοὺς Ἡρακλέους ἐκβεβληκότες, οἳ δικαίως ἂν ἐξ ἁπάσης τῆς οἰκουμένης ὑπερωρίσθησαν, πρὸς δὲ τούτοις καὶ τῷ πλήθει τοῦ χρόνου καὶ τῇ τῶν ἐχθρῶν κρίσει καὶ ταῖς τοῦ θεοῦ μαντείαις προσηκόντως ἔχοντες αὐτήν. [33] Ὧν ἓν ἕκαστον ἱκανόν ἐστι διαλῦσαι τοὺς λόγους τῶν τολμώντων κατηγορεῖν ὡς ἢ νῦν διὰ πλεονεξίαν οὐ ποιούμεθα τὴν εἰρήνην ἢ τότε τῶν ἀλλοτρίων ἐπιθυμοῦντες ἐπολεμήσαμεν πρὸς Μεσσηνίους. Περὶ μὲν οὖν τῆς κτήσεως ἔνεστι μὲν ἴσως πλείω τούτων εἰπεῖν, οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ ταῦθ' ἱκανῶς εἰρῆσθαι νομίζω.

[34] Λέγουσιν δ' οἱ συμβουλεύοντες ὑμῖν ποιεῖσθαι τὴν εἰρήνην ὡς χρὴ τοὺς εὖ φρονοῦντας μὴ τὴν αὐτὴν γνώμην ἔχειν περὶ τῶν πραγμάτων εὐτυχοῦντας καὶ δυστυχοῦντας, ἀλλὰ πρὸς τὸ παρὸν ἀεὶ βουλεύεσθαι καὶ ταῖς τύχαις ἐπακολουθεῖν καὶ μὴ μεῖζον φρονεῖν τῆς δυνάμεως, μηδὲ τὸ δίκαιον ἐν τοῖς τοιούτοις καιροῖς, ἀλλὰ τὸ συμφέρον ζητεῖν.

[35] Ἐγὼ δὲ περὶ μὲν τῶν ἄλλων ὁμολογῶ τούτοις, ὅπως δὲ χρὴ τοῦ δικαίου ποιεῖσθαί τι προὐργιαίτερον, οὐδεὶς ἄν με λέγων πείσειεν. Ὁρῶ γὰρ καὶ τοὺς νόμους ἕνεκα τούτου κειμένους καὶ τοὺς ἄνδρας τοὺς καλούς τε κἀγαθοὺς ἐπὶ τούτῳ φιλοτιμουμένους καὶ τὰς εὖ πολιτευομένας πόλεις περὶ τούτου μάλιστα σπουδαζούσας, [36] ἔτι δὲ τοὺς πολέμους τοὺς προγεγενημένους οὐ κατὰ τὰς δυνάμεις, ἀλλὰ κατὰ τὸ δίκαιον τὸ τέλος ἅπαντας εἰληφότας, ὅλως δὲ τὸν βίον τὸν τῶν ἀνθρώπων διὰ μὲν κακίαν ἀπολλύμενον, δι' ἀρετὴν δὲ σωζόμενον, ὥστ' οὐκ ἀθυμεῖν δεῖ τοὺς ὑπὲρ τῶν δικαίων κινδυνεύειν μέλλον῎τας, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον τοὺς ὑβρίζοντας καὶ τοὺς τὰς εὐτυχίας μὴ μετρίως φέρειν ἐπισταμένους. [37] Ἔπειτα κἀκεῖνο χρὴ σκοπεῖν· νυνὶ γὰρ περὶ μὲν τοῦ δικαίου πάντες τὴν αὐτὴν γνώμην ἔχομεν, περὶ δὲ τοῦ συμφέροντος ἀντιλέγομεν· δυοῖν δὲ προτεινομένοιν ἀγαθοῖν, καὶ τοῦ μὲν ὄντος προδήλου, τοῦ δ' ἀγνοουμένου, πῶς οὐκ ἂν ποιήσαιτε καταγέλαστον εἰ τὸ μὲν ὁμολογούμενον ἀποδοκιμάσαιτε, τὸ δ' ἀμφισβητούμενον ἑλέσθαι δόξειεν ὑμῖν, ἄλλως τε καὶ τῆς αἱρέσεως τοσοῦτον διαφερούσης; [38] Ἐν μὲν γὰρ τοῖς ἐμοῖς λόγοις ἔνεστιν μηδὲν μὲν προέσθαι τῶν ὑμετέρων αὐτῶν μηδ' αἰσχύνῃ μηδεμιᾷ τὴν πόλιν περιβαλεῖν, ὑπὲρ δὲ τῶν δικαίων κινδυνεύοντας ἐλπίζειν ἄμεινον ἀγωνιεῖσθαι τῶν ἐχθρῶν, ἐν δὲ τοῖς τούτων ἀφεστάναι μὲν ἤδη Μεσσήνης, προεξαμαρτόντας δὲ τοῦτ' εἰς ὑμᾶς αὐτοὺς σχεδὸν καὶ τοῦ συμφέροντος καὶ τοῦ δικαίου καὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων ὧν προσδοκᾶτε διαμαρτεῖν. [39] Καὶ γὰρ οὐδὲ τοῦτό πω φανερόν ἐστιν, ὡς ἂν ποιήσωμεν τὰ κελευόμενα, βεβαίως ἤδη τὴν εἰρήνην ἄξομεν. Οἶμαι γὰρ ὑμᾶς οὐκ ἀγνοεῖν ὅτι πάντες εἰώθασι πρὸς μὲν τοὺς ἀμυνομένους περὶ τῶν δικαίων διαλέγεσθαι, τοῖς δὲ λίαν ἑτοίμως ποιοῦσι τὸ προσταττόμενον ἀεὶ πλείω προσεπιβάλλειν οἷς ἂν ἐξ ἀρχῆς διανοηθῶσιν, ὥστε συμβαίνειν βελτίονος εἰρήνης τυγχάνειν τοὺς πολεμικῶς διακειμένους τῶν ῥᾳδίως τὰς ὁμολογίας ποιουμένων.

[40] Ἵνα δὲ μὴ δοκῶ περὶ ταῦτα πολὺν χρόνον διατρίβειν ἁπάντων τῶν τοιούτων ἀφέμενος ἐπὶ τὸν ἁπλούστατον ἤδη τρέψομαι τῶν λόγων. Εἰ μὲν γὰρ μηδένες πώποτε τῶν δυστυχησάντων ἀνέλαβον αὑτοὺς μηδ' ἐπεκράτησαν τῶν ἐχθρῶν, οὐδ' ἡμᾶς εἰκὸς ἐλπίζειν περιγενήσεσθαι πολεμοῦντας. Εἰ δὲ πολλάκις γέγονεν ὥστε καὶ τοὺς μείζω δύναμιν ἔχοντας ὑπὸ τῶν ἀσθενεστέρων κρατηθῆναι καὶ τοὺς πολιορκοῦντας ὑπὸ τῶν καταδεεστέρων κατακεκλειμένων διαφθαρῆναι, τί θαυμαστὸν εἰ καὶ τὰ νῦν καθεστῶτα λήψεταί τινα μετάστασιν;

[41] Ἐπὶ μὲν οὖν τῆς ἡμετέρας πόλεως οὐδὲν ἔχω τοιοῦτον εἰπεῖν· ἐν γὰρ τοῖς ἐπέκεινα χρόνοις οὐδένες πώποτε κρείττους ἡμῶν εἰς ταύτην τὴν χώραν εἰσέβαλον· ἐπὶ δὲ τῶν ἄλλων πολλοῖς ἄν τις παραδείγμασι χρήσαιτο, καὶ μάλιστ' ἐπὶ τῆς πόλεως τῆς Ἀθηναίων. [42] Τούτους γὰρ εὑρήσομεν ἐξ ὧν μὲν τοῖς ἄλλοις προσέταττον, πρὸς τοὺς Ἕλληνας διαβληθέντας, ἐξ ὧν δὲ τοὺς ὑβρίζοντας ἠμύναντο, παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις εὐδοκιμήσαντας. Τοὺς μὲν οὖν παλαιοὺς κινδύνους εἰ διεξιοίην οὓς ἐποιήσαντο πρὸς Ἀμαζόνας ἢ Θρᾷκας ἢ Πελοποννησίους τοὺς μετ' Εὐρυσθέως εἰς τὴν χώραν αὐτῶν εἰσβαλόντας, ἴσως ἀρχαῖα καὶ πόρρω τῶν νῦν παρόντων λέγειν ἂν δοκοίην· ἐν δὲ τῷ Περσικῷ πολέμῳ τίς οὐκ οἶδεν ἐξ οἵων συμφορῶν εἰς ὅσην εὐδαιμονίαν κατέστησαν; [43] Μόνοι γὰρ τῶν ἔξω Πελοποννήσου κατοικούντων ὁρῶντες τὴν τῶν βαρβάρων δύναμιν ἀνυπόστατον οὖσαν οὐκ ἠξίωσαν βουλεύσασθαι περὶ τῶν προσταττομένων αὑτοῖς, ἀλλ' εὐθὺς εἵλοντο περιιδεῖν ἀνάστατον τὴν πόλιν γεγενημένην μᾶλλον ἢ δουλεύουσαν. Ἐκλιπόντες δὲ τὴν χώραν, καὶ πατρίδα μὲν τὴν ἐλευθερίαν νομίσαντες, κοινωνήσαντες δὲ τῶν κινδύνων ἡμῖν, τοσαύτης μεταβολῆς ἔτυχον ὥστ' ὀλίγας ἡμέρας στερηθέντες τῆς αὑτῶν πολὺν χρόνον τῶν ἄλλων δεσπόται κατέστησαν.

[44] Οὐ μόνον δ' ἐπὶ ταύτης ἄν τις τῆς πόλεως ἐπιδείξειεν τὸ τολμᾶν ἀμύνεσθαι τοὺς ἐχθροὺς ὡς πολλῶν ἀγαθῶν αἴτιόν ἐστιν, ἀλλὰ καὶ Διονύσιος ὁ τύραννος καταστὰς εἰς πολιορκίαν ὑπὸ Καρχηδονίων, οὐδεμιᾶς αὐτῷ σωτηρίας ὑποφαινομένης, ἀλλὰ καὶ τῷ πολέμῳ κατεχόμενος καὶ τῶν πολιτῶν δυσκόλως πρὸς αὐτὸν διακειμένων, αὐτὸς μὲν ἐμέλλησεν ἐκπλεῖν, τῶν δὲ χρωμένων τινὸς τολμήσαντος εἰπεῖν, ὡς καλόν ἐστιν ἐντάφιον ἡ τυραννὶς, [45] αἰσχυνθεὶς ἐφ' οἷς διενοήθη καὶ πάλιν ἐπιχειρήσας πολεμεῖν πολλὰς μὲν μυριάδας Καρχηδονίων διέφθειρεν, ἐγκρατεστέραν δὲ τὴν ἀρχὴν τὴν τῶν πολιτῶν κατεστήσατο, πολὺ δὲ μείζω τὴν δύναμιν τὴν αὑτοῦ τῆς πρότερον ὑπαρχούσης ἐκτήσατο, τυραννῶν δὲ τὸν βίον διετέλεσεν, καὶ τὸν υἱὸν ἐν ταῖς αὐταῖς τιμαῖς καὶ δυναστείαις, ἐν αἷσπερ αὐτὸς ἦν, κατέλιπεν.

[46] Παραπλήσια δὲ τούτοις Ἀμύντας ὁ Μακεδόνων βασιλεὺς ἔπραξεν. Ἡττηθεὶς γὰρ ὑπὸ τῶν βαρβάρων τῶν προσοικούντων μάχῃ καὶ πάσης Μακεδονίας ἀποστερηθεὶς, τὸ μὲν πρῶτον ἐκλιπεῖν τὴν χώραν διενοήθη καὶ τὸ σῶμα διασώζειν, ἀκούσας δέ τινος ἐπαινοῦντος τὸ πρὸς Διονύσιον ῥηθὲν καὶ μεταγνοὺς ὥσπερ ἐκεῖνος, χωρίον μικρὸν καταλαβὼν καὶ βοήθειαν ἐνθένδε μεταπεμψάμενος, ἐντὸς μὲν τριῶν μηνῶν κατέσχεν ἅπασαν Μακεδονίαν, τὸν δ' ἐπίλοιπον χρόνον βασιλεύων γήρᾳ τὸν βίον ἐτελεύτησεν.

[47] Ἀπείποιμεν δ' ἂν ἀκούοντές τε καὶ λέγοντες, εἰ πάσας τὰς τοιαύτας πράξεις ἐξετάζοιμεν· ἐπεὶ καὶ τῶν περὶ Θήβας πραχθέντων εἰ μνησθεῖμεν, ἐπὶ μὲν τοῖς γεγενημένοις ἂν λυπηθεῖμεν, περὶ δὲ τῶν μελλόντων βελτίους ἐλπίδας ἂν λάβοιμεν. Τολμησάντων γὰρ αὐτῶν ὑπομεῖναι τὰς εἰσβολὰς καὶ τὰς ἀπειλὰς τὰς ἡμετέρας εἰς τοῦθ' ἡ τύχη τὰ πράγματ' αὐτῶν περιέστησεν ὥστε τὸν ἄλλον χρόνον ὑφ' ἡμῖν ὄντες νῦν ἡμῖν προστάττειν ἀξιοῦσιν.

[48] Ὅστις οὖν ὁρῶν τοσαύτας μεταβολὰς γεγενημένας ἐφ' ἡμῶν οἴεται παύσεσθαι, λίαν ἀνόητός ἐστιν· ἀλλὰ δεῖ καρτερεῖν ἐπὶ τοῖς παροῦσι καὶ θαρρεῖν περὶ τῶν μελλόντων, ἐπισταμένους ὅτι τὰς τοιαύτας συμφορὰς αἱ πόλεις ἐπανορθοῦνται πολιτείᾳ χρηστῇ καὶ ταῖς περὶ τὸν πόλεμον ἐμπειρίαις. Περὶ ὧν οὐδεὶς ἂν τολμήσειεν ἀντειπεῖν ὡς οὐ τὴν μὲν ἐμπειρίαν μᾶλλον τῶν ἄλλων ἔχομεν, πολιτείαν δ' οἵαν εἶναι χρὴ παρὰ μόνοις ἡμῖν ἐστιν. Ὧν ὑπαρχόντων οὐκ ἔστιν ὅπως οὐκ ἄμεινον πράξομεν τῶν μηδετέρου τούτων πολλὴν ἐπιμέλειαν πεποιημένων.

11 . [31] Pour ce qui concerne l'oracle que tout le monde considère comme le plus ancien, le plus dans l'intérêt commun, le plus digne de confiance, non seulement il a décidé que Messène devait nous appartenir, lorsqu'il nous a ordonné d'accepter le don qui nous en était fait par les enfants de Cresphonte, et de prêter notre appui aux victimes de l'injustice ; mais, la guerre s'étant prolongée et les deux partis ayant envoyé à Delphes, les Messéniens pour demander à Apollon de les sauver, nous pour l'interroger sur le moyen de nous rendre le plus promptement possible maîtres de leur ville, Apollon ne leur fit aucune réponse, comme à des hommes qui lui adressaient une demande réprouvée par l'équité, tandis qu'il nous indiquait et les sacrifices que nous devions offrir et les alliés dont nous devions réclamer le secours.

12. [32] Comment serait-il possible de produire des témoignages plus forts et plus évidents? On nous voit (car rien n'empêche de revenir en peu de mots sur ce sujet) accepter la concession du pays de la main de ses maîtres; on nous voit l'occuper par la force des armes (et c'est le moyen à l'aide duquel la plupart des gouvernements ont été fondés à cette époque) ; on nous voit chasser ceux qui s'étaient rendus coupables de sacrilège envers les enfants d'Hercule, et qui, pour satisfaire entièrement la justice, auraient dû être bannis de toute la terre; enfin notre possession se trouve consacrée par le temps, par le jugement même de nos ennemis, par les oracles d'Apollon. [33] Chacun de ces motifs serait suffisant pour détruire les allégations de ceux qui osent nous accuser de rejeter maintenant la paix par un excès d'ambition, ou d'avoir fait alors la guerre par l'ardeur d'envahir une terre étrangère. On pourrait, sans doute, accumuler les arguments pour établir la légitimité de notre possession; mais je m'arrête, convaincu que ce que j'ai dit doit suffire.

13. [34] Ceux qui nous exhortent à la paix disent que les hommes sages ne doivent pas porter le même jugement sur les affaires dans la bonne et dans la mauvaise fortune, mais prendre toujours conseil du temps, suivre l'indication des événements, ne pas élever leurs pensées au delà des limites de leur puissance, et chercher dans de telles circonstances non ce qui est juste, mais ce qui est utile.

14. [35] Pour tout le reste, j'adopte leur opinion, mais personne ne pourra me persuader qu'il existe quelque chose de préférable à la justice. Je vois que les lois elles-mêmes sont établies pour la faire régner sur les peuples, qu'elle est pour les hommes loyaux et honnêtes l'objet d'une constante émulation, et que les gouvernements bien dirigés s'efforcent d'y être fidèles; [36] je vois que, dans les temps anciens, toutes les guerres se terminaient non pas en raison des forces respectives, mais d'après les règles de la justice; qu'enfin la société périt par le vice, et se soutient par la vertu. Aussi ceux qui sont appelés à braver les dangers pour la justice ne doivent-ils pas désespérer de l'avenir: ce sentiment doit plutôt appartenir aux hommes qui, s'abandonnant à l'orgueil, ne savent pas user avec modération des faveurs de la fortune. [37] Il faut encore considérer qu'unanimes sur le droit, c'est sur l'utilité seule que nos sentiments diffèrent. Or, lorsque deux avantages sont offerts à votre choix, que l'un est évident, que l'autre est incertain, ne serait-ce pas agir en opposition avec la raison que de rejeter celui sur lequel chacun s'accorde pour préférer celui qui est contesté; quand, surtout, il existe dans le choix une si grande différence? [38] Vous ne faites, dans le parti que je vous propose, aucun abandon de ce qui nous appartient; vous n'imprimez à notre patrie aucune honte, et, en exposant votre vie pour le maintien de vos droits, vous conservez l'espérance de l'emporter sur vos ennemis : si vous suivez, au contraire, le conseil de mes adversaires, vous abandonnez Messène, et peut-être arrivera-t-il qu'à la suite du tort que vous vous serez fait à vous-mêmes, vous verrez vous échapper à la fois l'utilité, la justice et les autres avantages sur lesquels vous aurez compté. [39] Nous ne sommes pas même certains, si nous faisons ce qu'on exige de nous, d'obtenir une paix solide. Car vous n'ignorez pas, je pense, que les hommes acceptent d'ordinaire la discussion sur le droit avec ceux qui se défendent, tandis qu'avec ceux qui se soumettent trop aisément aux ordres qu'on leur donne, ils ajoutent toujours de nouvelles conditions à celles qu'ils avaient d'abord résolu d'imposer; et voilà comment il se fait que les peuples déterminés à soutenir leurs droits les armes à la main obtiennent des conditions meilleures que ceux qui se montrent trop faciles dans les négociations.

15 . [40] Mais, afin de ne pas paraître m'arrêter trop longtemps sur les mêmes considérations, j'abandonne tous les arguments que j'ai employés, et j'arrive au plus simple de tous. Si jamais ceux qui ont été accablés par la fortune n'ont réparé leur défaite, et si jamais ils ne sont parvenus à vaincre leurs ennemis, nous ne devons pas non plus espérer de triompher en continuant la guerre ; mais, s'il est arrivé souvent que les plus forts ont été vaincus par de plus faibles qu'eux, et si des armées ont été détruites par ceux qu'elles tenaient enfermés dans leurs murailles, pourquoi faudrait-il s'étonner que l'état présent des choses vînt à subir quelque changement ?

16. [41] Je ne pourrais pas citer de pareils exemples en ce qui touche à notre patrie : car jamais, jusqu'ici, des ennemis plus puissants qu'elle n'ont envahi son territoire ; mais on en trouverait un grand nombre dans l'histoire des autres peuples, et principalement chez les Athéniens. [42] Nous les verrions à la fois accusés parmi les Grecs à cause de la dureté de leur commandement, et célébrés dans tout l'univers, à cause de la vengeance qu'ils ont tirée de leurs ennemis. Si je rappelais les luttes qu'ils ont soutenues dans les temps anciens contre les Amazones, contre les Thraces et contre les peuples du Péloponnèse, quand ces derniers, sous la conduite d'Eurysthée, ont envahi leur pays, on alléguerait, peut-être, que ce sont des faits surannés et trop loin des temps où nous sommes. Mais, dans la guerre contre les Perses, qui ne sait de quel excès de malheur à quel excès de prospérité ils se sont élevés? [43] Seuls, en effet, de tous les peuples qui habitaient en dehors du Péloponnèse, voyant l'impossibilité de résister à la puissance des Barbares, et considérant comme au-dessous d'eux de délibérer s'ils obéiraient à leurs ordres, i!s préférèrent, sans hésiter, voir leur patrie anéantie plutôt qu'esclave. Quittant leur sol natal et leur ville, ils placèrent dans la liberté leur véritable patrie, et, se réunissant à nous dans un danger commun, ils obtinrent un tel changement de fortune, qu'après avoir abandonné pendant quelques jours tout ce qu ils possédaient, ils ont été pour longtemps les maîtres de la Grèce.

17. [44] L'exemple d'Athènes n'est pas, toutefois, le seul qui montre les nombreux avantages que l'on obtient en résistant à ses ennemis. Denys, tyran de Syracuse, assiégé par les Carthaginois, n'apercevait aucun espoir de salut; pressé par la guerre, en butte à la haine de ses concitoyens, il se préparait à s'embarquer et à fuir : un de ses amis ose dire que le trône est un glorieux tombeau; [45] honteux de sa lâche pensée, il ne songe plus qu'à combattre, il anéantit bientôt les innombrables armées de Carthage, il raffermit sa domination sur son peuple, acquiert une puissance beaucoup plus grande que celle qu'il possédait auparavant, et, terminant sa carrière au sein de la tyrannie, il laisse son fils investi des mêmes honneurs, de la même autorité, qu'il avait conservée jusqu'au dernier moment.

18. [46] Amyntas, roi des Macédoniens, a imité cet exemple. Vaincu par les Barbares, voisins de son empire, et dépouillé de toute la Macédoine, il avait d'abord formé le dessein d'abandonner son pays pour sauver son existence ; il entend louer le mot prononcé en présence de Denys, et, comme lui, change de sentiment; il s'empare d'une petite forteresse, il invoque noire appui; il reprend en trois mois la Macédoine entière, et termine sur le trône une vie épuisée par la vieillesse.

19. [47] Les forces nous manqueraient, à vous pour m'écouter, à moi pour me faire entendre, si nous voulions rechercher tous les faits de cette nature; mais, en rappelant seulement ce qui se rapporte à Thèbes, si, d'un côté, nous réveillons des souvenirs douloureux, de l'autre, nous puiserons dans ces mêmes souvenirs l'espoir d'un meilleur avenir. Les Thébains ayant osé résister à nos attaques et braver nos menaces, la fortune a tellement changé la position de leurs affaires, qu'après avoir été autrefois forcés de nous obéir, ils prétendent aujourd'hui nous commander.

20. [48] Celui donc qui, en présence de si grands changements arrivés en d'autres temps, croit qu'ils doivent cesser de se produire de nos jours, serait incontestablement un insensé. Nous devons supporter les maux qui nous assiègent, et prendre courage pour l'avenir, puisque nous savons qu'une bonne organisation politique et l'expérience de la guerre réparent de semblables malheurs. Personne n'osera dire que nous ne possédions pas l'expérience de la guerre plus que tous les autres peuples, et que notre organisation politique ne soit pas tout ce qu'elle doit être. Avec de pareilles ressources, nous devons nécessairement obtenir plus de succès que les peuples qui n'ont pas attaché le même prix à s'assurer ces deux avantages.

[49] Κατηγοροῦσιν δέ τινες τοῦ πολέμου καὶ διεξέρχονται τὴν ἀπιστίαν αὐτοῦ, τεκμηρίοις ἄλλοις τε πολλοῖς χρώμενοι καὶ μάλιστα τοῖς περὶ ἡμᾶς γεγενημένοις, καὶ θαυμάζουσιν εἴ τινες οὕτω χαλεπῷ καὶ παραβόλῳ πράγματι πιστεύειν ἀξιοῦσιν.

Ἐγὼ δὲ πολλοὺς μὲν οἶδα διὰ τὸν πόλεμον μεγάλην εὐδαιμονίαν κτησαμένους, πολλοὺς δὲ τῆς ὑπαρχούσης ἀποστερηθέντας διὰ τὴν εἰρήνην. [50] Οὐδὲν γὰρ τῶν τοιούτων ἐστὶν ἀποτόμως οὔτε κακὸν οὔτ' ἀγαθὸν, ἀλλ' ὡς ἂν χρήσηταί τις τοῖς πράγμασιν καὶ τοῖς καιροῖς, οὕτως ἀνάγκη καὶ τὸ τέλος ἐκβαίνειν ἐξ αὐτῶν. Χρὴ δὲ τοὺς μὲν εὖ πράττοντας τῆς εἰρήνης ἐπιθυμεῖν· ἐν ταύτῃ γὰρ τῇ καταστάσει πλεῖστον ἄν τις χρόνον τὰ παρόντα διαφυλάξειεν τοὺς δὲ δυστυχοῦντας τῷ πολέμῳ προσέχειν τὸν νοῦν· ἐκ γὰρ τῆς ταραχῆς καὶ τῆς καινουργίας θᾶττον ἂν μεταβολῆς τύχοιεν. Ὧν ἡμεῖς δέδοικα μὴ τἀναντία πράττοντες φανῶμεν· [51] ὅτε μὲν γὰρ ἐξῆν ἡμῖν τρυφᾶν, πλείους τοὺς πολέμους ἐποιούμεθα τοῦ δέοντος, ἐπειδὴ δ' εἰς ἀνάγκην καθέσταμεν ὥστε κινδυνεύειν, ἡσυχίας ἐπιθυμοῦμεν καὶ περὶ ἀσφαλείας βουλευόμεθα. Καίτοι χρὴ τοὺς βουλομένους ἐλευθέρους εἶναι τὰς μὲν ἐκ τῶν ἐπιταγμάτων συνθήκας φεύγειν ὡς ἐγγὺς δουλείας οὔσας, ποιεῖσθαι δὲ τὰς διαλλαγὰς ὅταν ἢ περιγένωνται τῶν ἐχθρῶν ἢ τὴν δύναμιν τὴν αὑτῶν ἐξισώσωσιν τῇ τῶν πολεμίων· ὡς τοιαύτην ἕκαστοι τὴν εἰρήνην ἕξουσιν, οἵανπερ ἂν τοῦ πολέμου ποιήσωνται τὴν κατάλυσιν.

[52] Ὧν ἐνθυμουμένους χρὴ μὴ προπετῶς ἡμᾶς αὐτοὺς ἐμβαλεῖν εἰς αἰσχρὰς ὁμολογίας, μηδὲ ῥᾳθυμότερον ὑπὲρ τῆς πατρίδος ἢ τῶν ἄλλων φανῆναι βουλευομένους. Ἀναμνήσθητε δὲ πρὸς ὑμᾶς αὐτοὺς ὅτι τὸν παρελθόντα χρόνον, ῎εἰ πολιορκουμένῃ τινὶ τῶν πόλεων τῶν συμμαχίδων εἷς μόνος Λακεδαιμονίων βοηθήσειεν, ὑπὸ πάντων ἂν ὡμολογεῖτο παρὰ τοῦτον γενέσθαι τὴν σωτηρίαν αὐτοῖς. Καὶ τοὺς μὲν πλείστους τῶν τοιούτων ἀνδρῶν παρὰ τῶν πρεσβυτέρων ἄν τις ἀκούσειεν, τοὺς δ' ὀνομαστοτάτους ἔχω κἀγὼ διελθεῖν. [53] Πεδάριτος μὲν γὰρ εἰς Χίον εἰσπλεύσας τὴν πόλιν αὐτῶν διέσωσεν· Βρασίδας δ' εἰς Ἀμφίπολιν εἰσελθὼν, ὀλίγους τοὺς περὶ αὑτὸν τῶν πολιορκουμένων συνταξάμενος, πολλοὺς ὄντας τοὺς πολιορκοῦντας ἐνίκησεν μαχόμενος· Γύλιππος δὲ Συρακοσίοις βοηθήσας οὐ μόνον ἐκείνους διέσωσεν, ἀλλὰ καὶ τὴν δύναμιν τὴν κρατοῦσαν αὐτῶν καὶ κατὰ γῆν καὶ κατὰ θάλατταν ἅπασαν αἰχμάλωτον ἔλαβεν. [54] Καίτοι πῶς οὐκ αἰσχρὸν τότε μὲν ἕκαστον ἡμῶν ἱκανὸν εἶναι τὰς ἀλλοτρίας πόλεις διαφυλάττειν, νυνὶ δὲ πάντας μήτε δύνασθαι μήτε πειρᾶσθαι τὴν ἡμετέραν αὐτῶν διασώζειν; Καὶ τὴν μὲν Εὐρώπην καὶ τὴν Ἀσίαν μεστὴν πεποιηκέναι τροπαίων ὑπὲρ τῶν ἄλλων πολεμοῦντας, ὑπὲρ δὲ τῆς πατρίδος οὕτω φανερῶς ὑβριζομένης μηδὲ μίαν μάχην ἀξίαν λόγου φαίνεσθαι μεμαχημένους; [55] Ἀλλ' ἑτέρας μὲν πόλεις ὑπὲρ τῆς ἡμετέρας ἀρχῆς τὰς ἐσχάτας ὑπομεῖναι πολιορκίας, αὐτοὺς δ' ἡμᾶς ὑπὲρ τοῦ μηδὲν ἀναγκασθῆναι παρὰ τὸ δίκαιον ποιεῖν μηδὲ μικρὰν οἴεσθαι δεῖν ὑπενεγκεῖν κακοπάθειαν, ἀλλὰ ζεύγη μὲν ἵππων ἀδηφαγούντων ἔτι καὶ νῦν ὁρᾶσθαι τρέφοντας, ὥσπερ δὲ τοὺς εἰς τὰς δεινοτάτας ἀνάγκας ἀφιγμένους καὶ τῶν καθ' ἡμέραν ἐνδεεῖς ὄντας οὕτω ποιεῖσθαι τὴν εἰρήνην;

[56] Ὃ δὲ πάντων σχετλιώτατον, εἰ φιλοπονώτατοι δοκοῦντες εἶναι τῶν Ἑλλήνων ῥᾳθυμότερον τῶν ἄλλων βουλευσόμεθα περὶ τούτων. Τίνας γὰρ ἴσμεν, ὧν καὶ ποιήσασθαι μνείαν ἄξιόν ἐστιν, οἵτινες ἅπαξ ἡττηθέντες καὶ μιᾶς εἰσβολῆς γενομένης οὕτως ἀνάνδρως ὡμολόγησαν πάντα τὰ προσταττόμενα ποιήσειν; Πῶς δ' ἂν οἱ τοιοῦτοι πολὺν χρόνον δυστυχοῦντες ἀνταρκέσειαν; [57] Τίς δ' οὐκ ἂν ἐπιτιμήσειεν ἡμῖν, εἰ Μεσσηνίων ὑπὲρ ταύτης τῆς χώρας εἴκοσιν ἔτη πολιορκηθέντων ἡμεῖς οὕτω ταχέως κατὰ συνθήκας αὐτῆς ἀποσταίημεν, καὶ μηδὲ τῶν προγόνων μνησθείημεν, ἀλλ' ἣν ἐκεῖνοι μετὰ πολλῶν πόνων καὶ κινδύνων ἐκτήσαντο, ταύτην ἡμεῖς ὑπὸ λόγων πεισθέντες ἀποβάλοιμεν;

[58] Ὧν οὐδὲν ἔνιοι φροντίσαντες, ἀλλὰ πάσας τὰς αἰσχύνας ὑπεριδόντες τοιαῦτα συμβουλεύουσιν ὑμῖν, ἐξ ὧν εἰς ὀνείδη τὴν πόλιν καταστήσουσιν. Οὕτω δὲ προθύμως ἐπάγουσιν ὑμᾶς πρὸς τὸ παραδοῦναι Μεσσήνην, ὥστε καὶ διεξελθεῖν ἐτόλμησαν τήν τε τῆς πόλεως ἀσθένειαν καὶ τὴν τῶν πολεμίων δύναμιν, καὶ κελεύουσιν ἀποκρίνασθαι τοὺς ἐναντιουμένους αὑτοῖς πόθεν βοήθειαν προσδοκῶντες ἥξειν διακελευόμεθα πολεμεῖν.

[59] Ἐγὼ δὲ μεγίστην μὲν ἡγοῦμαι συμμαχίαν εἶναι καὶ βεβαιοτάτην τὸ τὰ δίκαια πράττειν εἰκὸς γὰρ καὶ τὴν τῶν θεῶν εὔνοιαν γενέσθαι μετὰ τούτων, εἴπερ χρὴ περὶ τῶν μελλόντων τεκμαίρεσθαι τοῖς ἤδη γεγενημένοις, πρὸς δὲ ταύτῃ τὸ καλῶς πολιτεύεσθαι καὶ σωφρόνως ζῆν καὶ μέχρι θανάτου μάχεσθαι τοῖς πολεμίοις ἐθέλειν καὶ μηδὲν οὕτω δεινὸν νομίζειν ὡς τὸ κακῶς ἀκούειν ὑπὸ τῶν πολιτῶν· ἃ μᾶλλον ἡμῖν ἢ τοῖς ἄλλοις ἀνθρώποις ὑπάρχει. [60] Μεθ' ὧν ἐγὼ πολὺ ἂν ἥδιον πολεμοίην ἢ μετὰ πολλῶν μυριαδῶν· οἶδα γὰρ καὶ τοὺς πρώτους ἡμῶν εἰς ταύτην τὴν χώραν ἀφικομένους οὐ τῷ πλήθει τῶν ἄλλων περιγενομένους, ἀλλὰ ταῖς ἀρεταῖς ταῖς ὑπ' ἐμοῦ προειρημέναις. Ὥστ' οὐκ ἄξιον διὰ τοῦτο φοβεῖσθαι τοὺς πολεμίους, ὅτι πολλοὶ τυγχάνουσιν ὄντες, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον ἐπ' ἐκείνοις θαρρεῖν, ὅταν ὁρῶμεν ἡμᾶς μὲν αὐτοὺς οὕτως ἐνηνοχότας τὰς συμφορὰς ὡς οὐδένες ἄλλοι πώποτε, [61] καὶ τοῖς τε νόμοις καὶ τοῖς ἐπιτηδεύμασιν ἐμμένοντας οἷς ἐξ ἀρχῆς κατεστησάμεθα, τοὺς δὲ μηδὲ τὰς εὐτυχίας φέρειν δυναμένους, ἀλλὰ διατεταραγμένους, καὶ τοὺς μὲν τὰς συμμαχίδας πόλεις καταλαμβάνοντας, τοὺς δὲ τἀναντία τούτοις πράττοντας, ἄλλους δὲ περὶ χώρας τοῖς ὁμόροις ἀμφισβητοῦντας, τοὺς δὲ μᾶλλον ἀλλήλοις φθονοῦντας ἢ πρὸς ἡμᾶς πολεμοῦντας. Ὥστε θαυμάζω τῶν μείζω συμμαχίαν ζητούντων ὧν οἱ πολέμιοι τυγχάνουσιν ἐξαμαρτάνοντες.

[62] Εἰ δὲ δεῖ καὶ περὶ τῶν ἔξωθεν βοηθειῶν εἰπεῖν, ἡγοῦμαι πολλοὺς ἔσεσθαι τοὺς βουλομένους ἐπαμύνειν ἡμῖν. Ἐπίσταμαι γὰρ πρῶτον μὲν Ἀθηναίους, εἰ καὶ μὴ πάντα μεθ' ἡμῶν εἰσὶν, ἀλλ' ὑπέρ γε τῆς σωτηρίας τῆς ἡμετέρας ὁτιοῦν ἂν ποιήσοντας· ἔπειτα τῶν ἄλλων πόλεων ἔστιν ἃς ὁμοίως ἂν ὑπὲρ τῶν ἡμῖν συμφερόντων ὥσπερ τῶν αὑταῖς βουλευσομένας· [63] ἔτι δὲ Διονύσιον τὸν τύραννον καὶ τὸν Αἰγυπτίων βασιλέα καὶ τοὺς ἄλλους τοὺς κατὰ τὴν Ἀσίαν δυνάστας, καθ' ὅσον ἕκαστοι δύνανται, προθύμως ἂν ἡμῖν ἐπικουρήσοντας· πρὸς δὲ τούτοις καὶ τῶν Ἑλλήνων τοὺς ταῖς οὐσίαις προέχοντας καὶ ταῖς δόξαις πρωτεύοντας καὶ τῶν βελτίστων πραγμάτων ἐπιθυμοῦντας, εἰ καὶ μήπω συνεστήκασιν, ἀλλὰ ταῖς γ' εὐνοίαις μεθ' ἡμῶν ὄντας, ἐν οἷς περὶ τῶν μελλόντων εἰκότως ἂν μεγάλας ἐλπίδας ἔχοιμεν.

[64] Οἶμαι δὲ καὶ τὸν ἄλλον ὄχλον τὸν ἐν Πελοποννήσῳ καὶ τὸν δῆμον, ὃν οἰόμεθα μάλιστα πολεμεῖν ἡμῖν, ποθεῖν ἤδη τὴν ἡμετέραν ἐπιμέλειαν. Οὐδὲν γὰρ αὐτοῖς ἀποστᾶσι γέγονεν ὧν προσεδόκησαν, ἀλλ' ἀντὶ μὲν τῆς ἐλευθερίας τοὐναντίον ἀποβέβηκεν· ἀπολέσαντες γὰρ αὑτῶν τοὺς βελτίστους ἐπὶ τοῖς χειρίστοις τῶν πολιτῶν γεγόνασιν, ἀντὶ δὲ τῆς αὐτονομίας εἰς πολλὰς καὶ δεινὰς ἀνομίας ἐμπεπτώκασιν, [65] εἰθισμένοι δὲ τὸν ἄλλον χρόνον μεθ' ἡμῶν ἐφ' ἑτέρους ἰέναι, νῦν τοὺς ἄλλους ὁρῶσιν ἐφ' αὑτοὺς στρατευομένους, καὶ τὰς στάσεις, ἃς ἐπυνθάνοντο πρότερον παρ' ἑτέροις οὔσας, νῦν παρ' αὑτοῖς ὀλίγου δεῖν καθ' ἑκάστην ἡμέραν γιγνομένας. Οὕτω δ' ὡμαλισμένοι ταῖς συμφοραῖς εἰσιν ὥστε μηδένα διαγνῶναι δύνασθαι τοὺς κάκιστα πράττοντας αὐτῶν· οὐδεμία γάρ ἐστιν τῶν πόλεων ἀκέραιος, [66] οὐδ' ἥτις οὐχ ὁμόρους ἔχει τοὺς κακῶς ποιήσοντας, ὡς τετμῆσθαι μὲν τὰς χώρας, πεπορθῆσθαι δὲ τὰς πόλεις, ἀναστάτους δὲ γεγενῆσθαι τοὺς οἴκους τοὺς ἰδίους, ἀνεστράφθαι δὲ τὰς πολιτείας καὶ καταλελύσθαι τοὺς νόμους μεθ' ὧν οἰκοῦντες εὐδαιμονέστατοι τῶν Ἑλλήνων ἦσαν. [67] Οὕτω δ' ἀπίστως τὰ πρὸς σφᾶς αὐτοὺς καὶ δυσμενῶς ἔχουσιν, ὥστε μᾶλλον τοὺς πολίτας ἢ τοὺς πολεμίους δεδίασιν· ἀντὶ δὲ τῆς ἐφ' ἡμῶν ὁμονοίας καὶ τῆς παρ' ἀλλήλων εὐπορίας εἰς τοσαύτην ἀμιξίαν ἐληλύθασιν, ὥσθ' οἱ μὲν κεκτημένοι τὰς οὐσίας ἥδιον ἂν εἰς τὴν θάλατταν τὰ σφέτερ' αὐτῶν ἐκβάλοιεν ἢ τοῖς δεομένοις ἐπαρκέσειαν, οἱ δὲ καταδεέστερον πράττοντες οὐδ' ἂν εὑρεῖν δέξαιντο μᾶλλον ἢ τὰ τῶν ἐχόντων ἀφελέσθαι· [68] καταλύσαντες δὲ τὰς θυσίας ἐπὶ τῶν βωμῶν σφάττουσιν ἀλλήλους· πλείους δὲ φεύγουσι νῦν ἐκ μιᾶς πόλεως ἢ πρότερον ἐξ ἁπάσης τῆς Πελοποννήσου. Καὶ τοσούτων ἀπηριθμημένων κακῶν πολὺ πλείω τὰ παραλελειμμένα τῶν εἰρημένων ἐστίν· οὐδὲν γὰρ ὅ τι τῶν δεινῶν ἢ χαλεπῶν οὐκ ἐνταῦθα συνδεδράμηκεν. [69] Ὧν οἱ μὲν ἤδη μεστοὶ τυγχάνουσιν ὄντες, οἱ δὲ διὰ ταχέων ἐμπλησθήσονται, καὶ ζητήσουσί τινα τῶν παρόντων πραγμάτων εὑρεῖν ἀπαλλαγήν. Μὴ γὰρ οἴεσθ' αὐτοὺς μενεῖν ἐπὶ τούτοις· οἵτινες γὰρ εὖ πράττοντες ἀπεῖπον, πῶς ἂν οὗτοι κακοπαθοῦντες πολὺν χρόνον καρτερήσειαν; Ὥστ' οὐ μόνον ἢν μαχόμενοι νικήσωμεν, ἀλλὰ κἂν ἡσυχίαν ἔχοντες περιμείνωμεν, ὄψεσθ' αὐτοὺς μεταβαλλομένους καὶ τὴν ἡμετέραν συμμα῎χίαν σωτηρίαν αὑτῶν εἶναι νομίζοντας. Τὰς μὲν οὖν ἐλπίδας ἔχω τοιαύτας.

[70] Τοσοῦτον δ' ἀπέχω τοῦ ποιῆσαί τι τῶν προσταττομένων, ὥστ' εἰ μηδὲν γίγνοιτο τούτων μηδὲ βοηθείας μηδαμόθεν τυγχάνοιμεν, ἀλλὰ τῶν Ἑλλήνων οἱ μὲν ἀδικοῖεν ἡμᾶς, οἱ δὲ περιορῷεν, οὐδ' ἂν οὕτω μεταγνοίην, ἀλλὰ πάντας ἂν τοὺς ἐκ τοῦ πολέμου κινδύνους ὑπομείναιμι πρὶν ποιήσασθαι τὰς ὁμολογίας ταύτας. Αἰσχυνθείην γὰρ ἂν ὑπὲρ ἀμφοτέρων, εἴτε καταγνοίημεν τῶν προγόνων, ὡς ἀδίκως Μεσσηνίους ἀφείλοντο τὴν χώραν, εἴτ' ἐκείνων ὀρθῶς κτησαμένων καὶ προσηκόντως ἡμεῖς παρὰ τὸ δίκαιον συγχωρήσαιμέν τι περὶ αὐτῆς. [71] Τούτων μὲν οὖν οὐδέτερον ποιητέον, σκεπτέον δ' ὅπως ἀξίως ἡμῶν αὐτῶν πολεμήσομεν καὶ μὴ τοὺς εἰθισμένους ἐγκωμιάζειν τὴν πόλιν ἐλέγξομεν ψευδεῖς ὄντας, ἀλλὰ τοιούτους ἡμᾶς αὐτοὺς παρασχήσομεν ὥστε δοκεῖν ἐκείνους ἐλάττω τῶν προσηκόντων εἰρηκέναι περὶ ἡμῶν.

[72] Οἶμαι μὲν οὖν οὐδὲν συμβήσεσθαι δεινότερον τῶν νῦν παρόντων, ἀλλὰ τοὺς ἐχθροὺς τοιαῦτα βουλεύσεσθαι καὶ πράξειν, ἐξ ὧν ἐπανορθώσουσιν ἡμᾶς· ἂν δ' ἄρα ψευσθῶμεν τῶν ἐλπίδων καὶ πανταχόθεν ἐξειργώμεθα καὶ μηδὲ τὴν πόλιν ἔτι δυνώμεθα διαφυλάττειν, χαλεπὰ μέν ἐστιν ἃ μέλλω λέγειν, ὅμως δ' οὐκ ὀκνήσω παρρησιάσασθαι περὶ αὐτῶν. Καὶ γὰρ ἐξαγγελθῆναι τοῖς Ἕλλησι καλλίω ταῦτ' ἐστὶν καὶ μᾶλλον ἁρμόττοντα τοῖς ἡμετέροις φρονήμασιν ὧν ἔνιοί τινες ὑμῖν συμβουλεύουσιν.

 

21. Quelques orateurs cependant accusent la guerre, font le tableau de ses déceptions, en cherchent les témoignages dans l'histoire, surtout dans la nôtre, et s'étonnent qu'il y ait des hommes disposés à établir leur
confiance sur un fondement aussi incertain, sur une garantie aussi périlleuse.

22. Quant à moi, je connais beaucoup de peuples qui ont acquis par la guerre une grande prospérité, et beaucoup d autres que la paix a privés de celle qu'ils possédaient. [50] Rien dans la paix, rien dans la guerre, n'est bon ou mauvais d'une manière absolue, et le succès dans les affaires dépend nécessairement de l'habileté des hommes à employer leurs ressources et à profiter des occasions favorables. Ceux qui sont dans la prospérité doivent désirer la paix, parce qu'à l'aide de la paix ils conservent plus longtemps les avantages qu'ils possèdent; ceux que le malheur accable doivent diriger leurs pensées vers la guerre, parce que le trouble, les désordres qu'elle engendre, leur permettent d'arriver plus rapidement à faire changer la fortune. Je crains qu'on ne nous accuse d'agir d'après des principes contraires : [51] car, lorsqu'il était en notre pouvoir de vivre dans l'abondance et dans la paix, nous avons entrepris plus de guerres que nous n'aurions dû le faire; et, lorsque nous nous trouvons placés dans une situation où la nécessité nous commande d'affronter les dangers, tous nos voeux sont pour la paix, toutes nos délibérations ont notre tranquillité pour but. Les peuples qui veulent être libres doivent rejeter les traités qui sont imposés comme des ordres, parce que ces traités sont des gages de servitude, et ils ne doivent consentir à entrer en négociation qu'après avoir vaincu l'ennemi, ou lorsqu'ils peuvent lui opposer des forces égales, car la paix dont chacun jouira sera toujours en rapport avec la position dans laquelle chacun aura terminé la guerre.

23. [52] Convaincus de ces vérités, il ne faut pas nous précipiter dans des négociations honteuses, ni montrer moins d'énergie, quand il s'agit de notre patrie, que quand nous délibérons sur des intérêts étrangers. Recueillez vos souvenirs, et rappelez-vous qu'autrefois, lorsqu'un seul Lacédémonien secourait une ville alliée assiégée par l'ennemi, tout le monde reconnaissait qu'elle lui devait son salut. Il nous serait facile d'entendre de la bouche de nos vieillards les noms de la plupart des hommes qui ont acquis cette gloire, mais je puis du moins vous indiquer les plus célèbres d'entre eux. [53] Pédaritus fait voile vers Chio, et sauve la ville; Brasidas entre dans Amphipolis, réunit autour de lui un petit nombre d'assiégés, et, les armes à la main, il la délivre des nombreux ennemis qui l'attaquent; Gylippe, envoyé au secours des Syracusains, non seulement les sauve, mais il oblige à se rendre prisonnière l'armée qui les avait vaincus sur mer aussi bien que sur terre. [54] Ne serait-ce pas une honte, lorsque autrefois chacun de nous pouvait suffire pour préserver les villes étrangères, qu'aujourd'hui, tous réunis, nous n'osassions pas même entreprendre de sauver la nôtre ? qu'après avoir rempli l'Europe et l'Asie de nos trophées, en combattant pour les autres peuples, on ne nous vît pas même livrer un combat digne de mémoire, lorsqu'il s'agit de venger notre pays si évidemment outragé? [55] que des villes aient supporté jusqu'à la dernière extrémité toutes les horreurs d'un siège pour soutenir notre puissance, et que nous, nous ne croyions pas devoir accepter la plus légère souffrance pour ne pas subir des conditions injustes? qu'enfin on nous vît encore aujourd'hui nourrir à grands frais de magnifiques couples de chevaux, tandis que nous accepterions la paix comme des hommes réduits aux plus dures nécessités et privés de toutes ressources ?

24. [56] Mais ce qu'il y aurait de plus révoltant serait qu'étant regardés comme les plus courageux des Grecs, nous prissions des résolutions plus faibles que les autres peuples sur des sujets de cette nature. Quels hommes connaissons-nous parmi ceux dont la mémoire mérite d'être rappelée, qui, vaincus dans un seul combat, et ayant subi une seule attaque, aient consenti, avec autant de lâcheté, à exécuter les ordres de leurs ennemis? Comment de tels hommes, s'ils étaient assaillis longtemps par le malheur, auraient-ils la force de le supporter? [57] Qui pourrait ne pas nous blâmer si, lorsque les Messéniens ont soutenu un siège de vingt ans pour défendre cette contrée, nous la cédions par un traité avec une si grande promptitude, et qu'oubliant nos ancêtres, nous nous laissassions persuader par de simples paroles d'abandonner un pays qu'ils ont conquis au prix de tant de travaux et de dangers ?

25. [58] C'est pourtant sans tenir compte d'aussi graves considérations, et en regardant toutes les hontes d'un oeil indifférent, que quelques hommes nous donnent des conseils qui auraient pour résultat de déshonorer notre patrie. Ils mettent une telle ardeur à vous déterminer à l'abandon de Messène, qu'après avoir osé vous entretenir de la faiblesse de notre ville et de la force de nos ennemis, ils somment ceux qui leur résistent de déclarer sur quels secours nous comptons lorsque nous vous exhortons à la guerre.

26. [59] Quant à moi, je suis convaincu que l'alliance la plus puissante et la plus sûre, c'est d'avoir la justice pour soi (car, s'il faut juger l'avenir d'après les données du passé, il est permis d'espérer que la bienveillance des dieux sera avec ceux qui marcheront dans cette voie) ; c'est, en outre, d'avoir un bon gouvernement, une vie irréprochable, la détermination de combattre l'ennemi, et la conviction que le plus grand des malheurs est le blâme de ses concitoyens, sentiments qui existent parmi nous plus que chez les autres peuples. [60] Je préfère, en ce qui me concerne, de telles ressources pour combattre, à des myriades de soldats ; je sais d'ailleurs que nos ancêtres, en arrivant sur cette terre, n'ont pas vaincu ses habitants par la supériorité du nombre, mais à l'aide des vertus que j'ai signalées. Par conséquent, loin de craindre le nombre de nos ennemis, nous devons sentir plutôt se raffermir notre espérance, en voyant que nous avons supporté le malheur comme jamais aucun peuple ne l'a supporté, [61] et que nous sommes restés fidèles aux lois et aux institutions établies parmi nous dès l'origine ; tandis que nos ennemis ne peuvent pas même soutenir le poids de leurs prospérités, qu'ils sont troublés par des dissensions intestines, que les uns s'emparent des villes alliées, que d'autres s'efforcent de traverser leurs desseins, que d'autres sont en discussion avec leurs voisins pour le règlement de leurs frontières, que d'autres enfin sont occupés de leurs jalousies mutuelles plus que de la guerre qu'ils nous font. D'où il résulte que je m'étonne de voir chercher des auxiliaires plus puissants que les fautes de nos ennemis.

27. [62] Que s'il faut parler de l'appui qui nous viendra du dehors, je crois qu'un grand nombre de peuples seront disposés à nous secourir. Je sais d'abord que les Athéniens, en supposant qu'ils ne soient pas complètement avec nous, emploieront tous les moyens pour assurer notre salut; je sais que, parmi les autres villes, il en est qui s'occuperont de nos intérêts comme s'il s'agissait des leurs; [63] je sais que Denys le tyran, le roi d'Égypte et les princes de l'Asie nous seconderont avec zèle, chacun selon ses moyens : je sais enfin qu'entre les Grecs, ceux qui tiennent le premier rang par leurs richesses, comme par leur renommée, et ceux qui sont les plus zélés pour les intérêts de la Grèce, s'ils ne se sont pas encore joints à nous, sont animés à notre égard de dispositions bienveillantes, et que nous pouvons placer en eux de grandes espérances pour l'avenir.

28. [64] Je crois également que la masse des habitants du Péloponnèse, et le peuple que nous regardons surtout comme disposé à nous faire la guerre, regrettent aujourd'hui le temps où nous prenions soin de leurs intérêts. Ils n'ont retiré de leur défection aucun des avantages sur lesquels ils avaient compté : au lieu de la liberté, ils ont rencontré l'esclavage, et, après avoir vu périr leurs meilleurs citoyens, ils sont tombés sous le pouvoir des plus méchants; loin d'être gouvernés conformément à leurs lois, ils ont subi les illégalités les plus multipliées et les plus flagrantes. [65] Accoutumés dans d'autres temps à porter avec nous la guerre sur le territoire étranger, ils voient aujourd'hui les étrangers envahir leur territoire, et les séditions dont autrefois la renommée leur apprenait l'existence chez les autres, ils les voient pour ainsi dire chaque jour éclater parmi eux. L'infortune les a rendus tellement égaux, qu'il serait impossible de reconnaître quels sont les plus malheureux. [66] Il n'est pas une de leurs villes qui n'ait éprouvé quelque désastre, pas une qui ne soit entourée de voisins prêts à lui nuire; les campagnes sont dévastées, les cités saccagées, les maisons particulières détruites de fond en comble, les formes de gouvernement bouleversées, et ils ont vu anéantir les lois sous l'empire desquelles ils étaient les plus heureux des Grecs. [67] Ils éprouvent une telle défiance, une telle haine les uns à regard des autres, qu'ils craignent leurs concitoyens plus encore que leurs ennemis ; au lieu de cette harmonie qui régnait parmi eux sous notre empire et de cette abondance qu'ils partageaient entre eux, ils en sont venus à un tel degré d'antipathie réciproque, que ceux qui sont dans l'opulence jetteraient plutôt leur fortune à la mer que d'en donner une faible part aux indigents, et que ceux-ci préféreraient arracher les objets dont ils ont besoin des mains de ceux qui les possèdent, plutôt que de les devoir au hasard qui les leur présenterait ; [68] qu'abolissant les sacrifices, ils s'égorgent mutuellement sur les autels ; et qu'il sort aujourd'hui plus d'exilés d'une seule ville, qu'il n'en sortait autrefois du Péloponnèse entier. Quelque nombreux que soient les maux que je viens d'énumérer, ceux que j'ai omis sont plus nombreux encore . il n'est pas de malheur, pas de calamité, qui ne soient venus fondre sur ce pays. [69] Les uns en sont rassasiés, les autres ne tarderont pas à l'être ; et tous chercheront alors le moyen d'échapper à tant de misères. Gardez-vous donc de croire qu'ils puissent rester dans une telle situation ; comment des hommes qui se sont découragés lorsque la fortune les favorisait pourraient-ils longtemps supporter l'infortune ? Ainsi, non seulement si nous triomphons d'eux par la guerre, mais si nous restons en paix, vous les verrez changer de pensée, et considérer notre alliance comme la condition de leur salut. Voilà quelles sont mes espérances.

29. [70] Je suis si loin de me soumettre à une seule des injonctions de nos ennemis, que, quand bien même aucune de mes espérances ne devrait se réaliser, qu'aucun secours ne nous serait accordé, qu'une partie de la Grèce nous traiterait en ennemis, que l'antre nous verrait d'un oeil indifférent, même alors, je ne changerais pas de conviction, et je braverais toutes les chances de la guerre, plutôt que de souscrire au traité que l'on veut nous imposer. Je verrais une honte égale pour nous, soit à condamner nos ancêtres comme ayant injustement enlevé aux Messéniens la terre qu'ils habitaient, soit à en céder injustement une partie, lorsque nos pères l'ont conquise conformément aux règles de la justice et de l'honneur. [71] Nous ne devons accepter ni l'une ni l'autre de ces humiliations; l'unique but de nos pensées doit être de faire la guerre d'une manière digne de nous; et, loin d'infirmer le témoignage de ceux qui sont accoutumés à célébrer les louanges de notre patrie, nous devons nous présenter, dans une telle altitude qu'ils paraissent au-dessous de la vérité dans les éloges qu'ils nous donnent.

30. [72] Oui, j'ai la ferme confiance qu'aucun malheur plus grand que ceux qui pèsent aujourd'hui sur nous ne peut désormais nous atteindre, et que nos ennemis, par leurs résolutions aussi bien que par leurs actes, nous aideront à relever notre fortune ; mais, si notre espoir est trompé, si, entourés de tous côtés, nous ne pouvons pas même conserver notre ville, les paroles que je vais prononcer sont dures, et cependant je n'hésiterai pas à m'exprimer avec une complète liberté ; car il sera plus noble, plus conforme à nos sentiments, d'annoncer à la Grèce une telle résolution, que d'avoir à lui faire connaître notre soumission aux conseils qu'on ose nous donner.

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[73] Φημὶ γὰρ χρῆναι τοὺς μὲν γονέας τοὺς ἡμετέρους αὐτῶν καὶ τοὺς παῖδας καὶ τὰς γυναῖκας καὶ τὸν ὄχλον τὸν ἄλλον ἐκ τῆς πόλεως ἐκπέμψαι, τοὺς μὲν εἰς Σικελίαν, τοὺς δ' εἰς Κυρήνην, τοὺς δ' εἰς τὴν ἤπειρον, ἄσμενοι δ' αὐτοὺς ἅπαντες οὗτοι δέξονται καὶ χώρᾳ πολλῇ καὶ ταῖς ἄλλαις ταῖς περὶ τὸν βίον εὐπορίαις, οἱ μὲν χάριν ἀποδιδόντες ὧν εὖ πεπόνθασιν, οἱ δὲ κομιεῖσθαι προσδοκῶντες ὧν ἂν προϋπάρξωσιν, [74] ὑπολειφθέντας δὲ τοὺς βουλομένους καὶ δυναμένους κινδυνεύειν τῆς μὲν πόλεως ἀφέσθαι καὶ τῶν ἄλλων κτημάτων, πλὴν ὅς' ἂν οἷοί τ' ὦμεν ἀπενέγκασθαι μεθ' ἡμῶν αὐτῶν, καταλαβόντας δὲ χωρίον ὅ τι ἂν ἐχυρώτατον ᾖ καὶ πρὸς τὸν πόλεμον συμφορώτατον, ἄγειν καὶ φέρειν τοὺς πολεμίους καὶ κατὰ γῆν καὶ κατὰ θάλατταν, ἕως ἂν παύσωνται τῶν ἡμετέρων ἀμφισβητοῦντες. [75] Καὶ ταῦτ' ἂν τολμήσωμεν καὶ μὴ κατοκνήσωμεν, ὄψεσθε τοὺς νῦν ἐπιτάττοντας ἱκετεύοντας καὶ δεομένους ἡμῶν Μεσσήνην ἀπολαβεῖν καὶ ποιήσασθαι τὴν εἰρήνην.

Ποία γὰρ ἂν τῶν πόλεων τῶν ἐν Πελοποννήσῳ τοιοῦτον πόλεμον ὑπομείνειεν, οἷον εἰκὸς γενέσθαι βουληθέντων ὑμῶν; Τίνες δ' οὐκ ἂν ἐκπλαγεῖεν καὶ δείσειαν στρατόπεδον συνιστάμενον τοιαῦτα μὲν διαπεπραγμένον, δικαίως δὲ τοῖς αἰτίοις τούτων ὠργισμένον, ἀπονενοημένως δὲ πρὸς τὸ ζῆν διακείμενον, [76] καὶ τῷ μὲν σχολὴν ἄγειν καὶ μηδὲ περὶ ἓν ἄλλο διατρίβειν ἢ περὶ τὸν πόλεμον τοῖς ξενικοῖς στρατεύμασιν ὡμοιωμένον, ταῖς δ' ἀρεταῖς καὶ τοῖς ἐπιτηδεύμασιν τοιοῦτον, οἷον ἐξ ἁπάντων ἀνθρώπων οὐδεὶς ἂν συντάξειεν, ἔτι δὲ μηδεμιᾷ πολιτείᾳ τεταγμένῃ χρώμενον, ἀλλὰ θυραυλεῖν καὶ πλανᾶσθαι κατὰ τὴν χώραν δυνάμενον καὶ ῥᾳδίως μὲν ὅμορον οἷς ἂν βούληται γιγνόμενον, τοὺς δὲ τόπους ἅπαντας τοὺς πρὸς τὸν πόλεμον συμφέροντας πατρίδας εἶναι νομίζον;
[77] Ἐγὼ μὲν γὰρ οἶμαι τῶν λόγων μόνον ῥηθέντων τούτων καὶ διασπαρέντων εἰς τοὺς Ἕλληνας εἰς πολλὴν ταραχὴν καταστήσεσθαι τοὺς ἐχθροὺς ἡμῶν, ἔτι δὲ μᾶλλον ἢν καὶ τέλος ἐπιθεῖναι τούτοις ἀναγκασθῶμεν. Τίνα γὰρ οἰηθῶμεν αὐτοὺς γνώμην ἕξειν, ὅταν αὐτοὶ μὲν κακῶς πάσχωσιν, ἡμᾶς δὲ μηδὲν δύνωνται ποιεῖν; [78] Καὶ τὰς μὲν αὑτῶν πόλεις ἴδωσιν εἰς πολιορκίαν καθεστηκυίας, τὴν δ' ἡμετέραν οὕτω διεσκευασμένην ὥστε μηκέτι τῇ συμφορᾷ ταύτῃ περιπεσεῖν; ἔτι δὲ τὴν τῶν σωμάτων τροφὴν ἡμῖν μὲν ῥᾳδίαν οὖσαν ἔκ τε τῶν ὑπαρχόντων καὶ τῶν ἐκ τοῦ πολέμου γιγνομένων, αὑτοῖς δὲ χαλεπὴν διὰ τὸ μὴ ταὐτὸν εἶναι στρατόπεδόν τε τοιοῦτον διοικεῖν καὶ τοὺς ὄχλους τοὺς ἐν ταῖς πόλεσιν διατρέφειν; [79] Ὃ δὲ πάντων ἄλγιστον ἐκείνοις, ὅταν τοὺς μὲν ἡμετέρους οἰκείους ἐν πολλαῖς εὐπορίαις πυνθάνωνται γεγενημένους, τοὺς δ' αὑτῶν ὁρῶσι καθ' ἑκάστην ἡμέραν τῶν ἀναγκαίων ἐνδεεῖς ὄντας, καὶ μηδ' ἐπικουρῆσαι δύνωνται τοῖς κακοῖς τούτοις, ἀλλ' ἐργαζόμενοι μὲν τὴν χώραν τὰ σπέρματα προσαπολλύωσιν, ἀργὸν δὲ περιορῶντες μηδένα χρόνον ἀνταρκεῖν οἷοί τ' ὦσιν.

[80] Ἀλλὰ γὰρ ἴσως ἀθροισθέντες καὶ κοινὸν ποιησάμενοι στρατόπεδον παρακολουθήσουσιν καὶ κωλύσουσιν ἡμᾶς κακῶς ποιεῖν αὐτούς. Καὶ τί ἂν εὐξαίμεθα μᾶλλον ἢ λαβεῖν πλησιάζοντας καὶ παραταττομένους καὶ περὶ τὰς αὐτὰς δυσχωρίας ἡμῖν ἀντιστρατοπεδεύοντας ἀνθρώπους ἀτάκτους καὶ μιγάδας καὶ πολλοῖς ἄρχουσι χρωμένους; Οὐδὲν γὰρ ἂν πολλῆς πραγματείας δεήσειεν, ἀλλὰ ταχέως ἂν αὐτοὺς ἐξαναγκάσαιμεν ἐν τοῖς ἡμετέροις καιροῖς, ἀλλὰ μὴ τοῖς αὑτῶν ποιήσασθαι τοὺς κινδύνους.

[81] Ἐπιλίποι δ' ἂν τὸ λοιπὸν μέρος τῆς ἡμέρας, εἰ τὰς πλεονεξίας τὰς ἐσομένας λέγειν ἐπιχειρήσαιμεν. Ἐκεῖνο δ' οὖν πᾶσιν φανερὸν, ὅτι τῶν Ἑλλήνων διενηνόχαμεν οὐ τῷ μεγέθει τῆς πόλεως οὐδὲ τῷ πλήθει τῶν ἀνθρώπων, ἀλλ' ὅτι τὴν πολιτείαν ὁμοίαν κατεστησάμεθα στρατοπέδῳ καλῶς διοικουμένῳ καὶ πειθαρχεῖν ἐθέλοντι τοῖς ἄρχουσιν. Ἢν οὖν εἰλικρινὲς τοῦτο ποιήσωμεν, ὃ μιμησαμένοις ἡμῖν συνήνεγκεν, οὐκ ἄδηλον ὅτι ῥᾳδίως τῶν πολεμίων ἐπικρατήσομεν.

[82] Ἴσμεν δὲ καὶ τοὺς οἰκιστὰς ταυτησὶ τῆς πόλεως γενομένους, ὅτι μικρὸν μὲν στρατόπεδον εἰς τὴν Πελοπόννησον εἰσῆλθον ἔχοντες, πολλῶν δὲ καὶ μεγάλων πόλεων ἐκράτησαν. Καλὸν οὖν μιμήσασθαι τοὺς προγόνους, καὶ πάλιν ἐπὶ τὴν ἀρχὴν ἐπανελθόντας, ἐπειδὴ προσεπταίκαμεν, πειραθῆναι τὰς τιμὰς καὶ τὰς δυναστείας ἀναλαβεῖν ἃς πρότερον ἐτυγχάνομεν ἔχοντες.
[83] Πάντων δ' ἂν δεινότατον ποιήσαιμεν, εἰ συνειδότες Ἀθηναίοις ἐκλιποῦσι τὴν αὑτῶν χώραν ὑπὲρ τῆς τῶν ἄλλων ἐλευθερίας, ἡμεῖς μηδ' ὑπὲρ τῆς ἡμετέρας αὐτῶν σωτηρίας ἀφέσθαι τῆς πόλεως τολμήσαιμεν, ἀλλὰ δέον ἡμᾶς παράδειγμα τῶν τοιούτων ἔργων τοῖς ἄλλοις παρέχειν, μηδὲ μιμήσασθαι τὰς ἐκείνων πράξεις ἐθελήσαιμεν. [84] Ἔτι δὲ τούτου καταγελαστότερον, εἰ Φωκαεῖς μὲν, φεύγοντες τὴν βασιλέως τοῦ μεγάλου δεσποτείαν, ἐκλιπόντες τὴν Ἀσίαν εἰς Μασσαλίαν ἀπῴκησαν, ἡμεῖς δ' εἰς τοσοῦτον μικροψυχίας ἔλθοιμεν ὥστε τὰ προστάγματα τούτων ὑπομείναιμεν ὧν ἄρχοντες ἅπαντα τὸν χρόνον διετελέσαμεν.

[85] Χρὴ δὲ μὴ περὶ τὴν ἡμέραν ταύτην ταῖς ψυχαῖς διατρίβειν, ἐν ᾗ δεήσει χωρίζειν τοὺς οἰκειοτάτους ἀφ' ἡμῶν αὐτῶν, ἀλλ' ἐπ' ἐκείνους τοὺς χρόνους εὐθὺς ἀφορᾶν, ἐν οἷς περιγενόμενοι τῶν ἐχθρῶν ἀνορθώσομεν μὲν τὴν πόλιν, κομιούμεθα δὲ τοὺς ἡμετέρους αὐτῶν, ἐπιδειξόμεθα δὲ πᾶσιν ὅτι νῦν μὲν ἀδίκως δεδυστυχήκαμεν, τὸν δὲ παρελθόντα χρόνον δικαίως τῶν ἄλλων πλέον ἔχειν ἠξιοῦμεν. [86] Ἔχει δ' οὕτως. Ἐγὼ τούτους εἴρηκα τοὺς λόγους, οὐχ ὡς δέον ἡμᾶς ἤδη ταῦτα πράττειν, οὐδ' ὡς οὐδεμιᾶς ἄλλης ἐνούσης ἐν τοῖς πράγμασιν σωτηρίας, ἀλλὰ βουλόμενος ὑμῶν προτρέψασθαι τὰς γνώμας, ὡς καὶ ταύτας τὰς συμφορὰς καὶ πολὺ δεινοτέρας τούτων ὑπομενετέον ἡμῖν ἐστιν πρὶν ὑπὲρ Μεσσήνης ποιήσασθαι συνθήκας οἵας κελεύουσιν ἡμᾶς.

[87] Οὐχ οὕτω δ' ἂν προθύμως ἐπὶ τὸν πόλεμον ὑμᾶς παρεκάλουν, εἰ μὴ τὴν εἰρήνην ἑώρων ἐξ ὧν μὲν ἐγὼ λέγω ῎καλὴν καὶ βεβαίαν γενησομένην, ἐξ ὧν δ' ἔνιοί τινες συμ βουλεύουσιν οὐ μόνον αἰσχρὰν ἐσομένην, ἀλλ' οὐδὲ χρόνον οὐδένα παραμενοῦσαν. Ἢν γὰρ παρακατοικισώμεθα τοὺς Εἵλωτας καὶ τὴν πόλιν ταύτην περιίδωμεν αὐξηθεῖσαν, τίς οὐκ οἶδεν ὅτι πάντα τὸν βίον ἐν ταραχαῖς καὶ κινδύνοις διατελοῦμεν ὄντες; Ὥσθ' οἱ περὶ ἀσφαλείας διαλεγόμενοι λελήθασιν αὑτοὺς τὴν μὲν εἰρήνην ὀλίγας ἡμέρας ἡμῖν ποιοῦντες, τὸν δὲ πόλεμον εἰς ἅπαντα τὸν χρόνον κατασκευάζοντες.

[88] Ἡδέως δ' ἂν αὐτῶν πυθοίμην ὑπὲρ τίνων οἴονται χρῆναι μαχομένους ἡμᾶς ἀποθνῄσκειν· οὐχ ὅταν οἱ πολέμιοι προστάττωσίν τι παρὰ τὸ δίκαιον καὶ τῆς χώρας ἀποτέμνωνται καὶ τοὺς οἰκέτας ἐλευθερῶσιν, καὶ τούτους μὲν κατοικίζωσιν εἰς ταύτην ἣν ἡμῖν οἱ πατέρες κατέλιπον, ἡμᾶς δὲ μὴ μόνον τῶν ὄντων ἀποστερῶσιν, ἀλλὰ καὶ πρὸς τοῖς ἄλλοις κακοῖς εἰς ὀνείδη καθιστῶσιν; [89] Ἐγὼ μὲν γὰρ ὑπὲρ τούτων οὐ μόνον πόλεμον, ἀλλὰ καὶ φυγὰς καὶ θανάτους οἶμαι προσήκειν ἡμῖν ὑπομένειν· πολὺ γὰρ κρεῖττον ἐν ταῖς δόξαις αἷς ἔχομεν τελευτῆσαι τὸν βίον μᾶλλον ἢ ζῆν ἐν ταῖς ἀτιμίαις ἃς ληψόμεθα ποιήσαντες ἃ προστάττουσιν ἡμῖν. Ὅλως δ' εἰ δεῖ μηδὲν ὑποστειλάμενον εἰπεῖν, αἱρετώτερον ἡμῖν ἐστιν ἀναστάτοις γενέσθαι μᾶλλον ἢ καταγελάστοις ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν. Τοὺς γὰρ ἐν ἀξιώμασιν καὶ φρονήμασιν τηλικούτοις βεβιωκότας δυοῖν δεῖ θάτερον, ἢ πρωτεύειν ἐν τοῖς Ἕλλησιν, ἢ παντάπασιν ἀνῃρῆσθαι μηδὲν ταπεινὸν διαπραξαμένους, ἀλλὰ καλὴν τὴν τελευτὴν τοῦ βίου ποιησαμένους.

[90] Ἃ χρὴ διαλογισαμένους μὴ φιλοψυχεῖν, μηδ' ἐπακολουθεῖν ταῖς τῶν συμμάχων γνώμαις, ὧν ἡγεῖσθαι πρότερον ἠξιοῦμεν, ἀλλ' αὐτοὺς σκεψαμένους ἑλέσθαι μὴ τὸ τούτοις ῥᾷστον, ἀλλ' ὃ πρέπον ἔσται τῇ Λακεδαίμονι καὶ τοῖς πεπραγμένοις ἡμῖν. Περὶ γὰρ τῶν αὐτῶν οὐχ ὁμοίως ἅπασιν βουλευτέον, ἀλλ' ὡς ἂν ἐξ ἀρχῆς ἕκαστοι τοῦ βίου ποιήσωνται τὴν ὑπόθεσιν. [91] Ἐπιδαυρίοις μὲν οὖν καὶ Κορινθίοις καὶ Φλειασίοις οὐδεὶς ἂν ἐπιπλήξειεν, εἰ μηδενὸς ἄλλου φροντίζοιεν ἢ τοῦ διαγενέσθαι καὶ περιποιῆσαι σφᾶς αὐτούς· Λακεδαιμονίους δ' οὐχ οἷόν τ' ἐστὶν ἐκ παντὸς τρόπου ζητεῖν τὴν σωτηρίαν, ἀλλ' ἂν μὴ προσῇ τὸ καλῶς τῷ σώζεσθαι, τὸν θάνατον ἡμῖν μετ' εὐδοξίας αἱρετέον ἐστίν. Τοῖς γὰρ ἀρετῆς ἀμφισβητοῦσιν ὑπὲρ οὐδενὸς οὕτω σπουδαστέον ὡς ὑπὲρ τοῦ μηδὲν αἰσχρὸν φανῆναι πράττοντας. [92] Εἰσὶν δ' αἱ τῶν πόλεων κακίαι καταφανεῖς οὐχ ἧττον ἐν τοῖς τοιούτοις βουλεύμασιν ἢ τοῖς ἐν τῷ πολέμῳ κινδύνοις. Τῶν μὲν γὰρ ἐκεῖ γιγνομένων τὸ πλεῖστον μέρος τῇ τύχῃ μέτεστιν, τὸ δ' ἐνθάδε γνωσθὲν αὐτῆς τῆς διανοίας σημεῖόν ἐστιν. Ὥσθ' ὁμοίως ἡμῖν φιλονικητέον ἐστὶν ὑπὲρ τῶν ἐνθάδε ψηφισθησομένων ὥσπερ ὑπὲρ τῶν ἐν τοῖς ὅπλοις ἀγώνων.

[93] Θαυμάζω δὲ τῶν ὑπὲρ μὲν τῆς ἰδίας δόξης ἀποθνῄσκειν ἐθελόντων, ὑπὲρ δὲ τῆς κοινῆς μὴ τὴν αὐτὴν γνώμην ἐχόντων· ὑπὲρ ἧς ὁτιοῦν πάσχειν ἄξιον ὥστε μὴ καταισχῦναι τὴν πόλιν, μηδὲ περιιδεῖν τὴν τάξιν λιποῦσαν εἰς ἣν οἱ πατέρες κατέστησαν αὐτήν. Πολλῶν δὲ πραγμάτων ἡμῖν καὶ δεινῶν ἐφεστώτων ἃ δεῖ διαφυγεῖν, [94] ἐκεῖνο μάλιστα φυλακτέον, ὅπως μηδὲν ἀνάνδρως φανησόμεθα διαπραττόμενοι μηδὲ συγχωροῦντες τοῖς πολεμίοις παρὰ τὸ δίκαιον. Αἰσχρὸν γὰρ τοὺς ἄρξαι τῶν Ἑλλήνων ἀξιωθέντας ὀφθῆναι τὸ προσταττόμενον ποιοῦντας, καὶ τοσοῦτον ἀπολειφθῆναι τῶν προγόνων ὥστε τοὺς μὲν ὑπὲρ τοῦ τοῖς ἄλλοις ἐπιτάττειν ἐθέλειν ἀποθνῄσκειν, ἡμᾶς δ' ὑπὲρ τοῦ μὴ ποιεῖν τὸ κελευόμενον μὴ τολμᾶν διακινδυνεύειν.

 

31. [73] Je dis qu'il faut, avant tout, faire sortir de la ville nos parents, nos enfants et nos femmes, avec la foule inutile pour la guerre ; qu'il faut les envoyer, les uns en Sicile et en Italie, les autres à Cyrène et sur le continent (les peuples de ces contrées les recevront avec joie, leur assigneront de vastes territoires, et leur fourniront avec abondance les moyens de subsister; les uns, par reconnaissance des bienfaits qu'ils ont reçus de nous, les autres, dans l'espérance des avantages qu'ils recueilleront de ce service); [7] je dis ensuite que, réunissant tous ceux qui veulent et peuvent combattre, il faut abandonner la ville et tout ce que nous possédons, à l'exception de ce qu'il nous sera possible d'emporter, et, nous emparant alors d'une position militaire, la plus forte, la plus avantageuse que nous pourrons occuper, porter par terre et par mer la désolation et le ravage sur le territoire de nos ennemis, jusqu'au jour où ils cesseront de nous disputer le nôtre. [75] Si nous avons assez d'audace pour nous engager dans cette voie, pour y marcher sans hésitation, vous verrez ceux qui maintenant nous dictent leurs volontés, venir nous supplier de reprendre Messène, et de consentir à la paix.

32. Quelle ville, dans le Péloponnèse, pourrait soutenir une guerre comme celle qui va s'allumer, si nous en avons la volonté ? Quels hommes ne seraient frappés d'étonnement et de terreur à la vue d'une armée toujours prête à combattre, et qui aurait accompli une si généreuse résolution? d'une armée justement irritée contre ceux qui auraient rendu cette résolution nécessaire, et dans laquelle le mépris de la vie serait porté
jusqu'au délire? [76] d'une armée qui ressemblerait aux troupes mercenaires en ce que, libre de tout soin, elle n'aurait d'autre existence, d'autre occupation que la guerre, et qui serait telle, par son organisation et son courage, que personne dans l'univers ne pourrait en réunir une semblable? d'une armée qui serait indépendante de tout pouvoir politique, qui pourrait toujours camper, toujours parcourir le pays, toujours s'approcher aisément de l'ennemi qu'elle voudrait attaquer? d'une armée, enfin, qui verrait une patrie dans tous les lieux favorablement situés pour la guerre? [77] Quant à moi, j'ai la ferme confiance que le seul bruit d'une telle détermination, si elle était répandue dans la Grèce, jetterait la terreur au coeur de nos ennemis, et à plus forte raison si nous étions forcés de l'accomplir. De quel sentiment devons-nous croire qu'ils ne seront pas dominés, quand nous leur ferons éprouver des maux qu'il leur sera impossible de nous rendre ? [78] quand ils verront leurs villes assiégées, et la nôtre dans une situation où elle n'aura plus à redouter un semblable malheur? quand, de plus, ils verront qu'il nous sera facile de pourvoir à tous nos besoins, et par nos propres ressources et par celles que la guerre nous fournira, tandis qu'ils rencontreront les plus grandes difficultés pour se procurer les moyens de vivre ; car il y a une grande différence entre assurer la subsistance d'une armée, telle que serait la nôtre, et nourrir la foule qui encombre les villes? [79] quand, et c'est ce qu'il y aura de plus cruel pour eux, ils apprendront que nos familles vivent dans l'abondance, tandis qu'ils verront les leurs manquer chaque jour dés choses nécessaires à la vie, sans qu'il soit en leur pouvoir de porter remède à tant de maux, puisque, s'ils cultivent leurs champs, ils ajouteront à leurs pertes celle de la semence qu'ils y auront jetée, et, s'ils les laissent sans culture, ils n'auront pas même un instant la faculté de pourvoir à leur existence ?

33. [80] Peut-être aussi nos ennemis, se réunissant et agissant en masse, suivront tous nos mouvements et nous empêcheront de leur nuire. Mais que pourrions-nous souhaiter avec une plus grande ardeur que de trouver à portée de nous, prêts à nous livrer bataille, et manoeuvrant au milieu des mêmes difficultés, des troupes sans organisation régulière, formées du mélange de plusieurs peuples, et commandées par plusieurs chefs à la fois? Nous n'aurions pas même besoin d'employer beaucoup d'efforts; car nous les obligerions bientôt à combattre dans les circonstances avantageuses pour nous et non dans celles qui leur seraient favorables.

34. [81] Ce qui nous reste de jour s'épuiserait, si je voulais entreprendre de développer tous les avantages du parti que je vous propose. Il est évident que, si jusqu'à présent nous nous sommes montrés supérieurs aux autres Grecs, ce n'est point à cause de la grandeur de notre ville et du nombre de ses habitants, mais parce que notre république présente l'image d'une armée fortement organisée et résolue d'obéir à ses chefs. Il est donc de toute évidence que nous vaincrons nos ennemis, si nous faisons en réalité ce dont le seul simulacre nous a valu tant d'heureux résultats.

35. [82] Nous savons tous que les fondateurs de Sparte sont entrés dans le Péloponnèse avec une faible armée, et qu'ils se sont rendus maîtres de villes nombreuses et puissantes. Il sera glorieux pour nous de marcher sur les traces de nos ancêtres ; et, après avoir été trahis par la fortune, de nous retremper en quelque sorte dans notre origine, pour essayer de reconquérir les honneurs et la puissance que nous possédions autrefois. [83] Oui, nous commettrions la plus insigne lâcheté si, lorsque nous savons que les Athéniens ont abandonné leur pays pour sauver la liberté des Grecs, nous n'avions pas le courage d'abandonner notre ville pour assurer notre propre salut; et si, lorsqu'il nous appartient d'offrir aux autres l'exemple de pareils actes, nous ne voulions pas même les imiter. [84] Enfin ne serait-ce pas nous rendre plus ridicules encore, si, lorsque les Phocéens, pour se soustraire au despotisme du Grand Roi, ont quitté l'Asie et colonisé Marseille, nous étions assez lâches pour nous soumettre aux volontés de ceux auxquels, dans tous les temps, nous avons donné des ordres?

36. [85] Gardons-nous de préoccuper nos âmes du sentiment qui les remplira le jour où il faudra éloigner de nous les êtres qui nous sont les plus chers ; portons plutôt nos regards vers les temps où, vainqueurs de nos ennemis et relevant la puissance de notre patrie, nous y ramènerons les objets de notre affection et nous montrerons à l'univers que non seulement nous n'avons pas mérité nos malheurs, mais que, dans les temps anciens, nous avons été justement investis de la suprématie de la Grèce. [86] Telle est la vérité, et j'ai tenu ce langage, non parce qu'il est nécessaire d'exécuter aujourd'hui ce que je vous ai proposé, ou parce que, dans l'état présent des choses, nous n'avons pas d'autre moyen de salut, mais pour préparer vos esprits à reconnaître que nous devons supporter ces malheurs et de plus terribles encore, plutôt que de consentir, en ce qui regarde Messène, à des conditions semblables à celles que l'on veut nous imposer.

37. [87] Je ne vous exhorterais pas avec tant d'ardeur à la guerre, si je ne voyais dans le parti que je vous propose la garantie d'une paix noble et assurée; tandis qu'en suivant les conseils que quelques hommes osent vous donner, il est certain que la paix sera pour vous sans honneur et sans durée. Qui pourrait ne pas comprendre que, si nous établissons les Ilotes dans Messène et si nous fermons les yeux sur son accroissement, nous serons obligés de vivre constamment au milieu des troubles et des dangers? Et de là cette conséquence, que ceux qui vous parlent maintenant de sécurité, ne s'aperçoivent pas qu'en échange d'une paix de quelques jours, ils vous préparent une guerre qui n'aura pas de terme.

38, [88] J'apprendrais avec satisfaction de la bouche de mes adversaires, pour quels intérêts ils croient que notre devoir est de mourir en combattant : si ce n'est pas quand nos ennemis nous imposent des conditions que réprouve la justice; qu'ils ravagent notre pays; qu'ils mettent en liberté nos esclaves; qu'ils les établissent sur cette terre que nos pères nous ont transmise, et que, non contents de nous dépouiller de ce qui nous appartient, ils joignent l'insulte à l'outrage. [89] Je déclare, quant à moi, que pour repousser cette injure nous devons souffrir, non seulement la guerre, mais l'exil, mais la mort. Il vaut mieux perdre la vie, en conservant notre honneur, que de vivre au milieu de toutes les hontes, en souscrivant aux lois qu'on prétend nous imposer. S'il faut, sans dissimuler, dire ma pensée tout entière, nous devons plutôt choisir d'être anéantis sans retour, que d'être la risée de nos ennemis. Des hommes qui ont vécu environnés de tant d'honneur et qui se sont illustrés par de si nobles sentiments, doivent commander à la Grèce, ou périr sans avoir subi aucune humiliation, en couronnant leur vie par un glorieux trépas.

39. [90] Pénétrons-nous de ces généreuses pensées, et, rejetant loin de nous le lâche amour de la vie, ne nous laissons pas entraîner par l'opinion de nos alliés, auxquels nous prétendions autrefois dicter la nôtre ; apprécions nous-mêmes nos devoirs, et, sans régler notre choix sur des convenances étrangères, prenons une résolution digne de Lacédémone et des grandes choses que nous avons faites. Il n'appartient pas à tous les hommes de délibérer de la même manière sur les mêmes intérêts ; et chacun doit prendre conseil des principes qui, dès l'origine, ont fait la règle de sa vie. [91] Personne ne reprochera aux Épidauriens, aux Corinthiens, aux Phliasiens, d'avoir pour unique pensée de conserver, de perpétuer leur existence ; mais il n'est pas permis aux Lacédémoniens d'employer indifféremment tous les moyens de salut ; et, s'il ne nous est pas donné de nous sauver avec honneur, c'est la mort qu'il faut choisir. [92] Les hommes qui disputent la palme de la vertu doivent faire les plus grands efforts pour qu'aucun acte honteux ne puisse leur être imputé. La lâcheté des peuples ne se manifeste pas moins dans les résolutions qu'ils adoptent que dans les dangers de la guerre. Dans les combats, la plus grande part du succès est l'oeuvre de la fortune ; dans les conseils, c'est l'âme qui se révèle. Aussi, le sentiment de la gloire ne doit-il pas moins nous animer au sein de nos délibérations que sur le champ de bataille.

40. [93] Je ne puis comprendre les hommes qui consentent à mourir pour défendre leur propre gloire, et qui n'éprouvent pas le même sentiment lorsqu'il s'agit de la gloire commune pour laquelle nous devons tout souffrir, afin de ne pas humilier notre patrie et de ne pas la laisser descendre du rang où nos pères l'ont placée. De nombreuses difficultés nous pressent, de grands malheurs nous menacent ; [94] il faut nous en affranchir, et surtout il faut prendre garde que jamais on ne puisse nous accuser d'avoir commis un acte déshonorant, ou d'avoir fait à nos ennemis des concessions que ne réclamait pas la justice. Ce serait une ignominie de nous voir, nous qui avons été jugés dignes de marcher à la tête de la Grèce, obéir à des ordres étrangers et dégénérer à ce point de la vertu de nos ancêtres, que ceux-ci bravaient la mort pour commander aux autres peuples, tandis que nous n'oserions pas même affronter quelques dangers pour échapper à la servitude.

 

[95] Ἄξιον δὲ καὶ τὴν Ὀλυμπιάδα καὶ τὰς ἄλλας αἰσχυνθῆναι πανηγύρεις, ἐν αἷς ἕκαστος ἡμῶν ζηλωτότερος ἦν καὶ θαυμαστότερος τῶν ἀθλητῶν τῶν ἐν τοῖς ἀγῶσι τὰς νίκας ἀναιρουμένων. Εἰς ἃς τίς ἂν ἐλθεῖν τολμήσειεν, ἀντὶ μὲν τοῦ τιμᾶσθαι καταφρονηθησόμενος, ἀντὶ δὲ τοῦ περίστατος ὑπὸ πάντων δι' ἀρετὴν εἶναι περίβλεπτος ὑπὸ τῶν αὐτῶν ἐπὶ κακίᾳ γενησόμενος, [96] ἔτι δὲ πρὸς τούτοις ὀψόμενος μὲν τοὺς οἰκέτας ἀπὸ τῆς χώρας ἧς οἱ πατέρες ἡμῖν κατέλιπον ἀπαρχὰς καὶ θυσίας μείζους ἡμῶν ποιουμένους, ἀκουσόμενος δ' αὐτῶν τοιαύταις βλασφημίαις χρωμένων οἵαις περ εἰκὸς τοὺς χαλεπώτερον μὲν τῶν ἄλλων δεδουλευκότας, ἐξ ἴσου δὲ νῦν τὰς συνθήκας τοῖς δεσπόταις πεποιημένους; ἐφ' αἷς ἕκαστος ἡμῶν οὕτως ἂν ἀλγήσειεν, ὡς οὐδεὶς ἂν τῶν ζώντων διὰ λόγου δηλώσειεν. [97] Ὑπὲρ ὧν χρὴ βουλεύεσθαι καὶ μὴ τότ' ἀγανακτεῖν ὅτ' οὐδὲν ὑμῖν ἔσται πλέον, ἀλλὰ νῦν σκοπεῖν ὅπως μηδὲν συμβήσεται τοιοῦτον. Ὡς ἔστιν ἓν τῶν αἰσχρῶν πρότερον μὲν μηδὲ τὰς τῶν ἐλευθέρων ἰσηγορίας ἀνέχεσθαι, νῦν δὲ καὶ τὴν τῶν δούλων παρρησίαν ὑπομένοντας φαίνεσθαι. [98] Δόξομεν γὰρ τὸν παρελθόντα χρόνον ἀλαζονεύεσθαι, καὶ τὴν μὲν φύσιν ὅμοιοι τοῖς ἄλλοις εἶναι, ταῖς δ' αὐθαδείαις καὶ ταῖς σεμνότησιν οὐκ ἀληθινῶς, ἀλλὰ καταπεπλασμένως χρῆσθαι. Μηδὲν οὖν ἐνδῶμεν τοιοῦτον τοῖς εἰθισμένοις ἡμᾶς κακολογεῖν, ἀλλὰ τοὺς λόγους αὐτῶν ἐξελέγξαι πειραθῶμεν, ὅμοιοι γενόμενοι τοῖς τῶν προγόνων ἔργοις.

[99] Ἀναμνήσθητε δὲ τῶν ἐν Διπαίᾳ πρὸς Ἀρκάδας ἀγωνισαμένων, οὕς φασιν ἐπὶ μιᾶς ἀσπίδος παραταξαμένους τρόπαιον στῆσαι πολλῶν μυριαδῶν, καὶ τῶν τριακοσίων τῶν ἐν Θυρέαις ἅπαντας Ἀργείους μάχῃ νικησάντων, καὶ τῶν χιλίων τῶν εἰς Θερμοπύλας ἀπαντησάντων, [100] οἳ πρὸς ἑβδομήκοντα μυριάδας τῶν βαρβάρων συμβαλόντες οὐκ ἔφυγον οὐδ' ἡττήθησαν, ἀλλ' ἐνταῦθα τὸν βίον ἐτελεύτησαν οὗπερ ἐτάχθησαν, τοιούτους αὑτοὺς παρασχόντες ὥστε τοὺς μετὰ τέχνης ἐγκωμιάζοντας μὴ δύνασθαι τοὺς ἐπαίνους ἐξισῶσαι ταῖς ἐκείνων ἀρεταῖς. [101] Ἁπάντων οὖν τούτων ἀναμνησθέντες ἐρρωμενέστερον ἀντιλαβώμεθα τοῦ πολέμου καὶ μὴ περιμένωμεν ὡς ἄλλων τινῶν τὰς παρούσας ἀτυχίας ἰασομένων, ἀλλ' ἐπειδή περ ἐφ' ἡμῶν γεγόνασιν, ἡμεῖς αὐτὰς καὶ διαλῦσαι πειραθῶμεν. Χρὴ δὲ τοὺς ἄνδρας τοὺς ἀγαθοὺς ἐν τοῖς τοιούτοις καιροῖς φαίνεσθαι διαφέροντας· [102] αἱ μὲν γὰρ εὐτυχίαι καὶ τοῖς φαύλοις τῶν ἀνθρώπων τὰς κακίας συγκρύπτουσιν, αἱ δὲ δυσπραξίαι ταχέως καταφανεῖς ποιοῦσιν ὁποῖοί τινες ἕκαστοι τυγχάνουσιν ὄντες· ἐν αἷς ἡμῖν ἐπιδεικτέον ἐστὶν εἴ τι τῶν ἄλλων ἄμεινον τεθράμμεθα καὶ πεπαιδεύμεθα πρὸς ἀρετήν.

[103] Ἔστι δ' οὐδὲν ἀνέλπιστον ἐκ τῶν νῦν παρόντων συμβῆναί τι τῶν δεόντων ἡμῖν. Οἶμαι γὰρ ὑμᾶς οὐκ ἀγνοεῖν ὅτι πολλαὶ πράξεις ἤδη τοιαῦται γεγόνασιν, ἃς ἐν ἀρχῇ μὲν ἅπαντες ὑπέλαβον εἶναι συμφορὰς καὶ τοῖς παθοῦσιν συνηχθέσθησαν, ὕστερον δὲ τὰς αὐτὰς ταύτας ἔγνωσαν μεγίστων ἀγαθῶν αἰτίας γεγενημένας. [104] Καὶ τί δεῖ τὰ πόρρω λέγειν; Ἀλλὰ καὶ νῦν τὰς πόλεις τάς γε πρωτευούσας, λέγω δὲ τὴν Ἀθηναίων καὶ Θηβαίων, εὕροιμεν ἂν οὐκ ἐκ τῆς εἰρήνης μεγάλην ἐπίδοσιν λαβούσας, ἀλλ' ἐξ ὧν ἐν τῷ πολέμῳ προδυστυχήσασαι πάλιν αὑτὰς ἀνέλαβον, ἐκ δὲ τούτων τὴν μὲν ἡγεμόνα τῶν Ἑλλήνων καταστᾶσαν, τὴν δ' ἐν τῷ παρόντι τηλικαύτην γεγενημένην ὅσην οὐδεὶς πώποτ' ἔσεσθαι προσεδόκησεν· αἱ γὰρ ἐπιφάνειαι καὶ λαμπρότητες οὐκ ἐκ τῆς ἡσυχίας, ἀλλ' ἐκ τῶν ἀγώνων γίγνεσθαι φιλοῦσιν. [105] Ὧν ἡμᾶς ὀρέγεσθαι προσήκει, μήτε τῶν σωμάτων μήτε τῆς ψυχῆς μήτε τῶν ἄλλων ὧν ἔχομεν μηδενὸς φειδομένους. Ἢν γὰρ κατορθώσωμεν καὶ τὴν πόλιν εἰς ταὐτὰ καταστῆσαι δυνηθῶμεν ἐξ ὧνπερ ἐκπέπτωκεν, καὶ τῶν προγεγενημένων μᾶλλον θαυμασθησόμεθα, καὶ τοῖς ἐπιγιγνομένοις οὐδεμίαν ὑπερβολὴν ῎ἀνδραγαθίας καταλείψομεν, ἀλλὰ καὶ τοὺς βουλομένους εὐλογεῖν ἡμᾶς ἀπορεῖν ποιήσομεν ὅ τι τῶν πεπραγμένων ἡμῖν ἄξιον ἐροῦσιν. [106] Δεῖ δὲ μηδὲ τοῦτο λανθάνειν ὑμᾶς, ὅτι πάντες τῷ συλλόγῳ τούτῳ καὶ τοῖς γνωσθησομέ νοις ὑφ' ἡμῶν προσέχουσι τὸν νοῦν. Ὥσπερ οὖν ἐν κοινῷ θεάτρῳ τῶν Ἑλλήνων διδοὺς ἔλεγχον ἕκαστος ὑμῶν τῆς αὑτοῦ φύσεως, οὕτω διακείσθω τὴν γνώμην.

[107] Ἔστιν δ' ἁπλοῦν τὸ καλῶς βουλεύσασθαι περὶ τούτων. Ἢν μὲν γὰρ ἐθέλωμεν ἀποθνῄσκειν ὑπὲρ τῶν δικαίων, οὐ μόνον εὐδοκιμήσομεν, ἀλλὰ καὶ τὸν ἐπίλοιπον χρόνον ἀσφαλῶς ἡμῖν ἐξέσται ζῆν· εἰ δὲ φοβησόμεθα τοὺς κινδύνους, εἰς πολλὰς ταραχὰς καταστήσομεν ἡμᾶς αὐτούς. [108] Παρακαλέσαντες οὖν ἀλλήλους ἀποδῶμεν τὰ τροφεῖα τῇ πατρίδι, καὶ μὴ περιίδωμεν ὑβρισθεῖσαν τὴν Λακεδαίμονα καὶ καταφρονηθεῖσαν, μηδὲ ψευσθῆναι ποιήσωμεν τῶν ἐλπίδων τοὺς εὔνους ἡμῖν ὄντας, μηδὲ περὶ πλείονος φανῶμεν ποιούμενοι τὸ ζῆν τοῦ παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις εὐδοκιμεῖν, [109] ἐνθυμηθέντες ὅτι κάλλιόν ἐστιν ἀντὶ θνητοῦ σώματος ἀθάνατον δόξαν ἀντικαταλλάξασθαι, καὶ ψυχῆς, ἣν οὐχ ἕξομεν ὀλίγων ἐτῶν, πρίασθαι τοιαύτην εὔκλειαν, ἣ πάντα τὸν αἰῶνα τοῖς ἐξ ἡμῶν γενομένοις παραμενεῖ, πολὺ μᾶλλον ἢ μικροῦ χρόνου γλιχομένους μεγάλαις αἰσχύναις ἡμᾶς αὐτοὺς περιβαλεῖν. [110] Ἡγοῦμαι δ' οὕτως ἂν ὑμᾶς μάλιστα παροξυνθῆναι πρὸς τὸν πόλεμον, εἰ ταῖς διανοίαις ὥσπερ παρεστῶτας ἴδοιτε τοὺς γονέας καὶ τοὺς παῖδας τοὺς ἡμετέρους αὐτῶν, τοὺς μὲν παρακελευομένους μὴ καταισχῦναι τὸ τῆς Σπάρτης ὄνομα, μηδὲ τοὺς νόμους ἐν οἷς ἐπαιδεύθημεν, μηδὲ τὰς μάχας τὰς ἐφ' αὑτῶν γενομένας, τοὺς δ' ἀπαιτοῦντας τὴν χώραν ἣν οἱ πρόγονοι κατέλιπον, καὶ τὴν δυναστείαν τὴν ἐν τοῖς Ἕλλησιν καὶ τὴν ἡγεμονίαν ἥνπερ αὐτοὶ παρὰ τῶν πατέρων παρελάβομεν· πρὸς οὓς οὐδὲν ἂν ἔχοιμεν εἰπεῖν, ὡς οὐκ ἀμφότεροι δίκαια τυγχάνουσι λέγοντες.

[111] Οὐκ οἶδ' ὅ τι δεῖ μακρολογεῖν πλὴν τοσοῦτον, ὅτι πλείστων τῇ πόλει ταύτῃ πολέμων καὶ κινδύνων γεγενημένων οὐδεπώποθ' οἱ πολέμιοι τρόπαιον ἡμῶν ἔστησαν ἡγουμένου βασιλέως ἐκ τῆς οἰκίας τῆς ἡμετέρας. Ἔστιν δὲ νοῦν ἐχόντων ἀνδρῶν, οἷσπερ ἂν ἐν ταῖς μάχαις ἡγεμόσιν χρώμενοι κατορθῶσιν, τούτοις καὶ περὶ τῶν μελλόντων κινδύνων συμβουλεύουσιν μᾶλλον ἢ τοῖς ἄλλοις πείθεσθαι.

41 . [95] Un sentiment de pudeur doit encore nous arrêter, en songeant aux fêtes d'Olympie et aux autres assemblées solennelles, où chacun de nous autrefois était l'objet de plus d'enthousiasme, excitait plus d'admiration, que les athlètes victorieux. Qui de nous oserait s'y présenter, lorsqu'il faudra, au lieu d'honneurs, y recevoir des mépris; quand, au lieu d'être entourés par la foule à cause de notre vertu, nous attirerons tous les regards, à cause de notre lâcheté ; [96] bien plus, quand il faudra voir nos esclaves apporter de cette contrée, que nos pères nous avaient transmise, des présents et des offrandes plus riches que les nôtres ; quand nous serons condamnés à entendre sortir de leur bouche des injures telles que peuvent les proférer des hommes qui ont été soumis à une plus dure servitude que les autres et qui maintenant ont traité d'égal à égal avec leurs maîtres ; injures qui seront pour chacun de nous la source d'une douleur dont aucun homme sur la terre ne pourrait peindre l'amertume ? [97] C'est donc sur ce grand intérêt qu'il convient de délibérer; et, au lieu de réserver notre colère pour des temps où elle sera stérile, il faut dès aujourd'hui penser aux moyens de prévenir un tel malheur. Ce serait une honte, lorsqu autrefois nous ne permettions pas même aux hommes libres de nous adresser la parole comme à leurs égaux, que l'on nous vît maintenant supporter les discours insolents des esclaves. [98] Nous paraîtrions nous être attribué, dans le passé, une gloire mensongère, semblables en cela aux autres hommes qui n'ont qu'un vain orgueil, une fausse dignité. Ne faisons pas une telle concession à ceux qui ont coutume de nous calomnier ; tâchons de réfuter leurs discours par nos actions, en nous montrant dignes des oeuvres de nos ancêtres.

42. [99] Rappelez-vous les hommes qui ont combattu contre les Arcadiens à Dipaea, où la renommée nous apprend que, formés sur un seul rang, ils ont élevé un trophée sur des myriades d'ennemis ; rappelez-vous les trois cents qui, dans les champs de Thyrées, ont vaincu l'armée entière d'Argos ; et ces mille soldats, défenseurs des Thermopyles, [[100] qui n'ont pas craint de combattre sept cent mille Barbares; et qui, sans fuir, sans être vaincus, ont laissé leur vie dans le poste où ils avaient été placés, après s'être montrés tels que les plus habiles panégyristes ne pourraient trouver des louanges à la hauteur de leur vertu. [101] Animés par de si nobles souvenirs, prenons la résolution de combattre avec plus de force, n'attendons pas que des étrangers portent remède à nos maux ; et, puisque d'aussi grands malheurs étaient réservés à notre âge, sachons nous en affranchir. C'est dans de telles circonstances que les hommes de courage doivent manifester leur supériorité : [102] la prospérité jette un voile sur la lâcheté du coeur, le malheur nous montre tels que nous sommes; et, puisque l'adversité nous frappe, il nous appartient de montrer si, mieux que les autres hommes, nous avons été nourris et formés à la vertu.

43. [103] Il ne faut donc pas désespérer de voir succéder à nos calamités une situation plus prospère. Vous n'ignorez pas, je pense, que beaucoup d'événements, regardés d'abord comme d'irréparables malheurs, et qui inspiraient la pitié pour ceux qui les éprouvaient, ont été reconnus plus tard comme l'origine des plus grandes prospérités. [104] Qu'est-il besoin de rappeler des faits qui sont loin de nous? Aujourd'hui même, les deux villes qui tiennent le premier rang dans la Grèce, je parle d'Athènes et de Thèbes, ne doivent point à la paix l'accroissement de leur puissance, et c'est après avoir souffert tous les maux qu'engendre la guerre, qu'elles se sont relevées de leur abaissement; que l'une s'est placée à la tête des Grecs, et que l'autre est parvenue à une grandeur que personne n'avait pu prévoir. La renommée et la gloire ne sont pas filles du repos, mais des combats ; [105] il nous appartient d'y prétendre, et, dès lors, nous ne devons épargner ni nos corps, ni nos âmes, ni rien de ce qui est à nous. Si la fortune nous seconde, si nous pouvons parvenir à replacer notre patrie au rang d'où elle est descendue, nous serons plus admirés que ne l'ont été nos ancêtres; nous ne laisserons à nos descendants aucun moyen de surpasser notre valeur, et ceux qui entreprendront de nous donner des louanges ne trouveront pas d'expression à la hauteur de nos exploits. [106] Vous ne devez pas vous dissimuler que l'attention de l'univers est fixée sur cette assemblée, et qu'il assiste en quelque sorte aux résolutions que vous allez prendre ; qu'ainsi donc chacun de nous se dise qu'il est placé sur un théâtre où, devant les Grecs assemblés, il va donner la mesure des sentiments qui l'animent.

44. [107] Il est facile désormais de prendre une noble résolution sur l'objet qui nous occupe. Si nous sommes déterminés à mourir en combattant pour le maintien de nos droits, nous nous couvrirons de gloire, et il dépendra de nous de vivre en paix à l'avenir ; mais, si nous redoutons les dangers, nous nous précipiterons dans des difficultés sans nombre. [108] Exhortons-nous donc mutuellement, acquittons notre dette envers la patrie qui nous a nourris; ne voyons pas avec indifférence Lacédémone insultée, méprisée, et craignons de tromper l'espoir de ceux dont les voeux sont pour nous ; n'attachons pas plus de prix à notre existence qu'à l'estime de l'univers ; [109] croyons qu'il vaut mieux échanger un corps mortel contre une gloire impérissable, et acheter, au prix de quelques années d'une vie dont le terme est toujours près de nous, une renommée, patrimoine éternel de nos enfants, plutôt que de nous couvrir de honte, entraînés par le désir d'ajouter un petit nombre de jours à notre courte existence. [110] Enfin, j'ai la confiance que la noble ardeur de la guerre enflammerait surtout vos âmes, si vous vous représentiez vos pères et vos enfants, les premiers, vous exhortant à ne pas flétrir le nom de Sparte, les lois sous lesquelles nous avons été élevés, et les combats qu'ils ont livrés ; les autres, vous redemandant cette terre que nos ancêtres nous ont laissée, la suprématie de la Grèce, et ce droit de commander que nous avons reçu de nos pères : car nous ne pourrions répondre ni aux uns ni aux autres que de tels voeux sont contraires à la justice.

45. [111] Qu'est-il besoin de plus longs discours? Je n'ajouterai qu'un mot : dans les nombreuses guerres que nous avons soutenues, comme dans les dangers que nous avons bravés, jamais nos ennemis n'ont élevé un trophée sur nous, lorsqu'un prince de ma race commandait nos armées. Or il convient à des hommes sages, en présence des dangers qui menacent l'avenir, de suivre préférablement les conseils des chefs sous lesquels ils ont toujours obtenu la victoire.