Cicéron, Fragments

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME QUATRIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

FRAGMENTS DES DISCOURS PERDUS.

QUATRIÈME PARTIE.

FRAGMENTS DES OUVRAGES PHILOSOPHIQUES.

§ ii. FRAGMENTS DES OUVRAGES PHILOSOPHIQUES QUI NOUS SONT PARVENUS, MAIS AVEC DES LACUNES.

ACADÉMIQUES A VARRON - DE LA NATURE DES DIEUX. - DE LA DIVINATION.

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ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

DE L'ACADÉMIE

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.
 

TOME QUATRIEME






PARIS,


CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET Cie, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

RUE JACOB,  .

M DCCC LXIV

§ ii.

FRAGMENTS DES OUVRAGES PHILOSOPHIQUES QUI NOUS SONT PARVENUS, MAIS AVEC DES LACUNES.

ACADÉMIQUES A VARRON

Cicéron avait publié deux éditions des Académiques ; les fragments de ce traité, qui nous est parvenu incomplet, appartiennent tous à la seconde édition. Toutefois Cicéron paraît avoir fait de très-légers changements à la première : on le voit facilement, si l'on compare un fragment extrait de Nonius, ii, p. 162, avec un passage des Académiques, ii, ou Lucullus, ch. 33 ; un autre également pris dans Nonius, ii, 372, avec un passage du même livre des Académiques, ch. 40 ; enfin un troisième puisé a la même source, avec un passage du Lucullus ou l'on retrouve les propres expressions du fragment.

Nous omettons ici les fragments que Nonius cite comme appartenant aux livres i et ii, et qui n'offrent aucun intérêt. On les trouvera dans ce grammairien, aux mots digladiari, concinnare, œquor, adamare, exponere, hebes, purpurascit, perpendiculi, siccum, urinantur, alabaster. Ils sont d'ailleurs peu nombreux, ainsi que ceux du livre iii, et ceux d'un livre incertain. Toutefois nous traduisons ces derniers, à l'exception de quelques-uns qui sont dans Nonius, aux mots exsultare, ingenuraretur, vindicare, et dans Marcianus Capella, de Rhet., p. 426.

 

 

 

FRAGMENTA LIBRORUM PHILOSOPHICORUM MAGNAM PARTEM SUPERSTITUM.

EX ACADEMICARUM AD VARRONEM

LIBRO III.

1. Digladiari autem semper, depugnare cum facinorosis et audacibus, quis non quum miserrimum, tum etiam stultissimum dixerit? (Non. v. Digladiari p. 65.)

2. In tailla animanlium varietate, homini ut soli cupiditas ingeneraretur cognitionis et scientiœ. (Idem v. Ingeneraretur p. 123.)

3. Quod si liceret, ut iis, qui in itinere deerravissent, sic vitam deviam secutis, corrigere errorem pœnitendo, facilior esset emendatio temeritatis. (Lactant. Inst l. vi, c. 24, § 2.)

EX LIBRO INCERTO.

1. Mihi autem non modo ad sapientiam caeci videmur, sed ad ea ipsa, quae aliqua ex parte cerni videantur, hebetes et obtusi. (Lactant. l. iii c. 14, § 15.)

2. Talia milii videntur omnia, quae probabilia vel verisimilia putavi nominanda : quae tu si alio nomine vis vocare, nihil repugno : satis enim mini est te jam bene accepisse, quid dicam : id est, quibus rebus haec nomina imponam. Non enim vocabulorum opificem, sed rerum inquisitorem decet esse sapientem. (Augustin. contr. Acad. Il, 11, § 26.

3. Academico sapienti ab omnibus ceterarum sectarum, qui sibi sapientes videntur, secundas partes dari, quum primas sibi quemque vindicare necesse sit. Ex quo posse probabiliter confici, eum recte primum esse judicio suo, qui omnium ceterorum judicio sit secundus. Fac enim, verbi causa, Stoicum adesse sapientem : nam contra eos potissimum Academicorum exarsit ingenium : ergo Zeno vel Chrysippus, si interrogentur, quis sit sapiens, respondebit, eum esse quem ipse descripserit. Contra Epicurus vel quis alius adversariorum negabit, suumque potius peritissimum voluptatum aucupem, sapientem esse contendet. Inde ad jurgium. Clamat Zeno, et tota illa Porticus tumultuatur, hominem natum ad nihil esse aliud, quam honestatem : ipsam suo splendore in se animos ducere nullo prorsus commodo extrinsecus posito, et quasi lenocinante mercede : voluptatemque illam Epicuri solis inter se pecoribus esse communem, in quorum societatem et hominem et sapientem trudere nefas esse. Contra ille, convocata de hortulis in auxilium quasi libera turba temulentorum, quaerentium tantum, quem incomptis unguibus bacchantes asperoque ore discerpant, voluptatis nomen, suavitatem, quietem teste populo exaggerans, instat acriter, ut sine ea beatus nemo esse posse videatur. In quorum rixam si Acatlemicus incurrerit, utrosque audiet trahentes se ad suas partes. Sed si in illos aut in istos concesserit, ab eis, quos descrit, insanus, imperitus temerariusque clamabitur. Itaque quum et huc et illuc aurem diligenter admoverit, interrogatus, quid ei videatur, dubitare se dicet. Roga nunc Stoicum, quis sit melior Epicurusne, qui delirare illum clamat, an Academicus, qui sibi adhuc de re tanta deliberandum esse pronuntiat. Nemo dubitat Academicum praelatum iri. Rursus te ad illum converte, et quaere, quem magis amet, Zenonem, a quo bestia nominatur, an Arcesilam, a quo audit : « Tu fortasse verum dicis, sed requiram diligentius : » nonne apertum est, totam illam Porticum insanam, Academicos autem prae illis modestos cautosque homines visum iri Epicuro? (Augustin, contra Acad. iii, 7.)

4. Academicis morem fuisse occultandi sententiam suam, nece eam cuiquam, nisi qui secum ad senectutem usque vixisset, aperire consuesse. (Idem ibid. 20, § 43.)

LIVRE III.

1. Mais lutter, être sans cesse aux prises avec des hommes pervers et audacieux, n'est-ce pas, dira-t-on, le comble de la misère et même de la folie? (Nonius, au mot digladiari, p. 65.)

2. De sorte que, parmi tant d'êtres divers, l'homme seul eut le désir inné de l'instruction et du savoir. (Id., au mot ingeneraretur, p. 123.)

3. S'il était possible à ceux qui, pareils à des voyageurs égarés, ont fait fausse route dans la vie, de se corriger par le repentir, plus facile serait le remède contre la témérité. (Lactance, Inst. vi, 24.)

LIVRE INCERTAIN.

1. Pour moi, il me semble que nos yeux ce sont pas seulement fermés à la sagesse, mais encore qu'à l'égard des choses que nous croyons voir en partie, ils sont troubles et débiles. (Lactance, Inst. iii, 15.)

2. Telles me paraissent toutes ces choses que j'ai cru devoir appeler probables ou vraisemblables. Je consens d'ailleurs à ce que vous leur donniez , si vous le voulez, d'autres noms; car il me suffit que vous ayez bien compris ce que je veux dire, à savoir quels sont les objets auxquels je donne ces noms. En effet, le sage ne doit pas être un faiseur de mots, mais bien un inquisiteur des choses. (Saint Augustin, Contre les Acad,, ii. 11.)

3. Ceux qui, parmi les autres sectes, s'estiment des sages, accordent le second rang an sage de l'Académie, chacun d'eux se réservant nécessairement pour soi-même le premier. D'où l'on peut conclure avec probabilité que celui-là doit se croire raisonnablement le premier, qui, au jugement de tous les autres, est le second. Supposez , par exemple, un sage Stoïcien, car c'est surtout contre les Stoïciens que se passionne l'esprit de l'Académie : voilà Zénon ou Chrysippe. Demandez-leur quel est le sage, ils répondront 623 que c'est celui dont ils ont fait le portrait. Mais Epicure on quelque autre antagoniste le nie, réclamant ce titre pour son habile chercheur de voluptés. De là querelle. Zénon s'écrie, et avec lui tout le Portique en tumulte, que le seul but de l'homme est l'honnête ; qu'il séduit les cœurs par sa propre beauté, sans être dupe d'aucun avantage extérieur, ni de l'attrait des récompenses ; que cette volupté d'Épicure ne doit être commune qu'entre les animaux, auxquels on ne peut associer sans crime l'homme et le sage. L'autre, de son côté, évoque à son aide, du fond de ses jardins, cette foule de sectaires ivres, qui demandent quelle victime il faut, comme des bacchantes, déchirer de l'ongle et des dents; et élevant jusqu'au ciel ce nom de volupté, ces délices, cette indifférence si douce, au témoignage de la multitude, il soutient vivement qu'il n'est point de bonheur hors de la volupté. Qu'au milieu de la querelle un Académicien accoure, il verra les deux partis se disputer son suffrage. Mais s'il le donne à l'un, l'autre, ainsi condamné, traitera le juge de sot, d'insensé, de téméraire. Il se borne donc à prêter l'oreille tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là; et, quand on veut savoir son avis, il répond qu'il n'est pas fixé. Demandez donc maintenant au Stoïcien lequel vaut le mieux ou d'Épicure qui s'écrie que le Portique extravague, ou de l'Académicien'qui ajourne son jugement sur une si grande affaire? peut-on douter qu'il ne préfère l'Académicien? Tournez-vous ensuite vers Épicure, et demandez-lui lequel il aime le mieux, de Zénon qui l'appelle brute, ou d'Arcésilas qui lui dit : « Peut-être avez-vous raison, mais j'examinerai?» n'est-il pas évident que tout le Portique lui paraîtra fou, et l'Académie modeste et réservée? (S. Augustin, Contre les Acad., iii, 7.)

4. C'était l'usage des Académiciens de cacher leurs véritables sentiments, et de ne les dévoiler qu'à des amis qui avaient vieilli avec eux. (Id. ibid., iii, 25.)


 

DE LA NATURE DES DIEUX.

LIVRE III.

Ces deux fragments peuvent se rapporter, si l'on en juge par Lactance, i, 17, l'un, à la lacune qui se trouve entre le chapitre 25 et le chapitre 26 ; l'autre, à celle que plusieurs éditeurs ont cru voir après les cinq premiers chapitres du troisième livre.

Quatre autres fragments ont été ajoutés à ce traité par M. Creuze, dans son édition de Leipsick, 1818, p. 797, De Natura deorum. Mais le premier cité par Nonius, ii, 215, se lit aujourd'hui de Orat, iii, 25; et les trois autres qu'on extrait de Servius, Ad Aen. iii, 284, 600; vi, 894, sont fort suspects.

EX LIB. III DE NATURA DEORUM.

1. Primum igitur non est probabile, eam materiam rerum, unde orta sunt omnia, esse divina Providentia effectam, sed habere et habuisse vim et naturam suam. Ut igitur faber, quum quid œdificaturus est, non ipse facit materiam , sed ea utitur, quae sit parata ; fictor item cera : sic isti Providentiae divinae materiam praesto esse oportuit, non quam ipsa faceret, sed quam haberet paratam. Quod si non est a Deo materia facta, ne terra quidem, et aqua, et acr, et ignis a Deo factus est. Lactantius, ii, 9.

2. Non sunt ista vulgo disputanda, ne susceptas publice religiones disputatio talis exslinguat. Id.,ii,3.

1. D'abord, il n'est pas probable que cette matière, principe de toutes choses en général, est l'œuvre de la Providence divine, mais plutôt qu'elle a et qu'elle eut toujours une force intrinsèque et naturelle. Comme le charpentier lorsqu'il est sur le point de bâtir, comme aussi le modeleur en cire ne créent pas eux-mêmes leurs matériaux , mais emploient ceux que la nature leur fournit ; ainsi cette divine Providence a dû trouver la matière toute prête; elle ne l'a point créée, elle l'a trouvée telle. Si donc Dieu n'a point fait la matière, Dieu n'a point fait non plus la terre et l'eau, l'air et le feu. (Lactance, ii, 9.)

624 2. Ces choses ne doivent pas être discutées en public, de peur qu'un tel examen ne paralyse la foi au culte de l'Etat. (Id., ii, 3.)

 

DE LA DIVINATION.

A la suite de ces deux fragments, il en est un autre extrait de Diomède, i, p. 371, qu'on rapporte à la fin du traité de la Divination ; mais ce fragment ne souffre pas la critique, et n'a jamais appartenu à Cicéron. On peut s'en convaincre en consultant le texte de Diomède, à la page citée plus haut, édition de Putschius.

DU DESTIN.

Aulu Celle, livre vi, 2, cite un fragment de ce traité. Nous y renvoyons le lecteur, ainsi qu'à un second fragment du même ouvrage cité par Macrobe, iii, 16.

DES LOIS.

On trouve dans Lactance trois fragments des Lois; un dans Macrobe, vi, 4, et un autre dans saint Augustin. Des trois extraits de Lactance, le premier pourrait trouver sa place dans la lacune qui suit le chapitre 13 du premier livre; le second, d'après le texte même de Lactance où cette phrase se trouve enclavée, est supposé avoir précédé de peu de lignes cet axiome du second livre, ch. ii : Virtutes enim, non vitia consecrare decet; ou avoir fait partie du texte qui manque à la suite de ce chapitre. On estime que le troisième et celui cité par Macrobe appartiennent tous deux à un cinquième livre des Lois, lequel, ainsi que le quatrième livre, nous est inconnu.
 

EX LIB. I DE LEGIBUS.

Sicut una eademque natura mundus omnibus partibus inter se congruentibus cohœret ac nititur : sic omnes hommes inter se natura confui!, pravitate dissentiunt, nec se intelligunt esse consanguineos, et subjeclos omnes sub unam eamdemque tutelam; quod si teneretur, Deorum profecto vitam omnes viverent. Lactantius, v, 8.

EX LIB. II.

Magnum audaxque consilium Gracia suscepit, quod Cupidinum et Amorum simulacra in gymnasiis consecra vit. Id. i, 20.

EX LIBRO INCERTO.

1. Gratulemurque nobis, quoniam mors aut meliorem, quam qui est in vita, aut certe non deteriorem est allatura statum. Nam sine corpore, animo vigente, divina est vita; sensu carenti nihil profecto est mali. Id. iii, 19.

2. Octo pœnarum genera in legibus continentur, damnumi, vincula, verbera, talio, ignominia, exsilium, mors, servitus. Augustinus, de Civit. Dei, xxi, 11; Isidorus, Orig., v, 28.

LIVRE PREMIER.

1. De même qu'une seule et même nature maintient toutes les parties du monde dans une union intime qui fait son unité et sa force ; ainsi cette même nature unit entre eux les hommes que la méchanceté divise, et qui ne comprennent pas qu'ils sont tous parents, tous soumis à un seul et même maître : s'ils le voyaient, ils jouiraient ici-bas du bonheur des dieux. (Lactance, v, 8.)

LIVRE SECOND.

La Grèce conçut un projet grand et hardi, quand elle consacra dans les gymnases les statues de Cupidon et de l'Amour. (Id., i, 20.)

LIVRE INCERTAIN.

1. Félicitons-nous, puisque la mort doit nous procurer un état meilleur et non pas certainement pire que la vie. Car, n'ayant plus qu'une âme, dépouillée de son enveloppe, notre vie sera celle des dieux ; et si nous mourons tout entiers, quel mal pouvons-nous craindre? (Id., iii, 19.)

2. Huit sortes de peines sont établies par les lois : l'amende, la prison, les verges, le talion, l'ignominie, l'exil, la mort, l'esclavage. (Saint Augustin, Cité de Dieu, xxxi, 11.)