Cicéron, Correspondance

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

LETTRES FAMILIERES

LIVRE VI

livre 5 - livre 7

 

 

 

LETTRES FAMILIERES

LIVRE VI

 

 

I. Scr. Romae a.u.c. 709.

M. CICERO S. D. A. TORQUATO

Etsi ea perturbatio est omnium rerum, ut suae quemque fortunae maxime poeniteat nemoque sit, quin ubivis quam ibi, ubi sit, esse malit, tamen mihi dubium non est, quin hoc tempore bono viro Romae esse miserrimum sit; nam, etsi, quocumque in loco quisque est, idem est ei sensus et eadem acerbitas ex interitu rerum et publicarum et suarum, tamen oculi augent dolorem, qui ea, quae ceteri audiunt, intueri coguntur nec avertere a miseriis cogitationem sinunt: quare, etsi multarum rerum desiderio te angi necesse est, tamen illo dolore, quo maxime te confici audio, quod Romae non sis, animum tuum libera; etsi enim cum magna molestia tuos tuaque desideras, tamen illa quidem, quae requiris, suum statum tenent nec melius, si tu adesses, tenerent nec sunt ullo in proprio periculo, nec debes tu, cum de tuis cogitas, aut praecipuam aliquam fortunam postulare aut communem recusare. De te autem ipso, Torquate, est tuum sic agitare animo, ut non adhibeas in consilium cogitationum tuarum desperationem aut timorem; nec enim is, qui in te adhuc iniustior, quam tua dignitas postulabat, fuit, non magna signa dedit animi erga te mitigati, nec tamen is ipse, a quo salus petitur, habet explicatam aut exploratam rationem salutis suae, cumque omnium bellorum exitus incerti sint, ab altera victoria tibi periculum nullum esse perspicio, quod quidem seiunctum sit ab omnium interitu, ab altera te ipsum numquam timuisse certo scio. Reliquum est, ut te id ipsum, quod ego quasi consolationis loco pono, maxime excruciet, commune periculum rei publicae: cuius tanti mali, quamvis docti viri multa dicant, tamen vereor ne consolatio nulla possit vera reperiri praeter illam, quae tanta est, quantum in cuiusque animo roboris est atque nervorum; si enim bene sentire recteque facere satis est ad bene beateque vivendum, vereor, ne eum, qui se optimorum consiliorum conscientia sustentare possit, miserum esse nefas sit dicere. Nec enim nos arbitror victoriae praemiis ductos patriam olim et liberos et fortunas reliquisse; sed quoddam nobis officium iustum et pium et debitum rei publicae nostraeque dignitati videbamur sequi, nec, cum id faciebamus, tam eramus amentes, ut explorata nobis esset victoria. Quare, si id evenit, quod ingredientibus nobis in causam propositum fuit accidere posse, non debemus ita cadere animis, quasi aliquid evenerit, quod fieri posse numquam putarimus. Simus igitur ea mente, quam ratio et veritas praescribit, ut nihil in vita nobis praestandum praeter culpam putemus, eaque cum careamus, omnia humana placate et moderate feramus. Atque haec eo pertinet oratio, ut perditis rebus omnibus tamen ipsa virtus se sustentare posse videatur; sed, si est spes aliqua de rebus communibus, ea tu, quicumque status est futurus, carere non debes. Atque haec mihi scribenti veniebat in mentem me esse eum, cuius tu desperationem accusare solitus esses quemque auctoritate tua cunctantem et diffidentem excitare—quo quidem tempore non ego causam nostram, sed consilium improbabam; sero enim nos iis armis adversari videbam, quae multo ante confirmata per nosmet ipsos erant, dolebamque pilis et gladiis, non consiliis neque auctoritatibus nostris de iure publico disceptari; neque ego, ea, quae facta sunt, fore cum dicebam, divinabam futura, sed, quod et fieri posse et exitiosum fore, si evenisset, videbam, id ne accideret timebam, praesertim cum, si mihi alterum utrum de eventu atque exitu rerum promittendum esset, id futurum, quod evenit, exploratius possem promittere; iis enim rebus praestabamus, quae non prodeunt in aciem, usu autem armorum et militum robore inferiores eramus—; sed tu illum animum nunc adhibe, quaeso, quo me tum esse oportere censebas. Haec eo scripsi, quod mihi Philargyrus tuus omnia de te requirenti fidelissimo animo, ut mihi quidem visus est, narravit te interdum sollicitum solere esse vehementius: quod facere non debes nec dubitare, quin aut aliqua re publica sis futurus, qui esse debes, aut perdita non afflictiore condicione quam ceteri. Hoc vero tempus, quo exanimati omnes et suspensi sumus, hoc moderatiore animo ferre debes, quod et in urbe ea es, ubi nata et alta est ratio ac moderatio vitae, et habes Ser. Sulpicium—quem semper unice dilexisti—, qui te profecto et benevolentia et sapientia consolatur, cuius si essemus et auctoritatem et consilium secuti, togati potius potentiam quam armati victoriam subissemus. Sed haec longiora fortasse fuerunt, quam necesse fuit; illa, quae maiora sunt, brevius exponam: ego habeo, cui plus quam tibi debeam, neminem—quibus tantum debebam, quantum tu intelligis, eos huius mihi belli casus eripuit—; qui sim autem hoc tempore, intelligo, sed, quia nemo est tam afflictus, quin, si nihil aliud studeat nisi id, quod agit, possit navare aliquid et efficere, omne meum consilium, operam, studium certe, velim existimes tibi tuisque liberis esse debitum.

530. — A AULUS TORQUATUS. Rome.

F.VI, I. On se trouve partout si mal à l'aise au milieu de cette perturbation universelle, qu'il n'est homme a qui son sort ne pèse, et qui n'aime mieux être ou il n'est pas : mais le pire séjour pour un homme de bien, selon moi, c'est Rome. En tous lieux, sans doute l'âme souffre et le cœur se serre à cette commune destruction de la chose publique et des fortunes privées. Mais la vue ajoute au supplice. Ailleurs on n'a que des récits; à Rome le mal est sous les yeux, et ne laisse pas un moment de relâche aux désolations de la pensée. Vous n'avez, hélas ! que trop de sujets de peines ; mais votre plus grand chagrin, me dit-on , est de ne pas vous trouver à Rome. Ah! sur ce point, mettez-vous l'esprit en repos. Si pénible que soit la privation de votre famille et de vos biens, du moins ces objets de votre sollicitude demeurent en l'état ou ils étaient, et ne courant aucun risque particulier, ne gagneraient rien à votre présence ni ne sou firent en rien de votre absence. Votre préoccupation pour les vôtres ne peut aller jusqu'il vouloir qu'on vous fasse une condition exprès pour vous, et en dehors du sort commun. Quant à vous personnellement, mon cher Torquatus, votre rôle est de rassembler toute votre énergie, et de vous roidir contre ces conseils du désespoir et de la crainte ; Tel fut à votre égard injuste à l'excès , qui déjà manifeste un retour à des sentiments plus doux. LUI-MEME enfin, tout arbitre qu'il est de nos destinées, a-t-il une position bien nette et bien assurée? tout est incertitude à la guerre : mais que son parti triomphe encore, votre danger individuel n'est que celui de tout le inonde : que l'autre ai t le dessus ; je sais de bonne part que vous n'avez rien à en redouter. Reste donc le commun péril de la république qui fait votre suppliée , et qui, selon moi, par cela même qu'il est commun, devrait vous inspirer plus de. résignation. Pour ce mal, je le crains bien , quoiqu'on disent les philosophes, il n'y a qu'une seule consolation, qui toute dépend de ce qu'on a de ressorts et de vigueur dans l'âme, s'il est vrai que pour vivre bien et heureusement il ne faille que bien penser et bien agir. Il n'est pas permis, ce me semble, d'appeler celui-là malheureux qui a pour lui le témoignage de sa conscience. Était-ce, dites-moi, pour les avantages de la victoire que nous avons naguère abandonné et nos fortunes et nos familles? non. Nous voulions accomplir un devoir sacré, payer une dette d'honneur à la patrie, et certes nous n'étions pas insensés au point de regarder alors le triomphe comme une perspective assurée. Si donc il n'est rien arrivé que dans l'ordre des chances prévues au moment de l'entreprise, il ne faut pas nous laisser abattre après coup, comme si le sort nous frappait au delà de toute prévision. Tenons-nous-en à cette règle de raison et de vérité, qu'il faut avant tout se conserver exempt de reproche, et qu'une fois en paix avec sa conscience, il n'est point de mal sur terre qu'on ne puisse aisément supporter. J'en conclus qu'au milieu même d'un naufrage universel, la vertu seule est encore une planche de salut. Mais si les maux communs de la patrie permettent une espérance, acceptez-la, quelle que soit la situation qui en doive sortir. — Une réflexion me frappe : c'était vous autrefois qui gourmandiez ma faiblesse, vous dont la parole, grave accusait mes hésitations et mes défiances; alors pourtant je ne blâmais que les moyens et non le but. Je trouvais qu'il était trop tard pour s'attaquer à une puissance armée que nous avions depuis longtemps nous-mêmes fortifiée et applaudie; je gémissais de voir des questions de droit public remises à la décision du glaive et de la lance, au lieu de l'être à celle de la raison et de l'autorité. Quand je prédis ce (pie depuis on a vu s'accomplir, je ne me piquais point d'être devin ; mais je l'étais des conséquences possibles : je les voyais funestes, et je craignais. Si j'avais eu à parier pour ou contre, j'aurais parié à coup sûr pour ce qui est arrivé. Nous avions l'avantage sur nos adversaires en tout ce qui ne sert de rien sur un champ de bataille, mais ils l'emportaient sur nous par l'habitude de la guerre et la force des soldais. Aujourd'hui ayez à votre tour le courage que vous vouliez me voir alors. — Si je vous parle ainsi, c'est que votre Philargyre, que j'ai questionné, et qui m'a répondu, si je ne me trompe, sous l'inspiration d'un profond dévouement pour vous, ne m'a pas laissé ignorer l'excès de trouble qui vous saisissait quelquefois. C'est ce dont il faut vous défendre. De deux choses l'une, persuadez-vous le-bien : ou nous conserverons la république, et vous y aurez votre place ; ou elle sera détruite, et votre condition ne sera pas pire que celle de tout le monde. Dans ce temps de consternation et d'alarme universelle, une circonstance doit vous rendre la résignation plus facile; la ville que vous habitez (Athènes) est le berceau et l'école de la sagesse pratique et de la philosophie, et, de plus, vous avez près de vous Ser. Sulpicius que vous aimez tendrement, et dont la raison et l'amitié doivent vous offrir les plus douces consolations. Si nous avions écouté son expérience et son avis, nous serions sous nos toges devant un homme puissant, il est vrai, mais nous n'aurions pas a subir la loi d'un vainqueur. En voilà plus long qu'il n'est besoin. Peut-être je m'étendrai moins sur ce qui me touche bien plus : je n'ai à personne plus d'obligations qu'a vous. Ceux à qui je devais, vous le savez, une égale reconnaissance, le sort de la guerre me les a ravis. Je sais juger ma position actuelle. Mais, comme on n'est jamais si bas qu'on ne puisse encore beaucoup en tendant à un but unique, et en s'y appliquant tout entier, je vous prie de disposer absolument de moi; mes conseils, mes efforts, mes pensées, tout est à vous et à vos enfants.

II. Scr. Asturae mense Iunio aut Quinctili a.u.c. 709.

M. CICERO S. D. A. TORQUATO

Peto a te, ne me putes oblivione tui rarius ad te scribere, quam solebam, sed aut gravitate valetudinis, qua tamen iam paullum videor levari, aut quod absim ab urbe, ut, qui ad te proficiscantur, scire non possim; quare velim ita statutum habeas, me tui memoriam cum summa benevolentia tenere tuasque omnes res non minori mihi curae quam meas esse. Quod maiore in varietate versata est adhuc tua causa, quam homines aut volebant aut opinabantur, mihi crede, non est pro malis temporum, quod moleste feras; necesse est enim aut armis urgeri rem publicam sempiternis aut iis positis recreari aliquando aut funditus interire: si arma valebunt, nec eos, a quibus reciperis, vereri debes nec eos, quos adiuvisti; si armis aut condicione positis aut defetigatione abiectis aut victoria detractis civitas respiraverit, et dignitate tua frui tibi et fortunis licebit; sin omnino interierint omnia fueritque is exitus, quem vir prudentissimus, M. Antonius, iam tum timebat, cum tantum instare malorum suspicabatur, misera est illa quidem consolatio, tali praesertim civi et viro, sed tamen necessaria, nihil esse praecipue cuiquam dolendum in eo, quod accidat universis. Quae vis insit in his paucis verbis—plura enim committenda epistulae non erant—, si attendes, quod facis, profecto etiam sine meis litteris intelliges te aliquid habere, quod speres, nihil, quod aut hoc aut aliquo rei publicae statu timeas; omnia si intererint, cum superstitem te esse rei publicae ne si liceat quidem velis, ferendam esse fortunam, praesertim quae absit a culpa. Sed haec hactenus: tu velim scribas ad me, quid agas et ubi futurus sis, ut aut quo scribam aut quo veniam scire possim.

573. — A TORQUATUS. Asture, avril.

F. VI, 2. N'imputez pas a oubli, je vous en conjure, la rareté inaccoutumée de mes lettres. Il faut vous en prendre au mauvais état de ma santé, qui pourtant commence à se rétablir, et à mon éloignement de la ville, qui m'empêche d'être au courant des occasions. Sachez, une fois pour toutes, que je garde votre souvenir avec la plus tendre affection, et (pie ce qui vous touche me préoccupe autant que ce qui me touche moi-même. Si votre affaire éprouve plus de vicissitudes qu'on ne l'eût souhaité ou pu prévoir, croyez-moi, eu égard au temps, c'est un mal a prendre en patience. De trois choses l'une : ou la république sera en proie à des déchirements sans fin, ou les luttes seront suivies de quelques intervalles de repos, ou enfin tout s'écroulera de fond en comble. Si l'état de guerre continue, vous n'avez à craindre ni ceux de qui vous aurez reçu un refuge, ni ceux à qui vous aurez prêté votre appui. Qu'on dépose les armes par accommodement, que la lassitude les fasse tomber des mains, ou que la victoire les arrache aux partis, alors la cité respirera, et vous retrouverez à la fois rang et fortune. Si, au contraire, tout est bouleversé sans ressource, et si nous devons assister à ce jour funeste dont s'effrayait déjà M. Antonius, lorsque sa sage perspicacité pressentait l'orage épouvantable qui devait éclater sur nos têtes, j'avoue que je n'ai à vous offrir qu'une consolation qui est misérable, surtout pour un citoyen et un homme tel que vous, mais qui cependant est la seule : c'est qu'on ne doit pas s'affliger pour soi d'un malheur qui frappe également sur tous. Je n'ajouterai rien de plus : si vous réfléchissez, comme je n'en doute pas, au sens profond de ce peu de mots ; vous en conclurez, sans que je vous le dise, qu'il y a pour vous des motifs suffisants d'espérer, et que, dans l'une comme dans l'autre des hypothèses ou j'ai placé la république, il n'y a pas pour vous de quoi prendre l'alarme. Enfin, je le répète, si tout périt, comme vous ne voudrez ni même ne pourrez survivre à la république, vous devez vous résigner d'autant mieux que votre conscience est sans reproche. J'en ai dit assez. Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles, et dites-moi où vous comptez aller, afin que je sache ou vous écrire, et au besoin où vous joindre.

 III. Scr. Romae a.u.c. 709.

M. CICERO S. D. A. TORQUATO

Superioribus litteris benevolentia magis adductus, quam quo res ita postularet, fui longior; neque enim confirmatione nostra egebat virtus tua neque erat ea mea causa atque fortuna, ut, cui ipsi omnia deessent, alterum confirmarem. Hoc item tempore brevior esse debeo; sive enim nihil tum opus fuit tam multis verbis, nihilo magis nunc opus est, sive tum opus fuit, illud satis est, praesertim cum accesserit nihil novi: nam, etsi quotidie aliquid audimus earum rerum, quas ad te perferri existimo, summa tamen eadem est et idem exitus; quem ego tam video animo, quam ea, quae oculis cernimus, nec vero quidquam video, quod non idem te videre certo scio; nam, etsi, quem exitum acies habitura sit, divinare nemo potest, tamen et belli exitum video et, si id minus, hoc quidem certe, cum sit necesse alterum utrum vincere, qualis futura sit vel haec vel illa victoria. Idque cum optime perspexi, tum tale video, nihil ut mali videatur futurum, si id ante acciderit, quod vel maximum ad timorem proponitur; ita enim vivere, ut tum sit vivendum, miserrimum est; mori autem nemo sapiens miserum duxit, ne beato quidem. Sed in ea es urbe, in qua haec vel plura et ornatiora parietes ipsi loqui posse videantur. Ego tibi hoc confirmo, etsi levis est consolatio ex miseriis aliorum, nihilo te nunc maiore in discrimine esse quam quemvis aut eorum, qui discesserint, aut eorum, qui remanserint: alteri dimicant, alteri victorem timent. Sed haec consolatio levis est; illa gravior, qua te uti spero, ego certe utor: nec enim, dum ero, angar ulla re, cum omni vacem culpa, et, si non ero, sensu omnino carebo. Sed rursus glaËx' eÞs 'AyÆnaw, qui ad te haec. Mihi tu, tui, tua omnia maximae curae sunt et, dum vivam, erunt. Vale.

 537. — A AULUS TORQUATUS. janvier.

F. VI, 3. C'est le besoin d'épancher mon cœur qui a rendu ma dernière lettre si longue. Le sujet ne l'exigeait pas. Avec une âme comme la vôtre, vous n'avez que faire de mes exhortations, et le rôle de consolateur ne convenait guère à ma propre fortune, ni à la détresse où je suis moi-même plongé. Aujourd'hui je serai plus court; car si la prolixité alors était inutile, elle ne l'est pas moins maintenant; et si je n'ai rien dit de trop, j'en ai du moins assez dit en une fois, les choses n'ayant nullement changé. Ce n'est pas que chaque jour n'apporte ses nouvelles, que vous savez, je pense, aussi bien que nous; mais, en somme, nous marchons toujours au même résultat. Je vois ce résultat comme s'il était devant mes yeux, et ce qui frappe mes regards n'échappe pas aux vôtres. Sans doute il n'est donné à personne de deviner le sort d'une bataille ; mais je n'en prévois pas moins l'issue de la guerre, et quand je ne rencontrerais pas absolument juste, comme il faut de toute nécessité que l'un des deux partis ait la victoire, je me fais assez bien l'idée de ce qu'on doit attendre de l'un et de l'autre vainqueur. Après tout, nous pouvons réduire à rien le pis dont on nous menace. Il ne faut que savoir l'anticiper. Vivre comme il faudrait vivre alors, c'est là le plus grand des maux. Aucun sage n'a dit que la mort fût un mal même pour l'homme heureux ; c'est ce que les murs même de la ville où vous êtes, (Athènes) vous diraient bien mieux et bien plus éloquemment que moi. Je me Rome donc, quoique la misère d'autrui soit une triste consolation, je me borne à vous affirmer de nouveau que vous n'êtes pas dans une position plus critique que qui que ce soit des nôtres, qu'il ait quitté le parti ou soit demeuré sous son drapeau. Les uns ont à combattre un ennemi, les autres à redouter un vainqueur; mais c'est là, je le répète, une triste consolation. En voici une meilleure : faites-en, comme moi, votre profit. Tant qu'on respire, si on n'a rien à se reprocher, on ne doit se tourmenter de rien. Quand on n'est plus, on est insensible a tout. Mais moi, vous parler ainsi ! me. voici donc encore envoyant des hiboux à Athènes. Ma sollicitude est grande pour vous et les vôtres, ainsi que pour tout ce qui vous touche ; elle sera la même tant que je vivrai.

 IV. Scr. Romae a.u.c. 709

M. CICERO S. D. A. TORQUATO

Novi, quod ad te scriberem, nihil erat, et tamen, si quid esset, sciebam te a tuis certiorem fieri solere; de futuris autem rebus etsi semper difficile est dicere, tamen interdum coniectura possis propius accedere, quam est res eiusmodi, cuius exitus provideri possit. Nunc tantum videmur intelligere, non diuturnum bellum, etsi id ipsum nonnullis videtur secus. Equidem, cum haec scribebam, aliquid iam actum putabam: non quo, sed quod difficilis erat coniectura; nam, cum omnis belli Mars communis et cum semper incerti exitus proeliorum sunt, tum hoc tempore ita magnae utrimque copiae, ita paratae ad depugnandum esse dicuntur, ut, utercumque vicerit, non sit mirum futurum. Ilia in dies singulos magis magisque opinio hominum confirmatur, etiamsi inter causas armorum aliquantum intersit, tamen inter victorias non multum interfuturum: alteros propemodum iam sumus experti; de altero nemo est quin cogitet, quam sit metuendus iratus victor armatus. Hoc loco si videor augere dolorem tuum, quem consolando levare debebam, fateor me communium malorum consolationem nullam invenire praeter illam—quae tamen, si possis eam suscipere, maxima est quaque ego quotidie magis utor—: conscientiam rectae voluntatis maximam consolationem esse rerum incommodarum nec esse ullum magnum malum praeter culpam: a qua quoniam tantum absumus, ut etiam optime senserimus, eventusque magis nostri consilii quam consilium reprehendatur, et quoniam praestitimus, quod debuimus, moderate, quod evenit, feramus. Sed hoc mihi tamen non sumo, ut te consoler de communibus miseriis, quae ad consolandum maioris ingenii et ad ferendum singularis virtutis indigent: illud cuivis facile est docere, cur praecipue tu dolere nihil debeas; eius enim, qui tardior in te levando fuit, quam fore putaramus, non est mihi dubia de tua salute sententia, de illis autem non arbitror te exspectare quid sentiam. Reliquum est, ut te angat, quod absis a tuis tamdiu: res molesta, praesertim ab iis pueris, quibus nihil potest esse festivius; sed, ut ad te scripsi antea, tempus est huiusmodi, ut suam quisque condicionem miserrimam putet et, ubi quisque sit, ibi esse minime velit. Equidem, nos qui Romae sumus, miserrimos esse duco, non solum quod in malis omnibus acerbius est videre quam audire, sed etiam quod ad omnes casus subitorum periculorum magis obiecti sumus, quam si abessemus; etsi me ipsum, consolatorem tuum, non tantum litterae, quibus semper studui, quantum longinquitas temporis mitigavit. Quanto fuerim dolore, meministi: in quo prima illa consolatio est, vidisse me plus quam ceteros, cum cupiebam quamvis iniqua condicione pacem, quod etsi casu, non divinatione mea factum est, tamen in hac inani prudentiae laude delector; deinde, quod mihi ad consolationem commune tecum est, si iam vocer ad exitum vitae, non ab ea re publica avellar, qua carendum esse doleam, praesertim cum id sine ullo sensu futurum sit; adiuvat etiam aetas et acta iam vita, quae cum cursu suo bene confecto delectat, tum vetat in eo vim timere, quo nos iam natura ipsa paene perduxerit; postremo is vir vel etiam ii viri hoc bello occiderunt, ut impudentia videatur eandem fortunam, si res cogat, recusare. Equidem mihi omnia propono nec ullum est tantum malum, quod non putem impendere; sed, cum plus in metuendo mali sit quam in ipso illo, quod timetur, metuere desino, praesertim cum id impendeat, in quo non modo dolor nullus, verum finis etiam doloris futurus sit. Sed haec satis multa vel plura potius, quam necesse fuit; facit autem non loquacitas mea, sed benevolentia longiores epistulas. Servium discessisse Athenis moleste tuli; non enim dubito, quin magnae tibi levationi solitus sit esse quotidianus congressus et sermo cum familiarissimi hominis, tum optimi et prudentissimi viri. Tu velim te, ut debes et soles, tua virtute sustentes: ego, quae te velle quaeque ad te et ad tuos pertinere arbitrabor, omnia studiose diligenterque curabo; quae cum faciam, benevolentiam tuam erga me imitabor, merita non assequar. Vale.

539. — A AULUS TORQUATUS. Rome, janvier.

F. VI, 4. On ne sait rien encore. Si ou savait quelque chose, votre famille, j'en suis sûr, ne manquerait pas de vous écrire. Qu'arrivera-t-il? C'est ce qu'il est toujours assez difficile de dire avec certitude. Cependant on peut quelquefois approcher du vrai par conjecture, surtout dans une situation dont le dénouement semble prévu. J'augure déjà que la guerre n'aura point de durée : d'autres, il est vrai, en jugent autrement. Pour moi, je suis persuadé, sans avoir là-dessus de renseignements, qu'au moment où je vous écris, quelque chose se décide. Mais en quel sens? j'aurais peine à le dire. A la guerre, on a toujours des chances à courir, et les armes sont journalières. D'après ce qu'on rapporte des forces considérables des deux camps et de l'ardeur des troupes de part et d'autre, la victoire, de quelque côté qu'elle se prononce, ne surprendra personne. Mais s'il y a quelque distinction à faire entre les principes des combattants, il n'y en aura pas beaucoup dans les conséquences de la victoire; voilà ce dont on doit chaque jour se convaincre davantage. Nous savons déjà par expérience à quoi nous en tenir à peu près dans une hypothèse; dans l'autre, ignore-t-on ce qu'il faut craindre d'un vainqueur irrité? Voilà un tableau bien sombre, et je ne devrais vous présenter que des images consolantes. Mais j'avoue que je ne vois pas de consolation dans des maux comme les nôtres; ou plutôt il en est une, une immense, quand on sait s'en emparer, et dont j'apprécie mieux les effets de jour en jour : c'est d'opposer aux revers le témoignage de sa conscience, et de songer que, quand on est sans reproche, on ne peut jamais être malheureux. Loin d'avoir mal agi, je sens que j'ai mieux vu que personne, et que si le résultat me condamne, ma conduite pourtant est inattaquable, .l'ai fait mon devoir, et j'attends les événements avec calme. .le ne prétends pas d'ailleurs que vous trouviez en ces réflexions de quoi vous consoler des malheurs de la patrie. Il faudrait plus d'esprit que je n'en ai pour vous les peindre autrement qu'ils ne sont, et il faut un courage au-dessus du vulgaire pour s'y résigner. Mais ce que le premier venu peut démontrer, c'est que vous n'avez pas plus de raison de vous plaindre que tout le inonde. Malgré le retard que met certaine personne (César) à vous tendre les bras, je n'ai pas au fond le moindre doute sur ses intentions. Celles des autres vous sont bien indifférentes, je le suppose. Vous n'avez qu'un seul chagrin, cet éloignement prolongé de tout ce qui vous est cher. Je comprends ce qu'il y a là de cruel, surtout pour un père qui a des enfants si aimables. Mais, je vous l'ai déjà dit, nous vivons dans un temps où chacun se croit plus malheureux que son voisin, et voudrait être loin du lieu ou il est. Moi qui suis à Rome, je ne connais pas de séjour plus misérable, et parée qu'on est toujours plus sensible aux maux que l'on voit qu'à tous les récits, et parce qu'on est ici plus exposé qu'ailleurs aux vicissitudes des révolutions. C'est au point que moi qui cherche à vous consoler, je suis parvenu à me calmer plutôt par la longueur du temps que par le secours des lettres, dont le culte m'a toujours trouvé si fidèle. Vous vous rappelez dans quel état vous m'avez laissé. Eh bien ! j'avais mieux vu que les autres, lorsque je demandais à tout prix le maintien de la paix. Cela commence à me consoler. Quoique je ne sois pas devin et que le hasard seul ait tout fait, je ne laisse pas que de tirer vanité de cette prévision inutile. Nous pouvons ensuite nous dira en commun que si le dernier moment est venu , la république du sein de laquelle on nous arrachera ne vaut pas qu'on la pleure. D'ailleurs la mort ne laisse pas même le sentiment de la séparation. L'âge aussi me vient en aide. Arrivé au terme de la carrière, je suis sensible à la satisfaction de l'avoir bien parcourue, et fortin-différent aux violences qui avanceraient de si peu le terme de la nature. Enfin, quand un si grand homme et tant d'autres ont péri dans cette guerre, il y aurait honte, si tel est l'arrêt du sort, à refuser de partager leur destin. J'ai prévu toutes les chances. Il n'y a pas de malheur assez grand pour me surprendre. Mais comme la crainte est un mal pire que le mal même, je m'en suis rendu maître en réfléchissant que le destin suspendu sur nos têtes, loin d'être accompagné de douleur, est la lin de toute douleur. En voilà assez, el trop peut-être. Cependant ce n'est point un vain babil, c'est l'amitié seule qui allonge ainsi mes lettres. — J'apprends avec chagrin que Sulpicius a quitté Athènes. Ce devait être un bonheur pour vous de le voir tous les .jours, et de pouvoir tous les jours goûter l'entretien d'un ami si cher et d'un homme si sage et si bon. C'est en vous, en vous seul que je vous exhorte à chercher de la force; le devoir l'exige, et vous en connaissez la pratique. Comptez d'ailleurs sur mes soins et mon zèle pour tout ce que vous pouvez désirer, comme pour tout ce qui touche à vos intérêts et à eeux de vos enfants. Votre amitié m'a donné l'exemple, je le suivrai, tout en restant bien en arrière de vous. Adieu.

V. Scr. Romae exeunte anno u. c. 708.

M. CICERO S. D. A CAECINAE

Quotiescumque filium tuum video (video autem fere quotidie), polliceor ei studium quidem meum et operam sine ulla exceptione aut laboris aut occupationis aut temporis, gratiam autem atque auctoritatem cum hac exceptione, quantum valeam quantumque possim. Liber tuus et lectus est et legitur a me diligenter et custoditur diligentissime. Res et fortunae tuae mihi maximae curae sunt, quae quidem quotidie faciliores mihi et meliores videntur, multisque video magnae esse curae, quorum de studio et de sua spe filium ad te perscripsisse certo scio; iis autem de rebus, quas coniectura consequi possumus, non mihi sumo, ut plus ipse prospiciam, quam te videre atque intelligere mihi persuaserim, sed tamen, quia fieri potest, ut tu ea perturbatiore animo cogites, puto esse meum, quid sentiam, exponere: ea natura rerum est et is temporum cursus, ut non possit ista aut tibi aut ceteris fortuna esse diuturna neque haerere in tam bona causa et in tam bonis civibus tam acerba iniuria. Quare ad eam spem, quam de omnibus habemus, accedit ea, quam extra ordinem de te ipso habemus non solum propter dignitatem et virtutem tuam (haec enim ornamenta sunt tibi etiam cum aliis communia), sed etiam propter eximium ingenium summamque eloquentiam, cui mehercules hic, cuius in potestate sumus, multum tribuit. Itaque ne punctum quidem temporis in ista fortuna fuisses, nisi eo ipso bono tuo, quo delectatur, se violatum putasset; quod ipsum lenitur quotidie, significaturque nobis ab iis, qui simul cum eo vivunt, tibi hanc ipsam opinionem ingenii apud illum plurimum profuturam. Quapropter primum fac animo forti atque magno sis (ita enim natus, ita educatus, ita doctus es, ita etiam cognitus, ut tibi id faciendum sit), deinde spem quoque habeas firmissimam propter eas causas, quas scripsi: a me vero tibi omnia liberisque tuis paratissima esse confidas velim; id enim et vetustas nostri amoris et mea consuetudo in meos et tua multa erga me officia postulant.

487— A CÉCINA. Rome.

F. VI, 5. Chaque fois que je vois votre fils (et je le vois presque tous les jours), je lui répète qu'il peut compter, sans restriction, sur mon dévouement et mes démarches, quels que soient la peine, le travail et le temps ; mais que je ne lui promets pas de même, sans restriction, mon crédit et mon influence, parce que je ne puis m'engager que pour ce que je vaux et ce que je puis. J'ai lu et relu votre livre, et je le garde avec soin. Votre affaire et vos intérêts me préoccupent plus que je ne saurais dire : le terrain devient chaque jour plus facile et meilleur. On s'occupe de vous de beaucoup de côtés. Mais vous devez savoir par votre fils ce que font vos amis et ce qu'ils espèrent. Je ne prétends pas que, pour une appréciation conjecturale des faits, mon coup d'oeil soit plus sûr et plus pénétrant que le vôtre. Cependant il est possible que votre esprit soit moins calme, et c'est pourquoi je crois bien faire en vous disant ma pensée : la force des choses et le cours des événements amèneront bientôt du changement dans votre position et dans toutes les positions analogues; c'est infaillible, et la mauvaise fortune ne persécutera pas toujours une si bonne cause et d'aussi bons citoyens. Oui, je suis plein de confiance pour vous; et cette confiance repose non seulement sur la considération de votre rang et de votre caractère, ce sont là des titres que vous partagez avec d'autres, mais aussi sur des considérations qui vous sont plus particulières encore : je veux parler de cet esprit divin et de ces rares talents pour lesquels je vous jure que celui de qui nous dépendons tous a un faible étonnant. Vous n'auriez pas même eu de lui une égratignure, si vous n'aviez pas fait servir ces dons heureux, qu'il apprécie, à le blesser lui-même. Mais son irritation se calme tous les jours, et, si j'en crois ses confidents, l'idée qu'il a de votre mérite est votre meilleur avocat près de lui. Courage donc! courage ! votre naissance, votre éducation, votre savoir, l'opinion qu'on a de votre caractère, vous font du courage un devoir; et ce que je vous dis n'est-il pas fait pour vous rassurer? Enfin je veille à tout, soyez-en convaincu, vous et vos enfants ; notre vieille amitié, mes façons avec mes amis, et les bons offices que vous m'avez si souvent rendus, m'en font une obligation.

 VI. Scr. Romae (post VII. K. Sext.) a.u.c. 708.

M. CICERO S. D. A. CAECINAE

Vereor, ne desideres officium meum, quod tibi pro nostra et meritorum multorum et studiorum parium coniunctione deesse non debet, sed tamen vereor, ne litterarum a me officium requiras, quas tibi et iampridem et saepe misissem, nisi quotidie melius exspectans gratulationem quam confirmationem animi tui complecti litteris maluissem. Nunc, ut spero, brevi gratulabimur: itaque in aliud tempus id argumentum epistulae differo; his autem litteris animum tuum, quem minime imbecillum esse et audio et spero, etsi non sapientissimi, at amicissimi hominis auctoritate confirmandum etiam atque etiam puto, nec iis quidem verbis, quibus te consoler ut afflictum et iam omni spe salutis orbatum, sed ut eum, de cuius incolumitate non plus dubitem, quam te memini dubitare de mea; nam, cum me ex re publica expulissent ii, qui illam cadere posse stante me non putarunt, memini me ex multis hospitibus, qui ad me ex Asia, in qua tu eras, venerant, audire te de glorioso et celeri reditu meo confirmare. Si te ratio quaedam Etruscae disciplinae, quam a patre, nobilissimo atque optimo viro, acceperas, non fefellit, ne nos quidem nostra divinatio fallet, quam cum sapientissimorum virorum monitis atque praeceptis plurimoque, ut tu scis, doctrinae studio, tum magno etiam usu tractandae rei publicae magnaque nostrorum temporum varietate consecuti sumus; cui quidem divinationi hoc plus confidimus, quod ea nos nihil in his tam obscuris rebus tamque perturbatis umquam omnino fefellit. Dicerem, quae ante futura dixissem, ni vererer, ne ex eventis fingere viderer; sed tamen plurimi sunt testes me et initio, ne coniungeret se cum Caesare, monuisse Pompeium et postea, ne se diiungeret: coniunctione frangi senatus opes, diiunctione civile bellum excitari videbam, atque utebar familiarissime Caesare, Pompeium faciebam plurimi, sed erat meum consilium cum fidele Pompeio, tum salutare utrique. Quae praeterea providerim, praetereo; nolo enim hunc de me optime meritum existimare ea me suasisse Pompeio, quibus ille si paruisset, esset hic quidem clarus in toga et princeps, sed tantas opes, quantas nunc habet, non haberet: eundem in Hispaniam censui; quod si fecisset, civile bellum nullum omnino fuisset. Rationem haberi absentis non tam pugnavi ut liceret, quam ut, quoniam ipso consule pugnante populus iusserat, haberetur. Causa orta belli est: quid ego praetermisi aut monitorum aut querelarum, cum vel iniquissimam pacem iustissimo bello anteferrem? Victa est auctoritas mea, non tam a Pompeio (nam is movebatur), quam ab iis, qui duce Pompeio freti peropportunam et rebus domesticis et cupiditatibus suis illius belli victoriam fore putabant. Susceptum bellum est quiescente me, depulsum ex Italia manente me, quoad potui, sed valuit apud me plus pudor meus quam timor: veritus sum deesse Pompeii saluti, cum ille aliquando non defuisset meae. Itaque vel officio vel fama bonorum vel pudore victus, ut in fabulis Amphiaraus, sic ego prudens et sciens ad pestem ante oculos positam sum profectus; quo in bello nihil adversi accidit non praedicente me. Quare, quoniam, ut augures et astrologi solent, ego quoque augur publicus ex meis superioribus praedictis constitui apud te auctoritatem angurii et divinationis meae, debebit habere fidem nostra praedictio. Non igitur ex alitis volatu nec e cantu sinistro oscinis, ut in nostra disciplina est, nec ex tripudiis solistimis aut soniviis tibi auguror, sed habeo alia signa, quae observem; quae etsi non sunt certiora illis, minus tamen habent vel obscuritatis vel erroris. Notantur autem mihi ad divinandum signa duplici quadam via, quarum alteram duco e Caesare ipso, alteram e temporum civilium natura atque ratione. In Caesare haec sunt: mitis clemensque natura, qualis exprimitur praeclaro illo libro Querelarum tuarum; accedit, quod mirifice ingeniis excellentibus, quale est tuum, delectatur; praeterea cedit multorum iustis et officio incensis, non inanibus aut ambitiosis, voluntatibus, in quo vehementer eum consentiens Etruria movebit. Cur haec igitur adhuc parum profecerunt? Quia non putat se sustinere causas posse multorum, si tibi, cui iustius videtur irasci posse, concesserit. "Quae est igitur," inquies, "spes ab irato?" Eodem e fonte se hausturum intelligit laudes suas, e quo sit leviter aspersus. Postremo homo valde est acutus et multum providens: intelligit te, hominem in parte Italiae minime contemnenda facile omnium nobilissimum et in communi re publica cuivis summorum tuae aetatis vel ingenio vel gratia vel fama populi Romani parem, non posse prohiberi re publica diutius; nolet hoc temporis potius esse aliquando beneficium quam iam suum. Dixi de Caesare; nunc dicam de temporum rerumque natura: nemo est tam inimicus ei causae, quam Pompeius animatus melius quam paratus susceperat, qui nos malos cives dicere aut homines improbos audeat; in quo admirari soleo gravitatem et iustitiam et sapientiam Caesaris: numquam nisi honorificentissime Pompeium appellat. "At in eius persona multa fecit asperius." Armorum ista et victoriae sunt facta, non Caesaris. At nos quemadmodum est complexus! Cassium sibi legavit; Brutum Galliae praefecit, Sulpicium Graeciae; Marcellum, cui maxime suscensebat, cum summa illius dignitate restituit. Quo igitur haec spectant? Rerum hoc natura et civilium temporum non patietur, nec manens nec mutata ratio feret, primum ut non in causa pari eadem sit et condicio et fortuna omnium, deinde ut in eam civitatem boni viri et boni cives nulla ignominia notati non reverbantur, in quam tot nefariorum scelerum condemnati reverterunt. Habes augurium meum, quo, si quid addubitarem, non potius uterer quam illa consolatione, qua facile fortem virum sustentarem: te, si explorata victoria arma sumpsisses pro re publica (ita enim tum putabas)-, non nimis esse laudandum, sin propter incertos exitus eventusque bellorum posse accidere, ut vinceremur, putasses, non debere te ad secundam fortunam bene paratum fuisse, adversam ferre nullo modo posse. Disputarem etiam, quanto solatio tibi conscientia tui facti, quantae delectationi in rebus adversis litterae esse deberent; commemorarem non solum veterum, sed horum etiam recentium vel ducum vel comitum tuorum gravissimos casus; etiam externos multos claros viros nominarem; levat enim dolorem communis quasi legis et humanae conditionis recordatio; exponerem etiam, quemadmodum hic et quanta in turba quantaque in confusione rerum omnium viveremus; necesse est enim minore desiderio perdita re publica carere quam bona. Sed hoc genere nihil opus est: incolumem te cito, ut spero, vel potius, ut perspicio, videbimus. Interea tibi absenti et huic, qui adest, imagini animi et corporis tui, constantissimo atque optimo filio tuo, studium officium, operam laborem meum iampridem et pollicitus sum et detuli, nunc hoc amplius, quod me amicissime quotidie magis Caesar amplecitur, familiares quidem eius, sicuti neminem: apud quem quidquid valebo vel auctoritate vel gratia, valebo tibi; tu cura, ut cum firmitudine te animi, tum etiam spe optima sustentes.

478. — A CÉCINA. Rome.

F. VI, 6. Je crains de vous un reproche : une liaison fondée comme la nôtre sur des services mutuels, sur la conformité des goûts, m'imposait des devoirs, et je crains, je le répète, que vous n'accusiez mon silence. Vous auriez reçu depuis longtemps des lettres de moi, et plus d'une, si je n'avais attendu de jour en jour, dans l'espérance d'avoir à vous adresser des compliments plutôt que des consolations. Le moment de vous féliciter n'est pas loin d'ailleurs, je l'espère. Mais attendons pour aujourd'hui qu'il soit venu. Je veux en ce moment que ma voix, qui est celle du plus aimant, si ce n'est du plus sage des hommes, fasse un appel à votre constance, à votre courage, qui sont, au surplus, me dit-on, et je le crois, bien loin de faiblir. Je ne vous parlerai pas comme à un malade désespéré. Je n'ai pas plus de doute sur votre rétablissement que vous n'en aviez vous-même sur le mien; car lorsque je fus chassé de la république, qu'on ne croyait pas pouvoir renverser sans m'avoir d'abord mis à terre, tous les voyageurs venant de l'Asie où vous étiez, me disaient, je m'en souviens, que vous parliez sans cesse de mon rappel comme d'un événement certain et qui me couvrirait de gloire. — Si cette science d'Étrurie, à laquelle vous a initié votre très noble et très excellent père, ne vous égara point alors, mon talent pour la divination ne m'abuse pas davantage aujourd'hui. Ce talent, je le dois aux traditions et aux préceptes des savants, à une longue étude de la matière, vous le savez, et surtout à ma grande habitude des affaires, et à cette variété infinie de phases que j'ai parcourues. C'est dans cette dernière espèce de divination que je place le plus de confiance; elle ne m'a pas trompé une seule fois au milieu des complications les plus obscures et les plus embrouillées. Je vous dirais toutes les prédictions que j'ai faites, si je ne craignais pas qu'elles vous parussent arrangées après coup. Plus d'un témoin existe pourtant qui m'a entendu conjurer Pompée, d'abord de ne pas faire alliance avec César, et ensuite de ne pas rompre cette alliance. Je voyais l'influence du sénat se détruire par leur union, et la guerre civile sortir de leur rupture. J'étais lié avec César, j'honorais Pompée. Le conseil était d'un ami de Pompée, mais dans l'intérêt de l'un autant que de l'autre. — Je laisse de côté une foule de prophéties. Je dois beaucoup à César, et je ne veux pas le laisser penser que j'ai donné à Pompée des conseils qui, si on les avait suivis, auraient fait de César le plus illustre et le premier des citoyens pendant la paix, mais l'auraient empêché d'arriver au degré de richesse et de puissance où nous le voyons. Plus tard, je conseillai à Pompée d'aller en Espagne; s'il l'eût fait, il n'y aurait pas eu de guerre. J'ai lutté ensuite pour qu'on tînt compte à César de son absence. Ce n'était point pour favoriser César, c'était pour l'honneur d'une décision du peuple provoquée par le consul lui-même. La guerre devait avoir bientôt un motif : ai-je encore ménagé 433 mes avertissements et mes cris pour faire comprendre que la paix même la plus mauvaise valait mieux que la guerre même la plus juste? — Les conseils de mon expérience furent repoussés moins par Pompée qui en fut ébranlé, que par des hommes qui croyaient pouvoir ne douter de rien sous un tel chef, et qui avaient besoin de la guerre et de la victoire pour leur fortune et leur ambition. La lutte commença; je restai neutre. Elle fut transportée hors de l'Italie; je n'y pris point de part encore. A la fin, des scrupules me vinrent, qui furent plus forts que mes tristes pressentiments. J’eus peur de ne pas f:aire pour Pompée ce que naguère il avait fait pour moi. En un mot, je cédai, que sais-je? au devoir, au bon renom du parti, à la honte peut-être ; et j'allai de propos délibéré me jeter volontairement, comme l'Amphiaraüs de la fable, dans le précipice que je voyais béant et prêt à m'engloutir. Depuis, il n'y a pas eu une seule des malheureuses péripéties de cette fatale guerre que je n'aie prédite. — Maintenant donc qu'a la manière des augures et des astrologues, moi, qui suis augure aussi, je vous ai prouvé par des faits ma science augurale et divinatoire, vous ne pouvez vous dispenser de croire à ma prédiction nouvelle. Je n'ai pas consulté le vol des oiseaux, je n'ai pas examiné si, suivant les règles sacramentelles de la discipline, leur chant vient de la gauche; je ne me suis arrêté ni aux miettes qui tombent, ni au son qu'elles rendent. J'ai consulté des signes qui, sans être absolument certains, permettent pourtant d'aller un peu moins à. Tâtons et trompent moins souvent que les autres. Je donne à ma divination deux points de départ, dont l'un est César, l'autre la nature des temps et la condition des discordes civiles. Du côté de César, voici les observations : son caractère est doux et généreux. Il est tel que vous l'avez dépeint dans votre beau livre des Gémissements. Il a une prédilection toute particulière pour les esprits supérieurs de la trempe du vôtre. Plein d'égards pour les intentions droites et les convictions généreuses, il est sans oreilles pour les sollicitations légères ou intéressées. Le cri de l'Étrurie tout entière ne manquera pas de le toucher. Mais pourquoi en avez-vous ressenti si peu d'effet? parce qu'une fois votre pardon prononcé, et c'est contre vous qu'il est le plus en colère, il n'y a plus de barrière pour personne. Mais s'il est en colère, qu'espérer de lui? Il comprend qu'en pressant votre main, une abondante rosée de louanges va bien vite adoucir les légères égratignures que cette même main lui a faites. Enfin César a de l'esprit et voit de loin. Il sait à merveille que le plus noble et le premier personnage d'une contrée de l'Italie qui n'est pas à dédaigner, qu'un homme placé d'ailleurs aussi haut que qui que ce soit dans l'estime du peuple romain pour ses talents, son crédit et son importance, ne peut pas demeurer toujours en dehors des affaires, et il voudra que votre retour soit un bienfait de César et non pas un bienfait du temps. — Voila pour César. Je passe maintenant à l'examen des temps et à la nature des circonstances. Le plus grand ennemi de la cause que Pompée avait embrassée, hélas! avec plus de courage que de moyens de résistance, n'oserait pas dire que nous sommes de mauvais citoyens et des hommes pervers. C'est en cela surtout que j'admire le ton de César, la droiture de son esprit, sa sagesse : il ne prononce jamais le nom de Pompée qu'avec des expressions de respect Le nom, oui, direz-vous; mais la personne, avec quelle dureté ne l'a-t-il pas traitée! Ceci est le fait de la guerre et de la victoire : ce n'est pas le 434 fait de César. Voyez ! ne nous a-t-il pas tous recherchés? De Cassius il fait son lieutenant, il donne les Gaules à Brutus, à Sulpiicius la Grèce, et Marcellus, contre qui son irritation était si vive, Marcellus a retrouve ses honneurs et son rang. Qu'en conclure? Il est dans la condition des choses et des discordes civiles, il est dans la nécessité des affaires, la direction actuelle changeant ou non, qu’on ne fasse point une condition et une fortune diverse aux partisans de la même cause, et que des gens de coeur, de bons citoyens dont la vie est sans tache, ne se voient pas fermer l'accès d'une ville qui a ouvert ses portes à tant de misérables flétris par les lois. — Tel est mon pronostic : si je n'y avais pas foi, je ne vous le dirais point, et voici le dilemme que j'adresserais à un homme de coeur : Ou c'est en croyant à la victoire que vous avez pris les armes pour la république, et vous n'en êtes que plus digne d'éloges; ou sachant combien les armes sont journalières et la fortune des combats douteuse, vous avez fait entrer la défaite dans vos prévisions. Eh bien! dans l'un ou l'autre cas, vous devez savoir vous résigner au rôle de vaincu, vous qui pensiez à jouer le rôle de vainqueur. Je chercherais avec vous tout ce qu'au sein de l'adversité on peut trouver de consolation dans le témoignage de sa conscience et de charme dans le commerce des Muses. Je vous rappellerais les extrémités cruelles où furent réduits autrefois d'illustres guerriers, et même dans ces derniers temps vos propres chefs et vos compagnons d'armes. Je joindrais a cette liste des noms célèbres empruntés aux nations étrangères : car c'est un adoucissement aux maux dont on souffre, que le tableau des infortunes d'autrui et des misères attachées à l'humanité. Je vous dirais enfin comment on vit ici, au milieu de quelle confusion, dans quel chaos. Je vous montrerais, au lieu d'une république florissante, une république en poudre: et vous soupireriez avec moins de douleur après la patrie absente. Mais ce langage n'est point de saison. Vous allez bientôt nous être rendu; j'en ai le pressentiment, la certitude. Jusque la, vous pouvez, vous et votre digne et excellent fils, cette image fidèle des traits et de l'âme de son père, vous pouvez tous deux, vous de loin, lui de près, compter sur moi, comme vous en avez déjà fait l'épreuve. Je mets a votre service tout ce que peuvent le dévouement, le devoir, l'activité, les efforts de toute sorte. Je le fais avec d'autant plus de confiance aujourd'hui que César me recherche et me choie chaque jour davantage, et que son entourage est pour moi ce qu'il n'est pour personne. Tout ce que j'obtiendrai de crédit et de faveur sera pour vous. En attendant, courage et confiance! soutenez-vous par là.

VII. Scr. in Sicilia exeunte anno u.c. 708.

CAECINA CICERONI PLUR. SAL

Quod tibi non tam celeriter liber est redditus, ignosce timori nostro et miserere temporis. Filius, ut audio, pertimuit, neque iniuria, si liber exisset—quoniam non tam interest, quo animo scribatur, quam quo accipiatur—, ne ea res inepte mihi noceret, cum praesertim adhuc stili poenas dem. Qua quidem in re singulari sum fato; nam, cum mendum scripturae litura tollatur, stultitia fama multetur, meus error exsilio corrigitur, cuius summa criminis est, quod armatus adversario male dixi. Nemo nostrum est, ut opinor, quin vota Victoriae suae fecerit, nemo, quin etiam, cum de alia re immolaret, tamen eo quidem ipso tempore, ut quam primum Caesar superaretur, optarit: hoc si non cogitat, omnibus rebus felix est; si scit et persuasus est, quid irascitur ei, qui aliquid scripsit contra suam voluntatem, cum ignorit omnibus, qui multa deos venerati sunt contra eius salutem? Sed, ut eodem revertar, causa haec fuit timoris: scripsi de te parce medius fidius et timide, non revocans me ipse, sed paene refugiens; genus autem hoc scripturae non modo liberum, sed incitatum atque elatum esse debere quis ignorat? solutum existimatur esse alteri male dicere—tamen cavendum est, ne in petulantiam incidas—; impeditum se ipsum laudare, ne vitium arrogantiae subsequatur; solum vero liberum alterum laudare, de quo quidquid detrahas, necesse est aut infirmitati aut invidiae assignetur. Ac nescio an tibi gratius opportuniusque acciderit; nam, quod praeclare facere non poteram, primum erat non attingere, secundum beneficium quam parcissime facere. Sed tamen ego quidem me sustinui: multa minui, multa sustuli, complura ne posui quidem; quemadmodum igitur, scalarum gradus si alios tollas, alios incidas, nonnullos male haerentes relinquas, ruinae periculum struas, non ascensum pares, sic tot malis tum victum tum fractum studium scribendi quid dignum auribus aut probabile potest afferre? Cum vero ad ipsius Caesaris nomen veni, toto corpore contremesco, non poenae metu, sed illius iudicii; totum enim Caesarem non novi: quem putas animum esse, ubi secum loquitur? "Hoc probabit: hoc verbum suspiciosum est. Quid, si hoc muto? at vereor, ne peius sit. Age vero, laudo aliquem: non offendo? cum porro offendam, quid, si non vult? armati stilum persequitur: victi et nondum restituti quid faciet?" Auges etiam tu mihi timorem, qui in Oratore tuo caves tibi per Brutum et ad excusationem socium quaeris: ubi hoc omnium patronus facit, quid me, veterem tuum, nunc omnium clientem, sentire oportet? In hac igitur calumnia timoris et caecae suspicionis tormento, cum plurima ad alieni sensus coniecturam, non ad suum iudicium scribantur, quam difficile sit evadere, si minus expertus es, quod te ad omnia summum atque excellens ingenium armavit, nos sentimus. Sed tamen ego filio dixeram, librum tibi legeret et auferret, aut ea condicione daret, si reciperes te correcturum, hoc est, si totum alium faceres. De Asiatico itinere, quamquam summa necessitas premebat, ut imperasti, feci. Te pro me quid horter? vides tempus venisse, quo necesse sit de nobis constitui. Nihil est, mi Cicero, quod filium meum exspectes: adolescens est; omnia excogitare vel studio vel aetate vel metu non potest. Totum negotium tu sustineas oportet; in te mihi omnis spes est. Tu pro tua prudentia, quibus rebus gaudeat, quibus capiatur Caesar, tenes: a te omnia proficiscantur et per te ad exitum perducantur necesse est; apud ipsum multum, apud eius omnes plurimum potes. Unum tibi si persuaseris, non hoc esse tui muneris, si quid rogatus fueris, ut facias—quamquam id magnum et amplum est—, sed totum tuum esse onus, perficies: nisi forte aut in miseria nimis stulte aut in amicitia nimis impudenter tibi onus impono; sed utrique rei excusationem tuae vitae consuetudo dat, nam, quod ita consuesti pro amicis laborare, non iam sic sperant abs te, sed etiam sic imperant tibi familiares. Quod ad librum attinet, quem tibi filius dabit, peto a te, ne exeat, aut ita corrigas, ne mihi noceat.

486. — DE CÉCINA A CICÉRON.

F. VI, 7. Si j'ai tardé à vous envoyer mon livre, pardonnez à mes scrupules et prenez pitié de ma position. Mon fils craint non sans raison la publicité. Qu'importe, en effet, le sentiment dans lequel il est écrit, si tout dépend des dispositions du lecteur auquel on s'adresse? et cette seconde publication ne va-t-elle pas sottement encore envenimer mon mal, quand je suis déjà tout meurtri de la première? Étrange destinée que la mienne! un auteur fait une faute, il l'efface, et c'est fini. Un autre publie un sot ouvrage, il n'encourt d'autre peine que la publicité : mais moi, on me punit d'une erreur par l'exil, moi dont tout le crime est d'avoir, dans le combat, souhaité du mal à mon ennemi. Il n'y a pas un seul de nous, je pense, qui n'ait adressé des vœux pour le triomphe de son parti ; pas un qui, offrant des sacrifices aux Dieux, même pour d'autres objets, n'ait mêlé à ses invocations d'ardents souhaits pour la défaite de César. S'il ne le croit pas, il est bien heureux. S'il le sait, s'il n'en peut douter, comment expliquer la persévérance de sa colère pour quelques lignes contre lui, et son indulgence envers les hommes qui ont tant de fois invoqué les Dieux pour sa perte? — Mais, pour en revenir au début de ma lettre, je craignais de vous envoyer mon livre, et voici pourquoi. J'y ai peu parlé de vous, et je n'en ai parlé qu'en peureux. Je n'ai pourtant pas rétracté les louanges que je vous avais données dans mon premier 440 écrit, mais j'ai l’air de ne les reproduire qu'a regret . Or, qui ne sait qu'il faut avoir ses coudées franches pour aborder un genre qui veut de l'entraînement et une certaine élévation? L'auteur d'un pamphlet semble pouvoir hardiment se donner carrière; encore faut-il qu'il ne pousse pas la satire jusqu'au dévergondage. Il est, au contraire, bien embarrassant de se louer soi-même sans se faire accuser d'outrecuidance. Le champ ne sera-t-il donc parfaitement libre que pour l'éloge d'un autre? Oui, si on loue sans réserve; car à la moindre restriction, voilà le panégyriste accusé d'impuissance ou d'envie. Je ne sais ni si vous reconnaîtrez l'opportunité, ni si vous approuverez le résultat des efforts que j'ai faits pour voguer a travers tant d'écueils. Le mieux eût été sans doute de ne pas braver un péril dont je ne pouvais me tirer avec honneur. Le moins mal ensuite était de le proportionner à ma faiblesse. Aussi ai-je tenu en bride l'ardeur qui m'y entraînait. Que de teintes j'ai affaiblies! que de traits j'ai sacrifiés ! que de lacunes je n'ai pas même essayé de remplir! Représentez-vous un escalier, dont on aurait supprimé plusieurs degrés, rompu quelques-uns ça et là, laissé d''autres mal joints et vacillants, escalier qui servirait moins à monter qu'il ne serait propre à faire tomber, Voilà mon livre. Pauvre auteur chargé d'entraves et brisé en tous sens, comment trouverais-tu assez de verve pour éveiller l'attention et commander l'intérêt? — Mais c'est bien pis, lorsque le nom de César arrive : alors je tremble de tous mes membres ; ce n'est pas sa vengeance, c'est son jugement qui me fait peur. Moi, je ne connais pas à fond César : jugez donc des perplexités d'un auteur qui se parle ainsi à lui-même : « Ceci plaira; ce mot sera mal pris : si je le changeais? Mais ne sera-ce point pis? Passons : voici l'éloge d'un autre : ne s'en choquera-t-il point? quand il s'en choquerait, que faire s'il ne veut rien entendre? On s'acharne contre l'auteur soldat et combattant : qu'espérer pour l'auteur vaincu et proscrit? » Mes craintes redoublent quand je vous vois, vous, dans votre Orateur, mettre Brutus en avant, et vous excuser en quelque sorte à la faveur de sa complicité. Si le patron officiel des autres en est réduit là, qu'attendre pour son ancien client, aujourd'hui le client de tout le monde? Quand on a peur de chaque mot ; quand on tremble à chaque ligne; quand, au lieu de suivre le mouvement de sa pensée, on doit se régler sur la pensée d'un autre qu'on ne connaît qu'imparfaitement, il est bien difficile de sortir de l'épreuve à son honneur. Vous n'avez peut-être jamais éprouvé cet embarras, vous qui, avec la souplesse et la supériorité de votre esprit, vous jouez de tous les écueils. Mais moi, j'en fais la dure expérience. Je n'en avais pas moins dit à mon fils de vous lire mon livre, puis de me le rapporter, même de vous le laisser, mais à charge par vous de le revoir ou même de le refaire. —Je renonce au voyage d'Asie, et malgré les plus impérieux motifs, je me rends à vos observations. Qu'ai-je besoin de nie recommander à vous? Vous voyez vous-même que le moment est venu où l'on va prendre un parti. Eh bien, mon cher Cicéron, ne vous en rapportez en rien à mon fils. Il est jeune : dans l'excès de son zèle, dans l'inexpérience de son âge, au milieu de ses anxiétés, il ne saurait penser à tout. Chargez-vous du fardeau entier. En vous seul est mon espoir. Vous êtes pénétrant : vous savez comment on plaît à César, par quelle voie on arrive à son coeur : que tout vienne de vous, que jusqu'à la fin tout se fasse par vous. Vous avez une grande influence sur lui, une plus grande encore sur son entourage. Il ne faut que vous persuader à vous-même qu'il ne s'agit pas seulement de faire inci- 441 demment telle ou telle démarche qui vous serait demandée, ce qui déjà d'ailleurs serait immense, mais qu'il s'agit de prendre seul la conduite et la responsabilité de mon affaire. Alors le succès viendra, je n'en doute pas; à moins toutefois que le malheur ne m'aveugle, ou que ma téméraire amitié ne passe la mesure de ses exigences. Sous ce double rapport, je trouverais mon excuse dans les habitudes de votre vie. Vous avez si bien accoutumé vos amis à vous voir préoccupé de ce qui les touche, qu'ils se croient en droit non seulement d'attendre, mais encore d'exiger tout de votre bonté. J'en reviens à mon livre : mon fils vous le remettra; mais de grâce, ne le laissez point paraître, ou corrigez-le, et ôtez tout ce qui pourrait nuire.

 VIII. Scr. Romae exeunte anno u.c. 708.

CICERO CAECINAE

Cum esset mecum Largus, homo tui studiosus, locutus Kalendas Ianuarias tibi praefinitas esse, quod omnibus rebus perspexeram, quae Balbus et Oppius absente Caesare egissent, ea solere illi rata esse, egi vehementer cum iis, ut hoc mihi darent, tibi in Sicilia, quoad vellemus, esse uti liceret. Qui mihi consuessent aut libenter polliceri, si quid esset eiusmodi, quod eorum animos non offenderet, aut etiam negare et afferre rationem, cur negarent, huic meae rogationi vel efflagitationi potius non continuo responderunt; eodem die tamen ad me reverterunt; mihi hoc dederunt, ut esses in Sicilia, quoad velles; se praestaturos nihil ex eo te offensionis habiturum. Quoniam, quid tibi permittatur, cognosti, quid mihi placeat, puto te scire oportere. Actis his rebus litterae a te mihi redditae sunt, quibus a me consilium petis, quid sim tibi auctor, in Siciliane ut subsidas an ut ad reliquias Asiaticae negotiationis proficiscare. Haec tua deliberatio non mihi convenire visa est cum oratione Largi; ille enim mecum, quasi tibi non liceret in Sicilia diutius commorari, ita locutus erat, tu autem, quasi concessum sit, ita deliberas. Sed ego, sive hoc sive illud est, in Sicilia censeo commorandum: propinquitas locorum vel ad impetrandum adiuvabit crebris litteris et nuntiis vel ad reditus celeritatem re aut impetrata, quod spero, aut aliqua ratione confecta; quamobrem censeo magno opere commorandum. T. Furfanio Postumo, familiari meo, legatisque eius, item meis familiaribus, diligentissime te commendabo, cum venerint; erant enim omnes Mutinae: viri sunt optimi et tui similium studiosi et mei necessarii. Quae mihi venient in mentem, quae ad te pertinere arbitrabor, ea mea sponte faciam: si quid ignorabo, de eo admonitus omnium studia vincam. Ego etsi coram de te cum Furfanio ita loquar, ut tibi litteris meis ad eum nihil opus sit, tamen, quoniam tuis placuit te habere meas litteras, quas ei redderes, morem iis gessi: earum litterarum exemplum infra scriptum est.

484. - CÉCINA. Rome.

F. VI, 8. J'ai rencontré l'autre jour Largus: c'est un des hommes qui s'occupent le plus de vous. Il me dit qu'on ne vous avait laissé que jusqu'aux kalendes de janvier. Comme je sais que César ratifie tout ce que Balbus et Oppius font en son absence, j'ai été leur demander pour vous la permission de demeurer en Sicile au delà de ce terme, et aussi longtemps que nous le jugerions nécessaire. Quand il n'y a pas d'objections à mes demandes, ils me répondent toujours oui; s'ils disent non, ils m'expliquent leurs motifs. Cette fois, ils crurent devoir attendre ; mais la journée n'était point passée que je les revis. Vous resterez en Sicile tant que vous voudrez. César ne s'en formalisera point, ils en font leur affaire. Vous voilà donc libre, mais il faut examiner ce qui convient le mieux. — Je venais de faire ces démarches, lorsque j'ai reçu la lettre où vous me demandez conseil, et me priez de décider si vous resterez en Sicile, ou si vous irez achever vos affaires en Asie. Ceci ne s'accorde point avec les paroles de Largus. A l'entendre, le séjour en Sicile vous était absolument interdit. Votre question implique le contraire, et vous hésitez seulement sur le parti à prendre. Mais, dans un cas comme dans l'autre, mon avis est que vous demeuriez en Sicile. La proximité permet l'échange plus fréquent des lettres et des courriers, elle favorise ainsi le succès. Si on réussit, et j'y compte, le retour est plus prompt ; enfin on sait plus tôt à quoi s'en tenir. Demeurez donc, c'est mon avis, tout à fait mon avis. — Je vous recommanderai très particulièrement à T. Furfanius Postumus, qui est mon ami; et à ses lieutenants, tous mes amis (le même. On les attend. Ils sont à Modène. Ce sont des gens parfaits, bons pour tous ceux qui sont dans votre position; et notre liaison est intime. Si je vois quelque chose à faire dans votre intérêt, je le ferai sans attendre qu'on me le dise. Si quelque chose m'échappe, qu'on m'avertisse, et je me mettrai en quatre. Je compte parler à Furfanius en des termes qui m'eussent dispensé de lui écrire; mais votre famille souhaite que vous ayez une lettre de moi à lui remettre. Je me rends à ce voeu. Voici la lettre.

  IX. Scr. Romae exeunte anno u.c. 708.

M. CICERO T. FURFANIO PROCOS. S

Cum A. Caecina tanta mihi familiaritas consuetudoque semper fuit, ut nulla maior esse possit; nam et patre eius, claro homine et forti viro, plurimum sum usus et hunc a puero, quod et spem magnam mihi afferebat summae probitatis summaeque eloquentiae et vivebat mecum coniunctissime non solum amicitiae officiis, sed etiam studiis communibus, sic semper dilexi, nullo ut cum homine coniunctius viverem. Nihil attinet me plura scribere; quam mihi necesse sit eius salutem et fortunas quibuscumque rebus possim tueri, vides. Reliquum est, ut, cum cognorim pluribus rebus, quid tu et de bonorum fortuna et de rei publicae calamitatibus sentires, nihil a te petam, nisi ut ad eam voluntatem, quam tua sponte erga Caecinam habiturus es, tantus cumulus accedat commendatione mea, quanti me a te fieri intelligo: hoc mihi gratius facere nihil potes. Vale.

485. — A T. FURFANIUS, proconsul. Rome.

F. VI, 9. Je suis lié avec A. Cécina d'une amitié sans égale. J'ai été lié d'abord fort étroitement avec son père, homme de beaucoup de distinction et de caractère. Je pris de bonne heure une haute idée des sentiments et du mérite du fils. Nous ne nous quittions pas, tant nous étions attires l'un vers l'autre par le penchant de nos coeurs et la conformité de nos goûts. Enfin je l'aime si tendrement que je n'ai pas vraiment de meilleur ami. Je n'en dirai pas davantage. Ce peu de mots suffit pour vous faire comprendre que je dois m’intéresser à son sort et le défendre de toutes mes forces. Je sais parfaitement quel est le fond de votre pensée sur la situation des gens de bien et les malheurs de la république; d'avance vos bonnes dispositions sont acquises à Cécina. Mais soyez meilleur encore pour lui que pour les autres : je vous le demande afin qu'il sache ce que vous avez de déférence et de bouté pour moi. Rien ne peut vous donner plus de droits â ma reconnaissance.

 Xa. Scr. Romae a.u.c. 708.

CICERO TREBIANO S. D

Ego quanti te faciam semperque fecerim quantique me a te fieri intellexerim, sum mihi ipse testis; nam et consilium tuum vel casus potius diutius in armis civilibus commorandi semper mihi magno dolori fuit, et hic eventus, quod tardius, quam est aequum et quam ego vellem, reciperas fortunam et dignitatem tuam, mihi non minori curae est, quam tibi semper fuerunt casus mei. Itaque et Postumuleno et Sestio et saepissime Attico nostro proximeque Theudae, liberto tuo, totum me patefeci et hoc iis singulis saepe dixi, quacumque re possem, me tibi et liberis tuis satisfacere cupere, idque tu ad tuos velim scribas, haec quidem certe, quae in potestate mea sunt, ut operam consilium, rem fidem meam sibi ad omnes res paratam putent. Si auctoritate et gratia tantum possem, quantum in ea re publica, de qua ita meritus sum, posse deberem, tu quoque is esses, qui fuisti, cum omni gradu amplissimo dignissimus, tum certe ordinis tui facile princeps, sed, quoniam eodem tempore eademque de causa nostrum uterque cecidit, tibi et illa polliceor, quae supra scripsi, quae sunt adhuc mea, et ea, quae praeterea videor mihi ex aliqua parte retinere tamquam ex reliquiis pristinae dignitatis: neque enim ipse Caesar, ut multis rebus intelligere potui, est alienus a nobis et omnes fere familiarissimi eius casu devincti magnis meis veteribus officiis me diligenter observant et colunt. Itaque, si qui mihi erit aditus de tuis fortunis, id est de tua incolumitate, in qua sunt omnia, agendi, quod quidem quotidie magis ex eorum sermonibus adducor ut sperem, agam per me ipse et moliar. Singula persequi non est necesse: universum studium meum et benevolentiam ad te defero. Sed magni mea interest hoc tuos omnes scire, quod tuis litteris fieri potest ut intelligant, omnia Ciceronis patere Trebiano. Hoc eo pertinet, ut nihil existiment esse tam difficile, quod non pro te mihi susceptum iucundum sit futurum.

Xb. Scr. Romae a.u.c. 708.

Antea misissem ad te litteras, si genus scribendi invenirem; tali enim tempore aut consolari amicorum est aut polliceri: consolatione non utebar, quod ex multis audiebam, quam fortiter sapienterque ferres iniuriam temporum quamque te vehementer consolaretur conscientia factorum et consiliorum tuorum; quod quidem si facis, magnum fructum studiorum optimorum capis, in quibus te semper scio esse versatum, idque ut facias etiam atque etiam te hortor. Simul et illud tibi, homini peritissimo rerum et exemplorum et omnis vetustatis, ne ipse quidem rudis, sed in studio minus fortasse, quam vellem, in rebus atque usu plus etiam, quam vellem, versatus spondeo, tibi istam acerbitatem et iniuriam non diuturnam fore; nam et ipse, qui plurimum potest, quotidie mihi delabi ad aequitatem et ad rerum naturam videtur et ipsa causa ea est, ut iam simul cum re publica, quae in perpetuum iacere non potest, necessario revivescat atque recreetur, quotidieque aliquid fit lenius et liberalius, quam timebamus: quae quoniam in temporum inclinationibus saepe parvis posita sunt, omnia momenta observabimus neque ullum praetermittemus tui iuvandi et levandi locum. Itaque illud alterum, quod dixi, litterarum genus quotidie mihi, ut spero, fiet proclivius, ut etiam polliceri possim: id re quam verbis faciam libentius. Tu velim existimes et plures te amicos habere, quam qui in isto casu sint ac fuerint, quantum quidem ego intelligere potuerim, et me concedere eorum nemini. Fortem fac animum habeas et magnum, quod est in uno te: quae sunt in fortuna, temporibus regentur et consiliis nostris providebuntur.

540. — A TRÉBIATUS. Rome.

.F. VI, 10, 1e part. Mon cœur me rend témoignage des sentiments que je vous porte et vous ai toujours portés, ainsi que de ceux que j'ai toujours aussi trouvés chez vous. Avec quel chagrin n'ai-je pas vu le hasard, votre volonté peut-être, vous retenir si longtemps au milieu des partis armés! Et si votre réintégration dans vos biens et vos dignités tarde trop aujourd'hui au gré de la justice et de mes vœux, n'eu suis-je pas tourmenté comme vous l'étiez jadis de mes disgrâces? J'ai ouvert mon cœur à Postumulénus, à Sextius, à Atticus surtout, à Theudan votre affranchi. Ils savent tous combien je serais heureux de vous être utile à vous et à vos enfants. Je le leur ai dit cent fois, et je vous prie de répéter à votre famille que je suis prêt à faire pour vous tout ce qui dépend de moi; et, par exemple, des démarches, des conseils, des sacrifiées, des garanties ne leur manqueront jamais de ma part. Si j'avais autant de crédit et d'influence que je le devrais, après les services que j'ai rendus à la république, on vous verrait bientôt redevenir ce que vous étiez, c'est-à-dire en passe d'arriver à tout, et assurément le premier de votre ordre. Mais nous sommes tombés l'un et l'autre, en même temps, dans la même lutte, et je ne puis vous offrir que ce qui est encore à moi, je viens de vous le dire tout à l'heure, outre peut-être quelque débris qui surnage de mon ancienne prépondérance. Il est certain que César n'a pas d'éloignement pour moi, beaucoup d'indices me le prouvent. Il n'est d'ailleurs aucun de ses intimes qui ne soit mon obligé d'autrefois, et qui ne me prodigue maintenant des marques de considération et d'attachement. Si donc je vois quelque jour pour la restitution de vos biens ou plutôt pour votre rappel , car tout est là, croyez que je m'y emploierai de toutes mes forées; et ce que j'entends augmente chaque jour mes espérances. Je n'entre, dans aucun détail. Mon esprit et ma pensée ne sont occupés que de vous : c'est tout dire. Seulement il m'importe que votre famille ne l'ignore point. Veuillez le lui écrire. Il faut qu'ils sachent que Cicéron est tout entier à Trébianus, et qu'ils se persuadent surtout que pour vous servir je trouverais du charme même aux démarches les plus pénibles.

 538. — A TRÉBIANUS. Rome.

F.VI, 10, 2e part. Je vous aurais écrit plus tôt si j'avais su quel langage vous tenir. Dans les circonstances où nous sommes, on attend de ses amis des consolations ou des espérances ; des consolations , je n'avais pas à vous en offrir. Tout le monde parle du courage et de la philosophie que vous opposez à l'injustice du temps, et des compensations puissantes que vous trouvez dans les témoignages de votre conscience. S'il en est ainsi, vous vous faites la meilleure application de ces excellentes études dont je vous sais toujours occupé. Persévérez, je vous y engage plus que jamais , et retenez bien ceci : je parle à l'homme qui a le plus d'expérience personnelle, qui a le mieux observé son époque, le plus étudié l'antiquité. Moi, je ne saurais passer pour novice. Mais j'ai donne moins de temps que je n'ai voulu à l'étude, plus au contraire aux affaires, à la pratique des hommes et des choses. Eh bien! j'ose prédire que cette période d'injustices et de persécutions ne durera point. Déjà ce pouvoir excessif d'un seul semble reprendre insensiblement le niveau, et notre cause est si bien liée à celle de la république, dont l'abaissement ne peut être sans terme, que nous devons nécessairement nous relever et revivre avec elle. Chaque jour voit éclore des nouvelles plus douces et plus conformes à l'esprit de liberté, comme le moment propice nait souvent de rien. Je serai aux aguets, et je ne laisserai pas passer la plus petite occasion de vous aider et de vous servir. — J'avais parlé d'espérances : c'est le second texte de ma lettre. Eh bien! la pente des choses vous favorise, et bientôt, je pense, j'aurai même des assurances positives a vous donner. Vous pouvez déjà compter, et je ne le dis pas à la légère, que vous avez plus d'amis qu'aucun de ceux qui se trouvent ou se sont trouves dans votre position, et vous n'en avez aucun de plus dévoué que moi. Restez fidèle aux courageuses et nobles inspirations de votre cœur : cela dépend de vous. Quant à ce qui dépend de la fortune, le temps amènera les occasions dont mon zèle saura profiter.

 

  XI. Scr. Romae a.u.c. 709.

[M.] CICERO S. D. TREBIANO

Dolabellam antea tantummodo diligebam, obligatus ei nihil eram—nec enim acciderat mihi opus esse, et ille mihi debebat, quod non defueram eius periculis—: nunc tanto sum devinctus eius beneficio, quod et antea in re et hoc tempore in salute tua cumulatissime mihi satisfecit, ut nemini plus debeam. Qua in re tibi gratulor ita vehementer, ut te quoque mihi gratulari quam gratias agere malim: alterum omnino non desidero, alterum vere facere poteris. Quod reliquum est, quoniam tibi virtus et dignitas tua reditum ad tuos aperuit, est tuae sapientiae magnitudinisque animi, quid amiseris, oblivisci, quid reciperaris, cogitare: vives cum tuis, vives nobiscum; plus acquisisti dignitatis quam amisisti rei familiaris, quae ipsa tum esset iucundior, si ulla res esset publica. Vestorius, noster familiaris, ad me scripsit te mihi maximas gratias agere: haec praedicatio tua mihi valde grata est eaque te uti facile patior, cum apud alios, tum mehercule apud Syronem, nostrum amicum; quae enim facimus, ea prudentissimo cuique maxime probata esse volumus. Te cupio videre quam primum.

655. — A TRÉBATIUS; peut-être à TORQUATUS. Rome.

F. VI, 11. Jusqu'ici j'ai été l'ami de Dolabella; je n'étais pas son obligé , n'ayant jamais eu besoin de lui , tandis qu'il me devait, lui , de m'avoir trouvé dans le danger. Mais aujourd'hui qu'il vient de sauver votre fortune et notre vie, je me sens tellement entraîné par la reconnaissance qu'il n'est personne à qui je me croie plus obligé qu'à lui. Je vous félicite , et ma joie en est si grande que je vous demande aussi des félicitations plutôt que des remercîments. Des remerciements me déplairaient. Des félicitations, vous pouvez m'en adresser. A présent que vos vertus et votre considération vous rouvrent le chemin de vos foyers , il est d'un sage , il est d'une âme forte d'oublier ce que vous perdez pour ne songer qu'à ce qui vous est rendu. Vous vivrez au milieu des vôtres au milieu de nous; vous avez acquis en estime plus que vous n'avez perdu en fortune. La fortune! quelle jouissance peut-elle offrir, quand la république n'existe plus? — Notre ami Vestorius m'écrit que vous lui avez parlé dans les termes le plus vifs de votre gratitude. Ce besoin de votre cœur de s'expliquer sur moi me touche, et vous parleriez encore de vos sentiments à notre ami Syron, par exemple, que je ne saurais m'en offenser. Dans tout ce qu'on fait on tient à obtenir l'approbation des hommes graves. J'ai hâte de vous voir.

 XII. Scr. Romae a.u.c. 708.

CICERO AMPIO SAL. PLUR

Gratulor tibi, mi Balbe, vereque gratulor nec sum tam stultus, ut te usura falsi gaudii frui velim, deinde frangi repente atque ita cadere, ut nulla res te ad aequitatem animi possit postea extollere. Egi tuam causam apertius, quam mea tempora ferebant; vincebatur enim fortuna ipsa debilitatae gratiae nostrae tui caritate et meo perpetuo erga te amore culto a te diligentissime. Omnia promissa confirmata certa et rata sunt, quae ad reditum et ad salutem tuam pertinent: vidi, cognovi, interfui; etenim omnes Caesaris familiares satis opportune habet implicatos consuetudine et benevolentia sic, ut, cum ab illo discesserint, me habeant proximum. Hoc Pansa, Hirtius, Balbus, Oppius, Matius, Postumus plane ita faciunt, ut me unice diligant: quod si mihi per me efficiundum fuisset, non me poeniteret pro ratione temporum ita esse molitum; sed nihil est a me inservitum temporis causa, veteres mihi necessitudines cum iis omnibus intercedunt, quibuscum ego agere de te non destiti. Principem tamen habuimus Pansam, tui studiosissimum, mei cupidum, qui valeret apud illum non minus auctoritate quam gratia. Cimber autem Tillius mihi plane satisfecit; valent enim apud Caesarem non tam ambitiosae rogationes quam necessariae, quam quia Cimber habebat, plus valuit, quam pro ullo alio valere potuisset. Diploma statim non est datum, quod mirifica est improbitas in quibusdam, qui tulissent acerbius veniam tibi dari, quam illi appellant tubam belli civilis multaque ita dicunt, quasi non gaudeant id bellum incidisse. Quare visum est occultius agendum neque ullo modo divulgandum de te iam esse perfectum; sed id erit perbrevi, nec dubito, quin legente te has litteras confecta iam res futura sit: Pansa quidem mihi, gravis homo et certus, non solum confirmavit, verum etiam recepit perceleriter se ablaturum diploma. Mihi tamen placuit haec ad te perscribi; minus enim te firmum sermo Eppuleiae tuae lacrimaeque Ampiae declarabant, quam significant tuae litterae, atque illae arbitrabantur, quoniam a te abessent ipsae, multo in graviore te cura futurum; quare magno opere putavi angoris et doloris tui levandi causa pro certis ad te ea, quae essent certa, perscribi. Scis me antea sic solitum esse scribere ad te, magis ut consolarer fortem virum atque sapientem, quam ut exploratam spem salutis ostenderem, nisi eam, quam ab ipsa re publica, cum hic ardor restinctus esset, sperari oportere censerem. Recordare tuas litteras, quibus et magnum animum mihi semper ostendisti et ad omnes casus ferendos constantem ac paratum; quod ego non mirabar, cum recordarer te et a primis temporibus aetatis in re publica esse versatum et tuos magistratus in ipsa discrimina incidisse salutis fortunarumque communium et in hoc ipsum bellum esse ingressum, non solum ut victor beatus, sed etiam ut, si ita accidisset, victus sapiens esses. Deinde, cum studium tuum consumas in virorum fortium factis memoriae prodendis, considerare debes nihil tibi esse committendum, quamobrem eorum, quos laudas, te non simillimum praebeas. Sed haec oratio magis esset apta ad illa tempora, quae iam effugisti: nunc vero tantum te para ad haec nobiscum ferenda, quibus ego si quam medicinam invenirem, tibi quoque eandem traderem; sed est unum perfugium doctrina ac litterae, quibus semper usi sumus, quae secundis rebus delectationem modo habere videbantur, nunc vero etiam salutem. Sed, ut ad initium revertar, cave dubites, quin omnia de salute ac reditu tuo perfecta sint.

522. — A AMPIUS BALBUS. Rome.

F. VI, 12. Réjouissez-vous, mon cher Balbus , réjouissez-vous sans crainte. Je ne suis pas homme à vous donner une fausse joie pour vous exposer a un fâcheux retour et vous faire retomber ensuite tout à plat. Je me suis mis en avant plus peut-être qu'il ne convenait à ma position. Mais en dépit de la fortune, ces sentiments d'affection et de dévouement que vous avez su si bien entretenir en moi, ont fait ce que mon crédit ne pouvait plus faire. Votre rappel est promis, avec sûreté pour votre personne, promis, confirmé , ratifié. J'ai veillé, assisté, présidé à tout. Fort heureusement, je me trouve avec les familiers de César dans les rapports les meilleurs et les plus intimes, si bien que pour eux , après César, c'est moi. Tels sont Pansa , Hirtius, Balbus , Oppius, Matius, Postumius, tous mes amis, aucun ne s'en cache. Eût-il fallu faire personnellement quelques concessions aux circonstances, ma conscience politique ne s'en fût pas fait scrupule; mais je n'ai eu à payer aucun tribut de ce genre; je n'ai eu qu'à invoquer les droits d'une vieille amitié, et c'est à quoi je m'étais attaché sans relâche. Dans le résultat, mettez l'influence de Pansa en première ligne. Son amitié est grande pour vous et il tient fort à la mienne. Il peut tout sur quelqu'un qui l'aime vivement et ne le considère pas moins. J'ai beaucoup à me louer aussi de Cimber Tillius. On obtient plus de César en faisant parler le cœur que les sollicitations officielles. Cimber était en position, et il a réussi pour vous mieux qu'on ne fera jamais pour un autre. — Cependant le diplôme n'est pas encore délivré, parce que la malveillance a de merveilleux raffinements, et qu'il y a des gens furieux de votre grâce, disant partout que c'est un nouveau tocsin de guerre civile. Ne dirait-on pas à les entendre qu'ils ont été désolés de la guerre? Toujours est-il qu'il a fallu user de discrétion et ne pas rendre officiel ce qui est déjà fait. Mais l'attente ne sera pas longue, et je suis convaincu même qu'au moment ou vous lirez cette lettre tout sera fini. Pansa, homme grave et qui ne s'avance pas a la légère, m'en a donné l'assurance, et, qui plus est, m'a dit qu'il saurait bien enlever sur-le-champ le diplôme. Je n'attends pas pour vous donner ces nouvelles; les confidences d'Eppuleia et les larmes d'Ampia m'ont appris que vous êtes moins résigné que ne le témoignent vos lettres. Elles sont persuadées que leur éloignement a dû ajouter beaucoup à votre abattement. Aussi est-ce en vue d'adoucir vos tourments et vos angoisses que je m'empresse de vous donner d'avance pour certain ce qui certainement se fera. Jusqu'ici, vous le savez, je me suis adressé à votre constance et à votre philosophie sans vous flatter d'aucun espoir. Je n'en voyais en effet pour vous que dans le retour de l'ordre, après que l'effervescence du moment serait calmée. Rappelez-vous vos propres lettres. N'y voyais-je pas toujours le langage d'une âme forte, préparée et résignée à tout? Cela me paraissait tout simple de la part d'un homme mêlé aux affaires publiques dès ses plus jeunes années, et dont les magistratures ont coïncidé avec les époques les plus critiques et les plus grands périls de l'Etat, d'un homme qui n'a pas tiré l'épée, sans un parti pris d'accepter la victoire avec joie ou la défaite avec résignation. J'ajoute qu'occupé sans cesse comme vous l'êtes à retracer dans vos écrits l'histoire des grands hommes , vous devez veiller soigneusement à ne pas mettre votre conduite en contradiction avec les exemples que vous célébrez. Mais nous voila sorti des temps où ces indexions auraient été plus de mise. Préparez-vous seulement à souffrir avec nous les temps où vous entrez. Si l'on pouvait y porter remède, je ne ferais faute de vous le dire, mais je n'en vois pas d'autre que l'étude et les lettres, notre occupation habituelle, charme de la vie dans les beaux jours et aujourd'hui notre seul ancre de salut. — Je finirai par où j'ai commencé : Ne doutez pas de votre rappel avec toutes garanties de sûreté, c'est chose faite et parfaite.

 XIII. Scr. Romae exeunte a.u.c. 708.

CICERO LIGARIO

Etsi tali tuo tempore me aut consolandi aut iuvandi tui causa scribere ad te aliquid pro nostra amicitia oportebat, tamen adhuc id non feceram, quia neque lenire videbar oratione neque levare posse dolorem tuum; postea vera quam magnam spem habere coepi fore, ut te brevi tempore incolumem haberemus, facere non potui, quin tibi et sententiam et voluntatem declararem meam. Primum igitur scribam, quod intelligo et perspicio, non fore in te Caesarem duriorem; nam et res eum quotidie et dies et opinio hominum et, ut mihi videtur, etiam sua natura mitiorem facit, idque cum de reliquis sentio, tum de te etiam audio ex familiarissimis eius, quibus ego ex eo tempore, quo primum ex Africa nuntius venit, supplicare una cum fratribus tuis non destiti, quorum quidem et virtute et pietate et amore in te singulari et assidua et perpetua cura salutis tuae tantum proficitur, ut nihil sit, quod non ipsum Caesarem tributurum existimem; sed, si tardius fit, quam volumus, magnis occupationibus eius, a quo omnia petuntur, aditus ad eum difficiliores fuerunt, et simul Africanae causae iratior diutius velle videtur eos habere sollicitos, a quibus se putat diuturnioribus esse molestiis conflictatum, sed hoc ipsum intelligimus eum quotidie remissus et placatius ferre: quare mihi crede—et memoriae manda me tibi id affirmasse—te in istis molestiis diutius non futurum. Quoniam, quid sentirem, exposui, quid velim tua causa, re potius declarabo quam oratione: si tantum possem, quantum in ea re publica, de qua ita sum meritus, ut tu existimas, posse debebam, ne tu quidem in istis incommodis esses; eadem enim causa opes meas fregit, quae tuam salutem in discrimen adduxit; sed tamen, quidquid imago veteris meae dignitatis, quidquid reliquiae gratiae valebunt, studium, consilium, opera, [gratia,] fides mea nullo loco deerit tuis optimis fratribus. Tu fac habeas fortem animum, quem semper habuisti, primum ob eas causas, quas scripsi, deinde quod ea de re publica semper voluisti atque sensisti, ut non modo nunc secunda sperare debeas, sed etiam, si omnia adversa essent, tamen conscientia et factorum et consiliorum tuorum, quaecumque acciderent, fortissimo et maximo animo ferre deberes.

473. - A LIGARIUS. Rome, septembre.

F. VI, 13. Mon amitié doit à vos malheurs des consolations et des conseils. Si je ne vous ai point écrit jusqu'à ce moment, c'est que je cherchais en vain des paroles pour adoucir vos maux et des secrets pour les guérir. J'ai aujourd'hui plus d'une raison de croire que vous nous serez bientôt rendu, et je ne puis me défendre de vous parler de mes espérances et de mes voeux. César ne vous tiendra pas rigueur, je le devine et le vois. La nature de ses griefs, le temps, l'opinion publique, et même, à ce qu'il me semble, son propre caractère, tout contribue à lui inspirer chaque jour plus de modération. J'en ai la conviction pour les autres. Quant à vous personnellement, ses amis les plus intimes me l'assurent, et depuis les premières nouvelles d'Afrique, je ne cesse de les harceler de concert avec vos frères. Leur courage, leur vertu, leur incomparable tendresse, leur activité toujours éveillée, ont si bien fait, que César n'est plus, selon moi, en situation de nous rien refuser. Si la décision tarde au gré de nos voeux, c'est qu'il est assiégé de toutes parts, et qu'on a bien de la peine à arriver à lui. Il faut dire de plus que les affaires d'Afrique l'ont piqué au vif, et il n'est pas fâché sans doute de faire un peu languir ceux à qui il impute la prolongation de ses embarras et de ses luttes. Mais on s'aperçoit que déjà même là-dessus il se calme et se modère. Croyez-moi donc, et mettez-vous bien dans l'esprit que le terme de vos tourments approche. Telle est ma confiance : quant à mes voeux et mes sentiments, je vous les prouverai par des effets plutôt que par des discours. Si j'avais la puissance que je devrais avoir dans une république dont vous dites que j'ai si bien mérité, vous auriez été, oui vous-même, vous auriez été affranchi de tous ces désagréments. N'est-ce point par la même cause que votre existence est compromise et que mon rôle s'est effacé? Pour peu qu'il me reste encore une ombre de ce que je fus jadis et quelques débris de mon influence, vos excellents frères peuvent compter sur moi, sur mes conseils, mes démarches, mon crédit; ma fidèle amitié ne leur fera faute en rien. Courage donc ! courage! vous voyez que de motifs pour en avoir! D'ailleurs, après ce que vous avez fait, voulu, tenté pour la république, c'est pour vous une obligation de compter sur un meilleur avenir, ou du moins de vous résigner a l'adversité en homme qui n'a failli à aucun devoir, à aucune prévision, et qui a sa fermeté et son courage à opposer aux coups du sort.

 XIV. Scr. Romae a. d. v. Kal. intercal. priores a.u.c. 708.

CICERO LIGARIO

Me scito omnem meum laborem, omnem operam, curam, studium, in tua salute consumere; nam cum te semper maxime dilexi, tum fratrum tuorum, quos aeque atque te summa benevolentia sum complexus, singularis pietas amorque fraternus nullum me patitur officii erga te studiique munus aut tempus praetermittere. Sed, quae faciam fecerimque pro te, ex illorum te litteris quam ex meis malo cognoscere; quid autem sperem aut confidam et exploratum habeam de salute tua, id tibi a me declarari volo: nam, si quisquam est timidus in magnis periculosisque rebus sermperque magis adversos rerum exitus metuens quam sperans secundos, is ego sum et, si hoc vitium est, eo me non carere confiteor; ego idem tamen, cum a. d. V. Kal. intercalares priores rogatu fratrum tuorum venissem mane ad Caesarem atque omnem adeundi et conveniendi illius indignitatem et molestiam pertulissem, cum fratres et propinqui tui iacerent ad pedes et ego essem locutus, quae causa, quae tuum tempus postulabat, non solum ex oratione Caesaris, quae sane mollis et liberalis fuit, sed etiam ex oculis et vultu, ex multis praeterea signis, quae facilius perspicere potui quam scribere, hac opinione discessi, ut mihi tua salus dubia non esset. Quamobrem fac animo magno fortique sis et, si turbidissima sapienter ferebas, tranquilliora laete feras. Ego tamen tuis rebus sic adero, ut difficillimis, neque Caesari solum, sed etiam amicis eius omnibus, quos mihi amicissimos esse cognavi, pro te, sicut adhuc feci, libentissime supplicabo. Vale.

483. — A LIGARIUS. Cumes.

F. VI. 14. Je vous consacre tous mes efforts, toutes mes démarches, tous mes soins, toutes mes 438 pensées. Quand je ne vous aimerais pas comme je vous aime, le touchant dévouement et la pieuse tendresse de vos frères, que j’affectionne aussi très-tendrement, ne me permettraient pas de laisser échapper l'occasion et la bonne fortune de vous servir. Mais il vaut mieux que vous sachiez par eux que par moi ce que j'ai fait et ce que je ferai. Je veux seulement vous faire part de mes réflexions, de mes espérances, de mes découvertes. S'il y a un homme au monde qui doute dans les grandes et épineuses circonstances, un homme toujours plus disposé à craindre un revers qu'à croire à un succès, c'est moi : est-ce un défaut? Je m'en accuse. Eh bien! le 5 des kalendes, dans les premiers jours intercalaires, j'allai le matin, à la demande de vos frères, trouver César; après les ennuis sans nombre et les difficultés indignes qu'il faut essuyer pour arriver jusqu'à lui, je l'abordai; vos frères et vos proches étaient à ses pieds ; je dis tout ce qu'on peut dire dans un pareil moment. César n'eut que de douces et généreuses paroles; j'observai son regard, l'expression de sa physionomie, une foule d'autres signes qu'il est plus facile de saisir que de préciser, et je sortis convaincu que votre rétablissement était désormais hors de doute. Ainsi, courage ! courage et fermeté ! vous avez conservé votre sang-froid pendant la tempête, vous pouvez vous réjouir en voyant le calme prêt à renaître. Je n'en veillerai pas moins comme si toutes les difficultés subsistaient, et je continuerai de tourmenter César et ses amis, qui sont tous les miens.

 XV. Scr. paullo post Idus Martias a.u.c. 710.

CICERO BASILO SAL

Tibi gratulor, mihi gaudeo; te amo, tua tueor; a te amari et, quid agas quidque agatur, certior fieri volo.

 688. — A BASILIUS. Rome , mars.

F. VI, 15. Très-bien! très-bien! Que je suis aise ! je vous aime ! Je suis à vous , à tout ce qui vous appartient; et vous, m'aimez-vous ? que devenez-vous? que fait-on? je veux le savoir.

XVI. Scr. anno incerto (710, post Id. Mart.?)

BITHYNICUS CICERONI SAL

Si mihi tecum non et multae et iustae causae amicitiae privatim essent, repeterm initia amicitiae ex parentibus nostris, quod faciendum iis existimo, qui paternam amicitiam nullis ipsi officiis prosecuti sunt: itaque contentus ero nostra ipsorum amicitia, cuius fiducia peto a te, ut absentem me, quibuscumque in rebus opus fuerit, tueare, si nullum officium tuum apud me intermoriturum existimas. Vale.

 689. — DE BITHYNICUS A CICÉRON. Sicile.

F. VI, 16. Si je n'avais mille raisons meilleures les unes que les autres pour compter sur votre amitié, je remonterais à l'amitié de nos pères pour m'en faire un titre auprès de vous; mais je laisse cette ressource à ceux qui n'ont cimenté par aucun témoignage personnel d'attachement l'héritage des affections paternelles. Pour moi, je m'en tiens à nos sentiments propres , et je vous demande avec confiance de veiller, pendant mon absence, à tous mes intérêts. Soyez bien persuadé, que jamais la reconnaissance d'un service rendu ne s'éteint dans mon cœur.

 XVII. Scr. anno incerto (710, post Id. Mart.?)

CICERO BITHYNICO

Cum ceterarum rerum causa cupio esse aliquando rem publicam constitutam, tum velim mihi credas accedere etiam, id quo magis expetam, promissum tuum, quo in litteris uteris; scribis enim, si ita sit, te mecum esse victurum. Gratissima mihi tua voluntas est, facisque nihil alienum necessitudine nostra iudiciisque patris tui de me summi viri; nam sic habeto, beneficiorum magnitudine eos, qui temporibus valuerunt ut valeant, coniunctiores tecum esse quam me, necessitudine neminem. Quamobrem grata mihi est et memoria tua nostrae coniunctionis et eius etiam augendae voluntas.

705. — A BITHYNICUS Pouzzol.

F. V1, 17. J'ai bien des raisons pour souhaiter que la république se rassoie; mais, en lisant votre lettre, j'y trouve un motif de plus encore, puisque vous me dites qu'alors nous pourrions vivre ensemble. C'est une perspective qui me charme. Je reconnais là votre amitié, et aussi la bonne opinion que l'un de nos premiers citoyens, que votre illustre père avait conçue de moi. Parmi les hommes qui, grâce à vos bienfaits, ont eu de l'influence, il en est qui par calcul peuvent être pour vous des amis plus utiles; de plus attachés, jamais. Je vous sais donc à la fois bien bon gré, et du souvenir que vous gardez de notre amitié, et du dessein que vous avez d'eu resserrer les liens.

  XVIII. Scr. Romae mense Ianuario a.u.c. 709.

CICERO LEPTAE

Simulatque accepi a Seleuco tuo litteras, statim quaesivi e Balbo per codicillos, quid esset in lege: rescripsit eos, qui facerent praeconium, vetari esse in decurionibus, qui fecissent, non vetari. Quare bono animo sint et tui et mei familiares; neque enim erat ferendum, cum, qui hodie haruspicinam facerent, in senatum Romae legerentur, eos, qui aliquando praeconium fecissent, in municipiis decuriones esse non licere. De Hispaniis novi nihil: magnum tamen exercitum Pompeium habere constat, nam Caesar ipse ad suos misit exemplum Paciaeci litterarum, in quo erat illas XI. esse legiones; scripserat etima Messalla Q. Salasso P. Curtium fratrem eius iussu Pompeii inspectante exercitu interfectum, quod consensisset cum Hispanis quibusdam, si in oppidum nescio quod Pompeius rei frumentariae causa venisset, eum comprehendere ad Caesaremque deducere. De tuo negotio, quod sponsor es pro Pompeio, si Galba consponsor tuus redierit, homo in re familiari non parum diligens, non desinam cum illo communicare, si quid expediri possit, quod videbatur mihi ille confidere. Oratorem meum tanto opere a te probari vehementer gaudeo; mihi quidem sic persuadeo, me, quidquid habuerim iudicii de dicendo, in illum librum contulisse: qui si est talis, qualem tibi videri scribis, ego quoque aliquid sum; sin aliter, non recuso, quin, quantum de illo libro, tantundem de mei iudicii fama detrahatur. Leptam nostrum cupio delectari iam talibus scriptis: etsi abest maturitas aetatis, tamen personare aures eius huiusmodi vocibus non est inutile. Me Romae tenuit omnino Tulliae meae partus; sed, cum ea, quemadmodum spero, satis firma sit, teneor tamen, dum a Dolabellae procuratoribus exigam primam pensionem, et mehercule non tam sum peregrinator iam, quam solebam: aedificia mea me delectabant et otium; nunc domus est, quae nulli mearum villarum cedat, otium omni desertissima regione maius. Itaque ne litterae quidem meae impediuntur, in quibus sine ulla interpellatione versor; quare, ut arbitror, prius hic te nos, quam istic tu nos videbis. Lepta suavissimus edicat Hesiodum et habeat in ore

Τῆς δ' ἀρετῆς ἱδρῶτα et cetera.

534. — A LEPTA . Rome.

F. VI, 18. A la réception de la lettre que Séleucus m'a remise de votre part, j'ai écrit un mot à Balbus pour connaître les dispositions de la loi. Il me répond que les crieurs en exercice ne peuvent pas être décurions, mais qu'il n'en est pas de même des crieurs qui n'exercent plus. Ainsi, que vos amis et les miens se rassurent. Il serait par trop fort aussi qu'au moment où le sénat compte dans son sein des aruspices, on fût exclu du décurionat des villes municipales, pour avoir été crieur public. — Point de nouvelles d'Espagne. On sait seulement que Pompée est à la tête de forces considérables. Une lettre de Paciécus dont César nous a fait passer copie, parle de onze légions. De plus, Messalla a écrit à Q. Salassus que Pompée venait de faire mettre à mort, en présence de sou armée, son frère P. Curtius, convaincu d'avoir conspiré contre lui avec quelques Espagnols. Ou devait s'emparer de Pompée au moment où il entrerait dans je ne sais quelle ville pour s'y procurer des vivres, et on l'aurait livré à César. — J'attendrai le retour de Galba pour conférer avec lui de la garantie que vous avez donnée à Pompée, et dont il s'est également rendu caution. Galba ne s'entend pas à demi en affaires d'intérêts. Nous verrons s'il y a moyen de sortir d'embarras; il paraissait n'en pas douter. — Je suis vraiment charmé que vous fassiez si grand cas de mon Orateur. Tout ce que j'ai pu acquérir de saines notions sur l'art oratoire, je crois l'avoir résumé dans cet ouvrage. S'il est en effet tel que vous le dites, je puis me flatter de compter pour quelque chose. Si non, ma réputation comme juge en cette matière doit nécessairement tomber dans une proportion égale au discrédit du livre. Je souhaite que notre cher Lepta prenne déjà goût à ce genre de lectures. Quoique l'âge ne l'ait pas encore mûri, il n'est pas hors de propos d'habituer déjà ses jeunes oreilles à ces formes de langage. — Les couches de ma Tullie m'ont retenu à Rome. Je la crois bien maintenant; mais je suis forcé d'attendre que les agents de Dolabella m'aient remis la première partie de sa dot. Puis je ne suis plus aussi allant qu'autrefois. Mes constructions et le repos sont maintenant tous mes plaisirs. Ma maison de Rome ne le cède à aucune de nos villas, et j'y suis plus tranquille qu'au fond d'un désert. Mes occupations y suivent paisiblement leur cours; le travail y est sans trouble et je m'y livre sans interruption. Aussi vous verrai-je ici,je gage, plus tôt que vous ne me verrez là-bas. Que votre charmant Lepta sache Hésiode par cœur et qu'il répète sans cesse ces vers :

La vertu , la vertu, etc.

 XIX. Scr. Asturae mense Sextili a.u.c. 709.

CICERO LEPTAE

Maculam officio functum esse gaudeo. Eius Falernum mihi semper idoneum visum est deversorio, si modo tecti satis est ad comitatum nostrum recipiendum; ceteroqui mihi locus non displicet. Nec ea re Petrinum tuum deseram; nam et villa et amoenitas illa commorationis est, non deversorii. De curatione aliqua munerum regiorum cum Oppio locutus sum; nam Balbum, posteaquam tu es profectus, non vidi: tantis pedum doloribus afficitur, ut se conveniri nolit. Omnino de tota re, ut mihi videris, sapientus faceres, si non curares; quod enim eo labore assequi vis, nullo modo assequere; tanta est enim intimorum multitudo, ut ex iis aliquis potius effluat, quam novo sit aditus, praesertim qui nihil afferat praeter operam, in qua ille se dedisse beneficium putabit (si modo id ipsum sciet), non accepisse. Sed tamen aliquid videbimus, in quo sit species; aliter quidem non modo non appetendum, sed etiam fugiendum puto. Ego me Asturae diutius arbitror commoraturum, quoad ille quandoque veniat. Vale.

646. — A LEPTA. Asture.

F. VI, 19. Je suis bien aise que Macula ait fait son devoir. Sa maison de Falerne m'a toujours paru offrir un gîte convenable, en admettant que le local soit suffisant pour mon monde. Le lieu d'ailleurs ne me déplaît point. Je ne renonce pas pour cela à votre Pétrinum dont l'habitation et le paysage sont plus délicieux pour un séjour prolonge que pour un simple passage. C'est à Oppius que j'ai parlé, pour vous faire confier la direction d'une partie des fêtes (Les jeux qui devaient être donnés en l'honneur de César). Quant à Balbus , je ne l'ai pas vu depuis votre départ : ses douleurs de goutte sont si vives qu'il ne reçoit personne. Tout bien considéré , vous ferez mieux, selon moi, de laisser cela de côté. Vous prendrez beaucoup de peine , et vous n'arriverez pas au luit. Car telle est la multitude d'amis intimes, qu'il y a plus de chance de la voir diminuer que se grossir de nouveaux venus; surtout si ceux qui recherchent ce titre ne peuvent rendre que de ces sortes de services pour lesquels le maître se croit moins obligé qu'il n'oblige, si même il en sait quelque chose. L'occasion peut se présenter devons mettre en évidence. Autrement il vaut mieux , je le répète , s'abstenir et même se dérober. Je crois que je resterai à Asture jusqu'à l'arrivée du grand personnage.

 XX. Scr. Asturae exeunte mense Sextili a.u.c. 709.

CICERO TORANIO SAL

Dederam triduo ante pueris Cn. Plancii litteras ad te; eo nunc ero brevior teque, ut antea consolabar, hoc tempore monebo. Nihil puto tibi esse utilius quam ibidem opperiri, quoad scire possis, quid tibi agendum sit: nam praeter navigationis longae et hiemalis et minime portuosae periculum, quod vitaveris, ne illud quidem non quantivis, subito, cum certi aliquid audieris, te istim posse proficisci; nihil est praeterea, cur adventibus te offerre gestias; multa praeterea metuo, quae cum Cilone nostro communicavi. Quid multa? loco opportuniore in his malis nullo esse potuisti, ex quo te, quocumque opus erit, facillime et expeditissime conferas: quod si recipiet ille se, ad tempus aderis; sin (quoniam multa accidere possunt) aliqua res eum vel impediet vel morabitur, tu ibi eris, ubi omnia scire possis. Hoc mihi prorsus valde placet; de reliquo, ut te saepe per litteras hortatus sum, ita velim tibi persuadeas, te in hac causa nihil habere, quod tibi timendum sit, praeter communem casum civitatis, qui etsi est gravissimus, tamen ita viximus et id aetatis iam sumus, ut omnia, quae non nostra culpa nobis accidant, fortiter ferre debeamus. Hic tui omnes valent summaque pietate te desiderant et diligunt et colunt: tu cura, ut valeas et te istim ne temere commoveas.

 647. A TORANIUS. Asture, fin d'août.

F. VI, 20. J'ai remis il y a trois jours aux esclaves de Cn. Plancius une lettre pour vous. Je serai moins long cette fois. Je voulais d'abord vous consoler. Je veux seulement aujourd'hui vous donner des conseils. Je ne vois rien de mieux pour vous que de rester dans votre retraite jusqu'a ce que vous puissiez agir en connaissance de cause. Vous évitez par là les dangers d'une longue navigation en hiver et sans possibilité de relâche; et ce qui n'est pas d'un médiocre avantage, vous pouvez toujours partir au premier avis certain. Quelle nécessité d'ailleurs de montrer votre visage aux arrivants? J'ai aussi beaucoup d'autres craintes dont je me suis ouvert à notre ami Cilon. Que vous dirai-je? Je ne connais pas, je le répète, dans ces détestables temps, de meilleure position que celle d'où l'on peut, le plus facilement et le plus vite, se porter partout où l'on veut. Si le grand personnage revient, vous arriverez bien à temps. Si (tout est possible) il survient empêchement ou retard, vous êtes à portée de savoir ce qui se passe ; et voilà surtout ce qui me plaît. Je vous redirai, quant au reste , ce que je vous ai déjà dit : soyez sûr que vous n'avez dans ce grand débat rien à redouter qui ne vous soit commun avec la patrie. La situation est affreuse sans doute. Mais quand on a vécu comme nous et quand on est parvenu à l'âge où nous sommes, on doit s'armer d'une courageuse résignation contre les maux qu'on n'a pas à se reprocher. - Tout ce qui vous appartient est en bonne santé : c'est avec les sentiments les plus vifs qu'on s'inquiète de vous, qu'on vous chérit , qu'on vous honore. — Tâchez de vous bien porter et surtout ne vous déplacez pas imprudemment.

  XXI. Scr. Asturae mense Aprili a.u.c. 709.

CICERO TORANIO

Etsi, cum haec ad te scribebam, aut appropinquare exitus huius calamitosissimi belli aut iam aliquid actum et confectum videbatur, tamen quotidie commemorabam te unum in tanto exercitu mihi fuisse assensorem et me tibi solosque nos vidisse, quantum esset in eo bello mali, in quo spe pacis exclusa ipsa victoria futura esset acerbissima, quae aut interitum allatura esset, si victus esses, aut, si vicisses, servitutem. Itaque ego, quem tum fortes illi viri et sapientes, Domitii et Lentuli, timidum esse diceban (eram plane; timebam enim, ne evenirent ea, quae acciderunt), idem nunc nihil timeo et ad omnem eventum paratus sum: cum aliquid videbatur caveri posse, tum id negligi dolebam; nunc vero eversis omnibus rebus, cum consilio profici nihil possit, una ratio videtur, quidquid evenerit, ferre moderate, praesertim cum omnium rerum mors sit extremum et mihi sim conscius me, quoad licuerit, dignitati rei publicae consuluisse et hac amissa salutem retinere voluisse. Haec scripsi, non ut de me ipse dicerem, sed ut tu, qui coniunctissima fuisti mecum et sententia et voluntate, eadem cogitares; magna enim consolatio est, cum recordare, etiamsi secus acciderit, te tamen recte vereque sensisse. Atque utinam liceat aliquando aliquo rei publicae statu nos frui inter nosque conferre sollicitudines nostras, quas pertulimus tum, cum timidi putabamur, quia dicebamus ea futura, quae facta sunt. De tuis rebus nihil esse, quod timeas, praeter universae rei publicae interitum tibi confirmo; de me autem sic velim iudices, quantum ego possim, me tibi, saluti tuae liberisque tuis summo cum studio praesto semper futurum. Vale.

 612 - A TORIANUS. Tusculum, juillet.

F. VI, 21. Au moment où je vous écris, on approche du dénouement de cette fatale guerre; peut-être même y a-t-il quelque chose de décidé. Je ne laisse pas toutefois de me rappeler chaque jour que parmi cette multitude en armes nous étions seuls du même avis, vous du mien, moi du vôtre ; que tous deux nous avons été seuls à comprendre ce qu'il y a de terrible dans cette lutte d'où aucune paix ne peut sortir, où la victoire même est une calamité , ou l'on n'a devant soi que cette alternative : vaincus, la mort; vainqueurs, la servitude. J'étais un peureux, disaient alors ces grands cœurs, ces fortes têtes, les Domitius, les Lentulus. Eh! sans doute j'avais peur, peur de ce qui est arrivé. Aujourd'hui je n'ai plus peur de rien : je suis préparé à tout. Quand la prudence était de saison , je gémissais de voir qu'elle fût négligée. Maintenant que tout est perdu, qu'il ne reste rien à faire à la prudence, il n'est plus qu'un parti à suivre, celui de la résignation. La mort n'est-elle pas la fin de tout? Et n'ai-je pas à me rendre ce témoignage, que j'ai combattu pour conserver l'honneur de la république tant qu'elle a eu un honneur à défendre , et pour l'empêcher de périr du moins tout entière, quand l'honneur a été perdu? Ne voyez pas ici , je vous prie , l'envie de parler de moi ; je ne veux que faire naître chez vous les mêmes réflexions, puisque j'ai toujours trouvé en vous une conformité parfaite d'opinions et de vœux. C'est en effet pour chacun de nous une grande consolation que de pouvoir se dire : L'événement est contre nous, mais nous avions vu juste, et nous avons marché droit. Plaise aux Dieux que la république parvenant à se rasseoir d'une manière quelconque, nous puissions un jour nous revoir, et nous rappeler ensemble nos pressentiments et nos alarmes, alors qu'on nous accusait de peur, parce que nous disions que ce qui s'est accompli ne pouvait manquer d'arriver. Au reste, je vous garantis qu'en dehors des malheurs de la république, vous n'avez rien de particulier à craindre ; puis ayez de moi cette idée qu'en tout ce que je puis je suis et serai toujours à votre service et à celui de vos enfants.

 XXII. Scr. Romae ineunte anno u.c. 708.

CICERO DOMITIO

Non ea res me deterruit, quo minus, posteaquam in Italiam venisti, litteras ad te mitterem, quod tu ad me nullas miseras, sed quia nec, quid tibi pollicerer ipse egens rebus omnibus, nec, quid suaderem, cum mihimet ipsi consilium deesset, nec, quid consolationis afferrem in tantis malis, reperiebam. Haec quamquam nihilo meliora sunt nunc atque etiam multo desperatiora, tamen inanes esse meas litteras quam nullas malui. Ego, si te intelligerem plus conatum esse suscipere rei publicae causa muneris, quam quantum praestare potuisses, tamen, quibuscumque rebus possem, ad eamm condicionem te vivendi, quae daretur quaeque esset, hortarer; sed, cum consilii tui bene fortiterque suscepti eum tibi finem statueris, quem ipsa fortuna terminum nostrarum contentionum esse voluisset, oro obtestorque te pro vetere nostra coniunctione ac necessitudine proque summa mea in te benevolentia et tua in me pari, te ut nobis, parenti, coniugi tuisque omnibus, quibus es fuistique semper carissimus, salvum conserves, incolumitati tuae tuorumque, qui ex te pendent, consulas, quae didicisti quaeque ab adolescentia pulcherrime a sapientissimis viris tradita memoria et scientia comprehendisti, iis hoc tempore utare, quos coniunctos summa benevolentia plurimisque officiis amisisti, eorum desiderium, si non aequo animo, at forti feras. Ego quid possim nescio vel potius me parum posse sentio: illud tamen tibi polliceor, me, quaecumque saluti dignitatique tuae conducere arbitrabor, tanto studio esse facturum, quanto semper tu et studio et officio in meis rebus fuisti; hanc meam voluntatem ad matrem tuam, optimam feminam tuique amantissimam, detuli. Si quid ad me scripseris, ita faciam, ut te velle intellexero; sin autem tu minus scripseris, ego tamen omnia, quae tibi utilia esse arbitrabor, summo studio diligenterque curabo. Vale.

440 — A DOMITIUS. Rome.

F. VI, 22. Si je ne vous ai pas écrit depuis votre retour en Italie, ce n'est point parce que vous ne m'écrivez pas vous-même. Mais quel secours porter à autrui, quand on est dans le dénûment? Quel conseil donner, quand on ne sait quel parti prendre ? Quelle consolation offrir, quand on ne voit que des maux autour de soi? Voila ou j'en suis toujours. Les choses vont même de mal en pis. Cependant j'aime mieux vous adresser quelques mots vides de sens que de ne pas vous écrire du tout. — Si je vous supposais le dessein de tenter pour la république d'inutiles efforts, je vous dirais de préférer plutôt la position qu'on nous laisse, et que la nécessité nous a faite. Mais votre raison s'est résignée à l'arrêt de la fortune, en déposant spontanément les armes le jour où a fini la lutte des deux partis. Je puis donc librement m'autoriser de nos longs rapports et des droits d'une vieille amitié; je puis sans scrupule vous conjurer, par tout ce que nous nous portons d'intérêt l'un à l'autre, de vous conserver pour moi, pour votre mère, pour votre femme, enfin pour tout ce qui vous aime. Oui, songez maintenant à vous, à ceux dont l’existence est attachée à la vôtre; faites aux circonstances l'application de vos doctrines et des principes que vous avez étudiés dès l'enfance, et reçus de la tradition des sages, des principes que votre raison comprenait si bien; supportez, en un mot, avec modération {je ne vous dirai point avec un farouche courage) la perte de tant d'hommes illustres, vos amis et vos soutiens. J'ignore si je puis quelque chose, ou plutôt je sais que je puis bien peu ; je vous promets néanmoins que dans tout ce qui pourra toucher votre position et votre dignité, j'agirai pour vous avec la même ardeur que je vous ai toujours vue pour moi; je m'en suis expliqué avec votre mère, cette femme supérieure qui vous aime tant. Si vous m'écrivez vos intentions, je m'efforcerai de les remplir. Si vous gardez le silence, je n'en ferai pas moins avec zèle et dévouement tout ce que je croirai pouvoir vous être utile. Adieu.