Saga

ANONYME

 

LA SAGA DE NJAL chapitres CXXVI à CLIX

chapitres LXXXI à CXXV

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

LA SAGA DE NJAL

TRADUITE
PAR
Rodolphe DARESTE

MEMBRE DE L'INSTITUT

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CXXVI

Quand on fut à deux mois de l'hiver, Flosi se tint prêt à quitter le pays de l'est, et il appela à lui tous ceux qui lui avaient promis leur aide. Chacun d'eux avait deux chevaux et de bonnes armes. Ils vinrent tous à Svinafell et y passèrent la nuit. Le dimanche, de grand matin, Flosi fit célébrer le service divin, après quoi il se mit à table. Il dit à ses serviteurs ce que chacun d'eux aurait à faire pendant qu'il serait au loin. Puis il monta à cheval.

Flosi et les siens s'en allèrent vers l'ouest, suivant le rivage. Il dit à ses hommes de ne pas aller trop vite d'abord, car on arriverait toujours; et de s'arrêter tous si l'un d'eux voulait se reposer. Ils s'avancèrent vers l'ouest jusqu'à Skogahverfi, et vinrent à Kirkjubæ. Flosi dit à ses hommes d'entrer tous avec lui dans l'église, pour prier. Ils le firent. Après quoi ils remontèrent à cheval et commencèrent à gravir la montagne jusqu'au lac des poissons. Là ils prirent à l'ouest des lacs et traversèrent la plaine laissant à leur gauche les glaciers de l'Eyjafjöll. De là ils descendirent dans le Godaland, et furent bientôt sur le Markarfljot. Le second jour de la semaine vers l'heure de none, ils arrivèrent à Thrihyrningshals, où ils se reposèrent jusqu'au soir. Là tous les autres les rejoignirent, sauf Ingjald de Kelda. Les fils de Sigfus le blâmaient grandement. Mais Flosi leur dit de ne pas mal parler d'Ingjald tant qu'il n'était pas là: « Nous lui ferons, dit-il, payer cela plus tard. »


CXXVII

Il nous faut reparler maintenant de Bergthorshval. Grim et Helgi s'en allèrent à Hola (c'est là qu'on élevait leurs enfants) et dirent à leur père qu'ils ne rentreraient pas le soir. Ils passèrent tout le jour à Hola. Il y vint de pauvres femmes qui disaient arriver de loin. Les deux frères leur demandèrent des nouvelles. Elles dirent qu'elles n'avaient point de nouvelles à donner: « mais nous pouvons conter pourtant, ajoutèrent-elles, quelque chose de singulier. » Ils demandèrent ce que c'était et les prièrent de n'en rien cacher. « Nous arrivions, dirent-elles, dans le Fljotshlid, quand nous avons vu chevaucher devant nous tous les fils de Sigfus, armés jusqu'aux dents. Ils allaient droit sur Thrihyrningshals, et ils étaient quinze avec leur troupe. Nous avons vu aussi Grani, fils de Gunnar, et Gunnar, fils de Lambi. Ils étaient cinq avec leurs gens et ils suivaient le même chemin. On peut dire en vérité que tout est en l'air dans ce pays. »

Helgi, fils de Njal, dit: « Il faut que Flosi soit venu de l'est, et tous les autres allaient sans doute à sa rencontre. Nous devrions, Grim, être là où est Skarphjedin. » Grim dit qu'ainsi fallait-il faire, et ils retournèrent à Bergthorshval.

Ce soir-là, Bergthora dit à ses serviteurs: « Vous allez choisir vous-mêmes votre repas du soir: que chacun prenne ce qu'il aime le mieux; car c'est la dernière fois que je servirai le souper à mes serviteurs. » — « À Dieu ne plaise » dirent-ils. — « C'est la vérité pourtant, répondit-elle, et je pourrais en dire davantage si je voulais. Je vais vous donner un signe, c'est que Grim et Helgi vont revenir ce soir avant que vous n'ayez fini votre repas. Si cela arrive il se passera plus de choses encore que je n'ai dit. » Et elle mit les viandes sur la table.

« Voilà qui est étrange, dit Njal. Je regarde autour de moi dans la salle, et il me semble que je vois les murailles renversées, et la table et les viandes toutes couvertes de sang. » Ils furent tous saisis d'une grande terreur, hormis Skarphjedin. Il conjura les hommes de ne pas s'effrayer et de ne pas s'exposer à la risée des autres par une contenance indigne d'eux: « Il nous convient plus qu'à personne, dit-il, de nous conduire en braves. Et c'est bien là ce qu'on attend de nous. »

Avant qu'on eût ôté les tables, Grim et Helgi arrivèrent, et grand fut l'émoi des gens à cette vue. Njal demanda ce qui les ramenait si vite. Ils contèrent ce qu'ils avaient appris. Njal dit que personne n'irait se mettre au lit, et qu'on se tiendrait sur ses gardes.


CXXVIII

Il faut revenir à Flosi. Il dit à ses gens: « Le moment est venu d'aller à Bergthorshval: il faut y arriver avant l'heure du souper. » Et ils se mirent en route. Il y avait une vallée au pied de la colline; ils y entrèrent, attachèrent leurs chevaux, et y attendirent jusqu'à ce que la soirée fût fort avancée. « Maintenant, dit Flosi, marchons sur le domaine; allons en troupe serrée, et lentement; et voyons à quoi ils vont se décider. »

Njal était dehors, avec ses fils et Kari, et tous ses serviteurs; ils étaient rangés devant l'entrée, et cela faisait près de trente hommes. Flosi s'arrêta et dit: « Voyons quel parti ils vont prendre; s'ils restent dehors, je crois que nous n'en viendrons jamais à bout. » — « Nous avons donc manqué notre voyage, dit Grani, fils de Gunnar, si nous n'osons pas les attaquer. » — « Non pas, dit Flosi, nous les attaquerons quand même ils resteraient dehors, mais nous y perdrons tant de monde qu'on ne pourra dire où est le vainqueur. »

Njal dit à ses hommes: « Pouvez-vous voir combien ils sont? » — « Ils sont beaucoup de monde, et de vaillantes gens, dit Skarphjedin; et pourtant ils se sont arrêtés; ils pensent qu'ils auront du mal à venir à bout de nous. » — « Ils n'en viendront pas à bout, dit Njal; et je veux que nous rentrions tous. C'est à grand-peine qu'ils ont vaincu Gunnar à Hlidarenda, quoiqu'il fût seul contre eux. La maison est solide, comme était la sienne, et ils n'arriveront pas à s'en emparer. » — « C'est un mauvais parti à prendre, dit Skarphjedin; les chefs qui ont attaqué Gunnar étaient des hommes de grand cœur, qui auraient abandonné l'entreprise plutôt que de le brûler dans sa maison. Mais ceux-ci vont sans tarder nous attaquer par le feu, s'ils ne peuvent pas autrement; car tous les moyens leur seront bons pour nous détruire. Ils pensent, avec raison, que leur mort est certaine si nous leur échappons. Pour moi, je n'ai nulle envie de me laisser brûler comme un renard dans son trou. » — « Il en est donc, dit Njal, à présent comme toujours; mes fils me donnent des conseils et n'ont nul égard pour moi. Quand vous étiez plus jeunes, vous ne faisiez pas cela, et vos affaires allaient mieux. » — « Faisons, dit Helgi, ce que veut notre père. Nous nous en trouverons bien. » — « Je n'en suis pas sûr, dit Skarphjedin, car le voilà voué à la mort. Mais je ferai volontiers ce plaisir à mon père, de me laisser brûler avec lui; car je ne crains pas de mourir. » Puis il dit à Kari: « Tenons-nous bien, mon frère, et que nul ne puisse nous séparer. » — « C'est ce que je veux aussi, dit Kari; et pourtant s'il en doit être autrement il en sera autrement et nous n'y pourrons rien. » — « Alors venge-nous, dit Skarphjedin, et nous te vengerons, si c'est nous qui te survivons. » Kari promit qu'ainsi ferait-il. Alors ils rentrèrent tous, et se rangèrent dans l'embrasure de la porte.

« Maintenant qu'ils sont rentrés, dit Flosi, ce sont des hommes morts. Il faut nous approcher au plus vite, nous ranger en troupe serrée devant la porte et prendre garde que personne ne s'échappe, soit Kari soit quelqu'un des fils de Njal; car ce serait notre mort. » Ils s'avancèrent donc, Flosi et ses gens, et entourèrent la maison, de peur qu'il n'y eût quelque porte de derrière. Flosi se mit devant avec les siens.

Hroald fils d'Össur, courut à Skarphjedin et pointa sa lance sur lui. Skarphjedin, d'un coup de sa hache, sépara le fer de la hampe. Puis il leva sa hache une seconde fois. Elle entra dans le bouclier et le brisa en morceaux, pendant que le coin frappait Hroald au visage. Il tomba à la renverse, et mourut sur le coup. « Il n'a pas eu de chance avec toi, Skarphjedin, dit Kari; tu es le plus vaillant de nous tous. » — « Je n'en sais rien » dit Skarphjedin; et il riait en montrant ses dents. Kari, Grim et Helgi donnaient de grands coups de lance et blessaient beaucoup de monde. Flosi et ses gens n'arrivaient à rien.

« Voici que nous avons fait de grandes pertes, dit Flosi. Beaucoup de nos hommes sont blessés, et on nous a tué celui que nous aurions le moins voulu perdre. Il est clair maintenant que nous n'en viendrons jamais à bout par les armes. Il y en a plus d'un ici qui n'est plus aussi brave qu'il semblait l'être quand il nous pressait si fort. Et je parle surtout de Grani, fils de Gunnar, et de Gunnar, fils de Lambi, qui se donnaient pour les plus enragés. Mais il s'agit maintenant de prendre un autre parti. Nous avons le choix entre deux choses (ni l'une ni l'autre n'est bonne): ou bien laissons-là l'entreprise, et c'est notre mort; ou bien mettons le feu à la maison et brûlons-les, et c'est un grand crime dont nous répondrons devant Dieu, nous qui sommes aussi des chrétiens. Et pourtant nous n'avons plus que cela à faire. »


CXXIX

Ils allumèrent donc du feu, et firent un grand bûcher devant la porte. « Vous faites du feu, compagnons? » dit Skarphjedin. Allez-vous faire cuire quelque chose? » — « Oui, dit Grani, fils de Gunnar, et tu n'auras pas besoin d'un four mieux chauffé que celui-là. » — « C'est ainsi que tu me récompenses d'avoir vengé ton père, dit Skarphjedin; tu es bien homme à faire cela, toi qui n'as d'égards que pour ceux qui n'ont rien fait pour toi. » Alors les femmes jetèrent du petit lait sur le feu, et l'éteignirent. D'autres apportèrent de l'eau.

Kol fils de Thorstein dit à Flosi: « Il me vient une idée. J'ai vu un grenier au dessus de la salle, sous les solives du toit. C'est là qu'il faut mettre le feu, nous l'allumerons avec ce foin qui est en tas devant la maison. »

Ils prirent donc le foin, et mirent le feu au grenier. Ceux qui étaient dans la maison ne s'en aperçurent que quand toute la salle fut éclairée par les flammes. Alors les femmes commencèrent à se lamenter. Njal leur dit: « Faites bonne contenance, et ne dites pas de ces paroles effrayées; c'est une courte bourrasque, et de longtemps nous n'en verrons une semblable. Sachez aussi que Dieu est miséricordieux, et qu'il ne nous laissera pas brûler deux fois, et dans ce monde et dans l'autre. » Par ces paroles et d'autres encore il cherchait à les réconforter.

Et voici que la maison tout entière se mit à flamber. Njal vint à la porte et dit: « Flosi est-il assez près pour entendre mes paroles? » Flosi dit que oui. « Veux-tu, dit Njal, faire la paix avec mes fils, ou bien laisser sortir quelques-uns des nôtres? » Flosi répondit: « Je ne veux pas faire de paix avec tes fils; voici que notre querelle va être finie, et je ne partirai pas d'ici que tous ne soient morts. Mais je laisserai sortir les femmes, les enfants, et les serviteurs. »

Njal rentra et dit aux gens: « Que tous ceux-là sortent, qui en ont la permission. Sors, Thorhalla fille d'Asgrim, et les autres sortiront avec toi. » Thorhalla dit: « Nous allons nous séparer, Helgi et moi, d'une autre manière que je ne pensais tout à l'heure. Mais je vais presser mon père et mes frères, pour qu'ils vengent cette tuerie qui se fait ici. » — « Que Dieu te protège, dit Njal, car tu es une bonne femme. » Elle partit donc, et beaucoup de monde avec elle.

Astrid de Djuparbakka dit à Helgi, fils de Njal: « Sors avec moi: je vais jeter sur tes épaules un manteau de femme, et j'envelopperai ta tête d'un voile. » Il refusa d'abord, mais elle le priait tant qu'il finit par faire comme elle voulait. Astrid mit un voile sur la tête d'Helgi, et Thorhild, femme de Skarphjedin, le couvrit d'un manteau: il sortit au milieu d'elles. Thorgerd, fille de Njal, sortit aussi, et Helga sa sœur, et bien d'autres.

Comme Helgi sortait, Flosi dit: « Voici une grande femme, aux larges épaules, qui s'en va là-bas. Emparez-vous d'elle et tenez-la bien. » Dès que Helgi eut entendu ces paroles, il jeta son manteau. Il avait gardé par dessous son épée à la main; il en frappa l'homme qui s'approchait et atteignit son bouclier, le coup trancha la pointe du bouclier, et la jambe de l'homme. Alors Flosi s'approcha, il leva sa hache sur la tête de Helgi, et l'abattit d'un coup.

Flosi vint près de la porte, et dit qu'il voulait parler à Njal, et aussi à Bergthora. Ils s'approchèrent. Flosi dit: « Je viens, Njal, t'offrir de sortir; tu n'as pas mérité d'être brûlé dans ta maison. » Njal répondit: « Je ne sortirai pas; je suis vieux, et je ne pourrais venger mes fils; et je ne veux pas vivre dans la honte. » Alors Flosi dit à Bergthora: « Sors, toi, femme; car pour rien au monde je ne veux te brûler. » Bergthora répondit: « J'ai été mariée jeune à Njal, et je lui ai promis que je partagerais avec lui heur et malheur. » Et ils rentrèrent tous les deux.

« Qu'allons-nous faire maintenant? » dit Bergthora. « Allons à notre lit, dit Njal et couchons-nous. Il y a longtemps que j'ai envie de me reposer. » Bergthora dit au petit Thord, fils de Kari: « On va te mener dehors, il ne faut pas que tu brûles ici. » — « Tu m'as promis, grand'mère, répondit l'enfant, que nous ne nous séparerions jamais, tant que je serais chez toi. J'aime bien mieux mourir avec toi et Njal que de vous survivre à tous deux. » Elle porta donc l'enfant sur le lit. Njal dit à son intendant: « Viens voir où nous nous couchons, et comment je dispose toute chose autour de nous; car je ne bougerai pas, quelque tourment que me causent la fumée ou la chaleur. Tu sauras donc où il faut chercher nos os. » Et l'autre dit qu'ainsi ferait-il. On avait tué un bœuf, et la peau était là. Njal lui dit de l'étendre sur eux, et il promit de le faire. Alors Njal et Bergthora se couchèrent dans le lit et mirent le petit garçon entre eux. Ils firent le signe de la croix sur eux et sur lui, et recommandèrent leurs âmes à Dieu, et ce furent les dernières paroles qu'on entendit d'eux. L'intendant prit la peau, l'étendit sur eux, et sortit.

Ketil de Mörk vint à sa rencontre et le tira dehors. Il s'informa de Njal, son beau-père, et l'intendant lui dit tout ce qui s'était passé. « Voici de grands malheurs qui fondent sur nous, dit Ketil; et cela fait bien des calamités à la fois. »

Skarphjedin avait vu que son père allait se coucher, et comment toutes choses s'étaient passées. « Voici notre père qui va se mettre au lit de bonne heure, dit-il; il fallait s'y attendre, car il est vieux. »

Il tombait des tisons enflammés. Skarphjedin, Kari et Grim les ramassaient comme ils tombaient, et les lançaient sur ceux du dehors; et cela dura un moment. Alors les autres leur lancèrent des javelots. Mais ils les arrêtaient au vol, et les leur renvoyaient. Flosi dit à ses gens de cesser: « Nos armes, dit-il, ne mous servirons de rien contre eux. Vous pouvez bien attendre que le feu en soit venu à bout. »

Les grosses poutres commençaient à tomber du toit. « Maintenant, dit Skarphjedin, mon père doit être mort. Je ne l'ai entendu ni tousser ni gémir. » Et ils s'en allèrent au bout de la salle. Il y avait là une poutre qui s'était effondrée. Elle était toute brûlée au milieu. Kari dit à Skarphjedin: « Saute dehors par là, et je sauterai après toi. De cette façon nous pourrons tous deux nous échapper; car toute la fumée vient de ce côté » Skarphjedin répondit: « C'est toi qui sauteras le premier; je serai sur tes talons. » — « Ce n'est pas sage, dit Kari; moi, je pourrai bien m'échapper d'un autre côté, si je n'y parviens pas ici. » — « Et moi je ne veux pas, dit Skarphjedin; saute le premier, je te suis. » — « C'est le devoir de tout homme » dit Kari, de sauver sa vie quand il le peut; et c'est ce que je vais faire. Voici que nous nous séparons pour ne plus nous revoir; car si je saute dehors, je ne rentrerai certes pas dans le feu pour t'y retrouver. Que chacun donc suive son chemin. » — « Je me réjouis de penser, mon frère, dit Skarphjedin, que si tu échappes tu me vengeras. » Alors Kari prit à la main une solive enflammée et se mit à courir vers la poutre qui brûlait. Il lança son tison du haut du mur, au milieu de ceux qui étaient dehors. Ils se sauvèrent tous. Les vêtements de Kari et ses cheveux étaient tout en flammes. Il sauta du haut du mur, et s'éloigna en courant le long de la fumée. Un de ceux, qui étaient le plus près demanda: « Est-ce qu'il ne vient pas de sauter un homme du haut du mur? » — « Non pas, dit un autre, c'est Skarphjedin qui nous a lancé un brandon. » Et ils ne s'en inquiétèrent pas davantage.

Kari courut jusqu'à un ruisseau, où il se jeta, pour éteindre le feu qui l'entourait. Puis il reprit sa course dans la fumée, et vint à un fossé où il se reposa. On l'appelle depuis lors le fossé de Kari.


CXXX

Il faut revenir à Skarphjedin. Il sauta sur la poutre tout de suite après Kari; mais quand il vint à l'endroit où elle était le plus brûlée, elle s'écroula sous lui. Il tomba sur ses pieds et essaya d'escalader la muraille; et voici qu'un pan du mur tomba sur lui, et le rejeta au dedans. « Je vois bien à présent où j'en suis » dit Skarphjedin. Et il s'avança le long de la muraille. Gunnar, fils de Lambi, grimpe sur la muraille et voit Skarphjedin. « Voilà que tu pleures, Skarphjedin? » dit-il. — « Non pas, dit Skarphjedin; mais les yeux me font mal, c'est la vérité. Et toi, tu ris, à ce que je vois? » — « Oui certes, dit Gunnar, et je n'avais pas ri encore depuis que tu tuas Thrain au Markarfljot. » — « Voici un cadeau, dit Skarphjedin, qui t'en fera souvenir. » Il prit dans sa poche une grosse dent qu'il avait arrachée à Thrain, et la jeta à Gunnar. La dent lui entra dans l'œil, qui vint pendre sur sa joue. Gunnar tomba du haut du mur.

Skarphjedin s'approcha de son frère Grim. Ils se mirent à piétiner sur le feu, en se tenant par la main. Quand ils furent au milieu de la salle, Grim tomba à terre, mort.

Alors Skarphjedin s'en alla vers le bout de la maison. À ce moment il y eut un grand fracas, et tout le toit s'effondra. Skarphjedin fut pris entre les décombres et le mur du pignon. Et il ne pouvait plus bouger de là.

Flosi et ses gens restèrent devant l'incendie jusqu'au matin. Et voici venir vers eux un homme à cheval. Flosi lui demanda son nom. Il s'appelait Geirmund et dit qu'il était parent des fils de Sigfus. « Vous avez fait là de grandes choses » dit-il. « On les appellera grandes, et mauvaises aussi, dit Flosi. Mais il n'y a plus rien à y faire maintenant. » — « Combien y en a-t-il de morts? » dit Geirmund. Flosi répondit: « Njal et Bergthora sont morts, et tous leurs fils, et Thord fils de Kari, et Kari fils de Sölmund, et Thord l'affranchi. Mais il peut y en avoir d'autres encore que nous ne savons pas. » Geirmund dit: « Il y en a un que tu nommes parmi les morts, et à qui j'ai parlé ce matin. » — « Qui donc? » dit Flosi. « Kari fils de Sölmund, dit Geirmund. Nous l'avons rencontré, moi et mon voisin Bard, et Bard lui a donné son cheval. Ses cheveux et ses vêtements étaient tout brûlés. » — « Avait-il des armes? » demanda Flosi. « Il avait son épée Fjörsvafni, dit Geirmund, et la lame était toute bleue d'un côté. La voilà ramollie, lui avons-nous dit, moi et Bard. Il a répondu qu'il la tremperait pour la durcir dans le sang des fils de Sigfus et des autres qui ont mis le feu avec eux. » — « Qu'a-t-il dit de Skarphjedin? » demanda Flosi. « Il a dit, répondit Geirmund, que lui et Grim étaient en vie quand ils s'étaient séparés, mais qu'à présent ils devaient être morts. »

 — « Tu nous as conté là une nouvelle, dit Flosi, qui ne nous promet ni paix ni repos; car celui qui nous a échappé est l'homme qui approchait le plus, en toutes choses, de Gunnar de Hlidarenda. Souvenez-vous de mes paroles, fils de Sigfus, et vous aussi, tous les autres: il y aura de telles représailles à cet incendie, que plus d'un y laissera sa tête, et d'autres tous leurs biens. Je doute qu'aucun de vous, fils de Sigfus, ose rester dans son domaine. Je vous offre donc à tous de venir chez moi, dans l'est, pour qu'un même sort nous frappe tous ensemble. » Ils le remercièrent de son offre, et dirent qu'ils l'acceptaient, Modolf fils de Ketil chanta:

« Un seul rejeton vit encore, de la maison de Njal. Tout le reste a été brûlé. Les vaillants fils de Sigfus ont accompli ce haut fait. La flamme est montée jusqu'au toit. La lueur de l'incendie a éclairé la maison. Voici vengé sur le fils de Gollnir le meurtre du brave Höskuld. »

« Vantons-nous d'autre chose, dit Flosi, que d'avoir brûlé Njal; car ce n'est pas un honneur pour nous. » Et il s'en alla vers le mur du pignon avec Glum fils d'Hildir, et quelques autres.

Glum dit: « Skarphjedin est-il mort à présent? » Les autres dirent qu'il devait l'être depuis longtemps. Par moments la flamme reprenait, et par moments s'éteignait tout à fait.

Et voici qu'ils entendirent en bas, du fond de l'incendie, une voix qui chantait:

« Vous auriez pleuré à chaudes larmes parmi le combat et le choc des épées, si mes amis et moi, nous avions pu nous acquérir de la gloire et marcher en avant, le tranchant de nos haches laissant des traces sanglantes. »

« Est-ce Skarphjedin vivant ou mort qui chante ainsi? » dit Grani, fils de Gunnar. « Peu nous importe » dit Flosi. « Cherchons les cadavres de Skarphjedin, et des autres qui ont brûlé ici. » dit Grani. — « Non pas, dit Flosi; il n'y a qu'un sot comme toi pour avoir une telle idée, au moment où dans le pays on se rassemble contre nous. Tel qui est à son aise à présent aura bientôt si grande peur qu'il ne saura où fuir. Voici mon avis, c'est que nous partions tous au plus vite. » Et Flosi s'en alla en hâte à l'endroit où étaient les chevaux, et tous les autres avec lui.

Flosi dit à Geirmund: « Ingjald est-il chez lui, à Kelda? » Geirmund dit qu'il croyait qu'il y était. « Cet homme, dit Flosi, a trahi son serment envers nous et manqué à la foi jurée. » Et se tournant vers les fils de Sigfus: « Que voulez-vous, dit-il, que nous fassions à Ingjald? Voulez-vous lui pardonner? Ou bien irons-nous l'attaquer et le tuer? » Ils dirent tous qu'il fallait l'attaquer et le tuer. Alors Flosi sauta sur son cheval, les autres aussi, et ils se mirent en route.

Flosi marchait le premier. Il alla droit vers la Ranga, et remonta le long de la rivière. Voici qu'il vit un homme qui chevauchait de l'autre côté. Il reconnut Ingjald de Kelda. Flosi l'appela. Ingjald s'arrêta et s'approcha du bord de la rivière. Flosi lui dit: « Tu as manqué à la parole que tu nous avais donnée et tu as forfait ta vie et tes biens. Voici les fils de Sigfus qui voudraient bien te tuer, mais moi je sais que tu t'es trouvé en un grand embarras, et je te donnerai la vie, si tu veux t'en remettre à mon jugement. » — « Avant de le faire, répondit Ingjald, il faut que j'aille trouver Kari. Quand aux fils de Sigfus, je leur répondrai que je n'ai pas plus peur d'eux qu'ils n'ont peur de moi. » — « Attends donc, dit Flosi, si tu n'as pas peur; je vais t'envoyer un message. » — « J'attends. » dit Ingjald.

Thorstein fils de Kolbein, neveu de Flosi, marchait à côté de lui, et il avait un javelot à la main. C'était un des plus braves et des meilleurs dans la troupe de Flosi. Flosi lui arracha son javelot et le lança à Ingjald: le javelot l'atteignit au côte gauche, traversa le bouclier au-dessous de la poignée et le fendit en deux, puis il entra dans la jambe d'Ingjald au dessous du genou, et vint s'enfoncer dans le bois de la selle. « T'ai-je touché? » dit Flosi. « Tu m'as touché certes, dit Ingjald; mais c'est une égratignure et non une blessure. » Il arracha le javelot, et dit à Flosi: « Attends, toi, maintenant, si tu n'es pas un lâche. » Et il lui renvoya le javelot à travers la rivière. Flosi le voit venir droit sur lui. Il tire son cheval en arrière. Le javelot le manque et passe devant sa poitrine. Il atteint Thorstein au milieu du corps; et Thorstein tombe mort, à bas de son cheval. Ingjald s'enfuit au galop vers les bois, et ils ne peuvent l'approcher.

Flosi dit à ses hommes: « Nous avons fait là une grande perte, et nous pouvons dire qu'après cela nous sommes des gens voués au malheur. Voici mon avis: c'est que nous nous en allions au col de Trihyrning. De là nous pouvons voir toutes les chevauchées du district; car ils vont rassembler autant de monde qu'ils pourront. Ils croiront sans doute que nous aurons fait route vers l'Est et vers le Fljotshlid, en tournant le dos au col de Trihyrning. De là, ils croiront encore que nous sommes entrés dans la montagne, marchant toujours vers l'est, jusqu'à notre pays. C'est de ce côté que le gros de leurs forces ira nous poursuivre. D'autres aussi nous chercheront plus bas dans l'est, du côté de Seljalandsmula, quoiqu'ils doivent trouver moins probable que nous ayons pris ce chemin. Mon avis est donc de monter sur la montagne de Trihyrning, et d'y rester jusqu'à ce que le soleil se soit couché trois fois. »

Ils montèrent donc sur la montagne, et entrèrent dans un vallon qu'on a appelé depuis le vallon de Flosi. De là ils pouvaient voir toutes les allées et venues du pays.


CXXXI

Il faut revenir à Kari. Il sortit du fossé où il s'était reposé, et marcha devant lui jusqu'à l'endroit où il rencontra Bard. Et ils se parlèrent de la manière que Geirmund avait dite. De là Kari s'en vint à cheval trouver Mörd fils de Valgard et lui dit la nouvelle. Mörd s'en lamenta beaucoup. Kari dit que de vaillants hommes avaient autre chose à faire que de pleurer sur les morts; et il le pria de rassembler du monde, et de venir le trouver à Holtsvad.

Après cela, Kari s'en alla dans la vallée de la Thjorsa, chez Hjalti fils de Skeggi. Comme il chevauchait le long de la Thjorsa, il vit un homme qui le suivait à bride abattue. Kari attendit l'homme, et vit que c'était Ingjald de Kelda. Il vit aussi qu'il avait une jambe toute couverte de sang. Kari demanda à Ingjald qui l'avait blessé. Ingjald le lui dit. « Où vous êtes vous rencontrés? » dit Kari. « Sur la Ranga, dit Ingjald, et il m'a lancé son javelot à travers la rivière. » — « Ne lui as-tu rien rendu? » dit Kari. « J'ai renvoyé le javelot, dit Ingjald, et ils ont dit qu'il avait touché un homme, qui était mort sur le coup. » — « Sais-tu qui c'était? » dit Kari. — « Il m'a paru ressembler à Thorstein neveu de Flosi. » dit Ingjald. — « Puisses-tu avoir toujours pareille chance » dit Kari.

Ils s'en allèrent tous deux ensemble chez Hjalti fils de Skeggi, et lui dirent la nouvelle. Il dit qu'on avait fait là de méchante besogne, et qu'il fallait se mettre sur l'heure à leur poursuite, et les tuer tous. Il rassembla du monde, appelant aux armes tous les hommes du pays. Avec cette troupe lui et Kari vinrent trouver Mörd fils de Valgard. Ils se réunirent à Holtsvad. Mörd y était avant eux, avec une grosse troupe. Ils se séparèrent pour battre le pays. Les uns descendirent à l'est vers Seljalandsmula, d'autres remontèrent le Fljotshlid, d'autres passant par le col de Trihyrning descendirent dans le Godaland. De là ils vinrent au nord jusqu'à Sand, et quelques-uns mêmes poussèrent jusqu'aux lacs des poissons, où ils tournèrent bride.

D'autres prirent plus bas dans l'est, et vinrent à Holt, où ils dirent la nouvelle à Thorgeir. Ils lui demandèrent si Flosi et les siens n'avaient pas passé par là. Thorgeir répondit: « Je ne suis pas un grand chef, mais il me semble que Flosi prendra un autre parti que de passer ici sous mes yeux, quand il vient de tuer Njal, le frère de mon père, et ses fils, mes cousins. Vous n'avez rien de mieux à faire que de vous en retourner; car vous avez cherché de droite et de gauche. Dites à Kari qu'il vienne me trouver, et qu'il demeurera ici chez moi, s'il lui plaît. S'il ne veut pas venir dans ce pays de l'Est, je veillerai, s'il veut bien, à son domaine de Dyrholm. Dites-lui aussi que je lui donnerai toute l'aide que je pourrai, et que j'irai à l'Alting avec lui. Il sait, je pense, que c'est à moi et à mes frères qu'appartient la vengeance, comme aux plus proches parents. Nous porterons plainte, et nous tâcherons de faire en sorte qu'une sentence de proscription s'ensuive, et mort d'hommes ensuite. Je ne vais pas avec vous maintenant, car je sais que cela ne servirait de rien. Ils vont se tenir sur leurs gardes autant que possible. »

Ils s'en allèrent et se retrouvèrent tous à Hofi. « C'est une honte pour nous, se disaient-ils les uns aux autres, de ne pas les avoir trouvés. » Mais Mörd disait que non. Beaucoup étaient d'avis qu'il fallait aller dans le Fljotshlid, et s'emparer des biens de tous ceux qui avaient pris part à la chose. On s'en remit là-dessus à l'avis de Mörd. Il dit que c'était le pire parti qu'on pût prendre. Ils demandèrent pourquoi. « Si leurs domaines restent debout, dit-il, ils reviendront pour les voir, et voir leurs femmes; et nous pourrons tomber sur eux, d'ici à quelque temps. Et maintenant ne doutez pas que je ne sois fidèle à Kari dans tout ce qu'il entreprendra; car j'ai à me garder moi-même. » Et Hjalti l'engagea à faire en sorte de tenir sa promesse.

Hjalti pria Kari de venir chez lui. Kari promit d'y aller sur l'heure. Les autres lui redirent l'offre de Thorgeir. « J'en profiterai plus tard, dit-il, et j'augure bien de notre affaire, s'il y en a beaucoup comme lui. » Et là-dessus, la troupe se sépara.

Flosi et ses gens avaient vu tout cela du haut de leur montagne. « Maintenant, dit Flosi, montons à cheval, et allons-nous en; c'est ce que nous avons de mieux à faire à présent. » Les fils de Sigfus demandèrent s'ils ne feraient pas bien de s'en aller chez eux, pour s'occuper de leurs domaines. « Mörd a bien pensé, dit Flosi, que vous iriez voir vos femmes. Et je vois d'ici qu'il a donné le conseil de ne pas toucher à vos domaines. Moi je suis d'avis qu'il ne faut pas nous séparer, et que vous veniez tous avec moi dans le pays de l'est. » Et ils se rangèrent tous à son avis.

Ils se mirent donc en route, passèrent au nord du Jökul, et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à Svinafell. Flosi envoya de suite chercher des vivres, pour qu'on ne manquât de rien. Il ne parlait jamais de l'expédition, mais il ne montrait pas la moindre crainte. Il resta chez lui tout l'hiver, jusqu'après la fête de Jol.


CXXXII

Kari pria Hjalti de venir avec lui chercher le corps de Njal: « car chacun croira, dit-il, à ce que tu diras avoir vu. » Hjalti dit qu'il irait volontiers chercher le corps de Njal pour le porter à l'église. Ils partirent donc, et ils étaient quinze hommes. Ils s'en allèrent à l'est, passant la Thjorsa; là ils rassemblèrent encore du monde, si bien qu'ils furent cent, en comptant les voisins de Njal.

Ils arrivèrent à Bergthorshval au milieu du jour. Hjalti demanda à Kari à quel endroit devait être le corps de Njal. Kari le lui montra. Il y eut beaucoup de cendre à ôter. Par dessous ils trouvèrent la peau, et elle était toute racornie par le feu. Ils l'ôtèrent, et dessous, Njal et sa femme étaient là tous deux, sans que le feu les eût touchés. Tous louèrent Dieu, et furent d'avis que c'était un grand prodige. On ôta le petit garçon qui était couché entre eux deux; de tout son corps il n'y avait de brûlé qu'un doigt, qu'il avait sorti de dessous la peau. On emporta Njal au dehors, puis Bergthora. Et tous s'approchèrent pour voir leurs cadavres.

« Que vous semble de ces cadavres? » dit Hjalti. « Nous attendons ton jugement » répondirent-ils. « Je vais dire en vérité ce que je pense, dit Hjalti. Le cadavre de Bergthora est tel qu'il fallait s'y attendre, quoiqu'elle soit encore belle: mais le visage de Njal est si resplendissant, que je n'ai jamais vu son pareil chez un homme mort. » Et ils dirent tous que c'était vrai.

Alors ils se mirent à la recherche de Skarphjedin. Des serviteurs leur montrèrent l'endroit où Flosi et les siens avaient entendu chanter. À cet endroit, le toit et le mur du pignon s'étaient effondrés. C'est là que Hjalti dit qu'il fallait creuser. Ils se mirent à l'ouvrage, et trouvèrent le corps de Skarphjedin. Il était debout, appuyé contre la muraille. Ses jambes étaient brûlées jusqu'aux genoux. Du reste de son corps, rien n'avait été touché par le feu. Il s'était mordu la lèvre. Ses yeux étaient grands ouverts, et la flamme ne les avait pas gonflés. Il avait enfoncé sa hache dans la muraille, si avant qu'elle y tenait jusqu'au milieu du tranchant; et elle s'était trouvée ainsi à l'abri du feu. On retira la hache, Hjalti la prit et dit: « Voici une arme rare; il y en a peu qui pourraient la porter. » — « Je sais un homme qui le pourra » dit Kari. — « Qui cela? » dit Hjalti. — « Thorgeir Skorargeir, dit Kari. Je le tiens maintenant pour le meilleur de leur race. »

Alors on ôta à Skarphjedin ses vêtements, que le feu n'avait pas brûlés. Il avait mis ses mains en croix, la droite dessus. On trouva sur lui une marque entre les épaules, et une autre sur la poitrine, toutes deux en forme de croix. Et les gens pensèrent que c'était lui qui s'était fait lui-même ces brûlures. Tous disaient qu'ils étaient plus à l'aise qu'ils n'auraient cru, près de Skarphjedin mort; car pas un n'avait peur de lui.

Ils cherchèrent le corps de Grim, et le trouvèrent au milieu de la salle. En face de lui, au pied de la muraille de côté, on trouva Thord l'affranchi; dans la chambre des fileuses, la vieille Sæun, et trois hommes. En tout, on trouva onze corps. On les porta à l'église, puis Hjalti s'en retourna et Kari avec lui.

Il vint une enflure à la jambe d'Ingjald. Il alla chez Hjalti, qui le guérit, mais il boita depuis ce moment.

Kari alla à Tunga, trouver Asgrim fils d'Ellidagrim. Thorhalla y était déjà, qui avait appris la nouvelle à son père. Asgrim reçut Kari à bras ouverts, et le pria de passer tout l'hiver chez lui. Kari le promit. Asgrim fit la même offre à tous ceux qui avaient été à Bergthorsval. « L'offre est bonne, et j'accepte pour eux » dit Kari. Et ils vinrent tous chez Asgrim.

Quand Thorhal fils d'Asgrim sut que Njal, son père nourricier, était mort, brûlé dans sa maison, il en fut si saisi que tout son corps enfla, et un flot de sang lui sortit des oreilles, si violent qu'on ne pouvait l'arrêter. Enfin il tomba en faiblesse, et le sang s'arrêta. Il se releva bientôt: « Ce n'est pas me conduire en homme, dit-il, mais j'espère me venger de ce qui vient de m'arriver, sur quelqu'un de ceux qui ont brûlé Njal. » Les autres lui dirent que personne ne lui en ferait honte. « Je ne m'inquiète pas de ce qu'on dit » fut sa réponse.

Asgrim demanda à Kari quelle aide on pouvait attendre de ceux du pays de l'est. Kari dit que Mörd fils de Valgard, et Hjalti fils de Skeggi lui donneraient autant de monde qu'ils pourraient, et aussi Thorgeir Skorargeir, et tous ses frères. Asgrim dit que c'était beaucoup. « Et quelle aide aurons-nous de toi? » dit Kari. — « La plus forte que je pourrai, dit Asgrim; et j'y laisserai ma vie, s'il le faut. » — « Fais ainsi, ce sera bien », dit Kari. — « J'ai parlé aussi, dit Asgrim, à Gissur le blanc. Je lui ai demandé son avis, et ce que nous avions à faire. » — « Bien, dit Kari, et qu'a-t-il conseillé? » Asgrim répondit: « Il a dit qu'il fallait nous tenir tranquilles jusqu'au printemps, qu'alors il nous fallait aller dans l'est et commencer la procédure contre Flosi pour le meurtre d'Helgi, prendre à témoins les voisins les plus proches, et citer Flosi devant le ting pour fait d'incendie, puis citer ces mêmes voisins à comparaître devant le tribunal. J'ai demandé à Gissur, qui avait à porter plainte pour le meurtre. Il a dit que c'était à Mörd à le faire, qu'il le trouve bon ou non: cela lui déplaira d'autant plus, a-t-il dit, que jusqu'ici tout dans cette affaire a tourné mal pour lui. Mais il faut que Kari se fâche toutes les fois qu'il verra Mörd, et il finira par l'y amener. Il aura du reste peur de moi. Voilà ce qu'a dit Gissur. » Kari répondit: « Nous suivrons tes conseils tant que nous pourrons, et c'est toi qui nous guideras. »

Nous parlerons encore de Kari. Il ne pouvait pas dormir la nuit. Asgrim s'éveilla une fois, et entendit que Kari était éveillé. « Ne peux-tu donc dormir la nuit? » dit Asgrim. Et Kari chanta:

« Le sommeil fuit mes yeux, car j'entends toujours la prière de ma femme; depuis qu'ils ont brûlé, l'automne passé, la maison de Njal, sans cesse je songe au mal qu'ils m'ont fait. »

Il n'y avait personne dont Kari parlât si souvent que de Njal et de Skarphjedin. Mais jamais il ne disait de mal de ses ennemis, jamais non plus il ne faisait entendre de menaces contre eux.


CXXXIII

Voici ce qui arriva une nuit à Svinafell. Flosi s'agitait en dormant. Glum fils d'Hildir, vint l'éveiller et il fut longtemps avant d'y arriver. Flosi dit: « Va me chercher Ketil de Mörk. » Ketil vint. « Je vais te conter mon rêve » dit Flosi. « --Fais le, » dit Ketil. — « J'ai rêvé, dit Flosi, que j'étais à Lomagnup. J'étais sorti, et je regardais en haut vers le sommet de la montagne. Et la montagne s'ouvrit. Un homme en sortit: il était vêtu de peau de chèvre, et il avait une barre de fer à la main. Il s'approchait en criant. C'étaient mes hommes qu'il appelait, d'abord les uns, puis les autres; et il les nommait par leur nom. Le premier qu'il appela fut mon parent Grim le rouge, après lui vint Arni fils de Kol. Et cela me parut étrange. Ensuite, il appela Eyjolf fils de Bölverk, et Ljot, fils de Hal de Sida, et six autres. Puis il se tut quelque temps. Après cela, il appela encore cinq des nôtres, et parmi eux, les fils de Sigfus, tes frères. Et puis encore cinq autres, et parmi eux, Lambi, Modulf, et Glum. Après ceux-là, il en appela trois, et en dernier lieu, Gunnar fils de Lambi, et Kol fils de Thorstein. Alors il vint à moi. Je lui demandai s'il avait quelque nouvelle à me donner. Et il me dit que oui. Je lui demandai son nom. Il dit qu'il se nommait Jarngrim. Je lui demandai où il allait. Il dit qu'il allait à l'Alting. « Que feras-tu là? » lui dis-je. Il répondit: « Je vais récuser les témoins, après quoi je récuserai les juges, pour laisser la place aux combattants. » Et il chanta:

« Les serpents du combat vont accourir, la tête levée. On verra la terre couverte de crânes. Les lames bleues feront retentir les plaines. Les hommes marcheront dans une rosée sanglante. »

Il frappa la terre de sa barre de fer, et il se fit un grand fracas. Alors il rentra dans la montagne. Mais moi, je fus saisi de frayeur. Et maintenant dis-moi ce que tu penses de mon rêve. » — « Je pense, dit Ketil, que tous ceux qu'il a appelés sont voués à la mort. Et mon avis est que nous ne parlions de ce rêve à personne, pour le moment. » Flosi dit qu'ainsi ferait-il.

Voici que l'hiver s'avance, et la fête de Jol est passée. Flosi dit à ses hommes: « Il faut nous en aller maintenant; car je ne pense pas qu'on nous laisse longtemps tranquilles. Nous allons chercher de l'aide, et il va arriver comme je vous le disais: il nous faudra tomber aux genoux de bien des gens avant que cette affaire ait pris fin. »


CXXXIV

Ils se préparèrent donc tous à partir. Flosi avait mis des pantalons longs, car il voulait aller à pied. Il savait qu'alors il déplairait moins aux autres de marcher eux-mêmes.

Ils partirent, et vinrent d'abord à Knappavöll; le jour suivant ils allèrent jusqu'à la Breida, et de la Breida au Kalfafell, de là au Bjarnanes sur le Hornafjord, de là au Stafafell, dans le pays de Lon, et enfin à Thvatta, chez Hal de Sida. Flosi avait pour femme sa fille Steinvör. Hal leur fit grand accueil. Flosi lui dit: « Je viens te demander, mon beau-père, de venir, toi et tous tes hommes, au ting avec moi. » Hal répondit: « Voici qu'il est arrivé comme dit le proverbe: La main ne se réjouit pas longtemps du coup qu'elle a porté. Tu en as plus d'un dans ta troupe, qui à présent baisse la tête, et qui poussait à la pire des besognes quand il n'y avait encore rien de fait. Mais moi, je te dois mon aide toutes les fois que cela me sera possible. » Flosi dit: « Que me conseilles-tu de faire, au point où nous en sommes? » — « Il faut que tu t'en ailles au Nord, répondit Hal, jusqu'au Vapnafjord, et tu demanderas du secours à tous les chefs du pays; tu auras besoin d'eux tous avant la fin du ting. »

Flosi resta là trois nuits. Quand il fut reposé, il s'en alla du côté de l'est, à Geitahellna, et de là au Berufjord. Ils y passèrent la nuit. De là ils prirent à l'est encore jusqu'à Heydal dans le Breiddal. Là demeurait Halbjörn le fort. Il avait pour femme Odny fille de Sörli fils de Brodhelgi. Flosi trouva chez lui un bon accueil. Halbjörn fit beaucoup de questions sur l'incendie. Et Flosi lui raconta tout par le menu. Halbjörn demanda jusqu'où Flosi comptait aller dans le pays des fjords du nord. Flosi dit qu'il irait jusqu'au Vapnafjord.

Flosi ôta de sa ceinture une bourse pleine d'argent, et la donna à Halbjörn. Halbjörn prit l'argent, tout en disant qu'il n'avait rien fait pour recevoir des présents de Flosi: « et je voudrais savoir, dit-il, en quelle manière je pourrai m'acquitter envers toi. » — « Je n'ai pas besoin d'argent, dit Flosi; mais je veux que tu sois pour moi dans ma querelle. Je n'ai aucun droit à te faire cette demande, car tu n'es ni mon parent ni mon allié. » Halbjörn répondit: « Je te promets d'aller au ting avec toi, et de prendre parti pour toi dans ta querelle comme je ferais pour mon frère. » Flosi le remercia.

De là, ils allèrent, par la plaine du Breiddal, à Hrafnkelstad. Là demeurait Hrafnkel fils de Thorir, fils de Hrafnkel, fils de Hrafn. Flosi trouva chez lui un bon accueil, et il lui demanda de venir au ting avec lui et de lui donner son aide. Hrafnkel s'en défendit longtemps. À la fin il promit que son fils Thorir irait au ting avec tous leurs hommes, et qu'il serait du même côté que les autres godis du district. Flosi le remercia et partit pour Bersastad. Là demeurait Holmstein fils de Spakbersir. Il reçut Flosi à merveille. Flosi lui demanda son aide. Holmstein dit qu'il la lui devait depuis longtemps.

De là ils allèrent à Valthjofstad. Là demeurait Sörli fils de Brodhelgi, et frère de Bjorni fils de Brodhelgi. Il avait pour femme Thordis, fille de Gudmund le puissant, de Mödruvöll. Flosi et les siens trouvèrent là un bon accueil. Le lendemain au matin, Flosi fit sa demande à Sörli de venir au ting avec lui, et il lui offrit de l'argent. « Je ne sais ce que je ferai, dit Sörli, tant que je ne saurai pas de quel côté sera Gudmund le puissant, mon beau-père; je veux être avec lui, là où il sera lui-même. » — « Je vois à ta réponse, dit Flosi, que c'est une femme qui commande ici. » Il se leva, et dit à ses gens de prendre leurs manteaux et leurs armes. Ils partirent, et ils n'avaient pas trouvé là de secours.

Ils descendirent le Lagarfljot, et vinrent à travers la plaine, à Njardvik. Là demeuraient deux frères, Thorkel Fulspak et Thorvald. Ils étaient fils de Ketil Thrim, fils de Thidrand le sage, fils de Ketil Thrim, fils de Thorir Thidrand. La mère de Thorkel Fulspak et de Thorvald était Yngvild fille de Thorkel Fulspak. Flosi trouva là un bon accueil. Il conta son affaire aux deux frères, et leur demanda du secours. Et ils refusèrent jusqu'à ce qu'il leur eût donné trois marcs d'argent à chacun. Alors ils promirent de l'aider.

Yngvild leur mère était là, comme ils promirent d'aller au ting. Elle se mit à pleurer. « Pourquoi pleures-tu, mère? » dit Thorkel. Elle répondit: « J'ai rêvé que Thorvald ton frère avait une casaque rouge, et elle était si étroite qu'il semblait qu'on l'eût cousu dedans. Il avait aussi des pantalons rouges, attachés par des lanières serrées. J'avais de la peine, en le voyant si mal à l'aise, mais je n'y pouvais rien. » Ils se mirent à rire, et dirent que c'étaient là des sottises, et que son bavardage ne les empêcherait pas d'aller au ting. Flosi les remercia fort et partit, s'en allant du côté du Vapnafjord.

Ils vinrent à Hof. Là demeurait Bjorni fils de Brodhelgi, fils de Thorgil, fils de Thorstein le blanc, fils d'Ölvir, fils d'Eyvald, fils d'Öxnathorir. La mère de Bjorni était Halla, fille de Lyting. La mère de Brodhelgi était Asvör fille de Thorir, fils de Graut Atli, fils de Thorir Thidrand. Bjarni fils de Brodhelgi avait pour femme Rannveig fille de Thorgeir, fils d'Eyrik de Goddal, fils de Geirmund, fils de Hroald, fils d'Eyrik Ördigskeggi. Bjarni reçut Flosi à bras ouverts. Flosi lui offrit de l'argent pour avoir son aide. Bjarni dit: « Jamais je n'ai vendu pour de l'argent ma vaillance et mon aide. Puisque tu en as besoin, je te la donnerai par amitié. J'irai au ting avec toi, et je prendrai ton parti, comme je ferais pour mon frère. » — « J'aurai donc une grosse dette envers toi, dit Flosi; mais je n'attendais pas moins de ta part. »

De là, Flosi et les siens vinrent à Krossavik. Là demeurait Thorkel fils de Geitir. Thorkel était grand ami de Flosi. Flosi lui fit sa demande. « C'est mon devoir, dit Thorkel, de te donner toute l'aide que je pourrai, et de prendre parti pour toi dans ta querelle, jusqu'au bout. » Et au départ il fit à Flosi de riches présents.

Alors Flosi quitta le pays du Nord. Venant du Vapnafjord, il entra dans le district du Fljotsdal, et fut l'hôte de Holmstein fils de Spakbersir. Flosi lui dit que tous avaient accueilli sa demande et promis de l'aider, hormis Sörli, fils de Brodhelgi. « C'est que Sörli est un homme pacifique » dit Holmstein; et il fit à Flosi de beaux présents.

Flosi remonta le Fljotsdal; de là, passant la montagne, il vint au Sud par les laves de l'Öxara et descendit dans le Svidinhornadal puis il prit à l'ouest jusqu'à l'Alptafjord. Et il ne s'arrêta pas, qu'il ne fut arrivé à Thvatta, chez Hal, son beau-père. Flosi y passa un demi-mois, avec ses hommes, à se reposer. Il demanda à Hal ce qu'il lui conseillait de faire, et s'il fallait changer ses projets. « Mon avis est, répondit Hal, que tu restes chez toi, dans ton domaine, avec les fils de Sigfus: ils enverront des gens pour prendre soin de leurs domaines. Allez donc chez toi tout d'abord; et quand vous partirez pour le ting, chevauchez tous ensemble, et ne dispersez pas votre monde. Sur la route, les fils de Sigfus iront voir leurs femmes. Moi j'irai au ting avec mon fils Ljot et tous nos hommes et je vous donnerai toute l'aide que je pourrai. » Flosi le remercia. Nul lui fit au départ de riches présents.

Flosi quitta donc Thvatta. Et il n'y a rien à conter de son voyage, sinon qu'il arriva sans encombre à Svinafell. Il passa chez lui le reste de l'hiver, et l'été jusqu'au moment du ting.


CXXXV

Kari fils de Sölmund et Thorhal fils d'Asgrim allèrent un jour à Mosfell trouver Gissur le blanc. Il les reçut à bras ouverts, et ils restèrent chez lui longtemps. Une fois, comme ils parlaient, eux et Gissur, de l'incendie et de la mort de Njal, il arriva à Gissur de dire que c'était un grand bonheur que Kari eût échappé. Alors il vint un chant sur les lèvres de Kari:

« C'est à regret que j'ai quitté, moi l'aiguiseur des épées qui fendent les casques, la maison de Njal en flammes. Là ont brûlé nombre de vaillants hommes. Écoutez mes paroles, vous à qui je conte ma douleur. »

« Il est naturel, dit Gissur, que tu ne puisses pas l'oublier. Mais nous n'en parlerons plus pour cette fois. »

Kari dit qu'il avait envie de retourner chez lui. Gissur répondit: « Je vais me montrer ton ami, et te donner un conseil. Ne retourne pas chez toi, mais va t'en à l'est, au pied de l'Eyjafjöll, trouver Thorgeir Skorargeir, et Thorleif Krak. Il faut qu'ils quittent le pays de l'est et qu'ils viennent avec toi; car c'est à eux qu'appartient la poursuite dans cette affaire. Il faudra que Thorgrim le grand, leur frère, vienne avec eux. Vous irez trouver Mörd fils de Valgard. Tu lui diras de ma part qu'il ait à se charger de la poursuite contre Flosi pour le meurtre d'Helgi, fils de Njal. Et s'il dit quoi que ce soit là-contre, tu feras mine d'entrer en grande colère, et de lui planter ta hache dans la tête. Tu lui parleras aussi de la colère que j'aurai s'il montre du mauvais vouloir. Tu lui diras que j'enverrai chercher ma fille Thorkatla pour la ramener chez moi. Cela, il ne pourra le souffrir, car il y tient comme à la prunelle de ses yeux. »

Kari le remercia de son conseil. Il ne lui parla pas de venir à son aide avec ses gens; car il savait qu'en cela comme en toute chose Gissur se montrerait son ami.

Kari partit donc, faisant route vers l'est; il passa la rivière et vint dans le Fljotshlid. Marchant toujours à l'est, il traversa le Markarfljot et vint à Seljalandsmula. Enfin ils furent à Holt, lui et les siens. Thorgeir les reçut avec de grandes marques d'amitié. Il leur conta le voyage de Flosi, et tout le secours qu'on lui avait promis dans le pays des fjords de l'est. Kari dit qu'il fallait s'attendre à le voir chercher de l'aide, après tous les meurtres dont il avait à répondre. « Plus leurs affaires vont bien, plus ils s'en repentiront » dit Thorgeir. Et Kari répéta à Thorgeir tout ce qu'avait dit Gissur.

Après cela ils quittèrent le pays de l'est, et vinrent dans la plaine de la Ranga chez Mörd fils de Valgard. Il les reçut bien. Kari lui dit le message de Gissur son beau-père. Il fit des façons, et dit que c'était une plus grosse affaire de citer Flosi en justice, que dix autres. « Il arrive donc, dit Kari, comme Gissur pensait; il n'y a rien que de mauvais à attendre de toi: tu es poltron et sans cœur. Mais tu auras ce que tu mérites, et Thorkatla va retourner chez son père. » Thorkatla se prépara sur l'heure, disant que depuis longtemps elle était toute disposée à se séparer de Mörd. Alors Mörd changea tout à coup de sentiment et de langage. Il pria Kari de ne se point mettre en colère, et promit de poursuivre Flosi. Kari lui dit: « Voici que tu t'es chargé de la poursuite; fais en sorte de la mener à bien, sans crainte; car ta vie en dépend. » Mörd dit qu'il mettrait tous ses soins à bien mener cette affaire, et à se conduire en vaillant homme.

Après cela, Mörd cita auprès de lui neuf hommes libres. Ils étaient tous les plus proches voisins du lieu du meurtre. Mörd prit Thorgeir par la main, et fit approcher deux témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que Thorgeir fils de Thorir me transmet son droit de poursuite contre Flosi fils de Thord, pour le meurtre d'Helgi fils de Njal, et me met à sa place dans toute la procédure qui s'ensuivra. Tu me transmets, Thorgeir, ta cause pour la poursuivre ou pour faire la paix, avec les mêmes droits que si c'était à moi, comme au plus proche, que la vengeance appartînt. Tu me la transmets selon ta loi et je m'en charge selon la loi. »

Une seconde fois, Mörd fit approcher des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je dénonce comme qualifiée par la loi l'attaque de Flosi, fils de Thord, sur Helgi, fils de Njal, quand il lui a fait, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, une blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a trouvé la mort. Je dénonce cette attaque devant cinq témoins (et il les nomma tous les cinq); je la dénonce selon la loi; je la dénonce en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Encore une fois, il fit approcher des témoins: « Vous m'êtes témoins dit-il, que je dénonce la blessure que Flosi, fils de Thord, a faite à Helgi, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Je la dénonce comme faite sur le lieu même où Flosi fils de Thord attaqua Helgi fils de Njal, attaque qualifiée par la loi. Je la dénonce devant cinq témoins (et il les nomma tous les cinq). Je la dénonce selon la loi. Je la dénonce en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Encore une fois, Mörd fit avancer des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je cite en témoignage les neuf plus proches voisins du lieu du meurtre (et il les nomma tous par leur nom), pour qu'ils comparaissent à l'Alting, et qu'ils y fassent leur déclaration en qualité de voisins au sujet de l'attaque, qualifiée par la loi, que Flosi fils de Thord a commise sur la personne d'Helgi fils de Njal, sur le lieu même où il lui a fait une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a trouvé la mort. Je vous fais sommation de n'oublier aucune des paroles que la loi vous oblige à prononcer, que je réclamerai de vous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Je vous fais cette sommation selon la loi, de manière que vous puissiez m'entendre. Je vous fais sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Mörd fit avancer encore des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que j'ai cité ces neuf hommes, tous proches voisins du lieu du meurtre, à comparaître devant l'Alting, et à faire leur déclaration, en qualité de voisins, au sujet de la blessure faite par Flosi fils de Thord à Helgi fils de Njal, à la tête, à la poitrine, ou aux membre inférieurs, blessure qui s'est trouvée être une blessure mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort, sur le lieu même où Flosi fils de Thord attaqua Helgi fils de Njal, attaque qualifiée par la loi. Je vous fais sommation de n'oublier aucune des paroles que la loi vous oblige à prononcer, que je réclamerai de vous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Je vous fais sommation selon la loi. Je vous fais sommation de manière que vous puissiez m'entendre. Je vous fais sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Alors Mörd dit: « Voici que l'affaire est engagée, comme vous l'avez demandé. Je te prie maintenant, Thorgeir Skorargeir, de venir me trouver quand tu iras au ting. Nous ferons route tous deux ensemble avec nos troupes réunies, et nous nous tiendrons de notre mieux; mes hommes seront prêts dès le commencement du ting: et je vous serai fidèle en toute chose. » Et ils furent contents de ce qu'il avait dit. Ils s'engagèrent par serment à ne pas se séparer les uns des autres, tant que Kari ne l'aurait pas permis, et à mettre leur vie en jeu les uns pour les autres. Ils se quittèrent en grande amitié, et se donnèrent rendez-vous au ting.

Thorgeir s'en retourna dans l'est. Mais Kari prit à l'ouest, passa la rivière, et vint à Tunga, chez Asgrim. Asgrim le reçut à merveille. Kari lui dit tous les conseils qu'avait donnés Gissur le blanc, et le commencement des poursuites. « J'attendais cela de lui, dit Asgrim; je savais qu'il se conduirait bien, et c'est ce qu'il a fait. » Et il demanda: « Qu'as-tu appris de Flosi, et du pays de l'est? » Kari répondit: « Il est allé dans l'est jusqu'au Vapnafjord; presque tous les chefs lui ont promis leur aide, et viendront avec lui au ting. Il attend aussi du secours de ceux du Reykardal, de Ljosvatn et de l'Öxfjord. » Et ils en parlèrent encore longtemps.

Voici que le temps se passe, et on approche de l'Alting.

Thorhal, fils d'Asgrim prit grand mal à la jambe. Elle enfla si fort au-dessus de la cheville qu'il ne pouvait plus marcher sans un bâton. Thorhal était fort, et de haute taille, noir de cheveux et de visage, prudent dans ses paroles, et pourtant d'humeur vive. Il fut le troisième parmi les grands hommes de loi de l'Islande.

Voici le moment venu où les hommes s'en vont au ting. Asgrim dit à Kari: « Tu vas partir pour être au ting dès le commencement, et tu dresseras nos huttes: mon fils Thorhal ira avec toi; traite le bien, et prends grand soin de lui, car il est infirme: mais nous aurons besoin de lui à ce ting. Je vous donnerai vingt hommes pour vous accompagner. » Et on fit les préparatifs du départ. Après quoi ils partirent pour le ting, dressèrent les huttes, et préparèrent toutes choses.


CXXXVI

Flosi se mit en marche, quittant le pays de l'est, avec les cent hommes qui étaient à l'incendie. Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'au Fljotshlid. Là, les fils de Sigfus allèrent voir leurs domaines, et ils y passèrent tout un jour. Le soir, ils s'en allèrent à l'ouest, passant la Thjorsa, et ils dormirent là cette nuit. Le lendemain de bonne heure ils remontèrent à cheval et reprirent leur route.

Flosi dit à ses hommes: « Il nous faut aller à Tunga, chez Asgrim fils d'Ellidagrim. Nous prendrons notre repas chez lui, et nous rabattrons son orgueil. » Et ils dirent que ce serait bien fait. Ils allèrent donc, et furent vite à Tunga. Asgrim était dehors, et il avait quelques hommes avec lui. Ils virent la troupe qui s'approchait. Les gens d'Asgrim dirent: « Ce doit être Thorgeir Skorargeir. » — « Je ne crois pas, dit Asgrim; ces gens là s'avancent avec des cris et des rires; mais des parents de Njal, comme Thorgeir, ne riraient pas tant que l'incendie ne sera pas vengé. J'ai une autre idée: il se peut que cela vous semble improbable, mais je crois que c'est Flosi et les autres qui ont brûlé Njal, et j'imagine qu'ils viennent pour nous faire un affront. Il faut que nous rentrions tous. » Et ils firent comme il avait dit.

Asgrim fit balayer la maison, dit qu'on l'ornât de tentures, qu'on mît des tables, et des viandes dessus. Il fit placer des sièges le long des bancs, par toute la salle.

Flosi entra dans l'enceinte. Il ordonna à ses hommes de mettre pied à terre et d'entrer. Ils le firent. Flosi et ses gens arrivèrent dans la salle. Asgrim était assis sur le banc du milieu. Flosi regarda les bancs et les tables, et vit qu'il y avait là, tout prêt, tout ce dont on avait besoin. Asgrim dit à Flosi, sans le saluer: « Les tables sont servies: ceux qui ont faim peuvent manger. » Flosi se mit à table et tous ses hommes avec lui. Ils placèrent leurs armes contre la muraille. Ceux qui n'eurent pas de place sur les bancs s'assirent sur les sièges devant les tables. Mais quatre hommes armés se tenaient devant l'endroit où Flosi était assis, pendant qu'ils mangeaient tous. Asgrim se taisait tant que dura le repas, mais son visage était rouge comme du sang. Quand ils eurent mangé leur saoul, les femmes ôtèrent les tables; d'autres apportèrent de l'eau pour laver les mains. Flosi prenait tout son temps, comme s'il eût été chez lui.

Il y avait, contre le banc du milieu, une hache à fendre le bois. Asgrim la prit à deux mains, et sautant sur le banc, en porta un coup à la tête de Flosi. Glum fils d'Hildir avait vu ce qu'il allait faire. Il sauta sur Asgrim, lui ôta des mains la hache et la leva sur lui à son tour; car Glum était d'une grande force. Alors beaucoup d'autres accoururent, voulant se jeter sur Asgrim. Mais Flosi défendit que personne lui fît du mal: « Nous l'avons mis, dit-il, à trop rude épreuve. Il n'a rien fait que ce qu'il devait faire; et il a montré qu'il avait le cœur bien placé. » Puis il dit à Asgrim: « Nous allons nous séparer sains et saufs, mais nous nous retrouverons au ting, et là, nous viderons notre querelle. » — « Oui, dit Asgrim, et j'espère qu'avant que le ting n'ait pris fin, vous aurez appris à le prendre de moins haut. » Flosi ne répondit rien. Ils sortirent, lui et ses hommes, remontèrent à cheval, et s'éloignèrent.

Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Laugarvatn, où ils passèrent la nuit. Le lendemain ils allèrent à Beitivöll, où ils firent halte. Là, quantité de gens vinrent les rejoindre. Hal de Sida en était, et tous les autres des fjords de l'est. Flosi les accueillit avec beaucoup de joie. Il leur conta son voyage et sa rencontre avec Asgrim. Beaucoup approuvèrent, et dirent que c'était agir hardiment. Mais Hal dit: « Je ne suis pas du même avis que vous; et il me semble que c'était une idée peu sensée. Ils se souvenaient bien assez des offenses qu'on leur a faites, sans qu'il fût besoin de les leur rappeler. Ceux-là n'ont que du mal à attendre, qui excitent les autres si rudement. » Et Hal laissait bien voir qu'il trouvait qu'on était allé trop loin.

Ils partirent tous ensemble et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à la plaine d'en haut. Là ils mirent leur monde en bataille et descendirent au ting. Flosi avait fait dresser d'avance les huttes de ceux de Byrgir; les gens des fjords de l'est s'en allèrent vers les leurs.


CXXXVII

Il nous faut parler maintenant de Thorgeir Skorargeir. Il partit du pays de l'est avec une troupe nombreuse. Ses frères, Thorleif Krak et Thorgrim le grand, étaient avec lui. Ils chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Hof, chez Mörd fils de Valgard; et ils attendirent là qu'il fût prêt à partir. Mörd avait rassemblé tous les hommes en état de porter les armes, et il avait l'air d'un homme qui ne craint nulle chose. Ils se mirent en route, et passant la rivière, vinrent dans le pays de l'ouest. Là on attendit Hjalti fils de Skeggi. Il n'y avait pas longtemps qu'ils attendaient, quand il arriva. Ils l'accueillirent avec joie et ils marchèrent tous ensemble jusqu'à Reykja, dans le district de Biskupstunga. Là ils attendirent Asgrim fils d'Ellidagrim. Il vint se joindre à eux, et on fit route vers l'ouest, passant par la Bruara.

Asgrim leur dit ce qui s'était passé entre lui et Flosi. « J'espère, dit Thorgeir, que nous pourrons éprouver leur courage, avant que le ting n'ait pris fin. » Et ils continuèrent à marcher jusqu'à Beitivöll. Là, Gissur vint les joindre, avec beaucoup de monde. Et ils parlèrent longtemps tous ensemble.

Enfin ils arrivèrent à la plaine d'en haut: là, ils mirent tout leur monde en bataille, et descendirent ainsi vers le ting. Flosi et ses gens coururent aux armes, et peu s'en fallut qu'on n'en vint à combattre. Mais Asgrim et les siens ne s'y laissèrent pas amener, et vinrent tout droit à leurs huttes. Le jour se passa tranquillement, sans qu'ils eussent affaire les uns aux autres. Il était venu des chefs de tous les pays, et de mémoire d'homme on n'avait vu un ting aussi nombreux.


CXXXVIII

Il y avait un homme nommé Eyjolf. Il était fils de Bölverk, fils d'Eyjolf le rusé, de l'Otradal, fils de Thord Gellir, fils d'Oleif Feilar. La mère d'Eyjolf le rusé était Hrodny, fille de Skeggi, du Midfjord, fils de Skinabjörn, fils de Skutadarskeggi.

Eyjolf fils de Bölverk était un homme de grande importance, et fort instruit dans la loi. Il fut le troisième parmi les meilleurs hommes de loi de l'Islande. C'était l'homme le plus beau de visage qu'on pût voir. Il était grand et fort, et il avait tout ce qui fait les grands chefs, mais il était avare, comme tous ceux de sa famille.

Un jour, Flosi vint à la hutte de Bjarni fils de Brodhelgi. Bjarni le reçut à bras ouverts, et le fit asseoir à côté de lui. Ils parlèrent de bien des choses. Flosi dit à Bjarni: « Que me conseilles-tu de faire à présent? » — « Il est difficile, répondit Bjarni, de donner un conseil dans une affaire comme la tienne; mais le mieux serait, il me semble, d'aller demander du secours; car ils ont rassemblé de grandes forces contre vous. Je te demanderai aussi, Flosi, s'il y a parmi vos gens quelque homme bien versé dans la loi; car vous avez le choix entre deux choses: ou bien offrir la paix, ce qui serait, pour le mieux; ou bien défendre votre cause selon les lois, s'il y a des moyens de défense, mais il faudra de la hardiesse pour mener à bien ce parti. C'est, je crois, ce qu'il vous faut faire, car vous avez commencé fièrement, et il ne vous convient guère de vous rabaisser. »

 — « Pour ce qui est d'hommes habiles dans la loi, répondit Flosi, je te dirai tout de suite que nous n'en avons point parmi les nôtres, si ce n'est Thorkel fils de Geitir, ton parent. » — « Nous n'avons pas à compter sur lui, dit Bjarni. Il est versé dans la loi, c'est vrai, mais il est d'une prudence telle qu'il ne servira de bouclier à personne. Il combattra pour toi comme le meilleur de tes hommes, car il est vaillant. Mais je te le dis, celui qui produira un moyen de défense dans l'affaire de l'incendie est un homme mort, et je ne me soucie pas que ce soit mon parent Thorkel. Il faut donc que nous cherchions ailleurs. »

Flosi dit qu'il ne savait en aucune façon quels étaient les meilleurs hommes de loi. Bjarni lui dit: « Il y a un homme nommé Eyjolf, fils de Bölverk. C'est le meilleur homme de loi des districts des fjords de l'ouest. Nous aurons à lui donner beaucoup d'argent, si nous voulons l'avoir pour nous dans cette affaire. Mais il ne faut pas nous arrêter à cela. Il faudra aussi que nous allions en armes à toutes les séances du tribunal, et que nous nous montrions aussi prudents que possible, en sorte que nous n'en venions aux mains que si nous avons à nous défendre. Maintenant, je vais aller avec toi demander du secours; car je crois que nous n'avons pas longtemps à rester tranquilles. »

Alors il sortirent de la hutte, et allèrent chez ceux de l'Öxfjord. Bjarni parla à Lyting, et à Blæing, et à Hroa fils d'Arnstein, et il eut vite fait d'obtenir d'eux ce qu'il demandait. Ensuite, ils allèrent trouver Kol, fils de Vigaskuta, et Eyvind fils de Thorkel, fils d'Askel le godi. Ils leur demandèrent du secours, et les autres s'en défendirent longtemps. À la fin pourtant, ils acceptèrent trois marcs d'argent, et promirent d'être avec Flosi dans son affaire.

Après cela, Flosi et Bjarni allèrent aux huttes de ceux de Ljosvatn, et là, ils s'arrêtèrent longtemps. Flosi leur demanda du secours. Mais ils firent toutes sortes de difficultés. Alors Flosi entra dans une grande colère: « Vous êtes de méchantes gens, dit-il. Là-bas, dans votre pays, vous êtes avides et injustes, et au ting vous refusez votre aide à ceux qui vous la demandent. Vous en aurez honte et reproches à ce ting même, si vous ne vous souvenez plus des injures dont Skarphjedin vous a couverts, vous autres gens de Ljosvatn. » Après quoi, baissant la voix, il leur offrit de l'argent pour avoir leur aide, et à force de belles paroles, il leur fit promettre qu'ils la donneraient. Ils s'enhardirent si bien qu'ils dirent que si Flosi en avait besoin, ils combattraient avec lui.

« Voilà qui va bien, dit Bjarni à Flosi. Tu es un grand chef et un homme hardi. Tu vas droit devant toi, et tu ne ménages personne. »

Ils s'en allèrent de là, et prirent à l'ouest, passant l'Öxara. Ils vinrent à la hutte de ceux de Hlad. Il y avait beaucoup d'hommes dehors devant la porte. L'un d'eux avait un manteau d'écarlate sur les épaules et un bandeau d'or autour de la tête. Il tenait à la main une hache incrustée d'argent. « Cela se trouve bien, dit Bjarni. Voilà Eyjolf fils de Bölverk, si tu veux lui parler, Flosi. » Ils allèrent donc trouver Eyjolf et le saluèrent. Eyjolf reconnut de suite Bjarni, et lui fit bon accueil. Bjarni prit Eyjolf par la main, et le conduisit dans l'Almannagja. Les hommes de Bjarni et ceux de Flosi marchaient derrière eux. Les hommes d'Eyjolf étaient aussi venus avec lui.

Bjarni les mena sur le bord d'en haut, et leur dit de rester là, et de regarder autour d'eux. Lui et Flosi avec Eyjolf s'en allèrent jusqu'à l'endroit, où le chemin commence à descendre le long du précipice. « Voilà un bon endroit pour s'asseoir, dit Flosi, et d'où on peut voir au loin. » Et ils s'assirent. Ils étaient quatre en tout.

Bjarni dit à Eyjolf: « Nous sommes venus te trouver, mon ami; parce que nous avons grand besoin de ton aide en beaucoup de choses. » — « Il ne manque pas de vaillants hommes au ting, répondit Eyjolf; et vous n'aurez pas de peine à trouver quelqu'un qui vous aide mieux que moi. » — « Non pas, dit Bjarni. Sur beaucoup de points, tu n'as pas ici ton pareil. D'abord tu es d'aussi bonne race que tous ceux qui descendent de Ragnar Lodbrok. Ensuite tes ancêtres ont été souvent parties dans de grands procès, soit au ting, soit là-bas dans les districts, et toujours ils ont eu le dessus. Nous ne doutons pas que tu n'aies comme eux la victoire dans les procès auxquels tu te mêleras. » — « Tu parles bien, Bjarni, dit Eyjolf; mais je ne sais pas ce que j'ai à faire dans tout ceci. » Alors Flosi dit: « Voilà trop de paroles pour en venir à ce que nous avons en tête. Nous sommes venus te demander ton aide, Eyjolf; nous te prions d'être avec nous dans notre affaire, de venir avec nous devant le tribunal, et de trouver des moyens de défense, s'il y en a, de les présenter en notre lieu et place et de nous aider en toute circonstance qui puisse se produire devant ce ting. »

Alors Eyjolf sauta sur ses pieds, tout en colère: « Je ne permets à personne, dit-il, de se servir de moi comme d'un bouffon, et de me mettre en avant, quand je n'en ai pas envie. Je vois bien à présent où vous vouliez en venir avec toutes vos belles paroles. » Halbjörn le fort le prit par la main et le força à s'asseoir entre lui et Bjarni: « L'arbre ne tombe pas du premier coup, mon ami, lui dit-il; assieds-toi près de nous d'abord. » Flosi ôta de son bras un anneau d'or, et dit: « Je veux te donner cet anneau, Eyjolf, en retour de ton amitié et de ton aide, et par là, je te montrerai que je ne me moque pas de toi. Tu feras bien d'accepter cet anneau, car il n'y a nul homme ici au ting, à qui j'aie fait jamais un présent semblable. » L'anneau était si beau, si large et si bien travaillé, qu'il valait bien douze cents aunes de drap. Halbjörn le passa au bras d'Eyjolf. « Je crois, dit Eyjolf, que je vais accepter cet anneau, puisque tu agis si bien avec moi. Tu peux compter que je me chargerai de trouver des moyens de défense, et de faire tout ce qu'il faudra. » — « Vous vous êtes bien conduits tous les deux, dit Bjarni; et nous voici, Halbjörn et moi, tout trouvés pour être témoins qu'Eyjolf s'est chargé de l'affaire. »

Alors Eyjolf se leva, Flosi aussi, et ils se donnèrent la main. Eyjolf prit sur lui, des mains de Flosi, toute la conduite de la défense, et de tout nouveau procès qui pourrait résulter des moyens présentés; car il arrive souvent que la défense dans une cause devient poursuite dans une autre. Il se chargea de même de toutes les preuves à présenter dans cette affaire, soit devant le tribunal de district, soit devant le cinquième tribunal. Flosi lui délégua ses droits selon la loi, et Eyjolf les accepta selon la loi.

Alors Eyjolf dit à Flosi et à Bjarni: « Voici que je me suis chargé de l'affaire, comme vous m'en aviez prié. Mais je veux que pour l'instant vous teniez ceci caché. Si l'affaire vient devant le cinquième tribunal, gardez-vous bien de dire que vous m'avez fait un présent pour avoir mon secours. »

Alors Flosi se leva, et aussi Bjarni, et les autres. Flosi et Bjarni retournèrent chacun dans sa hutte. Mais Eyjolf vint à la hutte de Snorri le godi, et il s'assit à côté de lui. Ils parlèrent de bien des choses. Snorri prit le bras d'Eyjolf, releva sa manche, et vit qu'il avait un large anneau d'or. « As-tu acheté cet anneau, ou te l'a-t-on donné? » dit Snorri. Eyjolf ne trouvait rien à dire, et se taisait. — « Je vois bien, dit Snorri, que c'est un présent qu'on t'a fait. Puisse cet anneau ne pas te coûter la vie. » Eyjolf sauta de son siège et s'en alla, sans dire un mot. En le voyant se lever en telle hâte Snorri dit: « Je crois qu'avant que ce ting n'ait pris fin, tu sauras quel cadeau tu as accepté là. » Et Eyjolf s'en retourna dans sa hutte.


CXXXIX

Il faut revenir à Asgrim fils d'Ellidagrim. Ils se réunirent, lui et Kari fils de Sölmund, et aussi Gissur le blanc, et Hjalti fils de Skeggi, et Thorgeir Skorargeir, et Mörd fils de Valgard. Asgrim prit la parole: « Nous n'avons pas besoin, dit-il, de nous parler à part, car il n'y a ici que des hommes qui ont confiance les uns dans les autres. Je vous demande maintenant si vous savez quelque chose des desseins de Flosi. Car il faut, je crois, que nous aussi nous décidions ce que nous allons faire. »

Gissur le blanc répondit: « Snorri le Godi m'a envoyé dire que Flosi avait reçu des renforts nombreux des pays du Nord; et aussi qu'Eyjolf fils de Bölverk, son parent, avait accepté de quelqu'un un anneau d'or, et qu'il s'en cachait. Snorri dit qu'à ce qu'il croit ils ont décidé Eyjolf à présenter des moyens de défense dans leur affaire, et que l'anneau lui a été donné pour cela. » Ils furent tous d'avis qu'il devait en être ainsi.

Gissur reprit: « Voici mon gendre Mörd fils de Valgard, qui s'est chargé de la partie de l'affaire la plus dangereuse, de l'avis de tous; la poursuite contre Flosi. Je viens vous prier maintenant de vous partager le reste; car il sera bientôt temps de porter plainte au tertre de la loi. Il faut aussi que nous allions chercher du secours. » — « C'est ce que nous allons faire, dit Asgrim; mais nous te prierons de venir avec nous. » Gissur dit qu'il voulait bien.

Gissur choisit pour venir avec lui tous les hommes les plus sages de leur troupe. Il y avait là Hjalti fils de Skeggi, Asgrim, et Kari, et Thorgeir Skorargeir. « Nous irons d'abord, dit Gissur, chez Skapti fils de Thorod. » Et ils allèrent à la hutte de ceux d'Ölfus. Gissur le blanc marchait le premier, puis Hjalti, puis Kari, puis Asgrim, puis Thorgeir Skorargeir, puis ses frères. Ils entrèrent dans la hutte. Skapti était assis sur le banc du milieu. Dès qu'il vit Gissur le blanc il se leva pour venir à sa rencontre, lui souhaita la bienvenue, à lui et à tous les autres, et le pria de s'asseoir près de lui. Gissur le fit. Puis il dit à Asgrim: « Parle le premier, et demande son aide à Skapti; j'ajouterai ce qui me semblera bon. »

Asgrim dit: « Nous sommes venus ici, Skapti, te demander aide et secours. » Skapti répondit: « Vous avez bien vu la dernière fois qu'on ne venait pas à bout de moi, quand je n'ai pas voulu me charger de vos embarras. » — « Cette fois c'est autre chose, dit Gissur. Il s'agit de porter plainte pour la mort de Njal, et de Bergthora son épouse, qui ont été brûlés dans leur maison, sans l'avoir mérité, et aussi pour la mort des trois fils de Njal, et de maints autres braves hommes. Tu ne feras jamais pareille chose, de refuser ton aide à des hommes qui te la demandent, et qui sont tes parents et tes alliés. »

 — « Skarphjedin m'a dit un jour, répondit Skapti, que j'avais enduit ma tête de goudron, et que j'avais levé une bande de gazon pour me cacher dessous. Il a dit aussi que j'avais si grande peur, que Thorolf fils de Lopt, d'Eyra, m'avait caché sur son vaisseau, parmi ses sacs de farine, et m'avait amené de la sorte en Islande; ce jour-là j'ai résolu de ne jamais porter plainte pour sa mort. » — « Il ne faut plus penser à ces choses, dit Gissur, celui qui a dit cela est mort. Tu me donneras bien ton aide, à moi, si tu ne veux pas le faire pour d'autres. » — « Ce n'est pas ton affaire, répondit Skapti; pourquoi as-tu été t'en mêler? »

Alors Gissur entra en grande colère et dit: « Tu n'es pas comme ton père; bien qu'il ne fallût pas toujours se fier à lui, il était du moins toujours prêt à porter secours à ceux qui avaient besoin de lui. » — « Nous ne sommes pas du même avis, vous et moi, dit Skapti. Vous croyez tous deux avoir fait de grandes choses, toi Gissur en attaquant Gunnar de Hlidarenda, et toi, Asgrim, en tuant Gauk, ton frère d'adoption. » Asgrim répondit: « Peu d'hommes disent le bien quand ils savent le mal, mais chacun te dira que je n'ai tué Gauk que lorsque j'y ai été forcé. On peut t'excuser de ne pas nous venir en aide, mais non pas de nous dire des injures. Je souhaite qu'avant la fin du ting, cette affaire tourne à ta honte, et qu'il ne se trouve personne pour t'en tirer. »

Alors Gissur et les siens se levèrent tous et sortirent. Ils allèrent à la hutte de Snorri le Godi, et ils y entrèrent. Il les reconnut tout de suite, et se leva pour venir à leur rencontre. Il dit qu'ils étaient tous les bienvenus, et leur fit place pour s'asseoir près de lui. Après quoi ils demandèrent quelles nouvelles on racontait. Asgrim dit à Snorri: « Nous sommes venus te demander ton aide, moi et mon parent Gissur. » Snorri répondit: « Tu parles comme il fallait s'y attendre; et tu as raison de porter plainte pour le meurtre de parents tels que les tiens. Nous avons reçu de Njal plus d'un bon conseil, quoique peu de gens s'en souviennent encore. Mais je ne sais pas de quelle sorte d'aide vous avez le plus besoin. » — « Nous avons besoin, dit Asgrim, qu'on nous mette en état de nous battre ici même au ting. » — « Il est vrai dit Snorri, qu'il y a des chances pour cela. Je prévois que vous irez de l'avant, hardiment, et qu'ils se défendront de même. Et aucun des deux partis ne pourra obtenir justice. Vous ne pourrez souffrir cela, vous les attaquerez, et vous n'aurez pas autre chose à faire; car ils vous feraient honte de la mort de vos parents, si vous la laissiez sans vengeance. » Il était facile de voir qu'il cherchait à les exciter.

« Tu parles bien, Snorri » dit Gissur le blanc, et quand on a besoin de toi, tu te montres toujours le plus vaillant de tous. » — « Je voudrais savoir, dit Asgrim, quelle aide tu nous donneras, si les choses se passent comme tu dis. »--Snorri répondit: « Je vous donnerai une preuve d'amitié qui vous fera grand honneur. Mais je n'irai pas avec vous au tribunal. Si vous devez vous battre au ting, ne les attaquez que si vous n'avez avec vous que des gens résolus; car vous aurez contre vous de rudes champions. Si vous êtes repoussés, faites-vous amener de notre côté; je tiendrai ma troupe ici, toute rangée en bataille, et je serai prêt à venir à votre secours. Si ce sont eux qui plient, j'ai idée qu'ils courront vers l'Almannagja, pour s'y fortifier. S'ils y arrivent, vous n'en viendrez jamais à bout. Je me charge donc de rassembler mes gens devant, et de les empêcher de s'y établir. Mais nous ne les poursuivrons pas s'ils s'enfuient le long de la rivière, soit vers le Nord, soit vers le Sud. Quand vous aurez tué assez des leurs pour faire face aux amendes à payer, sans y perdre vos dignités et votre droit de résider dans le pays, alors j'accourrai avec mes gens et je vous séparerai. Mais il faut que vous cessiez le combat dès que je vous en prierai, si j'ai fait de mon côté ce que je vous promets à présent. » Gissur lui fit de grands remerciements, et dit qu'il avait bien parlé, et prévu toutes les difficultés. Là-dessus, ils sortirent.

« Où allons-nous maintenant? » dit Gissur. « À la hutte de ceux de Mödruvöll. » dit Asgrim. Et ils y allèrent.


CXL

Comme ils entraient dans la hutte, ils virent Gudmund le puissant, assis, qui parlait avec Einar fils de Konal, son fils d'adoption. Einar était un homme sage. Asgrim et les autres s'avancèrent vers Gudmund. Il les accueillit bien, et fit faire place pour eux dans la hutte, de manière que tous pussent s'asseoir. Alors on se demanda les nouvelles. Asgrim dit: « Je n'ai pas à murmurer tout bas ce que j'ai à te dire: nous sommes venus ici pour te demander de nous prêter secours, hardiment. » — « Avez-vous déjà vu d'autres chefs? » demanda Gudmund. Ils répondirent qu'ils avaient été trouver Skapti fils de Thorod, et Snorri le godi, et ils lui dirent en confidence comment l'un et l'autre s'étaient comportés. Alors Gudmund dit: « Il n'y a pas longtemps que je vous ai fait des difficultés, et ce jour-là je ne me suis pas conduit en vaillant homme. Aujourd'hui je veux vous aider d'autant plus que j'ai fait alors plus de résistance. J'irai avec vous devant le tribunal, et tous mes hommes avec moi. Je vous aiderai en toutes choses à ce ting; je combattrai avec vous, s'il faut en venir là, et je mettrai ma vie en jeu pour la vôtre. Je veux aussi punir Skapti, en menant son fils Thorstein Holmud, au combat avec nous; il n'osera pas faire autre chose que ce que je veux, car il a pour femme ma fille Jodis, et Skapti sera forcé d'arriver pour nous séparer. »

Ils lui firent de grands remerciements, et parlèrent encore longtemps à voix basse, de manière à n'être entendus de personne. Gudmund les engagea à ne plus aller trouver d'autres chefs, pour se mettre à leurs pieds, disant que ce ne serait pas digne de vaillants hommes comme eux: « Nous tenterons l'aventure avec ce que nous avons de monde. Venez en armes à toutes les audiences, mais pour l'instant, évitez d'engager le combat. » Alors ils sortirent tous, et retournèrent à leurs huttes. Et ceci ne fut su que de très peu de gens. Le ting suivait son cours.


CXLI

Il arriva un jour que les hommes vinrent au tertre de la loi. Voici comme étaient placés les chefs: Asgrim fils d'Ellidagrim et Gissur le blanc, Gudmund le puissant et Snorri le godi étaient en haut, tout contre le tertre, et ceux des fjords de l'est se tenaient en bas, Mörd fils de Valgard était à côté de Gissur le blanc, son beau-père. Mörd était le plus beau parleur qu'il y eût au monde. Gissur prit la parole, et dit que Mörd allait porter plainte dans l'affaire de meurtre, et il l'engagea à parler haut pour que tous pussent l'entendre.

Mörd prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je dénonce comme qualifiée par la loi l'attaque de Flosi fils de Thord sur Helgi fils de Njal, attaque commise sur le lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Je dis que pour cette action il mérite d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'il doit être défendu à tout homme de le nourrir, de le transporter, de l'aider en nulle manière. Je dis que tous ses biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte, pour ce meurtre, devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Flosi fils de Thord en justice cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier. Je porte plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Il se fit une grande rumeur au tertre de la loi, et tous disaient qu'il avait bien parlé, et comme il fallait.

Mörd prit la parole une seconde fois: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je porte plainte contre Flosi fils de Thord pour la blessure qu'il a faite à Helgi fils de Njal, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis sur Helgi fils de Njal une attaque qualifiée par la loi. Je dis, Flosi, que pour cette action tu dois être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'il doit être défendu de te nourrir, de te transporter, de t'aider en nulle manière. Je dis que tous tes biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Flosi fils de Thord en justice cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier. Je porte plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. »

Alors Mörd s'assit. Flosi l'avait écouté attentivement, mais il ne disait pas un mot.

Thorgeir Skorargeir se leva à son tour et prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je porte plainte contre Glum, fils d'Hildir, pour avoir pris du feu, l'avoir attisé, et porté l'incendie au domaine de Bergthorshval, où il a fait brûler dans leur maison Njal fils de Thorgeir et Bergthora, fille de Skarphjedin, et tous les autres hommes, qui ont été brûlés avec eux. Je dis que pour cette action il doit être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'ait ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. Je dis que tous ses biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je porte plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, d'après la loi. Je porte plainte selon la loi. Je porte plainte de manière à être entendu de tous, au tertre de la loi. Je cite Glum fils d'Hildir en justice, cet été même, et je demande que la peine de la proscription lui soit appliquée dans son entier. »

Kari, fils de Sölmund, porta plainte contre Kol fils de Thorstein, Gunnar fils de Lambi, et Grani fils de Gunnar. Et les gens dirent qu'il avait parlé merveilleusement bien. Thorleif Krak porta plainte contre tous les fils de Sigfus. Thorgrim le grand, son frère, porta plainte contre Modolf fils de Ketil, Lambi fils de Sigurd, et Hroar fils d'Hamund, frère de Leidolf le fort. Asgrim fils d'Ellidagrim porta plainte contre Leidolf, Thorstein fils de Geirleif, Arni fils de Kol, et Grim le rouge. Et ils parlèrent bien, tous. Après cela, d'autres portèrent plainte dans d'autres affaires. Et il se passa ainsi une bonne partie du jour. Puis, les hommes rentrèrent dans leurs huttes.

Eyjolf fils de Bölverk vint à la hutte de Flosi. Ils s'en allèrent derrière la hutte, du côté de l'est. Flosi dit à Eyjolf: « Vois-tu quelque moyen de défense dans cette affaire? » — « Aucun » dit Eyjolf. « Que me conseilles-tu? » dit Flosi. « Il est difficile de donner un conseil là-dessus, dit Eyjolf; je vais pourtant te dire le mien. Il faut que tu déposes ta dignité de godi, et que tu la transmettes à ton frère Thorgeir. Et toi, fais-toi inscrire parmi ceux qui vont au ting avec Askel le godi, fils de Thorketil, du Reykjardal, dans le pays du Nord. S'ils n'arrivent pas à savoir cela, il se peut qu'ils y trouvent leur perte; car ils porteront plainte contre toi devant le tribunal des fjords de l'est quand il eût fallu le faire devant le tribunal des districts du Nord. Et il est probable qu'ils n'y feront pas attention. Alors tu auras un recours contre eux devant le cinquième tribunal, s'ils ont porté plainte devant un autre tribunal que celui qu'il fallait. Et nous pourrons reprendre l'affaire, mais nous ne ferons cela que comme dernière ressource. »

 — « Je crois, dit Flosi, que nous voici bien payés de notre anneau. » — « Je n'en sais rien, dit Eyjolf, mais je veux vous conseiller si bien, que les gens soient forcés de dire qu'on ne saurait mieux faire. Et maintenant, envoie chercher Askel. Il faut aussi que Thorgeir vienne te trouver tout de suite, et un homme avec lui. »

Peu après, Thorgeir arriva, et Flosi lui transmit son siège de Godi. Puis Askel vint à son tour. Flosi déclara qu'il se rangeait parmi ceux qui le suivaient au ting. Ceci resta entre eux, et ne vint à la connaissance de personne.


CXLII

Le temps se passe et on vient au moment où les affaires doivent être jugées.

Des deux côtés, ils firent leurs préparatifs et s'armèrent. Ils avaient mis les uns et les autres des marques de ralliement à leurs casques.

Thorhal, fils d'Asgrim, lui dit: « Prenez garde d'aller trop vite, mon père, mais faites en toutes choses selon la loi. S'il survient quelque difficulté, faites-le moi savoir au plus vite, et je viendrai vous aider de mes conseils. » Asgrim et les siens le regardèrent. Son visage était rouge comme du sang, et de grosses gouttes, comme de la grêle, sortaient de ses yeux. Il se fit apporter sa lance, que Skarphjedin lui avait donnée; c'était le joyau le plus précieux qu'on pût voir.

Comme ils s'en allaient, Asgrim dit: « Mon fils Thorhal n'était pas à son aise quand nous l'avons laissé dans la hutte. Je ne sais ce qu'il médite de faire. Mais nous, allons trouver Mörd fils de Valgard, et ne pensons plus à rien d'autre; car c'est plus grosse affaire de s'en prendre à Flosi qu'à personne. »

Alors Asgrim envoya chercher Gissur le blanc, et Hjalti fils de Skeggi, et Gudmund le puissant. Ils vinrent tous ensemble et s'en allèrent sur le champ au tribunal des fjords de l'Est. Ils se mirent au Sud du tribunal. Flosi et tous ceux des fjords de l'Est prirent place au Nord. Il y avait là aussi, avec Flosi, ceux du Reykdal, de l'Öxfjord et de Ljosvatn. Il y avait aussi Eyjolf fils de Bölverk. Flosi se pencha vers Eyjolf et lui dit: « Voilà qui va bien, et je crois que les choses vont se passer comme tu l'as dit. » — « N'en dis rien à personne, dit Eyjolf; il nous faudra peut-être employer ce moyen. »

Mörd fils de Valgard prit des témoins; puis il somma tous ceux qui avaient à porter devant le tribunal des accusations entraînant la proscription, de tirer au sort, à qui porterait plainte le premier, qui ensuite, qui en dernier lieu. Il déclara qu'il faisait cette sommation selon la loi, devant le tribunal, de manière que les juges pussent l'entendre. On tira au sort, et il fut désigné pour porter plainte le premier.

Mörd fils de Valgard prit des témoins une seconde fois. « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je retire toutes les erreurs que je pourrais commettre en présentant cette affaire, en disant trop, ou mal. Je me réserve le droit de rectifier mes paroles, jusqu'à ce que j'aie présenté ma plainte dans la forme légale. Je vous prends à témoins de ceci, pour moi et pour tous ceux qui pourront avoir à récuser votre témoignage ou à en profiter. »

Mörd fils de Valgard prit encore des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qui s'est chargé de sa défense à sa place, d'entendre mon serment, et mon exposé de l'affaire, et aussi toutes les preuves que je me propose d'apporter contre lui. Je lui fais cette sommation selon la loi, devant le tribunal, et de manière que les juges puissent nous entendre de leur siège au tribunal. »

Mörd fils de Valgard parla encore: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je prête serment sur le livre, le serment prescrit par la loi, et que je jure devant Dieu de poursuivre cette affaire en la manière la plus véridique, la plus juste et la plus conforme à la loi, aussi longtemps que je serai mêlé à cette affaire. »

Après cela il dit encore: « J'ai pris à témoins Thorod, et aussi Thorbjörn; je les ai pris à témoins que j'ai porté plainte pour l'attaque, qualifiée par la loi, commise par Flosi fils de Thord, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis cette attaque, qualifiée par la loi, sur Helgi fils de Njal, quand Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. J'ai dit que pour cette cause il méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. J'ai dit qu'il fallait que ses biens fussent confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du district qui ont droit, d'après la loi, sur les biens saisis. J'ai porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. J'ai porté plainte selon la loi. J'ai porté plainte de manière que tous pussent m'entendre, au tertre de la loi. J'ai cité Flosi fils de Thord en justice, cet été même, et j'ai demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. J'ai porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. J'ai porté plainte dans les termes mêmes que je viens d'employer maintenant dans mon exposé de l'affaire. Et ma poursuite en proscription, ainsi engagée, je la porte devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N... comme je l'ai déclaré le jour où j'ai porté plainte. »

Mörd dit encore: « J'ai pris à témoin Thorod, et aussi Thorbjörn; je les ai pris à témoins que j'ai porté plainte contre Flosi fils de Thord, pour avoir fait à Helgi fils de Njal une blessure soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a commis sur Helgi, fils de Njal, une attaque qualifiée par la loi. J'ai dit que pour cette cause il méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. J'ai dit qu'il fallait que ses biens fussent confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, suivant la loi, sur les biens saisis. J'ai porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. J'ai porté plainte selon la loi. J'ai porté plainte de manière que tous pussent m'entendre, au tertre de la loi. J'ai cité Flosi fils de Thord, en justice, cet été même, et j'ai demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. J'ai porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. J'ai porté plainte dans les termes mêmes, que je viens d'employer maintenant dans mon exposé de l'affaire. Et ma poursuite en proscription ainsi engagée, je la porte devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N..., comme je l'ai déclaré le jour où j'ai porté plainte. »

Alors ceux que Mörd avait pris à témoins quand il avait porté plainte s'avancèrent devant le tribunal, et prirent la parole en cette manière: l'un d'eux donna son témoignage, et tous deux ensuite le confirmèrent d'une seule voix: « Mörd a pris à témoins, dit le premier, Thorod, et moi qui m'appelle Thorbjörn, » et il ajouta le nom de son père, « Mörd nous a pris tous deux à témoins qu'il portait plainte contre Flosi fils de Thord, pour l'attaque, qualifiée par la loi, commise par lui sur Helgi fils de Njal, au lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Il a dit que pour cette cause Flosi méritait d'être proscrit, réduit à vivre dans les bois, qu'on n'eût ni à le nourrir, ni à le transporter, ni à l'aider en nulle manière. Il a dit qu'il fallait que tous ses biens fussent confisqués, moitié pour lui Mörd, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, suivant la loi, sur les biens saisis. Il a porté plainte devant le tribunal de district de qui ressort l'affaire, selon la loi. Il a porté plainte selon la loi. Il a porté plainte de manière que tous pussent l'entendre, au tertre de la loi. Il a cité Flosi, fils de Thord, en justice, cet été même, et il a demandé que la peine de la proscription lui fût appliquée dans son entier. Il a porté plainte en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. Il a porté plainte dans les termes mêmes qu'il vient d'employer dans son exposé de l'affaire et que nous employons maintenant pour notre témoignage. Voici que nous avons déposé notre témoignage, dans les formes, et tout d'une voix. Et ce témoignage, ainsi conçu, nous le portons devant le tribunal des fjords de l'est, à la charge de N... comme Mörd l'a déclaré quand il a porté plainte. »

Une seconde fois ils déposèrent leur témoignage devant le tribunal, mettant la blessure la première, et l'attaque en dernier lieu, et se servant des même paroles que la première fois. Ils dirent qu'ils déposaient leur témoignage, ainsi conçu, devant le tribunal des fjords de l'Est, comme Mörd l'avait déclaré quand il avait porté plainte.

Alors, ceux que Mörd avait pris à témoins quand Thorgeir lui avait remis sa cause, s'avancèrent devant le tribunal. L'un des deux prononça le témoignage, et tous deux ensemble le confirmèrent tout d'une voix: « Mörd fils de Valgard et Thorgeir fils de Thorir, dirent-ils, nous ont pris à témoins que Thorgeir fils de Thorir avait remis aux mains de Mörd fils de Valgard, sa cause et son droit de poursuite contre Flosi fils de Thord, pour le meurtre d'Helgi fils de Njal. Il lui a remis sa cause de manière à le mettre en son lieu et place dans toute la procédure qui s'ensuivra. Il lui a remis sa cause pour la poursuivre ou pour faire la paix avec les mêmes droits que si c'était à lui Mörd, comme au plus proche, que la vengeance appartint. Thorgeir lui a remis sa cause selon la loi, et Mörd s'en est chargé selon la loi. » Et ils déposèrent leur témoignage ainsi conçu devant le tribunal des fjords de l'Est, à la charge de N... comme Thorgeir et Mörd les avaient mis en demeure de le faire, en les prenant à témoins.

On fit prêter serment à tous les témoins, avant de donner leur témoignage, et aux juges aussi.

Alors Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que j'invite les neuf voisins du lieu du meurtre, que j'ai cités à comparaître dans cette affaire, quand j'ai porté plainte contre Flosi fils de Thord, à prendre place à l'ouest sur le bord de la rivière, et à se tenir prêts à faire leur déclaration. Je leur fais sommation selon la loi, devant le tribunal, et de manière que les juges puissent m'entendre. »

Encore une fois, Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qu'il aurait chargé de sa défense en son lieu et place, d'avoir à reprocher la déclaration de ces hommes que j'ai placés à l'ouest, sur le bord de la rivière. Je lui fais sommation selon la loi, de manière que les juges puissent m'entendre de leur siège au tribunal. »

Mörd prit encore des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que voici terminée toute la procédure préparatoire à employer dans cette affaire: le tribunal sommé d'avoir à entendre mon serment, le serment prêté, la cause exposée, les témoins de la plainte produits, les témoins de la transmission des droits produits également, les voisins du lieu du meurtre invités à prendre place, Flosi sommé d'avoir à reprocher leur déclaration. Je prends ces hommes à témoins de tous ces préliminaires déjà accomplis, et encore de ceci, que je ne veux pas être réputé avoir abandonné la cause, si je quitte le tribunal pour apporter des preuves, ou pour tout autre motif. »

Alors Flosi et les siens allèrent à l'endroit où les voisins du lieu du meurtre étaient assis. Flosi dit: « Les fils de Sigfus doivent savoir si ces voisins du lieu du meurtre, qui ont été cités ici, l'ont été légalement. » Ketil de Mörk répondit: « Il y en a un parmi eux, qui a tenu Mörd fils de Valgard sur les fonts du baptême; il y en a un autre qui est son parent au troisième degré. » Et ils comptèrent les degrés de parenté, et confirmèrent leur dire par serment. Eyjolf prit des témoins, et constata que la déclaration des voisins était suspendue jusqu'à ce qu'on eût fini de les reprocher. Il prit des témoins une seconde fois: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je récuse ces deux hommes, et les ôte du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration (et il les nomma par leur nom, et le nom de leurs pères) pour cette cause, que l'un est parent de Mörd au troisième degré, et l'autre son compère, à raison de quoi la loi me permet de les récuser. Vous êtes, selon la loi, incapables de prendre part à la déclaration; car vous voici récusés par un moyen légal. Je vous récuse donc, d'après la coutume de l'Alting et la loi du pays. Je vous récuse en vertu de la délégation de Flosi, fils de Thord. »

Alors tout le peuple éleva la voix, pour dire que la cause de Mörd était réduite à néant. Et tous étaient d'avis que la défense valait mieux que l'accusation.

Asgrim dit à Mörd: « Ils ne sont pas encore venus à bout de nous, quoiqu'il leur semble qu'ils avancent vite. Envoyons dire ceci à Thorhal mon fils, et sachons quel conseil il nous donnera. »

On envoya à Thorhal un homme sûr, qui lui dit par le menu où en était l'affaire, et comment Flosi pensait avoir réduit à néant la déclaration. Thorhal dit: « Je vais faire en sorte que la cause ne soit pas perdue pour cela; dis-leur de ne pas en croire les autres, s'ils leur font des chicanes; avec toute sa sagesse, Eyjolf s'est embrouillé. Retourne là bas au plus vite, dis à Mörd fils de Valgard de s'avancer devant le tribunal, et de prendre des témoins, comme quoi leur récusation est nulle, » et il lui dit en grand détail ce qu'il y avait à faire.

Le messager revint et leur dit les conseils de Thorhal. Alors Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je déclare la récusation d'Eyjolf fils de Bölverk nulle et de nul effet. Je me fonde sur ce qu'il a récusé ces hommes, non pour leur parenté avec le véritable plaignant, mais pour leur parenté avec celui qui s'est chargé de la cause. Je prends ceux-ci à témoins, pour moi et pour ceux qui pourraient avoir besoin de leur témoignage. » Puis il produisit le témoignage devant le tribunal. Après cela il vint à l'endroit où les voisins étaient placés, et dit à ceux qui s'étaient levés de se rasseoir, déclarant qu'ils avaient été bien et dûment choisis.

Alors tous dirent que Thorhal avait fait de grandes choses. Et il leur semblait à tous que la poursuite valait mieux que la défense.

Flosi dit à Eyjolf: « Penses-tu que ceci soit légal? » — « Certes je le pense, dit Eyjolf, et assurément nous nous étions trompés. Mais nous allons leur donner un nouvel assaut. » Et Eyjolf prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je récuse ces deux hommes du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration » et il les nomma tous deux par leur nom « pour cette cause qu'ils sont habitants, mais non propriétaires. Je vous refuse à tous deux, le droit de prendre part à la déclaration, car vous voici récusés par un moyen légal. Je vous récuse donc, d'après la coutume de l'Alting, et la loi du pays. » Et Eyjolf dit à Flosi: « Ou je me trompe fort, ou ils n'arriveront pas à mettre ceci à néant ».

Et tous dirent que la défense valait mieux que l'accusation. Ils louaient grandement Eyjolf, et disaient qu'il n'avait pas son pareil pour sa connaissance de la loi.

Alors Mörd, fils de Valgard, et Asgrim fils d'Ellidagrim, envoyèrent dire à Thorhal ce qui s'était passé. Quand Thorhal eut entendu cela, il demanda si ces hommes avaient quelque bien. Le messager répondit que l'un deux, vivait de la vente de ses laitages, et possédait des vaches et des moutons. « L'autre, dit-il, possède le tiers des terres qu'il cultive, et il se suffit à lui-même. Lui et son bailleur ont un seul foyer, et un seul berger pour tous deux. Thorhal dit: « Il en sera comme tout à l'heure, et ils se sont trompés encore cette fois. Je n'aurai pas de peine à mettre ceci à néant, malgré tous les grands mots d'Eyjolf pour nous dire que ceci est légal. Et Thorhal dit au messager dans le plus grand détail ce qu'il y avait à faire.

Le messager revint, et dit à Mörd et à Asgrim ce qu'avait conseillé Thorhal. Mörd s'avança devant le tribunal et prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je déclare la récusation d'Eyjolf fils de Bölverk nulle et de nul effet. Je me fonde sur ce qu'il a récusé, du nombre de ceux qui ont à faire la déclaration, des hommes qui en étaient légalement. Tous deux ont droit d'en être, celui qui possède trois cents de terres, ou davantage, quoiqu'il n'ait pas de bétail; et celui qui élève du bétail, quoiqu'il n'ait pas de terres à ferme. » Et il produisit le témoignage devant le tribunal. Puis il vint à l'endroit où les voisins étaient placés. Il leur dit de se rasseoir, et qu'ils étaient bien et dûment choisis pour faire la déclaration.

Alors il s'éleva une grande clameur. Tous disaient que la cause de Flosi et d'Eyjolf était en mauvais point, et ils étaient d'accord pour dire que l'accusation valait mieux que la défense.

Flosi dit à Eyjolf: « Ceci est-il légal? » Eyjolf répondit qu'il n'était pas assez habile pour en être tout à fait sûr. Ils envoyèrent donc quelqu'un à Skapti, l'homme de la loi, pour lui demander si c'était légal. Il leur fit répondre que c'était bien selon la loi, quoique peu de gens en eussent connaissance. Et cela fut redit à Flosi et à Eyjolf.

Alors Eyjolf fils de Bölverk demanda aux fils de Sigfus ce qu'il en était des autres voisins cités. Ils dirent qu'il y en avait quatre cités à tort « car d'autres qui demeuraient plus près qu'eux sont à l'heure qu'il est dans leurs maisons. » Alors Eyjolf prit des témoins, et récusa les quatre hommes du nombre de ceux qui avaient à faire la déclaration, disant qu'il les récusait pour un motif légal. Après quoi il dit aux autres: « Vous êtes tenus de rendre justice aux deux parties. Il faut donc que vous vous présentiez devant le tribunal, quand on va vous appeler, et que vous preniez des témoins comme quoi vous vous trouvez dans l'impossibilité de faire votre déclaration, n'étant plus que cinq, quand vous devriez être neuf. Et maintenant Thorhal est capable de mener à bien tous les procès du monde, s'il trouve remède à ceci. »

Flosi et Eyjolf avaient l'air de gens qui sont sûrs de leur affaire. Il se fit une grande rumeur, et on disait que l'accusation de meurtre était réduite à néant, et que cette fois la défense valait mieux que la poursuite.

Asgrim dit à Mörd: « Il n'est pas dit qu'ils aient raison de se vanter si fort, tant que nous n'aurons pas fait savoir ceci à mon fils Thorhal. Njal m'a dit qu'il avait si bien instruit Thorhal dans la loi, qu'il serait le meilleur homme de loi de toute l'Islande, et qu'il le prouverait un jour. »

On envoya donc dire à Thorhal ce qui s'était passé, et l'insolence de Flosi et des siens, et le bruit qui courait que l'accusation de meurtre, portée par Mörd et Asgrim, était réduite à néant. « Ils auront du bonheur, dit Thorhal, si ceci ne tourne pas à leur honte. Va dire à Mörd qu'il prenne des témoins, et prête serment que le plus grand nombre des voisins a été bien et dûment choisi. Il produira ce témoignage devant le tribunal, et il déclarera qu'il est en droit de poursuivre l'accusation. Il aura à payer une amende de trois marcs pour chacun de ceux qu'il a cités à tort. Mais il ne pourra être poursuivi pour cela à ce ting. »

Le messager revint et redit à Mörd et à Asgrim, par le menu, toutes les paroles de Thorhal. Mörd s'avança devant le tribunal, il prit des témoins et prêta serment que le plus grand nombre des voisins avait été bien et dûment choisi. Il déclara qu'il était en droit de poursuivre l'accusation. « Et il faut, dit-il, que nos ennemis se vantent d'autre chose que de nous avoir trouvés en défaut grave. » Alors une grande clameur s'éleva: on disait que Mörd menait bien son affaire, et que Flosi et les siens n'avançaient qu'à force de chicanes et de détours.

Flosi demanda à Eyjolf si cela était légal. Eyjolf répondit qu'il n'en était pas sûr, et que c'était à l'homme de la loi à en décider. Alors Thorkel fils de Geitir alla de leur part dire à l'homme de la loi ce qui s'était passé, et il lui demanda si ce qu'avait dit Mörd était légal. Skapti répondit: « Il y a maintenant plus de gens habiles dans la loi que je ne croyais. Il faut bien le dire, ceci est légal de toute manière, et il n'y a pas moyen d'aller à l'encontre. Je croyais être le seul à savoir cela, depuis que Njal est mort; car lui seul, à ma connaissance, le savait. »

Thorkel retourna vers Flosi et Eyjolf et leur dit que la chose était légale. Alors Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme ces voisins, que j'ai cités ici quand j'ai intenté ma poursuite contre Flosi fils de Thord, de faire leur déclaration, soit pour, soit contre lui. Je leur fais sommation selon la loi, devant le tribunal, de manière que les juges puissent l'entendre de leur siège au tribunal. »

Alors les voisins de Mörd s'avancèrent devant le tribunal. L'un d'eux prononça la déclaration, et les autres la confirmèrent tout d'une voix. Ils parlèrent ainsi: « Mörd fils de Valgard nous a cités ici, nous neuf hommes libres. Nous voici cinq à présent, quatre d'entre nous ayant été récusés. On a constaté devant témoins l'absence de ces quatre qui devaient déposer avec nous. Nous avons maintenant à déposer notre déclaration, comme la loi nous y oblige. Nous avons été cités pour faire notre déclaration sur ce point, s'il est vrai que Flosi fils de Thord a commis sur Helgi fils de Njal une attaque qualifiée par la loi, sur le lieu même où Flosi fils de Thord a fait à Helgi fils de Njal une blessure, soit à la tête, soit à la poitrine, soit aux membres inférieurs, blessure qui s'est trouvée être mortelle, et au moyen de laquelle Helgi a reçu la mort. Mörd nous a sommés de n'omettre aucune des paroles que la loi nous oblige à prononcer, qu'il réclame de nous devant le tribunal, et qui sont de rigueur dans ces poursuites. Il nous a fait sommation selon la loi. Il nous a fait sommation de manière que nous pussions l'entendre. Il nous a fait sommation en vertu de la délégation de Thorgeir fils de Thorir. Voici maintenant que nous avons tous prêté serment, et rendu notre déclaration légale. Nous nous sommes mis d'accord, tous. Nous déposons donc notre déclaration, et nous la déposons contre Flosi fils de Thord. Nous déclarons qu'il est véritablement coupable dans cette affaire. Et nous déposons cette déclaration des neuf voisins, ainsi conçue, devant le tribunal des fjords de l'Est, à la charge de N... comme Mörd nous a sommés de le faire. Et ceci est notre déclaration. » Ainsi parlèrent-ils.

Une seconde fois ils déposèrent leur déclaration, mettant la blessure d'abord et l'attaque ensuite, et en se servant pour le reste des mêmes paroles que la première fois. Ils dirent qu'ils prononçaient contre Flosi, et qu'ils le déclaraient véritablement coupable dans cette affaire.

Mörd fils de Valgard s'avança devant le tribunal et prit des témoins, comme quoi les voisins qu'il avait cités, quand il avait intenté sa poursuite contre Flosi fils de Thord, avaient déposé leur déclaration contre lui, et avaient déclaré qu'il était véritablement coupable dans cette affaire. Il dit qu'il les prenait à témoins, pour lui et pour tous ceux qui pourraient avoir à profiter de leur témoignage, ou à le récuser.

Une seconde fois Mörd prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre qui s'est chargé légalement de sa défense, de venir présenter ses moyens de défense contre l'accusation à lui intentée par moi; car voici accomplis tous les préliminaires que la loi nous obligeait d'employer dans cette affaire: tous les témoignages déposés, ainsi que la déclaration des voisins; et les témoins pris de la déclaration, comme de toutes les autres formalités remplies. S'il se présente dans leur défense telle chose qui me donne contre eux un nouveau motif de poursuite, je me réserve le droit d'en faire usage. Je fais sommation à Flosi, selon la loi, devant le tribunal et de manière que les juges puissent m'entendre. »

« Je ris d'avance, Eyjolf, dit Flosi, en pensant comme ils vont froncer les sourcils et se gratter la tête, quand tu vas présenter notre moyen de défense. »


CXLIII

Eyjolf fils de Bölverk s'avança devant le tribunal, et prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que voici dans cette affaire un moyen légal de défense; à savoir que nos adversaires ont porté leur cause devant le tribunal des fjords de l'Est, alors qu'ils avaient à la porter devant le tribunal des districts du Nord; car Flosi s'est joint à ceux qui vont au Ting avec Askel le Godi. Voici les deux témoins qui étaient présents, et qui peuvent attester que Flosi avait auparavant déposé sa dignité de Godi, et l'avait transmise à son frère Thorgeir, qu'ensuite il s'est joint à ceux qui vont au ting avec Askel le Godi. Je vous prends à témoins de ceci, pour moi et pour tous ceux qui pourront avoir à profiter de votre témoignage, ou à le récuser. »

Une seconde fois, Eyjolf prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Mörd, qui s'est chargé de la poursuite, ou celui à qui elle appartenait légalement, d'entendre mon serment, et l'exposé que je vais faire de mon moyen de défense, comme aussi des autres moyens que je pourrais avoir à présenter. Je lui fais sommation selon la loi, devant le tribunal, et de manière que les juges puissent m'entendre. »

Eyjolf prit encore des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je prête serment sur le livre, le serment prescrit par la loi. Je jure devant Dieu de défendre cette cause en la manière la plus juste, la plus véridique et la plus conforme à la loi, et de remplir toutes les formalités qu'exige la loi, aussi longtemps que je serai présent à ce ting. »

Eyjolf dit encore: « Je prends à témoins ces deux hommes que je présente ici ce moyen de défense: à savoir que l'affaire a été portée devant un autre tribunal que celui où on avait à la porter. Je déclare que pour cette cause leur poursuite est nulle. Je présente mon moyen de défense, ainsi conçu, devant le tribunal des fjords de l'Est. »

Après cela il fit produire tous les témoignages qui devaient suivre la présentation du moyen de défense. Puis il prit des témoins de toutes les formalités accomplies par la défense, comme quoi elles se trouvaient toutes remplies.

Eyjolf prit encore une fois des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je fais interdiction aux juges, interdiction légale, devant le Godi, de prononcer un jugement dans cette affaire de Mörd; car un moyen légal a été présenté devant le tribunal. Je leur fais interdiction devant le Godi, je leur fais interdiction selon la loi, je leur fais interdiction ferme et entière et qu'ils ne puissent pas enfreindre, telle que j'ai droit de la leur faire selon la coutume de l'Alting, et la loi du pays. »

Après cela il fit admettre par le tribunal son moyen de défense.

Asgrim et les siens firent introduire les autres affaires d'incendie, et elles suivirent leur cours.


CXLIV

Asgrim et Mörd envoyèrent dire à Thorhal dans quel mauvais pas ils se trouvaient. « C'est dommage, dit Thorhal, que j'aie été si loin, car jamais l'affaire n'aurait pris cette tournure si j'avais été là. Je vois maintenant où ils veulent en venir: ils veulent vous citer devant le cinquième tribunal pour procédure illégale. Sans doute ils tâcheront aussi de partager les juges dans l'affaire d'incendie, de manière qu'il ne puisse y avoir de jugement; car leur conduite fait assez voir qu'ils ne reculeront devant aucun méfait. Retourne-t'en au plus vite, et dis à Mörd qu'il les cite tous en justice, Flosi et Eyjolf, pour avoir introduit de l'argent dans les choses de la justice, ce qui est un cas de bannissement. Après cela, il faut qu'il les cite une seconde fois pour avoir produit des témoins qui n'avaient rien à faire dans leur cause, par quoi ils se sont rendus coupables d'illégalité dans la procédure. Dis-leur que voici mes paroles: Si deux actions en bannissement sont intentées à la fois contre un homme, on doit le condamner à la peine de la proscription. Et il faut vous hâter d'introduire votre affaire les premiers, pour être les premiers à poursuivre et à obtenir jugement. ».

Le messager s'en alla, et dit tout à Mörd et à Asgrim. Ils allèrent au tertre de la loi. Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je cite Flosi fils de Thord, en justice, pour avoir donné de l'argent, ici même au ting, à Eyjolf fils de Bölverk, afin d'avoir son aide. Je dis que pour cette cause il mérite d'être condamné à la peine du bannissement, qu'on ne puisse aider à sa fuite ou lui donner asile que si l'amende du rachat est comptée dans son entier devant le tribunal qui connaît des affaires de bannissement, qu'autrement il sera réduit entièrement à la condition de proscrit. Je dis que tous ses biens doivent être confisqués, moitié pour moi, moitié pour les juges du tribunal de district qui ont droit, selon la loi, sur les biens saisis. Je le cite, pour cette affaire, devant le cinquième tribunal, à qui il appartient d'en connaître, selon la loi. Je le cite en jugement, et j'appelle sur lui une sentence entière de proscription. Je le cite selon la loi. Je le cite de manière que tous puissent m'entendre, au tertre de la loi. »

Puis il fit une citation semblable à Eyjolf fils de Bölverk, pour avoir accepté de l'argent. Et il le cita pour cette cause devant le cinquième tribunal.

Après cela, il cita une seconde fois Flosi et Eyjolf en justice, pour avoir produit au ting des témoins qui, selon la loi, n'avaient rien à faire avec leur cause, et s'être par là rendus coupables d'illégalité devant le ting. Et il dit que c'était là pour eux un cas de bannissement.

Ils s'en allèrent, et vinrent à l'Assemblée de la loi. Là se tenait le cinquième tribunal.

Voici ce qui se passa au tribunal du quartier de l'Est, après qu'Asgrim et Mörd l'eurent quitté. Les juges ne purent s'entendre pour le jugement à prononcer: les uns voulant juger en faveur de Flosi, les autres en faveur de Mörd et d'Asgrim. Flosi et Eyjolf cherchèrent à partager le tribunal, et ils s'attardèrent à cela, pendant que Mörd les citait en justice, tous les deux. Bientôt on vint leur dire qu'ils avaient été cités tous deux, au tertre de la loi, devant le cinquième tribunal, et que chacun d'eux était sous le coup de deux accusations.

« C'est grand dommage, dit Eyjolf, que nous nous soyons attardés ici: nous leur avons laissé le temps de nous citer en justice les premiers. Je reconnais bien l'adresse de Thorhal. Il n'a pas son pareil en habileté. Voilà qu'ils ont droit maintenant de porter leur cause avant nous devant le tribunal, et c'était pour eux chose fort importante. Allons pourtant au tertre de la loi, et portons plainte contre eux à notre tour, si peu que cela puisse nous servir. »

Ils allèrent donc au tertre de la loi, et Eyjolf cita Mörd et Asgrim en justice, pour illégalité devant le ting. Après cela, ils vinrent au cinquième tribunal.

Revenons à Mörd et à Asgrim. Quand ils arrivèrent devant le cinquième tribunal, Mörd prit des témoins, et les somma d'entendre son serment, et son exposé de l'affaire, ainsi que toute la procédure qu'il se proposait d'entamer contre Flosi et Eyjolf. Il déclara qu'il faisait cette sommation selon la loi, devant le tribunal et de manière que les juges pussent l'entendre de leur place au tribunal.

Au cinquième tribunal il fallait faire confirmer les serments par témoins, qui prêtaient serment à leur tour. Mörd prit donc des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je prête serment ainsi qu'il est d'usage au cinquième tribunal. Je prie Dieu de m'aider dans ce monde et dans l'autre, aussi vraiment que je vais poursuivre cette affaire en la manière la plus juste, la plus véridique, et la plus conforme à la loi. Je tiens Flosi pour véritablement coupable en cette affaire, et j'en ferai la preuve. Pour moi, ni je n'ai acheté la justice dans cette affaire, ni ne veux l'acheter; ni je n'ai reçu de l'argent, ni n'en recevrai, soit légalement soit illégalement. »

Alors les deux témoins jurés de Mörd s'avancèrent devant le tribunal, et prirent des témoins à leur tour: « Vous nous êtes témoins, dirent-ils, que nous prêtons serment sur le livre, le serment conforme à la loi. Nous prions Dieu de nous aider dans ce monde et dans l'autre, aussi vraiment que nous affirmons ceci, sur notre honneur d'hommes libres: à savoir que nous croyons que Mörd poursuivra cette affaire en la manière la plus juste, la plus véridique, et la plus conforme à la loi. Et nous affirmons que ni il n'a acheté la justice dans cette affaire, ni ne l'achètera, que ni il n'a accepté d'argent, ni n'en acceptera, soit légalement soit illégalement. »

Mörd avait cité les deux voisins les plus proches de Thingvalla pour faire leur déclaration dans cette affaire.

Mörd prit des témoins, et déclara qu'il portait devant le tribunal les quatre actions qu'il venait d'intenter à Flosi et à Eyjolf. Et dans son exposé de ces affaires, il se servit des termes mêmes qu'il avait employés pour sa citation, il dit qu'il portait ces actions en bannissement, ainsi formulées, devant le cinquième tribunal, comme il l'avait déclaré en citant Flosi en justice.

Mörd prit des témoins, et somma les neuf voisins d'aller s'asseoir à l'Ouest, sur le bord de la rivière.

Mörd prit encore des témoins, et somma Flosi et Eyjolf de récuser les voisins. Ils s'approchèrent d'eux, et les examinèrent, mais ils ne purent arriver à en récuser aucun, ils s'en revinrent donc, et ils étaient fort mécontents.

Mörd prit des témoins et somma les neuf voisins de faire la déclaration pour laquelle il les avait cités devant le tribunal, et de la faire soit pour Flosi soit contre lui.

Les voisins de Mörd s'avancèrent devant le tribunal: l'un d'eux prononça la déclaration, et les autres la confirmèrent tout d'une voix. Ils dirent qu'ils avaient tous prêté le serment exigé par le cinquième tribunal, qu'ils déclaraient Flosi véritablement coupable dans cette affaire, et qu'ils faisaient contre lui leur déclaration. Ils dirent qu'ils déposaient leur déclaration, ainsi conçue, devant le cinquième tribunal, à la charge de ce même homme que Mörd avait déjà chargé des poursuites. Après cela, ils firent les autres déclarations auxquelles ils étaient obligés pour les autres affaires. Et tout cela se passa selon la loi.

Eyjolf fils de Bölverk et Flosi faisaient grande attention à ce qui se passait pour tâcher d'y trouver un défaut; mais ils n'arrivaient à rien.

Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que ces neuf voisins, que j'ai cités pour déposer dans ces affaires, quand j'ai entamé les poursuites contre Flosi fils de Thord et Eyjolf fils de Bölverk, ont fait leur déclaration, et les ont déclarés tous deux coupables dans ces affaires. » Et il réclama leur témoignage en sa faveur.

Une seconde fois Mörd prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je somme Flosi fils de Thord, ou tout autre, à qui il aurait, selon la loi, remis sa défense, de venir la présenter ici; car voici terminée toute la procédure en cette affaire: sommation faite d'entendre le serment, le serment prêté, la cause exposée, les témoignages de la citation en justice produits, les voisins invités à prendre place, sommation faite à eux d'avoir à prononcer leur déclaration, la déclaration faite, et témoins pris de la déclaration. » Et il dit qu'il réclamait leur témoignage en sa faveur, au sujet de toute cette procédure accomplie.

Alors celui à la charge duquel l'affaire avait été engagée, se leva, et résuma la cause.

Il rappela d'abord que Mörd avait sommé le tribunal d'entendre son serment, et aussi son exposé de l'affaire, et tout le reste de la procédure. Il rappela ensuite que Mörd avait prêté serment, et aussi ses témoins jurés. Puis il rappela que Mörd avait exposé l'affaire, et il s'exprima de telle sorte qu'il employa pour le rappeler les mêmes paroles dont Mörd s'était servi pour son exposé de l'affaire, et auparavant pour citer Flosi en justice « et il a dit, ajouta-t-il, qu'il portait cette affaire, ainsi engagée, devant le cinquième tribunal, comme il l'avait déclaré en citant son adversaire en justice. » Il rappela encore que Mörd avait produit les témoins de la citation en justice, et il répéta toutes les paroles dont il s'était servi pour sa citation, et qu'ils avaient répétées en déposant leur témoignage, « et que je répète à mon tour, ajouta-t-il, dans mon résumé de l'affaire. Et ils ont déposé, dit-il encore, ce témoignage ainsi conçu, devant le cinquième tribunal, comme Mörd l'avait déclaré en citant Flosi en justice. » Après cela, il rappela que Mörd avait invité les voisins à prendre place. Puis il rappela qu'il avait sommé Flosi d'entendre leur déclaration: « lui ou tout autre à qui il aurait remis sa défense. » Ensuite il rappela que les voisins s'étaient avancés devant le tribunal, qu'ils avaient fait leur déclaration, et qu'ils avaient déclaré Flosi véritablement coupable « et ils ont, dit-il, déposé cette déclaration des neuf voisins, ainsi conçue, devant le cinquième tribunal. » Alors il rappela que Mörd avait pris des témoins comme quoi la déclaration avait été faite. Il rappela encore que Mörd avait pris des témoins de toute la procédure suivie, et qu'il avait sommé Flosi de présenter sa défense.

Alors Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je fais interdiction à Flosi fils de Thord, ou à quiconque a pris en main sa défense en son lieu et place, de venir présenter maintenant aucun moyen de défense; car voici terminée toute la procédure qu'il y avait à suivre dans cette affaire, et la cause, ainsi que toute la procédure suivie, a été résumée. » Et celui qui faisait le résumé répéta encore ce dernier témoignage.

Mörd prit des témoins, et fit sommation aux juges de prononcer leur jugement dans cette affaire. Gissur le blanc lui dit: « Il te reste encore quelque chose à faire, Mörd; tu sais que quatre fois douze n'ont pas le droit de juger. »

Flosi dit à Eyjolf: « Qu'allons-nous faire maintenant? » — « C'est difficile à dire, répondit Eyjolf; je crois pourtant qu'il nous faut attendre, car j'imagine qu'ils vont faire une faute dans la conduite de leur affaire; Mörd a sommé les juges d'avoir à juger sur l'heure. Ils ont maintenant, lui et les siens, à faire sortir six membres du tribunal. Après quoi ils prendront des témoins, et nous inviteront à en faire sortir six autres. Mais nous n'en ferons rien; et alors ils auraient eux-mêmes à en faire sortir six, mais il est probable qu'ils ne s'en aviseront pas. Et s'ils ne le font pas, toute leur affaire est réduite à néant; car il faut trois fois douze juges seulement pour juger dans une affaire. »

« Tu es un homme sage, Eyjolf, dit Flosi, et il n'y en a pas beaucoup qui l'emportent sur toi. »

Mörd fils de Valgard prit des témoins: « Vous m'êtes témoins, dit-il, que je fais sortir du tribunal les six hommes que voici » et il les nomma tous par leur nom; « Je vous interdis de siéger au tribunal, leur dit-il. Je vous fais sortir selon la coutume de l'Alting et la loi du pays. » Après cela, il invita Flosi et Eyjolf, devant témoins, à en faire sortir six autres. Mais ils refusèrent de le faire.

Alors Mörd dit aux juges de prononcer leur jugement. Et quand le jugement fut prononcé, Eyjolf prit des témoins, et déclara le jugement nul, ainsi que tout ce qui avait été fait, pour ce motif, que trois fois et demi douze avaient jugé, quand trois fois douze seulement avaient droit de le faire: « Et maintenant, dit-il, nous allons introduire nos poursuites devant le cinquième tribunal, et nous allons faire en sorte qu'ils soient proscrits. »

Gissur le blanc dit à Mörd, fils de Valgard: « C'est trop de négligence à toi d'avoir commis une faute pareille. Et cela est grand dommage. Qu'allons-nous faire maintenant, cousin Asgrim? » — « Il nous faut envoyer quelqu'un vers Thorhal mon fils, dit Asgrim, et savoir ce qu'il va nous conseiller. »


CXLV

Et voici que Snorri le Godi apprend ce qu'il est advenu de l'affaire. Aussitôt, il se met à rassembler son monde au bas de l'Almannagja, entre elle et les huttes de ceux de Hlad. Il avait dit déjà à ses hommes ce qu'ils auraient à faire.

En même temps, le messager arrive auprès de Thorhal fils d'Asgrim. Il lui dit ce qui est arrivé, comme quoi Mörd et tous les autres vont être proscrits, et toute la poursuite pour le meurtre réduite à néant.

En apprenant cela, Thorhal fut tellement saisi qu'il ne pouvait prononcer une parole. Il sauta de son lit, et prenant à deux mains la lance que lui avait donné Skarphjedin, il se l'enfonça dans la jambe. Quand il la retira, il y pendait de la chair, et le cœur de l'abcès, qu'il avait arraché tout entier. Et il en sortit un tel torrent de sang et de matières que c'était comme un ruisseau sur le sol. Il sortit de la hutte sans s'arrêter, et il allait si vite que le messager ne pouvait le suivre. Il courut tout droit jusqu'au cinquième tribunal. Là il rencontra Grim le rouge, parent de Flosi. Sitôt qu'il l'eut rejoint, Thorhal pointa sa lance contre lui. La lance entra dans le bouclier, et le fendit en deux, après quoi elle perça Grim de part en part, et la pointe ressortit entre les deux épaules. Et Thorhal, secouant sa lance, le jeta à terre, mort.

Kari, fils de Sölmund, l'avait vu faire: il dit à Asgrim: « Voilà ton fils Thorhal qui arrive et qui a déjà tué son homme. C'est une grande honte pour nous, s'il a seul le cœur de venger l'incendie. » — « Cela ne sera pas, dit Asgrim, marchons sur eux. » Alors il s'éleva une grande clameur dans toute la troupe, et ils poussaient tous leur cri de guerre. Flosi et les siens se rangèrent en bataille; et des deux côtés, ils s'excitaient à marcher en avant.

Kari, fils de Sölmund, courut à l'endroit où se trouvaient, en avant des autres, Arni fils de Kol, et Halbjörn le fort. Dès qu'Halbjörn vit Kari, il leva son épée pour le frapper à la jambe. Mais Kari sauta en l'air, et Halbjörn le manqua. Alors Kari se tourna contre Arni fils de Kol et le frappa de sa hache. Le coup l'atteignit à l'épaule, fendit la clavicule et l'omoplate, et lui entra dans la poitrine. Arni tomba à terre, mort. Après cela, Kari frappa Halbjörn. La hache s'enfonça dans son bouclier, le traversa, et lui enleva le gros orteil. Holmstein lança un javelot à Kari. Kari prit le javelot en l'air et le renvoya, et tua un homme de la troupe de Flosi.

Thorgeir Skorargeir arriva devant Halbjörn le fort. Il poussa sa lance contre lui, d'une seule main, avec tant de force, qu'Halbjörn tomba à la renverse. Il se releva à grand'peine et prit la fuite sur le champ. Thorgeir se trouva en face de Thorvald, fils de Thrumketil. Il leva sur lui sa hache Rimmugygi, la hache de Skarphjedin. Thorvald se couvrit de son bouclier. Thorgeir frappa sur le bouclier, et le fendit en deux, mais la pointe du devant entra dans la poitrine de Thorvald et s'y enfonça. Thorvald tomba sur le coup, et il était mort.

Asgrim fils d'Ellidagrim et son fils Thorhal, Hjalti fils de Skeggi et Gissur le blanc avaient marché vers l'endroit où étaient Flosi, les fils de Sigfus, et les autres qui avaient eu part à l'incendie. Il y eut là une rude bataille, et à la fin si hardiment allaient Asgrim et les siens que Flosi et les autres plièrent devant eux.

Gudmund le puissant, Mörd fils de Valgard, Kari fils de Sölmund, et Thorgeir Skorargeir s'étaient attaqués aux gens de l'Öxfjord, à ceux des fjords de l'Est, et du Reykdal. Il y eut là aussi une rude bataille. Kari fils de Sölmund arriva devant Bjarni fils de Brodhelgi. Il prit une lance à terre, et la pointa sur lui; la lance entra dans son bouclier. Bjarni jeta le bouclier loin de lui, sans quoi la lance l'eût percé de part en part. Il leva son épée sur Kari, pour le frapper à la jambe. Kari retira vivement sa jambe et tourna sur ses talons, en sorte que Bjarni le manqua. Kari leva son épée sur lui. À ce moment un homme accourut qui mit son bouclier devant Bjarni. Kari fendit en deux le bouclier, et la pointe de son épée atteignit l'homme à la cuisse, et lui fendit la jambe, tout du long. L'homme tomba, et il fut estropié tant qu'il vécut.

Alors Kari prit sa lance à deux mains et, se tournant contre Bjarni, il la pointa sur lui. Bjarni ne vit plus qu'une seule chose à faire: il se laissa tomber à terre pour éviter le coup. Mais sitôt qu'il fut remis sur ses pieds, il s'enfuit.

Thorgeir Skorargeir s'était attaqué à Holmstein fils de Bersir le sage, et à Thorkel fils de Geitir. Et le combat finit de telle sorte qu'Holmstein et les siens furent enfoncés. Et les gens de Gudmund le puissant poussèrent de grands cris en les voyant fuir. Thorvard fils de Tjörvi, de Ljosavatn, reçut une grave blessure. Un javelot lui perça le bras, et on pensa que c'était Haldor, fils de Gudmund le puissant, qui avait lancé le javelot. Thorvard ne guérit jamais de cette blessure, tant qu'il vécut.

Alors il y eut une grande mêlée. Quoiqu'il soit ici parlé de plusieurs hauts faits qui s'y passèrent, il y en eut encore beaucoup d'autres qui n'ont pas été rapportés.

Flosi avait dit à ses hommes de s'en aller vers l'Almannagja, pour s'y fortifier, s'ils étaient repoussés; car là, on ne pouvait les attaquer que d'un côté. Mais la troupe que menaient Hal de Sida et son fils Ljot s'était retirée avant l'attaque d'Asgrim et de son fils Thorhal. Ils s'en allaient vers l'est, descendant l'Öxara. Hal dit: « Ce sera trop grand dommage si tous les gens qui sont au ting viennent à se battre. J'ai envie, Ljot mon fils, de chercher de l'aide pour les séparer, quoiqu'il soit probable que plus d'un nous en fera reproche. Attends-moi au bout du pont. Moi j'irai vers les huttes et je demanderai du secours. » Ljot répondit: « Si je vois que Flosi et les siens ont besoin de nos hommes j'irai les retrouver au plus vite. » — « Tu feras comme tu voudras, dit Hal; pourtant je te prie de m'attendre ici. »

À ce moment la panique se met dans la troupe de Flosi, et ils prennent tous la fuite vers l'est, traversant l'Öxara. Asgrim et les siens, et Gissur le blanc, les poursuivaient, et toute l'armée. Flosi et ses gens descendaient, entre les huttes de Virkir et celles de Hlad. C'était là que Snorri le Godi avait rangé sa troupe en bataille, si serrée qu'il n'y avait pas moyen de passer. « Où courez-vous si vite? cria Snorri à Flosi; et qui donc vous poursuit? » Flosi répondit: « Si tu me demandes cela, ce n'est pas faute de le savoir, mais pourquoi veux-tu nous empêcher de nous défendre dans l'Almannagja? » — « Ce n'est pas moi qui vous en empêche, dit Snorri, mais je sais qui c'est, et je te le dirai si tu veux: c'est Thorvald Kroppinskeg, et Kol. » Ceux dont il parlait étaient morts tous les deux, et ils avaient été les plus grands malfaiteurs parmi les gens de Flosi.

Alors Snorri dit à ses hommes: « Frappez d'estoc et de taille, et faites en sorte de les chasser d'ici. Ils ne tiendront pas longtemps, si les autres arrivent, et les attaquent d'en bas. Mais gardez-vous de les poursuivre, et laissez-les se tirer d'affaire tout seuls. »

On vint dire à Skapti fils de Thorod que son fils Thorstein Holmud avait suivi au combat son beau-père Gudmund le puissant. Sitôt que Skapti le sut, il vint à la hutte de Snorri le Godi: il voulait prier Snorri d'aller les séparer. Mais il n'était pas arrivé à la porte de la hutte, que la bataille s'était engagée là, plus chaude que nulle part ailleurs. Asgrim et ses hommes arrivaient d'en bas. Thorhal dit à Asgrim « Voilà, père, Skapti fils de Thorod. » — « Je le vois, mon fils » dit Asgrim. Il lança un javelot à Skapti, et il l'atteignit à la jambe, à l'endroit le plus gras. Skapti eut les deux jambes transpercées. Il tomba sur le coup sans pouvoir se relever. Ceux qui étaient là ne purent faire autre chose pour lui que de le traîner tout de son long dans la hutte d'un forgeron.

Asgrim et les siens allaient de l'avant, si hardiment que Flosi et ses hommes furent enfoncés. Ils s'enfuirent vers le Sud le long de la rivière, jusqu'aux huttes de ceux de Mödruvöll. Il y avait là dehors, devant une hutte, un homme qui s'appelait Sölvi. Il faisait cuire de la viande dans un grand chaudron; il venait de la retirer et l'eau était toute bouillante. Sölvi vint à s'apercevoir de la fuite des gens de l'Est. Ils passaient à ce moment juste devant lui. « Ce sont donc des poltrons, tous ces gens de l'Est, cria-t-il, pour fuir ainsi? Voilà Thorkel fils de Geitir, en vérité, qui s'enfuit avec eux. On a bien menti sur son compte quand on a dit qu'il était la bravoure en personne, car voici qu'il court plus fort qu'eux tous. »

Halbjörn le fort était tout près de lui: « Tu ne diras pas longtemps que nous sommes tous des poltrons » dit-il. Il le prit, le brandit en l'air, et le jeta la tête la première dans le chaudron bouillant. Sölvi mourut sur le champ.

Les autres arrivaient, poursuivant Halbjörn, et il dut reprendre la fuite.

Flosi lança un javelot à Bruni, fils de Haflidi. Il l'atteignit au milieu du corps, et le tua. Bruni était de la troupe de Gudmund le puissant. Thorstein fils de Hlenni sortit le javelot de la blessure et le renvoya à Flosi, il l'atteignit à la jambe, et lui fit une profonde blessure. Flosi tomba sur le coup, mais il se releva aussitôt. Ils reprirent leur course vers les huttes de ceux du Vatnfjord.

À ce moment, Ljot et Hal arrivèrent de l'est, passant la rivière, avec toute leur troupe. Comme ils débouchaient sur la plaine de lave, un javelot fut lancé, de la troupe de Gudmund le puissant, qui atteignit Ljot au milieu du corps. Il tomba mort. On n'a jamais su qui l'avait tué.

Flosi et les siens passaient devant les huttes de ceux du Vatnsfjord. Thorgeir Skorargeir dit à Kari, fils de Sölmund: « Voilà Eyjolf fils de Bölverk. Si tu veux, nous allons lui faire payer son anneau. »--Je ne demande pas mieux » dit Kari; il prit un javelot à un de ses hommes et le lança à Eyjolf. Le javelot atteignit Eyjolf au milieu du corps et le perça de part en part. Il tomba à terre, mort.

Alors il y eut quelque répit dans le combat. Snorri le Godi arrivait avec sa troupe. Skapti était avec lui. Ils se lancèrent au milieu d'eux, et il n'y eut pas moyen de continuer à se battre, Hal joignit sa troupe à celle de Snorri, et ils s'efforcèrent de les séparer. On fit donc une trêve qui devait durer tant que durerait le ting. Les cadavres furent ensevelis et portés à l'église, et les blessés eurent leurs blessures pansées.

Le jour suivant, les hommes allèrent au tertre de la loi. Hal de Sida se leva, et demanda qu'on fît silence pour l'écouter, ce qui fut fait aussitôt. Il parla ainsi: « Il vient de se passer ici des choses fâcheuses, en fait de morts d'hommes et d'actions en justice. Je vais montrer que je ne suis pas des plus braves, car je viens prier Asgrim, et les autres qui menaient avec lui cette affaire, de nous accorder la paix, à termes égaux. » Et il ajouta encore beaucoup de belles paroles.

Kari fils de Sölmund répondit: « Quand tous les autres entreraient en arrangement pour leurs affaires, je ne le ferai pas pour la mienne. Vous voulez que la mort des vôtres soit mise en compensation de l'incendie; mais nous, nous ne pouvons souffrir cela. » Et Thorgeir Skorargeir parla comme lui.

Alors Skapti fils de Thorod se leva et dit: « Tu aurais mieux fait, Kari, de ne pas t'enfuir d'auprès de tes beaux-frères. Tu n'aurais pas maintenant à refuser la paix que t'offrent de vaillants hommes. »

Kari répondit par un chant:

« Que me reproches-tu d'avoir pris la fuite? Souvent pour une moindre cause, les traits pleuvent comme grêle sur les boucliers. Il y en a un qui, lorsque les épées chantaient à voix haute, a été se cacher sous terre, le lâche à la barbe rouge.

« Lorsque les guerriers enfants des dieux quittaient le combat à grand peine, (les héros ce jour-là combattaient sans bouclier) il arriva malheur à Skapti. Parmi le fracas de la bataille, des gens qui faisaient cuire leur viande le tirèrent tout de son long dans leur hutte, grande était sa peur alors.

« Ils ont ri de Grim, et d'Helgi, et de Njal, qu'ils ont fait brûler. Ils auront à chercher où se cacher quand, la ting venu à sa fin, les plaines retentiront d'une autre clameur. »

Il y eut de grands éclats de rire. Snorri le Godi souriait. Il dit entre ses dents, mais de manière que bien des gens purent l'entendre:

« Skapti peut nous dire si le javelot d'Asgrim a bien touché. Holmstein a pris la fuite: il court de toutes ses forces. Quant à Thorkel, il combat à grand peine. »

Et les gens se remirent à rire, plus fort que jamais.

Hal de Sida reprit la parole: « Chacun sait, dit-il, quelle perte j'ai subie par la mort de mon fils Ljot. Beaucoup seront d'avis qu'il mérite la plus grosse amende parmi ceux qui ont été tués ici. Et pourtant voici ce que je vais faire pour arriver à un arrangement: je consens à ce qu'il ne soit pas payé d'amende pour mon fils, et à promettre néanmoins paix et fidélité à ceux qui furent mes adversaires. Je te prie donc toi, Snorri le Godi, et vous autres, les meilleurs de nos chefs, de vous employer à faire la paix entre nous. » Après cela Hal s'assit, et il se fit une grande rumeur au sujet de ses paroles; on les trouvait bonnes et chacun louait son bon vouloir.

Alors Snorri le Godi se leva, et fit un long et beau discours. Il pria Asgrim et Gissur, et les autres qui menaient cette affaire, de vouloir bien faire la paix.

Asgrim répondit: « Le jour où Flosi est entré chez moi avec sa troupe, je m'étais promis que je ne ferais jamais de paix avec lui. Pourtant, Snorri, j'y consens, pour l'amour de toi, et de nos autres amis. » Thorleif Krak et Thorgrim le grand parlèrent de même, et dirent qu'ils feraient la paix; et ils pressèrent fort leur frère Thorgeir Skorargeir de la faire aussi. Mais il s'en défendait, et disait qu'il ne se séparerait jamais de Kari. « C'est donc à Flosi de décider, dit Gissur le blanc, s'il veut faire une paix qui soit telle que quelques-uns resteront en dehors. » Flosi dit qu'il voulait bien: « Moins j'aurai, dit-il, de braves hommes contre moi, et mieux cela vaudra. »

Gudmund le puissant prit la parole: « Je propose, pour ma part, dit-il, d'entrer en arrangement pour les meurtres commis au ting, à la condition que les poursuites au sujet de l'incendie ne seront pas réduites à néant. » Gissur le blanc et Hjalti fils de Skeggi, Asgrim fils d'Ellidagrim et Mörd fils de Valgard parlèrent dans le même sens. On entra donc en arrangement. Ils se donnèrent la main, et convinrent de s'en remettre au jugement de douze hommes. Snorri le Godi fut mis à leur tête, et tous les autres furent choisis parmi les meilleurs. Les meurtres furent mis en compensation les uns des autres et on fixa des amendes pour ceux qui étaient en plus. Puis ils prononcèrent dans l'affaire d'incendie. Ils fixèrent pour Njal une amende triple du prix d'un homme, pour Bergthora une amende double. Le meurtre de Skarphjedin fut mis en compensation du meurtre d'Höskuld, Godi de Hvitanes. Quant à Grim et à Helgi, on fixa pour chacun d'eux deux fois le prix d'un homme, et une fois le prix d'un homme pour chacun de ceux qui avaient été brûlés dans la maison de Njal. Pour le meurtre de Thord fils de Kari il n'y eut pas d'arrangement.

Flosi et les autres qui avaient eu part à l'incendie furent condamnés à quitter le pays; mais ils ne devaient partir cet été même que s'ils le voulaient bien. Si pourtant trois hivers étant passés ils n'étaient pas encore partis, la sentence portait qu'ils seraient proscrits, lui et les autres incendiaires. Et cette sentence devait être proclamée au ting d'automne ou au ting de printemps, selon que les arbitres le préféreraient. Flosi devait rester au loin pendant trois hivers. Mais Gunnar fils de Lambi, Grani fils de Gunnar, Glum fils d'Hildir, et Kol fils de Thorstein, ceux-là n'auraient jamais permission de revenir.

On demanda à Flosi s'il ne voulait pas faire rendre un jugement au sujet de sa blessure. Il répondit qu'il ne prendrait jamais d'argent pour un dommage à lui fait. On décida qu'il ne serait point payé d'amende pour Eyjolf fils de Bölverk, à cause de ses mauvaises façons d'agir.

La paix fut donc conclue dans ces termes, en se donnant la main, et elle a été toujours gardée depuis.

Asgrim et les siens firent à Snorri le Godi de riches présents. Il se fit grand honneur de sa conduite en cette affaire. Skapti eut une amende pour sa blessure. Gissur le blanc, Hjalti fils de Skeggi, et Asgrim fils d'Ellidagrim invitèrent chez eux Gudmund le puissant. Il promit d'y aller, et chacun d'eux lui donna un anneau d'or. Puis il partit pour le Nord, s'en retournant chez lui; chacun faisait son éloge pour la manière dont il s'était comporté dans cette affaire.

Thorgeir Skorargeir pria Kari de s'en revenir avec lui. Ils firent route d'abord avec Gudmund, du côté du Nord, jusqu'aux montagnes. Kari fit présent à Gudmund d'une agrafe d'or, et Thorgeir d'une ceinture d'argent, toutes deux d'un grand prix. Ils se séparèrent en grande amitié. Gudmund s'en retourna chez lui, et il ne reparaîtra plus dans la saga.

Kari et les siens quittèrent la montagne et prirent la route du Sud. Ils redescendirent dans le pays habité, et vinrent jusqu'à la Thjorsa.

Flosi et tous les gens de l'incendie faisaient route vers l'Est. Ils vinrent dans le Fljotshlid, et Flosi permit aux fils de Sigfus d'aller voir leurs domaines. À ce moment Flosi vint à apprendre que Thorgeir et Kari s'en étaient allés au Nord avec Gudmund le puissant. Il crut et les autres aussi, que leur projet était de rester dans le pays du Nord. Les fils de Sigfus lui demandèrent donc de les laisser aller du côté de l'Est, jusqu'au pied de l'Eyjafjöll, pour chercher de l'argent; car ils avaient de l'argent placé à Höfdabrekka. Flosi le leur permit, mais il leur recommanda de se tenir sur leurs gardes et d'aller aussi vite qu'ils pourraient. Puis il se remit en route, remonta le Godaland, vint à la montagne et passa au nord des glaciers de l'Eyjafjöll. Enfin, sans s'être arrêté une seule fois, il arriva dans l'Est, à Svinafell.

Nous avons dit que Hal de Sida avait voulu qu'il ne fût pas payé d'amende pour son fils, afin de rendre l'arrangement plus facile. Mais tous les hommes présents au ting s'entendirent pour lui payer une amende; et on ne rassembla pas moins de huit cents d'argent, ce qui était quatre fois le prix d'un homme. Tous les autres qui avaient été avec Flosi ne reçurent rien pour les pertes qu'ils avaient faites, et ils en furent très mécontents.

Les fils de Sigfus restèrent trois nuits chez eux. Le troisième jour ils partirent, chevauchant vers l'Est, jusqu'à Raufarfell. Ils y passèrent la nuit. Ils étaient quinze en tout, et n'avaient peur de rien. Le lendemain, ils se mirent en marche tard, pensant arriver à Höfdabrekka le soir. Ils firent halte dans le Kerlingardal et tombèrent dans un profond sommeil.


CXLVI

Ce jour-là, Kari fils de Sölmund et Thorgeir Skorargeir chevauchaient vers l'Est, vers le Markarfljot. Ils vinrent à Seljalandsmula, où ils rencontrèrent des femmes qui passaient. Elles les reconnurent et leur dirent: « Vous êtes moins fanfarons que les fils de Sigfus; mais vous ne prenez pas assez garde à vous. » — « Pourquoi nous parlez-vous des fils de Sigfus? dit Thorgeir. Et que savez-vous d'eux? » — « Ils ont passé la nuit à Raufarfell, dirent-elles, et ils pensent arriver ce soir dans le Mydal. Nous avons bien vu qu'ils avaient peur de vous, car ils ont demandé quand vous reviendriez dans le pays. » Là-dessus ils continuèrent leur route, et mirent leurs chevaux au galop. Thorgeir demanda: « Qu'as-tu en tête? Veux-tu que nous leur courrions sus? » — « Je ne dis pas non, » dit Kari. « Qu'allons-nous donc faire? » dit Thorgeir. « Je n'en sais rien, dit Kari. On a vu souvent des gens vivre vieux, qui n'avaient été tués qu'en paroles. Mais je sais bien ce que tu désires. Tu veux prendre huit hommes pour toi seul, et ce sera moins encore que le jour où tu en as tué sept, parmi les récifs, après être descendu auprès d'eux le long d'une corde. Toi et les tiens, vous êtes ainsi faits qu'il vous faut toujours de nouveaux exploits. Pour moi je ne peux pas moins faire que d'aller avec toi, pour en porter la nouvelle après. Allons donc, et courons leur sus, nous deux tous seuls; je vois bien que tu y es décidé. »

Ils prirent à l'Est, par le chemin d'en haut, sans passer par Holt; car Thorgeir ne voulait pas qu'on pût s'en prendre à ses frères de ce qui allait arriver. Ils chevauchèrent jusqu'au Mydal. Là ils rencontrèrent un homme qui menait un cheval chargé de paniers de tourbe. « C'est dommage, dit l'homme, que tu ne sois pas en force, ami Thorgeir. » — « Que veux-tu dire? » demanda Thorgeir. « Je veux dire, reprit l'autre, qu'il y aurait ici du gibier à chasser. Les fils de Sigfus ont passé par là, et ils vont dormir tout le long du jour dans le Kerlingardal; car ils ne vont ce soir que jusqu'à Höfdabrekka. » Et ils suivirent chacun son chemin.

Thorgeir et Kari continuèrent de s'en aller à l'Est, traversant les bruyères d'Arnastak, et ils arrivèrent sans autre incident devant la rivière du Kerlingardal. L'eau était haute; ils remontèrent le long de la rive, car ils voyaient de loin des chevaux tout sellés. Ils s'approchèrent, et virent des hommes endormis dans un creux.

Leurs javelots étaient plantés en terre, un peu plus bas. Ils prirent les javelots et les jetèrent dans la rivière. « Allons-nous les éveiller? » dit Thorgeir. « Tu le demandes, répondit Kari, et pourtant tu es bien résolu à ne pas attaquer des hommes qui dorment: ce serait commettre un meurtre honteux. » Et ils se mirent à pousser de grands cris. Les autres s'éveillèrent, sautèrent sur leurs pieds et s'emparèrent de leurs armes. Et Kari et Thorgeir ne les attaquèrent que quand ils les virent armés.

Thorgeir Skorargeir courut à Thorkel fils de Sigfus. En même temps un homme accourait vers lui par derrière. Mais avant qu'il eût pu lui faire aucun mal, Thorgeir avait levé des deux mains sa hache Rimmugygi. Du sommet de la hache, il atteignit à la tête celui qui était derrière lui, et fit voler son crâne en éclats. L'homme tomba à terre, mort. Alors, ramenant sa hache en avant, Thorgeir frappa Thorkel à l'épaule et lui enleva un bras. Thorkel tomba mort à son tour.

Pendant ce temps, fondaient sur Kari Mörd fils de Sigfus, Sigurd, fils de Lambi, et Lambi, fils de Sigurd. Lambi courut à Kari par derrière, et lui lança un javelot. Kari le vit. Il sauta en l'air, en écartant les jambes. Le javelot s'enfonça en terre. Kari retomba sur la hampe et la brisa. Il tenait d'une main un javelot, de l'autre son épée. Il n'avait point de bouclier. De la main droite il lança son javelot à Sigurd fils de Lambi. Il l'atteignit à la poitrine, et le javelot sortit entre les deux épaules, Lambi tomba: il était mort sur le coup. De la main gauche, Kari donna un coup d'épée à Mörd fils de Sigfus: il l'atteignit à la hanche, et lui brisa l'épine du dos. Mörd tomba mort, la face contre terre. Alors Kari, tournant sur ses talons comme une toupie, se trouva en face de Lambi fils de Sigurd. Mais Lambi ne vit rien de mieux à faire que de prendre la fuite.

Et voici que Thorgeir s'avança contre Leidolf le fort. Ils frappèrent tous deux en même temps: et Leidolf porta un si grand coup, qu'il trancha un morceau du bouclier de Thorgeir. Thorgeir avait frappé en tenant à deux mains sa hache Rimmugygi. La corne d'en bas entra dans le bouclier de Leidolf, et le fendit en deux; la corne d'en haut, lui brisa la clavicule et s'enfonça dans sa poitrine. Kari arrivait au même moment. D'un coup d'épée il enleva la jambe de Leidolf, par le milieu de la cuisse, Leidolf tomba; il était mort.

« Courons à nos chevaux, dit Ketil de Mörk. Ces hommes sont trop forts pour nous: il n'y à rien à faire contre eux. » Ils coururent à leurs chevaux et sautèrent en selle. « Allons-nous les poursuivre? dit Thorgeir. Nous pourrons en tuer encore quelques uns. » — « Il y en a un qui s'en va le dernier et que je ne veux pas tuer, dit Kari; c'est Ketil de Mörk; nous avons pour femmes les deux sœurs, et puis, il s'est conduit jusqu'ici mieux que les autres dans cette affaire. » Ils montèrent à cheval, et chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Holt. Thorgeir dit à ses frères de s'en aller dans l'Est, à Skoga; ils avaient là un autre domaine, et Thorgeir ne voulait pas qu'on pût dire que ses frères avaient rompu la paix. Il eut soin d'avoir beaucoup de monde auprès de lui, et il n'y avait jamais à Holt moins de trente hommes prêts à combattre.

Il y avait grande joie chez Thorgeir. Les gens étaient d'avis qu'il avait beaucoup grandi en gloire et en renommée, et aussi Kari. Et on garda longtemps la mémoire de cette poursuite qu'ils avaient faite, comme quoi ils avaient attaqué, à eux deux, quinze hommes, tué cinq d'entre eux, et mis en fuite les dix autres.

Il faut revenir à Ketil. Ils coururent lui et les siens, si vite qu'ils purent, jusqu'à Svinafell, où ils contèrent quel fâcheux voyage ils avaient fait. « Il fallait s'y attendre, dit Flosi; que ceci vous soit une leçon, et tâchez à l'avenir de vous mieux tenir sur vos gardes. »

Flosi était le plus joyeux des hommes, et c'était un plaisir d'être son hôte. On disait de lui qu'il avait plus que personne tout ce qui fait un grand chef.

Il passa l'été chez lui, et aussi l'hiver qui suivit. Cet hiver-là, après la fête de Jol, Hal de Sida arriva de l'Est avec Kol son fils. Flosi eut grande joie de le voir. Ils parlaient souvent ensemble de cette affaire de l'incendie. Flosi disait que lui et les siens avaient payé bien cher. Hal répondit que c'était à prévoir, dans une affaire comme la leur. Flosi lui demanda quel conseil il lui donnerait. « Je te conseille, répondit Hal, de faire la paix, avec Thorgeir, s'il y a moyen. Mais il sera difficile de l'amener à une paix quelconque. » — « Crois-tu que par là nous en aurons fini avec les meurtres? » dit Flosi. « Je ne crois pas, dit Hal; mais tu auras affaire à moins forte partie si Kari est seul. Si tu ne fais pas la paix avec Thorgeir, ce sera ta mort. » — « Quelle sorte de paix lui offrirons-nous? » dit Flosi. « Dure va te sembler, dit Hal, la seule paix qu'il acceptera. Il ne fera la paix qu'à une condition, c'est qu'il n'aura rien à payer pour les meurtres dont il est l'auteur, et qu'on lui paiera, au contraire, le prix du meurtre de Njal et de ses fils, à lui pour sa tierce part. » — « C'est une paix dure » dit Flosi. « Pas pour toi, dit Hal, car ce n'est pas à toi de venger les fils de Sigfus. C'est à leurs frères qu'il appartient de porter plainte pour leur meurtre, et à Hamund Halti, pour celui de son fils Leidolf. Je crois que tu arriveras à faire ta paix avec Thorgeir; car je vais aller chez lui avec toi, et il est probable qu'il me recevra bien. Quant à tous ceux qui ont part à cette querelle, qu'ils se gardent de rester tranquilles dans leurs domaines du Fljotshlid, s'ils ne sont pas compris dans la paix; car ce serait leur mort, de l'humeur dont est Thorgeir. »

On envoya chercher les fils de Sigfus, pour leur proposer la chose. Et voici comme se terminèrent l'entretien et les harangues de Hal: ils trouvèrent bon tout ce qu'il avait conseillé, et dirent qu'ils voulaient bien faire la paix. Grani, fils de Gunnar, et Gunnar fils de Lambi, dirent tous deux: « Si Kari reste seul, il ne tiendra qu'à nous de faire en sorte qu'il n'ait pas moins peur de nous, que nous de lui. » — « Ne parlez pas ainsi, dit Hal; vous verrez qu'il en coûte d'avoir affaire à lui, et vous aurez à payer cher avant d'en avoir fini. » Et ils n'en dirent pas davantage.


CXLVII

Hal de Sida et son fils Kol se mirent en route vers l'Ouest. Ils étaient six en tout. Ils traversèrent la plaine de Lomagnup, puis les bruyères d'Arnarstak, et vinrent, sans s'être arrêtés, dans le Mydal. Là ils demandèrent si Thorgeir était chez lui à Holt. On leur dit qu'il y était. Les gens demandèrent à Hal où il allait. Il dit qu'il allait à Holt. Et les gens furent d'avis qu'il y allait sans doute pour le bon motif. Hal resta là quelque temps, et ses hommes firent manger leurs chevaux; après quoi, ils se remirent en selle et arrivèrent à Solheima vers le soir; ils y passèrent la nuit. Le jour d'après ils vinrent à Holt.

Thorgeir était dehors, Kari aussi, et leurs hommes; car ils savaient la venue de Hal. Hal était couvert d'un manteau bleu, et il avait à la main une petite hache incrustée d'argent. Quand il entra dans l'enclos avec ses hommes, Thorgeir vint à leur rencontre; il l'aida à descendre de cheval, et Kari et lui le baisèrent tous deux; le mettant entre eux deux, ils le conduisirent dans la salle, le firent asseoir sur un siège élevé, au milieu du banc du fond, et lui demandèrent de leur dire les nouvelles. Il passa la nuit là.

Le lendemain matin, Hal entra en conversation avec Thorgeir, et lui demanda s'il voulait faire la paix; il lui dit quelle sorte de paix les autres lui offraient, et il lui parla avec beaucoup de bonnes paroles et de bon vouloir. « Tu dois savoir, répondit Thorgeir, que je n'ai pas voulu faire de paix avec les hommes de l'incendie. » — « C'était tout autre chose alors, dit Hal vous étiez encore dans la chaleur du combat. Et vous avez tué, vous aussi, bien du monde depuis. » — « Oui, cela doit vous sembler suffisant, dit Thorgeir; mais quelle sorte de paix offrez-vous à Kari? » — « Nous lui offrirons une paix honorable pour lui, dit Hal, s'il veut bien l'accepter. »

Kari prit la parole: « Je t'en prie, dit-il, ami Thorgeir, accepte la paix qu'on te propose; il n'y a rien de meilleur que ce qui est bon. » — « Ce serait mal fait à moi, dit Thorgeir, de faire la paix en me séparant de toi, à moins que tu ne consentes à une paix semblable à celle que je ferai moi-même. » — « Je ne veux pas de paix, dit Kari. Je suis d'avis qu'à présent nous avons vengé l'incendie. Mais mon fils est toujours sans vengeance, et je crois que c'est à moi seul de le venger, et de voir ce que j'ai à faire. » Mais Thorgeir refusait toujours de faire la paix, jusqu'au moment où Kari lui dit qu'il ne serait plus son ami s'il ne la faisait pas.

Alors Thorgeir donna la main à Hal, comme tenant la place de Flosi et des siens, et s'engagea à faire trêve pour préparer la paix. Et Hal fit en retour la même promesse, au nom de Flosi et des fils de Sigfus. Avant de se séparer, Thorgeir donna à Hal un anneau d'or et un manteau d'écarlate; Kari lui donna un collier d'argent, auquel pendaient trois croix d'or. Hal les remercia de leurs présents, et s'en alla comblé d'honneurs. Il vint sans s'arrêter jusqu'à Svinafell. Flosi lui fit bon accueil. Hal conta à Flosi toute son ambassade, et ce qu'ils s'étaient dit, lui et Thorgeir; comme quoi Thorgeir n'avait voulu faire la paix, que lorsque Kari était venu l'en prier, disant qu'il ne serait pas son ami s'il ne la faisait pas; et comment Kari, lui, avait refusé de la faire. « Kari n'a pas son pareil, dit Flosi; et je voudrais avoir le cœur aussi bien placé que lui. »

Hal et ses hommes restèrent quelque temps chez Flosi. Au moment convenu, ils montèrent à cheval pour se rendre à l'entrevue; elle eut lieu à Höfdabrekka, ainsi qu'il avait été décidé. Thorgeir arriva de son côté, venant de l'Ouest, et on traita de la paix. Tout se passa comme Hal avait dit. Avant de rien conclure, Thorgeir déclara que Kari demeurerait chez lui tant qu'il voudrait « et nul des deux partis ne pourra, dit-il, faire du mal à l'autre dans ma maison. J'entends aussi ne pas réclamer d'argent à chacun de mes adversaires en particulier; mais je veux, Flosi, que tu me répondes de la somme entière, et que tu réclames ensuite leur part à tes compagnons. Je veux encore que la sentence rendue au ting au sujet de l'incendie soit exécutée de point en point, et que Flosi me paie sa tierce part en monnaie sans entaille. » Flosi consentit à tout, sur le champ. Thorgeir n'abandonna ni l'exil de Flosi, ni le bannissement moindre pour les autres.

Alors Flosi et Hal s'en retournèrent chez eux, dans l'Est. « Garde bien cette paix, dit Hal à Flosi, et remplis-en les conditions: ton départ pour l'étranger, ton pèlerinage à Rome, et les amendes à payer. Et on dira que tu es un vaillant homme, si grand que soit le méfait que tu as commis, quand tu auras accompli de point en point tout ce que tu as promis de faire. » Flosi dit qu'ainsi ferait-il. Et Hal s'en retourna chez lui, dans l'Est. Mais Flosi rentra à Svinafell, et il resta chez lui quelque temps.


CXLVIII

Thorgeir Skorargeir retourna chez lui au sortir de l'entrevue. Kari lui demanda si la paix était faite. Thorgeir dit qu'elle était faite et conclue. Et Kari alla chercher son cheval pour s'en aller. « Tu n'as pas besoin de partir, dit Thorgeir; il a été convenu, dans la paix que nous avons faite, que tu aurais toujours le droit de rester ici, aussi longtemps que tu voudrais. » — « Cela ne sera pas, cousin, répondit Kari; dès que j'aurais tué quelqu'un, ils diraient tous que tu es de moitié avec moi, et je ne veux pas de cela. Mais je te demanderai une chose, c'est de consentir à ce que je remette entre tes mains mes biens et ceux de ma femme, Helga fille de Njal, et aussi ceux de mes filles. De la sorte, mes ennemis ne pourront pas s'en emparer. » Thorgeir dit qu'il ferait comme Kari voulait, et Kari, lui donnant la main, lui fit remise de tous ses biens.

Après cela, Kari partit. Il avait deux chevaux, ses armes et ses vêtements, et quelque monnaie d'or et d'argent. Il prit à l'ouest, par Seljalandsmula, remonta le Markarfljot, et vint dans le pays de Thorsmörk. Il y avait là trois domaines, tous trois appelés Mörk. Dans celui du milieu demeurait un homme nommé Björn, qu'on appelait Björn le blanc. Il était fils de Kadal fils de Bjalfi. Bjalfi avait été l'affranchi d'Asgerd, mère de Njal, et de Holtathorir. Björn avait une femme nommée Valgerd. Elle était fille de Thorbrand fils d'Asbrand. Sa mère s'appelait Gudlaug. Elle était sœur d'Hamund père de Gunnar de Hlidarenda. On l'avait mariée à Björn pour son argent, et elle ne faisait pas grand cas de lui. Ils avaient eu pourtant des enfants ensemble. Il y avait abondance de toutes choses dans leur maison, Björn se vantait sans cesse, ce que sa femme ne pouvait souffrir. Il avait la vue perçante et le pied agile.

C'est là que Kari arriva, pour être l'hôte de Björn. Björn et sa femme le reçurent à bras ouverts. Il passa la nuit chez eux. Au matin, ils se mirent à parler ensemble. Kari dit à Björn: « Je viens te demander de me prendre chez toi. Il me semble que j'y serais bien. Je désire aussi que tu viennes avec moi dans mes expéditions, car tu as la vue perçante et le pied agile; et je crois que tu n'aurais pas peur dans le danger. » — « Certes, dit Björn, je ne manque ni de bons yeux, ni de bravoure, ni de tout ce qui fait les vaillants hommes. Mais tu n'es venu ici, sans doute, que parce que tout autre refuge t'était fermé. Pourtant j'écouterai ta prière, et je ne te traiterai pas comme le premier venu. Je te promets de t'aider en quelque façon que tu le désires. »

Sa femme était là qui l'entendait: « Le diable emporte tes vantardises et ton bavardage, dit-elle. Pourquoi nous dis-tu de semblables menteries? Je suis prête à donner à Kari sa nourriture, et aussi toute autre chose qui pourra être pour son bien. Mais toi, Kari, ne te fie pas trop à la bravoure de Björn, car j'ai peur qu'il ne fasse autrement qu'il ne dit. » — « Ce n'est pas la première fois que tu m'injuries, dit Björn, mais je sais bien, malgré tout, que je ne reculerai jamais devant personne. La preuve, c'est qu'il y en a peu qui me cherchent querelle, car ils n'oseraient. »

Kari resta caché là quelque temps, et peu de gens vinrent à le savoir. On croyait qu'il était allé dans le pays du Nord, chez Gudmund le puissant; car Kari avait fait dire par Björn à ses voisins qu'il l'avait rencontré sur le chemin, remontant vers le Godaland, pour aller de là, vers le Nord, à Gasasand, et de là chez Gudmund le puissant, à Mödruvöll. Et ce bruit se répandit dans tout le pays.


CXLIX

Il faut revenir à Flosi. Il dit aux hommes de l'incendie, ses compagnons: « Il n'est pas bon que nous restions tranquilles plus longtemps. Il nous faut penser à notre voyage, et aux amendes à payer, afin de remplir en vaillants hommes les conditions de la paix que nous avons faite. Il nous faut aussi trouver un vaisseau dans un endroit qui nous convienne. » Les autres le prièrent de s'en occuper, Flosi reprit: « Il faut nous en aller dans l'Est, jusqu'au Hornafjord; il y a là un vaisseau à l'ancre, qui est à Eyjolf Nef, un homme de Thrandheim. Il est venu ici prendre femme, mais il n'arrivera pas à faire son mariage s'il ne s'établit pas dans le pays. Nous lui achèterons son vaisseau; nous avons peu de fret, mais beaucoup de monde. Le vaisseau est grand, et nous tiendra tous. » Et ils n'en dirent pas plus long.

À quelque temps de là, ils partirent pour le pays de l'Est, et vinrent sans s'arrêter à Bjarnanes, sur le Hornafjord. Ils y trouvèrent Eyjolf; il avait passé là tout l'hiver, chez un homme du pays. Flosi y trouva bon accueil, et il y passa la nuit, lui et ses gens. Le lendemain, Flosi offrit au propriétaire du vaisseau de le lui acheter. L'autre répondit qu'il ne refuserait pas l'offre, s'il pouvait avoir en échange ce qu'il voulait. Flosi demanda quelle sorte de paiement il voulait avoir. Eyjolf répondit qu'il voulait de la terre, et qui fût dans le voisinage. Et il dit à Flosi le marché qu'il débattait avec son hôte. Flosi promit de lui donner un coup d'épaule pour conclure son marché, et il fut convenu qu'ensuite il lui achèterait son vaisseau. L'homme de l'Est en eut grande joie. Flosi lui offrit des terres à Borgarhöfn.

Eyjolf vint donc trouver son hôte et lui fit sa demande, en présence de Flosi. Flosi dit un mot pour lui, et le marché fut conclu, Flosi céda à l'homme de l'Est des terres à Borgarhöfn; il eut en échange son vaisseau, et ils se donnèrent la main là-dessus. Flosi reçut d'Eyjolf, avec le vaisseau, pour vingt cents de marchandises, qui furent comprises dans le marché. Après quoi Flosi remonta à cheval et s'en alla.

Flosi était si aimé de ses hommes qu'il avait d'eux tout ce qu'il voulait avoir en fait de provisions, soit comme prêt, soit comme don.

Flosi rentra donc à Svinafell et resta chez lui quelque temps. Il envoya Kol fils de Thorstein et Gunnar fils de Lambi dans l'Est au Hornafjord, pour s'occuper du vaisseau, le mettre en état, dresser des huttes, mettre les marchandises en sacs et faire tout le nécessaire.

Il faut parler maintenant des fils de Sigfus. Ils dirent à Flosi qu'ils voulaient s'en aller à l'Ouest, dans le Fljotshlid, pour s'occuper de leurs domaines, et y prendre des marchandises, et autres choses dont ils avaient besoin. « Il n'y a plus à prendre garde à Kari, dirent-ils, s'il est, comme on l'a raconté, dans le pays du Nord. » — « Je ne sais, répondit Flosi, s'il faut se fier à ces bruits là, et si on a dit vrai au sujet du voyage de Kari. Des choses m'ont souvent paru mieux prouvées, qui n'étaient pas vraies du tout. Mon avis est que vous marchiez en troupe nombreuse, que vous vous sépariez le moins possible, et que vous vous teniez sur vos gardes, du mieux que vous pourrez. Rappelle-toi, Ketil de Mörk, le songe que je t'ai conté, et que j'ai tenu secret, à ta prière; beaucoup de ceux qui vont partir avec toi, ont été appelés alors. » Ketil répondit: « La vie des hommes suit son cours ainsi que le veut la destinée; mais toi, grand bien te fasse pour ton avertissement. » Et ils n'en dirent pas davantage.

Les fils de Sigfus se préparèrent au départ, et aussi ceux qui devaient aller avec eux. Ils étaient dix-huit en tout. Avant de partir, ils embrassèrent Flosi. Il leur souhaita bon voyage, disant qu'il y en avait parmi eux qu'il ne reverrait jamais. Mais ils ne changèrent pas d'avis, et se mirent en route. Flosi les avait priés d'aller chercher ses marchandises dans le Medalland, pour les porter dans le pays de l'Est. Ils avaient à en prendre aussi à Landbrot et à Skogahverfi. Après cela, ils vinrent à Skaptartunga, passèrent la montagne, et, prenant au Nord du Jökul d'Eyjafjöll, descendirent dans le Godaland. De là, par les bois, ils vinrent à Thorsmörk.

Björn de Mörk vit cette troupe d'hommes qui s'approchait; il vint à leur rencontre, et ils se souhaitèrent le bonjour. Les fils de Sigfus demandèrent des nouvelles de Kari fils de Sölmund. « J'ai rencontré Kari, dit Björn, il y a déjà longtemps. Il chevauchait vers le Nord, par le Gasasand, et il s'en allait à Mödruvöll chez Gudmund le puissant. Il m'a semblé qu'il avait grand'peur de vous, car il est tout seul à présent. » — « Il aura bien plus peur encore, dit Grani fils de Gunnar. Et il le verra bien, quand il viendra à portée de nos javelots. Il n'est plus à craindre pour nous, maintenant que tous les siens l'ont abandonné. » Ketil de Mörk lui dit de se taire et de laisser là ses grands mots. Björn leur demanda quand ils reviendraient. « Nous resterons, répondirent-ils, environ une semaine dans le Fljotshlid » et ils lui dirent quel jour ils comptaient repasser la montagne. Ils se séparèrent là-dessus.

Les fils de Sigfus arrivèrent dans leurs domaines, où leurs gens les reçurent avec beaucoup de joie. Ils y passèrent près d'une semaine.

Björn cependant revient chez lui trouver Kari; il lui conte le voyage des fils de Sigfus, et leurs projets pour le retour. « Tu t'es montré dans cette occasion un ami fidèle » dit Kari. « Quand j'ai promis ma foi et mon aide à quelqu'un, dit Björn, je veux qu'on doute de tout le monde plutôt que de moi. » — « Ce serait trop fort aussi, si tu étais un traître, » dit sa femme.

Kari passa encore six nuits chez eux.


CL

Voici que Kari parle à Björn: « Montons à cheval, lui dit-il, et allons-nous en à l'Est, par la montagne. Nous descendrons à Skaptartunga et nous passerons sans nous laisser voir par le district qu'habitent les gens de Flosi; je voudrais trouver passage sur un vaisseau dans l'Alptafjord. » — « C'est un voyage bien chanceux, dit Björn; peu de gens auraient le courage de l'entreprendre, sauf toi et moi. » — « Si tu ne te montres pas un compagnon fidèle pour Kari, lui dit sa femme, sache que jamais plus tu n'entreras dans mon lit et que mes parents feront le partage de nos biens. » — « Ma femme, répondit Björn, songe à autre chose, si tu veux un moyen de te séparer de moi; car je vais me rendre témoignage à moi-même, et montrer quel rude champion je suis quand il s'agit de porter de grands coups. »

Ils partirent le jour même, et passèrent la montagne, sans prendre jamais le chemin battu. Ils descendirent à Skaptartunga, et vinrent au bord de la Skapta, passant au-dessus des domaines qui sont là. Ils menèrent leurs chevaux dans un creux, et se mirent en embuscade de manière qu'on ne pouvait les voir. « Que ferons-nous, dit Kari à Björn, s'ils arrivent sur nous, en descendant la montagne? » — « N'avons-nous pas le choix entre deux choses? dit Björn: Ou bien nous en aller vers le Nord, le long des rochers, et les laisser passer; ou bien attendre pour voir si quelques-uns d'entre eux resteraient en arrière, et alors, les attaquer. » Ils parlèrent longtemps de la sorte: tantôt Björn disait qu'il fallait fuir au plus vite, tantôt qu'il fallait attendre et leur tenir tête. Et Kari s'en amusait très fort.

Il faut parler maintenant des fils de Sigfus. Ils quittèrent leurs domaines le jour qu'ils avaient dit à Björn. Ils vinrent à Mörk, et frappèrent à la porte, disant qu'ils voulaient parler à Björn. Sa femme vint à la porte et les salua. Ils demandèrent où était Björn. Elle dit qu'il était descendu dans la plaine qui est sous l'Eyjafjöll, pour s'en aller dans l'Est, à Holt: « car il a de l'argent à toucher là-bas » ajouta-t-elle. Ils le crurent, car ils savaient que Björn avait de l'argent placé là. Ils reprirent leur route vers l'Est, passant la montagne, et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à Skaptartunga. Ils descendirent la Skapta, et firent halte à l'endroit que Kari avait prévu. Là ils se séparèrent. Ketil de Mörk prit à l'Est, vers le Medalland, et huit hommes avec lui. Les autres se couchèrent pour dormir, et ne s'aperçurent de rien qu'au moment où Kari et Björn arrivèrent sur eux.

Il y avait là un petit promontoire qui s'avançait dans la rivière. Kari s'y plaça et dit à Björn de se mettre derrière son dos, et de ne pas trop s'avancer, mais de l'aider du mieux qu'il pourrait. « Je n'aurais jamais pensé, dit Björn, qu'un autre homme dût me servir de bouclier. Mais au point où nous en sommes, c'est à toi de décider. Je suis assez rusé et assez agile pour t'être de secours et je ne laisserai pas de faire quelque dommage à nos ennemis. »

À ce moment, les autres se levèrent tous, et coururent à eux, Modulf fils de Ketil fut le plus prompt; il pointa sa lance sur Kari. Kari s'était couvert de son bouclier; la lance y entra, et y resta enfoncée. Kari fit tourner son bouclier, si vite que la lance se brisa. En même temps il levait son épée pour frapper Modulf, Modulf levait aussi la sienne. L'épée de Kari tomba sur la poignée de celle de Modulf, et rebondit sur la main qui la tenait. Le bras fut emporté, l'épée et la main tombèrent à terre. La pointe de l'épée s'était enfoncée dans les côtes de Modulf. Il tomba, il était mort sur le coup.

Grani fils de Gunnar saisit un javelot et le lança à Kari. Mais Kari frappant de son bouclier contre terre l'y laissa enfoncé. Alors, de la main gauche, il prit le javelot au vol et le renvoya à Grani. Puis, de la même main gauche il reprit son bouclier, Grani avait le sien devant lui. Le javelot passa au travers, et entra dans la cuisse de Grani au-dessous des boyaux, après quoi il s'enfonça en terre. Et Grani ne fut débarrassé du javelot que quand ses compagnons vinrent l'en arracher, après quoi ils le portèrent dans un creux, et le couvrirent de leurs boucliers.

Un homme courut à Kari, l'épée levée. Il voulait le frapper de côté, et lui enlever une jambe. Björn lui emporta le bras d'un coup d'épée, puis il revint d'un saut à sa place derrière Kari, et les autres ne purent lui faire de mal. Alors Kari, brandissant son épée, frappa l'homme de côté, et il le coupa en deux par le milieu du corps. À ce moment Lambi fils de Sigurd courut à Kari, levant son épée. Kari tourna son bouclier de biais, de sorte que le coup ne put y mordre. Puis il planta son épée dans la poitrine de Lambi et la pointe ressortit entre les épaules, Lambi tomba mort.

Thorstein fils de Geirleif courut à Kari, pour le prendre de flanc. Kari brandit son épée, et, le frappant de côté au travers des épaules, le coupa en deux. Après cela il en tua encore un, Gunnar de Skal, un vaillant homme. Björn en avait blessé trois qui voulaient frapper Kari, mais il ne s'était jamais assez avancé pour courir le moindre risque. Il ne fut pas blessé, ni Kari non plus, dans cette rencontre. Mais tous ceux qui échappèrent étaient blessés.

Ils coururent à leurs chevaux, les lancèrent à bride abattue, le long de la Skapta. Si grande était leur frayeur qu'ils n'entrèrent dans aucun domaine, et n'osèrent s'arrêter nulle part pour dire la nouvelle. Kari et Björn poussèrent de grands cris en les voyant s'enfuir. « Courez bien, gens de l'incendie » disait Björn. Ils vinrent dans le pays de l'Est, passèrent à Skogahverfi, et ne s'arrêtèrent qu'arrivés à Svinafell.

Flosi n'était pas chez lui quand ils arrivèrent. Il ne fut donc pas porté plainte contre Kari. Mais chacun fut d'avis que les autres s'étaient couverts de honte.

Kari vint à Skal, et là, il se déclara l'auteur des meurtres qui avaient été commis. Il dit la mort du maître du domaine et de cinq autres, et la blessure de Grani. « Si nous le laissons vivre, ajouta-t-il, il faut le porter chez lui. » — « Je n'ai pas le cœur de le tuer, dit Björn, à cause de notre parenté; il l'aurait pourtant bien mérité. » Ceux qui étaient là dirent que peu de gens mordraient jamais la poussière de la main de Björn. « Il ne tient qu'à moi, dit Björn, de faire mordre la poussière à tous les hommes de Sida. » Les autres dirent que ce serait dommage. Et là-dessus, Kari et Björn s'en allèrent.


CLI

Kari demanda à Björn: « Qu'allons-nous faire à présent? Montre-moi ta sagesse. » — « Es-tu d'avis, dit Björn, de faire ce qu'il y a de plus sage? » — « Oui certes, » dit Kari. « Alors nous aurons vite fait de nous décider, dit Björn; et nous allons les attraper tous comme des sots. Il faut faire semblant de nous en aller au Nord, par la montagne. Sitôt que nous serons cachés derrière une hauteur, nous tournerons bride et nous descendrons la Skapta. Nous choisirons un bon endroit et nous nous y tiendrons cachés pendant qu'ils seront le plus lancés, s'ils courent après nous. » — « Faisons cela, dit Kari; j'y avais déjà pensé. » — « Tu vois, dit Björn, que je ne suis pas le premier venu, aussi bien pour la sagesse que pour la bravoure. »

Kari et Björn firent donc comme ils avaient dit, et descendirent le long de la Skapta. Ils vinrent à l'endroit où la rivière se partage: un des bras va vers l'Est, l'autre vers le Sud-Est. Ils prirent le long du bras du milieu et vinrent sans s'arrêter dans le Medalland, au marais qu'on appelle Kringlumyr. Tout le sol est couvert de lave aux alentours de ce marais. Kari dit à Björn de s'occuper des chevaux, et de faire bonne garde, « car j'ai grand sommeil » ajouta-t-il. Björn prit soin des chevaux, et Kari se coucha par terre.

Il n'avait pas dormi longtemps quand Björn le réveilla. Il avait détaché les chevaux, et il les amenait tout près de Kari. « Tu es bien heureux de m'avoir, lui dit-il. Un autre, qui n'eût pas été aussi brave que moi, se serait enfui en te laissant là; car voici tes ennemis qui arrivent, et il faut te préparer à les recevoir. »

Kari se plaça sous un rocher qui s'avançait. « Où me mettrai-je, moi? » dit Björn. « Tu as deux choses à faire, répondit Kari. Ou bien place-toi derrière moi, et tu auras mon bouclier pour te couvrir, si cela peut t'être utile; ou bien monte à cheval et va t'en, le plus vite que tu pourras. » — « Je ne ferai pas cela, dit Björn, pour plusieurs raisons: la première, c'est que les mauvaises langues pouvaient dire que j'ai pris la fuite par manque de courage, si je te laissais là. La seconde, c'est que je sais bien quelle capture je serais pour eux. Ils se mettraient deux ou trois à ma poursuite, et je ne t'aurais ni servi ni aidé en rien. J'aime bien mieux rester près de toi, et me défendre tant que je pourrai. »

Ils n'avaient pas attendu longtemps, que des chevaux chargés débouchèrent sur le marais; trois hommes les conduisaient. « Ils ne nous voient pas » dit Kari. « Laissons les passer » dit Björn. Les hommes passèrent sans les voir.

Et voici que les six autres arrivèrent au galop. Ils sautèrent tous à terre, et vinrent droit à Kari et à Björn. Glum fils d'Hildir fut le premier. Il pointa sa lance sur Kari. Kari tourna sur ses talons; Glum le manqua, et sa lance s'enfonça dans le rocher. Björn le vit, et frappant sur la lance, la brisa à la hampe. Alors Kari brandissant son épée de côté frappa Glum à la jambe. Il l'emporta tout entière à la hauteur de la cuisse, Glum mourut sur le coup.

À ce moment, coururent à Kari les deux fils de Thorbrand, Vjebrand et Asbrand. Kari vint à Vjebrand et lui passa son épée au travers du corps. Après quoi il emporta d'un coup les deux jambes d'Asbrand. Au même instant, Kari et Björn furent blessés tous deux. Alors Ketil de Mörk courut à Kari, la lance en avant. Kari sauta en l'air, et la lance s'enfonça dans le sol. Kari retomba sur la hampe, et la brisa. Puis il saisit Ketil à bras-le-corps. Björn accourut: il voulait le tuer. « Laisse-le, dit Kari. Je veux faire grâce à Ketil. Et quand j'aurais encore, Ketil, ta vie en mon pouvoir, je ne te tuerai jamais. » Ketil ne répondit rien. Il s'en alla rejoindre ses compagnons, et dit la nouvelle à ceux qui ne la savaient pas encore. On la répéta aux chefs du district. Et les chefs rassemblèrent une armée nombreuse. Ils remontèrent le long de toutes les rivières, et s'enfoncèrent bien avant dans la montagne, du côté du Nord. Ils cherchèrent pendant trois jours. Après quoi ils s'en retournèrent, et chacun rentra dans sa maison.

Ketil et ses compagnons étaient retournés dans l'Est, à Svinafell. Ils dirent la nouvelle à Flosi. Flosi fut d'avis qu'ils avaient fait là un triste voyage. « Je ne sais, dit-il, quand viendra la fin de tout ceci; mais Kari n'a pas son pareil parmi tous les hommes d'Islande. »


CLII

Il faut revenir à Björn et à Kari. Ils chevauchaient traversant la plaine, et menèrent leurs chevaux sur une colline couverte d'avoine sauvage. Ils leur coupèrent de l'avoine, de peur qu'ils ne vinssent à mourir de faim. Kari tombait toujours si juste qu'il partit de là au moment même où les autres cessaient leur poursuite. Il traversa le district pendant la nuit, gravit la montagne, et suivit en tout le même chemin qu'ils avaient pris d'abord, pour s'en aller dans l'Est. Il ne s'arrêta pas avant d'être arrivé à Midmörk.

Björn dit à Kari: « Il faut que tu fasses de grandes louanges de moi devant ma femme; car elle ne croira pas un mot de ce que je dirai; et c'est de grande importance pour moi. Tu me revaudras par là tout le secours que je t'ai prêté. » — « Ainsi ferai-je » dit Kari. Et ils entrèrent dans le domaine. La maîtresse du lieu leur fit bon accueil, et leur demanda les nouvelles. « Le danger est plus grand que jamais, ma femme » répondit Björn. Elle ne répondit pas, et sourit. « Et quelle aide Björn t'a-t-il donnée? » dit-elle à Kari. « Le dos est sans défense, répondit Kari, s'il n'y a pas là un frère; Björn m'a donné bonne aide. Il a blessé trois hommes, et il est blessé lui-même. Il a fait pour moi tout ce qu'il pouvait faire. » Ils passèrent là trois nuits.

Après cela, ils vinrent à Holt, chez Thorgeir, et lui dirent la nouvelle en secret; car elle n'était pas encore arrivée jusqu'à lui. Thorgeir remercia Kari, et il était facile de voir que cela lui donnait grande joie. Il demanda à Kari s'il pensait qu'il lui restât encore quelque chose à faire. Kari répondit: « Je veux tuer encore Gunnar fils de Lambi, et Kol fils de Thorstein, si je peux mettre la main sur eux. Alors nous en aurons tué quinze, avec les cinq que nous avons tués, toi et moi. Mais j'ai une prière à te faire » dit Kari. Thorgeir répondit qu'il ferait tout ce que Kari lui demanderait. « Je désire, dit Kari, que tu prennes chez toi cet homme qui s'appelle Björn, et qui était avec moi quand j'ai tué les autres; que tu fasses un échange avec lui, en lui donnant ici près un domaine en plein rapport; et que tu le gardes sous ta protection, de telle sorte qu'on ne puisse tirer aucune vengeance de lui. C'est chose facile pour un chef tel que toi. » — « Ainsi ferai-je » dit Thorgeir. Il donna à Björn un domaine en bon état, à Asolfskala, et se chargea de faire valoir son domaine de Mörk. Thorgeir s'occupa lui-même de faire porter à Asolfskala tous les biens et meubles de Björn. Il fit un arrangement pour lui dans toutes les affaires où il était mêlé, en sorte que Björn se trouva en paix avec tout le monde. Et Björn se crut plus grand homme que jamais.

Kari partit, et vint sans s'arrêter à Tunga, chez Asgrim fils d'Ellidagrim. Asgrim fit très grand accueil à Kari qui lui conta par le menu tous les combats qu'il avait livrés. Asgrim s'en montra joyeux, et demanda à Kari ce qu'il comptait faire. Kari répondit: « Je vais m'en aller à l'étranger, et les poursuivre; je serai sur leurs talons, et je les tuerai, si je peux les joindre. » Asgrim dit que Kari n'avait pas son pareil en bravoure.

Il passa quelques nuits chez Asgrim. Après quoi il s'en alla chez Gissur le blanc. Gissur le reçut à bras ouverts, et Kari resta chez lui quelque temps. Il dit à Gissur qu'il voulait descendre au rivage, à Eyra. Gissur lui fit présent au départ d'une bonne épée, Kari descendit donc à Eyra et prit passage sur le vaisseau de Kolbein le noir. Kolbein était des îles Orkneys. C'était un grand ami de Kari, le plus brave et le plus hardi des hommes. Il reçut Kari à bras ouverts, et lui dit qu'un même sort les frapperait tous deux.


CLIII

Il faut revenir à Flosi, qui s'en va dans l'Est, au Hornafjord. Presque tous ses hommes étaient venus avec lui. Ils amenèrent dans l'Est leurs marchandises et leurs vivres, et tout le bagage qu'ils avaient à emporter. Après quoi ils mirent leur vaisseau en état, et se préparèrent à partir. Flosi resta là jusqu'à ce que tout fût prêt, et dès qu'ils eurent bon vent, ils firent voile vers le large.

Ils furent longtemps en pleine mer, car le temps était mauvais, et ils naviguaient sans savoir où ils allaient. Il arriva un jour qu'ils reçurent trois grosses lames. Flosi dit qu'il devait y avoir une terre dans le voisinage, et que c'étaient des brisants. La brume était épaisse. Le vent s'éleva, et une grande tempête fondit sur eux. Avant qu'ils eussent le temps de se reconnaître, une nuit, ils furent jetés au rivage. Les hommes se sauvèrent, mais le vaisseau fut mis en pièces, et ils ne purent rien sauver de leurs marchandises. Ils tâchèrent de se réchauffer, et le jour suivant, ils montèrent sur une hauteur. Le temps s'était mis au beau. Flosi demanda si quelqu'un de ses hommes connaissait ce pays. Il y en avait deux qui étaient déjà venus là; « Nous reconnaissons bien cette terre, dirent-ils; c'est Hrossey, une des Orkneys. » — « Nous aurions pu trouver un meilleur endroit pour aborder, dit Flosi; car Helgi fils de Njal, que j'ai tué, était l'homme du jarl Sigurd fils de Hlödvir. » Ils cherchèrent un creux pour s'y cacher, et se couvrirent de mousse. Ils restèrent là quelque temps. Mais bientôt Flosi dit: « Nous ne pouvons pas rester là couchés jusqu'à ce que les gens du pays nous découvrent. » Ils se levèrent donc, et tinrent conseil. « Allons tous, dit Flosi, nous livrer au jarl. Nous n'avons pas autre chose à faire; il a déjà d'ailleurs notre vie dans les mains, s'il veut la prendre. »

Alors ils s'en allèrent tous. Flosi leur défendit de dire à personne qui ils étaient, ni où ils allaient, avant qu'il n'eût parlé au jarl. Ils marchèrent droit devant eux, et finirent par trouver des gens qui leur montrèrent où habitait le jarl. Ils entrèrent et se trouvèrent devant lui. Flosi le salua, ainsi firent tous les autres. Le jarl demanda quelle sorte d'hommes ils étaient. Flosi se nomma, et dit quel district d'Islande il habitait. Le jarl avait déjà entendu parler de l'incendie. Il sut donc tout de suite quels hommes il avait devant lui. « Quelles nouvelles me donneras-tu, dit-il à Flosi, d'Helgi, fils de Njal, et mon homme? » — « La nouvelle que je t'en donnerai, dit Flosi, c'est que je lui ai coupé la tête. » — « Emparez-vous d'eux, » dit le jarl. Et ainsi fut fait.

À ce moment arrivait Thorstein, fils de Hal de Sida. Flosi avait pour femme sa sœur Steinvör, et Thorstein était un des hommes du jarl Sigurd. Quand il vit qu'on s'était emparé de Flosi, il vint devant le jarl, et offrit pour Flosi tous les biens qu'il possédait. Le jarl était dans une grande colère, et pendant longtemps rien ne put le toucher. À la fin, d'autres vaillants hommes étant venus parler pour Flosi avec Thorstein (car Thorstein avait des amis qui le soutenaient fort, et beaucoup se mirent de son côté) le jarl consentit à faire la paix, et il donna la vie à Flosi et à tous les siens. Puis, selon la coutume des grands chefs, il prit Flosi à son service, à la place d'Helgi fils de Njal. Flosi devint donc l'homme du jarl Sigurd, et il fut bientôt en grande faveur auprès de lui.


CLIV

Kari et Kolbein le noir firent voile d'Eyra, un demi-mois après que Flosi fut sorti du Hornafjord. Ils eurent bon vent, et ne furent pas longtemps en mer. Ils débarquèrent à Fridarey. C'est une île entre Hjaltland et les Orkneys. Kari logea chez un homme qui s'appelait Dagvid le blanc. Dagvid dit à Kari tout ce qu'il savait du voyage de Flosi. C'était un grand ami de Kari, et Kari passa chez lui tout l'hiver. Ils eurent là des nouvelles de l'Ouest, et de tout ce qui se passait cet hiver-là à Hrossey.

Le jarl Sigurd avait invité chez lui, pour la fête de Jol, son beau-frère le jarl Gilli, des îles du Sud. Gilli avait pour femme Svanlaug, sœur du jarl Sigurd. Il vint en même temps chez le jarl Sigurd un roi qui s'appelait Sigtryg. Il venait d'Irlande. Il était fils d'Olaf Kvaran; et sa mère s'appelait Kormlöd. C'était la plus belle femme qu'on pût voir, et elle faisait bien toutes choses quand on ne la laissait pas décider, mais les gens disaient qu'elle menait tout de travers quand c'était elle qui décidait. Elle avait été mariée d'abord à un roi nommé Brjan, et ils s'étaient séparés; Brjan était le meilleur des rois. Il avait sa résidence à Kunjattaborg. Son frère était Ulf le terrible, le plus vaillant champion et homme de guerre qu'on pût voir. Le roi Brjan avait un fils adoptif, nommé Kerthjalfad. Il était fils du roi Kylf, qui fit de grandes guerres au roi Bryan, fut chassé par lui de son pays, et entra dans un cloître. Quand le roi Brjan s'en alla dans les pays du Sud, il retrouva le roi Kylf, et ils firent la paix. Le roi Brjan prit chez lui le fils de Kylf, Kerthjalfad, et il l'aimait plus que ses propres fils. Kerthjalfad était arrivé à l'âge d'homme, au temps dont nous parlons, et c'était l'homme le plus hardi qu'on pût voir.

L'un des fils du roi Brjan s'appelait Dungad, un autre Margad, le troisième Takt, que nous appelons Tann. C'était le plus jeune des trois. Les fils aînés du roi Brjan étaient déjà des hommes, les plus braves qu'on pût voir. Kormlöd n'était pas la mère des enfants du roi Brjan. Elle avait été en si grand courroux contre Brjan après leur séparation, qu'elle aurait voulu le voir mort.

Le roi Brjan pardonnait jusqu'à trois fois le même crime à ceux qui avaient été proscrits de son royaume; s'ils recommençaient encore, alors il les faisait juger selon les lois. On peut juger à cela quel bon roi il était.

Kormlöd pressait fort son fils Sigtryg de tuer le roi Brjan. C'est pour cela qu'elle l'avait envoyé chez le jarl Sigurd, demander du secours. Le roi Sigtryg arriva aux Orkneys pour la fête de Jol. Le jarl Gilli y vint aussi, comme nous l'avons dit plus haut. Voici comme les hommes étaient placés dans la salle: le roi Sigtryg était assis au milieu, sur un siège élevé; aux deux côtés du roi, étaient les deux jarls. Les hommes du roi Sigtryg et du jarl Gilli, avaient pris place après Gilli, du côté du dedans; Flosi et Thorstein, fils de Hal de Sida, étaient assis du côté du dehors, en partant du jarl Sigurd. Toute la salle était pleine.

Le roi Sigtryg et le jarl Gilli voulurent entendre le récit de l'incendie, et tout ce qui s'en était suivi, Gunnar fils de Lambi fut choisi pour le raconter, et on apporta un siège pour lui.


CLV

À ce moment là, Kari et Kolbein avec Dagvid le blanc arrivèrent à l'improviste à Hrossey. Ils vinrent tout de suite à terre, laissant quelques hommes pour garder le vaisseau. Kari et ses compagnons allèrent droit à la demeure du jarl, et s'approchèrent de la salle comme les hommes étaient à boire. Il se trouvait justement que Gunnar racontait l'incendie. Kari et les siens écoutèrent du dehors. C'était le jour même de la fête.

Le roi Sigtryg demanda: « Et Skarphjedin, comment s'est-il comporté dans les flammes? » — « Bien d'abord, dit Gunnar; mais il a fini par pleurer » et il continuait à raconter l'histoire à sa manière, et il riait aux éclats. Kari n'y put tenir. Il entra dans la salle en courant, l'épée levée, et il chanta:

« Ils se sont vantés, les vaillants hommes, d'avoir brûlé Njal. Ont-ils su quelle vengeance nous en avons tirée? Ils ont été payés de leur exploit, ces rudes guerriers, et les corbeaux ont eu de la chair à manger. »

Puis, s'élançant à travers la salle, il abattit son épée sur le cou de Gunnar. La tête vola sur la table, devant le roi et les jarls; la table et les vêtements des jarls furent inondés de sang.

Le jarl Sigurd reconnut l'homme qui avait fait ce meurtre. Il cria: « Emparez-vous de Kari et tuez-le. » Kari avait été l'homme du jarl Sigurd, et nul n'avait plus d'amis que lui; personne ne se leva, malgré l'ordre du jarl. « On pourrait dire, seigneur, dit Kari, que c'est pour vous que j'ai fait ce que je viens de faire, et pour venger votre homme, Helgi fils de Njal. » Flosi prit la parole: « Kari, dit-il, n'a pas fait cela sans motif; car il n'y a point de paix conclue entre lui et nous. Ce qu'il a fait, il avait le droit de le faire. » Kari s'en alla, sans que personne se mît à sa poursuite. Il se rembarqua, et ses compagnons avec lui.

Le temps était beau. Ils firent voile au Sud, vers Katanes, et débarquèrent à Thrasvik, chez un homme puissant, nommé Skeggi. Ils restèrent chez lui longtemps.

Les autres, aux Orkneys, nettoyèrent la table et emportèrent le mort. On vint dire au jarl que Kari et les siens avaient fait voile au Sud, vers l'Écosse. « C'est un vaillant homme, dit le roi Sigtryg, celui qui a fait cela si hardiment, sans y songer à deux fois. » — « Kari n'a pas son pareil, répondit le jarl Sigurd, en hardiesse et en audace. » Alors Flosi à son tour conta l'histoire de l'incendie. Il parla bien de tous, et on crut ce qu'il disait.

Le roi Sigtryg vint à parler au jarl Sigurd de la demande qu'il avait à faire. Il le pria de venir avec lui combattre le roi Brjan. Le jarl s'en défendit longtemps. À la fin il consentit, à condition qu'il aurait en mariage la mère de Sigtryg, et qu'il deviendrait roi en Irlande, s'ils tuaient Brjan. Tout le monde voulut détourner le jarl Sigurd de partir, mais cela ne servit de rien. On se sépara sur la promesse que fit Sigurd de venir; Sigtryg lui promit en échange sa mère et un royaume. Il fut convenu que le jarl Sigurd se trouverait à Dublin avec toute son armée, le dimanche des Rameaux.

Le roi Sigtryg revint en Irlande, et dit à sa mère Kormlöd que le jarl s'était engagé à venir, et aussi ce qu'il lui avait promis pour cela. Elle s'en montra contente, mais elle lui dit qu'il fallait rassembler encore plus de monde. Sigtryg lui demanda où on pourrait chercher de l'aide. « Il y a, dit-elle, deux pirates au large, à l'ouest de l'île de Mön: ils ont trente vaisseaux, et ce sont des guerriers si terribles que nul ne peut leur résister. L'un s'appelle Uspak, l'autre Brodir. Va les trouver, et n'épargne rien pour les amener à venir avec toi, quelque prix qu'ils y mettent. »

Le roi Sigtryg se mit donc à la recherche des pirates, et il les trouva au large de Mön. Il fit sans tarder sa demande, mais Brodir refusa de venir, tant que Sigtryg ne lui eut pas promis sa mère et le royaume de Brjan. Il fut convenu qu'on tiendrait la chose secrète, et que le jarl Sigurd n'en saurait rien. Brodir promit de se trouver à Dublin avec son armée, le Dimanche des Rameaux.

Le roi Sigtryg revint trouver sa mère, et lui dit ce qui s'était passé.

Cependant Uspak et Brodir s'étaient mis à parler ensemble. Brodir répéta à Uspak tout ce qu'ils avaient dit, Sigtryg et lui, et il le pria de venir avec lui combattre le roi Brjan, disant que c'était pour lui de grande importance. Uspak répondit qu'il ne voulait pas se mettre en guerre avec un si bon roi. Alors ils entrèrent en colère tous deux, et séparèrent en deux leur flotte. Uspak avait dix vaisseaux, mais Brodir en avait vingt.

Uspak était païen, mais c'était le plus sage des hommes. Il mena ses vaisseaux dans le détroit; Brodir resta au large.

Brodir avait été chrétien; et il avait été consacré pour servir la messe comme diacre; mais il avait renié sa foi, et il était devenu un apostat. Il sacrifiait à des démons païens, et faisait toutes sortes de sorcelleries. Il avait une armure que le fer n'entamait pas. Il était grand et fort, et il avait une chevelure noire, si longue, qu'il la rentrait dans sa ceinture.


CLVI

Une nuit, il arriva que Brodir et ses hommes entendirent un grand bruit. Ils s'éveillèrent tous, sautèrent sur leurs pieds et mirent leurs vêtements. Et voici qu'il tomba sur eux une pluie de sang bouillant. Ils se couvrirent de leurs boucliers, et malgré cela beaucoup d'entre eux furent brûlés. Ces prodiges durèrent jusqu'au jour, et il mourut un homme sur chaque vaisseau. Ils dormirent le jour qui suivit.

La seconde nuit, il se fit encore un grand bruit, et ils se levèrent encore tous, en sursaut. Et voici que les épées sortirent de leurs fourreaux, et les haches et les javelots volaient en l'air et se livraient bataille. Et toutes ces armes les attaquèrent si vivement qu'il leur fallut se couvrir de leurs boucliers; il y eut malgré cela, beaucoup de blessés, et il mourut un homme sur chaque vaisseau. Ces prodiges durèrent jusqu'au jour, et ils dormirent encore le jour suivant.

La troisième nuit, le même bruit revint encore. Après cela, il vint sur eux une nuée de corbeaux, et il leur sembla que ces corbeaux avaient un bec et des serres de fer. Les corbeaux les attaquèrent si rudement qu'ils eurent à se défendre avec leurs épées, et à se couvrir de leurs boucliers. Cela dura jusqu'au jour. Et il était mort encore un homme sur chaque vaisseau. Après cela, ils dormirent un peu d'abord.

Quand Brodir s'éveilla, il respirait avec peine, et il donna l'ordre qu'on mît au plus vite une barque à la mer: « car je veux, dit-il, aller trouver Uspak. » Il entra dans la barque, et quelques hommes avec lui. Quand il fut devant Uspak, il lui conta tous les prodiges qui avaient fondu sur eux, le priant de lui dire ce que cela signifiait. Uspak refusa de le dire, tant que Brodir ne lui aurait pas juré la paix. Et Brodir jura. Mais Uspak fit encore résistance jusqu'à la nuit; car la nuit Brodir ne commettait jamais de meurtre.

Alors Uspak dit: « Quand il est tombé sur vous une pluie de sang, cela signifiait qu'il en sera versé beaucoup, le vôtre et celui de bien d'autres; quand vous avez entendu un grand bruit, cela signifiait que vous allez quitter ce monde, et que vous mourrez tous bientôt. Quand toutes ces armes vous ont attaqués, c'était un présage de combat; et ces corbeaux qui ont fondu sur vous, c'étaient les démons en qui vous croyez et qui vous mèneront aux supplices de l'enfer. »

Brodir entra dans une colère si grande, qu'il ne put rien répondre, il retourna vers ses hommes et fit placer les vaisseaux l'un à côté de l'autre, au travers du détroit; on les attacha au rivage avec des câbles. Brodir voulait dès le lendemain attaquer Uspak et le tuer, lui et tous les siens. Uspak vit ce que Brodir avait en tête. Il fit vœu d'embrasser la vraie foi, d'aller trouver le roi Brjan, et d'être avec lui jusqu'à son dernier jour. Puis il fit avancer tous ses vaisseaux, l'un après l'autre, le long du rivage, et ils coupèrent le câble de Brodir. Les vaisseaux de Brodir se mirent à s'entre-choquer, mais ils dormaient tous, lui et ses hommes. Uspak et les siens sortirent du fjord et s'en allèrent à l'Ouest, en Irlande. Ils naviguèrent sans s'arrêter jusqu'à Kunnjatta. Uspak dit au roi Brjan tout ce qu'il savait. Il reçut le baptême, et se remit entre les mains du roi. Alors le roi Brjan fit rassembler du monde par tout son royaume, et il donna l'ordre que toute l'armée fût réunie à Dublin, la semaine avant le dimanche des Rameaux.


CLVII

Aux Orkneys le jarl Sigurd, fils de Hlödvir, s'apprêtait à partir. Flosi lui offrit d'aller avec lui. Le jarl ne le voulut pas, disant qu'il avait son pèlerinage à accomplir. Alors Flosi lui offrit quinze de ses hommes pour l'accompagner, et le jarl accepta. Flosi partit avec le jarl Gilli pour les îles du Sud.

Thorstein, fils de Hal de Sida, vint avec le jarl Sigurd, et aussi Hrafn le rouge, et Erling de Straumey. Le jarl ne voulut pas qu'Harek vînt avec lui, mais il lui promit qu'il serait le premier à avoir des nouvelles.

Le jarl Sigurd arriva devant Dublin, avec toute son armée, le jour des Rameaux. Brodir était déjà là, avec tout son monde. Brodir jeta un sort, pour savoir comment tournerait la bataille. La réponse fut que si on se battait le vendredi saint, le roi Brjan serait tué, et aurait pourtant la victoire; mais si on se battait avant, tous ceux qui étaient contre lui, périraient. Et Brodir dit qu'il fallait choisir le vendredi pour livrer bataille.

Le cinquième jour de la semaine, il vint un homme à cheval trouver Kormlöd. Il montait un cheval gris pommelé, et il tenait à la main une hallebarde. Il resta longtemps à parler à Brodir et à Kormlöd.

Le roi Brjan était dans l'enceinte du burg avec toute son armée. Le vendredi saint, l'armée sortit, et des deux côtés, on se mit en bataille. Brodir était à l'une des ailes, le roi Sigtryg à l'autre. Le jarl Sigurd était au milieu.

Revenons au roi Brjan. Il ne voulait pas se battre le vendredi saint. On fit autour de lui un rempart de boucliers, et l'armée se rangea en avant de ce rempart. Ulf Hræda était à l'aile qui faisait face à Brodir. À l'autre aile étaient Uspak et les fils du roi Brjan; ils avaient Sigtryg en face d'eux. Au centre de l'armée était Kerthjalfad, et on portait les bannières devant lui.

Et voici que les deux armées se heurtèrent, et il y eut une mêlée terrible. Brodir s'avançait à travers l'autre armée, abattant tous ceux qu'il trouvait devant lui. Et sur lui le fer ne mordait pas. Ulf Hræda courut à sa rencontre et le frappa trois fois de sa lance, si rudement, qu'à chaque fois Brodir tomba. Il eut grand'peine à se remettre sur ses pieds; et sitôt qu'il fut debout, il s'enfuit dans les bois.

Le jarl Sigurd avait un rude combat contre Kerthjalfad. Kerthjalfad allait de l'avant, tuant tous ceux qu'il trouvait sur son passage. Il rompit l'aile du jarl Sigurd jusqu'à la bannière, et tua celui qui la portait. Le jarl mit un autre homme à la place de celui-là; à ce moment, le combat devint plus rude que jamais. Kerthjalfad frappa à mort, de sa hache, celui qui avait pris la bannière, et, après lui, tous ceux qui s'approchaient. Alors le jarl Sigurd dit à Thorstein, fils de Hal de Sida, de porter la bannière. Thorstein vint pour la prendre. « Ne prends pas la bannière, Thorstein, dit Amundi le blanc; tous ceux qui l'ont portée ont été tués. » — « Hrafn le rouge, dit le jarl, prends-la, toi. » — « Porte toi-même tes diableries » répondit Hrafn. « Il faut donc, dit le jarl, que le mendiant et la besace aillent ensemble. » Il détacha la bannière de la hampe, et la mit sous ses vêtements. Un instant après, Amundi le blanc fut tué. Le jarl Sigurd à son tour fut percé d'un coup de lance.

Uspak s'avançait à travers l'armée ennemie. Il avait reçu une blessure profonde, et les deux fils du roi Brjan étaient tombés à ses côtés. Le roi Sigtryg prit la fuite devant lui. Alors toute l'armée se débanda. Thorstein, fils de Hal de Sida, s'arrêta pendant que les autres fuyaient, pour attacher la courroie de son soulier. « Pourquoi ne cours-tu pas comme eux? » demanda Kerthjalfad. — « Parce que je n'arriverais pas chez moi ce soir, dit Thorstein, ma demeure est en Islande. » Kerthjalfad lui donna la paix.

Hrafn le rouge était venu dans sa fuite sur le bord d'une rivière. Il lui sembla qu'il voyait au fond les tourments de l'enfer, et des diables qui voulaient le tirer à eux. « Apôtre Pierre, cria-t-il, ton chien que voici est allé deux fois à Rome; il ira une troisième fois si tu viens à son secours. » Alors les diables le laissèrent aller, et Hrafn put passer la rivière.

À ce moment, Brodir vit que l'armée du roi Brjan poursuivait les fuyards, et qu'il restait peu de monde auprès du rempart de boucliers. Il sortit du bois en courant, renversa les boucliers, et frappa le roi. Takt, le jeune fils du roi Brjan, étendit le bras. Le coup lui emporta le bras, et la tête du roi. Le sang du roi coula sur le bras mutilé de son fils, et la blessure guérit à l'instant. Alors Brodir cria à haute voix: « Allez-vous dire les uns aux autres que Brodir a tué Brjan. »

On courut après ceux qui poursuivaient les fuyards, et on leur dit que le roi Brjan était mort. Ulf Hræda et Kerthjalfad revinrent aussitôt en arrière. Ils firent un cercle autour de Brodir et des siens, et les firent tomber, en jetant de grosses branches sur eux. De la sorte Brodir fut pris vivant. Ulf Hræda lui ouvrit le ventre et le fit tourner autour d'un arbre, de manière à lui tirer du corps tous ses boyaux. Et Brodir ne mourut que quand ils furent tous sortis, jusqu'au dernier. Tous ses hommes furent tués avec lui.

Les gens du roi Brjan prirent son cadavre, et lui donnèrent la sépulture. La tête du roi s'était rattachée au tronc.

Il périt à la bataille du roi Brjan quinze des hommes de l'incendie. Ce jour-là, tombèrent aussi Halldor, fils de Gudmund le puissant, et Erling de Straumey.

Voici ce qui arriva, le vendredi saint, à Katanes. Un homme nommé Dörrud, sortit de chez lui ce jour-là. Il vit des gens à cheval au nombre de douze, s'en aller vers une maison, où ils disparurent dans la salle des femmes. Dörrud vint à la maison, et regarda par une fente qui était là. Il vit que c'étaient des femmes qui étaient dedans, auprès d'un métier à tisser. Ce métier avait des têtes d'hommes en guise de poids, et des boyaux humains, pour trame et pour fil. Les montants du métier étaient des épées, et les navettes, des flèches.

Et les femmes chantaient:

« Voyez, notre trame est tendue pour les guerriers qui vont tomber. Nos fils sont comme une nuée d'où il pleut du sang. Nos trames grisâtres sont tendues comme des javelots qu'on lance; nous, les amies d'Odin le tueur d'hommes, nous y ferons passer un fil rouge.

« Notre trame est faite de boyaux humains, et nos poids sont des têtes d'hommes. Des lances arrosées de sang forment notre métier, nos navettes sont des flèches, et nous tissons avec des épées la toile des combats.

« Voici Hild qui vient pour tisser, et Hjörthrimul, Sangrid et Svipul; comme leur métier va résonner quand les épées seront tirées! Les boucliers craqueront, et l'arme qui brise les casques entrera en danse.

« Tissons, tissons la toile des combats. Tissons-la pour le jeune roi. Nous irons de l'avant, et nous entrerons dans la mêlée quand viendront nos amis, pour frapper de grands coups.

« Tissons, tissons la toile des combats. Combattons aux côtés du roi. Les guerriers verront des boucliers sanglants, quand Gunn et Göndul viendront pour le protéger.

« Tissons, tissons la toile des combats, là où flotte la bannière des braves. N'épargnons la vie de personne; les Valkyres ont le droit de choisir leurs morts.

« Des hommes vont venir faire la loi dans ce pays, qui habitaient jadis des récifs escarpés. Un roi puissant, je vous l'annonce, est voué à la mort, et un jarl va tomber devant la pointe d'une épée.

« Un deuil amer va fondre sur l'Irlande; et les hommes en garderont la mémoire, longtemps; voilà notre toile tissée: le champ de bataille est couvert de sang; tout le pays résonne du bruit des armes.

« C'est une chose effrayante à voir, que les nuées sanglantes qui passent dans le ciel. L'air sera teint du sang des morts, quand sera accompli ce que nous chantons là.

« Nous saluons le jeune roi: nous lui chantons, joyeuses, notre chant de victoire. Que celui-là s'en souvienne, qui nous écoute. Il redira aux siens la chanson des lances.

« Et maintenant, à cheval! Courons à bride abattue, l'épée tirée, loin, loin d'ici! »

Elles renversèrent le métier, et le brisèrent; et chacune d'elles garda le morceau qu'elle tenait à la main. Dörrud quitta la fente et retourna chez lui. Les femmes montèrent à cheval, et s'en allèrent, six au Sud, six au Nord.

Pareille chose arriva à Brand, fils de Gneisti, aux îles Feröe.

À Svinafell, en Islande, il tomba, le vendredi saint, une pluie de sang sur la chasuble du prêtre qui fut obligé de l'ôter. À Thvatta, le vendredi saint, il sembla au prêtre qu'il voyait les abîmes de la mer tout contre l'autel, et il vit au fond des choses si effroyables qu'il fut longtemps avant de pouvoir chanter sa messe.

Aux Orkneys, voici ce qui arriva. Il sembla à Harek qu'il voyait le jarl Sigurd, et quelques autres avec lui. Harek monta à cheval, et vint à la rencontre du jarl. Des gens les virent se joindre, et s'en aller derrière une colline. Depuis on ne les revit plus, et jamais on ne put trouver aucune trace d'Harek.

Aux îles du Sud, le jarl Gilli rêva qu'un homme venait à lui. Cet homme se nommait Herfinn, et dit qu'il arrivait d'Irlande. Le jarl lui demanda des nouvelles de là-bas. Et l'homme chanta:

« J'étais là, quand les guerriers ont livré bataille, quand les épées ont retenti sur la côte d'Irlande. Là-bas, quand les boucliers se sont choqués, un grand bruit s'est fait entendre, le bruit du fer qui résonnait sur les casques. Rude a été le combat. Sigurd est tombé au plus fort de la mêlée. Le sang a coulé de mainte blessure. Brjan est mort, et pourtant vainqueur. »

Flosi et le jarl parlèrent ensemble, longtemps, de ce songe. Une semaine après, Hrafn le rouge arriva, qui leur dit toutes les nouvelles de la bataille du roi Brjan: la mort du roi et du jarl Sigurd, celle de Brodir et des autres pirates. « Et que me diras-tu de mes hommes? » dit Flosi. « Ils ont été tués, tous, dit Hrafn; mais Thorstein ton beau-frère, a reçu la paix de Kerthjalfad, et il est maintenant auprès de lui. Halldor, fils de Gudmund, est mort. »

Flosi dit au jarl qu'il voulait partir: « Car j'ai, dit-il à accomplir mon pèlerinage. » Le jarl lui dit qu'il ferait comme il voudrait: il lui donna un vaisseau, beaucoup d'argent, et tout ce dont il avait besoin. Ils firent voile vers le Bretland et s'y arrêtèrent quelque temps.


CLVIII

Kari fils de Sölmund pria Skeggi, son hôte, de lui faire avoir un vaisseau. Skeggi donna à Kari un vaisseau tout équipé. Sur ce vaisseau montèrent avec Kari Dagvid le blanc, et Kolbein le noir. Ils firent voile au Sud, en passant par les fjords d'Écosse. Là ils trouvèrent des gens des îles du Sud, qui dirent à Kari les nouvelles d'Irlande, et aussi que Flosi et ses hommes étaient partis pour le Bretland. En apprenant cela, Kari dit à ses compagnons qu'il voulait aller au Sud, dans le Bretland, pour retrouver Flosi. Il les pria de le quitter s'ils le trouvaient bon, disant qu'il ne voulait contraindre personne, mais qu'il ne trouvait pas que sa vengeance fût complète. Tous dirent qu'ils voulaient le suivre. Ils firent donc voile vers le Sud et arrivèrent dans le Bretland. Ils jetèrent l'ancre dans une baie écartée.

Ce matin-là, Kol fils de Thorstein allait au burg pour acheter de l'argent. C'était, de tous les hommes de l'incendie, celui qui avait dit le plus d'injures à Njal et aux siens. Il y avait eu beaucoup de paroles entre lui et une puissante dame du pays, et c'était chose convenue qu'il la prendrait pour femme et s'établirait là.

Ce matin, Kari allait aussi au burg. Il vint à l'endroit où Kol comptait l'argent. Kari le reconnut, courut à lui l'épée haute, et le frappa au cou, pendant qu'il comptait; la bouche disait encore dix, quand la tête vola loin du tronc. « Allez dire à Flosi, dit Kari, que Kari fils de Sölmund a tué Kol fils de Thorstein. Je déclare que c'est moi qui suis l'auteur de ce meurtre. » Et Kari retourna à son vaisseau, et annonça le meurtre à ses compagnons.

Ils firent voile au Nord et vinrent à Beruvik. Ils tirèrent leur vaisseau à terre et remontèrent, dans l'intérieur du pays, jusqu'à Hvitsborg en Écosse. Lui et ses hommes passèrent l'hiver auprès du jarl Melkolf.

Il faut revenir à Flosi. Il vint prendre le cadavre et le fit mettre en terre, et il donna beaucoup d'argent pour qu'on lui élevât un tombeau. Flosi n'avait jamais de parole injurieuse contre Kari.

De là, Flosi partit pour les pays du Sud. Il passa la mer, après quoi il commença son pèlerinage, et vint à pied, sans s'arrêter, jusqu'à Rome. Là il fut traité avec tant d'honneurs, qu'il reçut l'absolution du pape lui-même, et il donna beaucoup d'argent pour cela. Il revint par la route de l'Est, s'arrêtant dans les villes, et fut reçu avec de grands honneurs par de puissantes gens. L'hiver suivant, il arriva en Norvège, où le jarl Eirik lui donna un vaisseau pour s'embarquer. Le jarl lui fit présent aussi d'une grande quantité de farine. Beaucoup d'autres encore le traitaient avec de grands égards.

Il fit voile enfin pour l'Islande, et débarqua dans le Hornafjord. De là, il vint chez lui, à Svinafell. Il avait accompli toutes les conditions de la paix qu'il avait jurée; son voyage à l'étranger était terminé, et les amendes payées.


CLIX

Il faut maintenant parler de Kari. L'été suivant, il revint à son vaisseau, et fit voile vers le Sud, traversant la mer. Il partit de Normandie pour commencer son pèlerinage, vint à Rome, et y reçut l'absolution; après quoi il revint par la route de l'Ouest. Il retrouva son vaisseau en Normandie, et fit voile au Nord, traversant la mer, jusqu'à Douvres en Angleterre. De là, il fit voile à l'Ouest, doublant le Bretland, puis au Nord, longeant le Bretland, puis au Nord encore, en passant devant les fjords d'Écosse. Il arriva, sans s'être arrêté, à Thrasvik dans le pays de Katanes, chez son ami Skeggi. Là, il donna son vaisseau à Kolbein et à Dagvid. Kolbein monta sur le vaisseau et fit voile vers la Norvège. Mais Dagvid resta à Fridarey.

Kari passa tout l'hiver à Katanes. Ce même hiver, sa femme mourut en Islande. L'été suivant, il fit ses préparatifs de départ. Skeggi lui donna un vaisseau. Ils y montèrent au nombre de dix-huit. On fut prêt un peu tard; pourtant on mit à la voile; ils furent longtemps en pleine mer. À la fin ils touchèrent sur des écueils à Ingolfshöfda, et le vaisseau fut mis en pièces. Une tempête de neige fondit sur eux. Et voici que les hommes de Kari lui demandent ce qu'il faut faire. Kari répond qu'il est d'avis d'aller à Svinafell, et d'éprouver si Flosi est un brave homme.

Ils s'en allèrent donc, à travers la tempête, à Svinafell. Flosi était dans la salle. Il reconnut Kari en le voyant entrer. Il sauta sur ses pieds, vint à sa rencontre, et le baisa, puis il le fit asseoir à côté de lui, sur son siège élevé. Il le pria de rester chez lui pendant l'hiver, et Kari accepta.

Ils firent la paix, une paix complète. Flosi donna à Kari en mariage Hildigunn, la fille de son frère, la même qui avait été mariée d'abord à Höskuld, Godi de Hvitanes. Kari et Hildigunn habitèrent d'abord au domaine de Breida.

Voici, dit-on, quelle fut la fin de Flosi. Il s'en alla au loin, étant devenu vieux, chercher des bois pour construire. Il passa un hiver en Norvège. Quand vint l'été, il fut prêt tard, et les gens lui dirent que son vaisseau était mauvais. « Il est assez bon pour un homme qui est vieux, et que la mort prendra bientôt, » répondit Flosi; il monta sur le vaisseau, et prit le large. Et depuis, on n'en a plus jamais entendu parler.

Voici quels étaient les enfants de Kari fils de Sölmund et de Helga fille de Njal: Thorgerd, Ragneid, Valgerd, et Thord, qui fut brûlé avec Njal. Les enfants de Kari et d'Hildigunn furent Starkad, Thord et Flosi.

Le fils de Flosi l'incendiaire s'appelait Kolbein. Il fut un des hommes les plus fameux de sa race.

Ainsi finit la saga de Njal.


EXPLICATION DE QUELQUES NOMS GÉOGRAPHIQUES

Gardariki — la Russie.
Biarmland — la Russie septentrionale.
Adalsysli — la côte d'Esthonie.
Gautland — Gothland.
Hedeby — Slesvig.
Gulating — localité de Norvège.
Hising — localité de Norvège.
Limgarside — localité de Norvège.
Tunberg — localité de Norvège.
Vik — localité de Norvège.
Hördaland — localité de Norvège.
Hern — localité de Norvège.
Miklagard — Constantinople.
Hialtland — Shetland.
Orkneys — Orcades.
Fridarö — localité des Orcades.
Hross — localité des Orcades.
Straum — localité des Orcades.
Sudreyar — îles du sud, Hébrides.
Petlandsfjord — détroit entre l'Écosse et les Orcades.
Öngulsey — Anglesea.
Katanes-Caithness — pointe N. de l'Écosse.
Thradsvig-Freshwik — localité d'Écosse.
Myræve-Murray — localité d'Écosse.
Sudrland-Sutherland — localité d'Écosse.
Satiri-Cantyre — localité d'Écosse.
Dungalsby-Dungsby — localité d'Écosse.
Beruvig-cap Burrow — localité d'Écosse.
Bretland — le pays de Galles.
Kunnjatta — Connaught (Irlande).


EXPLICATION DE QUELQUES TERMES SCANDINAVES

Ting — assemblée judiciaire.
Alting — assemblée générale de l'Islande.
Lögmadr — homme de la loi, magistrat chargé d'enseigner la loi.
Godi — magistrat local, sorte de maire.
Godord — dignité de Godi.
Almannagja — chemin le long d'une coulée de lave, à l'alting.
Lögberg — tertre de la loi, étroite langue de terre entre deux coulées de lave, à l'alting, siège du tribunal.
Skald — poëte.
Mjöd — hydromel.
Jol — grande fête du solstice d'hiver.
Jarl — prince.
Væringur — garde islandaise de l'empereur, à Constantinople.
Valhöll — séjour des guerriers (après leur mort).
Cent — unité de valeur = 120 aunes de vadmel ou tissu de laine.