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EURIPIDE

 

 

 

CHAPITRE QUINZIÈME.

Hélène. - Iphigénie en Tauride.

 

traduction de la pièce

De l'Ion d'Euripide, le chef-d'oeuvre, selon moi, de ce poète, dans le genre, alors nouveau, de la tragédie romanesque, je passerai à son Hélène, à son Iphigénie en Tauride, qui peuvent être rapportées au même genre, et que rapproche, sinon l'égalité du mérite, du moins l'identité presque absolue de la composition. Euripide, comme on va le voir, y a fort librement usé du privilège que se sont arrogé de tout temps les romanciers, de répéter sous des noms divers, avec quelques légères variantes, le même roman.

C'était, chez les Grecs, une fort ancienne tradition que celle du séjour d'Hélène en Égypte. Homère, dans son Odyssée (01), nous la représente qui offre à Télémaque un breuvage merveilleux qu'elle a rapporté de ce pays, mais il ne dit pas à quelle époque, ni par quelles circonstances elle y avait été conduite. Hérodote (02), qui cite Homère, entre dans plus de détails. Selon son récit, Pâris, retournant à Troie avec l'épouse de Ménélas, qu'il avait enlevée, fut poussé par la tempête vers l'une des embouchures du Nil, et de là conduit à Memphis vers le roi Protée, qui, après lui avoir reproché son crime, retint Hélène et le renvoya. La guerre suivit entre les Grecs qui réclamaient Hélène et les Troyens qui assuraient ne la pouvoir rendre puisqu'ils ne l'avaient point, mais aux protestations desquels les Grecs naturellement refusaient d'ajouter foi. Après la ruine de Troie, Ménélas, passant par l'Égypte, retrouva sa femme, que lui rendit Protée. Voilà, en substance, ce que dit Hérodote, et qu'il avait, dit-il, appris des prêtres égyptiens ; ce qu'au rapport de Philostrate, qui a suivi Hérodote, Apollonius de Tyane se fit raconter par l'ombre d'Achille (03).

La poésie ajoute toujours quelque chose à l'histoire. Elle trouva le moyen de concilier, par une supposition fort étrange, les récits contradictoires qui tantôt faisaient séjourner Hélène à Troie, pendant le siège de cette ville, tantôt lui faisaient passer tout ce temps en Égypte. Ce n'était pas pour la véritable Hélène qu'on avait combattu, mais seulement pour son fantôme. Ainsi le raconta Stésichore (04), qu'une légende poétique disait avoir été privé de la vue en punition de ses outrages à la mémoire de la femme de Ménélas, et ne l'avoir recouvrée qu'après une palinodie devenue bien célèbre, dont Platon a cité les premiers vers (05); à laquelle il a fait ailleurs (06) allusion, rapprochant de l'erreur des Grecs et des Troyens celle des hommes qui s'égarent dans la poursuite de vains plaisirs.

De ces différentes données, tant historiques que poétiques, dont Gorgias, dont Isocrate, l'un dans son Apologie, l'autre dans son Éloge d'Hélène, n'ont fait aucun usage, mais qu'Euripide a ingénieusement combinées, est résultée une tragédie, peu d'accord (le poète ne s'en inquiétait guère) avec les Troyennes, où il avait reproduit, deux ou trois ans auparavant, avec l'Oreste, où il allait prochainement reproduire (07) la tradition ordinaire (08).

Le scène est en Égypte, dans l'île de Pharos, sur les bords du Nil. Elle représente le tombeau de Protée et le palais du nouveau roi, son fils Théoclymène. Nous apprenons d'Hélène elle-même, chargée du prologue et, selon Métastase, très patiente à s'en acquitter (09), qu'après le jugement célèbre où l'espoir de la posséder décida Pâris en faveur de Vénus, Junon, dans son dépit, livra, en sa place, au prince troyen un fantôme formé à son image, tandis qu'elle-même fut enlevée par Mercure, et secrètement transportée en Égypte, dans le palais de Protée. Elle a vécu sous la protection de ce sage prince, dans cet asile ignoré, tandis que les Troyens et les Grecs, abusés par une illusion pareille, se disputaient sa conquête. Jupiter le voulait ainsi, et, comme l'avait dit Homère (10), longtemps avant Euripide, afin de faire connaître à l'univers, par cette guerre mémorable, le premier des héros de la Grèce, et aussi, par une considération de haute économie politique (11) qui appartient à la même époque (12) et donne au système de Malthus une antiquité fort respectable, afin de soulager la terre du fardeau d'une excessive population. Cependant le nom d'Hélène a été flétri pour une action qu'elle n'a point commise, maudit pour des calamités dont elle n'a point été la cause ; elle s'en afflige et attend avec impatience le moment où, selon une promesse divine, elle se justifiera auprès de son époux et régnera avec lui dans sa patrie. Ce moment désiré tarde beaucoup, puisque sept ans se sont déjà écoulés depuis la chute de Troie (13). Il est, en antre, fort pressant qu'il arrive, car le fils de Protée, Théoclymène, est un protecteur moins désintéressé que son père; il veut épouser Hélène, qui n'a d'autre défense, d'autre asile, contre la violence de sa passion, que le tombeau de Protée, où nous la trouvons réfugiée au commencement de la pièce.

Avant que les espérances conçues par Hélène se réalisent dans un heureux dénouement, le poète, pour préparer une péripétie, juge à propos de les détruire. Il fait tout exprès aborder, sur le rivage de Pharos, Teucer, qui, chassé par Télamon, et cherchant à travers les mers cette autre Salamine qu'il doit fonder (14), s'arrête en Égypte pour y consulter sur son destin une prophétesse, Théonoé, soeur du roi Théoclymène. Hélène se convainc d'abord, par l'horreur qu'il témoigne involontairement à sa vue, à quel point elle est méprisée et haïe des Grecs. Lorsqu'il est revenu de ce premier emportement, causé par ce qui lui paraît une étonnante ressemblance, et qui est quelque chose de plus, elle apprend de lui, parmi un grand nombre d'événements qui l'intéressent et qu'elle ignore,. la fin de sa mère Léda, qui s'est tuée elle-même, dans le désespoir où l'a jetée le déshonneur de sa fille ; la disparition de ses frères, Castor et Pollux, qu'on croit placés parmi les astres, au nombre des dieux, et qui peut-être se sont tués aussi pour ne pas survivre à la honte de leur maison; enfin, la dispersion de la flotte des Grecs à leur retour de Troie, et les bruits qui ont couru du naufrage et de la mort de Ménélas. Teucer n'était venu que par la volonté du poète, pour le besoin de son exposition; l'ex-position faite, il s'en va pour ne plus reparaître, sur l'avis que lui donne Hélène de fuir au plus vite une terre inhospitalière, où Théoclymène, dans un intérêt qu'elle ne dit pas, mais qu'on devine, fait mettre à mort tous les Grecs qu'y conduit leur mauvaise fortune.

Les scènes suivantes sont remplies du désespoir d'Hélène (15) et des consolations de captives grecques accourues à ses cris du rivage, où, disent-elles avec la naïveté de moeurs et la grâce de langage accordées à l'antique poésie et dont l'Hippolyte du même poète nous a offert un autre exemple (16), elles étaient occupées, « près de l'onde azurée, à étendre sur un épais gazon, sur des roseaux, à faire sécher aux rayons doués du soleil, des voiles de pourpre (17) ". Ces femmes sont des compatriotes auxquelles Hélène trouve quelque douceur à se confier dans sa douleur; elle en reçoit le sage conseil de ne pas se presser d'ajouter foi à une nouvelle peut-être fausse, et d'aller au palais, en l'absence du roi, qui est à la chasse, consulter, sur ce qu'elle a tant d'intérêt à savoir, la science prophétique de Théonoé.

Tandis qu'on lui répond que Ménélas vit encore, et même qu'il n'est pas loin, ce prince arrive, fort en désordre, revêtu de lambeaux, offrant le triste aspect d'un naufragé. Il a laissé dans une caverne, avec quelques compagnons comme lui échappés à la mer, l'épouse qu'il a reconquise sur les Troyens, au prix de tant de dangers, et, pressé par leurs communs besoins, surmontant la honte d'offrir à la pitié des hommes un roi, un guerrier, réduit par le sort en un si misérable état, il s'est aventuré seul dans ce pays, où la tempête l'a conduit, et dont il ignore même le nom. Ménélas est un des illustres infortunés qu'Euripide se plaisait à produire sur la scène sous un costume de mendiant, et dont la trop fréquente apparition a si fort égayé la malice des poètes comiques. Il s'annonce et fait connaître sa situation par une longue tirade, qui a le défaut de former dans la pièce un second prologue.

Tout à coup, en s'avançant, il aperçoit une maison de riche apparence ; il trappe, et demande l'hospitalité: mais une vieille esclave à qui est confié, selon l'usage, le soin de garder la porte, le reçoit assez rudement. C'est moins par dureté que par compassion : elle aime les Grecs ; elle sait le sort qui les attend dans la demeure de Théoclymène ; elle voudrait sauver, en le repoussant, l'hôte imprudent qui s'y présente. Ses menaces n'effrayent pas Ménélas, à qui l'excès de sa détresse et le sentiment de sa grandeur donnent le courage d'attendre le retour du roi barbare. Cette scène est très familière, et certains traits la rapprochent beaucoup de la comédie. On se rappelle l'étonnement d'Amphitryon, lorsque, arrêté sur le seuil de sa porte par le faux Sosie, il apprend qu'il a été précédé d'un autre lui-même. Ménélas n'est pas moins surpris lorsqu'il s'entend dire par la vieille esclave qu'il y a dans ce palais une princesse du nom d'Hélène, issue de Jupiter, fille de Tyndare, venue de Sparte avant le siège de Troie. Il n'en peut croire ses oreilles, et cherche vainement à s'expliquer ce singulier rapport de noms et de circonstances : car, de penser qu'il s'agisse réellement de son épouse, laissée par lui, il n'y a qu'un instant, sur le rivage, cela ne peut lui venir à l'esprit.

Cependant Hélène, suivie du choeur, qui a tout à l'heure quitté la scène avec elle, contre l'usage ordinaire du théâtre grec (18), reparaît dans toute la joie que lui cause l'oracle favorable rendu par Théonoé. Ménélas s'avance vers elle, en suppliant. Épouvantée de son aspect sauvage, et le prenant pour un émissaire de Théoclymène, elle se hâte de se mettre sous la protection du tombeau de Protée. C'est alors que les deux époux, se regardant avec plus d'attention, reconnaissent à la fois des traits qu'ils n'ont pu oublier.

Hélène a le secret de cette merveilleuse rencontre ; il n'en est pas de même de Ménélas, que les témoignages contraires, mais également irrécusables, de ses sens et de sa raison, l'évidence des explications qu'on lui donne, et celle de tous ses souvenirs qui la contredit, jettent dans un trouble fort spirituellement exprimé par le poète. Il est sur le point de se soustraire, en se retirant, à l'embarrassante et pénible alternative, ou de rejeter te qui a tous les caractères de la vérité, ou d'admettre ce qui doit lui paraître incroyable et impossible, lorsque arrive un de ses compagnons, de ses plus vieux serviteurs, qui le cherche partout pour lui apprendre une étrange nouvelle. Cette épouse, qu'il avait confiée à leur garde, a disparu tout à coup; elle s'est dissipée au milieu des airs, en leur laissant pour adieu des paroles qui confirment la vérité de ce que vient d'entendre Ménélas, et lèvent tous ses doutes :

« Ô malheureux Phrygiens, et vous, peuples de la Grèce, vous êtes morts pour mol, sur les rives du Scamandre, par les artifices de Junon, pensant que Paris possédait cette Hélène qu'il n'eut jamais. Je suis demeurée sur la terre tout le temps marqué par les destins ; ma mission est accomplie, je m'en retourne au ciel qui me donna l'être. Mais l'infortunée fille de Tyndare reste déshonorée, quoique innocente (19). »

Voilà donc Hélène rendue, par un prodige éclatant, à l'estime et à l'amour de Ménélas. Tous deux s'abandonnent à des transports que partage naïvement, sans comprendre grand'chose à ce qui se passe, celui dont le rapport a amené un si heureux rapprochement. Il croit voir recommencer la pompe nuptiale de ses maîtres ; il se reporte par la pensée au jour où il marchait, le flambeau sacré à la main, devant le char des nouveaux époux (20). Les discours de ce vieux serviteur, rendus avec cette vérité naïve crue ne dédaignait pas la Melpomène antique, sont quelque peu diffus; lors même que Ménélas lui a ordonné d'aller porter à ses compagnons la nouvelle de ce qui vient d'arriver,et l'ordre de se tenir prêts à le seconder dans tout ce qu'il entreprendra, il s'arrête encore à deviser sur un événement si singulier et sur l'ignorance des devins, qui ont encouragé dans leur folle querelle les Grecs et les Troyens. Ce trait de satire contre l'art de la divination se retrouve souvent chez les tragiques grecs, et en particulier chez Euripide. Ici, comme ailleurs, il est en contradiction avec le reste de l'ouvrage, où éclate manifestement la véracité des oracles, où paraît même, en personne, une prophétesse infaillible.

En effet, Théonoé, qui a annoncé l'arrivée de Ménélas, le reconnaît à l'instant, lorsqu'elle sort du palais. Les deux époux qui étaient occupés à concerter leur fuite, et qui se juraient éloquemment (21), s'ils ne pouvaient vivre l'un pour l'autre, de partager du moins le même trépas, sont fort effrayés en la voyant paraître et plus encore en entendant ce qu'elle leur déclare. Les dieux délibèrent en ce moment sur leur sort; il dépend d'elle de le décider, en avertissant son frère, ou en leur gardant le secret. Alors commencent des prières, tour à tour touchantes et nobles, comme il convient aux caractères divers d'une femme et d'un guerrier. La prêtresse se rend, ou plutôt parait se rendre, car le poète fait entendre qu'elle était arrivée toute résolue, et avait d'avance pris parti pour le malheur et la justice contre l'emportement passionné de son frère. Ce personnage de Théonoé ne manque pas de noblesse; mais on ne peut se dissimuler que son intervention, qui se borne à effrayer quelques moments Hélène et Ménélas, pour les laisser agir ensuite en liberté, est à peu près inutile et non moins épisodique que ne nous a paru l'être tout à l'heure celle de Teucer.

C'est une règle, soigneusement observée sur notre théâtre, de ne pas mettre le spectateur dans le secret du dénouement. Les Grecs ont presque toujours fait le contraire : mais ce qu'il serait peut-être sévère de leur reprocher dans des pièces dont tout l'intérêt se fonde sur l'expression des sentiments, devient un véritable défaut dans celles où domine, comme ici, le plaisir de curiosité qui s'attache au développement des aventures. Dès lors plus d'attente, plus de surprise, et d'inévitables répétitions, puisque ce qui a été d'abord exposé en paroles doit l'être ensuite en action. Corrigeons dans notre analyse ce défaut du plan d'Euripide, et, négligeant la délibération où se forme et se prépare l'entreprise, occupons-nous uniquement de son exécution.

Théoclymène revient (22) de la chasse, fort irrité. Il a su qu'un Grec s'est montré aux environs de son palais, et, qu'au mépris de ses ordres, on ne s'en est point saisi. Il craint que cet étranger ne soit parvenu à lui ravir Hélène ; mais il se rassure bientôt en voyant la princesse s'avancer à sa rencontre en habits de deuil et la tête rasée. Pourquoi ces marques d'affliction? C'est qu'elle a la certitude de la mort de son époux. Déjà Théonoé l'en avait instruite, et à cette révélation s'est joint le témoignage d'un malheureux naufragé, qu'elle lui présente comme un des compagnons de Ménélas, un des témoins de ses derniers moments, et qui n'est autre que Ménélas lui-même. Vaincu par leurs instances, Théoclymène consent à ce que des honneurs, dignes de son rang et de sa renommée, soient rendus au roi de Sparte. Ils le seront sur mer, attendu qu'il a péri par un naufrage ; loin des côtes, de peur que les offrandes ne soient rejetées vers la terre; par Hélène elle-même, parce que c'est le devoir d'une épouse; enfin le soin de commander le vaisseau que s'engage à fournir le roi d'Égypte, sera confié naturellement à celui qui doit présider aux cérémonies funèbres, c'est-à-dire à ce Grec inconnu, à Ménélas. Qu'on ne s'étonne pas trop de la facilité de Théoclymène. Il dispute sur bien des points. Est-il si nécessaire que ces obsèques aient lieu en pleine mer, hors de la vue du rivage? la présence d'Hélène y est-elle indispensable? ne pourrait-il l'y accompagner? On a réponse à tout, et s'il se rend, c'est qu'en vérité le piége est fort habilement tendu, que son ignorance des usages de la Grèce, surtout sa passion pour Hélène et les espérances dont elle a eu l'art de le flatter, le disposent merveilleusement à tout croire.

Après un court intervalle, rempli par les chants du choeur, qui célèbre en strophes élégantes et gracieuses l'évasion d'Hélène et son retour prochain dans sa patrie(23), arrive auprès de Théoclymène un messager, porteur de fort mauvaises nouvelles. Dans un récit animé, pittoresque, qui est le morceau le plus saillant de l'ouvrage, il fait connaître au roi comment Ménélas, aidé d'une troupe de Grecs qu'il a retrouvés sur le rivage, s'est emparé de son vaisseau et lui a ravi celle qu'il regardait déjà comme son épouse. Théoclymène veut, malgré les prières du choeur qui s'efforce de l'arrêter, aller se venger sur sa soeur dont le silence a favorisé ce complot. Mais sa fureur se calme à la voix des Dioscures, qui, paraissant dans les airs comme au dénouement de l'Électre (24), et dissipant ainsi le doute sceptique exprimé par Teucer (25) au sujet de leur apothéose, déclarent que la volonté des dieux a conduit tous ces événements; annoncent à leur soeur le partage des honneurs divins, à son. époux un séjour éternel dans les îles fortunées; enfin mêlent parmi ces prédictions un petit détail d'antiquité, évidemment; à l'adresse du publie athénien. Cette île, voisine de l'Attique, où Mercure se reposa avec Hélène lorsqu'il l'eut enlevée de. Sparte pour la transporter en Égypte, s'appellera désormais l'île d'Hélène.

S'il y a dans ce dénouement quelque chose pour Athènes, le reste de l'ouvrage semble composé pour Lacédémone, ordinairement si peu flattée par notre poète. Ces bords de l'Eurotas, tant de fois maudits pal sa muse, il les couronne ici avec complaisance, dans d'harmonieuses épithètes, des beaux roseaux (26) qu'y a retrouvés de nos jours Chateaubriand (27). Ménélas, Hélène, ces personnages toujours sacrifiés dans ses autres tragédies, il les relève à plaisir dans celle-ci, et en fait des modèles de courage et de pureté, un Achille, une Andromaque. On serait vraiment tenté de croire, comme Brumoy, qu'il écrivit son Hélène dans un intervalle de paix entre les deux républiques, si cette conjecture s'accordait mieux avec la date probable de la pièce.

Aristophane, qui en. parodie une des plis belles scènes (28) dans ses Thesmophories (29) en parle comme d'une pièce nouvelle (30). Plus loin, dans la même comédie, vient une parodie de l'Andromède d'Euripide, jouée, est-il dit par le poète comique (31), un an auparavant. De ces deux passages on a cru (32) pouvoir conclure que l'Hélène. et. l'Andromède avaient fait partie d'une même tétralogie (33), et que la première avait été donnée comme la seconde, dont on sait la date (34), la quatrième année de la XCIe olympiade. Or, à. cette époque si voisine du désastre de Sicile, la paix n'existait certainement pas entre les Athéniens et les Lacédémoniens. Seulement, Euripide, comme Aristophane, qui, vers le même temps, la conseillait dans sa Lysistrate (35), pouvait bien de son côté y préparer indirectement par ces peintures plus favorables des représentants poétiques de Lacédémone.

L'Hélène a été sinon maltraitée, du moins dédaignée des critiques (36). Sans doute il s'y trouve des défauts que j'aie pris soin de faire remarquer ma passant, une double. exposition, des rôles épisodiques, des longueurs, des répétitions; mais elle ne laisse pas, avec tout cela, par le merveilleux des incidents, par la situation piquante où ils placent les personnages, surtout par le jour nouveau sens lequel ils montrent les traditions les plus anciennes et les plus universellement reçues de la mythologie (37), d'amuser l'imagination. C'est probablement tout ce qu'en attendait Euripide ; c'est aussi tout ce que nous devons lui demander.

Avec d'autres personnages, dont on pourrait prendre au sérieux le malheur et la vertu, la situation serait des plus touchantes. Euripide lui-même l'a prouvé dans son Iphigénie en Tauride. Tout est semblable entre les deux pièces, sauf l'impression; c'est, des deux parts, une princesse miraculeusement transportée dans une terre étrangère, puis retrouvée, contre toute attente, et enfin soustraite par artifice. Et non seulement la donnée générale est pareille, mais jusque dans les détails se remarque la même conformité : alternatives de crainte et d'espoir, rencontre et reconnaissance ; projets d'évasion que favorisent et la crédulité superstitieuse du barbare qu'il faut tromper, et la complicité de compatriotes qui se rencontrent parmi ses esclaves, et la protection des dieux qui veillent sur le dénouement et le sanctionnent par leur présence ; enfin, comme on l'a ingénieusement remarqué (38), rôle actif et brillant donné dans l'intrigue au génie industrieux des femmes; il n'est rien qui ne se rapporte. Mais quelle différence pour l'intérêt pathétique entre des héros de fantaisie tels que se montrent ici Hélène et Ménélas, et une Iphigénie, un Oreste, représentés selon les traditions communes, dans leur réalité mythologique, si on peut le dire, et dont le nom seul éveille, avec le souvenir d'effroyables calamités, la plus douloureuse sympathie !

Iphigénie, amenée à Aulis pour y être immolée, a disparu sous le couteau de Calchas. Les témoins de cette aventure l'ont crue envolée au séjour des dieux. On ignore, ce que ne paraît point avoir su Homère, mais ce qui a été connu d'Hésiode (39), de l'auteur des Chants cypriaques (40), d'Hérodote (41), qu'elle a été transportée dans la Tauride par Diane, et attachée comme prêtresse au temple de cette divinité. Là un devoir cruel l'oblige, non, pas de sacrifier de ses mains, ce qui serait révoltant et ce qu'a évité soigneusement Euripide, mais de préparer pour le sacrifice tout Grec que conduit en cette contrée barbare sa mauvaise fortune. On comprend que son coeur habite encore en son ancienne patrie ; qu'elle songe souvent à sa famille, à celui qui doit un jour en être le chef, qui peut-être la tirera de son exil, à son frère Oreste.

Le début de la pièce nous la montre (42) tristement occupée de telles pensées, déplorant sa situation présente et la perte de ses espérances. Car un songe prophétique que, selon une coutume grecque fort commode pour les monologues, elle vient raconter à l'air afin d'en détourner le funeste effet (43), semble lui annoncer la mort d'Oreste. Arrêtons-nous quelques instants sur ce morceau composé avec un art qu'il y a quelque intérêt à étudier.

Les songes sont, de leur nature, incohérents et obscurs. Mais quand la poésie imite cette incohérence et cette obscurité, elle y marque certains rapports avec le passé ou avec l'avenir, une certaine suite significative, qui ne doit être ni trop apparente, on verrait la main du poète, ni trop absente non plus, l'intérêt ferait défaut. Les Grecs excellent en cela comme en tout le reste. Dans leur tragédie, que conduit la fatalité, se manifestant par la présence et l'intervention des dieux, par des apparitions, par des oracles, par des présages, enfin par des songes, les songes, naturellement, abondent. Or, ils y ont toujours, comme dans la nature, quelque chose d'incohérent et d'obscur, quelque chose aussi qui se rapporte au souvenir du passé, ou au pressentiment de l'avenir, une suite secrète, un sens mystérieux. Telles sont chez Eschyle et chez Sophocle, dans les Perses (44), les Choéphores (45), Électre (46), les visions qui troublent Atossa et Clytemnestre (47); telle est dans la tragédie d'Euripide qui nous occupe, celle qui annonce confusément à Iphigénie', par des images bizarrement et étrangement associées, mais offrant cependant un sens dont elle est frappée, sans le pénétrer entièrement, l'événement prêt à survenir, et d'où doit sortir la tragédie. « C'est la fiction d'un poète, et toutefois elle n'est pas sans conformité avec le caractère ordinaire des songes. » Hæc, etiam si ficta sunt a poeta,, non ab.sunt tamen a consuetudine somniorum, a dit Cicéron (48), non pas du passage d'Euripide, fort digne de cet éloge, mais d'un morceau bien remarquable de la vieille poésie latine, qu'on pourrait croire écrit par un Grec, et on ne se tromperait pas beaucoup, puisqu'il est d'Ennius ; je veux parler du songe d'Ilia qui se lisait au premier livre des Annales, et que la citation de Cicéron nous a heureusement conservé. Qu'on me permette de le citer, épisodiquement, comme un commentaire indirect de l'art que je voudrais faire apercevoir dans le songe d'Iphigénie :

« Quand sa vieille compagne, réveillée à ses cris, est accourue toute tremblante, une lampe à la main, llia lui dit, avec larmes et dans l'effroi d'un songe : « Ô fille de cette Eurydice, que mon père a aimée, la force, la vie abandonnent en ce moment tout mon corps. Il me semblait, tout à l'heure, qu'un homme, beau de visage, m'entraînait parmi d'agréables saules, sur un rivage et dans des lieux inconnus. Puis je croyais, ô ma soeur, m'en revenir seule, à pas lents, et te chercher, et ne pouvoir retrouver mes esprits ni ma route ; car nul sentier ne s'offrait à mes pas. Alors, j'entends mon père qui m'appelle et me dit : Ô ma fille, il te faut d'abord supporter bien des peines, mais du fleuve renaîtra ta fortune. » A ces mots, ma soeur, il me quitte tout à coup et sans se laisser voir à mes regards, comme le souhaitait mon mur, tandis que, tout en larmes, je æ tends les mains vers l'azur du ciel et l'appelle d'une voix tendre et caressante. C'est alors que, hors de moi, le coeur palpitant, le sommeil m'a abandonnée. »

Excita quum tremulis anus attulit artubu' lumen,
Talia commemorat lacrimans exterrita somno :
Eurudica prognata, pater quam noster amavit,
Vires, vitaque corpu' meum nunc deserit omne ;
Nam me visus homo pulcher per amoena salicta
Et ripas raptare, locosque novas ; ita sola
Post illa, germana soror, errare videbar,
Tardaque vestigare, et quærere te, neque posse
Corde capessere ; semita nulla pedem stabilibat.
Exin compellare pater me voce videtur
His verbis : O gnata ! tibi sunt ante ferundæ
Aerumnae, post ex fluvio fortuna resistet
Hæc effatu' pater, germana, repente recessit.
Nec sese dedit in conspectum, corde cupitus,
Quamquam multa manus ad coeli cærula templa
Tendebam lacrimans et blanda voce vocabam.
Vix aegro tum corde meo me somnu' reliquit.

Ce sont là de vieux vers et parfois assez rudes; mais qu'ils expriment bien l'émotion haletante qui suit une vision pénible, la fatigue de l'esprit qui en rappelle la trace effacée et en cherche le sens ; et, en même temps, quelle réserve délicate ! Ilia est assez avertie de ce qui la menace pour que le lecteur saisisse le rapport de l'annonce et de l'événement, pas assez pour qu'elle-même en ait la complète intelligence et que sa pudeur soit profanée d'avance par une vue trop distincte de l'avenir.

Je me contente de rappeler comme des chefs-d'oeuvre, en ce genre, le songe d'Énée (49) et celui d'Athalie (50), et de renvoyer à Chateaubriand qui les a comparés (51), y trouvant, à peu près au même degré, sous des images heureusement discordantes, et à travers leur voile à demi transparent, un sens frappant et terrible.

Le contraire de cet art profond nous est offert par les songes de Crébillon (52), aussi absurdes que ses. tempêtes, entassement capricieusement confus et puérilement emphatique de tableaux sans liaison secrète et sans signification, « vrais songes de malade » : ægri somnia, dirait Horace.

Revenons de cette longue excursion au songe d'Iphigénie et, pour dernier commentaire, citons-le :

« .. Il me semblait, dans mon sommeil, que j'avais quitté cette terre, que j'habitais Argos, que je dormais au milieu de mes femmes, et qu'un tremblement subit ébranlant le sol, je fuyais, et du dehors voyais le toit tomber, le palais lui-même s'écrouler sur la terre. Une colonne restait seule, comme il me paraissait, de la demeure paternelle, et 'voilà que de son chapiteau je voyais descendre une chevelure blonde, que je l'entendais prendre une voix humaine. Et moi, m'acquittant de l'office que j'exerce ici, celui de préparer pour le sacrifice les étrangers, je l'arrosais de libations, comme allant mourir, et je pleurais, je poussais des cris. Ce songe, je l'interprète ainsi : Oreste est mort, c'est lui que je préparais pour le sacrifice. Les fils sont les colonnes de leur maison, et ceux-là meurent sur qui s'épanchent mes libations... . "

Ainsi persuadée de la mort de son frère, Iphigénie se dispose à lui rendre les honneurs funèbres, et va dans ce dessein chercher quelques esclaves grecques que le roi du pays, Thoas, a attachées à son service.

Iphigénie est rentrée dans le temple de Diane, où elle fait sa demeure. Deux étrangers paraissent au pied de ses murailles, et les observent attentivement, C'est Oreste qui vient avec Pylade, par l'ordre d'Apollon, ravir la statue de la déesse, entreprise de laquelle dépend la fin des tourments qui l'obsèdent depuis le meurtre de sa mère. Leur entretien nous fait contempler avec eux ce temple souillé par des sacrifices humains et dont le seuil est orné d'horribles dépouille (53). Après avoir pris connaissance de la disposition des lieux et des difficultés qu'ils auront à vaincre, ils se retirent pour se cacher dans les rochers du rivage, jusqu'à ce que la nuit leur permette d'agir.

Si dès la première scène a déjà paru l'attachement d'Iphigénie pour son frère, qui occupera tant de place dans une pièce dont l'affection fraternelle (54) est, ainsi que l'amitié, le principal intérêt, cette amitié, avec ses délicatesses, n'a pas laissé de se montrer elle-même dès la seconde scène, comme on l'a finement remarqué (55). C'est Oreste qui, préoccupé des dangers qu'il fait courir à Pylade, st cachant cette généreuse inquiétude sous l'apparence d'une crainte personnelle, parle de renoncer à l'entreprise et de se retirer; c'est Pylade qui, dans i'intérêtd'Oreste,donne le conseil courageux de poursuivre et d'achever. Encore un antécédent du trait si célèbre :

Allons, seigneur, enlevons Hermione (56).

Iphigénie revient avec le choeur. Élle commence la cérémonie funèbre qu'elle a annoncée, en pleurant la mort de te frère qui, nous le savons, est plein de vie et si près d'elle. Cette erreur a quelque chose d'intéressant, mais l'invention n'en appartient pas à Euripide. Le début des Choéphores (57) chez Eschyle, celui d'Électre (58), chez Sophocle, nous ont déjà offert une situation absolument semblable et dans une suite de scènes plus artistement liées.

Cependant un berger vient annoncer à la prêtresse qu'on a surpris sur le rivage, parmi ses rochers, deux étrangers, deux Grecs, et que le roi a donné ordre de les amener au temple pour y être immolés. Qui sont-ils ? on l'ignore ; tout ce que l'on a pu comprendre, c'est qu'un d'eux s'appelle Pylade. Ce nom ne frappe point Iphigénie; il lui est inconnu. Lorsqu'elle quitta la Grèce, Oreste n'était qu'un enfant, et son ami n'était pas né. J'ai vanté très souvent les récits des tragédies grecques : celui du berger de Tauride est tout à fait propre à faire connaître le caractère de ces morceaux si différents de ceux qui leur correspondent sur notre scène. Je vais le citer, malgré son étendue :

" Nous avions conduit nos troupeaux, pour les laver, sur les bords de la mer qui coule entre les Symplégades. Il y a là, sous des rochers, une caverne creusée par les flots, retraite ordinaire des pêcheurs qui recueillent la pourpre. Quelqu'un de nos bergers y aperçut deux jeunes hommes, et soudain se retira d'un pied furtif, repassant avec précaution sur ses traces. « Voyez-vous ? nous dit-il ; ce sont des dieux. " Un autre, par un mouvement de piété, levant vers eux les mains, et les contemplant d'un oeil respectueux, se mit à les prier en ces termes : " Protége-nous, fils de la marine Leucothée, sauveur des vaisseaux, puissant Palémon ; ou plutôt, si c'est vous que nous voyons assis sur ce rivage, divinsGémeaux ; ou vous encore, rejetons de Nérée, qui fit naître l'illustre choeur des Néréides (59). Il y en eut mi d'un coeur plus léger, plus hardi, qui interrompit en riant cette prière, et assura que l'antre renfermait des naufragés, lesquels, sans doute, s'y tenaient cachés par crainte, sachant que nous étions dans l'usage de sacrifier les étrangers. La plupart jugèrent qu'il avait raison et se mirent en devoir de donner la chasse à ces victimes que réclamait le culte de la déesse. Cependant l'un des deux inconnus quitte son asile ; sa tête, qu'il secouait avec violence, tantôt se dressait vers le ciel, tantôt s'abaissait vers la terre; de son sein s'échappaient de profonds soupirs ; un tremblement convulsif agitait ses bras ; il semblait en proie à une fureur délirante, et on l'entendait s'écrier, comme un chasseur : « Pylade, vois-tu celle-ci ? et a cette autre encore ? Il veut me tuer, ce monstre de l'enfer, qui s'élance sur moi, avec ses affreux serpents ! Dieux ! une troisième... respirant la flamme et le sang ; elle fend a l'air de ses ailes, elle porte dans ses bras le corps de ma mère, elle va m'écraser, m'ensevelir sous une grêle de rochers. Hélas ! c'est fait de moi ! où fuir ? " Il ne voyait rien réellement de ce qu'il décrivait ainsi, mais il prenait les mugissements de nos taureaux, les aboiements de nos chiens pour ces cris, de même nature, que poussent, dit-on, les Furies (60). Pour nous, serrés les uns contre les autres et glacés de terreur, nous demeurions en silence et sans mouvement. Tout à coup il tire son glaive et se jette ainsi qu'un lion au milieu de la foule de nos taureaux, dont il perce le flanc, dont il déchire les entrailles, pensant combattre les Furies. Une écume ensanglantée s'élève à la surface des flots. A la vue de ses troupeaux dispersés, et tombant sous le fer, il n'est aucun de nous qui ne s'arme, qui, au son de la trompe, n'appelle les habitants ; car contre des ennemis jeunes et pleins de vigueur, nous pensions bien que c'était peu de chose que des bergers. Déjà notre troupe se grossissait, lorsque les transports de l'étranger s'apaisent ; il tombe sur la terre, la bouche dégouttante d'écume. Le voyant ainsi livré sans défense, chacun s'empresse pour lui lancer des traits, pour le frapper, tandis que son compagnon lui essuie la bouche, le ranime, le protége de son manteau, détourne les coups prêts à l'atteindre, s'acquitte enfin de tous les soins de l'amitié (61). L'étranger reprend ses sens, se relève ; il voit quelle nuée d'ennemis va fondre sur eux, quel sort les menace, et il gémit. Nous ne cessions cependant de les charger, de les inquiéter de toutes parts. Alors se sont fait entendre ces menaçantes et terribles paroles : " Il nous faut mourir, Pylade, mais mourir avec honneur. Suis-moi donc, armé de ton épée.» A peine voyons-nous briller le fer aux mains des deux guerriers, que, prenant la fuite, nous remplissons les bois qui couronnent le rivage. Tandis que les uns se retirent, d'autres recommencent l'attaque, et, ceux-ci repoussés, les premiers reviennent sur leurs pas et font de nouveau voler les pierres. Mais, chose incroyable ! de tant d'assaillants, nul ne peut atteindre les victimes de la déesse, et si enfin nous nous en saisissons, c'est avec bien de la peine, et sans trop de courage. On les enveloppe en effet, on ]es force, à coups de pierres, de lâcher leurs épées ; épuisés de fatigue, ils fléchissent le genou et tombent. Le roi de cette contrée, à qui nous les avons conduits, vous les a sur-le-champ envoyés, pour être offerts en sacrifice. Souhaitez, jeune prêtresse, qu'il vous vienne souvent des terres étrangères des victimes semblables à celles-ci. Leur mort fera payer aux Grecs la cruauté dont ils ont usé envers vous et les sanglants apprêts d'Aulis (62). "

Je ne sais si, à travers ma traduction, on a pu apercevoir ce qui dans le grec se découvre avec évidence. Les tableaux sont d'un poète, le reste d'un témoin et d'un berger. A l'éclat du coloris se joint la précision des détails, la naïveté familière du langage. Il n'en est point ainsi de nos récits tragiques, presque toujours confiés à des subalternes sans caractère et qui n'en peuvent mettre dans ce qu'ils disent. C'est alors l'auteur qui parle en leur place, et on le reconnaît à la généralité des images, à la pompe du style. De tels morceaux sont brillants sans doute, mais ils manquent toujours en quelque chose de vérité dramatique.

Iphigénie s'étonne que la nouvelle qu'on vient de lui apprendre, et qui en d'autres temps l'eût douloureusement affectée, la laisse presque insensible. C'est que son malheur, qui la préoccupe, l'endurcit pour le malheur d'autrui. Elle s'y arrête, elle s'y plonge ; ce ne sont que retours douloureux vers le passé. Le choeur, plus sensible au présent, se demande quels peuvent être ces étrangers, ce qui a pu les amener, et, par une transition naturelle, sa pensée se porte vers les lieux d'où ils viennent, vers cette terre de Grèce, sa patrie, où il lui serait si doux de revenir. Les regrets d'Iphigénie, les voeux du choeur préparent vaguement les impressions qui doivent suivre; il y a là un instant de calme, ménagé peut-être à dessein pour faire plus vivement désirer une situation qu'on prévoit et qu'on attend.

C'est une des plus frappantes et des plus pathétiques qui aient été montrées sur aucun théâtre. Un frère et une soeur qui se retrouvent sans se connaître ! Un frère que sa soeur est sur le point de conduire à la mort! Quel intérêt dans l'entretien qui doit faire éclater un tel secret! Il y a dans l'Ion une scène de ce genre, que j'ai précédemment citée (63). Celle-ci est certainement égale pour le naturel, et peut-être supérieure pour l'effet. Il semble qu'Euripide se contente de mettre ses acteurs en présence, et qu'il lés laisse ensuite parler comme ils pourront, sans s'en mêler. Mais sous cet apparent abandon se cache un art merveilleux, qui fait de la repartie la glus simple un trait saillant.

On amène à la prêtresse Oreste et Pylade enchaînés, elle les fait délier selon l'usage, et, pendant que tout se prépare pour le sacrifice, elle leur adresse, avec une curiosité qui se cache sous l'apparence d'une pitié compatissante, quelques questions.

" Quelle mère vous a fait naître? Quel est votre père? Avez-vous une soeur? hélas ! de quels frères elle sera privée (64). "

Est-il besoin de faire remarquer comme ces paroles répondent à la douleur secrète dont son âme est remplie? Et ces noms seuls de frère et de soeur, avec quel trouble ne les entend-on pas prononcer entre de telles personnes ? Ils reviendront plus d'une fois., ramenés dans le dialogue, dirai-je par l'artifice, ou plutôt par la profonde émotion du poète ?

Iphigénie continue :

" Qui peut connaître son sort? qui peut pénétrer l'avenir? Les desseins des dieux s'avancent dans 'l'ombre vers leur terme fatal. Nul ne sait ce qui l'attend. C'est le secret de la fortune, secret impénétrable. D'où venez-vous, malheureux étrangers? Vous avez quitté pour longtemps votre patrie; votre absence sera bien longue. »

Oreste, si infortuné et si coupable, montre peu d'empressement à faire connaître qui il est. Il ne répond rien aux questions d'Iphigénie, et repousse doucement ses consolations.

" Qui que vous soyez, ô femme, pourquoi ces plaintes, ces regrets donnés à notre destinée? Est-on sage, lorsqu'on va périr, de chercher à surpasser sa crainte par l'excès de sa douleur? L'est-on davantage de s'attendrir sur celui qui touche au trépas, et qu'on ne peut sauver? C'est ajouter follement au malheur; car on n'en meurt pas moins. Laissons donc faire la fortune. Ne nous pleurez plus. Nous savons vos usages, et ce qui nous est réservé (65). »

Ces défaites ne découragent point Iphigénie qui devient :plus pressante, et triomphe par degrés de la. résistance d'Oreste.

IPHIGÉNIE.

Dites-moi d'abord : qui de vous deux se nomme Pylade ?

ORESTE.

Lui. Mais que peut vous importer?

IPHIGÉNIE.

En quelle contrée, en quelle ville de la Grèce est-il né?

ORESTE.

Que vous reviendra-t-il, ô femme, de le savoir?

IPHIGÉNIE.

Avez-vous eu la même mère ? êtes-vous frères?

ORESTE.

Oui, par l'amitié, et non par le sang.

IPHIGÉNIE.

Et vous, quel nom votre père vous donna-t-il à, votre naissance?

ORESTE.

Un seul nom me convient; je suis malheureux.

IPHIGÉNIE.

C'est le tort de la fortune. Mais vous ne me répondez point.

ORESTE.

Mourant inconnus, nous échapperons à la honte et à l'outrage (66).

IPHIGÉNIE.

D'où vous viennent de si généreux sentiments?

ORESTE.

Vous immolerez mon corps, mais non pas mon nom.

IPHIGÉNIE.

Ne me direz-vous pas au moins quelle patrie est la vôtre?

ORESTE.

Que me servirait de vous l'apprendre, puisque je vais mourir?

IPHIGÉNIE.

Mais pourquoi me refuseriez-vous cette grâce?

ORESTE.

Eh bien, l'illustre royaume d'Argos est ma patrie et je m'en fais gloire.

IPHIGÉNIE.

Au nom des dieux, dites-vous vrai, ô étranger?

ORESTE.

Mycènes m'a vu naître, ville autrefois heureuse !

IPHIGÉNIE.

Comment l'avez-vous quittée? est-ce par l'exil?

ORESTE.

Par un exil involontaire en quelque sorte, et toutefois volontaire.

IPHIGÉNIE.

Pourrai-je encore apprendre quelque chose de vous?

ORESTE.

Tout ce qui sera étranger à mon malheur.

IPHIGÉNIE.

Votre arrivée d'Argos m'est bien précieuse.

ORESTE.

A vous peut-être, je le veux bien; mais non pas à moi.

IPHIGÉNIE.

Vous connaissez Troie, cette ville dont on parle en tous lieux?

ORESTE.

Plût aux dieux ne l'avoir jamais connue, pas même en songe !

IPHIGÉNIE.

On dit qu'elle n'est plus, qu'elle a succombé.

ORESTE.

Il est vrai; ce n'est point un vain bruit.

IPHIGÉNIE.

Hélène est-elle rentrée dans la maison de Ménélas?

ORESTE.

Oui, et son retour a coûté bien cher à quelqu'un des miens.

IPHIGÉNIE.

Moi aussi, j'ai bien souffert pour elle autrefois. Mais, où est-elle?

ORESTE.

A Sparte, avec son premier époux.

IPHIGÉNIE.

Ô Hélène ! ô femme odieuse à toute la Grèce, autant qu'à moi!

ORESTE.

Je dois moi-même détester ces fatales noces.

IPHIGÉNIE.

Les Grecs sont-ils de retour, comme on le publie?

ORESTE.

Pourquoi toutes ces questions?

IPHIGÉNIE.

Avant de mourir, contentez-moi.

ORESTE.

Demandez donc, je répondrai.

IPHIGÉNIE.

Le devin Calchas est-il revenu de Troie ?

ORESTE.

Il n'est plus, on le disait du moins à Mycènes.

IPHIGÉNIE.

Ô équitable déesse! Et le fils de Laërte?

ORESTE.

Il n'a point encore reparu dans son palais. Toutefois il vit, à ce que l'on assure.

IPHIGÉNIE.

Puisse-t-il périr, ne jamais revoir sa patrie !

ORESTE.

Son sort est assez triste, ne lui souhaitez rien de plus.

IPHIGÉNIE.

Le fils de Thétis vit-il encore?

ORESTE.

Hélas ! non : vainement célébra-t-on son hymen à Aulis.

IPHIGÉNIE.

Hymen trompeur! on peut en croire ceux qu'il a perdus.

ORESTE.

Qui êtes-vous donc, vous qui m'interrogez en personne si instruite des choses de la Grèce ?

IPHIGÉNIE.

J'y naquis, mais j'en fus enlevée bien jeune encore.

ORESTE.

Votre curiosité cesse de me surprendre.

IPHIGÉNIE.

Qu'est devenu ce général que l'on disait fortuné ?

ORESTE.

Qui donc? je n'en connais point qu'on doive appeler de ce nom.

IPHIGÉNIE..

Le fils d'Atrée, Agamemnon.

ORESTE.

Je ne sais. Cessons ce discours, ô femme.

IPHIGÉNIE.

Au nom des dieux, parlez, donnez-moi cette joie.

ORESTE.

Il est mort, l'infortuné ! et il a perdu quelqu'un après lui.

IPHIGÉNIE.

Il est mort, et comment? Malheureuse!

ORESTE.

Pourquoi pleurez-vous son sort? que l'intérêt y pouvez-vous prendre?

IPHIGÉNIE.

Je songe à son antienne fortune.

ORESTE.

Il a péri bien misérablement, de la main de sa femme, égorgé.

IPHIGÉNIE.

Déplorable crime, déplorable mort !

ORESTE.

C'est assez : ne m'interrogez plus.

IPHIGÉNIE.

Un seul mot. Vit-elle encore l'épouse de ce malheureux?

ORESTE.

Non : son fils, son propre fils l'a tuée.

IPHIGÉNIE.

Ô confusion horrible, triste maison! Et que voulait-il?

ORESTE.

Venger son père mort, punir l'assassin.

IPHIGÉNIE.

Ce fut justice, hélas! justice cruelle.

ORESTE.

Tout innocent qu'il est, les dieux ne l'en poursuivent pas moins.

IPHIGÉNIE.

Agamemnon a-t-il laissé quelque autre enfant?

ORESTE.

Une- fille seulement, Électre.

IPHIGÉNIE.

Ne sait-on rien de son autre fille, qui fut immolée?

ORESTE.

Rien, sinon qu'elle est morte et ne voit plus la lumière.

IPHIGÉNIE.

Je la plains, aussi bien que son père, qui l'a fait périr.

ORESTE..

C'est pour une femme bien criminelle, bien indigne d'une telle rançon, qu'elle est morte.

IPHIGÉNIE.

Mais le fils du roi mort est-il dans Argos ?

ORESTE.

Il vit. Mais en quel lieux? Partout, et nulle part (67).

Ce dialogue, que j'ai cru devoir citer tout entier, me semble d'une beauté incomparable. Chaque mot y produit une double surprise ; Oreste est aussi étonné des questions d'Iphigénie que celle-ci de ses réponses ; un intérêt qui leur est commun, sans qu'ils s'expliquent pourquoi, les éclaire à demi sur le rapport secret qui les lie; on voit comme se soulever par degrés, car la poésie grecque ne se hâte point, le voile qui les sépare, et lorsque, après avoir parcouru la longue suite des calamités de leur famille, jusqu'à celles que reculent jusqu'au dernier moment, chez lés interlocuteurs, une appréhension, une horreur bien naturelles, dé la part du poète, le soin de la gradation ; lorsque, dis je, au dernier terme de ces révélations qui leur ont fait passer en revue tous leurs proches, ils arrivent à parler de cette soeur qu'on croit morte, de ce frère qu'on dit errant, le spectateur, qui les voit, qui les entend, attend le mot heureux qui doit les révéler l'un à l'autre.

Ce mot, le poète saura le différer pour notre tourment ou notre plaisir, car de ces deux choses se compose l'émotion tragique.

La prêtresse propose à celui qu'elle vient d'interroger de lui sauver la vie, s'il veut se charger d'une lettre pour quelqu'un d'Argos qui lui est cher. L'anachronisme qui fait remonter si haut l'usage de l'écriture n'est pas rare, nous l'avons vu (68), dans les tragédies grecques. Il semble qu'ici Euripide ait voulu en sauver au moins la moitié, en supposant que la lettre a été écrite non pas par Iphigénie elle-même, mais sous son nom, par un prisonnier grec. Quoi qu'il en soit de l'intention du poète, c'est là une circonstance oiseuse. Si nous sommes d'assez bonne composition pour ne pas demander indiscrètement à Iphigénie par quels moyens elle espère pouvoir sauver son messager, à plus forte raison ne lui demanderons-nous pas qui a écrit sa lettre. Il est des choses que le spectateur doit savoir ignorer.

Oreste accepte la proposition de la prêtresse; mais non pas pour lui, pour Pylade. Il rougirait de laisser périr en sa place un ami qui l'a suivi par dévouement. Ce qui relève beaucoup la noblesse de cette détermination; c'est qu'elle est subite et exprimée avec simplicité. Elle frappe d'admiration Iphigénie, et, ce qui est fort touchant, fort habilement jeté dans le cours de cette reconnaissance, la fait penser à son frère, en qui elle aime à supposer de pareils sentiments :

« Ô courage ! ô dévouement ! généreux ami ! de quelle noble souche êtes-vous donc sorti? Puisse vous ressembler celui de mes proches qui me reste! Car j'ai un frère, ô étrangers, malheureuse seulement de ne pas le voir (69). "

Ce sera tout à l'heure le tour d'Oreste de songer à sa soeur. Il se fait expliquer comment il doit périr, et lorsqu'il sait tout, il s'écrie :

" Si du moins la main d'une soeur pouvait m'ensevelir (70)! "

Pour comprendre tout ce qu'il y a de touchant dans ce voeu, il faut se reporter aux moeurs des anciens, pour qui le plus grand de tous les malheurs était moins de mourir, que de mourir loin de ses proches et privé de leurs derniers soins.

Cette soeur qui manque à Oreste, la prêtresse elle-même qui va le conduire à l'autel, s'offre de la remplacer, et cette prêtresse se trouve précisément être sa soeur : quelle ingénieuse et intéressante complication !

" Vain souhait, ô btranger. Votre soeur habite loin de cette terre barbare. Mais, puisque vous êtes Grec, je ne manquerai à aucun des devoirs que le pourrai vous rendre. J'ornerai de mes dons votre cercueil; je verserai l'huile pure sur votre corps brûlant; je jetterai dans le bûcher ce doux produit des travaux de l'abeille, qu'elle exprime sur les montagnes du suc des fleurs (71).»

On voit ici'un exemple de cette riante parure que jette l'imagination grecque sur les idées les plus sombres, et en même temps il y a un charme qu'on ne peut rendre dans cette union déjà fraternelle qui devance la reconnaissance et en est, comme le pressentiment.

Iphigénie est rentrée dans le temple pour y prendre la lettre dont elle a parlé. Oreste et Pylade, laissés libres, au milieu du choeur qui les entoure, repoussent également les protestations de pitié ou les félicitations qu'on leur adresse. Le choeur juge bien que le choix de la victime n'est pas encore arrêté, et en effet, dans la scène suivante (72) commence entre les deux amis, après une confidence mutuelle de l'étonnement et du trouble où les ont jetés les discours de la prêtresse, ce combat de générosité si célèbre chez les anciens, et tant de fois reproduit par- lès modernes.

Accoutumés au mouvement théâtral qui a presque toujours été imprimé à cette scène, nous sommes mal disposés pour comprendre la gravité, le calme mélancolique avec lesquels elle se développe chez Euripide. Mais cette apparente froideur dans un moment si critique annonce, si je ne m'abuse, des coeurs plus fermes, plus indifférents au danger et à la mort. C'est une délibération héroïque, où la faiblesse humaine ne se trahit qu'à la fin, par la douleur de la séparation, l'expression pathétique des adieux. Si Pylade cède plus vite que nous ne le voudrions, on peut dire, pour le justifier, que la résolution d'Oreste paraît inébranlable, et, comme il le fait entendre, qu'avec cette confiance qui, dans les conjonctures desespérées, soutient encore l'âme humaine, il compte, pour leur délivrance, sur quelque heureuse révolution du sort.

Que devient le chœur pendant cette scène? On ne peut trop se l'expliquer. S'il prête l'oreille, il aura surpris un secret qu'il ne doit connaître que plus tard, avec Iphigénie. S'il n'écoute point, comme le veut Brumoy, ou qu'il se soit retiré, il manque à son office ordinaire. Ce n'est point la première fois que se décèle, dans les tragédies d'Euripide, l'inconvénient de ce témoin obligé, qu'en certains cas il faut supposer ou bien discret ou bien inattentif (73).

Iphigénie reparaît avec sa lettre (74); elle exige d'abord que Pylade s'engage par serment à la remettre avec fidélité; elle-même s'oblige, de la même manière, à lui conserver la vie; et ici est exprimé, un peu vaguement, il est vrai, ce que nous étions tout à l'heure en peine de savoir, c'est qu'elle compte obtenir de Thoas, pax la persuasion, la grâce d'un des prisonniers. Les gens difficiles demanderaient peut-être pourquoi elle n'essaye pas de les sauver tous les deux; mais c'est là une de ces remarques qu'on n'a guère le loisir de faire à la représentation, et que Voltaire appelait des critiques de cabinet.

Un scrupule vient à Pylade. Il veut qu'on le tienne quitte de l'obligation sacrée qu'il a contractée, si par quelque accident imprévu, dans un naufrage, il perdait la lettre de la prêtresse. Pour prévenir ce danger, celle-ci se décide à lui confier le contenu de son message (75). Ainsi s'opère en un instant une reconnaissance que le poète a eu l'art de faire désirer si longtemps. « Oreste, s'écrie tout à coup Pylade, recevez la lettre de votre sœur (76). "

Avec ce coup de théâtre, avec les émotions de surprise et de joie qui l'accompagnent, les explications inquiètes, les douloureux souvenirs (77) et les tendres épanchements qui le suivent, et où chacun fait son rôle, Iphigénie, Oreste, et Pylade, et le choeur lui-même. cesse véritablement l'intérêt pathétique de cette tragédie; le reste ne s'adresse plus qu'à la curiosité, et est, par conséquent, d'un ordre secondaire. Que penser donc d'un estimable interprète d'Euripide (78) qui, cherchant subtilement, à son ordinaire, le sujet de la pièce, le voit uniquement dans le larcin de la statue de Diane, et regarde comme un épisode, plus intéressant il est vrai que l'action elle-même, en même temps qu'il est beaucoup plus long, la reconnaissance du frère et de la soeur. Cela est bien du même critique qui, renouvelant à son insu le sentiment d'un des personnages de Gil Blas, disait sérieusement que dans l'Iphigénie en Aulide il s'agissait de savoir si les Grecs obtiendraient ou non un vent favorable (79). Pour juger les ouvrages de l'art, mieux vaut encore le sentiment irréfléchi, le bon sens vulgaire, qu'une étude étroite, une froide et sophistique application des théories.

Nous retrouvons dans l'Iphigénie en Tauride le même défaut que nous avons signalé tout à l'heure dans l'Hélène (80). La ruse par laquelle on enlève à Thoas la statue de Diane et sa prêtresse, se prépare sous nos yeux avant que nous ne la voyions s'accomplir. C'est Iphigénie qui l'imagine et qui l'exécute, après avoir sollicité vivement le silence du choeur. Par un mouvement, du reste heureux, dont je ne me rappelle pas un autre exemple, elle s'adresse individuellement (81), à quelques-unes des personnes dont se compose ce personnage collectif, et détruit ainsi l'unité qui est un de ses attributs essentiels. Nouvelle preuve que cet antique fondateur de la tragédie grecque menaçait fort d'en disparaître.

Les anciens ne se faisaient pas scrupule de ne montrer qu'un seul instant, et même à la fin de la pièce, les personnages que le besoin de l'action n'appelait pas plus tût sur la scène et ne devait pas y retenir plus longtemps. Cette liberté leur épargnait bien des scènes de remplissage et, par conséquent, beaucoup de fatigue dont, avec un système contraire, nous ne nous sauvons pas toujours. Le Thoas grec n'est pas beaucoup plus raisonnable ni plus clairvoyant que nos Thoas modernes; mais il est incomparablement moins ennuyeux, attendu qu'il n'a guère le temps de paraître tel. Il arrive sur la scène (82) pour presser le sacrifice, au moment où Iphigénie se dirige vers la mer, tenant la statue dans ses bras. Il apprend qu'elle va la purifier dans les flots de la souillure qu'elle a reçue par l'approche de victimes impures. Ces Grecs eux-mêmes qui devaient lui être immolés, coupables d'un parricide, doivent avoir part à l'expiation. Sur la demande de la prêtresse, Thoas ordonne qu'on les emmène à sa suite chargés de chaînes, rigueur qu'elle sollicite habilement pour éloigner les soupçons. Du reste, défense aux habitants de la Tauride de porter un oeil curieux sur les mystères religieux qui vont s'accomplir, et quant à Thoas, il restera dans le temple, où il s'occupera, de son côté, de saintes purifications. Ces mesures sont trop bien prises pour que l'on puisse avoir la moindre inquiétude sur le succès. Le spectateur est beaucoup moins étonné que ne l'est Thoas, lorsqu'un récit (83), fort intéressant, à l'ordinaire, fait connaître que les prisonniers ont gagné un vaisseau qu'ils avaient à la côte ; qu'aidés de leurs compagnons, et malgré la résistance de leurs gardiens, ils y ont fait monter la prêtresse avec sa statue. Thoas ordonne qu'on les poursuive, car ils sont encore arrêtés dans le détroit; il s'apprête aussi à châtier les captives grecques qui ont favorisé leur évasion; mais, comme on s'y attend bien, quelque divinité tombée du ciel nous tranquillisera sur le sort des fugitifs, et épargnera au bon tyran de Tauride la fatigue d'une colère inutile. C'est Minerve (84) qui annonce que vainement on voudrait s'opposer au dessein d'Oreste, conseillé et conduit à sa fin par les dieux. La statue de Diane sera portée dans l'Attaque, et, en mémoire de ces événements, adorée sous le nom de Taurique (85). Parmi beaucoup de détails destinés à flattes l'orgueil des Athéniens par la consécration poétique de leurs antiquités nationales (86), Minerve glisse une stipulation que dans la tragédie d'Hélène ont oubliée les Dioscures. Les captives grecques, fidèles compagnes d'Iphigénie, obtiendront de Thoas la liberté et seront ramenées par les soins d'Oreste dans leur patrie. Il est vrai qu'elles l'ont bien mérité en exprimant, quelques scènes plus haut, dans un choeur ravissant, le regret de leur esclavage (87).

Quand Thoas s'est respectueusement soumis aux volontés de Minerve, la déesse appelle les vents et leur ordonne de guider heureusement vers Athènes le fils d'Agamemnon ; elle-même, elle l'annonce, l'accompagnera dans ce voyage et veillera sur la statue vénérée de la déesse sa soeur (88).

Cependant le choeur ;se répand, comme il est convenable, en remercîments. Ils se terminent par des vers (89) qu'on lit aussi à la fin de l'Oreste, à la fin des Phéniciennes, et qui contiennent (les scoliastes (90) ont donné cette double interprétation) soit une allusion au dénouement heureux de l'ouvrage, soit, je le croirais plus volontiers, car ce qui serait vrai d'Iphigénie en Tauride et d'Oreste, ne le serait pas également des Phéniciennes (91), le voeu, l'annonce de son succès :

« Ô vénérable victoire, préside toujours à ma vie, ne cesse point de la couronner! "

 


(01)  IV, 220 sqq. Cf. 351 sqq.; Iliad., VI, 288 sqq.

(02) Il, 112-120.

(03) Vit. Apollon., IV, xvi, 5; cf. VII, XII, 1, 2.

(04) Voyez sur un autre emprunt fait à ses récits par Euripide, dans l'Oreste, notre t. III, p. 250, note 1.

(05) Phèdr. Cf. Isocrat., Encom. Hel ; Tretzes, ad Lycophr., 113; Aristid., de Rhetoric., etc. Horace, dans une palinodie ironique adressée à Canidie, Epod. XVII, a rappelé (v. 47 sqq.) ce qu'on racontait de celle de Stésichore: " Des vers qui diffamaient Hélène avaient blessé Castor et le frère de Castor; vaincus cependant par les prières du poète, ils lui rendirent la lumière dont ils l'avaient privé."

Infamis Helena castor offensus vice,
Fraterque magni Castoris, victi prece,
Adempta vati reddidere lumina.

(06) De Republ., IX. Voyez la traduction de V. Cousin, t. IV, p. 40; X, 219.

(07)  Sur la date des Troyennes et celle de l'Oreste, voyez notre t. III, p. 921, 262, 335.

(08) Voyez notre t. III, p. 341, 344, 354 sq.

(09) Observations sur le théâtre grec. Hélène, en effet, remonte très haut dans ses complaisants récits, jusqu'à l'oeuf de Léda, orditur ab ove, et elle témoigne, v. 21, à l'égard de cette origine merveilleuse, une incrédulité, sur laquelle elle reviendra plus loin, v. 254 sqq., et qui ne paraît guère naturelle chez un personnage que la merveille de sa situation actuelle devrait rendre d'une foi plus facile. Voyez à ce sujet, E. Roux, Du merveilleux dans la tragédie grecque, 1846, p. 124.

(10) Iliad. I, 5, 105 sqq.

(11) V. 38 sqq. Cf. Orest. v. 1633 sqq.; Electr., 1282.

(12) On la trouve dans un fragment des Chants cypriaques de Stasinus, cité par le scoliaste d'Homère à l'occasion du cinquième vers du premier chant de l'Iliade.

(13) Ménélas dit lui-même au IV, livre, v. 82 de l'Odyssée, suivie ici par Euripide, que c'est dans la huitième année seulement qu'il a revu sa patrie.

(14) Voyez t. II, p, 38 sqq.

(15) Tentée de s'ôter la vie, et délibérant assez froidement sur les divers genres de mort entre lesquels elle pourrait choisir (v. 297 sqq.), elle écarte, comme honteux (Cf. Homer., Odyss., XXII, 462 sqq), même pour des esclaves, celui par lequel on a vu, quelques vers plus haut (124), qu'a péri sa mère Léda, celui auquel songent les Suppliantes d'Eschyle (voyez t. I, p. 176), qui termine les jours de la Jocaste, de. l'Antigone de Sophocle, de la Phèdre d'Euripide (voyez t. II, p. 189, 272; III, 56), de bien d'autres personnages tragiques du théâtre d'Athènes, dont aucun ne semble faire réflexion, comme Hélène, qu'un tel suicide manque de dignité.

(16) Voyez t. III, p. 52.

(17)  V. 179-183.

(18) Voyez t. III, p. 217.

(19) V. 607-614.

(20) V. 720, sqq. Je ne puis me défendre de compléter les gracieux souvenirs de ce bon serviteur, en traduisant ici, épisodiquement, la XVIIIe idylle de Théocrite, son charmant Épithalame d'Hélène :

" Dans Sparte, autrefois, chez le blond Ménélas, à la porte de sa chambre nuptiale, ornée de peintures nouvelles, au moment où le dernier des fils d'Atrée, heureux époux d'Hélène, venait d'y conduire l'aimable soeur des Tyndarides, se formait un choeur de jeunes filles, les cheveux couronnés d'hyacinthes en fleur. Elles étaient douze, les premières de la ville, l'orgueil de Lacédémone; unissant, sur une même mesure, et leurs voix et leurs pas entrelacés, elles faisaient retentir le palais des chants de l'hyménée.

" Tu t'es couché de bien bonne heure, nouvel époux ; aimes-tu donc tant le sommeil? Étais-tu accablé par la fatigue, ou appesanti par le vin, pour t'être ainsi jeté si vite sur ta couche? Mais si tu avais envie de dormir, ne pouvais-tu dormir seul, et laisser la jeune fille folâtrer avec ses compagnes, près de sa mère qui la chérit et la regrette, jusqu'au lever du jour? Car elle est à toi, Ménélas, à toi pour demain, et pour le jour d'après, et pour les années qui suivront. Il faut, trop heureux époux, que quelque dieu favorable ait bien heureusement éternué sur ton passage, lorsque tu vins à Sparte, où il ne manquait pas de chers et de princes, pour que tu l'aies ainsi emporté sur eux. Seul des demi-dieux, tu auras le fils de Saturne pour beau-père; tu reposeras sur la même couche avec la fille de Jupiter, qui, sur la terre de Grèce, ne rencontre pas d'égale. Quel enfant elle te donnera, s'il ressemble à sa mère! Parmi nous toutes, qui sommes de son âge, qui allions, avec elle, frottées d'huile, comme les hommes, courir près des eaux de l'Eurotas, au nombre de quatre fois soixante, élite des vierges de Sparte, il n'en est pas qui soit sans défaut, si on la compare à Hélène. Comme, au retour du printemps, dégagée des liens de l'hiver, l'aurore fait briller son beau visage, ainsi brille parmi nous l'éclatante Hélène. La moisson, aux nombreux épis, orne la plaine fertile, le cyprès orne le jardin, le coursier de Thessalie orne le char; Hélène, au teint de rose, est l'ornement de Lacédémone. Nulle, des fils de sa corbeille, ne forme de plus beaux tissus, ne fait plus habilement courir la navette et la trame, ne détache du métier de plus merveilleux ouvrages. Qui, pour chanter Diane, où la mâle Minerve, touche plus savamment la cithare que notre Hélène, qui loge tous les amours dans ses yeux? O belle, ô gracieuse jeune fille l te voilà la maîtresse d'une maison. Et nous, lorsque demain nous irons, dès l'aurore, courir dans la prairie, y cueillir d'odorantes couronnes, nous penserons à toi, Hélène, nous te redemanderons comme l'agneau qui cherche le sein de sa mère. Les premières, ramassant les fleurs du lotus et les tressant en. guirlandes, nous les suspendrons aux rameaux touffus d'un platane; les premières, de nos aiguières d'argent remplies d'humides parfums, nous arroserons le platane touffu; sur son écorce le passant lira ces mots : Pieux Dorien, honore-moi : je suis l'arbre d'Hélène.

" Salut, nouvelle. épouse; gendre de Jupiter, salut! Que Latone, la nourricière Latone, vous accorde une nombreuse postérité; Cypris, la divine Cypris, un amour mutuel; le fils de Saturne, Jupiter, d'inépuisables biens, transmis de génération en génération à de nobles fils !

" Dormez tous deux, sur le sein l'un de l'autre, respirant l'amour et le désir. Mais demain, au retour de l'aurore, ayez soin de vous réveiller. Nous reviendrons de bonne heure, quand, s'élançant de sa couche en agitant sa noble crête, le chantre du matin annoncera le jour.

O Hymen, Hyménée, réjouis-toi de cette heureuse union ! »

(21)  V. 833 sqq.

(22) Son entrée est précédée par quelques strophes où le choeur, déplorant d'abord les malheurs d'Hélène (v. 1105 sqq.), fait appel au chant plaintif du rossignol, si souvent célébré; je l'ai fait remarquer plus d'une fois (voyez t., 1, p. 331; II, 214, 301), dans la tragédie grecque.

(23)  V. 1449 sqq.

(24)  Voyez t. II, p. 359.

(25) V. 136 sqq. Voyez plus haut, p. 78.

(26) V. 209, 3485 402.. Cf. Iphig. Aul., 177; Iphig. Taur.,. 391;Théogn.. v. 783.

(27) « .... L'Eurotas mérite certainement l'épithète de ηαλλιδόναξ, aux beaux roseaux, que lui a données Euripide:... " Itinéraire de Paris à Jérusalem.

(28)  V. 527 sqq. Voyez plus haut, p. 80 sq.

(29) V. 851, sqq.

(30)  Ibid., v. 851.

(31) Ibid., v. 1060.

(32) God. Hermann, proefat. ad Hel., p. VIII; etc. Voyez Bode, Histoire de la poésie grecque, tragédie, t. III, p. 489.

(33)   Nous avons eu occasion de dire, t. II, p. 339, note t, que J. A. Hartung, Euripid. Restitut., 1844, t. II, p. 301 sqq., a, par une conjecture assez vraisemblable, placé en tète de cette tétralogie l'Électre, où la fable de l'Hélène est en effet comme annoncée, v. 1271 sqq. Nous avons fait connaître en même temps quels rapports l'ingénieux critique a établis entre les trois tragédies et les conséquences qu'il a cru pouvoir en tirer pour les expliquer allégoriquement.

(34) Schol., Ran., 53. Cf. Musgrave, Chronol. scen; Clinton, Fast. hellenic., p. 83.

(35) Voyez Clinton, ibid.

(36)  Non pas toutefois de Wieland son imitateur, comme il sera tilt plus loin, et de J. A. Hartung, ibid., qui a répété et développé les éloges de Wieland.

(37)  Racine, dans la seconde préface de son Andromaque, rappelle l'extrême liberté d'Euripide à cet égard, pour se justifier lui-même des changements de peu d'importance qu'il s'est permis de' faire à la tradition poétique.

(38) Brumoy.

(39)  Pausan, Att. XLIII.

(40) Phot., Bibtioth. cod. ccxxxix, excerpt. e Procli gramm. Chrest.

(41) IV, 103.

(42)  Après quelques vers de prologue consacrés sans beaucoup d'art à sa généalogie, à ses aventures antérieures et qu'on pourrait croire avoir été parodiés par Aristophane, aux vers 47 sqq. de ses Acharniens (cf. Ran., 1232,1309), si la date de cette comédie, donnée la quatrième année de la LXXXVe olympiade, n'était de beaucoup antérieure aux dates diverses qu'on assigne, par conjecture, à l'Iphigénie en Tauride. J. A. Hartung (ibid., t. II, p. 141 sq.), concluant de certaines différences de détail, qui se remarquent entre l'Iphigénie en Aulide et l'Iphigénie en Tauride, que celle-ci à précédé l'autre représentée d'ailleurs, comme l'on sait, seulement après la mort du poète, et tirant de différences du même genre, remarquées entre l'Oreste et l'Iphigénie en Tauride, la même conséquence, est conduit à chercher avant la quatrième année de la XCIIe olympiade l'époque où a paru l'Iphigénie en Tauride. Il la juge d'abord postérieure à la troisième année de la LXXXVIIIe olympiade, où eut lieu, à Délos, par le fait des Athéniens, qui aimaient à s'en prévaloir, une restauration éclatante du culte d'Apollon (Thucydid., III, 104) ; il s'arrête ensuite à une époque intermédiaire entre l'été de la troisième année de la LXXXIXe olympiade où les Athéniens déportèrent en Asie les habitants de Délos, et l'été de la quatrième année de la même olympiade, où ils les rétablirent dans leur patrie (Thucydid., V, 1; Diod. Sic., XII 77). Il se fonde sur les allusions que lui paraît faire à ces événements un choeur (v. 1063 sqq.) où les esclaves grecques, compagnes d'Iphigénie, s'entretiennent avec complaisance de Délos, qu'on a cru par cette raison être leur patrie, et déplorent les malheurs qui les ont condamnées à l'esclavage sur une terre barbare. On peut se rappeler que des raisons semblables ont servi à déterminer le date de l'Hécube, de l'Hercule furieux (voyez notre t. III, p. 334, note 1, et plus haut, p. 14 sq.). Ce système approuvé par M. H. Weil, De tragoediarum cum rebus publicis conjunctione, 1844, p. 32 sq., est appuyé par lui de considérations nouvelles tirées de plusieurs passages de la pièce (v. 1.206 sqq.; 1438 sqq.), qui tous semblent avoir trait aux rapports d'Athènes avec Délos. Par une manière de voir bien différente, M. Th. Fix (Euripid., F. Didot, 1813, Chronolog. fabul., p. XII), soit à cause de certaines ressemblances métriques avec l'Ion et l'Hélène, soit en considération de quelques paroles très vives contre les devins et les dieux prophétiques qui abusent les hommes par leurs prédictions, paroles dans lesquelles il voit l'expression du mécontentement des Athéniens pour les faux oracles qui les avaient précipités dans la, folie de l'expédition de Sicile (Thucydid., VIII, 1), estime que I'Iphigénie en Tauride, venue avec l'Ion (XCe olymp.?), après l'Hélène (XCIe olymp. année), même après l'Électre (XCIIe olymp. 4° année), dans les derniers vers de laquelle (v. 1247) se trouve une allusion évidente au désastre de Sicile (voyez notre t. II, p. 339. et 360), peut avoir été représentée la première année de la XCIIe olympiade, en 412.

(43)  Voyez t. III, p. 123 sqq.

(44) V. 180 sqq.

(45) V. 30 sqq.; 514 sqq.

(46)  V. 413 sqq.

(47) Voyez notre t. 1, p. 222, 342, 360,, et notre t. II, p. 309 sqq.. V. 44. sqq.

(48) De Divin. I, 20.

(49)  Virg., Aeneid., II, 268 sqq.

(50)  Racine, Athalie, act. II, sc. 5.

(51) Génie du christianisme, liv. V, ch. II.

(52)  Atrée et Thyeste, act. II, sc. 1; Électre, act. I, sc. 7.

(53)  Foribus.... affixa superbis.
Ora virum tristi pendebant pallida tabo.
Virg., Aeneid., VIII, 196.

(54) C'est à ce point de vue surtout que M. Saint-Marc Girardin dans son Cours de littérature dramatique, 1843-1855, ch. XXV, a analysé cette tragédie et l'a fort ingénieusement comparée aux ouvrages composés depuis sur le même sujet.

(55) J. A. Hartung, ibid., p. 153.

(56) Racine, Andromaque, act. III, sc. 1.

(57) Voyez t. I,,p. 341 sqq.

(58) Voyez t. II, p. 295 sqq. L'Électre de Sophocle a-t-elle précédé l'Iphigénie en Tauride d'Euripide? J. A. Hartung le nie, ibid., p. 154, et fait de de Sophocle, et non pas d'Euripide, l'imitateur. Mais la date de l'Électre n'est pas connue, et l'on a pu voir plus haut, page 89, note 1, que les critiques ne s'accordent guère sur celle de l'Iphigénie en Tauride.

(59 On a reproché, non sans quelque raison, à Euripide de faire parler trop en grec son pasteur de Tauride, qui ne devait pas raisonnablement se montrer si instruit de cette mythologie.

(60)  M. E. Roux, Du merveilleux dans la tragédie grecque, remarque ingénieusement, p. 129, comme un trait bien conforme à la. vérité, que si l'égarement d'Oreste a sa cause merveilleuse dans l'action des Furies elles-mêmes, ce sont des circonstances naturelles et fortuites qui en déterminent, comme ici, les accès, à des intervalles irréguliers. Nous avons eu occasion nous-même de faire la même observation au sujet de la belle scène qui ouvre la tragédie d'Oreste, v. 201 sqq. Voy. notre t. III, p. 255.

(61) On peut rapprocher cette peinture à la fois terrible et touchante, où sont si bien exprimés la frénésie du remords et le dévouement de l'amitié, de celles que le même poète en avait retracées au début de son Oreste et dans son Alcméon. Voyez t. III, p. 247, sqq.

(62V. 252-331.

(63) Voyez plus haut, p. 53 sqq.

(64) V. 460-463.

(65) V. 463.480.

(66V. 491. Voyez sur ce vers, les observations de Dupuy, Histoire de l'Académie des belles-lettres, t. XXXI, p. 180.

(67)  V. 480-556.

(68 Dans les Suppliantes, les Trachiniennes, Hippolyte, etc. Voyez t. I, p. 178; II, 5; III, 57. Cf. t. I, p. 143.

(69)  V. 597-601.

(70) V. 615, cf. 688. Tibulle malade loin de Rome, dans l'île de Corcyre, et qui croit y mourir, exprime d'une manière touchante les mêmes regrets. " ... Ici point de mère dont le triste sein recueille mes ossements retirés du bûcher; point de soeur qui parfume mes cendres, et pleure, les cheveux épars, devant mon tombeau ! »

... Non hic mihi mater
Quas legat in maestos ossa perasta sinus ;
Non soror, Assyrios cineri quae dedat odores,
Et fleat effusis ante sepulcra comis.

Eleg. I, III, 5 sqq.

(71) V. 616-623.

(72V. 643 sqq.

(73) Voyez t. III, p. 58, 230 sq.; et plus haut, p. 60.

(74)  V. 708 sqq.

(75) Comme Agamemnon à son vieux serviteur, dans la première scène de l'Iphigénie eu Aulide, v. 112. sqq.. Voyez notre t. III, p. 11.

(76) V. 776, 777.

(77 Les vers 913 sq4, peuvent être rapprochés des Euménides d'Eschyle. Voyez t. 1, p. 364 sqq.

(78Prévost.

(79) Voyez t. III, p. 6 sqq.

(80) Voyez plus haut, p. 84.

(81)  V. 1042 sqq. Ainsi dans la Marie Stuart de Schiller, acte V, 'se. 6 (et une grande tragédienne, Mme Ristori, nous a rendu récemment ce jeu de scène si touchant), la malheureuse reine, prenant congé de ses femmes, adresse à chacune un adieu particulier.

(82) V. 1125 sqq.

(83) V. 1298 sqq.

(84) V. 1405 sqq.

(85) Minerve n'annonce point, ce qu'on voit ailleurs, qu'Iphigénie sera adorée chez les Scythes, et qu'on immolera sur son autel les Grecs naufragés en Tauride (Hésiod., apud Paus., Att., XLIII ; Hérodot., IV, 102); qu'Oreste et Pylade, ces héros de l'amitié deviendront eux-mêmes, dans cette contrée barbare, l'objet du cuite public (Lucian., Toxar., 1 sqq.).

(86) Les vers 1440 sqq. peuvent offrir le sujet d'un nouveau rapprochement avec les Euménides d'Eschyle. Voyez t. I, p. 381.

(87V. 1063 sqq.

(88) V. 1458 sqq.

(89) V. 1468 sqq.

(90) Ad. Orest, v. 1686.

(91)  Aussi Boeckh, Græc. trag. princ., XXI, adoptant la première interprétation, retranche-t-il ce passage du texte des Phéniciennes.