Patin, Henri Joseph Guillaume.
Euripide Tome 2
Etudes sur les tragiques grecs ; 2
Hachette, 1873.
CHAPITRE VINGTIÈME.
Les Bacchantes.
Il était naturel qu'à Athènes, où la tragédie était sortie du
dithyrambe, où ses représentations étaient restées un des accessoires du
culte de Bacchus, où les acteurs s'appelaient artistes de Bacchus, son
théâtre, théâtre de Bacchus, où, sur les murailles du temple voisin de cet
édifice, et aussi consacré à Bacchus, étaient peintes les principales
aventuras du cycle Dionysiaque (01), l'histoire du
dieu fournît beaucoup de sujets aux poètes tragiques. La matière en avait
été dès longtemps préparée par des récits du genre de celui qu'on lit dans
un des hymnes attribués à Homère (02), et par
les innombrables compositions des poètes dithyrambiques.
Aussi, à une époque bien voisine du temps où les Grecs ne connaissaient
encore d'autres formes littéraires que celles de l'épopée et de l'ode, dès
l'origine de l'art dramatique, son fondateur, Thespis, choisit-il fort
naturellement, à ce qu'il semble, Penthée pour le héros d'une de ses pièces,
dont le souvenir s'est conservé (03).
Plus tard, un de ceux qui, après lui, dégrossirent la tragédie encore
informe, la préparèrent pour les génies originaux qui allaient venir,
Phrynichus, entre autres drames dont nous avons la liste, du reste assez peu
certaine, donna une Erigone (04).
Vint Eschyle, à qui la légende de Bacchus inspira trois de ses trilogies :
celle à laquelle l'antiquité elle-même (05) a
donné le titre général de Lycurgie; celles que la critique moderne (06)
a intitulées l'une Penthée, l'autre Athamas.
La Lycurgie, on le sait par un scoliaste (07) se
composait de trois tragédies, les Edoniens (08),
les Bassarides (09), les Jeunes gens (10),
suivies d'un drame satyrique, Lycurgue. Selon les explications les plus
probables de critiques qui l'ont restituée avec beaucoup de science et de
sagacité, on voyait dans les Edoniens l'arrivée de Bacchus en Thrace,
l'opposition du roi de ce pays, Lycurgue, à l'établissement du nouveau culte,
la défaite et l'arrestation du dieu et de ses sectateurs; dans les Bassarides,
au contraire, la délivrance des Bacchantes et le châtiment de Lycurgue,
peut-être aussi, épisodiquement, la mort d'Orphée, déchiré par les Ménades
furieuses et enseveli par les Muses; enfin dans les Jeunes, gens, dont la
matière est beaucoup plus obscure, l'apothéose de Lycurgue et son association,
chez ses anciens sujets, aux honneurs de la divinité qui l'avait puni (11).
Que restait-il pour le drame satyrique auquel Lycurgue, sans doute devenu dieu,
donnait son nom? On le sait encore moins que le reste. Seulement les fragments
qu'on en a (12), semblent contenir, sur une
certaine liqueur fermentée, faite avec du grain, le vin de ce pays barbare, des
plaisanteries analogues au trait que nous avons remarqué chez le même poète,
dans une belle scène de ses Suppliantes (13),
et tout à fait en rapport avec ses habitudes bachiques (14).
On a donné (15) le nom collectif de Penthée à
trois tragédies d'Eschyle, tirées de la même légende mythologique, dont la
scène était, non plus en Thrace, mais à Thèbes. Dans la première,
Sémélé, qui avait encore un autre titre, les Hydrophores (16),
et où paraissait un dieu de l'invention du poète, Amphidromus (17),
la naissance de Bacchus était exposée avec des circonstances par lesquelles
s'expliquait peut-être l'origine des deux fêtes athéniennes, les Amphidromies
et les Hydrophories. La vengeance tirée par Bacchus irrité, et de la soeur de
sa mère, Agavé, et de son neveu Penthée, formait., à ce que l'on a cru, la
matière des deux tragédies suivantes, lesquelles avaient pour titres, l'une
les Bacchantes ou Penthée (18),
l'autre un mot peu intelligible pour nous, diversement expliqué (19),
dans lequel il faut peut-être voir une appellation nouvelle des Bacchantes, les
Xantries. Il reste de ces pièces bien peu de débris, et des débris qui ne
font guère connaître ce qu'elles pouvaient être. Toutefois, du rapprochement
d'une scolie sur un vers d'Aristophane (20) avec un
passage de Platon (21) , un critique d'une grande
pénétration (22) a tiré ce détail curieux, que,
dans la troisième, Junon paraissait sous la figure empruntée d'une vieille
prêtresse quêtant pour les nymphes des montagnes, filles d'Inachus. On sait
encore, par un passage de Suidas (23), qu'Eschyle y
avait donné l'exemple, suivi par Euripide dans son Hercule furieux (24),
de faire agir et même parler le personnage allégorique de la Rage, Lyssa,
lointain précurseur de la Haine introduite sur notre scène lyrique par
Quinault (25).
Junon, ennemie de Bacchus, comme de tous les enfants nés de Jupiter et de ses
maîtresses, traita, on le sait, bien cruellement la soeur de Sémélé, Ino, et
son mari, le roi béotien Athamas, qui s'étaient chargés d'élever le jeune
dieu. De là sur l'égarement d'Athamas, qui prend sa femme et ses enfants pour
une lionne avec ses lionceaux, et fait périr de sa main le jeune Léarque, sur
la fuite d'Ino avec son autre fils Mélicerte, et leur admission merveilleuse
parmi les dieux de la mer, enfin sur l'institution par Sisyphe, ou le
rétablissement par Thésée des jeux isthmiques destinés à honorer celle qui
avait payé si cher l'honneur d'être la nourrice et la gouvernante de Bacchus,
sur ces sujets divers trois tragédies, indirectement, on le voit, Dionysiaques,
les Faiseurs ou les Traîneurs de filets (26),
Athamas, les Théores ou les lsthmiastes, qu'on a groupées
(27) en trilogie, sous le titre général
d'Athamas.
Sophocle, auteur de deux Athamas, a fait aussi, comme Euripide, une Ino,
mais non des Bacchantes. Il ne paraît pas qu'il ait touché aux deux
grands sujets tragiques que présentait surtout l'histoire de Bacchus, et qu'on
avait retracés de préférence sur les murailles de son temple à Athènes (28),
Lycurgue et Penthée,.En revanche, ces deux sujets, et plus particulièrement le
dernier, tantôt sous le titre de Penthée, tantôt sous celui des Bacchantes,
peut-être sous les deux à la fois, furent traités de nouveau par le fils de
Sophocle, Jophon (29), par le rival heureux
d'Euripide, Xénoclès (30), par Chérémon (31),
par Cléophon, Lycophron (32). Ajoutons, pour
finir, que Carcinus, Diogène OEnomaüs, Spintharus sont cités (33)
comme ayant fait, après Eschyle, chacun une Sémélé (34).
De cette revue, sans doute incomplète, et dont on me pardonnera la sécheresse
nécessaire, ressort avec évidence ce que j'avançais en commençant, que rien
n'était plus commun sur le théâtre de Bacchus, dans les représentations
dramatiques ramenées par les fêtes du dieu, que des tragédies empruntées à
son histoire. Cela peut faire apprécier l'étonnement que cause à Brumoy le
choix du sujet traité par Euripide dans les Bacchantes; l'apologie par
laquelle il essaye de sauver l'honneur du poète, en insinuant que cette pièce,
d'une poésie si élevée et d'un effet si terrible, était un drame satyrique
ou quelque chose d'approchant (35); en
conjecturant, avec une timidité bien étrange, qu'après tout cette pièce,
drame satyrique ou tragédie, avait fort bien pu être destinée à la
décoration de quelque solennité bachique, comme si la chose n'était pas vraie
de toutes les pièces grecques, de tous genres et de tous sujets, sans
exception.
Les Bacchantes, je l'ai dit ailleurs (36),
furent données avec l'Iphigénie en Aulide et l'Alcméon du même
poète, après sa mort, l'année même ou l'année suivante, à Athènes, par
Euripide le jeune (37). Si, comme on l'a cru, comme
il y alleu de le croire, ces tragédies, déjà connues du public (38),
étaient alors ramenées sous ses yeux par un hommage pieux à la mémoire du
grand homme qu'il venait de perdre, le fait seul de cette reprise, honorable
pour toutes trois, témoignerait de l'estime dont jouissaient en particulier les
Bacchantes.
Elles furent au nombre des pièces d'élite qui, souvent représentées sur les
scènes diverses de la Grèce, passèrent de là en Asie. On les y jouait
encore, j'ai eu aussi occasion de le dire (39), au
temps de la défaite de Crassus. Elles eurent place dans le répertoire que le
rude génie d'Attius surtout (40) créa, avec les
chefs-d'oeuvre du théâtre grec, pour le théâtre de Rome. Nulle tragédie, et
ici il me faut de nouveau renvoyer aux exemples que j'en ai cités (41),
n'a fourni, en plus grand nombre, à l'entretien des hommes illustres, de ces
allusions qui montrent la popularité d'un ouvrage. Enfin, chez les rhéteurs,
chez les poètes de l'antiquité, on rencontre partout sa trace par exemple chez
Philostrate, qui, dans un des tableaux qu'il décrit (42),
chez Théocrite, qui, dans une de ses pièces (43),
en donnent comme l'argument; chez Catulle (44),
Virgile (45), Horace (46),
Properce (47), Ovide (48),
Perse (49), Sénèque (50),
Stace (51), qui lui empruntent à l'envi des
expressions, des images, des tableaux, des exemples, quelquefois même des
motifs de parodie. Ces emprunts sont pour elle autant de titres glorieux que je
devrai recueillir à mesure que me les rappellera l'analyse de la pièce.
Par un contraste singulier, ce cette même pièce, si admirée des anciens, n'a
pas plu, il s'en faut, aux critiques modernes. Brumoy la défend à peine,
Prévost la condamne plus hardiment, La Harpe la rejette avec mépris,
Métastase en plaisante; W. Schlegel seul, revenant, non sans quelque
exagération (52), au sentiment de l'antiquité, la
proclame le chef-d'oeuvre d'Euripide.
D'où vient entre les anciens et les modernes un tel désaccord? De la
diversité du point de vue. Nous sommes, nous, dans les Bacchantes, moins
charmés de la forme que blessés du fond, pour lequel les anciens étaient et
devaient être indulgents. Une divinité toute sensuelle, une divinité qui se
venge, et si cruellement, ne les révoltaient point : le poète avait dû les
accepter de la tradition (53) ; ils les acceptaient
du poète sans difficulté, à la condition toutefois que, de cette fable
consacrée, il saurait tirer des effets touchants, terribles, poétiques. Nous
sommes loin d'apporter au jugement de l'oeuvre d'Euripide une disposition
semblable, de pouvoir nous détacher aussi complètement de ce qu'elle exprime,
pour ne songer qu'à l'expression elle-même.
Il faut cependant être juste envers Euripide et penser qu'il apercevait, à peu
près aussi bien que nous, ce qu'il y avait de déraisonnable, de choquant dans
la légende qu'après, avant tant d'autres, et comme eux, sauf des différences
d'exécution, il transportait sur la scène. Cette légende était placée sous
la garde de la religion, adoptée par la dévotion populaire, vivante en quelque
sorte, non-seulement dans les représentations de l'art (54),
mais dans des monuments regardés comme authentiques. Ne voyait-on pas, ne
révérait-on pas, sur une place de Corinthe, deux statues de Bacchus,
fabriquée avec le bois même de l'arbre du Cithéron, où s'était placé
Penthée pour observer les mystères secrets des Bacchantes (55)?
Euripide, après Eschyle et d'après lui (56),
composa sa tragédie sur des données de leur nature invariables, en quelque
sorte inviolables , soustraites à la libre disposition de l'écrivain, comme
aussi au contrôle de la critique; il ne se proposa, c'était son droit, dont il
serait injuste de lui demander compte aujourd'hui, que d'en tirer
littérairement le meilleur parti possible, leur témoignant, par la
consécration nouvelle qu'elles recevaient de son art, une déférence
officielle, et se permettant sans doute de les juger, à part lui, ce qu'elles
valaient.
Cette situation un peu équivoque, qui fut toujours celle d'Euripide (57),
s'exerçant, avec une conviction apparente, sur des sujets réprouvés par sa
raison, ne semble-t-il pas qu'elle se trahisse dans des paroles qu'il prête à
un personnage de ses Bacchantes, mais où c'est lui-même qui s'explique, on l'a
remarqué (58), et cela est bien évident, car il y
appelle antiques croyances ce qui précisément s'établit dans sa pièce.
« Je ne dispute pas sur les dieux. Ces traditions des ancêtres, contemporaines
des plus vieux âges, quel raisonnement les pourrait ébranler? que trouveraient
contre elles les plus grands esprits (59)? »
C'est là un langage assez semblable à celui d'Horace, lorsque, faisant amende
honorable de son incrédulité, il se dit sage d'une fausse sagesse, «
insapientis.... sapientiæ consultus (60); » à
celui de Tacite, lorsqu'il prétend que, sur les actes des dieux, il est plus
religieux, plus repectueux de croire que de savoir : « Sanctius est ac
reverentius de actis deorum credere quam scire (61).
Les Bacchantes ne manquent pas de, passages (62)
où Euripide oppose encore de même, aux témérités sceptiques du libre
penser, la docilité de la foi. Par là je ne pense pas qu'il ait l'intention,
comme on l'a prétendu (63), de faire une allusion,
qui serait peu généreuse, aux irrévérences, chèrement payées, d'Alcibiade
; je pense plutôt , avec d'autres (64), qu'il veut
se mettre à couvert contre les accusations d'impiété qu'avaient plus d'une
fois provoquées ses hardiesses et auxquelles devait bientôt succomber Socrate.
Toutefois, dans ces passages mêmes, perce son dissentiment. On y aperçoit,
ceux du moins qui savent comprendre, qu'il se soumet, sans que sa raison y
adhère, à la religion de l'État; que, s'adressant à deux sortes d'auditeurs,
il parle à la fois et en poète chargé d'exprimer, au milieu de solennités
religieuses, sur une scène sainte, les croyances publiques, et en philosophe
qui adroitement, prudemment s'en sépare.
Cette duplicité d'intention a souvent refroidi ses ouvrages; mais elle n'a pas
le même inconvénient pour celui-ci, où, se contentant de quelques rares et
discrètes réserves, qui échapperont à la foule, il entre plus franchement;
plus pleinement que partout ailleurs, dans l'esprit de son sujet. Lui qui trop
souvent se plut à expliquer scientifiquement, philosophiquement, et par là, à
dénaturer, à supprimer les merveilles mythologiques qu'il était censé
célébrer, consent ici à se placer, avec un art plus naïf et non moins
ingénieux, dans une sphère toute merveilleuse. Le merveilleux semble, dès le
début, prendre possession de la scène elle-même par des vers qui nous
invitent à y voir, dans une enceinte sacrée dont Cadmus a interdit l'approche
aux profanes, et que la piété d'un fils a entourée d'un rempart de pampres
verts, le tombeau de Sémélé et les ruines de son palais : ruines fumantes,
où vit encore la flamme qui le consuma, monument immortel de l'amour de Jupiter
et du courroux de Junon (65). La tragédie qui doit
se développer sur une scène ainsi décorée, pour les yeux de l'esprit du
moins, est remplie, à peu près tout entière, de la divinité de Bacchus.
Bacchus, c'est pour les acteurs du drame, trompés par l'apparence, seulement un
jeune serviteur du dieu, beau, aimable, plein de mollesse et de douceur, dont le
courroux ne s'exprime que par l'ironie; mais, pour les spectateurs mis dans le
secret de l'action, c'est le dieu lui-même, tantôt le plus bienfaisant,
tantôt le plus redoutable des dieux (66). Des
signes surnaturels, en général plutôt décrits que montrés, signalent sa
puissance : les fers tombent de ses mains ; les cachots ne peuvent le retenir;
le palais où il est prisonnier s'embrase de lui-même et s'écroule; le son de
sa voix se fait entendre hors même de sa présence; sa volonté interrompt
l'ordre de la nature, change les coeurs, détruit la raison. Au double
personnage, visible et invisible, rempli par Bacchus, au double caractère de
bonté charmante et d'implacable, d'effroyable ressentiment, qui lui est
attribué, correspond un contraste analogue entre deux classes fort diverses de
Bacchantes. Les unes, ce sont celles qui composent le choeur, qui occupent
constamment la scène, docilement soumises à l'empire de Bacchus, n'en
éprouvent que les salutaires influences ; les autres, Bacchantes involontaires,
sont livrées à d'incroyables fureurs, douées d'une force destructive et
terrible, dont les effets sont attestés par des récits pleins d'une
vraisemblance persuasive (67). On n'a pas assez dit
tout ce qu'il y a d'art dans cette exposition des aspects contraires du culte
mystérieux de Bacchus ; dans une disposition qui fait, des prodiges d'un tel
sujet, deux parts, dont la plus forte, éloignée des yeux, est rendue présente
à la seule imagination, qui peut tout croire, quand on sait lui mentir
habilement. Cette heureuse expression du merveilleux est à la fois l'excuse et
le principal mérite de la pièce. Le merveilleux enlève les événements
qu'elle retrace à l'ordre commun des choses, la dispense des vraisemblances
ordinaires, l'absout des vulgaires critiques, et en même temps lui communique
un intérêt de l'ordre le plus élevé.
Ce qui caractérise encore cette pièce, c'est l'inspiration lyrique,
dithyrambique qui y domine. Par là, en même temps qu'elle reproduit un des
premiers sujets traités par la tragédie naissante, elle revient aussi, mais
sans rien perdre de ce que l'art avait acquis depuis ce temps, à sa forme
primitive, celle d'une longue cantate entremêlée de récits et de dialogues.
Cette cantate est d'une vivacité, d'un éclat qui suffiraient seuls à
expliquer la grande fortune faite chez les anciens par les Bacchantes.
Quelque chose qui l'explique encore, et dont nous devons tenir compte, c'est
l'attrait du spectacle, du mouvement inusités par lesquels Euripide, qui, de
tant de manières, avait renouvelé la scène, osait ici l'animer. Il enlevait
au choeur , non pas peut-être le premier, car Eschyle avant lui pouvait avoir
prêté à ses Bacchantes les mouvements désordonnés de ses Euménides, il
enlevait au choeur son attitude calme et presque immobile, sa démarche
régulière ; ce choeur couronné de pampre et de lierre, vêtu de peaux de
bêtes fauves, armé de thyrses, c'est ainsi qu'il se décrit lui-même,
Euripide le faisait bondir tumultueusement aux sons mêlés de la timbale et de
la flûte phrygienne.
En résumé, le goût très-vif des anciens pour une tragédie peu appréciée
des modernes s'explique et par l'autorité, alors au-dessus de tout examen, des
fables qui en étaient le fondement, et par le talent du poète à exploiter le
merveilleux consacré de son sujet; à entourer son oeuvre des séductions les
plus puissantes de la poésie et du spectacle; ajoutons à faire jaillir, par
intervalles, de cette étrange mythologie, les traits de nature, si vrais, si
pathétiques, qui jamais ne manquèrent à l'un des interprètes les plus
éloquents qu'ait eus la misère humaine. C'en est assez sur ces préliminaires.
Il faut finir notre préface de critique et arriver à la préface du poète,
c'est-à-dire au prologue par lequel, en son nom, Bacchus lui-même fait
l'ouverture du spectacle.
Pourquoi Euripide le jeune n'a-t-il pas retranché ce prologue avec celui de
l'Iphigénie en Aulide (68) ? par une raison bien
simple; c'est que la pièce ne pouvait s'en passer. De même qu'au début de l'Ajax
(69) Minerve seule pouvait faire connaître ce
qu'elle savait seule, par quel égarement d'esprit avait été abusé le héros,
de même ici on ne pouvait apprendre que de Bacchus que, sous une forme
mortelle, sous les traits et l'apparence d'un ministre du dieu, c'était le dieu
lui-même qui paraissait.
A cette confidence s'en ajoutent beaucoup d'autres que je dois aussi redire.
Ayant quitté la Lydie, la Phrygie, où se sont élevées ses premières années
(70), il a parcouru successivement, pour y établir
son culte, la Perse, la Bactriane, la Médie, l'Arabie, l'Asie Mineure enfin,
avec sa population mêlée de Barbares et de Grecs : il entre pour la première
fois dans une. ville grecque, celle de Thèbes. Mais sa divinité n'y est pas
reconnue, tout au contraire. Les soeurs mêmes de sa mère, les filles de
Cadmus, Agavé, Autonoé, Ino, prétendent que Sémélé, par le conseil de son
père, a imputé au maître des dieux le crime d'un simple mortel, et que ce
mensonge sacrilège a été justement puni par un coup de foudre. Leur fils, et
leur neveu, Penthée, à qui Cadmus, accablé d'ans, a remis le gouvernement de
Thèbes, n'est pas plus disposé à recevoir comme dieu celui qu'il croit aussi
le fils d'un mortel, à l'admettre au partage des honneurs divins, des
libations, des sacrifices. Bacchus annonce le dessein de se venger de tous ces
mépris et sans retard. Déjà, remplies par lui d'une fureur étrange, les
trois filles de Cadmus, et avec elles toutes les femmes nubiles de Thèbes, ont
quitté, en habit de Bacchantes, leurs demeures pour aller errer dans les
solitudes du Cithéron (71). Il va les y
rejoindre, et cependant appelle sur la scène de jeunes Lydiennes, servantes
volontaires et passionnées de Bacchus, qui ont suivi, à ce qu'elles pensent,
un de ses prêtres, et lui-même en réalité. Il leur ordonne de faire retentir
au seuil même du palais de Penthée, avec le bruit de leurs tambours sacrés,
leurs chants religieux. Elles obéissent, et, dans des strophes d'une audace,
d'un emportement, d'un désordre dithyrambique, elles proclament le nouveau
dieu, rappelant les merveilles de sa naissance, expliquant les rapports de son
culte avec ceux de Jupiter et de Cybèle, peignant sa propagation rapide sur la
terre, son passage d'Asie en Europe; enfin, par le tableau le plus animé de ses
saintes extases, de ses entraînantes orgies, tableau qu'accompagnaient sans
doute une expressive pantomime, une danse tumultueuse, elles y convient
hautement le peuple thébain. Cette magnifique introduction dont se sont
quelquefois souvenus, je l'indiquerai en note, les grands poètes latins, est un
morceau trop caractéristique pour ne le point citer, bien que les dégradations
du texte, qui en ont redoublé l'obscurité primitive, le rendent difficile à
entendre, et qu'il ne soit pas plus facile à traduire.
« Des régions asiatiques, des hauteurs du Tmolus, doux travail ! aimable
fatigue ! j'ai, pour le service de Bromius, précipité ma course, célébrant
les louanges du dieu. Qui est là, qui est là, dans ces rues, dans ces maisons?
Qu'on s'écarte, que chacun commande à sa langue un silence religieux ! Je
vais, selon les saintes lois, entonner l'hymme de Bacchus (72).
« Oh! bienheureux le mortel qui, instruit dans la science sacrée, et
s'abandonnant sur les montagnes à de pieux transports, purifie sa vie,
sanctifie son âme ; qui célèbre les vénérables orgies de la grande déesse,
Cybèle, ou bien, le thyrse en main, la tête couronnée de lierre, se consacre
au service de Bacchus! Allez, Bacchantes, allez; Bromius, Dionysus, ce dieu
enfant d'un dieu, amenez-le des montagnes de la Phrygie dans les vastes villes
de la Grèce.
« Surprise des douleurs de l'enfantement, au moment où volaient vers elle ces
foudres de Jupiter qui devaient la frapper d'un coup mortel, sa mère le rejeta
de son sein; mais le fils de Saturne le reçut, et, pour le soustraire à Junon,
le cacha dans sa cuisse que refermèrent des agrafes d'or. II l'engendra de
nouveau quand les Parques, achevant l'oeuvre, eurent rendu capable de naître le
dieu aux cornes de taureau. Il lui ceignit la tête d'une couronne de serpents,
et de là vint que la Ménade, armée du thyrse, entrelaça depuis sa proie
venimeuse avec les tresses de ses cheveux (73).
« Thèbes, nourrice de Sémélé, couronne-toi de lierre; pour célébrer la
fête bachique, pare-toi, pare-toi des rameaux verdoyants, des grappes fleuries
du smilax, des feuilles du chêne ou du pin : revêts la dépouille tachetée de
la biche, et par-dessus, la blanche toison de la brebis : qu'en tes mains le
flambeau s'agite et menace. Tout ce peuple bientôt prendra part à la danse
sacrée. C'est Bromius qui :a mène à la montagne, à la montagne (74)
où déjà habitent ces lemmes chassées en foule, loin de leurs navettes et de
leurs faseaux, par l'aiguillon du dieu.
« Antre divin de Crète, qui fus la demeure des Curètes et le berceau de
Jupiter, c'est dans ta retraite sauvage que les Corybantes, balançant sur leur
front la triple aigrette de leur casque, inventèrent cet instrument arrondi que
recouvre une peau sonore; ils en mêlèrent le bruit aux doux accents de la
flûte phrygienne; ils le placèrent dans les mains de Rhée, qui en accompagna
le chant des Bacchantes. Ravis et transportés, les Satyres l'obtinrent de la
déesse, et en animèrent les choeurs de ces Triétérides (75),
qui charment Dionysus.
« Oh! quelle joie, clans les montagnes, portant la sainte peau de cerf, ou de
suivre le chœur rapide, ou de s'en séparer pour se jeter sur la terre, y
déchirer de ses mains les chairs saignantes des boucs, et puis reprendre sa
course vers les sommets de la Phrygie, de la Lydie! C'est Bromius dont la voix
vous guide : Evoé ! Évoé ! De la terre coule le lait, coule le vin, coule le
nectar des abeilles (76). On respire comme la
vapeur de l'encens de Syrie. Bacchus cependant, agitant la flamme de son
flambeau, pressant de ses cris la marche furieuse, livre lui-même au souffle du
vent sa molle chevelure. On l'en-tend qui s'écrie: « Allons, allons,
Bacchantes, délices du Tmolus et de ses sources au sable d'or, faites, en
l'honneur de Dionysus, résonner vos tambours. Évoé! Évoé! Chantez, chantez
votre dieu, et que les accents phrygiens de vos voix s'unissent à ceux dont la
flûte harmonieuse réjouit votre « troupe toujours errante ! A la montagne !
à la montagne ! » Ainsi dit-il, et joyeuse, comme le jeune coursier qui suit
sa mère emportée (77), bondit d'un pied léger la
Bacchante (78). »
A ce choeur si vif, si hardi, si élevé, succède la scène la plus familière
: une de celles qui, par des traits approchant du comique, ce qui n'est pas rare
dans la libre tragédie des Grecs, ont pu suggérer à Brumoy cette étrange
idée, que les Bacchantes étaient une sorte de drame satyrique.
On y voit paraître cependant de bien graves personnages, le fondateur de
Thèbes, Cadmus, son devin Tirésias; l'un qui va bientôt disparaître de cette
antique légende, l'autre qui s'y perpétuera, acteur obligé de toutes les
fables qu'en doit tirer le théâtre, déjà qualifié de vieillard dans
celle-ci, et quatre générations après les événements qu'elle retrace (79)
retrouvant encore un rôle dans ceux qui font le sujet de l'Oedipe roi,
des Phéniciennes, de l'Antigone (80).
Tous deux ont ceint de lierre leur tête blanche, revêtu de la peau de cerf
leur corps courbé, armé du thyrse leur main tremblante; préludant, autant que
l'âge peut le leur permettre, aux extravagances consacrées de l'orgie
bachique, ils se mettent joyeusement en route, l'aveugle Tirésias guidé par le
chancelant Cadmus, pour aller rejoindre, sur le Cithéron, la troupe furieuse
des femmes thébaines. Euripide, dans cette scène, s'est proposé sans doute
d'exprimer l'entraînement du culte nouveau, auquel rien n'échappe, pas même
la froide raison, la débile caducité du vieillard. Rien de mieux ; mais n'y
a-t-il pas, comme cela lui est arrivé plus d'une fois (81),
trop sacrifié, bien qu'il s'en défende (82), la
dignité de la vieillesse?
C'est le sentiment de Penthée, qui survient. Il débute par un long discours,
auquel on peut reprocher de n'être adressé à personne, et de paraître
simplement une continuation du prologue. Rentrant, dit-il, après une absence,
dans son royaume, il a appris avec indignation les désordres scandaleux des
femmes thébaines, qui, sous prétexte d'honorer leur nouveau dieu, célèbrent
en réalité d'autres mystères. Plusieurs sont déjà tombées entre ses mains,
et par son ordre ont été chargées de fers, renfermées dans les prisons
publiques; il va faire poursuivre les autres et ne les épargnera pas davantage,
celles même qui lui tiennent de près, Ino, Autonoé, sa mère Agavé. Il se
propose surtout de sévir contre l'auteur de leurs égarements, un étranger
venu de Lydie, imposteur séduisant, dont les cheveux sont blonds et bouclés,
dont les yeux noirs. ont toutes les grâces de Vénus, qui passe avec ces femmes
les jours et les nuits, pour les initier sans doute aux secrets du dieu qu'il
annonce : « Si je le tiens une fois dans ce palais, ajoute-t-il, il cessera
bientôt de frapper la terre de son thyrse et d'agiter sa chevelure; sa tête
tombera sous le fer (83). »
Là-dessus Penthée aperçoit les deux vieillards dans leur bachique
accoutrement, et, avec une colère qui se modère à l'égard de Cadmus, mais ne
garde envers Tirésias aucun ménagement, il leur reproche leur folie, si
malséante à leur âge. Tirésias, de son côté, déplore l'aveuglement qui
fait méconnaître à Penthée un dieu justement révéré des hommes, comme
l'est Cérès elle-même, pour ses bienfaits, doué, ainsi qu'Apollon et Mars,
d'une puissance prophétique et guerrière, dont le culte va s'étendre
glorieusement sur toute la Grèce, auquel il sera bien dangereux d'avoir refusé
ses hommages.
Dans cette longue apologie, on doit distinguer un passage (84)
que cita, je l'ai dit ailleurs (85), avec
à-propos, Aristippe à Platon. Penthée vient de reprocher aux orgies bachiques
de corrompre les moeurs des femmes. Tirésias répond qu'elles ne peuvent rien
sur celles dont le coeur est pur : réponse adroite, mais, bien que répétée
plus loin par Bacchus lui-même (86), insuffisante
; Penthée eût pu répliquer qu'elles ménagent aux autres des occasions de
faillir, et que c'est bien assez pour que le législateur les condamne.
Il me semble aussi que, si le poète l'eût voulu, Penthée eût eu le droit de
trouver bien subtile l'explication étymologique (87)
que lui donne Tirésias de la tradition d'après laquelle Bacchus enfant était
resté enfermé quelques mois dans la cuisse de Jupiter, cette tradition que
rappellent, sans y rien changer, nous l'avons vu (88),
et cela se retrouve encore plus loin (89), les
Bacchantes lydiennes, bien instruites apparemment de ce qui concerne leur dieu (90).
En général, ce discours de Tirésias, qui n'est pas, j'en conviens, sans
beautés, a quelque chose de sophistique. Quand Tirésias insinue (91)
que Cérès, ce n'est qu'un nom par lequel est désignée la terre, ou plutôt
celle de ses productions qui nourrit les hommes ; quand il invite par là à ne
voir de même dans Bacchus qu'un autre nom, celui de la liqueur bienfaisante qui
réjouit leur coeur et charme leurs chagrins, n'y a-t-il pas là une sorte de
symbolisme peu convenable à un personnage qui professe une foi simple aux
mystères divins, mal placé dans une pièce où est sans cesse recommandée une
semblable disposition d'esprit, où est sans cesse blâmé, en fait de religion,
ce scepticisme curieux qu'on reprochait à Euripide, et dont il semblait qu'ici
il voulût s'abstenir?
Aux raisons de Tirésias, Cadmus en ajoute une qui n'est pas plus convaincante.
Penthée devrait, dit-il, Bacchus ne fût-il pas dieu, le reconnaître comme
tel, dans l'intérêt de leur famille, de laquelle il est sorti. Il l’engage
ensuite, plus convenablement, à éviter le sort de son jeune parent, le fils
d'Autonoé, Actéon, récemment puni par Diane (cette tradition ne se trouve, je
crois, que chez Euripide (92), pour s'être
orgueilleusement préféré à la déesse de la chasse.
Penthée persiste avec obstination, avec emportement, dans son hostilité contre
le dieu. Il laisse aller ses deux vieux serviteurs, se bornant à punir, sur le
siège augural du devin, qu'il veut que l'on renverse outrageusement, sur les
attributs de son art, qu'il fait disperser et détruire, le crime qu'il lui
impute, d'avoir, par ses discours, égaré la raison affaiblie de Cadmus; mais
il ordonne qu'on arrête au plus tôt et qu'on lui amène , afin qu'il le livre
au supplice, le prêtre de Bacchus.
Des critiques scrupuleux ont demandé pourquoi, dans sa colère, il laisse si
tranquilles ces femmes lydiennes, qui tout à l'heure menaient leurs choeurs
bachiques autour de son palais, qui ensuite, présentes à sa contestation avec
Tirésias et Cadmus, y sont intervenues pour approuver ses adversaires et lui
donner tort. C'est que ces femmes composent le chœur, et qu'il faut bien
acheter, par quelque invraisemblance, il y a de cela plus d'un exemple (93),
sa présence continuelle sur la scène.
Il l'occupe une seconde fois par un intermède lyrique, où est éloquemment
détestée l'audace impie de Penthée et des mortels qui lui ressemblent. On
peut dire cependant, et on a dit, qu'il semble lui donner raison, lorsque ce
culte de Bacchus, qu'il a déjà quelque peu compromis en le liant au culte de
Cybèle, il le rattache maintenant à celui de Vénus. Un peu plus loin, il est
vrai, comme par compensation, il en transporte , par la pensée, le siège, de
la voluptueuse Paphos au sublime Olympe, séjour des Muses. Ces relations
secrètes entre les diverses religions de la Grèce, dont le mystère a si
vivement intéressé la curiosité de la science moderne (94),
sont indiquées dans ce morceau avec moins de clarté que de charme poétique.
Cependant on amène à Penthée celui que réclamait sa vengeance, et qui de
lui-même, en souriant, a tendu les mains à ses satellites, lesquels, par
crainte religieuse, n'osaient le saisir. On lui annonce en même temps
l'évasion de ses captives; leurs fers se sont détachés, les portes de leur
prison se sont ouvertes pour leur livrer passage (95);
invoquant Bacchus à grands cris, elles ont été rejoindre leurs compagnes dans
les forêts du Cithéron. Cette fuite merveilleuse ne trouble point Penthée,
qui se croit plus sûr de son nouveau prisonnier.
C'est une situation bien frappante que celle de ce roi superbe, en présence
d'un ennemi qui lui semble si faible, si méprisable, qu'il raille, qu'il
insulte, qu'il menace à plaisir, et qui pourtant, sous l'extérieur le plus
paisible, le plus serein, cache un dieu puissant, irrité, prêt à tirer de ses
affronts une affreuse vengeance. Cette situation, dont le spectateur a le
secret, donne à chaque trait du dialogue, même aux plus simples, à ceux qu'on
croirait le moins tragiques, une signification terrible.
Aristophane fait quelque part (96) aux Edoniens
d'Eschyle une allusion de laquelle on a cru pouvoir conclure (97)
que, dans cette tragédie, Lycurgue tenait envers Bacchus, qu'on lui amenait
prisonnier, le même langage ironique que lui adresse ici Penthée :
« Mais, en effet, étranger, tu ne manques pas d'agrément; tu as ce qu'il faut
pour séduire les femmes, soin qui, sans doute, t'amène à Thèbes. Ta longue
et flottante chevelure, qui se répand amoureusement autour de tes joues (98),
n'est pas celle d'un lutteur, et ce teint blanc et délicat, il ne s'est pas
formé aux ardeurs du soleil, mais à l'ombre, où tu amorces par ta beauté la
proie de Vénus (99). »
Vient ensuite un interrogatoire dans lequel Penthée croit rire du captif, qui
insulte au contraire à son aveuglement, à ses menaces, à son impuissance. Là
sont des vers célèbres par l'usage qu'en ont fait les philosophes stoïciens (100),
et que comme eux en a fait Horace (101) pour
exprimer l'inviolabilité du sage :
BACCHUS.
A quoi dois-je m'attendre? quel supplice me prépares-tu?
PENTHÉE.
D'abord je ferai tomber cette élégante chevelure.
BACCHUS.
Elle est sacrée; elle appartient au dieu pour qui je l'entretiens (102).
PENTHÉE
Il faudra que tu me livres ce thyrse.
BACCHUS.
Ose me l'arracher. C'est celui de Bacchus.
PENTHÉE.
Pour toi, je te jetterai dans les fers.
BACCHUS.
Le dieu me délivrera, quand je voudrai (103).
Ce qui suit n'est pas moins remarquable :
PENTHÉE.
T'entendra-t-il? il est avec ses Bacchantes.
BACCHUS.
Il voit en ce moment même ce que j'endure ; il est ici.
PENTHÉE.
Où donc ? mes yeux ne l'aperçoivent point.
BACCHUS.
Avec moi; mais tu n'es qu'un impie; comment pourrais-tu le voir?
PENTHÉE.
Saisissez-le; il m'insulte, il insulte Thèbes.
BACCHUS.
Arrêtez; suivez, si vous êtes sages, un sage conseil.
PENTHÉE
Et moi, je veux qu'on t'enchaîne, je suis le maître.
BACCHUS.
Tu ne sais ce que tu fais, ni ce que tu es.
PENTHÉE.
Moi, le fils d'Agavé et d'Échion, Penthée !
BACCHUS.
Tu portes un nom de bien fâcheux augure.
Ici, comme ailleurs encore dans la pièce (104),
il est fait allusion au sens étymologique du nom de Penthée, lequel voulait
dire deuil. Cette allusion est une menace fort dramatique sur la scène grecque
où, j'ai dû le répéter souvent (105), au
choix même des noms propres, tout fortuit qu'il paraissait, était attribuée
une influence fatale. Le poète tragique Chérémon, auteur, je l'ai dit, d'un
Penthée, l'a reproduite dans cet esprits; mais Théocrite , qui l'a
transportée dans sa poétique analyse des Bacchantes d'Euripide (106),
n'en a fait qu'un détestable jeu de mots.
Penthée, ne pouvant réduire son adversaire au silence, ordonne, tout hors de
lui, qu'on le jette dans un cachot obscur, près de l'étable de ses chevaux (107).
L'autre sort avec des paroles que Penthée ne comprend point, mais qui sont
comprises du spectateur, et lui annoncent de loin le terrible dénouement :
« Les outrages dont tu m'accables, tu les payeras à ce Bacchus, qui n'est rien
selon toi. En me jetant dans les fers, c'est à lui que tu fais injure (108).
»
Il ne faut pas omettre de faire remarquer que cette fois les Bacchantes
lydiennes ont été comprises dans les menaces de Penthée. Il les vendra,
a-t-il dit, ou bien en fera ses esclaves. En attendant, il les a encore
laissées sur la scène, où leur présence était nécessaire (109).
Elles y font de nouveau entendre de belles strophes, dans lesquelles elles
reprochent à Thèbes de laisser insulter impunément les ministres d'un dieu
qu'elle a vu naître, et que bientôt elle adorera; dans lesquelles aussi,
s'adressant au dieu lui-même, quelque part qu'il soit (et tous les lieux où il
peut être, le vol de leur imagination les y transporte), elles le pressent de
venir défendre, contre un roi impie et audacieux, son prophète opprimé.
A cet appel répond de l'intérieur du palais la voix de Bacchus lui-même. Un
entretien merveilleux s'engage entre le dieu invisible et ses suivantes
fidèles, qui l'ont reconnu, et l'excitent à la vengeance (110).
La terre tremble, le palais s'écroule (111) et
s'embrase, la flamme jaillit du tombeau de Sémélé. Ivres de joies, mais en
même temps remplies d'une sainte horreur, les Ménades tombent, la face sur la
terre, d'où vient les relever leur jeune guide, miraculeusement délivré des
fers de Penthée.
Un récit assez court , mais d'une grande vivacité d'expression, fait
connaître les scènes extraordinaires qui viennent d'avoir lieu dans le palais.
On se rappelle que, par un raffinement de mépris, Penthée avait ordonné qu'on
emmenât près des étables le prétendu ministre de Bacchus. Il l'y a suivi,
et, pensant le charger de liens, il n'a, jouet d'une étrange illusion,
garrotté qu'un taureau, tandis que l'autre, tranquillement assis, le regardait
faire. Ensuite Bacchus est venu, qui a embrasé le palais : Penthée alors s'est
empressé avec ses esclaves pour éteindre l'incendie. Enfin, croyant que le
captif s'échappait, il a couru, l'épée à la main, après un fantôme que
Bacchus, sans doute, je le pense ainsi, dit en souriant le narrateur, avait
formé pour abuser ses regards (112) ; longtemps
il s'est fatigué dans cette vaine poursuite, qui le ramène enfin sur la
scène, haletant, effaré, et bientôt frappé de stupeur, quand il voit au
seuil du palais, engagé dans un paisible entretien avec les Bacchantes, son
fugitif, qui, content d'avoir été tiré de prison par le libérateur qu'il
attendait, proteste d'ailleurs qu'il n'a nulle envie de s'éloigner.
A ces merveilles s'en ajoutent d'autres, sujet d'un second et admirable récit,
qui achève de transporter l'imagination dans une sphère d'idées toute
merveilleuse. Il n'est fait cependant que par un homme de bien basse condition,
un bouvier, qui vient apporter au roi, non sans prendre d'abord quelques
précautions contre son naturel impatient et colère, des nouvelles assez
fâcheuses de ce qui se passe sur le Cithéron. Comme les personnages assez
ordinairement employés en pareille occasion par les tragiques grecs, comme le
berger de l'Iphigénie en Tauride (113),
et, qu'on me passe le mot, le palefrenier de l'Hippolyte (114).
il commence par des circonstances qui lui sont personnelles, circonstances bien
familières, mais dont s'est offensée à tort la délicatesse des critiques (115).
« Mon troupeau s'avançait vers le sommet de la montagne, à l'heure où le
soleil échauffe la terre de ses premiers rayons. Je vois trois troupes de
femmes, sous la conduite d'Autonoé, d'Agavé votre mère, enfin d'Ino. Toutes
dormaient sur la terre, les unes appuyées contre des branches de pin
amoncelées, d'autres reposant leur tête sur une couche de feuilles de chêne,
mais avec modestie, n'ayant rien de celles que vous dites, ivres de vin,
troublées par les sons de la flûte, poursuivre avec fureur, dans les bois, les
plaisirs de Vénus. Aux mugissements de mes boeufs, votre mère s'éveille et
s'élance en hurlant du milieu des Bacchantes. Elles secouent le sommeil profond
qui ferme leurs paupières, elles se dressent, se lèvent de toutes parts,
n'offrant à l'oeil ravi que de pudiques images, et les jeunes, et les vieilles,
les vierges encore libres du joug de l'hymen. Et d'abord elles répandent leurs
cheveux sur leurs épaules, elles rattachent les noeuds de leurs vêtements, et,
se faisant une ceinture de serpents qui lèchent leurs joues (116),
elles fixent sur leur corps la peau du cerf, ou la dépouille tachetée des
bêtes sauvages. Quelques-unes portent dans leurs bras un chevreau, ou le petit
d'un loup, offrant à ces animaux le lait dont leur mamelle est encore pleine ;
car elles viennent d'être mères et ont abandonné leurs enfants. Elles se
couronnent de lierre, de feuilles de chêne, de smilax fleuri (117).
Il en est qui, saisissant le thyrse, frappent un rocher, et il en sort une eau
limpide. Une autre abaisse sa torcha vers la terre, d'oit le dieu fait jaillir
une source de vin. D'autres veulent s'abreuver d'un lait pur, qui coule
aussitôt de la terre écartée pur leurs doigts. Leurs thyrses, couronnés de
lierre, distillent la douce rosée du miel (118).
Non, vous n'eussiez pu vous-même. à ce spectacle, vous défendre d'adorer le
dieu que maintenant vous repoussez. Cependant nous nous attroupons, bouviers et
gardeurs de brebis, pour deviser entre nous de ces nouveautés étranges, de ces
prodiges. Un homme de la ville, un discoureur, un imposteur, nous dit à tous :
« Habitants de ces sommets sacrés, voulez-vous que nous nous emparions, parmi
ces Bacchantes, d'Agavé, pour la ramener à son fils, qui nous en saura gré?
» Nous trouvons l'avis bon„ et nous mettons en embuscade dans des
broussailles. A l'heure accoutumée, elles s'arment toutes du thyrse et
commencent la bacchanale, invoquant, à grands cris, Iacchus, Bromius, le fils
de Jupiter : et il semblait que la montagne, que les bêtes sauvages, que tout
prît part à la fête et fût emporté par la danse sacrée (119).
Non loin de moi bondissait Agavé; je m'élance du bocage où j'étais caché,
pour la saisir; elle s'écrie : « O mes chiens rapides, nous voilà prises par
ces hommes ; suivez-moi, suivez-moi, armées de vos thyrses. » Nous fuyons pour
nous dérober aux Bacchantes qui vont nous déchirer. Elles se jettent avec
leurs mains désarmées sur nos boeufs qui paissaient, et vous les eussiez vues,
ou étouffer dans leurs bras la génisse mugissante, ou la mettre en pièces,
dispersant ses membres arrachés, et couvrant d'affreux lambeaux les arbres
ensanglantés. Les taureaux, d'ordinaire si terribles et si menaçants (120),
tombaient à terre sous la main de toutes ces jeunes femmes, et leur peau était
enlevée en moins de temps que vous n'en mettriez, ô roi, pour fermer vos
paupières. Bientôt elles s'abattent, comme une nuée d'oiseaux, sur les
plaines arrosées par l'Asopus, où croissent les moissons thébaines. Elles
attaquent en ennemies. sur les penchants du Cithéron, les villes d'Hysies,
d'Erylhres (121); elles ravagent, elles pillent,
elles enlèvent les enfants à leurs mères; le butin dont elles se chargent, le
fer, l'airain qu'elles emportent, se tient comme suspendu sur leurs épaules,
sans lien, par un miraculeux pou-voir ; elles posent impunément des torches
ardentes sur leurs têtes; et quand ceux qu'elles ont dépouillés s'arment avec
colère pour se venger, spectacle étrange, ô roi ! leurs traits s'émoussent
contre elles, tandis que les thyrses qu'elles lancent portent d'inévitables
blessures et font fuir des hommes devant ces femmes, sans doute par le pouvoir
de quelque divinité. Enfin elles reviennent d'où elles étaient parties, à
ces fontaines que leur dieu a fait jaillir pour elles; elles lavent le sang qui
les couvre et que lèche sur leurs joues la langue de leurs serpents (122)....
»
Ce récit, naïf, gracieux, énergique, plein tout ensemble de naturel et de
merveilleux, prêterait par ses beautés de détail à bien des commentaires. Il
serait long de dire combien d'inspirations heureuses en ont pu recevoir les
poètes et les artistes (123), les Praxitèle et
les Scopas (124), les Virgile et les Horace, pour
peindre ou le calme contemplatif, la stupeur immobile, ou le frénétique
emportement de la Bacchante. Lui-même, sans doute, devait beaucoup à ce qui
l'avait précédé en ce genre. Nous avons de la Lycurgie d'Eschyle, de
ses Edoniens (125), quelques vers dans
lesquels retentit avec fracas la sauvage et délirante musique du cortège de
Bacchus; un autre encore où, plus hardi qu'Euripide (Longin (126)
le lui reproche, peut-être mal à propos), le vieux poète avait représenté
comme saisi de la fureur dionysiaque, emporté par le mouvement de la
bacchanale, non pas les bêtes sauvages, la forêt, la montagne, mais le palais
de Lycurgue, à l'approche de Bacchus.
L'homme simple par lequel notre poète fait raconter tant de merveilles, en
conclut sensément la nécessité de céder au dieu, d'ailleurs bienfaisant,
qu'elles annoncent. Mais Penthée, dont la colère redouble l'aveuglement, ne
s'occupe que de rassembler des soldats pour réprimer sans délai les excès,
les attentats des Bacchantes. Alors cet hôte importun (127),
qu'il n'a pu tout à l'heure retenir dans ses fers, et dont il ne peut
maintenant enchaîner la langue, lui fait sentir l'imprudence de s'engager dans
une lutte où la défaite serait honteuse, l'amène par degrés, bien qu'il s'en
indigne d'abord (et ici se rencontre le vers par lequel Platon refusa la robe de
pourpre que lui offrait Denys (128), l'amène à
l'idée de prendre, afin de pouvoir observer en sûreté les actes des femmes
qu'il veut punir, un costume de Bacchante; lui offre enfin, pour l'aider à se
revêtir de ce déguisement, ses services, que Penthée accepte avec une
confiance où paraît déjà l'égarement de son esprit. A cet effet, il le suit
dans son palais, non sans avoir auparavant (les tragiques grecs n'ont point de
secrets pour leurs spectateurs) annoncé les suites de l'insidieux conseil qu'il
vient de donner. Bacchus, qui n'est pas loin (129),
troublera de plus en plus la raison de Penthée, qui, oubliant sa fierté, sa
dignité, se laissera conduire par la ville en habit de femme, et ira tomber, au
Cithéron, sous les coups de sa propre mère.
A cette annonce, le choeur célèbre la lente, mais sûre justice des dieux, qui
à la fin atteint toujours l'impie; il blâme l'orgueil qui se révolte contre
les lois divines.
Parmi plusieurs moralités, fort bonnes en elles-mêmes et fort bien exprimées,
mais dont la liaison n'est pas très sensible, on remarque, répétée deux fois
(130), dans une sorte de refrain, une maxime que
le poète ramenait en quelque sorte à son berceau; car, selon Théognis (131),
les Muses elles-mêmes. et les Grâces l'avaient chantée aux noces de Cadmus :
« Ce qui est beau, toujours on l'aime (132). »
C'est à peu près le sens de cette maxime, qui perd à être traduite.
Dans une première strophe, les jeunes Lydiennes, se félicitant de la liberté
que va leur rendre la chute du tyran de Thèbes, l'expriment sous la forme d'une
comparaison complaisamment prolongée, exemple remarquable et charmant de ces
épisodes poétiques que ne s'interdisait pas l'épopée et que recherchait
l'ode
« Je pourrai donc mêler encore mes pas aux choeurs nocturnes de Bacchus,
livrer de nouveau aux fraîches haleines des vents ma chevelure : telle la biche
se joue sur la verte prairie, quand elle ne craint plus la poursuite du
chasseur, qu'elle a franchi ses filets. Mais voilà que, derrière elle , il
presse de ses cris la meute ardente. Rapide comme la tempête, elle bondit le
long du fleuve, dans la plaine, allant chercher au sein de la forêt, la sombre
et solitaire retraite où elle se plaît loin des hommes (133).
»
Après ce choeur, assez court, le palais se rouvrait et offrait aux yeux,
parée, en quelque sorte, pour le sacrifice, par les mains mêmes du dieu, la
victime de Bacchus. Quand Penthée, les sens troublés, l'esprit en délire,
s'écriait (134), comme l'a répété Virgile (135),
qu'il voyait deux soleils, deux Thèbes ; quand il croyait suivre un taureau et
que son guide lui disait que maintenant il ne se trompait pas (136)
(on sait quel attribut tenait Bacchus de l'origine astronomique de son culte,
quels surnoms lui donnait le rituel sacré, dieu porte-cornes, aux cornes d'or,
aux cornes de taureau, au front de taureau, dieu taureau; quelques-unes de ces
épithètes se rencontrent dans cette pièce même (137),
et tout à l'heure c'était précisément un taureau que garrottait Penthée,
croyant lier son ennemi (138); quand le
malheureux, dont. la raison s'égarait de plus en plus, donnait ordre d'emporter
des leviers pour déraciner le Cithéron, demandant s'il pourrait charger sur
ses épaules la montagne avec les Bacchantes ; quand, occupé de son
déguisement bachique, voulant en faire parade devant les Thébains, il en
vantait avec complaisance l'exactitude, ou bien le laissait rajuster par ces
mains, dérisoirement empressées, qui le conduisaient à la mort; quand il
applaudissait, sans y rien comprendre, à ces sarcasmes cruels par lesquels on
lui annonçait sa fin : Tu les prendras probablement, si tu n'es pris
toi-même.... « C'est moi qui te conduis, un autre te ramènera.... tu
reviendras porté.... dans les bras de ta mère.... » ce qu'il y avait, dans
une scène si hardiment familière, de hasardé, de touchant au ridicule,
était, je m'imagine, bien effacé par la terreur qu'excitait le spectacle de la
raison humaine misérable-ment détruite au gré d'une divinité vengeresse, par
la vue rapprochée et déjà distincte de l'effroyable catastrophe.
Cette catastrophe, le choeur des Lydiennes l'appelle avec fureur:
« O Bacchus, le chasseur qui poursuit tes Bacchantes, enlace-le en souriant
dans tes lacs, quand il tombera au milieu de leur troupe meurtrière (139).
»
Bien plus, justifiant ce qui a été dit (140) de
la puissance prophétique que possèdent le dieu et ses ministres, il voit
l'événement, il le décrit; on le sait déjà, quand un serviteur de la maison
de Cadmus, plein de trouble et de douleur, vient le raconter à ces femmes qui
en triomphent. Il me sera permis de citer encore ce récit, qui ne le cède
point au précédent en verve poétique, en vivacité, en mouvement, où le
poète sait prendre tous les tons, gracieux, pathétique, terrible, poussant
même hardiment jusqu'à l'horreur tragique.
« Avant passé les limites du sol thébain, traversé les eaux de l'Asopus,
nous gravîmes le Cithéron, Penthée, moi, car j'avais suivi mon maître, et
l'étranger qui nous conduisait. D'abord nous nous assîmes sur l'herbe, dans un
bois, cessant de marcher, retenant nos voix, afin de voir sans être vus. C'est
dans une vallée profonde, fermée par des rochers, arrosée par des eaux
courantes, ombragée par des pins, qu'étaient retirées les Ménades se livrant
à d'aimables délassements. Les unes recouvraient de lierre leurs thyrses
dépouillés ; les autres, se jouant comme de jeunes coursiers détachés du
joug, répétaient tour à tour les paroles de l'hymne bachique. Penthée ne les
voyait point : « Étranger, dit-il, du lieu où nous sommes, mes regards
n'atteignent point jusqu'à ces Ménades dissolues. Si je montais sur un tertre,
sur quelque cime d'arbre, je pourrais être témoin de leur honte. Alors je vis
un prodige opéré par l'étranger. Il saisit une haute branche de pin qui se
dressait vers le ciel, l'attira, l'abaissa, jusqu'à ce qu'elle touchât la
terre, arrondie comme un arc, ou le cercle que forme le mouvement d'une roue
rapide.... Dessus il plaça Penthée, et, prenant soin de le soutenir pour qu'il
ne tombât point, il la laissa remonter avec lui dans les airs. Ainsi en vue,
Penthée fut aperçu les Bacchantes, avant de les apercevoir lui même.
Cependant l'étranger avait disparu. Une voix cria d'en haut, celle de Bacchus
sans doute : « O femmes, je vous amène celui qui vous méprise, vous, moi, mes
saintes orgies : punissez-le. » Et, à ces mots, une lumière éclatante
illumine le ciel et la terre ; l'air est en silence; les feuilles immobiles se
taisent ; on n'entend plus le cri des bêtes sauvages. Les Bacchantes n'avaient
pas saisi l'ordre du dieu; elles restaient en suspens, promenant de tous côtés
leurs regards, quand la voix retentit de nouveau. Reconnaissant enfin le signal
donné par Bacchus, les filles de Cadmus s'élancent, rapides comme une volée
de colombes, Agavé d'abord, puis ses soeurs, et toute la troupe des Bacchantes;
elles bondissent à travers la vallée, par-dessus les torrents, les rochers,
emportées furieuses par le souffle du dieu. Quand elles découvrirent mon
maître, d'abord, d'un rocher, qui lui faisait face, elles lancèrent vers lui
une grêle de pierres, quelques-unes des branches de pin, d'autres leurs
thyrses, le tout vainement: le lieu élevé où le malheureux s'était
imprudemment laissé placer, se sauvait pour le moment de leurs atteintes. A la
fin, s'armant de morceaux de bois de chêne et s'en servant comme de leviers,
elles essayèrent de déraciner l'arbre. Comme, après bien des efforts, elles
n'y pouvaient réussir, Agavé s'écria: « Allons, Ménades, entourez,
saisissez ce tronc, afin de prendre la bête sauvage qui nous échappe, et que
les secrets de nos choeurs sacrés ne soient point divulgués. » Mille mains
alors pressèrent le pin, qui fut arraché. Précipité du faîte, Penthée
tomba sur la terre, poussait de grands cris (141)
; il comprenait enfin quel sort l'attendait. La première, comme la prêtresse
chargée du sanglant sacrifice, sa mère se précipite sur lui. Il arrache de
son front la mitre qui le déguise, afin que l'infortunée le reconnaisse et ne
le tue point; il lui crie, touchant sa joue : « C'est moi, ma mère, Penthée,
ton fils, celui que tu as fait naître dans la maison d'Echion. Aïe pitié de
moi, ma mère, et, quels que soient mes torts, ne tue point ton enfant. » Mais
elle, l'écume à la bouche, les yeux renversés, n'était plus maîtresse de sa
raison; elle était possédée de Bacchus (142) ;
il ne la peut fléchir. Elle lui saisit le bras gauche, et des flancs du
malheureux se faisant un point d'appui, l'arrache, non par sa propre force, mais
par celle que lui donnait le dieu. Ainsi fait Ino de l'autre côté. Autonoé,
toute la foule des Bacchantes se pressent à l'entour : ce n'est qu'un cri.
Usant d'un reste de force, Penthée pousse des plaintes que couvrent leurs
hurlements. L'une emporte un bras, l'autre un pied avec sa sandale; des
entrailles, à découvert, toutes, les mains sanglantes, arrachent d'affreux
lambeaux, qu'elles jettent çà et là. Le corps entier est dispersé, les
rochers, les branches en portent les débris; qui pourrait les rassembler? La
tête est restée entre les mains d'une mère égarée, qui l'a attachée au
haut de son thyrse, la croyant celle d'un lion tué dans la montagne. Elle a
laissé ses soeurs parmi les Ménades, et se promène seule sur le Cithéron,
fière de sa déplorable conquête; elle vient la faire voir dans ces murailles,
invoquant à grands cris Bacchus, son compagnon de chasse et de proie, l'auteur
de sa victoire, d'une victoire qui lui coûtera bien des larmes (143).
»Le tableau que promet la fin de ce récit, Euripide ne nous l'envie pas. Il
nous montre Agavé, avec son affreux trophée, et dans les transports d'une joie
atroce à laquelle inhumainement s'associe le choeur. Plusieurs témoignages
font connaître à quel point une si terrible scène frappa l'antiquité (144)
et j'ai raconté (145) comment elle servit, dans
une cour barbare, de divertissement pour célébrer la défaite et la mort de
Crassus. Aux violentes impressions qui en résultent, se mêle quelque émotion
pathétique, quand la malheureuse femme, appelant tout le peuple thébain au
spectacle de sa victoire, y convie aussi son père Cadmus, son fils Penthée, et
se plaint, à plusieurs reprises, de leur trop longue absence (146).
C'est le trait de notre Thyeste (147),
s'écriant, l'horrible coupe dans la main :
. . . . Mais cependant je ne vois point mon fils.
Arrive Cadmus, avec des serviteurs qui portent ce qu'on a pu recueillir sur le
Cithéron des membres de Penthée. C'est lui que regarde le triste office
d'éclairer Agavé bien malheureuse dans sa folie, mais qui le sera davantage
quand elle retrouvera sa raison. Le vieillard lui-même fait cette remarque, que
nous avons eu ailleurs occasion de faire, au sujet de l'égarement d'Ajax et de
la désolante lumière qui le suit (148). Elle
explique ici, dans un de ces ingénieux commentaires, ajoutés par les tragiques
grec:, eux-mêmes à leurs œuvres, l'effet dramatique de l'éclaircissement
qu'on va lire :
CADMUS.
D'abord regarde le ciel.
AGAVÉ
Je le regarde; mais pourquoi ?
CADMUS.
Paraît-il toujours le même à tes yeux?
AGAVÉ.
Il me paraît plus pur, plus serein encore qu'auparavant.
CADMUS.
Ton âme est donc toujours égarée?
AGAVÉ
Je ne puis comprendre.... Mais il ne semble qu'une résolution soudaine se fait
en moi, que je retrouve mes sens et mes esprits.
CADMUS.
Veux-tu m'écouter et me répondre?
AGAVÉ
O0 mon père, tout ce que j'ai dit, je ne m'en souviens plus.
CADMUS.
Dans quelle maison t'a fait entrer l'hyménée?
AGAVE.
Dans celle d'Échion, né, dit-on, des dents du serpent.
CADMUS.
Et quel fils as-tu donné à ton époux?
AGAVÉ
Penthée, né de tous deux.
CADMUS.
Que tiens-tu dans tes mains?
AGAVÉ.
La tête d'un lion, m'ont dit les chasseresses, mes compagnes.
CADMUS.
Regarde-la, un instant suffit.
AGAVÉ.
Ah! que vois-je? que porté-je ?
CADMUS.
Regarde encore; apprends....
AGAVÉ
.La plus grande des douleurs, ô malheureuse !
CADMUS.
Te semble-t-il que ce soit la dépouille d'un lion ?
AGAVÉ
.Non, c'est la tête de Penthée. Infortunée!
CADMUS.
Je le pleurais, que tu le méconnaissais encore.
AGAVÉ.
Qui l'a tué? Comment ses restes sont-ils en mes mains?
CADMUS.
Terrible vérité que ta venue est désolante !
AGAVÉ.
Achève, mon coeur s'élance vers tes paroles.
CADMUS.
Tu l'as tué, toi et ta soeur.
AGAVÉ.
Où donc? dans ce palais? en quel lieu?
CADMUS.
Au lieu où Actéon fut dévoré par ses chiens.
AGAVÉ.
Mais qui conduisait au Cithéron ce malheureux?
CADMUS
Le désir d'insulter à Bacchus et à vos cérémonies.
AGAVÉ.
Et nous, comment y étions-nous ?
CADMUS.
Par suite de la fureur dont Bacchus a rempli toute la ville.
AGAVÉ.
Ah ! Bacchus nous a perdus.
CADMUS,
Vous l'aviez offensé (149) !...
Sénèque se souvenait de ce beau dialogue, il en faisait indirectement un
éloge que nous devons recueillir, quand il peignait la stupeur des Bacchantes
contemplant, sans se croire coupables de sa mort, les restes déchirés de
Penthée (150).
Par une disposition fort naturelle, il est suivi d'une tirade dans laquelle se
répand la douleur de Cadmus privé de celui qui était le soutien de sa
vieillesse, l'espoir de sa maison. Nous n'avons plus, le temps nous l'a ravi, le
morceau correspondant, une autre tirade, où se lamentait à son tour Agavé.
Nous tenons seulement d'un ancien, du rhéteur Apsine (151)
ou de Longin (152) qu'elle y apostrophait dans
son désespoir, comme l'Hécube des Troyennes gémissant sur le corps
d'Astyanax (153), chacun des membres de son fils.
Il faut blâmer Euripide d'avoir suggéré à Stace l'étrange idée de
représenter, dans les enfers, Echicon qui s'occupe de rajuster le corps de
Penthée (154); à Senèque, le modèle de
l'abominable inventaire qu'il fait faire par Thésée des restes d'Hippolyte (155).
Mais il faut dire que si les tragiques grecs, auxquels on a fait si gratuitement
un mérite de ne point ensanglanter la scène, y produisent quelquefois des
spectacles qui passent en horreur tous les meurtres, ils n'en font pas, comme
leurs prétendus imitateurs latins, un texte pour les jeux les plus subtils du
bel esprit.
Il nous manque également le commencement du discours que tenait aux deux
infortunés Bacchus, venant, selon le trop constant usage des dieux-machines
d'Euripide, clore le spectacle, non plus sous la forme humaine qu'il avait
revêtue pendant le reste de la pièce, mais dans l'appareil de sa divinité. Il
leur expliquait un acte de justice vengeresse, qu'ils avaient le droit, le
poète l'a insinué plus d'une fois, de trouver excessif et odieux (156)
; il leur annonçait ce qu'ils avaient encore à attendre du sort.
Agavé, selon la loi des Grecs, ne peut rester à Thèbes, qu'elle a, bien
qu'involontairement, épouvantée, souillée, par un meurtre exécrable. Cadmus
lui-même doit s'en exiler avec son épouse, la fille de Mars, Harmonie. Tous
deux vivront chez les peuples de l'Illyrie; métamorphosés en serpents (157),
ils deviendront une sorte de signe belliqueux, de gage de victoire, pour ces
barbares, qui les placeront sur un chariot traîné par des boeufs, en tête de
leurs armées, quand ils marcheront contre les Grecs (158).
A la fin, Mars, prenant en pitié sa fille et son gendre, les transportera dans
les îles Fortunées.
La perspective lointaine d'un repos si chèrement acheté ne console point la
douleur présente de Cadmus. Les adieux déchirants du père et de la fille
prolongent la pièce peut-être un peu au delà des bornes, par une conclusion
fort semblable, en cela et en d'autres points encore, à celle de l'Électre du
même poète (159).
J'ai rapporté en note quelques fragments de l'imitation que fit Attius de cette
tragédie au septième siècle de Rome. Elle n'eût peut-être pas été
possible dans le siècle précédent, en présence du terrible senatus-consulte
qui. plus efficace que les ordres de Pentliée, extirpa de l'Italie le culte
secret de Bacchus (160). On peut conclure d'un
vers de Juvénal (161) qu'à une autre époque,
Stace écrivit, d'après Euripide, sous le titre d'Agavé, une sorte de
livret tragique pour le pantomime Paris (162).
Dans l'intervalle, Ovide avait composé, de l'hymne d'Homère et de la tragédie
d'Euripide, non sans quelque mélange du faux goût qui lui était propre, un de
ces beaux drames épiques qui forment le tissu de ses Métamorphoses (163).
Au quatrième siècle de notre ère, l'auteur des Dionysiaques, sur
lequel un important travail de critique, de traduction, d'interprétation (164),
rappelait récemment l'attention et la curiosité, Nonnus, a tiré à son tour
de la pièce grecque trois de ses chants (165)
dans lesquels brillent sans doute la régularité savante de sa versification,
l'harmonie et l'élégance de son style, la richesse de son imagination, mais
trop chargés, à son ordinaire, dans leurs longues narrations, leurs plus longs
discours, de curiosités mythologiques, de caprices descriptifs, et où la
vérité d'Euripide se retrouve moins que les exagérations et les recherches de
Sénèque. Ici doit s'arrêter notre revue, car je ne crois pas que chez les
modernes le sujet des Bacchantes, si complètement étranger à leurs
idées, à leurs sentiments, se soit reproduit ailleurs que dans les traductions
d'Ovide.
(01)
Pausan., Att., XX.
(02)
Hom. Hymn. VI, in Bacchum.
(03)
J. Poli., Onomast., VII, 12. Voyez notre t. I, p. 19.
(04)
Suid., v. Φρυνίχος. Φρύνιχος, Πολυφράδμονος ἢ Μινύρου, οἱ δὲ Χοροκλέους: Ἀθηναῖος, τραγικός, μαθητὴς Θέσπιδος τοῦ πρώτου τὴν τραγικὴν εἰσενέγκαντος. ἐνίκα τοίνυν ἐπὶ τῆς ξζ# ὀλυμπιάδος. οὗτος δὲ πρῶτος ὁ Φρύνιχος γυναικεῖον πρόσωπον εἰσήγαγεν ἐν τῇ σκηνῇ, καὶ εὑρετὴς τοῦ τετραμέτρου ἐγένετο. καὶ παῖδα ἔσχε τραγικὸν Πολυφράσμονα. τραγῳδίαι δὲ αὐτοῦ εἰσιν ἐννέα αὗται: Πλευρωνία, Αἰγύπτιοι, Ἀκταίων, Ἄλκηστις, Ἀνταῖος ἢ Λίβυες, Δίκαιοι ἢ Πέρσαι ἢ Σύνθωκοι, Δαναί̈δες.
(05) Aristoph. Thesmoph , 135; schol.
Aristoph., m. s. ap. Seidler (God. Hermann, De comp. tetralog. opusc., t.
II, p. 309). Voyez notre t. 1, p. 29.
(06) Welcker, Trilog.; God. Hermann, De
Eschyli Lycurg. Opusc., t. V, p. 1 sqq.; Ahrens, Aeschyl., F. Didot,
1842, fragm.
(07) Celui Aristophane, cité, d'après God.
Hermann, dans une des notes précédentes.
(08) Peuple
de Thrace.
Non ego sanius Bacchabor Edonis.
(Horat., Carm., Il, VII, 27.)
(09) Un des noms portés par les Bacchantes, selon
les uns de βασσάρα, peau de renard; selon d'autres, d'une ville de Lydie :
allusion au vêtement ou à l'origine de ces femmes. De là en latin Bassaris :
Et raptum vitulo caput ablatura superbo Bassaris...
(Pers., Sat. I, 100.)
(10) Νεανίσκοι.
(11) Voyez. plus haut. p. 167.
(12) Athen.,
Deipn. X.
(13) V.
952. Voyez notre t. 1, p. 178 sqq.
(14) Voyez
notre t. I, p. 35.
(15) Welcker,
ibid.
(16) Index Fabul. Aeschyli; schol. ad Hom.,
Iliad., IV, 319.
(17) Hesych.
Cf. Harpocrat.
(18) Aristoph. Byz., Praefat. ad Bacchas
Euripidis.
(19) Voyez
Welcker, Ahrens, ibid. ; Bode, Hist. de la poés. grecq., Tragéd., t.
III, p. 336. Cf. Boeckh, Grec. trag. princ., III. Ce dernier se fondant
sur le sens ordinaire de Ξάντριαι, les Cardeuses, conjecture que le
sujet de la pièce était la punition des filles de Minée, qui seules à
Thèbes s'étaient abstenues de célébrer la fête du dieu :
Intempestiva turbantes festa Minerva,
Aut ducunt lanas, aut stamina pollce versant,
Aut haerent telæ, famulasque laboribus urgent.
(Ovid., Metam., IV, 33.)
(20) Ran., 1385
(21) Republ., II, 5
(22) Valckenaer, Diatr. in Eurip. fragm., II.
(23) V.᾿Οκτώπουν
(24) Voyez, plus haut, p. 16 sq. Cf. Bacch.,
970
(25) Armide, acte III, sc. 3 et 4.
(26) Δικτυουργοί, Δικτυουλκοί
(27) Welcker, ibid
(28) Paus., Att., XX
(29) Suid. Ἰοφῶν, Ἀθηναῖος, τραγικός, υἱὸς Σοφοκλέους τοῦ τραγικοῦ γνήσιος ἀπὸ Νικοστράτης: γέγονε δὲ αὐτῷ καὶ νόθος υἱὸς Ἀρίστων ἀπὸ Θεοδωρίδος Σικυωνίας. δράματα δὲ Ἰοφῶν ἐδίδαξε ν#: ὧν ἐστιν Ἀχιλλεύς, Τήλεφος, Ἀκταίων, Ἰλίου πέρσις, Δεξαμενός, Βάκχαι, Πενθεύς, καὶ ἄλλα τινὰ μετὰ τοῦ πατρὸς Σοφοκλέους
Stob. Cf. Valckenaer, Diatrib.,
II; God. Hermann, Opusc., t. I, p. 49 sq
(30) Ælian., Var. hist., II, 8.
(31) Suid. Aristot., Rhet., II, 23
(32) Suid. Λυκόφρων, Χαλκιδεὺς ἀπὸ Εὐβοίας, υἱὸς Σωκλέους, θέσει δὲ Λύκου τοῦ Ῥηγίνου: γραμματικὸς καὶ ποιητὴς τραγῳδιῶν. ἔστι γοῦν εἷς τῶν ἑπτὰ οἵτινες Πλειὰς ὠνομάσθησαν. εἰσὶ δὲ αἱ τραγῳδίαι αὐτοῦ Αἰόλος, Ἀνδρομέδα, Ἀλήτης, Αἰολίδης, Ἐλεφήνωρ, Ἡρακλῆς, Ἱκέται, Ἱππόλυτος, Κασσανδρεῖς, Λάϊος, Μαραθώνιοι, Ναύπλιος, Οἰδίπους α#, β#, Ὀρφανός, Πενθεύς, Πελοπίδαι, Σύμμαχοι, Τηλέγονος, Χρύσιππος. διασκευὴ δ' ἐστὶν ἐκ τούτων ὁ Ναύπλιος. ἔγραψε καὶ τὴν καλουμένην Ἀλεξάνδραν, τὸ σκοτεινὸν ποίημα.
(33) Athen., Deipn., XIII, XIV.
(34) Sur tous ces poètes, voyez, en dernier lieu,
F. G. Wagner, Euripid., F. Didot, 1846, t. II, p. 915 sqq., Poet.
trag. groec. fragm., et dans notre t. I, les p. 30 sq., 69, 73 75, 99 sqq
(35) .... Adeo tragicam formam refert, ut
nonnisi imperito satyrica fabula videri potuerit. (Boeckh, Graec. trag. princ.
XXIV.)
(36) D'après le scoliaste d'Aristophane, ad Ran.,
v. 67. Voyez t. 1, p. 70. Cf. 134 sq.; III, 8.
(37) Selon Bceckh (Graec. trag. princ.,
XXIII, XXIV), ce fut avec des changemenfs dont le savant critique croit
retrouver la trace dans certaines variétés de leçons, qui ne manquent à
aucun ouvrage ancien, sans qu'on songe cependant à en tirer cette conséquence
; dans certaines ressemblances avec des passages d'autres ouvrages d'Euripide,
ressemblances faciles à expliquer chez un poète aussi fécond, et qui, comme
tous ceux qui produisent beaucoup, s'est beaucoup répété; dans certains
traits sophistiques, qu'à ce titre même il peut fort bien revendiquer; dans
certaines contradictions qui viennent ou d'une inadvertance de l'auteur, ou de
l'obscurité mythologique du sujet; enfin, ce qui serait plus spécieux, dans
certains mots, certains vers cités par les anciens comme appartenant aux Bacchantes,
et qui ne s'y trouvent plus aujourd'hui. Il est bien vrai, M. Boeckh le dit lui-
même, qu'ils peuvent avoir été cités ainsi à tort, et avant lui déjà, il
le rappelle aussi, on avait fait la remarque que peut-être ils avaient leur
place à l'endroit où existe malheureusement une lacune assez considérable,
c'est-à-dire après les v. 1319, 1320. Voyez, sur un autre argument de M.
Bæckh, qu'on peut aussi ne pas trouver assez concluant, notre t. 1, p. 134, sq.
(38) Quelques critiques (voyez, entre autres, G. H.
Meyer, de Euripidis Bacchabus, (Gotting., 1833, p. 60; M. Artaud,
traduction d'Euripide, Notice sur les Bacchantes, t. II, p. 207) pensent que tes
Bacchantes furent composées et représentées en Macédoine dans les
dernières années de la vie de l'auteur. Elles auraient alors été tout à
fait nouvelles pour le public athénien quand Euripide le jeune les fit jouer
avec l'Iphigénie en Aulide et l'Alcméon.
(39) T.I, p. 122 sq.
(40) Pacuvius aurait traité le même sujet
sous le titre de Penthée, s'il en fallait croire Servius, in Aen. IV, 469.
Mais peut-être ce scoliaste de Virgile a-t-il fait confusion avec les Bacchantes
d'Attius. C'est l'opinion d'Elmslev, in Euripid. Bacch., et récemment,
de O. Ribbeck, Trag. latin. reliq., 1852, p. 92, 290
(41) T. I, p. 134, 135, 138
(42) Imag., I, XVIII. Voyez notre t. I, p.
151
(43) Idyll., XXVI
(44) Carm., LXIII, 23; LXIV, 61, 252 sq.
(45) En., IV, 301, 469 sqq. ; VII, 385 sqq.
(46) Carm., II, XIC; III, I 1-4; XXV; Sat.,
II, III, 302; Epist., I, XVI, 73
(47) Eleg., III, XVII, 24; XXII, 33.
(48) Metam.
III, 511 sqq. ; IV, 1 sqq.; VI, 587 sqq.
(49) Sat.,
1, 100
(50) Oedip., 404 sqq
(51) Theb.,
IV, 565 sqq.
(52) On
en peut dire autant, je crois, ce l'apologie qu'en a faite en 1833 G. H. Meyer,
dans la dissertation citée plus haut, p. 410.
(53) Voyez Nonn., Dionys., XLIV, XLV, XLVI;
Apollod., Bibl., III, v. 2; Hygin., Fab. CLXXXIV, etc
(54) Pausan., passage déjà cité.
(55) Id., Corinth., II
(56) Aristoph., gramm. in Bacch.
(57) Voyez notre t. I, p. 43 sqq.
(58) Musgrave, etc
(59) V. 198. Cf. Valckenaer, Diatr. in Eurip.
fragm., V
(60) Carm., I, XXXIV, 3. Cf. Pind., Olyinp.,
IX, 56.
(61) Germ. XXXIV.
(62) V. 393, 424 sqq., 882 sq., 1339 sq.
(63) Musgrave; M. Artaud, Notice sur les
Bacchantes, citée plus haut, p. 238
(64) Tyrwitt; Valckenaer, ibid., etc.
(65) V. 5 sqq.
(66) Cf.
Horat., Carm., II, XIX, 25.
Choreis aptior et jocis
Ludoque dictus, non sat idoneus
Pugnae ferebaris; sed idem
Pacis eras rnediusque belli.
On ne t'avait cru propre qu'aux danses, aux jeux, aux ris, peu fait pour les
combats ; mais tu pouvais te partager entre la paix et la guerre.
(67) Aux
vers 50 sqq. du prologue, les premières semblent désignées par le nom de
Ménades, les secondes plus spécialement par celui de Bacchantes. Voyez
Musgrave, Brandt, etc.
(68)
Voyez t. III, p. 8 sqq.
(69) Ibid., t. II, p. 10 sqq
(70) Je suis une distinction proposée par
Musgrave, et qui sauve le désordre géographique reproché à cette
énumération par Strabon, liv. I.
(71) V. 35 sqq. A ce passage du prologue paraissent
se rapporter quelques-uns des rares débris des Bacchantes d'Attius:
Deinde omnes, stirpe cum incluta Cadmeïde,
Tumultu percitata, matrone vagant.
(NON., v. Vagas.)
Et nunc silvicolae, ignota invisentes loca.
(MACROB., Sat., VI, 5.)
Ubi sanctu' Cithaeron
Frondet vidirantibu' foetis.
(Non., v. Foetis.)
« A la suite des illustres filles de Cadmus, se sont précipitées en tumulte
toutes les dames de Thèbes.... et maintenant, retirées dans des solitudes
ignorées, elles habitent les bois.... en ces lieux où se couvrent de verts
feuillages les sommets sacrés du Cithéron.... » Voyez au sujet des fragments
de cette pièce, sur le texte desquels on n'est pas toujours d'accord, Bothe, Poet.
latin., scenic., 1823, p. 187 sqq.; O. Ribbeck, ibid., p. 140 sqq.,
335 sqq.
(72) Cf. Horat, Carm., III, r, 1 sq. :
Odi profanurn vulgus et arceo : Favete linguis...
(73) Cf. Horat., Carm., II, XIX, 19 sq.
:
Nodo coerces viperino
Bistonidum sine fraude crines.
(74) V. 120. Cf. 165, 979.
(75) Cf. Virg. , En., IV, 301 ;
Qualis commutis excita sacris
Thyas, ubi audito stimulant Trieterica
Baccho Orgia, nocturnusque vocat clamore Cithaeron.
Stat., Theb., II, 661 :
Non hæc Trieterica vobis
Nos patrio de more venit.
(76) Cf. Horat., Carm., II, XIX, 9, sqq. :
Fas pervicaces est mihi Thyadas
Vinique fontem, lactis et uberes
Cantare rivos, atque truncis
Lapsa cavis iterare mella.
(77) Cf. Horat., Carm., I, XXIII, l,
sqq. :
Vitae hinnuleo me similis, Chloe,
Quaerenti pavidam montibus aviis
Matrem, non sive vano
Aurarum et silvae metu.
(78) V. 64-167.
(79) Cf. Eurip., Phoeniss., 7 sqq.
(80) Voyez t. II, p. 168 sqq., 272; III, p. 302 sqq
(81) Voyez t. II, p. 348 sq.; lII, 214, 62 sq., 279
sqq.; IV, 219 sqq., 223
(82) V. 202 sqq.
(83) V.
231 sqq. Peut-être est-ce dans une imitation de ce portrait qu'il faut placer
le passage suivant d'Attius :
Forma figura, nitiditate, hospes regius.
(84) V.
312 sqq. (NON, de Nitiditas)
(85) T.
I, p. 134.
(86) V.
479 sqq
87) V. 284 sqq
(88) V.
91 sqq.
(89) V.
517
(90) M.
Boeckh, à qui il répugne (Graec. trag. princ., xxiv) de mettre sur le compte
d'Euripide un passage de si mauvais goût, et la contradiction qui en résulte,
tire de là un de ses principaux arguments pour établir que les Bacchantes
n'ont pas été remises au théâtre sans de graves et quelquefois de malheureux
changements. Voyez, plus haut, p. 238, et t. 1, p. 134 sq.
(91)
V. 274 sq. L'épicurien Lucrèce n'a pas depuis parlé autrement
Hic si quis mare Neptunum, Cereremque vocare
Constituet fruges, et Bacchi nomine abuti
Mavult, quam laticis proprium proferre vocamen;
Concedamus, ut hic terrarum dictitet orbem
Esse deum Matrem, dum verz re tamen ipse.
(De Nat. rer., II, 655.)
« Que s'il plaît à quelqu'un d'appeler la mer Neptune, le blé Cérès,
d'employer par abus le nom de Bacchus au lieu du terme propre qui désigne le
jus de la vigne, je lui accorderai aussi de dire la Mère des dieux, au lieu du
globe de la terre, pourvu que ce globe n'en reste pas moins ce qu'il est. »
(92) V. 337 sq.
(93) Voyez t. III, p. 57 sq., 131; IV, 152 sq.
(94)
Voyez le bel ouvrage de Creuzer, si heureusement reproduit par M. Guigniaut sous
le titre de Religions de l'Antiquité, liv. VII, ch. 2.
(95) Sponte
sua patuisse fores, lapsasque lacertis
Sponte sua, fama est, nullo solvente, catenas.
(OVID., Metam., III, 699.)
(96) Thesmoph., 134.
(97) Voyez God. Hermann, Weleker, Ahrens, ibid
(98) V.
449 sq. Attius, dans son vieux style, avait fait effort pour rendre la grâce de
ce passage, comme en témoignent ces fragments :
Lanugo flora nunc genas demum irrigat....
Nam flori crines video ut propexi jacent.
(SERV., ad Virg. Aen., XII, 605.)
(99) V. 447 sqq
(100) Arrian., Epictet. dissert., XVIII,
17; XIX, 8. Voyez notre t. I, p. 135 sqq
(101) Epist., I, xvi , 74 sqq.
Vir bonus et sapiens audebit dicere Penthen,
Rector Thebarum, quid me perferre patique
Indignum coges? - Adimam bona. - Nempe pecus, rem,
Lectos, argentum : tollas licet. - In manicis et
Compedibus saevo te sub custode tenebo.-
Ipse deus, simul atque volam, me solvet. Opinor,
Hoc sentit: moriar; mors ultima linea rerum est.
" L'homme de bien, le sage osera dire : Penthée, roi des Thébains, quel
indigne traitement me faut-il attendre de toi? - Je t'enlèverai tes biens. -
Quoi ? mes troupeaux, mes terres, mes meubles, mon argenterie? tu les peux
prendre. - Je chargerai de fers tes pieds et tes mains; je te retiendrai dans
une cruelle prison. - Le dieu lui-même quand je voudrai, me délivrera. Il veut
dire, ce me semble, je mourrai. La mort est le terme de tous les maux. "
Voyez notre t. I, p. 142.
(102) Cf. Virg., Aen., VII, 393.
Molles tibi sumere thyrsos,
Te lustrare choro, sacrum tibi pascere crinem.
(103) V. 486 sqq.
(104) V. 502. Cf. 365
(105) Voyez t. I, p. 320; Il, 17 ; III , 110,
320
(106) Aristot., Rhet., lI, 23
(107) Idyll.,XXXIII, 26
(108) V. 510 sqq
(109) Voyez plus haut, p. 252.
(110)
Macrobe (Sat.,VI, 51 a conservé de la scène correspondante d'Attius des
passages ainsi rassemblés par Boeckh (Graec. trag. princ., XXIV), et qui
traduisent à peu près les vers 570 sqq. d'Euripide :
CHORUS.
Quis me jubilat?
BACCHUS.
Vicinus tuus antiquus.
CHORUS.
O Dionyse pater, Optime viti' sator.
O Semela genitus, Evie !
Qui m'appelle? - Votre ancien compagnon.- O divin Dionysus, père bienfaisant de
la vigne, fils de Sémélé, Évius
(111)
Cf. Horat., Carm., II, XIX, 14 sq. :
Tectaque Penthei
Disjecta non leni ruina.
(112)
Cf. Hom., Iliad.,
V, 449 sq.; Aen., X, 636 sqq.
(113) Voyez, plus haut, p. 94 sqq.
(114) Voyez t. III, p. 60 sqq.
(115) Musgrave, blâmé par Brunck.
(116) Cf. Horat., Carm., II,
XIX, 20.
(117) V. 686. Cette toilette, ce lever des
Bacchantes se trouvent ainsi rendus dans quelques fragments de l'imitation
d'Attius :
Deinde ab jugulo pectus glauco pampino.
(CLEDON, de Part. orat.)
Tum silvestrem exuviam laeto pictam lateri accommodant.
(NON,. v. Accommodatum.)
Ou bien, selon la restitution de Bceckh (Graec. trag. princ., XXIV :
Deinde ab jugulo pectus glauco pampino
Obnixe obtexunt; tum pecudurn silvestrium
Exuvias leva pictas lateri accommodant.
Indecorabiliter alienos alunt.
(CHARIS.)
« Elles couvrent leurs épaules et leur poitrine de pampres verts.... Elles
appliquent sur leurs flancs la dépouille tachetée des bêtes sauvages....
Elles offrent sans honte leurs mamelles à des nourrissons qui leur sont
étrangers.......... »
(118) Cf. Horat., Carm., II, XIX, 9 sqq.
Voyez plus haut, p. 248, note 2.
(119) V. 717 sqq. Cf. Virg., Buc., VI,
27 :
Tum vero in numerum Faunosque ferasque videres
Ludere, tum rigidas motare cacumina quercus.
(120) V. 734. Cf. Virg., Georg., III,
232; Aen., X. 725; XII, 104; Ovid., Metam., VIII, 882.
(121)
Cf. Pausais., Bæot., II.
(122) 666-759.
(123) Voyez t. I, p. 146 sqq.
(124) Piin., Hist. nat., XXXI, 4, 7.
(125) Strab., X. Cf. Athen., Deipn., XI;
schol. Hom. Eustath. ad Iliad., XXIII, 34
(126) De Subl., XV.
(127) Et non le berger, selon une vicieuse
distribution des personnages, empruntée à d'anciennes éditions, entre autres
à celle de Barnès, par Brumoy, et qu'ont justement blâmée Heath, Brunck,
Prévost, etc
(128) V. 826. Voyez t. I, p. 134.
(129) V. 839
(130) V. 872, 893.
(131) V. 15.
(132) ῞Ο τι καλὸν, φίλον ἀεί
(133) V. 852 sqq.
(134) V. 911 sq
(135) Aen., IV, 469:
Eumenidum veluti demens videt agmina Pentheus,
Et geminum solem et duplices se ostendere Thebas.
(136) V. 913 sqq.; 917
(137) V. 103. Voyez, plus haut, p. 247; v. 1008,
1149
(138)Voyez, plus haut, p. 257
(139) V. 1011 sqq
(140) V. 296 sqq. Voyez, plus haut, p. 250.
(141) Ici trouve son explication un vers de
Properce (Eleg., III, XXII, 33), qui ne paraît pas avoir été entendu
par tous les commentateurs :
Penthea non saevae venantur in arbore Bacchae.
(142) Cf. Virg., Aen., VI, 77 :
At Phoebi nondum patiens, immanis in antro
Bacchatur vates, magnum si pectore possit
Excussisse deum : tanto magis ille fatigat
Os rabidum..........
(143) V. 1033-1137.
(144) Voyez Horat. Sat., II, III,
303; Pers., Sat., I, 100.
(145) Voyez t. 1, p 122 sq.
(146) V. 1183 sqq.; 1200 sqq.
(147) Crébillon, Atrée et Thyeste, acte
V, sc. 6
(148) Voyez t. II, p. 15.
(149) V. 1254-1287
(150)
..... Jam, post laceros Pentheos artus, Thyades cestro
Membra remissæ, velut ignotum videre nefas.(OEdip., v. 44i1sqq.)
(151) Ed.
Ald., p. 723 sq.
(152) Fragm.
VIII. Voyez l'édition de M. E. Egger, 1837, p. 118. sq.; III, 190.
(153)
V. notre t. II, p. 356. M. J. A. Hartung, ibid., p. 557, s'est appliqué,
après Porson, à restituer ce passage perdu de la tragédie des Bacchantes.
II y a rapporte un certain nombre de vers de La Passion du Christ de
saint Grégoire de Nazianze. Voyez, sur cette pièce, t. I, p. 157
(154) .
. . Lacerum componi; corpus Echion.(Stat., Theb., IV, 569.)
(155) Hipp.,
v. 1082-1107. Voyez notre t. III, p. 101.
(156) V.
1238 sq ; 1337 sqq. De ce que Bacchus, dans ses reproches (v. 1333, 1336, 1338)
et dans ses châtiments (v. 1321 sqq.), confond l'innocent Cadmus avec ses
coupables filles; de ce que Cadmus tantôt se sépare d'elles (v. 1249, 1287,
1292), tantôt accepte une solidarité qu'il pourrait rejeter ;v. 1238),
quelquefois accuse la vengeance du dieu d'avoir été trop loin (v. 1238, ,337),
quelquefois aussi la trouve juste (v. 1335), faut il conclure, avec Boeckh (Graec.,
trag. princ., XXIV), que les Bacchantes, dans leur état actuel,
accusent un remaniement le plus souvent maladroit? Je ne le pense pas. Il n'y a
rien là qui ne soit d'accord avec l'idée que les anciens se faisaient et de
leurs dieux, dieux passionnés, emportés, comme les hommes, par la colère et
le ressentiment, bien au delà des bornes de ia justice, et de leur fatalité,
puissance irresponsable, à qui on ne demandait pas compte de ses étranges
décrets; rien qui ne reproduise les apparentes contradictions de langage
auxquelles se laisse aller la douleur. Cadmus se contredit-il réellement,
lorsqu'il fait cause commune avec le crime ou le malheur de ses filles, et qu'il
s'écrie (v. 1238) : Le dieu nous punit justement; ou bien (v. 1335) : Bacchus,
nous avons failli! N'y a- t- il pas là un oubli de sa propre cause, naturel
chez un père? une concession également naturelle à la violence du dieu?
(157) V.
1321 sqq. Cf. Apollod., Bibl., III, 5 ; Hygin., Fab., VI; Horat., Epist.
ad Pisones, 187; Metam., III, 98; IV, 562 sqq.; Nonn., Dyon.,
XLIV
(158) V.
1324 sqq. Cf. Herodot., IX, 42; Appian., Illyr., IV; Strab. VII; Pausan.,
Baeot., V.
(159) Voyez
t. II, p. 361. Je ne sais sur quel fondement Rode prétend (Histoire de la
poésie grecque, tragédie, t.III, p.517 sq.) que le dénouement des Bacchantes
est une addition d'Euripide le jeune. Il se serait, en ce cas, bien fidèlement
conformé aux exemples du poète
(160) L'an
566 de Rome. Voyez Tite Live, XXXIX, 8, 19
(161) Sat.,
VII, 87 :
Esurit, intactam Paridi nisi vendat Agaven.
(162) Voyez
notre t. 1, p. 156.
(163) III,
511-733. Voyez notre t. 1, p, 143 sqq.
164) Nonnos,
les Dionysiaques ou Bacchus, poéme en XLVIII chants, grec et français,
rétabli, traduit et commenté par le comte de Marcellus, 1856.
(165) Les
XLIVe, XLVe, XLVe.