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ŒUVRES CHOISIESDE A.-J. LETRONNE

MEMBRE DE L'INSTITUT

ASSEMBLÉES, MISES EN ORDRE ET AUGMENTÉES D'UN INDEX PAR  E. FAGNAN

PREMIÈRE SÉRIE ÉGYPTE ANCIENNE

TOME DEUXIÈME

PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR28, RUE BONAPARTE, 28

1881

LA STATUE VOCALE DE MEMNON CONSIDÉRÉE DANS SES RAPPORTS AVEC L'ÉGYPTE ET LA GRÈCE

SECONDE PARTIE

INSCRIPTIONS GRECQUES ET LATINES DU COLOSSE DE MEMNON RESTITUÉES ET EXPLIQUÉES

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES 

Richard Pococke est le premier voyageur qui ait eu l'idée de recueillir ces inscriptions. Malheureusement il ne put consacrer qu'une demi-journée à ce travail, qui, pour être fait avec tout le soin nécessaire, aurait exigé beaucoup plus de temps. Il n'est pas étonnant que ses copies soient souvent inexactes, et parfois si confuses, qu'elles défient la sagacité la plus perçante. Il en est un assez grand nombre néanmoins qui sont à peu près irréprochables. Norden, après lui, a copié quelques-unes de ces inscriptions : mais on ne saurait le compter parmi ceux qui ont ajouté quelque chose d'utile au travail de son prédécesseur, car le petit nombre de fragments tronqués qu'il a recueillis fournissent à peine quelques variantes dont on puisse tirer parti. Les acquisitions nouvelles que la Commission d'Égypte a faites à cet égard se bornent à quatre inscriptions, dont trois assez courtes et de peu d'intérêt (01), la quatrième longue et intéressante, mais si mal copiée, qu'on n'en avait pu restituer que quatre vers sur les dix qui subsistent encore; le reste de celles que la Commission a publiées se trouvait déjà dans Pococke ou Norden, M. Hamilton (02), peu après le départ des Français, copia aussi une quinzaine de ces inscriptions, dont trois ne sont point dans Pococke, et une manque dans l'ouvrage de la Commission d'Égypte. Ainsi il est juste de dire que les successeurs de Pococke n'avaient ajouté à son travail que quelques variantes pour un petit nombre d'inscriptions, et seulement quatre inscriptions nouvelles. D'ailleurs ce voyageur conserve toujours l'avantage d'en avoir présenté l'ensemble dans l'ordre qu'elles ont sur le monument même; car il est le seul qui ait eu l'idée de dessiner la partie inférieure des jambes du colosse, et d'y figurer toutes les inscriptions à la place que chacune d'elles occupe. Or la connaissance de cette place n'est pas du tout indifférente à la détermination de leur époque ; et elle donne lieu à des inductions utiles. Déjà plusieurs critiques se sont exercés sur les inscriptions du colosse de Memnon. Après Leich, Bouhier, Hagenbuch et d'Orville, Jablonski en expliqua un certain nombre, tant en prose qu'en vers, dans ses dissertations ou Syntagmata de Memnone : mais, peu familiarisé avec ce genre de critique, il ne réussit que médiocrement, quoique soutenu par ses prédécesseurs, dont, à la vérité, les efforts n'avaient pas été couronnés d'un grand succès. Ce qu'on a écrit de mieux sur ce sujet est une Dissertation de M. Fr. Jacobs, insérée dans les Mémoires de l'Académie royale de Munich pour l'année 1810. Si l'auteur avait alors connu la Description de l'Égypte et les Aegyptiaca de M. Hamilton, il aurait pu rectifier quelques-unes des leçons de Pococke, et voir qu'en certains cas il s'en est trop écarté (03). Au reste, l'attention de ce savant critique ne s'est guère portée que sur les inscriptions en vers, au nombre de cinq, qu'il a insérées ensuite dans ses deux éditions de l'Anthologie. Quant aux inscriptions en prose, il n'en a examiné qu'un fort petit nombre, dont Jablonski n'avait pas parlé ; d'ailleurs, comme le texte en était fort corrompu, il n'en a presque rien tiré. Ce court aperçu suffit pour montrer qu'il était bien nécessaire qu'un voyageur prît enfin la peine de relever encore une fois, en totalité, les inscriptions grecques et latines qui couvrent les jambes du colosse. Feu Salt, consul de Sa Majesté Britannique en Égypte, se chargea de ce soin : et c'est un des derniers services que cet ami zélé de la science lui a rendus. Les copies qu'il a fait prendre sont généralement plus exactes que celles de Pococke; et même, lorsqu'elles ne le sont pas davantage, sans doute parce que le mauvais état de l'original n'a pas permis de mieux distinguer les lettres, elles sont encore utiles, parce qu'elles tracent à la critique la limite des tentatives qu'elle peut se permettre. Quelquefois elles n'ajoutent qu'un trait ou deux, qu'un seul mot, à celles de Pococke ou de M. Hamilton ; mais il n'est pas rare que ces légers linéaments donnent le mot de l'énigme. On aura une idée des secours que m'a fournis la comparaison attentive des nouvelles et des anciennes copies, quand on saura que, des cinquante-six inscriptions qu'a données Pococke, il n'y en a pas plus d'une dizaine qu'on ait lues un peu exactement; que le texte de toutes les autres a été plus ou moins amélioré ; et que plusieurs même se présentent sous un jour tout nouveau. Mais là ne se bornent pas les avantages des nouvelles copies. Elles nous font de plus connaître environ trente-cinq inscriptions que Pococke n'avait pas aperçues, ou n'avait pas eu le temps de copier ; et sur ce nombre, il y en a environ vingt-cinq d'inédites. D'après le soin qu'a mis à ces copies celui (04) que Salt avait chargé de ce travail, on doit croire qu'aucune inscription lisible ne lui aura échappé ; et l'on peut se flatter de posséder enfin la collection, aussi complète, aussi exacte que possible, de toutes celles qu'il est permis de discerner encore sur les diverses parties du colosse que le temps a respectées. Le travail de Salt ne laisse qu'un regret : c'est que ce savant consul n'ait pas songé à imiter Pococke, en faisant dessiner chaque inscription dans la place qu'elle occupe sur le monument. L'oubli de cette circonstance empêche que le travail de Pococke ait perdu tout son prix. J'avouerai qu'il m'a encore été fort utile; que, sans les dessins de ce voyageur, plus d'un détail curieux me serait échappé, et même qu'il m'eût été impossible de résoudre la question tant débattue de la nature du singulier phénomène dont ces inscriptions constatent la réalité. Il me reste à présenter quelques observations sur l'ordre que j'ai cru devoir adopter pour ces inscriptions, et le plan que j'ai suivi. Ne pouvant les ranger d'après la place qu'elles occupent sur le monument, je les ai divisées en deux classes : celles qui portent des dates, et celles qui n'en ont pas.

Pour la première classe ; qui comprend trente-neuf inscriptions, j'ai suivi uniquement l'ordre chronologique, mêlant les vers et la prose, le grec et le latin ; dans la seconde, au contraire, j'ai établi deux divisions, comprenant, l'une les inscriptions grecques, l'autre les inscriptions latines. La célébrité de la plupart d'entre elles, les recherches dont elles ont été l'objet, l'usage qu'on a fait de quelques-unes pour éclaircir des points d'histoire ou de chronologie, ne m'ont pas permis de passer sous silence les efforts plus ou moins fructueux des critiques pour en restituer ou en expliquer le texte. Il fallait bien indiquer parfois à quel point ils étaient parvenus, pour qu'on pût apprécier les améliorations que recevaient des textes si souvent travaillés, et qui pourtant restaient presque tous à rétablir. Il m'a paru également nécessaire d'indiquer les motifs sur lesquels se fondent les restitutions que je propose, pour montrer que la restitution de certains passages des plus altérés et presque méconnaissables est fondée sur une analyse exacte des éléments conservés, et n'a rien d'arbitraire ni même de conjectural. J'ai cru devoir encore faire ressortir les principales particularités, soit de langage, soit d'histoire, qu'offre chaque inscription, et l'on verra qu'il en est de fort curieuses. J'ai voulu ne rien négliger de ce qui était utile à l'entière intelligence de tous ces fragments, plus ou moins maltraités par le temps, et dont quelques-uns même pouvaient sembler à peu près inintelligibles. Il en est sur lesquels je n'ai presque rien dit; d'autres qui m'ont fourni le sujet de discussions détaillées et assez étendues. Les lecteurs instruits, et c'est pour eux que ce Mémoire est fait, sentiront facilement la cause de cette différence. J'espère qu'ils trouveront que l'interprète n'a pas été trop concis pour les uns, ni trop diffus pour les autres.

INSCRIPTIONS DATÉES

SECTION PREMIÈRE

Inscriptions antérieures au voyage de l'Empereur Adrien à Thèbes.

I

AINSIVLEIVS - TENAXPRIMIPILARISLEGXII
ETL . QVINTIVSVIATOR DE CURIOAVDIMVSMEMNONEM
ANNO XI NERONIS IMP N XVII KAPRIL HOR 

Publiée pour la première fois dans la Description de Thèbes d'après la copie de M. Girard (05) ; puis par M. Hamilton (06), dont la copie est plus exacte en quelques points. La lecture que j'en ai proposée dans les Recherches sur l'Égypte (07), adoptée par MM. Orelli (08) et Jacobs (09), est confirmée par la copie de Salt.

A. Instuleius Tenax primipilaris legionis XII Fulminatae et Caius Valerius Priscus centurio legionis XII, et Lucius Quintius Victor decurio, audimus Memnonem, anno XI Neronis Imperatoris nostri, XVII kalendas apriles, hora...

La copie de M. Girard donne A. INS. JVLIVS ; celle de M. Hamilton, AINSTVLEIVS. Il faut lire A. INSTVLEIVS. Ce nom est connu. Les deux copies de M. Hamilton et de Salt portent clairement FVLMINATAE. Je ne connais pas d'autre exemple où ce titre de légion soit écrit en entier (10). Les exemples connus (11) ne présentent que FVLMINAT. ou FVLM., et les lexicographes ne pensent pas que cette abréviation puisse être autre chose que FVLMINATRIX, nom uniquement formé par analogie avec fulminator, car il n'y en a point d'exemple; mais le titre grec keraunofñrow que lui donne Dion Cassius (LV, 23), pour l'époque d'Auguste, signifie non qui lance la foudre, mais qui porte la foudre; et cela se rapporte sans doute à la figure tracée sur le bouclier des légionnaires (12). Le choix de ce symbole a pu tenir à quelque circonstance fortuite; par exemple, à la chute de la foudre sur la légion en marche ou campée, chute qu'on a pu regarder comme un signe divin, d'où la légion aura pris le nom de fulminata, fulminée, et celui de fulminifera (keraunofñrow ,), de l'insigne qui la distinguait. Ainsi, jusqu'à ce qu'une inscription de cette époque donne intégralement le nom FVLMINATRIX, l'épithète FVLMINATA, écrite par un membre de cette légion, doit être considérée comme celle qu'elle portait réellement. Notre inscription est la plus ancienne de toutes celles où ce titre de la douzième légion se rencontre. Elle confirme encore le témoignage de Dion sur l'existence d'une légion portant ce titre, dès le temps d'Auguste, contre la dénégation de Xiphilin, son abréviateur (13), qui le rapportait, ainsi qu'Apollinaris dans Eusèbe (14), au prétendu miracle arrivé dans la guerre des Marcomans sous Marc-Aurèle. Il serait naturel de croire que le mot AVDIMVS est au présent; d'autant plus que la première personne AVDIO se lit dans l'inscription n XXXIV..Cependant, comme on trouve ailleurs ADIT ET HONORAVIT (IX) ; FECIT. CVM. AVDIT (XXXII), et six fois la première personne AVDI, pour AVDIVI (II, III, XVII, XXXIX, LXVIII, LXXI), il me paraît bien probable que AVDIT et AVDIMVS sont pour AVDIIT, AVDIIMVS. Au reste, cette dernière forme ne se trouve nulle part dans nos inscriptions; ce qui montre qu'encore au IIe siècle on évitait en ce cas le double II, comme du temps de Cicéron. La date répond au 15 mars de l'an 64 de J.-C.

II

TItus IVLIVSLVPVS
PRaefectus AEGypti AVDI .
MEMNonem
HORA . PRima
FEliciter

Copiée par Pococke, mais fort inexactement : curieuse par la forme cursive des lettres, C'est le Julius Lupus dont parlent Josèphe (15) et Pline (16) : il avait succédé à Tibère Alexandre en qualité de préfet vers l'an 71 de J.-C. sous Vespasien (17). Il mourut peu après, et eut pour successeur Paulinus (18). Le voyage de ce préfet à Thèbes doit avoir eu lieu entre 71 et 72.Les deux lettres F E pourraient être le commencement du mot FE[BRVARIAS], et à la fin de la ligne précédente il y avait peut-être les lettres KAL. ou ID. ou NON. Je crois cependant que feliciter est la vraie leçon. Au n° XXXVII, nous avons de même, AVDIVI . MEMNONEM. FELICITER. De la copie de Pococke, M. Labus tire un T. MVSIVS. LVPVS, dont il place la préfecture sous Septime Sévère (19). Ce préfet n'a jamais existé.  

III

SVEDIVS . CLEMENS
PRAEF . CASTRORVM
AVDI . MEMNONEM
III . IDVS . NOVEMBRES
AN NO . III . IMP . N

Inédite. 

Suedius Clemens Praefectus castrorum audi Memnonem, III idus novembres, anno III imperatoris nostri.

Il est question dans Tacite d'un Suedius Clemens primipilaire, qui avait la confiance d'Othon, et qui fut chargé par lui avec Novellus, autre primipilaire, et Aemilius Pacensis, tribun militaire, d'attaquer la Gaule Narbonnaise (20). L'identité parfaite des noms rend bien probable que c'est le même que notre préfet de camp. L'an III ne convient ni au règne d'Othon, ni à celui de Vitellius; mais il peut appartenir à celui de Vespasien : Suedius Clemens, après la mort d'Othon, aura pu prendre parti pour Vespasien contre Vitellius. Il est tout naturel de lui trouver sous Vespasien un grade, Praefectus castrorum, auquel passaient parfois les centurions : Rufus, diu manipularis, dein centurio, mox castris praefectus (21). Dans cette hypothèse, Suedius Clemens aurait entendu Memnon le 11 novembre de l'an 71 de notre ère ; l'an III de Vespasien (22) ayant commencé le 29 août de cette année julienne. On peut faire sur la date une remarque qui s'applique à toutes les autres inscriptions datées. Cette inscription latine porte l'année de l'empereur régnant, et non l'année consulaire ou le nombre de la puissance tribunitienne. Cela est contraire à l'usage suivi dans les inscriptions latines, et il n'en existe peut-être pas d'exemple hors de l'Égypte. On a donc évidemment suivi l'usage égyptien, de même qu'aux n° I, IV, V, VII, VIII, X, XI, XXXIV. L'indication des consuls se trouve au contraire dans les n° IX, XVI, XX, XXXI, XXXVII, et dans les n° XVII et XXXII; mais il est remarquable que les cinq premiers numéros appartiennent à des préfets d'Égypte; un seul de ces préfets (n° XI) s'est écarté de l'usage romain. Quant aux inscriptions grecques, il n'y en a pas une, quoique tracée par des Romains, où non seulement l'année, mais encore le quantième, ne soient exprimés à l'égyptienne. Il est donc clair que généralement les Romains en Égypte ont suivi à cet égard l'usage égyptien; la raison n'est pas difficile à trouver : d'une part, les changements consulaires ne leur étaient pas toujours connus à temps; de l'autre, ils étaient entourés de gens qui ne se servaient que des années de l'empereur, les seules qui fussent employées dans tous les actes publics ; l'usage de ces années était facile et exempt de chances d'erreur, parce que leur commencement était rattaché invariablement au premier thoth de chaque année, quel que fût d'ailleurs le jour où l'empereur était monté sur le trône. Les personnes revêtues d'un haut caractère politique, comme les préfets d'Égypte, ayant sous les yeux les actes émanés de Rome, où les noms des consuls étaient indiqués, se conformaient naturellement à l'usage administratif romain. L'emploi des années impériales en Égypte étant conforme à l'usage égyptien, il est raisonnable d'admettre que ceux qui l'ont suivi ont compté les années du règne à l'égyptienne, et non selon la méthode des anciens chronologistes, d'Eusèbe entre autres, qui comptent les années impériales à partir du commencement effectif du règne. C'est pourquoi , toutes les réductions qu'on trouvera plus bas des années impériales en années juliennes seront établies sur l'hypothèse que ces années partent du premier thoth (29 ou 30 août julien) de l'année fixe alexandrine; et nous prendrons pour première année de l'empereur l'espace qui s'est écoulé, quelque bref qu'il soit, entre le jour précis de son avènement et le 29 ou 30 août de cette année. Je dois encore signaler une particularité : toutes les inscriptions grecques datées le sont sans exception en années impériales et en mois égyptiens; toutes les inscriptions latines, même celles qui portent les années impériales, sont datées selon le calendrier romain. Cette règle est observée non seulement dans les inscriptions memnoniennes, mais encore dans toutes les inscriptions découvertes en Égypte. Il semble pourtant que la différence seule de la langue n'en devrait pas faire dans l'énoncé de la date. D'où vient que, lorsqu'un Romain écrivait en grec, il se servait du calendrier égyptien ; et en latin, du calendrier romain, tout en adoptant la manière égyptienne de compter les années ? Je ne vois pas encore bien nettement à quoi tient cette différence.

 

IV

L - IVNIVS
PRAEFE
AVDIVI MEMNONEM CVM
MINICIARVSTICAVXORE
KALAPRILISHORAIIANNOIV IMP . N
VESPASIANI AVGVS.

Celle-ci est de l'année suivante, ayant été tracée le 1er avril de l'an 73 de J.-C. Les deux premières lignes sont tronquées, on n'en voit que le commencement. Mais Pococke et Norden ont donné complètement la première ligne L. IVNIVS CALVINVS. Cela nous fait voir que le mot PRAEFECTVS qui vient ensuite ne peut désigner un préfet d'Égypte, car en l'an IV de Vespasien c'était un Paulinus qui gouvernait l'Égypte. Il s'agit d'un autre genre de préfecture. Après les premières lettres de la seconde ligne, on lit dans la copie de Pococke LLONTSBSRENIC ; dans celle de Norden, MONTISBERENI. Ce ne peut être que MONTIS BERENIC . pour Montis Berenicidis. En effet, il est question, dans une inscription donnée par Muratori (23), d'un L. Pinarius Natta, tribun militaire de la troisième légion (probablement Cyrénaïque) et praefectus Montis Berenicidis; dans une autre (24), d'un M. Artorius Priscus Vicasius Sabidianus, qui avait été successivement praefectus Montis Berenicidis et epistrategus Thebaïdis. La réunion de ces deux titres nous indique ce qu'il faut entendre par Mons Berenicidis (25). Il s'agit certainement de la montagne des émeraudes de Ptolémée, mont Zabarah des Arabes, chaîne située entre Coptes et Bérénice (26), non loin de la mer Rouge, au nord de Bérénice, et dans le canton de cette ville. Là se trouvaient les mines d'émeraudes dont le gisement a été reconnu des voyageurs modernes, principalement de M. Cailliaud. Exploitées de tout temps par les souverains d'Égypte, ces mines l'étaient encore au Ve siècle, au temps d'Olympiodore (27), et l'on ne pouvait les visiter sans une autorisation de l'empereur (28); ce qui montre assez l'importance qu'on y attachait, et la surveillance dont ces mines étaient l'objet. Les deux inscriptions citées plus haut attestent qu'en effet les Romains confiaient la garde du canton montagneux où ces mines étaient situées à un chef militaire, commandant un corps de troupes plus ou moins considérable. Ce chef militaire devait dépendre de l'épistratège de la Thébaïde, dont la juridiction s'étendait jusqu'à la mer Rouge, sans doute pour protéger les caravanes qui se rendaient de Coptos à Bérénice ; et de là le nom d'Arabarque qu'on lui donnait aussi (V. n° LIII). Dans plusieurs inscriptions, le rivage de la mer Rouge, ² paralÛa t°w ƒEruyrw yal‹sshw, est placé sous sa juridiction. On conçoit alors très bien que le commandement des troupes chargées da garder les mines fût un titre pour être ensuite nommé épistratège, comme le fut M. Artorius Priscus. L'expression Praefectus Montis Berenicidis fournit une dénomination géographique qui manque dans les auteurs ; on voit en effet qu'indépendamment du nom de Smaragdi mons (Sm‹ragdow örow, selon Ptolémée, probablement Smar‹gdou örow), on donnait à cette montagne le nom de mont de la Bérénicide, ou du canton de Bérénice; en grec, tò t°w BerenikÛdow örow ; et le praefectus Montis Berenicidis devait s'appeler ¦parxow toè t°w BerenikÛdow örouw. L'inscription, restituée d'après la comparaison des trois copies, sera ainsi conçue : L. lunius Calvinus Praefectus Montis Berenicidis audivi Memnonem, cum Minicia Rustica uxore Kalendas apriles, kora II ; Anno IV imperatoris nostri Vespasiani Augusti.
Il s'agit donc de L. Junius Calvinus, préfet du mont de la Bérénicide, qui entendit Memnon, avec Minicia Bustica, sa femme, à la deuxième heure, le jour des calendes (le 1er) d'avril de l'an IV de Vespasien, 73 de J.-C. On pourrait lire MINVCIA; mais Minicius se disait tout aussi bien que Minucius (29); témoin, entre autres, Caius Minicius Italus, préfet d'Égypte sous Trajan (30).

V

 HANICIVS . I . I .VOL .VERVS . VIENNAI...
DIS III CVR - AVDI MEMNONIVI IDVS
NOVEMBR ANNO III IMP . N . ET VIIK IANVAR
ETXVIIIK FEBR ET IVNON . IMPEMETV - IDVS
IAIDET. XIIIK . MARTETXIIMAETVII ID . MA
ETVII IDVSIANBIS ANNOIIII - IMP. AVG
ETXVK - MART . ETVII AVDI M . ET
VIII IDVS APRILIS ANN . EIVSDEM
ITEM IVNON IVNIAS ANNI EIVSDEM

Je rapporte au même règne cette inscription, dont Pococke n'a donné que les premières lignes, mais bien inexactement (31).L'absence du prénom devant HANICIVS choque dans une inscription de ce temps. Je crois qu'il faut lire M. ANICIVS. Le M et le H se confondent facilement. Après VIENNA, il a pu y avoir ORIVNDVS; mais la ligne deviendrait beaucoup trop longue, parce qu'il manque ensuite un titre militaire, PR. ou P. P. devant LEGIO qui terminait la ligne; car DIS III CIR de la ligne suivante ne peut être que NIS III CYR. Il y a donc eu très probablement ellipse du participe après le nom de la ville, comme dans César : Cn. Magius, Cremona (32) ; et. . . C. Felginas, Placentia; A. Granius, Puteolis; M. Sacrativir, Capua (33).Les trois premières lignes se liront ainsi :

M. ANICIVS. Iulii Filius VOLtinia. VERVS. VIENNA [...LEGIO]
NIS III CYRenaicae. AVDI. MEMNONEm. IV. IDVS (34)
NOVEMBRes . ANN . III . IMPeratoris. Nostri. ET .VII . Kalendas . IANVARias,
etc. 

Le nom de l'empereur manque, comme dans la précédente ; mais on peut le suppléer. Une inscription de Dekkeh nous montre que la troisième légion Cyrénaïque était cantonnée en tout ou en partie dans la Haute-Égypte, l'an XXI de Tibère, 34 de J.-C. (35), et l'on sait par Tacite que Titus l'en tira pour la guerre de Judée (36). L'inscription est donc antérieure à cette époque ; elle pourrait être du temps de Tibère, de Caligula ou de Néron ; mais la formule IMP . N. me la fait rapporter à Vespasien comme la précédente ; les époques sont comprises dans les années 72 et 73. M. Anicius Verus, natif de Vienne, soldat ou officier de la troisième légion, a tenu note détaillée de toutes les fois qu'il a entendu Memnon en passant et en repassant à Thèbes pour l'exercice de ses fonctions. En l'an III, il a entendu sa voix le IV des ides de novembre.
En l'an IV, le VII des calendes de janvier, le XVIII des calendes de février, le IV des nones et le V des ides de ce mois (je lis : IV. NON . EIVSDEM . ET IDVS . EIVSDEM.), le XIII et le XII des calendes de mars (l. 5, je lis : ET .XII . K . MART.), le VII des ides de mai (ID. MAIAS.), le VII des ides de juin (l. 6, je lis : IVN au lieu de IAN) deux fois.
Il avait fait un oubli, à ce qu'il paraît ; car, après avoir marqué l'année (l. 6, ANNO IIII IMP . AVG .), il ajoute : Et le XV des calendes de mars, le VII des ides du même mois (je lis : ET .VII . ID. EIVSDEM.), le VIII des ides d'avril, le IV des nones de juin de la même année. Je remarque que cet homme, si scrupuleux sur les dates, n'a pas marqué une seule fois l'heure ; circonstance que les autres mentionnent avec tant de soin.

VI

Inédite.

Le commencement et la fin des lignes manquent. On doit la lire ainsi

« Moi, Tibère, Claude Héron, j'ai entendu Memnon avec Achille et.... la première heure, l'an VIII de l'empereur César Vespasien Auguste, le.... du mois.... m'étant souvenu de.... et de... Denys... et de leurs... » 

La date est de l'an 77. Au lieu de †Hrvn, il a pu y avoir tout autre mot commençant par Hr, tels que „Hr‹kleow, „Hrñdotow, „Hrñdvrow, etc. Le mot Ëraw a pu être précédé de ¤ntòw, comme dans les inscriptions XX et XXII; mais la place est nécessaire pour le nom qui manque ; et le génitif peut aussi bien aller que le datif. On en verra d'autres exemples (n° XV). Rien de plus commun, dans les proscynemata (actes d'adoration ou hommages religieux), que cette expression, je me suis souvenu de tel ou tel, de ma femme, de mes enfants, de mes frères ou de mes amis. En rendant hommage au dieu, le voyageur se souvenait des personnes qui lui étaient chères ; ce souvenir, accompagné d'un voeu, appelait sur elles la faveur divine (37). C'est là l'explication de ces mots ¤mn®syhn, ¤mn®syh ou memnhm¡now, suivi de noms au génitif, qu'on trouve si souvent dans les inscriptions de ce genre, et qui suffisaient pour leur donner le caractère de proscynemata.

VII

Cette inscription, mal copiée par Pococke, mieux par M. Girard, ne l'a été complètement que par Salt ; aussi la première ligne a toujours été mal lue ; Norden seul avait donné la vraie leçon :

FVNISVLANA . VETTVLLA
C . LELII . AFRICANI . PRAEF . AE
VXOR . AVDI . MEMNONEM
PRID . FEBR . HORA I. S
ANNO . I . IMP . DOMITIANI . AVG .
CVM . IAM . TERTIO . VENISSEM

Le préfet d'Égypte C. Laelius Africanus n'est connu que par cette inscription. Sa femme Funisulana Vetulla visita Memnon le 12 février de l'an I de Domitien ou 82 de J.-C., une heure et demie après le lever du soleil, probablement sans son mari ; autrement elle en aurait fait mention. Comme on ne peut admettre l'expression pridie februarii pour pridie calendas februarias, au lieu de PRID . que donnent les deux copies j'ai lu PR. ID. PRidie IDus M. Le D pour D dans le nom de Domitien est une distraction du sculpteur, probablement Grec. Ce genre de confusion se trouvera dans plusieurs autres inscriptions. C'était la troisième fois que Vetulla venait pour entendre le colosse. Deux fois elle était venue sans succès.

VIII

SEX LICINIVS PVDENS 7 LEG . XXII
XI K IANVARIAS . ANNO IIII IMP .[N]
DOMITIANI . CAESARIS . AVGVSTI
GERMANICI . AVDI . MEMNONEM. 

 

Copiée par Pococke et M. Girard, publiée par Jablonski, M. Orelli (39) et M. Wiener (40). A la fin de la seconde ligne, après ANNO IIII , on avait lu D. N . ; mais IMP. est clair dans la copie de Salt.

Sextus Licinius Pudens, centurion de la vingt-deuxième légion, atteste que le 11 des calendes de janvier, l'an IV de Domitien (22 décembre 84 de J.-C.), il a entendu Memnon.

Il a oublié de nous dire à quelle heure. C'est le titre GERMANICI à la quatrième ligne, qui a fait croire que Germanicus avait écrit son nom sur le colosse (plus haut, page 13).

IX

Publiée par M. Hamilton et par les auteurs de la Description de Thèbes, d'après la copie de M. Girard. Elle se compose de trois parties. La première partie mentionne la visite du préfet Titus Petronius Secundus. La seconde ligne n'est pas fort distincte à la fin. Salt a lu GERMANIK.. XVII. et M. Girard GERMANIC. XIII C. La première leçon est préférable, parce que la sigle C. pour Consule, précède toujours le chiffre. Le dix-septième consulat de Domitien répond à l'an 95 de notre ère ; la date précise (PRidie IDVS MARTias) est du 14 mars. S'il s'agissait du treizième consulat, l'année serait la 87e de notre ère. Le préfet annonce qu'il a honoré Memnon avec des vers grecs, ci-dessous écrits. Ce sont ces vers qui forment la seconde partie de l'inscription. M. Hamilton les avait séparés de ce qui précède, de manière à laisser croire qu'ils formaient une inscription distincte. Ils se lisent sans difficulté :

Fy¡gjao LatoÛda (sòn gŒr m¡row Îde k‹yhtai,
M¡mnvn), ŽkteÝsin ballñmenow purÛnaiw
(41). 

Fy¡gjao est ioniquement pour ¤fy¡gjv, tandis que LatoÛda est un dorisme pour LatoÛdou. M¡mnvn, vocatif, au lieu de M¡mnon, ne peut surprendre (42) : ou trouve Î M¡mnvn dans Quintus de Smyrne (43). Les mots sòn gŒr m¡row se rapportent à ce que le colosse était brisé. Le verbe k‹yhtai exprime la position de la moitié restante. Pausanias dit de même : kaÜ nèn õpñson ¤k kefal°w ¤w m¡son sÇma ¤stin Žperrimm¡non, tò d¢ loipòn k‹yhtai (44). On aimerait peut-être mieux soÜ ou soè m¡row; mais sòn est justifiable (45). LatoÛda ŽktÝsin ballñmenow est homérique : ±¡liow fa¡yvn ŽktÝsin ¦balle. (46). La pensée revient à celle qu'ont exprimée Tacite et Pline. La traduction est :

« Tu viens de te faire entendre (car ce n'est, ô Memnon, qu'une partie de toi-même qui est assise en ce lieu), frappé des rayons brûlants du fils de Latone. »

La parenthèse est assez mal placée ; mais les vers n'en sont pas moins fort passables pour être l'ouvrage d'un préfet romain. La troisième partie, curante Tito Attio Musa, praefecto cohortis II Thebaeorum, avait été omise par M. Girard et inexactement copiée par M. Hamilton. Il paraît que le préfet, n'ayant pas eu le temps d'attendre que l'inscription fût gravée devant lui, chargea un chef de cohorte de surveiller l'opération.

X

ANNO VII IMP CAESARIS
NERVAE TRAIANI AVG. GER. DACICI
CVIbIVSMAXIMVSPRAEA EC
AVDIT MEMNONEM XIIII K MAR
HORA II S SEMEL ET. IIISSFN

Copiée par Permeke et M. Girard (47). La copie de Salt n'ajoute rien à celle de ce dernier. La seule différence consiste dans la leçon MART., au lieu de MAII que donne M. Girard, Cette inscription atteste que Caius Vibius Maximus, préfet d'Égypte, a entendu Memnon l'an VII de l'empereur César Nerva Trajan, Auguste Germanique, Dacique, le 14 des calendes de mars (16 février de l'an 104) deux fois, l'une à deux heures et demie, l'autre à trois heures et demie.

XI

ANNO V HADRIANI
IMP N •T• HATERIVS
NE•POS PRAEF•AEG
AVDIT MEMNONEM
XIII MART-HORA•IS

  

Jablonski a bien lu cette inscription d'après la copie de Pococke. Celle de Salt n'y ajoute rien, excepté la variante XIII . MART. La leçon Pococke XII . K . MART. est évidemment la meilleure. Il résulte de cette inscription que l'an V d'Adrien (IMPeratoris Nostri), le 12 des calendes de mars, à une heure et demie, Titus Haterius Nepos, préfet d'Égypte, a entendu la voix de Memnon. La date répond au 19 février de l'an 121 de notre ère.

XII

Cette inscription inédite facilite la restitution et fait connaître la date du n° XIII, qui a été publié par Pococke :

Moi, Lucius Funisulanus Charisius, stratège du nome Hermonthite, et natif de Latupolis, j'ai entendu Memnon deux fois avant la première heure et à la première, avec ma femme Fulvia, le 8 de thoth de l'an VIII d'Adrien le Seigneur.

La date est du 6 septembre de l'an 122 de J.-C.
Une inscription de Miles (48), et une autre du colosse (n° XXXIII), montrent que les deux nomes d'Hermonthis et de Latopolis étaient réunis sous le même stratège. Il serait donc tout simple d'admettre que Lucius Funisulanus Charisius était stratège d'Hermonthis et de Latopolis. Cependant la leçon
LATOPOLEITOS, qui peut être une faute pour LatopoleÛthw, et surtout l'absence de la copule kaÜ, qui serait indispensable, me font croire que la leçon LatopoleÛthw est la meilleure, et que Charisius a voulu dire qu'il était stratège d'Hermonthis et natif de Latopolis. Quoi qu'il en soit, cette inscription et les deux que je viens de citer confirment l'observation, faite ailleurs (49), que les stratèges étaient des Grecs et non des Romains. Le nom de celui-ci est Charisius; car je n'hésite pas à lire XAPEICIOC pour XAPEICTOC. Les noms romains qui précèdent n'annoncent que l'affiliation à une famille romaine. Charisius avait épousé une Romaine du nom de Fulvia. La voix s'était fait entendre à lui un peu avant la première heure, et pendant cette première heure. Mais il n'est pas sûr que ce soit dans le même jour. La date peut n'indiquer que le jour où Charisius a écrit l'inscription, après avoir été favorisé deux fois par Memnon. Ce qui porte à le croire, c'est l'inscription suivante, où il n'est question que d'une seule fois.

XIII

Celle-ci doit avoir été gravée au-dessous de la précédente. Cependant il se peut que le défaut de place ait obligé Charisius de l'écrire ailleurs ; dans tous les cas, on ne saurait douter qu'elle ne soit aussi de Funisulanus Charisius, auteur du n° XII. La copie de Pococke n'est pas trop inexacte ; en certains points, même, elle l'emporte sur celle de Salt. Toutefois M. Jacobs n'en a lu que quelques mots (50). Je mets en regard les deux copies, pour qu'on voie mieux le parti que j'ai tiré de l'une et de l'autre.

SALT.

PROCKOPE

RESTITUTION

Funisulanus Charisius, stratège d'Hermonthis et natif de Latopolis, accompagné de son épouse Fulvia, t'a entendu, ô Memnon, rendre un son au moment où ta mère éperdue honore ton corps des gouttes de sa rosée. Charisius, t'ayant fait un sacrifice et de pieuses libations, a chanté ces vers à ta gloire :« Dès mon enfance j'ai appris qu'Argo, que le chêne de Jupiter Dodonéen avaient été doués de la parole; mais tu es le seul que j'aie pu voir de mes yeux, résonner et faire entendre une certaine voix. Charisius a gravé pieusement ces vers pour toi, qui lui as parlé, et l'as salué amicalement.  

L. 1. Au lieu de ENYASE la copie de Pococke porte, ENYADE ; j'ai lu ¤nyadeÛ. pour ¤nyadÛ, orthographe qu'on trouve encore plus bas (n° XIV. 1). PEICTOC est certaine-ment la fin du mot XareÛsiow. Le nom Founeisoulanòw ne pourrait guère entrer dans de tels vers, à moins que le second OY n'ait été pris pour une brève, ce qui est ordinaire quand OY exprime 1'U bref dans les noms propres (n° XLVI). Mais, pour ce nom propre, toute licence était permise.

L. 2. „ErmÅnyiow est ici trisyllabique. La leçon LATVN PATRHS ne laisse aucun doute. Dans l'hypothèse où Charisius a voulu dire qu'il était à la fois stratège des deux nomes, ces mots signifieront L‹tvn pñlevw, de la ville des poissons latus. Mais il faut convenir que le mot p‹trhw, serait alors assez singulier. Le sens de ce mot amène nécessairement l'idée que Charisius avait Latopolis pour patrie. Le nom de cette ville, ordinairement abrégé en Lato, LatÅ,, l'était aussi en Laton ou L‹tvn, sous-entendu oppidum ou pñliw , (51). Dans l'idée, qui me paraît indubitable, que Charisius était de Latopolis, LatopoleÛthw, comme il est dit dans l'inscription précédente, on lirait

Strathgòw „ErmÅnyiow te [kŽk] L‹tvn p‹trhw

ou bien, comme un ami me l'a proposé,

Strathgòw „ErmÅnyiow te [ken ùn] L‹tvn patrÛw

Le sens est le même dans les deux cas. Je me suis arrêté au premier, parce que l'espace n'est que de trois lettres. Quoi qu'il en soit, Charisius a pu faire brève la première de p‹trhw; sans trop de licence. Il n'en est pas de même de m®thr à la fin du vers 4 ; il est évident que Charisius, comme Caecilia Tré­bulla (n° XLI), a mêlé des choliambes ou scazons à ses vers ïambiques : ceci répand beaucoup d'incertitude sur la restitution de la fin des vers, que j'ai terminés uniformément par des ïambes. Mais on pense bien que je n'ai pas la prétention de retrouver les mots mêmes de l'auteur ; il suffit d'avoir restitué le sens, et je crois y être parvenu.

V. 3. Les lettres qui terminent le vers, après la lacune, sont AIYEN dans Pococke, TOEN dans Salt ; le T se confondant souvent avec Y (n° XIX, v. 5), on a LUYEN. Ces lettres pourraient être la fin de ³luyen ; mais je préfère suivre la leçon de Salt, et je lis [Žk®]koen, qui complète le vers et le sens.

V. 4. Après HXHSANTOS, la copie de Pococke donne les deux lettres HL, qui peuvent être la conjonction ²nÛka, se rattachant au verbe à l'indicatif, dont on n'aperçoit plus que les lettres fei à la fin du v. 5. Pour la mesure, j'ai lu ²nÛk' n, après lequel un bon écrivain aurait mis le subjonctif ; mais Charisius n'y regardait peut-être pas de si près. Au reste, pour ne pas lui faire tort, on peut supposer qu'il avait écrit ²nÛka ge ou même ²nÛka ; car il a bien pu mettre un pyrrhique au cinquième pied.

V. 5. La fin de ce vers, d'après les lettres conservées, doit être Žp[oro» st¡]fei. Le mot Žporo® est poétiquement pour Žporro®, comme dans Nicandre aßmoroÛw pour aßmorroÛw (52) ; et il s'entend des gouttes de rosée que l'Aurore verse sur son fils. St¡fein a le sens d'orner, d'honorer ou d'embellir, comme dans ces exemples : yeòw morf¯n ¦pesi st¡fei (53), xoaÝsi prispñndoisi tòn n¡kun st¡fei (54), et kaÛ se panxræsoiw ¤gÆ st¡cv lafæroiw (55). Quant à l'idée, c'est celle qu'exprime Ovide, quand il représente la rosée comme étant les pleurs versés par l'Aurore sur la mort de son fils... Piasque Nunc quoque dat lachrymas, et toto rorat in orbe (56). Servius dit aussi : Cujus mortem mater Aurora hodieque rore matutino flere videtur (57). XuyeÝsa, expression de tendresse, paraît un souvenir homérique; ainsi Briséis entoure le corps de Patrocle de ses bras, Žmf' aétÒ xum¡nh (58) ; ce qui a été imité par l'auteur anonyme d'une épigramme funéraire, t‹fÄ perÜ tÒde xuyeÝsa Paidòw... (59) ; à moins que notre poétastre ne joue sur l'idée de la rosée et des larmes, et ne veuille dire que l'Aurore fond en larmes, pour en arroser le corps de son fils. Tryphiodore a une expression analogue, pesñnta aámati dakræsaw ¤xæyh (60). Ici xuyeÝsa exprimerait une idée analogue à celle d'Ovide, quand il dit de l'Aurore, désolée de la perte de Memnon : Luctibus est Aurora suis intenta. Charisius exprime donc ici poétiquement le ³kousa prò prÅthw Ëraw du n° XII. Il ne parle pas de la seconde fois.

V. 6. Yæsaw kaÜ speÛsaw. Charisius a traité Memnon comme un dieu. Cela est expliqué plus haut (pag. 121). A la fin, filoy¡vw ou tout autre adverbe d'un sens analogue.

V. 7. Je rapporte aétòw à Charisius : ±æthsen a le sens de dire, déclarer, comme dans Eschyle, toiaèt' ŽuteÝn (61) ; et Euripide, sfag¯n ŽuteÝw t®nde (62). De même toèto en est le régime et désigne la pensée exprimée dans les quatre vers suivants, que j'ai guillemettés.

V. 8. Cette ligne avait été passée entièrement par Pococke. La leçon paÝw ¡Æn est certaine, de même que le sens de ce qui suit : quant aux mots ce sera ¤gÆ' mŒyon, ¤gÆ' klæon, ou eänai ¦mayon, ou eänai ¤d‹hn, ou toute autre chose de ce genre. L‹low, épithète très convenable au vaisseau Argo. On connaît l‹low trñpiw, e¦lalow ƒArgÅ, polu®gorow ƒArgÅ (63).

V. 9. La même épithète ne convient pas moins bien au chêne de Dodone, que Sophocle appelle poluglÅssow drèw (64), ce qui se rapporte au grand nombre de feuilles dont le bruissement formait l'oracle ; la correction poluglÅssou, proposée par Valekenaer et adoptée par Clavier (65), est inutile ; Eschyle donne à ce chêne l'épithète de pros®gorow (66). Le faux Orphée  

 

 

 

 

 

(01)  Il ne faut pas imputer le fait à négligence. M. Coquebert s'était chargé de les recueillir toutes; mais ses papiers ont été perdus (Voy. Description générale de Thèbes, p. 213),
(02
  M. W. M. Leake aida beaucoup son ami en cette circonstance; et, si je ne parle que de M. Hamilton, c'est que son nom seul est mis en tête des Aegyptiaca.
(03) Pendant que mon Mémoire s'imprimait dans les Transactions de la Société royale de littérature, M. Jacobs reproduisait le sien avec des additions et quelques changements, dans la 4e partie de ses vermischte Schriften, intitulée : Abhandlungen über die Gegenslaende des Alterthums, Leipz., 1830. Quoiqu'il ait eu sous les yeux l'ouvrage de M. Hamilton et la grande Description de l'Égypte, qu'il n'avait pas connus d'abord, il n'a que faiblement amélioré son premier essai. J'indiquerai en note les changements qu'il y a faits, en désignant par les lettres D. M. son Mémoire dans le recueil de l'Académie de Munich, et par les lettres ABH le volume des Abhandlungen.
(04)  On m'a dit que c'est M. Linant, dessinateur habile et voyageur plein de courage et d'intelligence.
(05)    Descript. de l'Égypt., Pl. Ant., tom, V, pl. 55, n° 31.
(06)    Aegypt., p. 472.
(07)  Pag. 355.
(08)   Inscript. lat. sel, ampl. coll., n° 517.
(09)    ABH, S. 124,
(10)  
Excepté dans la Notice de l'Empire (p. 232, Genev., 1623); on y trouve Praefectura Legionis; Fulminae Miletenae.
(11)   Gruter, 193, 3 ; 513, 2 ; 547, 6 ; 567, 10 ; 1090, 13. Reines, VIII, 52. Gud:, 169, 1 ; 171, 5 ; 172, 9 ; 184, 1, etc.
(12  Adr. Rupert. ad Flor., p. 343.
(13)   Ex 1. LXXI, 9, p. 1183, Reim.
(14)   Hist. eccles., V, 5.
(15)  
Bell. Judaic., VII, 10, 4.
(16)  XIX, 1.
(17)  
Recherches sur l'Égypte, p. 232.
(18) Joseph., Bell. Judaic., 1. 1.
(19)   Di un' epigr. lat., pag. 137 et 152.
(20)   Tacit., Hist., I, 87; II, 12.
(21)   Tacit., Annal., I, 20.
(22)  
 L'an III ne peut se rapporter au règne de Titus, parce que ce prince mourut le 12 septembre de l'an III de son règne, environ deux mois avant l'époque ici marquée.
(23)   2033, 5. - Lupuli, iter Venus., p. 65 ; Orelli, n° 3880.
(24)  Gruter., 130, 1. - Orell., 3881.
(25) Hagenb. ap. Orelli. 1. 1.  
(26)   Strab., XVII, p. 815 ; Plin., XXXVII, 5, 774, 25.
(27)   Olymp. ap. Phot., p. 62, col. 1, Bekk.
(28ƒAll' oék ·n toèto dunatòn gen¡syai xvrÜw basilik°w prost‹jevw .
(29)   Morcelli, Indicaz. antiq. per la villa Albani, p. 16.
(30)  Labus, di un' epigrafe latina, p. 99.
(31) Cf. Jacobs D. M. S. 71.
(32)
Bell. Civ., I, 24.
(33)   Id., III, 71.
(34)  
Ou MEMNONEMIDUS.
(35) Gau, Antiquit. de la Nubie, pl. XIV, 31.
(36)   Hist., V, 1.
(37)  
Voy. dans le Journal des savants, année 1831, p. 409.
(38)  M. Jacobs a fait de son côté la même observation (Abhandl., S. 51).
(39)     N° 517.
(40)  
  De Legione XXII, p. 111
(41)   Dans les Abhandlungen, S. 127, M. Jacobs a lu ainsi le premier vers : Fy¡jao m' oß' oädaw òn gŒr m¡row ; Êleto : ƒHoèw M¡mnvn....
(42)  
Matth. Ausführl. Grammat., § 312.
(43)   B' 127.
(44Pausan., I, 42, 2.
(45)   Matth. Ausf. Gramm., § 466, 2.
(46)  
Odyss., E', 479.
(47)   
Descript. générale de Thèbes, p. 108, n° 9.
(48)    
Voyez mes Recherches, etc., p. 269.
(49)  
Voyez mes Recherches, etc., pag. 272, 27
(50)  
Dans les Abhandl., S. 152, ff., il a travaillé de nouveau la copie de Pococke, mais presque sans succès.
(51)  
 
Wesseling. ad Itiner. Veter., p. 160, 732.
(52)  
Ther., 315, 318.
(53)   
Hom., Odys., Y', 170.
(54)  
Soph., Antig., 431.
(55)    Ajax, 93.
(56)  
Ovid., Metam., XIII, 621.
(57)
 
Serv. ad Aen., I, 493.
(58)  
Iliad., T', 283.
(59)  
Antholoq. adespot., 714. - Antholog. palat. App., 251.
(60)   
V. 28.
(61)   
S. C. T., 380, 626, Blomf.
(62)  
Electr., 757.
(63)  
Pseudo-Orph., Argon., 264, 487, 707.
(64)  
Trachin., 1184.
(65)   
Mem. sur les oracles, pag. 29, 30.
(66)    
Prom. vinct., 856, Blomf.
(67)    
(68)  .
(69)    
(70)  
(71
(72)    
(73)    
(74)    
(75)   
(76)   
(77)   
(78)    
(79)   
(80)     
(81)    
(82)    
(83)    
(84)   Lib, XXII, p. 232, Vales.
(85)   Aethiop., II, p. 92, Coray.
(86) IV, pag. 149, Cor.
(87
)  Dans la traduction d'Eusèbe, à l'article de Memnon (ci-dessus, p. 39, n. 1), S, Jérôme ajoute : Quippe cujus statua usque ad adventum Christi, sole oriente, vocem dare dicebatur. Scaliger a rejeté cette addition, comme n'étant pas d'Eusèbe ; et la version arménienne, faite sur le grec, prouve qu'il a eu raison, puisque cette phrase n'y est pas : mais Vallarsi, l'éditeur de S. Jérôme, n’a pas eu tort non plus de l'insérer dans son édition, parce que rien ne dit qu'elle ne soit pas de cet auteur, dans l'opinion duquel elle rentre d'ailleurs parfaitement ; témoin ce passage : Hoc autem significat, quod post ADVENTUM CHRISTI omnia idola conticueruut (S. Hieronym. in cap. XLII Esaiae). La phrase manque dans quelques manuscrits, il est vrai ; mais elle est donnée par d'autres, et par les anciennes éditions (voyez Vallarsi, p. 165, E, t. VIII). Cette addition n'est pas de celles qu'on peut attribuer à des copistes du moyen âge.
(88)   Contra Cels., VII, p. 333
(89Ad Graec., p. 51, 5.
(90)   Praep, evang., V, 15-17. - Demonstr. evang., V, proaem, p. 204, A.
(91)   De incarnat. Verb. Dei, 1 47, p. 88, D.
(92)   Contra Julian., VI, p. 198, E. - In Esaïam, IV, Orat II.
(93)    Advers. Gr. serm, 10, de oracul. Opp., IV, p. 624, A ; 632, B, C.
(94)     In cap. XLII, Esaiae.
(95)    Dans une inscription métrique (n° XLVI), malheureusement trop mutilée, il semblerait que l'auteur reconnût que la statue ne disait rien quand elle était entière. Il ne serait pas impossible que ce fait, entièrement contraire à l'opinion commune, eût été consigné dans quelque tradition, dont l'auteur, plus savant que les autres, aurait été instruit. Toutefois il faudrait qu'un fait de ce genre, pour être admis, reposât sur quelque chose de plus sûr qu'une restitution conjecturale.
(96)   Jucundam sibi peregrinationem hanc propter religionem Serapidis... Severus ipse postea semper ostendit. Nam et Memphim, et Memnonem, et pyramides, et labyrinthum, diligenter inspexit. (Spart. in Severo,. § 17.)
(97)   Judaeos fieri sub gravi poena vetuit. Idem etiam de christianis sanxit. (Id. ibid.)
(98)   Euseb., Hist. eccl., VI, 1.
(99Vita Apollon. Tyan, I, 3.
(100Testimonies, III, 252, 352.