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Les patriciens |
7. Désormais confiant dans ses forces, Romulus conçut alors une structure pour les gérer. Il nomma cent sénateurs. Jugeait-il ce nombre suffisant ou n'y avait-il que cent hommes susceptibles de porter le titre de pères (patres) ? Car c'est ainsi qu'on appella ceux-ci, en raison de leur honorabilité, et patriciens leurs descendants. Tite-Live, I, VIII. |
Ce mot dérive de pater, qui dans les premiers temps signifie toujours un patricien et dans les temps postérieurs de la république se rencontre souvent chez les auteurs romains dans le sens de sénateur. Les patricii signifie donc ceux qui font partie des patres "rex patres eos (senatores) voluit nominari, patriciosque eorum liberos". Cicéron et Denys font l’erreur de supposer que les patricii sont seulement la descendance des patres dans le sens de sénateurs et qu’ils leur sont nécessairement liés par le sang.
Il prit dans ce nombre cent des principaux et des plus honnêtes pour en former son conseil : il leur donna le nom de patriciens, et au corps entier celui de sénat, c’est-à-dire, conseil des anciens. Ces sénateurs furent, dit-on, nommés patriciens, ou parce qu’ils étaient pères d’enfants libres, ou plutôt, selon d’autres, parce qu’ils pouvaient montrer leurs pères, ce que n’auraient pu faire la plupart de ceux qui s’étaient rassemblés les premiers auprès de Romulus. Quelques auteurs dérivent ce nom du droit de patronat : c’est ainsi qu’ils appelaient et qu’ils appellent encore la protection que les grands accordent aux petits. On fait remonter ce droit à un des compagnons d’Évandre, nommé Patron, qui, protecteur zélé des indigents, laissa son nom à cet exercice de bienfaisance. Mais ne pourrait-on pas dire, avec plus de vraisemblance, que Romulus les nomma ainsi, parce qu’il croyait juste que les premiers et les plus puissants d’entre les citoyens eussent un soin et une sollicitude paternelle pour les faibles ; et qu’en même temps il apprenait à ceux-ci que, loin de craindre les grands et de s’affliger des honneurs dont ils jouissent, ils doivent avoir pour eux du respect et de la bienveillance, les regarder comme leurs pères, et leur en donner le titre ? Aussi les sénateurs sont-ils, même à présent, qualifiés de seigneurs par les étrangers ; et par les Romains, de pères conscrits, qualification très honorable, qui, étant pour eux de la plus grande dignité, ne les expose nullement à l’envie. D’abord on les appela simplement pères ; dans la suite, leur nombre s’étant considérablement accru, on les nomma pères conscrits. PUTARQUE, Romulus, XIII |
Patres et patricii sont à l'origine des mots identiques. Les mots patres et patricii ont exactement la même signification et certains anciens croient que l'on donne le nom de patres à cette classe particulière de la population romaine du fait qu'ils sont pères des familles ; d'autres disent qu’on les a appelé ainsi pour leur âge ; ou parce qu'ils distribuent la terre aux citoyens plus pauvres, comme les pères le font avec leurs enfants. Mais la plupart des auteurs rapportent à juste titre le nom au patrocinium que les patriciens exercent sur tout l'état et sur toutes les classes qui la composent.
Pour savoir qui sont les patriciens, on doit distinguer trois périodes dans l'histoire de Rome. La première va de la création de la ville à l'établissement de la plèbe comme second pouvoir; la seconde, de cet événement à la période de Constantin : durant cette période les patriciens sont un vraie aristocratie de naissance et en tant que tels forment une classe distincte de citoyens romains opposés aux plébéiens, et ensuite s’opposent à la nouvelle aristocratie plébéienne des nobiles. La troisième période s'étend de Constantin jusqu’au moyen âge : durant cette période les patriciens ne sont plus une aristocratie de naissance, mais des personnes qui portent simplement un titre, d'abord accordé par les empereurs et ensuite par les papes.
Première période: de la fondation de la ville à l'établissement de la plèbe
Les recherches de Niebuhr sur l'histoire
des débuts de Rome démontrent expressément que durant cette période les
patriciens comprennent l’ensemble des Romains qui ont le droit de vote, qu’ils
sont le populus Romanus
et que ce sont les seuls vrais citoyens. On doit considérer les patriciens
comme les conquérants qui ont réduit les anciens habitants à l’esclavage :
ils les désignent par le terme de cliens et de
plebs.
Cette partie de la population romaine, à savoir les clients et les esclaves,
n'appartient pas au populus Romanus
ou personnes gouvernantes, et ne faisait pas partie des bourgeois ou patriciens.
Les sénateurs sont un corps choisi du populus ou des patriciens : ils agissent
en tant que leurs représentants. Les bourgeois ou les patriciens forment
à l'origine trois tribus distinctes qui graduellement se sont réunies en un populus
souverain. Ces tribus fondent des colonies sur plusieurs collines qui sont plus
tard incorporées dans l'enceinte de la ville de Rome. Elles s’appellent Ramnes,
Tities, et Luceres, ou
Ramnenses, Titienses,
et Lucerenses. Chacune de ces tribus se compose de
dix curiae, et chaque
curia
de dix décuries : c’est une subdivision représentative et militaire [ SENATUS.
]
La première tribu ou les Ramnes, est une colonie
latine sur le Palatin : on dit que c’est Romulus qui en est le fondateur. Tant
qu’elle reste seule, elle ne compte que cent gentes et son sénat est de cent
membres.
Quand les colons Tities ou de Sabine installés sur
le Quirinal et le Viminal, sous le Roi Tatius, s’unissent aux Romains, le
nombre de gentes ainsi que celui de sénateurs
monte à 200.
Ces deux tribus après leur union continuent probablement pendant un temps
considérable à être les patriciens de Rome, jusqu’au moment où une
troisième tribu, les Luceres, composée
principalement d'Etrusques, qui se sont installés sur le Caelius, s’unit aux
deux autres comme troisième tribu. On ne sait pas exactement quand cela se
produit: certains prétendent que c’est sous Romulus; d'autres plus tard. Mais
la colonisation étrusque est fort probablement plus ancienne que celle des
Sabins, bien qu'il semble qu’il y ait encore eu de nouveaux colons étrusques
même du temps de la République.
La fusion de ces trois tribus ne se fait pas en même temps: l'union entre les Latins et les Sabins se serait faite sous le règne de Romulus, bien qu'elle ne semble pas être tout à fait parfaite, puisque les Latins, dans quelques occasions, réclament une supériorité sur les Sabins. Les Luceres existent pendant longtemps comme une tribu séparée sans jouir des mêmes droits que les deux autres jusqu'à ce que Tarquin l’Ancien, lui-même Etrusque, les mettent sur un pied d'égalité avec les autres. Pour cette raison on dit qu'il augmente le nombre de sénateurs à 300 (cf. SENATUS), et ajoute deux Vestales au nombre existant de quatre. On distingue cependant les Luceres des autres tribus, malgré cette fusion, par le terme de patres minorum gentium; bien que ce nom s’applique également à d'autres patriciens, par exemple aux familles plébéiennes qui Tarquin l’Ancien fait entrer dans les trois tribus : pour se différencier de celles-ci, les Luceres s'appellent de nouveau patres maiorum gentium. Cicéron montre que cette distinction entre maiorum et minorum gentium continue dans la vie privée, à un moment où elle n'a plus aucun sens sauf au point de vue politique. Tullus Hostilius accepte plusieurs gentes nobles d'Albe parmi les patriciens : les Tullii (Sulii?), les Servilii, les Quinctii, les Geganii, les Curiati et les Cloelii, plus la gens Metilia. Ancus Marcius admet les Tarquinii, Servius Tullius les Octavii. On ne voit nulle part d’augmentation du nombre des gentes lors de ces admissions : on doit donc supposer que certaines d'entre elles se sont éteintes et que les vacances ont été comblées par ces nouveaux patriciens. Sous la république, des étrangers distingués et des plébéiens riches sont, de temps en temps, faits patriciens romains, par exemple Appius Claudius et sa gens, ainsi que Domitius Ahenobarbus. Pour la période royale, les historiens romains parlent comme si les rois ont le pouvoir d'élever une gens ou un individu au rang de patricien; mais il est évident que le roi ne peut le faire sans consentement des patres dans leurs curies; et par conséquent Tite-Live fait dire à Canuleius "per cooptationem in patres, aut ab regibus lecti" : la lectio, naturellement, exige l’accord des patriciens. Sous la république le sénat et le peuple sont les seuls à pouvoir accorder l’élévation au rang de patricien.
Comme il n’y a que les patriciens qui sont citoyens romains durant cette période, on ne peut parler de droits et de privilèges les concernant exclusivement; ils sont tous repris dans la CIVITAS (ROMAIN) et la GENS. En ce qui concerne leurs relations avec les rois : voir les COMITIA CURIATA et le SENATUS. Durant cette période on peut à peine dire que les patriciens sont une aristocratie, à moins que l’on considère leur relation avec les clients de ce point de vue [ CLIENS. ]
Deuxième période: de l'établissement de l'ordre plébéien à la période de Constantin.
Quand les plébéiens deviennent une classe distincte de citoyens qui partagent certains droits avec les patriciens, ce que perdent ces derniers, c'est que ces droits plus ne leur appartiennent plus exclusivement. Mais ils gardent la possession exclusive de la majorité des droits et les plus importants : ils sont les seuls à être des cives optimo iure et sont les patres de la nation comme auparavant. Toutes les charges civiles et religieuses sont dans leurs mains et ils continuent comme avant à être le populus : la nation comprenant maintenant le populus et la plebes. Cette distinction, que Tite-Live trouve dans les documents anciens, semble cependant au cours du temps tomber dans l’oubli, de sorte que l'historien semble à peine s’en rendre compte et emploie le mot populus pour l’ensemble des citoyens y compris les plébéiens. Sous les Antonins le terme populus signifie tous les citoyens, sauf les patricii. Dans leur relation avec les plébéiens, les patriciens sont maintenant une véritable aristocratie de naissance. Une personne née d’une famille patricienne est et reste un patricien, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit membre du sénat ou eques, qu’il exerce une haute charge dans l’Etat ou pas: il n'y a aucun pouvoir qui puisse rendre un patricien plébéien, sauf de son propre gré : un patricien peut être adopté par une famille plébéienne ou un patricien peut devenir plébéien par passage solennel de son propre ordre à la plèbe en abandonnant sa gens et sa curia et en renonçant aux sacra. En ce qui concerne le recensement, il ne peut donc appartenir aux classes riches mais il garde son rang. Les exemples de patriciens dégradés durant la dernière période de la république sont le père de M. Aemilius Scaurus et la famille de Sylla avant la période du dictateur de ce nom. Mais un plébéien ou même un étranger peut, comme on l’a dit plus haut, devenir patricien par une lex curiata. Mais ceci semble exceptionnel; par conséquence, au cours de quelques siècles le nombre de familles patriciennes diminue tellement rapidement que vers la fin de la république il n'y a pas plus de cinquante familles. Jules César par la lex Cassia élève plusieurs familles plébéiennes au rang de patriciens pour qu'elles puissent continuer à tenir les anciennes charges religieuses qui appartiennent toujours à leur ordre. Auguste peu après est dans la nécessité d’agir de même par une lex Scaenia. D'autres empereurs suivent ces exemples: Claude fait passer un certain nombre de sénateurs et de personnes nées de parents illustres au rang de patriciens; Vespasien, Titus, et d'autres empereurs font de même. L'expression pour cet acte d'élever des personnes au rang de patriciens est in patricios ou in familiam patriciam adligere.
Bien que durant toute cette période les patriciens aient la forme d'une aristocratie de naissance, pourtant leurs droits politiques ne sont pas les mêmes à tout moment. Les premiers siècles de cette période sont une lutte presque ininterrompue entre patriciens et plébéiens : les patriciens essayent par tous les moyens de maintenir leurs droits exclusifs, mais cela se termine par l'établissement de l'égalité politique entre les deux ordres. [ PLEBS. ] Seulement quelques charges religieuses insignifiantes et l'exécution de certains rites et cérémonies religieux antiques restent le privilège exclusif des patriciens : c’est de cela qi’ils sont les plus fiers parce que dans l’ancien temps leur pouvoir religieux et sa signification est la base de leur supériorité politique. Au moment où la lutte entre patriciens et plébéiens cesse, une nouvelle sorte d’aristocratie naît à Rome : elle se base sur la richesse et en partie sur les hautes charges de la république. On donne le nom de Nobiles à toutes les personnes dont les ancêtres ont exercé une charge curule (cf. NOBILES.) Cette aristocratie des nobiles éclipse les vieux patriciens, bien que les deux classes d’aristocrates s’unissent dans la mesure du possible pour monopoliser tous les grandes charges de l'état; mais bien que les vieux patriciens soient obligés dans beaucoup de cas de faire cause commune avec les nobiles, cependant ils gardent le sentiment de leur propre supériorité; et le vénération que seule leur ancienneté historique peut accorder, les distingue toujours des nobiles. On voit combien la richesse l’emporte graduellement par la mesure adoptée lors de la première guerre punique : les dépenses pour les jeux publics ne proviennent plus de l'aerarium, mais sont à la charge des édiles. Cette charge est la première étape du cursus honorum de la république : donc cette mesure est une exclusion tacite de ces charges pour les citoyens plus pauvres. Sous les empereurs la position des patriciens comme corps ne s’améliore pas; les emplois vacants remplis par les empereurs ont pris de plus en plus le caractère d'un honneur particulier, conféré à une personne pour ses bons et loyaux services ou simplement comme une faveur personnelle, de sorte que la transition de cette période vers la troisième se fait sans difficultés.
Pour étudier les grands privilèges politiques et religieux que les patriciens possèdent d'abord seuls, mais sont obligés ensuite de partager avec les plébéiens, voir PLEBS et les articles traitant des multiples charges de magistrats et de prêtres romains. Cf. également GENS; CURIA; SENATUS.
L’aspect extérieur du patricien ne se distingue pratiquement pas des autres citoyens sauf s’il est sénateur, magistrat curule ou eques : dans ce cas il porte comme les autres les insignes particuliers de sa charge. La seule chose qui semble le distinguer dans son aspect des autres citoyens, c’est une espèce particulière de chaussures, qui lui couvrent le pied et une partie de la jambe, bien qu'elles ne soient pas aussi hautes que les chaussures des sénateurs et des magistrats curules. Ces chaussures sont attachées avec quatre cordes (corrigae ou lora patricia) et sont ornées d’une lunula. Festus déclare que les chaussures portées par les patriciens s’appellent mulleus; mais un passage de Varron montre que les mullei (chaussures d'une couleur pourpre) sont portées par les magistrats curules.
Troisième Période: de Constantin au Moyen Age.
Dès Constantin la dignité du patricius est un titre personnel, qui confère à la personne, à qui on lui accorde, un rang très élevé et certains privilèges. Jusqu'ici les patriciens étaient les seuls citoyens romains véritables et la dignité passait du père à ses enfants; mais on crée à Constantinople une nouvelle dignité qui ne se base pas sur les vieilles familles romaines; elle est donnée, sans considération pour les personnes, à des hommes qui se sont distingués pendant longtemps par de bons et fidèles services à l'empire ou à l'empereur. Cette nouvelle dignité n'est pas héréditaire, mais s’éteint à la mort de la personne à qui elle est conférée. Quand, durant cette période, on parle de familles patriciennes, cela veut dire que le chef de famille seulement est un patricius. Le mot patricius durant cette période a la signification conventionnelle de père de l'empereur, et ceux qui sont ainsi distinguées occupent le rang le plus élevé parmi les illustres; seuls les consuls ont un rang plus élevé qu'un patricius. Les titres qu’on donne au patricius est magnificentia, celsitudo, eminentia, et magnitudo. Ils sont engagés dans l’administration (ils ont généralement les plus hautes charges dans l'état, à la cour et dans les provinces), et s’appellent alors patricii praesentales ou ils ont seulement le titre et s’appellent patricii codicillares ou honorarii. Tous, cependant, se distinguent par leur aspect et leur habillement des personnes ordinaires. Ils apparaissent rarement devant le public autrement que dans un chariot. Les empereurs sont généralement très prudents pour accorder cette grande distinction, cependant certains des despotes les plus arbitraires confèrent cet honneur à des jeunes hommes et même à des eunuques. Zénon décrète que personne ne peut devenir patricius s’il n’a pas été consul, préfet ou magister militum. Justinien, cependant, supprime certaines de ces restrictions. L’élévation au rang de patricius est notifiée à la personne par un écrit appelé diploma.
Cette nouvelle dignité n'est pas confinée à des Romains ou à des sujets de l'empire, mais elle est parfois accordée à des princes étrangers, tels qu'Odoacre, chef des Heruli, et à d'autres. Quand les papes de Rome établissent leur autorité, ils assument également le droit d'accorder le titre de patricius à des personnes et des princes éminents : plusieurs empereurs allemands reçoivent cette distinction des papes. Dans plusieurs des royaumes germaniques les souverains imitent les empereurs et les papes romains en donnant à leurs sujets plus distingués le titre de patricius, mais ces patricii sont toujours d’un rang inférieur aux patricii romains : les rois et les empereurs eux-mêmes sont fiers de ce titre.