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XÉNOPHON

Texte mis en page par Thierry Vebr

 

Ξενοφώντος

Κύρου Ἀνάβασις

  Pour le texte grec

http://www.mikrosapoplous.gr/zpd/xen211.zip  

traduction française seule

 

Retraite des Dix Mille. Traduction de La Luzerne. 1835

 

 

Βιβλίον Β

Livre 2

[2.1.1] [ὡς μὲν οὖν ἡθροίσθη Κύρῳ τὸ Ἑλληνικὸν ὅτε ἐπὶ τὸν ἀδελφὸν Ἀρταξέρξην ἐστρατεύετο, καὶ ὅσα ἐν τῇ ἀνόδῳ ἐπράχθη καὶ ὡς ἡ μάχη ἐγένετο καὶ ὡς Κῦρος ἐτελεύτησε καὶ ὡς ἐπὶ τὸ στρατόπεδον ἐλθόντες οἱ Ἕλληνες ἐκοιμήθησαν οἰόμενοι τὰ πάντα νικᾶν καὶ Κῦρον ζῆν, ἐν τῷ πρόσθεν λόγῳ δεδήλωται.]

On a vu, dans le livre précédent, comment Cyrus leva des troupes grecques lorsqu'il entreprit son expédition contre Artaxerxès. On y a lu tout ce qui se passa pendant la marche, les détails de la bataille, comment Cyrus fut tué, et comment les Grecs revenus à leur camp y passèrent la nuit, persuadés qu'ils avaient battu toutes les troupes du roi, et que Cyrus était en vie.

[2.1.2] ἅμα δὲ τῇ ἡμέρᾳ συνελθόντες οἱ στρατηγοὶ ἐθαύμαζον ὅτι Κῦρος οὔτε ἄλλον πέμπει σημανοῦντα ὅ τι χρὴ ποιεῖν οὔτε αὐτὸς φαίνοιτο. ἔδοξεν οὖν αὐτοῖς συσκευασαμένοις ἃ εἶχον καὶ ἐξοπλισαμένοις προϊέναι εἰς τὸ πρόσθεν, ἕως Κύρῳ συμμείξειαν. [2.1.3] ἤδη δὲ ἐν ὁρμῇ ὄντων ἅμα ἡλίῳ ἀνέχοντι ἦλθε Προκλῆς ὁ Τευθρανίας ἄρχων, γεγονὼς ἀπὸ Δαμαράτου τοῦ Λάκωνος, καὶ Γλοῦς ὁ Ταμώ. οὗτοι ἔλεγον ὅτι Κῦρος μὲν τέθνηκεν, Ἀριαῖος δὲ πεφευγὼς ἐν τῷ σταθμῷ εἴη μετὰ τῶν ἄλλων βαρβάρων ὅθεν τῇ προτεραίᾳ ὡρμῶντο, καὶ λέγει ὅτι ταύτην μὲν τὴν ἡμέραν περιμένοιεν αὐτούς, εἰ μέλλοιεν ἥκειν, τῇ δὲ ἄλλῃ ἀπιέναι φαίη ἐπὶ Ἰωνίας, ὅθενπερ ἦλθε. [2.1.4] ταῦτα ἀκούσαντες οἱ στρατηγοὶ καὶ οἱ ἄλλοι Ἕλληνες πυνθανόμενοι βαρέως ἔφερον. Κλέαρχος δὲ τάδε εἶπεν·

À la pointe du jour, les généraux s'assemblèrent. Ils s'étonnaient que Cyrus n'envoyât personne leur porter des ordres ou ne parût pas lui‑même. Ils résolurent de faire charger les équipages qui leur restaient, de prendre les armes, et de marcher en avant pour se réunir au prince. Ils s'ébranlaient déjà, lorsque au lever du soleil Proclès, gouverneur de Teuthranie, qui descendait de Damarate le Lacédémonien, et Glous, fils de Tamos, arrivèrent. Ils apprirent aux Grecs que Cyrus avait été tué ; qu'Ariée ayant fui avec ses Barbares, occupait le camp d'où l'on était parti la veille ; qu'il leur promettait de les y attendre tout le jour, s'ils voulaient s'y rendre ; mais que dès le lendemain, à ce qu'il annonçait, il se mettrait en marche pour retourner en Ionie. Les généraux et tous les Grecs ayant entendu ce discours, s'affligeaient. Cléarque dit :

--ἀλλ᾽ὤφελε μὲν Κῦρος ζῆν· ἐπεὶ δὲ τετελεύτηκεν, ἀπαγγέλλετε Ἀριαίῳ ὅτι ἡμεῖς νικῶμέν τε βασιλέα καί, ὡς ὁρᾶτε, οὐδεὶς ἔτι ἡμῖν μάχεται, καί, εἰ μὴ ὑμεῖς ἤλθετε, ἐπορευόμεθα ἂν ἐπὶ βασιλέα. ἐπαγγελλόμεθα δὲ Ἀριαίῳ, ἐὰν ἐνθάδε ἔλθῃ, εἰς τὸν θρόνον τὸν βασίλειον καθιεῖν αὐτόν· τῶν γὰρ μάχην νικώντων καὶ τὸ ἄρχειν ἐστί. [2.1.5] ταῦτα εἰπὼν ἀποστέλλει τοὺς ἀγγέλους καὶ σὺν αὐτοῖς Χειρίσοφον τὸν Λάκωνα καὶ Μένωνα τὸν Θετταλόν· καὶ γὰρ αὐτὸς Μένων ἐβούλετο· ἦν γὰρ φίλος καὶ ξένος Ἀριαίου. [2.1.6] οἱ μὲν ᾤχοντο, Κλέαρχος δὲ περιέμενε· τὸ δὲ στράτευμα ἐπορίζετο σῖτον, ὅπως ἐδύνατο, ἐκ τῶν ὑποζυγίων κόπτοντες τοὺς βοῦς καὶ ὄνους· ξύλοις δὲ ἐχρῶντο μικρὸν προϊόντες ἀπὸ τῆς φάλαγγος, οὗ ἡ μάχη ἐγένετο, τοῖς τε οἰστοῖς πολλοῖς οὖσιν, οὓς ἠνάγκαζον οἱ Ἕλληνες ἐκβάλλειν τοὺς αὐτομολοῦντας παρὰ βασιλέως, καὶ τοῖς γέρροις καὶ ταῖς ἀσπίσι ταῖς ξυλίναις ταῖς Αἰγυπτίαις· πολλαὶ δὲ καὶ πέλται καὶ ἅμαξαι ἦσαν φέρεσθαι ἔρημοι· οἷς πᾶσι χρώμενοι κρέα ἕψοντες ἤσθιον ἐκείνην τὴν ἡμέραν. [2.1.7] καὶ ἤδη τε ἦν περὶ πλήθουσαν ἀγορὰν καὶ ἔρχονται παρὰ βασιλέως καὶ Τισσαφέρνους κήρυκες οἱ μὲν ἄλλοι βάρβαροι, ἦν δ᾽αὐτῶν Φαλῖνος εἷς Ἕλλην, ὃς ἐτύγχανε παρὰ Τισσαφέρνει ὢν καὶ ἐντίμως ἔχων· καὶ γὰρ προσεποιεῖτο ἐπιστήμων εἶναι τῶν ἀμφὶ τάξεις τε καὶ ὁπλομαχίαν. [2.1.8] οὗτοι δὲ προσελθόντες καὶ καλέσαντες τοὺς τῶν Ἑλλήνων ἄρχοντας λέγουσιν ὅτι βασιλεὺς κελεύει τοὺς Ἕλληνας, ἐπεὶ νικῶν τυγχάνει καὶ Κῦρον ἀπέκτονε, παραδόντας τὰ ὅπλα ἰόντας ἐπὶ βασιλέως θύρας εὑρίσκεσθαι ἄν τι δύνωνται ἀγαθόν. [2.1.9] ταῦτα μὲν εἶπον οἱ βασιλέως κήρυκες· οἱ δὲ Ἕλληνες βαρέως μὲν ἤκουσαν, ὅμως δὲ Κλέαρχος τοσοῦτον εἶπεν, ὅτι οὐ τῶν νικώντων εἴη τὰ ὅπλα παραδιδόναι· ἀλλ᾽, ἔφη, ὑμεῖς μέν, ὦ ἄνδρες στρατηγοί, τούτοις ἀποκρίνασθε ὅ τι κάλλιστόν τε καὶ ἄριστον ἔχετε· ἐγὼ δὲ αὐτίκα ἥξω. ἐκάλεσε γάρ τις αὐτὸν τῶν ὑπηρετῶν, ὅπως ἴδοι τὰ ἱερὰ ἐξῃρημένα· ἔτυχε γὰρ θυόμενος. [2.1.10] ἔνθα δὴ ἀπεκρίνατο Κλεάνωρ ὁ Ἀρκάς, πρεσβύτατος ὤν, ὅτι πρόσθεν ἂν ἀποθάνοιεν ἢ τὰ ὅπλα παραδοίησαν· Πρόξενος δὲ ὁ Θηβαῖος,

“Plût au ciel que Cyrus vécût encore ! Mais puisqu'il est mort, annoncez à Ariée que nous avons battu le roi ; qu'il n'y a plus de troupes devant nous, comme vous le voyez vous‑mêmes, et que nous allions marcher contre Artaxerxès si vous ne fussiez survenus. Qu'Ariée nous joigne. Nous lui promettons de le placer sur le trône ; car c'est aux vainqueurs à disposer des empires.” Ayant dit ces mots, il renvoya les députés, et les fit accompagner par Chirisophe Lacédémonien, et par Ménon de Thessalie. Ménon brigua lui‑même cet emploi ; car il était ami d'Ariée et lié à ce barbare par les nœuds de l'hospitalité. Les députés partirent. Cléarque attendit leur retour. L'armée se procura des vivres comme elle put. On prit aux équipages des bœufs et des ânes qu'on tua. Le soldat, pour avoir du bois, s'avançant un peu hors de la ligne jusqu'au lieu où s'était donnée la bataille, ramassa les flèches qu'on avait fait mettre bas aux déserteurs de l'armée du roi. Il y en avait une grande quantité. On trouva aussi des boucliers à la perse, des boucliers de bois des Égyptiens, beaucoup de boucliers d'armés à la légère, et des caissons vides. On se servit de ces bois pour faire bouillir les viandes, et l'on vécut ainsi ce jour‑là.

Vers l'heure où la multitude abonde dans les places publiques, il arrive des hérauts, de la part du roi et de Tissapherne. Ils étaient tous Barbares, à Phalinus près, Grec qui était à la suite de ce satrape, et qui en était considéré ; car il se donnait pour avoir des connaissances sur la tactique et sur le maniement des armes. Les hérauts s'étant approchés et ayant appelé les généraux, leur annoncent que le roi se regardant comme vainqueur, par la mort de Cyrus, ordonne aux Grecs de rendre les armes, de venir aux portes de son palais implorer sa clémence, et tâcher d'obtenir de lui un traitement favorable. Voilà ce que déclarèrent les hérauts. Les Grecs s'indignèrent de leur discours : Cléarque se contenta de dire que ce n'était point aux vainqueurs à mettre bas les armes. “Vous autres, ajouta‑t‑il, généraux, mes compagnons, répondez ce que vous croirez de meilleur et de plus honnête. Je reviens à vous dans un moment.” Un de ses domestiques était venu le chercher pour qu'il vît les entrailles de la victime, car il sacrifiait lors de l'arrivée des Perses. Cléanor d'Arcadie, le plus âgé des chefs, répondit qu'on mourrait avant de rendre les armes. Proxène dé Thèbes prit la parole et dit :

--ἀλλ᾽ἐγώ, ἔφη, ὦ Φαλῖνε, θαυμάζω πότερα ὡς κρατῶν βασιλεὺς αἰτεῖ τὰ ὅπλα ἢ ὡς διὰ φιλίαν δῶρα. εἰ μὲν γὰρ ὡς κρατῶν, τί δεῖ αὐτὸν αἰτεῖν καὶ οὐ λαβεῖν ἐλθόντα; εἰ δὲ πείσας βούλεται λαβεῖν, λεγέτω τί ἔσται τοῖς στρατιώταις, ἐὰν αὐτῷ ταῦτα χαρίσωνται. [2.1.11] πρὸς ταῦτα Φαλῖνος εἶπε·

“Tout ceci m'étonne, Phalinus. Est‑ce à titre de vainqueur, est‑ce à titre d'ami et, comme un présent que le roi nous demande nos armes : Si c'est comme vainqueur, qu'est‑il besoin de les demander? Que ne vient‑il les prendre ? S'il veut les obtenir par la voie de la persuasion, qu'il déclare donc quel sera le traitement des Grecs, lorsqu'ils auront eu pour lui cette déférence.” Phalinus répondit :

--βασιλεὺς νικᾶν ἡγεῖται, ἐπεὶ Κῦρον ἀπέκτεινε. τίς γὰρ αὐτῷ ἔστιν ὅστις τῆς ἀρχῆς ἀντιποιεῖται; νομίζει δὲ καὶ ὑμᾶς ἑαυτοῦ εἶναι, ἔχων ἐν μέσῃ τῇ ἑαυτοῦ χώρᾳ καὶ ποταμῶν ἐντὸς ἀδιαβάτων καὶ πλῆθος ἀνθρώπων ἐφ᾽ὑμᾶς δυνάμενος ἀγαγεῖν, ὅσον οὐδ᾽εἰ παρέχοι ὑμῖν δύναισθε ἂν ἀποκτεῖναι. [2.1.12] μετὰ τοῦτον Θεόπομπος Ἀθηναῖος εἶπεν·

“Le roi croit avoir remporté la victoire, puisque Cyrus a été tué ; car qui peut désormais lui disputer son empire ? Il vous regarde comme étant en son pouvoir, parce qu'il vous tient au milieu de ses états, entre des fleuves que vous ne pouvez repasser, et qu'il peut vous accabler sous une telle multitude d'hommes, que vous ne suffiriez pas à les égorger s'il vous les livrait désarmés.” Xénophon Athénien prit ensuite la parole :

--ὦ Φαλῖνε, νῦν, ὡς σὺ ὁρᾷς, ἡμῖν οὐδὲν ἔστιν ἀγαθὸν ἄλλο εἰ μὴ ὅπλα καὶ ἀρετή. ὅπλα μὲν οὖν ἔχοντες οἰόμεθα ἂν καὶ τῇ ἀρετῇ χρῆσθαι, παραδόντες δ᾽ἂν ταῦτα καὶ τῶν σωμάτων στερηθῆναι. μὴ οὖν οἴου τὰ μόνα ἀγαθὰ ἡμῖν ὄντα ὑμῖν παραδώσειν, ἀλλὰ σὺν τούτοις καὶ περὶ τῶν ὑμετέρων ἀγαθῶν μαχούμεθα. [2.1.13] ἀκούσας δὲ ταῦτα ὁ Φαλῖνος ἐγέλασε καὶ εἶπεν·

“Vous le voyez vous‑même, Phalinus, dit‑il, nous n'avons plus d'autre ressource que nos armes et notre courage. Tant que nous garderons nos armes, il nous reste l'espoir que notre courage nous servira. Si nous les avions livrées, nous craindrions de perdre jusqu'à la vie. Ne pensez donc pas que nous nous dépouillions pour vous du seul bien qui nous reste. Croyez que nous nous en servirons plutôt pour vous disputer les biens dont vous jouissez.” Phalinus sourit à ce discours, et répondit :

--ἀλλὰ φιλοσόφῳ μὲν ἔοικας, ὦ νεανίσκε, καὶ λέγεις οὐκ ἀχάριστα· ἴσθι μέντοι ἀνόητος ὤν, εἰ οἴει τὴν ὑμετέραν ἀρετὴν περιγενέσθαι ἂν τῆς βασιλέως δυνάμεως. [2.1.14] ἄλλους δέ τινας ἔφασαν λέγειν ὑπομαλακιζομένους, ὡς καὶ Κύρῳ πιστοὶ ἐγένοντο καὶ βασιλεῖ ἂν πολλοῦ ἄξιοι γένοιντο, εἰ βούλοιτο φίλος γενέσθαι· καὶ εἴτε ἄλλο τι θέλοι χρῆσθαι εἴτ᾽ἐπ᾽Αἴγυπτον στρατεύειν, συγκαταστρέψαιντ᾽ἂν αὐτῷ. [2.1.15] ἐν τούτῳ Κλέαρχος ἧκε, καὶ ἠρώτησεν εἰ ἤδη ἀποκεκριμένοι εἶεν. Φαλῖνος δὲ ὑπολαβὼν εἶπεν·

“Jeune homme, vous avez l'air d'un philosophe, et vous parlez avec agrément. Mais sachez que vous êtes un insensé si vous présumez que votre valeur l'emportera sur les forces du roi.” On prétend qu'il y eut alors des Grecs qui montrèrent quelque faiblesse, et qui dirent que comme ils avaient été fidèles à Cyrus, ils le seraient au roi s'il voulait se réconcilier avec eux, et qu'ils lui deviendraient infiniment utiles ; qu'Artaxerxès pourrait les employer à toute autre entreprise de son goût ; mais que s'il voulait les faire passer en Égypte, ils l'aideraient à soumettre ce royaume. Sur ces entrefaites, Cléarque revint et demanda si l'on avait répondu aux hérauts. Phalinus reprit la parole et lui dit :

--οὗτοι μέν, ὦ Κλέαρχε, ἄλλος ἄλλα λέγει· [2.1.16] σὺ δ᾽ἡμῖν εἰπὲ τί λέγεις. ὁ δ᾽εἶπεν·

“L'un répond d'une façon, Cléarque, l'autre d'une autre. Parlez vous‑même, et dites‑nous ce que vous pensez.

--ἐγώ σε, ὦ Φαλῖνε, ἄσμενος ἑόρακα, οἶμαι δὲ καὶ οἱ ἄλλοι πάντες· σύ τε γὰρ Ἕλλην εἶ καὶ ἡμεῖς τοσοῦτοι ὄντες ὅσους σὺ ὁρᾷς· ἐν τοιούτοις δὲ ὄντες πράγμασι συμβουλευόμεθά σοι τί χρὴ ποιεῖν περὶ ὧν λέγεις. [2.1.17] σὺ οὖν πρὸς θεῶν συμβούλευσον ἡμῖν ὅ τι σοι δοκεῖ κάλλιστον καὶ ἄριστον εἶναι, καὶ ὅ σοι τιμὴν οἴσει εἰς τὸν ἔπειτα χρόνον [ἀνα]λεγόμενον, ὅτι Φαλῖνός ποτε πεμφθεὶς παρὰ βασιλέως κελεύσων τοὺς Ἕλληνας τὰ ὅπλα παραδοῦναι συμβουλευομένοις συνεβούλευσεν αὐτοῖς τάδε. οἶσθα δὲ ὅτι ἀνάγκη λέγεσθαι ἐν τῇ Ἑλλάδι ἃ ἂν συμβουλεύσῃς. [2.1.18] ὁ δὲ Κλέαρχος ταῦτα ὑπήγετο βουλόμενος καὶ αὐτὸν τὸν παρὰ βασιλέως πρεσβεύοντα συμβουλεῦσαι μὴ παραδοῦναι τὰ ὅπλα, ὅπως εὐέλπιδες μᾶλλον εἶεν οἱ Ἕλληνες. Φαλῖνος δὲ ὑποστρέψας παρὰ τὴν δόξαν αὐτοῦ εἶπεν· [2.1.19]

‑ Je vous ai vu, Phalinus, avec plaisir, répondit Cléarque, et tout le camp, à ce que je présume, vous en dirait autant ; car vous êtes Grec, et vous ne voyez ici que des Grecs. Dans la position où nous nous trouvons, nous allons vous demander avis sur ce qu'il y a à faire, d'après les propositions que vous nous apportez. Conseillez‑nous donc, je vous en conjure par les dieux, ce que vous croirez le plus honnête, le plus courageux, et ce qui doit vous couvrir de gloire chez la postérité ; car on y dira, tel fut le conseil que donna aux Grecs Phalinus que le roi envoyait pour leur ordonner de rendre les armes. Quel qu'il soit, ce conseil, vous sentez que de toute nécessité on en parlera en Grèce.” Par ces insinuations, Cléarque voulait engager le député même du roi à conseiller qu'on ne lui rendît pas les armes, et relever ainsi l'espoir et le courage des Grecs. Phalinus l'éluda par ses détours, et contre l'attente de Cléarque, il parla ainsi :

--ἐγώ, εἰ μὲν τῶν μυρίων ἐλπίδων μία τις ὑμῖν ἐστι σωθῆναι πολεμοῦντας βασιλεῖ, συμβουλεύω μὴ παραδιδόναι τὰ ὅπλα· εἰ δέ τοι μηδεμία σωτηρίας ἐστὶν ἐλπὶς ἄκοντος βασιλέως, συμβουλεύω σᾐζεσθαι ὑμῖν ὅπῃ δυνατόν. [2.1.20] Κλέαρχος δὲ πρὸς ταῦτα εἶπεν·

“Si entre mille chances il en est une seule pour que vous échappiez au courroux du roi, en lui faisant la guerre, je vous conseille de ne point livrer vos armes. Mais, si en résistant à ce prince il ne vous reste aucun espoir de salut, embrassez, croyez‑moi, le seul parti qui puisse sauver vos jours.” Cléarque répliqua :

--ἀλλὰ ταῦτα μὲν δὴ σὺ λέγεις· παρ᾽ἡμῶν δὲ ἀπάγγελλε τάδε, ὅτι ἡμεῖς οἰόμεθα, εἰ μὲν δέοι βασιλεῖ φίλους εἶναι, πλείονος ἂν ἄξιοι εἶναι φίλοι ἔχοντες τὰ ὅπλα ἢ παραδόντες ἄλλῳ, εἰ δὲ δέοι πολεμεῖν, ἄμεινον ἂν πολεμεῖν ἔχοντες τὰ ὅπλα ἢ ἄλλῳ παραδόντες. [2.1.21] ὁ δὲ Φαλῖνος εἶπε·

“Tel est donc votre avis, Phalinus. Portez de notre part au roi cette réponse : s'il veut être de nos amis, nous lui serons plus utiles, et s'il est de nos ennemis, nous le combattrons mieux, les armes à la main qu'après nous en être dépouillés.” Phalinus dit :

--ταῦτα μὲν δὴ ἀπαγγελοῦμεν· ἀλλὰ καὶ τάδε ὑμῖν εἰπεῖν ἐκέλευσε βασιλεύς, ὅτι μένουσι μὲν ὑμῖν αὐτοῦ σπονδαὶ εἴησαν, προϊοῦσι δὲ καὶ ἀπιοῦσι πόλεμος. εἴπατε οὖν καὶ περὶ τούτου πότερα μενεῖτε καὶ σπονδαί εἰσιν ἢ ὡς πολέμου ὄντος παρ᾽ὑμῶν ἀπαγγελῶ. [2.1.22] Κλέαρχος δ᾽ἔλεξεν·

“Nous lui ferons part de cette résolution. Il nous a chargés de plus de vous annoncer qu'il vous accordait une trêve tant que vous resteriez dans ce camp, mais qu'elle serait rompue dès que vous vous ébranleriez pour marcher en avant ou en arrière. Répondez donc sur ce point. Restez‑vous ici, préférant la trêve, ou dirai-je au roi que vous recommencez les hostilités ?

--ἀπάγγελλε τοίνυν καὶ περὶ τούτου ὅτι καὶ ἡμῖν ταὐτὰ δοκεῖ ἅπερ καὶ βασιλεῖ.

‑ Annoncez-lui, reprit Cléarque, que nous acceptons les conditions qu'il propose.

--τί οὖν ταῦτά ἐστιν; ἔφη ὁ Φαλῖνος. ἀπεκρίνατο Κλέαρχος·

‑ Qu'entendez‑vous par là, dit Phalinus ?

--ἢν μὲν μένωμεν, σπονδαί, ἀπιοῦσι δὲ καὶ προϊοῦσι πόλεμος. [2.1.23] ὁ δὲ πάλιν ἠρώτησε·

‑ Que tant que nous resterons ici, dit Cléarque, la trêve aura lieu ; que, dès que nous marcherons en avant ou en arrière, les hostilités recommenceront.

--σπονδὰς ἢ πόλεμον ἀπαγγελῶ; Κλέαρχος δὲ ταὐτὰ πάλιν ἀπεκρίνατο·

‑ Mais, insista Phalinus, qu'annoncerai‑je au roi définitivement, la trêve ou la guerre ?” Cléarque répéta encore :

--σπονδαὶ μὲν μένουσιν, ἀπιοῦσι δὲ καὶ προϊοῦσι πόλεμος. ὅ τι δὲ ποιήσοι οὐ διεσήμηνε.

“La trêve tant que nous resterons ici, la guerre dès que nous nous porterons en avant ou en arrière”, et il ne voulut pas s'expliquer davantage sur ce qu'il projetait.

[2.2.1] Φαλῖνος μὲν δὴ ᾤχετο καὶ οἱ σὺν αὐτῷ. οἱ δὲ παρὰ Ἀριαίου ἧκον Προκλῆς καὶ Χειρίσοφος· Μένων δὲ αὐτοῦ ἔμενε παρὰ Ἀριαίῳ· οὗτοι δὲ ἔλεγον ὅτι πολλοὺς φαίη Ἀριαῖος εἶναι Πέρσας ἑαυτοῦ βελτίους, οὓς οὐκ ἂν ἀνασχέσθαι αὐτοῦ βασιλεύοντος· ἀλλ᾽εἰ βούλεσθε συναπιέναι, ἥκειν ἤδη κελεύει τῆς νυκτός. εἰ δὲ μή, αὔριον πρῲ ἀπιέναι φησίν. [2.2.2] ὁ δὲ Κλέαρχος εἶπεν·

Phalinus et les hérauts qui l'accompagnaient se retirèrent. Proclès et Chirisophe revinrent du camp d'Ariée. (Ménon y était resté auprès de ce chef des barbares.) Ils rapportèrent qu'Ariée disait qu'il y avait beaucoup de Perses plus distingués que lui, qui ne souffriraient pas qu'il s'assît sur le trône et leur donnât des lois. “Mais si vous voulez faire votre retraite avec lui, il vous fait dire de le joindre cette nuit, sinon il vous annonce qu'il décampera demain au point du jour.

--ἀλλ᾽οὕτω χρὴ ποιεῖν· ἐὰν μὲν ἥκωμεν, ὥσπερ λέγετε· εἰ δὲ μή, πράττετε ὁποῖον ἄν τι ὑμῖν οἴησθε μάλιστα συμφέρειν. ὅ τι δὲ ποιήσοι οὐδὲ τούτοις εἶπε. [2.2.3] μετὰ ταῦτα ἤδη ἡλίου δύνοντος συγκαλέσας στρατηγοὺς καὶ λοχαγοὺς ἔλεξε τοιάδε.

‑ Il faut faire ce que vous proposez, reprit Cléarque, si nous allons joindre Ariée, sinon prenez le parti que vous croirez le plus avantageux pour vous.” Par ces mots vagues il ne s'ouvrait pas même à eux de son dessein. Ensuite, au coucher du soleil, ayant assemblé les généraux et les chefs de lochos, il leur tint ce discours :

--ἐμοί, ὦ ἄνδρες, θυομένῳ ἰέναι ἐπὶ βασιλέα οὐκ ἐγίγνετο τὰ ἱερά. καὶ εἰκότως ἄρα οὐκ ἐγίγνετο· ὡς γὰρ ἐγὼ νῦν πυνθάνομαι, ἐν μέσῳ ἡμῶν καὶ βασιλέως ὁ Τίγρης ποταμός ἐστι ναυσίπορος, ὃν οὐκ ἂν δυναίμεθα ἄνευ πλοίων διαβῆναι· πλοῖα δὲ ἡμεῖς οὐκ ἔχομεν. οὐ μὲν δὴ αὐτοῦ γε μένειν οἷόν τε· τὰ γὰρ ἐπιτήδεια οὐκ ἔστιν ἔχειν· ἰέναι δὲ παρὰ τοὺς Κύρου φίλους πάνυ καλὰ ἡμῖν τὰ ἱερὰ ἦν. [2.2.4] ὧδε οὖν χρὴ ποιεῖν· ἀπιόντας δειπνεῖν ὅ τι τις ἔχει· ἐπειδὰν δὲ σημήνῃ τῷ κέρατι ὡς ἀναπαύεσθαι, συσκευάζεσθε· ἐπειδὰν δὲ τὸ δεύτερον, ἀνατίθεσθε ἐπὶ τὰ ὑποζύγια· ἐπὶ δὲ τῷ τρίτῳ ἕπεσθε τῷ ἡγουμένῳ, τὰ μὲν ὑποζύγια ἔχοντες πρὸς τοῦ ποταμοῦ, τὰ δὲ ὅπλα ἔξω. [2.2.5] ταῦτ᾽ἀκούσαντες οἱ στρατηγοὶ καὶ λοχαγοὶ ἀπῆλθον καὶ ἐποίουν οὕτω. καὶ τὸ λοιπὸν ὁ μὲν ἦρχεν, οἱ δὲ ἐπείθοντο, οὐχ ἑλόμενοι, ἀλλὰ ὁρῶντες ὅτι μόνος ἐφρόνει οἷα δεῖ τὸν ἄρχοντα, οἱ δ᾽ἄλλοι ἄπειροι ἦσαν. [2.2.6] [ἀριθμὸς τῆς ὁδοῦ ἣν ἦλθον ἐξ Ἐφέσου τῆς Ἰωνίας μέχρι τῆς μάχης σταθμοὶ τρεῖς καὶ ἐνενήκοντα, παρασάγγαι πέντε καὶ τριάκοντα καὶ πεντακόσιοι, στάδιοι πεντήκοντα καὶ ἑξακισχίλιοι καὶ μύριοι· ἀπὸ δὲ τῆς μάχης ἐλέγοντο εἶναι εἰς Βαβυλῶνα στάδιοι ἑξήκοντα καὶ τριακόσιοι.] [2.2.7] ἐντεῦθεν ἐπεὶ σκότος ἐγένετο Μιλτοκύθης μὲν ὁ Θρᾷξ ἔχων τούς τε ἱππέας τοὺς μεθ᾽ἑαυτοῦ εἰς τετταράκοντα καὶ τῶν πεζῶν Θρᾳκῶν ὡς τριακοσίους ηὐτομόλησε πρὸς βασιλέα. [2.2.8] Κλέαρχος δὲ τοῖς ἄλλοις ἡγεῖτο κατὰ τὰ παρηγγελμένα, οἱ δ᾽εἵποντο· καὶ ἀφικνοῦνται εἰς τὸν πρῶτον σταθμὸν παρ᾽Ἀριαῖον καὶ τὴν ἐκείνου στρατιὰν ἀμφὶ μέσας νύκτας· καὶ ἐν τάξει θέμενοι τὰ ὅπλα συνῆλθον οἱ στρατηγοὶ καὶ λοχαγοὶ τῶν Ἑλλήνων παρ᾽Ἀριαῖον· καὶ ὤμοσαν οἵ τε Ἕλληνες καὶ ὁ Ἀριαῖος καὶ τῶν σὺν αὐτῷ οἱ κράτιστοι μήτε προδώσειν ἀλλήλους σύμμαχοί τε ἔσεσθαι· οἱ δὲ βάρβαροι προσώμοσαν καὶ ἡγήσεσθαι ἀδόλως. [2.2.9] ταῦτα δ᾽ὤμοσαν, σφάξαντες ταῦρον καὶ κάπρον καὶ κριὸν εἰς ἀσπίδα, οἱ μὲν Ἕλληνες βάπτοντες ξίφος, οἱ δὲ βάρβαροι λόγχην. [2.2.10] ἐπεὶ δὲ τὰ πιστὰ ἐγένετο, εἶπεν ὁ Κλέαρχος·

“Compagnons, j’ai consulté les dieux par des sacrifices pour savoir si nous marcherions contre le roi. Les entrailles n'ont pas été favorables et avec raison. Car, à ce que j'entends dire, le roi a mis entre nous et lui le Tigre, fleuve navigable que nous ne pouvons passer sans bateaux, et nous n'en avons point. Rester ici, c’est impraticable, car les vivres nous manquent. Mais quant à rejoindre l'armée barbare de Cyrus, les dieux nous y invitent par des signes très favorables. Voici donc ce qu'il faut faire : séparons‑nous, et que chacun soupe avec ce qu'il a. Dès qu'on sonnera la retraite, pliez vos bagages ; chargez‑les au second signal ; au troisième, suivez‑moi ; je vous conduirai. La colonne des équipages longera le fleuve, et sera couverte par celle de l'infanterie.” Les généraux et les chefs de loches se retirèrent après ce discours, et firent ce qui était prescrit. De ce moment Cléarque commanda en chef et ils lui obéirent, non qu'ils l'eussent élu, mais on sentait que lui seul avait la capacité qu'exige le commandement d'une armée, et que l'expérience manquait aux autres. Voici le calcul du chemin qu'avait parcouru l'armée depuis Éphèse, ville d'Ionie, jusqu'au champ de bataille. En 93 marches, elle avait fait 535 parasanges ou 16.050 stades ; et l'on dit que du champ de bataille à Babylone, il y avait 360 stades. La nuit étant survenue, Miltocythès, Thrace, déserta et passa à l'armée du roi avec 40 cavaliers thraces qu'il commandait et 300 soldats à peu près de la même nation. Cléarque conduisit le reste de l'armée comme il avait annoncé. On le suivit et l'on arriva vers minuit au camp d'avant la bataille qu'occupaient Ariée et ses troupes. Les Grecs ayant pris leurs rangs, et posé ainsi les armes à terre, leurs généraux et leurs chefs de loches allèrent trouver Ariée. Les Grecs, Ariée et les principaux de son armée se jurèrent de ne point se trahir les uns les autres mais de se secourir loyalement en toute occasion. Les Barbares jurèrent de plus qu'ils conduiraient les Grecs sans fraude ni embûches. Ces sermons furent proférés après qu'on eut immolé un sanglier, un taureau, un loup et un bélier ; les Grecs trempant leurs épées, et les Barbares leurs lances, dans un bouclier plein du sang des victimes. Après s'être donné réciproquement ces assurances de fidélité, Cléarque parla ainsi :

--ἄγε δή, ὦ Ἀριαῖε, ἐπείπερ ὁ αὐτὸς ὑμῖν στόλος ἐστὶ καὶ ἡμῖν, εἰπὲ τίνα γνώμην ἔχεις περὶ τῆς πορείας, πότερον ἄπιμεν ἥνπερ ἤλθομεν ἢ ἄλλην τινὰ ἐννενοηκέναι δοκεῖς ὁδὸν κρείττω. [2.2.11] ὁ δ᾽εἶπεν·

“Puisque nous entreprenons ensemble la même retraite, dites‑nous, Ariée ce que vous pensez sur la route qu'il nous faut suivre ? Choisirons‑nous celle que nous prîmes en venant, ou en imaginez‑vous une meilleure ?

--ἣν μὲν ἤλθομεν ἀπιόντες παντελῶς ἂν ὑπὸ λιμοῦ ἀπολοίμεθα· ὑπάρχει γὰρ νῦν ἡμῖν οὐδὲν τῶν ἐπιτηδείων. ἑπτακαίδεκα γὰρ σταθμῶν τῶν ἐγγυτάτω οὐδὲ δεῦρο ἰόντες ἐκ τῆς χώρας οὐδὲν εἴχομεν λαμβάνειν· ἔνθα δέ τι ἦν, ἡμεῖς διαπορευόμενοι κατεδαπανήσαμεν. νῦν δ᾽ἐπινοοῦμεν πορεύεσθαι μακροτέραν μέν, τῶν δ᾽ἐπιτηδείων οὐκ ἀπορήσομεν. [2.2.12] πορευτέον δ᾽ἡμῖν τοὺς πρώτους σταθμοὺς ὡς ἂν δυνώμεθα μακροτάτους, ἵνα ὡς πλεῖστον ἀποσπάσωμεν τοῦ βασιλικοῦ στρατεύματος· ἢν γὰρ ἅπαξ δύο ἢ τριῶν ἡμερῶν ὁδὸν ἀπόσχωμεν, οὐκέτι μὴ δύνηται βασιλεὺς ἡμᾶς καταλαβεῖν. ὀλίγῳ μὲν γὰρ στρατεύματι οὐ τολμήσει ἐφέπεσθαι· πολὺν δ᾽ἔχων δ᾽ἔχων στόλον οὐ δυνήσεται ταχέως πορεύεσθαι· ἴσως δὲ καὶ τῶν ἐπιτηδείων σπανιεῖ. ταύτην, ἔφη, τὴν γνώμην ἔχω ἔγωγε. [2.2.13] ἦν δὲ αὕτη ἡ στρατηγία οὐδὲν ἄλλο δυναμένη ἢ ἀποδρᾶναι ἢ ἀποφυγεῖν· ἡ δὲ τύχη ἐστρατήγησε κάλλιον. ἐπεὶ γὰρ ἡμέρα ἐγένετο, ἐπορεύοντο ἐν δεξιᾷ ἔχοντες τὸν ἥλιον, λογιζόμενοι ἥξειν ἅμα ἡλίῳ δύνοντι εἰς κώμας τῆς Βαβυλωνίας χώρας· καὶ τοῦτο μὲν οὐκ ἐψεύσθησαν. [2.2.14] ἔτι δὲ ἀμφὶ δείλην ἔδοξαν πολεμίους ὁρᾶν ἱππέας· καὶ τῶν τε Ἑλλήνων οἳ μὴ ἔτυχον ἐν ταῖς τάξεσιν ὄντες εἰς τὰς τάξεις ἔθεον, καὶ Ἀριαῖος (ἐτύγχανε γὰρ ἐφ᾽ἁμάξης πορευόμενος διότι ἐτέτρωτο) καταβὰς ἐθωρακίζετο καὶ οἱ σὺν αὐτῷ. [2.2.15] ἐν ᾧ δὲ ὡπλίζοντο ἧκον λέγοντες οἱ προπεμφθέντες σκοποὶ ὅτι οὐχ ἱππεῖς εἰσιν, ἀλλ᾽ὑποζύγια νέμοιντο. καὶ εὐθὺς ἔγνωσαν πάντες ὅτι ἐγγύς που ἐστρατοπεδεύετο βασιλεύς· καὶ γὰρ καπνὸς ἐφαίνετο ἐν κώμαις οὐ πρόσω. [2.2.16] Κλέαρχος δὲ ἐπὶ μὲν τοὺς πολεμίους οὐκ ἦγεν· ᾔδει γὰρ καὶ ἀπειρηκότας τοὺς στρατιώτας καὶ ἀσίτους ὄντας· ἤδη δὲ καὶ ὀψὲ ἦν· οὐ μέντοι οὐδὲ ἀπέκλινε, φυλαττόμενος μὴ δοκοίη φεύγειν, ἀλλ᾽εὐθύωρον ἄγων ἅμα τῷ ἡλίῳ δυομένῳ εἰς τὰς ἐγγυτάτω κώμας τοὺς πρώτους ἄγων κατεσκήνωσεν, ἐξ ὧν διήρπαστο ὑπὸ τοῦ βασιλικοῦ στρατεύματος καὶ αὐτὰ τὰ ἀπὸ τῶν οἰκιῶν ξύλα. [2.2.17] οἱ μὲν οὖν πρῶτοι ὅμως τρόπῳ τινὶ ἐστρατοπεδεύσαντο, οἱ δὲ ὕστεροι σκοταῖοι προσιόντες ὡς ἐτύγχανον ἕκαστοι ηὐλίζοντο, καὶ κραυγὴν πολλὴν ἐποίουν καλοῦντες ἀλλήλους, ὥστε καὶ τοὺς πολεμίους ἀκούειν· ὥστε οἱ μὲν ἐγγύτατα τῶν πολεμίων καὶ ἔφυγον ἐκ τῶν σκηνωμάτων. [2.2.18] δῆλον δὲ τοῦτο τῇ ὑστεραίᾳ ἐγένετο· οὔτε γὰρ ὑποζύγιον ἔτ᾽οὐδὲν ἐφάνη οὔτε στρατόπεδον οὔτε καπνὸς οὐδαμοῦ πλησίον. ἐξεπλάγη δέ, ὡς ἔοικε, καὶ βασιλεὺς τῇ ἐφόδῳ τοῦ στρατεύματος. ἐδήλωσε δὲ τοῦτο οἷς τῇ ὑστεραίᾳ ἔπραττε. [2.2.19] προϊούσης μέντοι τῆς νυκτὸς ταύτης καὶ τοῖς Ἕλλησι φόβος ἐμπίπτει, καὶ θόρυβος καὶ δοῦπος ἦν οἷον εἰκὸς φόβου ἐμπεσόντος γενέσθαι. [2.2.20] Κλέαρχος δὲ Τολμίδην Ἠλεῖον, ὃν ἐτύγχανεν ἔχων παρ᾽ἑαυτῷ κήρυκα ἄριστον τῶν τότε, ἀνειπεῖν ἐκέλευσε σιγὴν κηρύξαντα ὅτι προαγορεύουσιν οἱ ἄρχοντες, ὃς ἂν τὸν ἀφέντα τὸν ὄνον εἰς τὰ ὅπλα μηνύσῃ, ὅτι λήψεται μισθὸν τάλαντον. [2.2.21] ἐπεὶ δὲ ταῦτα ἐκηρύχθη, ἔγνωσαν οἱ στρατιῶται ὅτι κενὸς ὁ φόβος εἴη καὶ οἱ ἄρχοντες σῷοι. ἅμα δὲ ὄρθρῳ παρήγγειλεν ὁ Κλέαρχος εἰς τάξιν τὰ ὅπλα τίθεσθαι τοὺς Ἕλληνας ᾗπερ εἶχον ὅτε ἦν ἡ μάχη.

‑ Nous mourrions de faim, répondit Ariée, si nous revenions par le même chemin : il ne nous reste plus de vivres. Dans les 17 dernières marches que nous avons faites pour arriver ici, nous n'avons rien trouvé dans le pays ou nous avons consommé en passant le peu qui y était. Mon projet est de me retirer par un chemin plus long, mais mieux approvisionné. Il nous faut faire, les premiers jours, des marches aussi longues qu'il sera possible, pour nous éloigner de l'armée du roi ; si nous gagnons une fois sur lui, 2 ou 3 marches, il ne pourra plus nous joindre. Car nous suivre avec peu de troupes, c'est ce qu'il n'osera pas. Avec un grand nombre il ne pourra avancer autant, et peut‑être l'embarras des vivres le retardera‑t‑il encore. Tel est, dit Ariée, mon avis.” Ce projet des généraux ne tendait qu'à échapper au roi ou à le fuir. La fortune conduisit mieux les troupes. Dès que le jour parut elles se mirent en marche, le soleil luisant à leur droite. On comptait qu'au coucher de cet astre on arriverait à des villages de Babylonie, et en cela on ne se trompa pas. Vers le soir on crut voir de la cavalerie ennemie. Ceux des Grecs qui n'étaient pas dans leurs rangs coururent les reprendre. Ariée, qui était monté sur un chariot, parce qu'il était blessé, mit pied à terre, prit sa cuirasse, et ceux qui l'entouraient en firent autant. Pendant qu'ils s'armaient revinrent les gens envoyés à la découverte. Ils rapportèrent qu'il n'y avait point de cavalerie, et que ce qu'on voyait était des bêtes de somme qui pâturaient. Tout le monde conclut aussitôt que le roi campait près de là, d'autant qu'il paraissait s'élever de la fumée de quelques villages peu éloignés. Cléarque ne marcha point à l'ennemi. Il voyait que ses troupes étaient lasses, à jeun, et qu'il se faisait tard. Il ne se détourna point non plus de peur d'avoir l'air de fuir. Mais s'avançant droit devant lui, il fit camper la tête de la colonne sur le terrain des villages les plus voisins. L'armée du roi en avait tout enlevé jusqu'aux bois dont les maisons étaient construites, Les premiers venus rangèrent leurs tentes avec assez d'ordre les autres n'arrivant qu'à la nuit noire, campèrent au hasard et jetèrent de grands cris, s'appelant les uns les autres. Ces cris furent entendus même des ennemis, et les effrayèrent au point que ceux qui campaient le plus près des Grecs s'enfuirent de leurs tentes. On s'en aperçut le lendemain, car il ne paraissait plus dans les environs ni bête de somme, ni camp, ni fumée. Le roi lui‑même, à ce qu'il parut, fut effrayé de la marche des Grecs. Il le prouva par ce qu'il fit le jour suivant. La nuit s'avançant, une terreur panique saisit tous les Grecs. Il survint un tumulte et un bruit tels qu'il s'en élève ordinairement dans ces sortes d'alertes. Cléarque avait par hasard sous sa main l'Éléen Tolmidès, le meilleur des hérauts de ce temps. Il lui dit d'ordonner qu'on fît silence et de proclamer ensuite, de la part des chefs, qu'une récompense d'un talent d'argent était promise à quiconque dénoncerait celui qui avait lâché un âne dans le camp. Quand on l'eut publié, les soldats sentirent que leur terreur était frivole et qu'il n'était rien arrivé à leurs généraux. Dès le point du jour, Cléarque ordonna aux Grecs de se former dans le même ordre où ils étaient le jour de la bataille, et de poser ainsi leurs armes à terre.

[2.3.1] ὃ δὲ δὴ ἔγραψα ὅτι βασιλεὺς ἐξεπλάγη τῇ ἐφόδῳ, τῷδε δῆλον ἦν. τῇ μὲν γὰρ πρόσθεν ἡμέρᾳ πέμπων τὰ ὅπλα παραδιδόναι ἐκέλευε, τότε δὲ ἅμα ἡλίῳ ἀνατέλλοντι κήρυκας ἔπεμψε περὶ σπονδῶν. [2.3.2] οἱ δ᾽ἐπεὶ ἦλθον πρὸς τοὺς προφύλακας, ἐζήτουν τοὺς ἄρχοντας. ἐπειδὴ δὲ ἀπήγγελλον οἱ προφύλακες, Κλέαρχος τυχὼν τότε τὰς τάξεις ἐπισκοπῶν εἶπε τοῖς προφύλαξι κελεύειν τοὺς κήρυκας περιμένειν ἄχρι ἂν σχολάσῃ. [2.3.3] ἐπεὶ δὲ κατέστησε τὸ στράτευμα ὡς καλῶς ἔχειν ὁρᾶσθαι πάντῃ φάλαγγα πυκνήν, ἐκ τῶν ὅπλων δὲ μηδένα καταφανῆ εἶναι, ἐκάλεσε τοὺς ἀγγέλους, καὶ αὐτός τε προῆλθε τούς τε εὐοπλοτάτους ἔχων καὶ εὐειδεστάτους τῶν αὑτοῦ στρατιωτῶν καὶ τοῖς ἄλλοις στρατηγοῖς ταὐτὰ ἔφρασεν. [2.3.4] ἐπεὶ δὲ ἦν πρὸς τοῖς ἀγγέλοις, ἀνηρώτα [πρῶτα] τί βούλοιντο. οἱ δ᾽ἔλεγον ὅτι περὶ σπονδῶν ἥκοιεν ἄνδρες οἵτινες ἱκανοὶ ἔσονται τά τε παρὰ βασιλέως τοῖς Ἕλλησιν ἀπαγγεῖλαι καὶ τὰ παρὰ τῶν Ἑλλήνων βασιλεῖ. [2.3.5] ὁ δὲ ἀπεκρίνατο·

On eut alors une preuve évidente de ce que j'ai avancé tout à l'heure, que l'arrivée des Grecs avait frappé le roi de terreur. Ce prince qui leur avait fait ordonner la veille de rendre leurs armes, envoya, dès le lever du soleil, des hérauts proposer un traité. Arrivés aux postes avancés, ils demandèrent les généraux. Les grandes gardes le leur firent savoir ; et Cléarque, qui dans ce moment inspectait les rangs des Grecs ordonna qu'on dît aux hérauts d'attendre jusqu'à ce qu'il eût le temps de leur donner audience. Puis ayant tellement disposé l'armée, que la phalange fût serrée, eût bonne apparence, et qu'aucun des soldats qui manquaient d'armes ne fût en évidence ; il fit appeler les députés du roi et alla lui‑même au devant d'eux, escorté des soldats les plus beaux et les mieux armés. Il recommanda aux autres généraux d'en user de même. Quand on fut près des députés, Cléarque leur demanda ce qu'ils voulaient. Les députés dirent qu'ils venaient pour un traité ; qu'ils étaient chargés de rapporter au roi les intentions des Grecs, et autorisés à faire connaître aux Grecs celles du roi. Cléarque répondit :

--ἀπαγγέλλετε τοίνυν αὐτῷ ὅτι μάχης δεῖ πρῶτον· ἄριστον γὰρ οὐκ ἔστιν οὐδ᾽ὁ τολμήσων περὶ σπονδῶν λέγειν τοῖς Ἕλλησι μὴ πορίσας ἄριστον. [2.3.6] ταῦτα ἀκούσαντες οἱ ἄγγελοι ἀπήλαυνον, καὶ ἧκον ταχύ· ᾧ καὶ δῆλον ἦν ὅτι ἐγγύς που βασιλεὺς ἦν ἢ ἄλλος τις ᾧ ἐπετέτακτο ταῦτα πράττειν· ἔλεγον δὲ ὅτι εἰκότα δοκοῖεν λέγειν βασιλεῖ, καὶ ἥκοιεν ἡγεμόνας ἔχοντες οἳ αὐτούς, ἐὰν σπονδαὶ γένωνται, ἄξουσιν ἔνθεν ἕξουσι τὰ ἐπιτήδεια. [2.3.7] ὁ δὲ ἠρώτα εἰ αὐτοῖς τοῖς ἀνδράσι σπένδοιτο τοῖς ἰοῦσι καὶ ἀπιοῦσιν, ἢ καὶ τοῖς ἄλλοις ἔσοιντο σπονδαί. οἱ δέ,

“Rapportez donc à votre monarque qu'il faut d'abord combattre ; car nous n'avons pas au camp de quoi dîner, et à moins d'en fournir aux Grecs, personne n'osera leur parler de traité.” Après avoir entendu ces mots, les députés repartirent au galop et revinrent bientôt après, ce qui prouva que le roi n'était pas loin ou qu'il y avait au moins près de là quelqu'un chargé de ses pouvoirs pour la négociation. “Le roi, dirent les députés, trouve votre demande raisonnable, et nous revenons avec des guides qui, si la trêve se conclut, vous conduiront où vous trouverez des vivres. - Le roi, demanda Cléarque, offre‑t‑il dès ce moment sûreté aux négociateurs seulement qui iront le trouver et en reviendront, ou à toute l'armée ?

--ἅπασιν, ἔφασαν, μέχρι ἂν βασιλεῖ τὰ παρ᾽ὑμῶν διαγγελθῇ. [2.3.8] ἐπεὶ δὲ ταῦτα εἶπον, μεταστησάμενος αὐτοὺς ὁ Κλέαρχος ἐβουλεύετο· καὶ ἐδόκει ταχὺ τὰς σπονδὰς ποιεῖσθαι καὶ καθ᾽ἡσυχίαν ἐλθεῖν τε ἐπὶ τὰ ἐπιτήδεια καὶ λαβεῖν. [2.3.9] ὁ δὲ Κλέαρχος εἶπε·

‑ À toute l'armée, dirent les députés, jusqu'à ce que le roi ait reçu vos propositions.” Après cette réponse, Cléarque les fit éloigner et délibéra avec les généraux. On résolut de conclure promptement ces préliminaires pour marcher aux vivres et s'en fournir sans hostilités.

--δοκεῖ μὲν κἀμοὶ ταῦτα· οὐ μέντοι ταχύ γε ἀπαγγελῶ, ἀλλὰ διατρίψω ἔστ᾽ἂν ὀκνήσωσιν οἱ ἄγγελοι μὴ ἀποδόξῃ ἡμῖν τὰς σπονδὰς ποιήσασθαι· οἶμαί γε μέντοι, ἔφη, καὶ τοῖς ἡμετέροις στρατιώταις τὸν αὐτὸν φόβον παρέσεσθαι. ἐπεὶ δὲ ἐδόκει καιρὸς εἶναι, ἀπήγγελλεν ὅτι σπένδοιτο, καὶ εὐθὺς ἡγεῖσθαι ἐκέλευε πρὸς τἀπιτήδεια. [2.3.10] καὶ οἱ μὲν ἡγοῦντο, Κλέαρχος μέντοι ἐπορεύετο τὰς μὲν σπονδὰς ποιησάμενος, τὸ δὲ στράτευμα ἔχων ἐν τάξει, καὶ αὐτὸς ὠπισθοφυλάκει. καὶ ἐνετύγχανον τάφροις καὶ αὐλῶσιν ὕδατος πλήρεσιν, ὡς μὴ δύνασθαι διαβαίνειν ἄνευ γεφυρῶν· ἀλλ᾽ἐποιοῦντο διαβάσεις ἐκ τῶν φοινίκων οἳ ἦσαν ἐκπεπτωκότες, τοὺς δὲ καὶ ἐξέκοπτον. [2.3.11] καὶ ἐνταῦθα ἦν Κλέαρχον καταμαθεῖν ὡς ἐπεστάτει, ἐν μὲν τῇ ἀριστερᾷ χειρὶ τὸ δόρυ ἔχων, ἐν δὲ τῇ δεξιᾷ βακτηρίαν· καὶ εἴ τις αὐτῷ δοκοίη τῶν πρὸς τοῦτο τεταγμένων βλακεύειν, ἐκλεγόμενος τὸν ἐπιτήδειον ἔπαισεν ἄν, καὶ ἅμα αὐτὸς προσελάμβανεν εἰς τὸν πηλὸν ἐμβαίνων· ὥστε πᾶσιν αἰσχύνην εἶναι μὴ οὐ συσπουδάζειν. [2.3.12] καὶ ἐτάχθησαν πρὸς αὐτὸ οἱ <εἰς> τριάκοντα ἔτη γεγονότες· ἐπεὶ δὲ Κλέαρχον ἑώρων σπουδάζοντα, προσελάμβανον καὶ οἱ πρεσβύτεροι. [2.3.13] πολὺ δὲ μᾶλλον ὁ Κλέαρχος ἔσπευδεν, ὑποπτεύων μὴ αἰεὶ οὕτω πλήρεις εἶναι τὰς τάφρους ὕδατος (οὐ γὰρ ἦν ὥρα οἵα τὸ πεδίον ἄρδειν), ἀλλ᾽ἵνα ἤδη πολλὰ προφαίνοιτο τοῖς Ἕλλησι δεινὰ εἰς τὴν πορείαν, τούτου ἕνεκα βασιλέα ὑπώπτευεν ἐπὶ τὸ πεδίον τὸ ὕδωρ ἀφεικέναι. [2.3.14] πορευόμενοι δὲ ἀφίκοντο εἰς κώμας ὅθεν ἀπέδειξαν οἱ ἡγεμόνες λαμβάνειν τὰ ἐπιτήδεια. ἐνῆν δὲ σῖτος πολὺς καὶ οἶνος φοινίκων καὶ ὄξος ἑψητὸν ἀπὸ τῶν αὐτῶν. [2.3.15] αὐταὶ δὲ αἱ βάλανοι τῶν φοινίκων οἵας μὲν ἐν τοῖς Ἕλλησιν ἔστιν ἰδεῖν τοῖς οἰκέταις ἀπέκειντο, αἱ δὲ τοῖς δεσπόταις ἀποκείμεναι ἦσαν ἀπόλεκτοι, θαυμάσιαι τοῦ κάλλους καὶ μεγέθους, ἡ δὲ ὄψις ἠλέκτρου οὐδὲν διέφερεν· τὰς δέ τινας ξηραίνοντες τραγήματα ἀπετίθεσαν. καὶ ἦν καὶ παρὰ πότον ἡδὺ μέν, κεφαλαλγὲς δέ. [2.3.16] ἐνταῦθα καὶ τὸν ἐγκέφαλον τοῦ φοίνικος πρῶτον ἔφαγον οἱ στρατιῶται, καὶ οἱ πολλοὶ ἐθαύμασαν τό τε εἶδος καὶ τὴν ἰδιότητα τῆς ἡδονῆς. ἦν δὲ σφόδρα καὶ τοῦτο κεφαλαλγές. ὁ δὲ φοῖνιξ ὅθεν ἐξαιρεθείη ὁ ἐγκέφαλος ὅλος ηὐαίνετο. [2.3.17] ἐνταῦθα ἔμειναν ἡμέρας τρεῖς· καὶ παρὰ μεγάλου βασιλέως ἧκε Τισσαφέρνης καὶ ὁ τῆς βασιλέως γυναικὸς ἀδελφὸς καὶ ἄλλοι Πέρσαι τρεῖς· δοῦλοι δὲ πολλοὶ εἵποντο. ἐπεὶ δὲ ἀπήντησαν αὐτοῖς οἱ τῶν Ἑλλήνων στρατηγοί, ἔλεγε πρῶτος Τισσαφέρνης δι᾽ἑρμηνέως τοιάδε. [2.3.18]

“C'est bien mon avis, dit Cléarque. Je différerai cependant de répondre. Je laisserai aux députés du roi le temps de craindre que nous ne refusions le traité. Je pense que nos soldats n'en auront pas moins d'inquiétude.” Ensuite lorsqu'il crut le moment convenable arrivé, il annonça aux députés qu'il accédait aux préliminaires offerts, et leur dit de le mener aussitôt où étaient les vivres. Ces Perses y conduisirent l'armée. Cléarque allant conclure le traité, faisait marcher les troupes en bataille, et commandait lui‑même l'arrière‑garde. On rencontra des fossés et des canaux si pleins d'eau, qu'on ne pouvait les passer sans ponts. Mais on en fit à la hâte, soit avec les palmiers tombés d'eux‑mêmes, soit avec ceux qu'on coupa. C'était alors qu'on pouvait voir quel général était Cléarque. De sa main gauche il tenait une pique, dans la droite il avait une canne : Si quelqu'un des Grecs commandés pour ouvrir la route lui paraissait montrer de la paresse, il le tirait de sa place et y substituait un travailleur plus actif. Lui‑même, entrant dans la boue, mettait la main à l'ouvrage, en sorte que tous les pionniers auraient rougi d'y montrer moins d'ardeur que lui. Il n'avait commandé pour cette corvée que les Grecs au‑dessous de 30 ans. Des soldats plus âgés y concoururent volontairement dès qu'ils virent le zèle de Cléarque. Ce général se hâtait d'autant plus, qu'il soupçonnait, qu'en cette saison les fossés n'étaient pas toujours aussi pleins d'eau, car ce n'était pas le temps d'arroser la plaine. Il présumait que le roi y avait fait lâcher des eaux pour montrer aux Grecs que beaucoup d'obstacles s'opposeraient à leur marche. On arriva aux villages où les guides avaient indiqué qu'on pourrait prendre des vivres. On y trouva beaucoup de blé, du vin de palmier et une boisson acide tirée de ces arbres, qui avait fermenté et bouilli. On servait aux domestiques des dattes pareilles à celles que nous voyons en Grèce, et il n'en paraissait à la table des maîtres que de choisies et d'étonnantes pour leur beauté et leur grosseur. Leur couleur ne différait point de celle de l'ambre jaune. On en mettait quelques‑unes à part pour les faire sécher, et on les servait au dessert. C'était un mets délicieux pour la fin du repas ; mais il occasionnait des maux de tête. Ce fut là encore que pour la première fois nos soldats mangèrent du chou palmiste. La plupart admiraient sa forme et le goût agréable qui lui est particulier, mais il causait aussi des maux de tête violents. Le palmier séchait en entier dès qu'on avait enlevé le sommet de sa tige. On séjourna 3 jours en cet endroit. Tissapherne et le frère de la reine, avec 3 autres Perses, vinrent de la part du roi, suivis d'un grand nombre d'esclaves. Les généraux grecs étant allés au devant d'eux. Tissapherne leur dit l'abord, par la bouche de son interprète :

--ἐγώ, ὦ ἄνδρες Ἕλληνες, γείτων οἰκῶ τῇ Ἑλλάδι, καὶ ἐπεὶ ὑμᾶς εἶδον εἰς πολλὰ καὶ ἀμήχανα πεπτωκότας, εὕρημα ἐποιησάμην εἴ πως δυναίμην παρὰ βασιλέως αἰτήσασθαι δοῦναι ἐμοὶ ἀποσῶσαι ὑμᾶς εἰς τὴν Ἑλλάδα. οἶμαι γὰρ ἂν οὐκ ἀχαρίστως μοι ἔχειν οὔτε πρὸς ὑμῶν οὔτε πρὸς τῆς πάσης Ἑλλάδος. [2.3.19] ταῦτα δὲ γνοὺς ᾐτούμην βασιλέα, λέγων αὐτῷ ὅτι δικαίως ἄν μοι χαρίζοιτο, ὅτι αὐτῷ Κῦρόν τε ἐπιστρατεύοντα πρῶτος ἤγγειλα καὶ βοήθειαν ἔχων ἅμα τῇ ἀγγελίᾳ ἀφικόμην, καὶ μόνος τῶν κατὰ τοὺς Ἕλληνας τεταγμένων οὐκ ἔφυγον, ἀλλὰ διήλασα καὶ συνέμειξα βασιλεῖ ἐν τῷ ὑμετέρῳ στρατοπέδῳ ἔνθα βασιλεὺς ἀφίκετο, ἐπεὶ Κῦρον ἀπέκτεινε καὶ τοὺς ξὺν Κύρῳ βαρβάρους ἐδίωξε σὺν τοῖσδε τοῖς παροῦσι νῦν μετ᾽ἐμοῦ, οἵπερ αὐτῷ εἰσι πιστότατοι. καὶ περὶ μὲν τούτων ὑπέσχετό μοι βουλεύσεσθαι· [2.3.20] ἐρέσθαι δέ με ὑμᾶς ἐκέλευεν ἐλθόντα τίνος ἕνεκεν ἐστρατεύσατε ἐπ᾽αὐτόν. καὶ συμβουλεύω ὑμῖν μετρίως ἀποκρίνασθαι, ἵνα μοι εὐπρακτότερον ᾖ ἐάν τι δύνωμαι ἀγαθὸν ὑμῖν παρ᾽αὐτοῦ διαπράξασθαι. [2.3.21] πρὸς ταῦτα μεταστάντες οἱ Ἕλληνες ἐβουλεύοντο· καὶ ἀπεκρίναντο, Κλέαρχος δ᾽ἔλεγεν·

“Grecs, j’habite dans le voisinage de la Grèce, et depuis que je vous ai vus tomber dans un abîme de malheurs dont vous ne pouvez vous retirer, j'ai regardé comme un honneur pour moi d'obtenir du roi, si je le pouvais, qu'il me permît de vous ramener dans votre patrie. Car je pense m'assurer par là des droits, non seulement à votre reconnaissance, mais à celle de toute la Grèce. D'après cette opinion, j'ai supplié le roi, je lui ai représenté qu'il était juste qu'il m'accordât une grâce. Je lui ai rappelé que c'était moi qui lui avais donné le premier avis de la marche de Cyrus, qu'en lui apportant cette nouvelle, je lui avais amené du secours, que de tout ce qu'on vous avait opposé le jour de la bataille, j'étais le seul qui n'eusse pas pris la fuite ; que j'avais percé et l'avais rejoint à votre camp lorsqu'il s'y porta après la mort de son frère ; qu'enfin avec ces troupes qui m'escortent et qui lui sont le plus affectionnées j'avais poursuivi l'armée barbare de Cyrus. Artaxerxès m'a promis de peser ces raisons. Il m'a ordonné de venir vous trouver et de vous demander pourquoi vous lui aviez fait la guerre. Je vous conseille de rendre une réponse modérée afin qu'il me soit plus aisé d'obtenir pour vous du roi un traitement favorable, si cependant j'y puis réussir.” Les Grecs s'étant éloignés ensuite, délibérèrent. Puis ils répondirent, Cléarque portant la parole :

--ἡμεῖς οὔτε συνήλθομεν ὡς βασιλεῖ πολεμήσοντες οὔτε ἐπορευόμεθα ἐπὶ βασιλέα, ἀλλὰ πολλὰς προφάσεις Κῦρος ηὕρισκεν, ὡς καὶ σὺ εὖ οἶσθα, ἵνα ὑμᾶς τε ἀπαρασκεύους λάβοι καὶ ἡμᾶς ἐνθάδε ἀγάγοι. [2.3.22] ἐπεὶ μέντοι ἤδη αὐτὸν ἑωρῶμεν ἐν δεινῷ ὄντα, ᾐσχύνθημεν καὶ θεοὺς καὶ ἀνθρώπους προδοῦναι αὐτόν, ἐν τῷ πρόσθεν χρόνῳ παρέχοντες ἡμᾶς αὐτοὺς εὖ ποιεῖν. [2.3.23] ἐπεὶ δὲ Κῦρος τέθνηκεν, οὔτε βασιλεῖ ἀντιποιούμεθα τῆς ἀρχῆς οὔτ᾽ἔστιν ὅτου ἕνεκα βουλοίμεθα ἂν τὴν βασιλέως χώραν κακῶς ποιεῖν, οὐδ᾽αὐτὸν ἀποκτεῖναι ἂν ἐθέλοιμεν, πορευοίμεθα δ᾽ἂν οἴκαδε, εἴ τις ἡμᾶς μὴ λυποίη· ἀδικοῦντα μέντοι πειρασόμεθα σὺν τοῖς θεοῖς ἀμύνασθαι· ἐὰν μέντοι τις ἡμᾶς καὶ εὖ ποιῶν ὑπάρχῃ, καὶ τούτου εἴς γε δύναμιν οὐχ ἡττησόμεθα εὖ ποιοῦντες. [2.3.24] ὁ μὲν οὕτως εἶπεν· ἀκούσας δὲ ὁ Τισσαφέρνης,

“Nous ne nous sommes point assemblés pour faire la guerre au roi. Nous n'avons pas cru marcher contre lui. Cyrus (vous le savez vous‑mêmes) a inventé mille prétextes pour nous prendre au dépourvu, et pour nous amener jusqu'ici. Cependant lorsque nous l'avons vu au milieu des dangers, nous avons rougi de le trahir à la face des dieux et des hommes, nous étant laissés précédemment combler de ses faveurs. Depuis que ce prince a été tué, nous ne disputons plus au roi sa couronne, nous n'avons point de raisons pour vouloir ravager ses états, nous ne souhaitons point de mal à sa personne, et nous nous retirerions dans notre patrie si personne ne nous inquiétait. Mais si l'on nous fait une injure, nous tâcherons, avec l'aide des dieux, de la repousser. Qui que ce soit, au contraire, qui nous prévienne par des bienfaits, nous les lui rendrons, si nous le pouvons, avec usure.” Ainsi parla Cléarque. Tissapherne l'ayant entendu, répliqua :

--ταῦτα, ἔφη, ἐγὼ ἀπαγγελῶ βασιλεῖ καὶ ὑμῖν πάλιν τὰ παρ᾽ἐκείνου· μέχρι δ᾽ἂν ἐγὼ ἥκω αἱ σπονδαὶ μενόντων· ἀγορὰν δὲ ἡμεῖς παρέξομεν. [2.3.25] καὶ εἰς μὲν τὴν ὑστεραίαν οὐχ ἧκεν· ὥσθ᾽οἱ Ἕλληνες ἐφρόντιζον· τῇ δὲ τρίτῃ ἥκων ἔλεγεν ὅτι διαπεπραγμένος ἥκοι παρὰ βασιλέως δοθῆναι αὐτῷ σᾐζειν τοὺς Ἕλληνας, καίπερ πάνυ πολλῶν ἀντιλεγόντων ὡς οὐκ ἄξιον εἴη βασιλεῖ ἀφεῖναι τοὺς ἐφ᾽ἑαυτὸν στρατευσαμένους. [2.3.26] τέλος δὲ εἶπε·

“Je rendrai au roi ce discours, et viendrai vous redire ses intentions. Que jusqu'à mon retour la trêve subsiste. Nous vous fournirons pendant ce temps des vivres à acheter.” Le satrape ne revint point le lendemain, ce qui causa de l'inquiétude aux Grecs. Il arriva le jour d'après, et annonça qu'il avait obtenu du roi avec peine et comme une grâce le salut des Grecs, quoique beaucoup de Perses fussent d'un avis contraire et objectassent qu'il était indigne de la grandeur du roi, de laisser échapper des troupes qui avaient porté les armes contre lui.

--καὶ νῦν ἔξεστιν ὑμῖν πιστὰ λαβεῖν παρ᾽ἡμῶν ἦ μὴν φιλίαν παρέξειν ὑμῖν τὴν χώραν καὶ ἀδόλως ἀπάξειν εἰς τὴν Ἑλλάδα ἀγορὰν παρέχοντας· ὅπου δ᾽ἂν μὴ ᾖ πρίασθαι, λαμβάνειν ὑμᾶς ἐκ τῆς χώρας ἐάσομεν τὰ ἐπιτήδεια. [2.3.27] ὑμᾶς δὲ αὖ ἡμῖν δεήσει ὀμόσαι ἦ μὴν πορεύσεσθαι ὡς διὰ φιλίας ἀσινῶς σῖτα καὶ ποτὰ λαμβάνοντας ὁπόταν μὴ ἀγορὰν παρέχωμεν, ἐὰν δὲ παρέχωμεν ἀγοράν, ὠνουμένους ἕξειν τὰ ἐπιτήδεια. [2.3.28] ταῦτα ἔδοξε, καὶ ὤμοσαν καὶ δεξιὰς ἔδοσαν Τισσαφέρνης καὶ ὁ τῆς βασιλέως γυναικὸς ἀδελφὸς τοῖς τῶν Ἑλλήνων στρατηγοῖς καὶ λοχαγοῖς καὶ ἔλαβον παρὰ τῶν Ἑλλήνων. [2.3.29] μετὰ δὲ ταῦτα Τισσαφέρνης εἶπε·

“Enfin, dit‑il, vous pouvez recevoir notre serment : nous vous promettrons de vous faire traiter en amis dans tous les états du roi, et de vous ramener fidèlement en Grèce ; vous faisant trouver des marchés garnis de vivres sur toute votre route. Où vous n'en trouverez pas, il vous sera permis de prendre dans le pays ce qui vous sera nécessaire. Il faudra que vous nous juriez de votre côté de traverser cet empire comme pays ami, sans rien endommager, achetant les vivres à prix d'argent, lorsqu'il y aura un marché où l'on vous en vendra, et n'en prenant au pays qu'à défaut de marchés.” Cela fut arrêté. Tissapherne et le beau‑frère du roi, d'un côté, les généraux et les chefs de loches grecs de l'autre, jurèrent l'observation de ces articles, et se donnèrent réciproquement la main en signe d'alliance. Tissapherne dit ensuite :

--νῦν μὲν δὴ ἄπειμι ὡς βασιλέα· ἐπειδὰν δὲ διαπράξωμαι ἃ δέομαι, ἥξω συσκευασάμενος ὡς ἀπάξων ὑμᾶς εἰς τὴν Ἑλλάδα καὶ αὐτὸς ἀπιὼν ἐπὶ τὴν ἐμαυτοῦ ἀρχήν.

“Je vais retrouver le roi : lorsque j'aurai terminé les affaires qui me restent, je reviendrai avec mes équipages pour vous ramener en Grèce, et retourner moi‑même dans mon gouvernement.”

[2.4.1] μετὰ ταῦτα περιέμενον Τισσαφέρνην οἵ τε Ἕλληνες καὶ ὁ Ἀριαῖος ἐγγὺς ἀλλήλων ἐστρατοπεδευμένοι ἡμέρας πλείους ἢ εἴκοσιν. ἐν δὲ ταύταις ἀφικνοῦνται πρὸς Ἀριαῖον καὶ οἱ ἀδελφοὶ καὶ οἱ ἄλλοι ἀναγκαῖοι καὶ πρὸς τοὺς σὺν ἐκείνῳ Περσῶν τινες, <οἳ> παρεθάρρυνόν τε καὶ δεξιὰς ἐνίοις παρὰ βασιλέως ἔφερον μὴ μνησικακήσειν βασιλέα αὐτοῖς τῆς σὺν Κύρῳ ἐπιστρατείας μηδὲ ἄλλου μηδενὸς τῶν παροιχομένων. [2.4.2] τούτων δὲ γιγνομένων ἔνδηλοι ἦσαν οἱ περὶ Ἀριαῖον ἧττον προσέχοντες τοῖς Ἕλλησι τὸν νοῦν· ὥστε καὶ διὰ τοῦτο τοῖς μὲν πολλοῖς τῶν Ἑλλήνων οὐκ ἤρεσκον, ἀλλὰ προσιόντες τῷ Κλεάρχῳ ἔλεγον καὶ τοῖς ἄλλοις στρατηγοῖς· [2.4.3]

Les Grecs, et Ariée qui campait près d'eux, attendirent ensuite Tissapherne plus de 20 jours. Pendant ce temps les frères d'Ariée et d'autres de ses parents viennent le trouver. Des Perses passent aussi à son camp et parlent à ses troupes pour les rassurer. Quelques‑uns même leur promettent avec serment, de la part du roi, qu'il ne les punira pas d'avoir porté les armes pour Cyrus, et qu'il oubliera tout ce qui s'est passé. Dès ce moment il parut qu'Ariée, et les chefs de son armée avaient moins d'égards pour les Grecs. Plusieurs de ceux‑ci en furent mécontents, et allant trouver Cléarque et les autres généraux, ils leur dirent :

--τί μένομεν; ἢ οὐκ ἐπιστάμεθα ὅτι βασιλεὺς ἡμᾶς ἀπολέσαι ἂν περὶ παντὸς ποιήσαιτο, ἵνα καὶ τοῖς ἄλλοις Ἕλλησι φόβος εἴη ἐπὶ βασιλέα μέγαν στρατεύειν; καὶ νῦν μὲν ἡμᾶς ὑπάγεται μένειν διὰ τὸ διεσπάρθαι αὐτοῦ τὸ στράτευμα· ἐπὰν δὲ πάλιν ἁλισθῇ αὐτῷ ἡ στρατιά, οὐκ ἔστιν ὅπως οὐκ ἐπιθήσεται ἡμῖν. [2.4.4] ἴσως δέ που ἢ ἀποσκάπτει τι ἢ ἀποτειχίζει, ὡς ἄπορος εἴη ἡ ὁδός. οὐ γάρ ποτε ἑκών γε βουλήσεται ἡμᾶς ἐλθόντας εἰς τὴν Ἑλλάδα ἀπαγγεῖλαι ὡς ἡμεῖς τοσοίδε ὄντες ἐνικῶμεν τὸν βασιλέα ἐπὶ ταῖς θύραις αὐτοῦ καὶ καταγελάσαντες ἀπήλθομεν. [2.4.5] Κλέαρχος δὲ ἀπεκρίνατο τοῖς ταῦτα λέγουσιν·

“Pourquoi rester ici ? Ne savons‑nous pas que le roi met la plus grande importance à nous exterminer afin que les autres Grecs tremblent de porter la guerre dans ses états ? Maintenant il nous engage à séjourner ici, parce que ses troupes sont dispersées. Dès qu'il les aura rassemblées, il ne manquera pas de tomber sur nous. Peut‑être creuse‑t‑il des fossés, élève‑t‑il des murs pour rendre notre retour impossible. Il ne consentira jamais que, revenus en Grèce, nous racontions qu'avec aussi peu de troupes, ayant défait les siennes à la porte de sa capitale, nous nous sommes retirés en le narguant.” Cléarque répondit à ceux qui lui paraient ainsi :

--ἐγὼ ἐνθυμοῦμαι μὲν καὶ ταῦτα πάντα· ἐννοῶ δ᾽ὅτι εἰ νῦν ἄπιμεν, δόξομεν ἐπὶ πολέμῳ ἀπιέναι καὶ παρὰ τὰς σπονδὰς ποιεῖν. ἔπειτα πρῶτον μὲν ἀγορὰν οὐδεὶς παρέξει ἡμῖν οὐδὲ ὅθεν ἐπισιτιούμεθα· αὖθις δὲ ὁ ἡγησόμενος οὐδεὶς ἔσται· καὶ ἅμα ταῦτα ποιούντων ἡμῶν εὐθὺς Ἀριαῖος ἀφεστήξει· ὥστε φίλος ἡμῖν οὐδεὶς λελείψεται, ἀλλὰ καὶ οἱ πρόσθεν ὄντες πολέμιοι ἡμῖν ἔσονται. [2.4.6] ποταμὸς δ᾽εἰ μέν τις καὶ ἄλλος ἄρα ἡμῖν ἐστι διαβατέος οὐκ οἶδα· τὸν δ᾽οὖν Εὐφράτην ἴσμεν ὅτι ἀδύνατον διαβῆναι κωλυόντων πολεμίων. οὐ μὲν δὴ ἂν μάχεσθαί γε δέῃ, ἱππεῖς εἰσιν ἡμῖν ξύμμαχοι, τῶν δὲ πολεμίων ἱππεῖς εἰσιν οἱ πλεῖστοι καὶ πλείστου ἄξιοι· ὥστε νικῶντες μὲν τίνα ἂν ἀποκτείναιμεν; ἡττωμένων δὲ οὐδένα οἷόν τε σωθῆναι. [2.4.7] ἐγὼ μὲν οὖν βασιλέα, ᾧ οὕτω πολλά ἐστι τὰ σύμμαχα, εἴπερ προθυμεῖται ἡμᾶς ἀπολέσαι, οὐκ οἶδα ὅ τι δεῖ αὐτὸν ὀμόσαι καὶ δεξιὰν δοῦναι καὶ θεοὺς ἐπιορκῆσαι καὶ τὰ ἑαυτοῦ πιστὰ ἄπιστα ποιῆσαι Ἕλλησί τε καὶ βαρβάροις. τοιαῦτα πολλὰ ἔλεγεν. [2.4.8] ἐν δὲ τούτῳ ἧκε Τισσαφέρνης ἔχων τὴν ἑαυτοῦ δύναμιν ὡς εἰς οἶκον ἀπιὼν καὶ Ὀρόντας τὴν ἑαυτοῦ δύναμιν· ἦγε δὲ καὶ τὴν θυγατέρα τὴν βασιλέως ἐπὶ γάμῳ. [2.4.9] ἐντεῦθεν δὲ ἤδη Τισσαφέρνους ἡγουμένου καὶ ἀγορὰν παρέχοντος ἐπορεύοντο· ἐπορεύετο δὲ καὶ Ἀριαῖος τὸ Κύρου βαρβαρικὸν ἔχων στράτευμα ἅμα Τισσαφέρνει καὶ Ὀρόντᾳ καὶ ξυνεστρατοπεδεύετο σὺν ἐκείνοις. [2.4.10] οἱ δὲ Ἕλληνες ὑφορῶντες τούτους αὐτοὶ ἐφ᾽ἑαυτῶν ἐχώρουν ἡγεμόνας ἔχοντες. ἐστρατοπεδεύοντο δὲ ἑκάστοτε ἀπέχοντες ἀλλήλων παρασάγγην καὶ πλέον· ἐφυλάττοντο δὲ ἀμφότεροι ὥσπερ πολεμίους ἀλλήλους, καὶ εὐθὺς τοῦτο ὑποψίαν παρεῖχεν. [2.4.11] ἐνίοτε δὲ καὶ ξυλιζόμενοι ἐκ τοῦ αὐτοῦ καὶ χόρτον καὶ ἄλλα τοιαῦτα ξυλλέγοντες πληγὰς ἐνέτεινον ἀλλήλοις· ὥστε καὶ τοῦτο ἔχθραν παρεῖχε. [2.4.12] διελθόντες δὲ τρεῖς σταθμοὺς ἀφίκοντο πρὸς τὸ Μηδίας καλούμενον τεῖχος, καὶ παρῆλθον εἴσω αὐτοῦ. ἦν δὲ ᾠκοδομημένον πλίνθοις ὀπταῖς ἐν ἀσφάλτῳ κειμέναις, εὖρος εἴκοσι ποδῶν, ὕψος δὲ ἑκατόν· μῆκος δ᾽ἐλέγετο εἶναι εἴκοσι παρασάγγαι· ἀπέχει δὲ Βαβυλῶνος οὐ πολύ. [2.4.13] ἐντεῦθεν δ᾽ἐπορεύθησαν σταθμοὺς δύο παρασάγγας ὀκτώ· καὶ διέβησαν διώρυχας δύο, τὴν μὲν ἐπὶ γεφύρας, τὴν δὲ ἐζευγμένην πλοίοις ἑπτά· αὗται δ᾽ἦσαν ἀπὸ τοῦ Τίγρητος ποταμοῦ· κατετέτμηντο δὲ ἐξ αὐτῶν καὶ τάφροι ἐπὶ τὴν χώραν, αἱ μὲν πρῶται μεγάλαι, ἔπειτα δὲ ἐλάττους· τέλος δὲ καὶ μικροὶ ὀχετοί, ὥσπερ ἐν τῇ Ἑλλάδι ἐπὶ τὰς μελίνας· καὶ ἀφικνοῦνται ἐπὶ τὸν Τίγρητα ποταμόν· πρὸς ᾧ πόλις ἦν μεγάλη καὶ πολυάνθρωπος ᾗ ὄνομα Σιττάκη, ἀπέχουσα τοῦ ποταμοῦ σταδίους πεντεκαίδεκα. [2.4.14] οἱ μὲν οὖν Ἕλληνες παρ᾽αὐτὴν ἐσκήνησαν ἐγγὺς παραδείσου μεγάλου καὶ καλοῦ καὶ δασέος παντοίων δένδρων, οἱ δὲ βάρβαροι διαβεβηκότες τὸν Τίγρητα· οὐ μέντοι καταφανεῖς ἦσαν. [2.4.15] μετὰ δὲ τὸ δεῖπνον ἔτυχον ἐν περιπάτῳ ὄντες πρὸ τῶν ὅπλων Πρόξενος καὶ Ξενοφῶν· καὶ προσελθὼν ἄνθρωπός τις ἠρώτησε τοὺς προφύλακας ποῦ ἂν ἴδοι Πρόξενον ἢ Κλέαρχον· Μένωνα δὲ οὐκ ἐζήτει, καὶ ταῦτα παρ᾽Ἀριαίου ὢν τοῦ Μένωνος ξένου. [2.4.16] ἐπεὶ δὲ Πρόξενος εἶπεν ὅτι αὐτός εἰμι ὃν ζητεῖς, εἶπεν ὁ ἄνθρωπος τάδε.

“Toutes ces pensées se sont présentées à mon esprit comme au vôtre. Mais je réfléchis que si nous partons maintenant, nous aurons l'air de nous retirer en guerre, et de transgresser le traité. De là, nous ne trouverons nulle part ni à acheter ni à prendre des vivres. De plus, personne ne voudra nous servir de guide : dès que nous aurons pris ce parti, Ariée nous abandonnera ; il ne nous restera plus un seul ami, et ceux mêmes qui l'étaient auparavant deviendront nos ennemis. J'ignore si nous avons d'autres fleuves à passer ; mais nous savons que l'Euphrate seul nous arrêtera, et qu'il est impossible de le traverser quand des ennemis nous en disputeront le passage. S'il faut combattre, nous n'avons point de cavalerie. Les Perses en ont beaucoup et d'excellente, en sorte que l'ennemi, s'il est repoussé, ne perdra rien, et que s'il nous bat, il n'est pas possible qu'il leur échappe un seul de nous. Je ne conçois pas d'ailleurs ce qui aurait pu obliger le roi, qui a tant de moyens de nous exterminer, s'il veut le faire, à jurer la paix, à nous tendre la main en signe d'alliance, à prendre les dieux à témoin de ses serments, uniquement pour se parjurer, et rendre désormais sa foi suspecte aux Grecs et aux Barbares.” Cléarque tint beaucoup de semblables discours. Sur ces entrefaites, Tissapherne arriva avec ses troupes, et comme ayant dessein de retourner dans son gouvernement. Orontas l'accompagnait et avait aussi son armée. Ce dernier emmenait la fille du roi qu'il avait épousée. De là on partit sous la conduite de Tissapherne qui faisait trouver des vivres à acheter. Ariée, avec l'armée barbare de Cyrus, accompagnait Tissapherne et Orontas, et campait avec eux. Les Grecs, se défiant de ces Barbares, prenaient des guides et marchaient séparément. On campait séparément aussi, à une parasange au plus les uns des autres. On se tenait de part et d'autre sur ses gardes, comme si l'on eût été en guerre, et ces précautions engendrèrent aussitôt des soupçons. Quelquefois les Grecs et les Barbares se rencontraient en allant an fourrage ou au bois et se frappaient, ce qui fit naître une haine réciproque. On arriva en 3 marches au mur de la Médie et on le passa. Il est construit de briques cuites au feu et liées par un ciment d'asphalte. Sa largeur est de 20 pieds, sa hauteur de 100. On disait qu'il était long de 20 parasanges. Babylone n'en était pas éloignée. De là on fit en 2 marches 8 parasanges. On traversa 2 canaux, l'un sur un pont à demeure, l'autre sur un pont soutenu par 7 bateaux. Ces canaux recevaient leurs eaux du Tigre. On avait tiré de ces canaux des fossés qui coupaient le pays. Les premiers étaient larges. Ils se subdivisaient en d'autres moindres, et finissaient en petites rigoles telles qu'on en pratique en Grèce pour arroser les champs de panis. On arriva enfin sur les bords du Tigre. À 15 stades de ce fleuve était une ville grande et peuplée, nommée Sitace. Les Grecs campèrent tout autour et à peu de distance d'un parc beau, vaste et planté d'arbres de toutes espèces. Les Barbares avaient passé le Tigre et ne paraissaient plus. Proxène et Xénophon se promenaient par hasard après souper à la tête du camp en avant des armes. Arrive un homme qui demande aux gardes avancées où il trouvera Proxène ou Cléarque. Il ne demandait point Ménon, quoiqu'il vînt de la part d'Ariée, hôte de ce Grec. Proxène ayant répondu qu'il était un de ceux qu'il cherchait, cet homme lui dit :

--ἔπεμψέ με Ἀριαῖος καὶ Ἀρτάοζος, πιστοὶ ὄντες Κύρῳ καὶ ὑμῖν εὖνοι, καὶ κελεύουσι φυλάττεσθαι μὴ ὑμῖν ἐπιθῶνται τῆς νυκτὸς οἱ βάρβαροι· ἔστι δὲ στράτευμα πολὺ ἐν τῷ πλησίον παραδείσῳ. [2.4.17] καὶ παρὰ τὴν γέφυραν τοῦ Τίγρητος ποταμοῦ πέμψαι κελεύουσι φυλακήν, ὡς διανοεῖται αὐτὴν λῦσαι Τισσαφέρνης τῆς νυκτός, ἐὰν δύνηται, ὡς μὴ διαβῆτε ἀλλ᾽ἐν μέσῳ ἀποληφθῆτε τοῦ ποταμοῦ καὶ τῆς διώρυχος. [2.4.18] ἀκούσαντες ταῦτα ἄγουσιν αὐτὸν παρὰ τὸν Κλέαρχον καὶ φράζουσιν ἃ λέγει. ὁ δὲ Κλέαρχος ἀκούσας ἐταράχθη σφόδρα καὶ ἐφοβεῖτο. [2.4.19] νεανίσκος δέ τις τῶν παρόντων ἐννοήσας εἶπεν ὡς οὐκ ἀκόλουθα εἴη τό τε ἐπιθήσεσθαι καὶ λύσειν τὴν γέφυραν. δῆλον γὰρ ὅτι ἐπιτιθεμένους ἢ νικᾶν δεήσει ἢ ἡττᾶσθαι. ἐὰν μὲν οὖν νικῶσι, τί δεῖ λύειν αὐτοὺς τὴν γέφυραν; οὐδὲ γὰρ ἂν πολλαὶ γέφυραι ὦσιν ἔχοιμεν ἂν ὅποι φυγόντες ἡμεῖς σωθῶμεν. [2.4.20] ἐὰν δὲ ἡμεῖς νικῶμεν, λελυμένης τῆς γεφύρας οὐχ ἕξουσιν ἐκεῖνοι ὅποι φύγωσιν· οὐδὲ μὴν βοηθῆσαι πολλῶν ὄντων πέραν οὐδεὶς αὐτοῖς δυνήσεται λελυμένης τῆς γεφύρας. [2.4.21] ἀκούσας δὲ ὁ Κλέαρχος ταῦτα ἤρετο τὸν ἄγγελον πόση τις εἴη χώρα ἡ ἐν μέσῳ τοῦ Τίγρητος καὶ τῆς διώρυχος. ὁ δὲ εἶπεν ὅτι πολλὴ καὶ κῶμαι ἔνεισι καὶ πόλεις πολλαὶ καὶ μεγάλαι. [2.4.22] τότε δὴ καὶ ἐγνώσθη ὅτι οἱ βάρβαροι τὸν ἄνθρωπον ὑποπέμψειαν, ὀκνοῦντες μὴ οἱ Ἕλληνες διελόντες τὴν γέφυραν μείναιεν ἐν τῇ νήσῳ ἐρύματα ἔχοντες ἔνθεν μὲν τὸν Τίγρητα, ἔνθεν δὲ τὴν διώρυχα· τὰ δ᾽ἐπιτήδεια ἔχοιεν ἐκ τῆς ἐν μέσῳ χώρας πολλῆς καὶ ἀγαθῆς οὔσης καὶ τῶν ἐργασομένων ἐνόντων· εἶτα δὲ καὶ ἀποστροφὴ γένοιτο εἴ τις βούλοιτο βασιλέα κακῶς ποιεῖν. [2.4.23] μετὰ δὲ ταῦτα ἀνεπαύοντο· ἐπὶ μέντοι τὴν γέφυραν ὅμως φυλακὴν ἔπεμψαν· καὶ οὔτε ἐπέθετο οὐδεὶς οὐδαμόθεν οὔτε πρὸς τὴν γέφυραν οὐδεὶς ἦλθε τῶν πολεμίων, ὡς οἱ φυλάττοντες ἀπήγγελλον. [2.4.24] ἐπειδὴ δὲ ἕως ἐγένετο, διέβαινον τὴν γέφυραν ἐζευγμένην πλοίοις τριάκοντα καὶ ἑπτὰ ὡς οἷόν τε μάλιστα πεφυλαγμένως· ἐξήγγελλον γάρ τινες τῶν παρὰ Τισσαφέρνους Ἑλλήνων ὡς διαβαινόντων μέλλοιεν ἐπιθήσεσθαι. ἀλλὰ ταῦτα μὲν ψευδῆ ἦν· διαβαινόντων μέντοι ὁ Γλοῦς [αὐτῶν] ἐπεφάνη μετ᾽ἄλλων σκοπῶν εἰ διαβαίνοιεν τὸν ποταμόν· ἐπειδὴ δὲ εἶδεν, ᾤχετο ἀπελαύνων. [2.4.25] ἀπὸ δὲ τοῦ Τίγρητος ἐπορεύθησαν σταθμοὺς τέτταρας παρασάγγας εἴκοσιν ἐπὶ τὸν Φύσκον ποταμόν, τὸ εὖρος πλέθρου· ἐπῆν δὲ γέφυρα. καὶ ἐνταῦθα ᾠκεῖτο πόλις μεγάλη ὄνομα Ὦπις· πρὸς ἣν ἀπήντησε τοῖς Ἕλλησιν ὁ Κύρου καὶ Ἀρταξέρξου νόθος ἀδελφὸς ἀπὸ Σούσων καὶ Ἐκβατάνων στρατιὰν πολλὴν ἄγων ὡς βοηθήσων βασιλεῖ· καὶ ἐπιστήσας τὸ ἑαυτοῦ στράτευμα παρερχομένους τοὺς Ἕλληνας ἐθεώρει. [2.4.26] ὁ δὲ Κλέαρχος ἡγεῖτο μὲν εἰς δύο, ἐπορεύετο δὲ ἄλλοτε καὶ ἄλλοτε ἐφιστάμενος· ὅσον δὲ [ἂν] χρόνον τὸ ἡγούμενον τοῦ στρατεύματος ἐπιστήσειε, τοσοῦτον ἦν ἀνάγκη χρόνον δι᾽ὅλου τοῦ στρατεύματος γίγνεσθαι τὴν ἐπίστασιν· ὥστε τὸ στράτευμα καὶ αὐτοῖς τοῖς Ἕλλησι δόξαι πάμπολυ εἶναι, καὶ τὸν Πέρσην ἐκπεπλῆχθαι θεωροῦντα. [2.4.27] ἐντεῦθεν δ᾽ἐπορεύθησαν διὰ τῆς Μηδίας σταθμοὺς ἐρήμους ἓξ παρασάγγας τριάκοντα εἰς τὰς Παρυσάτιδος κώμας τῆς Κύρου καὶ βασιλέως μητρός. ταύτας Τισσαφέρνης Κύρῳ ἐπεγγελῶν διαρπάσαι τοῖς Ἕλλησιν ἐπέτρεψε πλὴν ἀνδραπόδων. ἐνῆν δὲ σῖτος πολὺς καὶ πρόβατα καὶ ἄλλα χρήματα. [2.4.28] ἐντεῦθεν δ᾽ἐπορεύθησαν σταθμοὺς ἐρήμους τέτταρας παρασάγγας εἴκοσι τὸν Τίγρητα ποταμὸν ἐν ἀριστερᾷ ἔχοντες. ἐν δὲ τῷ πρώτῳ σταθμῷ πέραν τοῦ ποταμοῦ πόλις ᾠκεῖτο μεγάλη καὶ εὐδαίμων ὄνομα Καιναί, ἐξ ἧς οἱ βάρβαροι διῆγον ἐπὶ σχεδίαις διφθερίναις ἄρτους, τυρούς, οἶνον.

“Ariée et Artaèze, ci‑devant attachés à Cyrus et qui vous veulent toujours du bien, m'ont envoyé vers vous. Ils vous recommandent de vous tenir sur vos gardes, de peur que les Barbares ne vous attaquent cette nuit ; car il y a beaucoup de troupes dans le parc voisin. Ils vous conseillent aussi d'envoyer une garde au pont du Tigre, que Tissapherne a résolu de replier dans la nuit, s'il lui est possible, pour empêcher que vous ne passiez le Tigre, et pour vous tenir enfermés entre le fleuve et le canal. Proxène et Xénophon entendant ce rapport, mènent l'homme à Cléarque et lui rendent compte de ce qu'il a dit. Cléarque fut troublé et même très effrayé de ce récit. Parmi les Grecs qui étaient là, un jeune homme ayant réfléchi, dit qu'il ne serait pas conséquent aux ennemis d'attaquer et de rompre le pont. * S'ils attaquent, il est évident qu'il faut qu'ils nous battent ou qu'ils soient battus. Supposons qu'ils doivent remporter la victoire, qu'ont‑ils besoin de replier le pont ? Quand il y en aurait plusieurs autres, où nous réfugierions-nous après une défaite ? Que si l'avantage est à nous, le pont rompu, les Barbares n'ont plus de retraite, et les forces nombreuses qui sont sur l'autre rive ne pourraient leur donner le moindre secours.” Cléarque demanda ensuite à l'homme qu'on lui avait amené, quelle était l'étendue du pays contenu entre le Tigre et le canal. On apprit, par sa réponse, que ce pays était vaste, qu'il y avait des villages et beaucoup de grandes villes. On reconnut alors que les Barbares avaient insidieusement envoyé cet émissaire, parce qu'ils craignaient que les Grecs, qui avaient passé le pont du canal, ne se fixassent dans cette espèce d'île, où ils auraient eu pour rempart d'un côté le Tigre, de l'autre le canal ; qu'ils ne tirassent des vivres de la contrée même qui était vaste, féconde et peuplée de cultivateurs, et qu'il ne s'y formât un asile sûr pour quiconque voudrait insulter le roi. On prit ensuite du repos. On envoya cependant une garde au pont du Tigre. On ne fut attaqué d'aucun côté. La garde même du pont assura depuis qu'il n'y était venu aucun Barbare. Dès le point du jour, l'armée grecque passa avec le plus de précautions qu'elle put ce pont soutenu par 37 bateaux ; car quelques‑uns des Grecs qui étaient près de Tissapherne avaient prévenu qu'on serait attaqué au passage. Mais tous ces avis se trouvèrent dénués de fondement. Glous seulement et quelques autres Barbares parurent pendant qu'on traversait le fleuve. Ils observèrent si les Grecs passaient, et l'ayant vu, ils s'éloignèrent au galop. Des bords du Tigre, on fit, en 4 jours de marche, 20 parasanges. On arriva au fleuve Physcus, large d’1 plèthre. Un pont le traversait. En cet endroit était aussi une grande ville nommée Opis, près de laquelle les Grecs rencontrèrent un frère bâtard de Cyrus et d'Artaxerxès, et une armée nombreuse qu'il amenait de Suse et d'Ecbatane pour secourir le roi. Il fit faire halte à ses troupes et regarda passer les Grecs. Cléarque était à leur tête et les fit défiler 2 à 2. De temps en temps il s'arrêtait. Tant que la tête de la colonne faisait halte, le reste de l'armée le faisait nécessairement aussi, en sorte que tes Grecs eux‑mêmes trouvaient leurs troupes plus nombreuses, et que le Perse qui les considérait en fut frappé d'étonnement. De là en 6 marches on fit 30 parasanges à travers les déserts de la Médie, et l'on arriva dans le domaine de Parysatis, mère du roi et de Cyrus. Tissapherne, pour insulter aux mânes de ce prince, permit aux Grecs d'y piller les villages, et leur défendit seulement de faire des esclaves. Il y avait beaucoup de blé, de menu bétail et d'autres effets. Puis on fit en 5 marches 20 parasanges dans le désert, l'armée ayant le Tigre à sa gauche. À la première de ces marches, on vit sur l'autre rive du fleuve une ville grande et florissante nommée Caenes, d'où les Barbares, sur des radeaux faits avec des peaux, apportèrent à l'armée des pains, du fromage et du vin.

[2.5.1] μετὰ ταῦτα ἀφικνοῦνται ἐπὶ τὸν Ζαπάταν ποταμόν, τὸ εὖρος τεττάρων πλέθρων. καὶ ἐνταῦθα ἔμειναν ἡμέρας τρεῖς· ἐν δὲ ταύταις ὑποψίαι μὲν ἦσαν, φανερὰ δὲ οὐδεμία ἐφαίνετο ἐπιβουλή. [2.5.2] ἔδοξεν οὖν τῷ Κλεάρχῳ ξυγγενέσθαι τῷ Τισσαφέρνει καὶ εἴ πως δύναιτο παῦσαι τὰς ὑποψίας πρὶν ἐξ αὐτῶν πόλεμον γενέσθαι. καὶ ἔπεμψέν τινα ἐροῦντα ὅτι ξυγγενέσθαι αὐτῷ χρῄζει. [2.5.3] ὁ δὲ ἑτοίμως ἐκέλευεν ἥκειν. ἐπειδὴ δὲ ξυνῆλθον, λέγει ὁ Κλέαρχος τάδε.

On arriva ensuite sur les bords du fleuve Zabate, large de 4 plèthres. On y séjourna 3 jours. Les soupçons réciproques des Grecs et des Barbares s'y accrurent. Il ne parut pas cependant qu'on se tendît aucune embûche. Cléarque résolut de s'aboucher avec Tissapherne pour détruire, s'il le pouvait, ces soupçons avant qu'ils dégénérassent en une guerre ouverte. Il envoya dire au satrape qu'il désirait conférer avec lui. Tissapherne répondit qu'il était prêt à le recevoir ; et quand ils se virent, Cléarque lui tint ce discours :

--ἐγώ, ὦ Τισσαφέρνη, οἶδα μὲν ἡμῖν ὅρκους γεγενημένους καὶ δεξιὰς δεδομένας μὴ ἀδικήσειν ἀλλήλους· φυλαττόμενον δὲ σέ τε ὁρῶ ὡς πολεμίους ἡμᾶς καὶ ἡμεῖς ὁρῶντες ταῦτα ἀντιφυλαττόμεθα. [2.5.4] ἐπεὶ δὲ σκοπῶν οὐ δύναμαι οὔτε σὲ αἰσθέσθαι πειρώμενον ἡμᾶς κακῶς ποιεῖν ἐγώ τε σαφῶς οἶδα ὅτι ἡμεῖς γε οὐδὲ ἐπινοοῦμεν τοιοῦτον οὐδέν, ἔδοξέ μοι εἰς λόγους σοι ἐλθεῖν, ὅπως εἰ δυναίμεθα ἐξέλοιμεν ἀλλήλων τὴν ἀπιστίαν. [2.5.5] καὶ γὰρ οἶδα ἀνθρώπους ἤδη τοὺς μὲν ἐκ διαβολῆς τοὺς δὲ καὶ ἐξ ὑποψίας οἳ φοβηθέντες ἀλλήλους φθάσαι βουλόμενοι πρὶν παθεῖν ἐποίησαν ἀνήκεστα κακὰ τοὺς οὔτε μέλλοντας οὔτ᾽αὖ βουλομένους τοιοῦτον οὐδέν. [2.5.6] τὰς οὖν τοιαύτας ἀγνωμοσύνας νομίζων συνουσίαις μάλιστα παύεσθαι ἥκω καὶ διδάσκειν σε βούλομαι ὡς σὺ ἡμῖν οὐκ ὀρθῶς ἀπιστεῖς. [2.5.7] πρῶτον μὲν γὰρ καὶ μέγιστον οἱ θεῶν ἡμᾶς ὅρκοι κωλύουσι πολεμίους εἶναι ἀλλήλοις· ὅστις δὲ τούτων σύνοιδεν αὑτῷ παρημεληκώς, τοῦτον ἐγὼ οὔποτ᾽ἂν εὐδαιμονίσαιμι. τὸν γὰρ θεῶν πόλεμον οὐκ οἶδα οὔτ᾽ἀπὸ ποίου ἂν τάχους οὔτε ὅποι ἄν τις φεύγων ἀποφύγοι οὔτ᾽εἰς ποῖον ἂν σκότος ἀποδραίη οὔθ᾽ὅπως ἂν εἰς ἐχυρὸν χωρίον ἀποσταίη. πάντῃ γὰρ πάντα τοῖς θεοῖς ὕποχα καὶ πάντων ἴσον οἱ θεοὶ κρατοῦσι. [2.5.8] περὶ μὲν δὴ τῶν θεῶν τε καὶ τῶν ὅρκων οὕτω γιγνώσκω, παρ᾽οὓς ἡμεῖς τὴν φιλίαν συνθέμενοι κατεθέμεθα· τῶν δ᾽ἀνθρωπίνων σὲ ἐγὼ ἐν τῷ παρόντι νομίζω μέγιστον εἶναι ἡμῖν ἀγαθόν. [2.5.9] σὺν μὲν γὰρ σοὶ πᾶσα μὲν ὁδὸς εὔπορος, πᾶς δὲ ποταμὸς διαβατός, τῶν τε ἐπιτηδείων οὐκ ἀπορία· ἄνευ δὲ σοῦ πᾶσα μὲν διὰ σκότους ἡ ὁδός· οὐδὲν γὰρ αὐτῆς ἐπιστάμεθα· πᾶς δὲ ποταμὸς δύσπορος, πᾶς δὲ ὄχλος φοβερός, φοβερώτατον δ᾽ἐρημία· μεστὴ γὰρ πολλῆς ἀπορίας ἐστίν. [2.5.10] εἰ δὲ δὴ καὶ μανέντες σε κατακτείναιμεν, ἄλλο τι ἂν ἢ τὸν εὐεργέτην κατακτείναντες πρὸς βασιλέα τὸν μέγιστον ἔφεδρον ἀγωνιζοίμεθα; ὅσων δὲ δὴ καὶ οἵων ἂν ἐλπίδων ἐμαυτὸν στερήσαιμι, εἰ σέ τι κακὸν ἐπιχειρήσαιμι ποιεῖν, ταῦτα λέξω. [2.5.11] ἐγὼ γὰρ Κῦρον ἐπεθύμησά μοι φίλον γενέσθαι, νομίζων τῶν τότε ἱκανώτατον εἶναι εὖ ποιεῖν ὃν βούλοιτο· σὲ δὲ νῦν ὁρῶ τήν τε Κύρου δύναμιν καὶ χώραν ἔχοντα καὶ τὴν σαυτοῦ [χώραν] σᾐζοντα, τὴν δὲ βασιλέως δύναμιν, ᾗ Κῦρος πολεμίᾳ ἐχρῆτο, σοὶ ταύτην ξύμμαχον οὖσαν. [2.5.12] τούτων δὲ τοιούτων ὄντων τίς οὕτω μαίνεται ὅστις οὐ βούλεται σοὶ φίλος εἶναι; ἀλλὰ μὴν ἐρῶ γὰρ καὶ ταῦτα ἐξ ὧν ἔχω ἐλπίδας καὶ σὲ βουλήσεσθαι φίλον ἡμῖν εἶναι. [2.5.13] οἶδα μὲν γὰρ ὑμῖν Μυσοὺς λυπηροὺς ὄντας, οὓς νομίζω ἂν σὺν τῇ παρούσῃ δυνάμει ταπεινοὺς ὑμῖν παρασχεῖν· οἶδα δὲ καὶ Πισίδας· ἀκούω δὲ καὶ ἄλλα ἔθνη πολλὰ τοιαῦτα εἶναι, ἃ οἶμαι ἂν παῦσαι ἐνοχλοῦντα ἀεὶ τῇ ὑμετέρᾳ εὐδαιμονίᾳ. Αἰγυπτίους δέ, οἷς μάλιστα ὑμᾶς γιγνώσκω τεθυμωμένους, οὐχ ὁρῶ ποίᾳ δυνάμει συμμάχῳ χρησάμενοι μᾶλλον ἂν κολάσαισθε τῆς νῦν σὺν ἐμοὶ οὔσης. [2.5.14] ἀλλὰ μὴν ἔν γε τοῖς πέριξ οἰκοῦσι σὺ εἰ μὲν βούλοιο φίλος ὡς μέγιστος ἂν εἴης, εἰ δέ τίς σε λυποίη, ὡς δεσπότης <ἂν> ἀναστρέφοιο ἔχων ἡμᾶς ὑπηρέτας, οἵ σοι οὐκ ἂν μισθοῦ ἕνεκα ὑπηρετοῖμεν ἀλλὰ καὶ τῆς χάριτος ἣν σωθέντες ὑπὸ σοῦ σοὶ ἂν ἔχοιμεν δικαίως. [2.5.15] ἐμοὶ μὲν ταῦτα πάντα ἐνθυμουμένῳ οὕτω δοκεῖ θαυμαστὸν εἶναι τὸ σὲ ἡμῖν ἀπιστεῖν ὥστε καὶ ἥδιστ᾽ἂν ἀκούσαιμι τὸ ὄνομα τίς οὕτως ἐστὶ δεινὸς λέγειν ὥστε σε πεῖσαι λέγων ὡς ἡμεῖς σοι ἐπιβουλεύομεν. Κλέαρχος μὲν οὖν τοσαῦτα εἶπε· Τισσαφέρνης δὲ ὧδε ἀπημείφθη.

“Je me souviens, Tissapherne, des serments que nous nous sommes faits, et de la foi que nous nous sommes donnée, de ne nous point attaquer. Vous n'en êtes pas moins en garde contre nous, et vous nous considérez encore comme ennemis. Nous l'apercevons tous, et par cette raison nous nous gardons de même. J'ai beau chercher cependant, je ne puis découvrir que vous ayez tenté de nous nuire, et je suis certain que les Grecs ne forment aucun projet contre vous. Voilà pourquoi j'ai désiré que nous nous abouchassions, afin que, s'il est possible, nous anéantissions cette défiance mutuelle. Car j'ai vu que souvent des hommes, ou prêtant l'oreille à la calomnie, ou se livrant à des soupçons, ont conçu les uns des autres une crainte mal fondée, et que ceux qui ont mieux aimé prévenir l'injure que la souffrir ont causé des maux sans remède à ceux qui ne leur voulaient, qui ne leur auraient jamais fait aucun mal. Je pense qu'une explication est ce qui dissipe le mieux de tels malentendus, et je suis venu dans le dessein de vous prouver que vous n'avez pas raison de vous défier de nous. Nos serments, dont les dieux sont témoins (et c'est pour moi la première et la plus importante considération), nos serments, dis‑je, nous interdisent toute inimitié. Je ne pourrais regarder comme heureux un mortel à qui sa conscience reprocherait de s'être joué des dieux ; car si l'on est en guerre avec eux, quelle fuite rapide peut nous soustraire à leur poursuite ? Quelles ténèbres peuvent nous cacher à leurs yeux ? Quel lieu fortifié est un rempart contre leur vengeance ? Rien n'est indépendant de l'autorité suprême des dieux. Ils ont dans tous les lieux, ils ont sur tout ce qui existe un pouvoir égal et sans bornes. Telle est mont opinion sur les Immortels et sur les serments garants de l'amitié que nous nous sommes mutuellement promise. Descendant à des considérations humaines, je vous regarde, dans la conjoncture présente, comme le plus grand bien et le plus précieux pour les Grecs. Avec vous quelle route nous sera difficile ? Quel fleuve ne passerons‑nous pas ? Où manquerons‑nous de vivres. Sans vous, nous voyagerons toujours dans les ténèbres, car nous ignorons absolument notre chemin ; nous serons arrêtés par tous les fleuves. Une poignée d'hommes nous sera redoutable. Les déserts nous le seront encore plus. C'est là que nous attendent des difficultés sans nombre. Si donc la fureur nous aveuglait jusqu'à vous faire périr, que résulterait‑il pour nous d'avoir immolé notre bienfaiteur, si ce n'est de nous attirer une nouvelle guerre avec le roi, avec le plus puissant de tous les vengeurs ? Je vais vous exposer de plus à quelles espérances personnelles je renoncerais en entreprenant de vous faire la moindre injure. J'ai désiré de me faire ami de Cyrus, parce que je croyais trouver en lui l'homme le plus capable d'obliger qui il voudrait. Je vous vois maintenant réunir à votre gouvernement celui de ce prince. Je vous vois héritier de sa puissance et soutenu de celle du roi, contre laquelle luttait Cyrus. Dans ces circonstances, quel homme serait assez insensé, pour ne pas désirer d'être de vos amis ? Je me flatte que vous voudrez aussi être le nôtre, et je vous indiquerai ce qui me le fait présumer. Je vois les Mysiens et les Pisidiens inquiéter votre gouvernement. J'espère, avec les Grecs que je commande, les humilier et vous les soumettre. J'en entends dire autant de beaucoup d'autres peuples. Je me crois en état de les empêcher de troubler sans cesse votre tranquillité. Les Égyptiens, je le sais, sont ceux contre lesquels vous êtes le plus irrités, et je ne vois pas quelles troupes vous pourriez vous associer, pour châtier ces rebelles, qui valussent celles dont je suis le chef. Aux environs de votre gouvernement, vous deviendriez le protecteur le plus puissant de quiconque vous voudriez favoriser ; vous ordonneriez en maître absolu la destruction de qui oserait vous insulter, en nous ayant pour ministres de vos vengeances, nous qui ne vous servirions pas seulement par l'espoir de la solde, mais par des motifs de reconnaissance et par un juste souvenir de notre salut que nous vous devrions. Après avoir fait toutes ces réflexions, il me paraît si étonnant que vous ayez de nous quelque défiance, que je serais charmé de savoir quel a été l'homme assez éloquent, pour vous persuader que nous avons de mauvais desseins contre vous.” Cléarque ayant fini de parler, Tissapherne répondit :

[2.5.16] --ἀλλ᾽ἥδομαι μέν, ὦ Κλέαρχε, ἀκούων σου φρονίμους λόγους· ταῦτα γὰρ γιγνώσκων εἴ τι ἐμοὶ κακὸν βουλεύοις, ἅμα ἄν μοι δοκεῖς καὶ σαυτῷ κακόνους εἶναι. ὡς δ᾽ἂν μάθῃς ὅτι οὐδ᾽ἂν ὑμεῖς δικαίως οὔτε βασιλεῖ οὔτ᾽ἐμοὶ ἀπιστοίητε, ἀντάκουσον. [2.5.17] εἰ γὰρ ὑμᾶς ἐβουλόμεθα ἀπολέσαι, πότερά σοι δοκοῦμεν ἱππέων πλήθους ἀπορεῖν ἢ πεζῶν ἢ ὁπλίσεως ἐν ᾗ ὑμᾶς μὲν βλάπτειν ἱκανοὶ εἴημεν ἄν, ἀντιπάσχειν δὲ οὐδεὶς κίνδυνος; [2.5.18] ἀλλὰ χωρίων ἐπιτηδείων ὑμῖν ἐπιτίθεσθαι ἀπορεῖν ἄν σοι δοκοῦμεν; οὐ τοσαῦτα μὲν πεδία ἃ ὑμεῖς φίλια ὄντα σὺν πολλῷ πόνῳ διαπορεύεσθε, τοσαῦτα δὲ ὄρη ὁρᾶτε ὑμῖν ὄντα πορευτέα, ἃ ἡμῖν ἔξεστι προκαταλαβοῦσιν ἄπορα ὑμῖν παρέχειν, τοσοῦτοι δ᾽εἰσὶ ποταμοὶ ἐφ᾽ὧν ἔξεστιν ἡμῖν ταμιεύεσθαι ὁπόσοις ἂν ὑμῶν βουλώμεθα μάχεσθαι; εἰσὶ δ᾽αὐτῶν οὓς οὐδ᾽ἂν παντάπασι διαβαίητε, εἰ μὴ ἡμεῖς ὑμᾶς διαπορεύοιμεν. [2.5.19] εἰ δ᾽ἐν πᾶσι τούτοις ἡττᾐμεθα, ἀλλὰ τό γέ τοι πῦρ κρεῖττον τοῦ καρποῦ ἐστιν· ὃν ἡμεῖς δυναίμεθ᾽ἂν κατακαύσαντες λιμὸν ὑμῖν ἀντιτάξαι, ᾧ ὑμεῖς οὐδ᾽εἰ πάνυ ἀγαθοὶ εἴητε μάχεσθαι ἂν δύναισθε. [2.5.20] πῶς ἂν οὖν ἔχοντες τοσούτους πόρους πρὸς τὸ ὑμῖν πολεμεῖν, καὶ τούτων μηδένα ἡμῖν ἐπικίνδυνον, ἔπειτα ἐκ τούτων πάντων τοῦτον ἂν τὸν τρόπον ἐξελοίμεθα ὃς μόνος μὲν πρὸς θεῶν ἀσεβής, μόνος δὲ πρὸς ἀνθρώπων αἰσχρός; [2.5.21] παντάπασι δὲ ἀπόρων ἐστὶ καὶ ἀμηχάνων καὶ ἐν ἀνάγκῃ ἐχομένων, καὶ τούτων πονηρῶν, οἵτινες ἐθέλουσι δι᾽ἐπιορκίας τε πρὸς θεοὺς καὶ ἀπιστίας πρὸς ἀνθρώπους πράττειν τι. οὐχ οὕτως ἡμεῖς, ὦ Κλέαρχε, οὔτε ἀλόγιστοι οὔτε ἠλίθιοί ἐσμεν. [2.5.22] ἀλλὰ τί δὴ ὑμᾶς ἐξὸν ἀπολέσαι οὐκ ἐπὶ τοῦτο ἤλθομεν; εὖ ἴσθι ὅτι ὁ ἐμὸς ἔρως τούτου αἴτιος τὸ τοῖς Ἕλλησιν ἐμὲ πιστὸν γενέσθαι, καὶ ᾧ Κῦρος ἀνέβη ξενικῷ διὰ μισθοδοσίας πιστεύων τούτῳ ἐμὲ καταβῆναι δι᾽εὐεργεσίαν ἰσχυρόν. [2.5.23] ὅσα δ᾽ἐμοὶ χρήσιμοι ὑμεῖς ἐστε τὰ μὲν καὶ σὺ εἶπας, τὸ δὲ μέγιστον ἐγὼ οἶδα· τὴν μὲν γὰρ ἐπὶ τῇ κεφαλῇ τιάραν βασιλεῖ μόνῳ ἔξεστιν ὀρθὴν ἔχειν, τὴν δ᾽ἐπὶ τῇ καρδίᾳ ἴσως ἂν ὑμῶν παρόντων καὶ ἕτερος εὐπετῶς ἔχοι. [2.5.24] ταῦτα εἰπὼν ἔδοξε τῷ Κλεάρχῳ ἀληθῆ λέγειν· καὶ εἶπεν·

“Je suis charmé, Cléarque, de vous entendre tenir ce discours sensé. Car, puisque vous pensez ainsi, je croirai désormais que vous ne pouvez former de projets nuisibles contre moi, sans en former contre vous-même. Mais à votre tour apprenez que vous ne sauriez avec justice vous défier ni d'Artaxerxès ni de moi. Si nous avions voulu vous perdre, vous semble‑t‑il que nous n'eussions pas assez de cavalerie, d'infanterie, d'armes, pour vous nuire sans courir le moindre risque. Présumez‑vous que nous ne trouvassions pas de lieu favorable pour vous attaquer ? Mais combien dans le pays qui fait des vœux pour nous, de vastes plaines que vous vous fatiguez à traverser ? Combien sur votre chemin de montagnes dont nous pouvons vous boucher les passages en les occupant avant vous ? Combien de fleuves au‑delà desquels nous pouvons ne laisser défiler que la quantité de vos troupes que nous voudrons combattre ? Que dis‑je ! Il en est que vous ne passeriez même jamais sans notre secours. Supposons qu'aucun de ces moyens ne nous réussisse, les fruits de la terre peuvent‑ils résister au feu ? Nous brûlerons tout devant vous, et nous vous opposerons la famine pour adversaire. Pouvez ‑vous, quelque braves que vous soyez, le combattre ? Comment, ayant autant de moyens de vous faire la guerre sans courir le moindre danger, choisirions‑nous entre tant de manières la seule qui soit impie envers les dieux et qui nous couvrirait de honte devant les hommes, qui ne convient qu'à des gens sans ressource, plongés dans l'embarras, pressés par la nécessité, qu'à des scélérats qui veulent retirer quelque avantage de leur parjure envers les dieux, et de leur infidélité envers les humains ? Nous ne sommes pas à ce point, Cléarque, insensés et déraisonnables. Pourquoi donc, lorsqu'il nous était facile de vous détruire, ne vous avons‑nous pas attaqués ? Sachez que vous le devez au désir vif que j'ai eu de gagner l'amitié des Grecs, et de revenir dans mon gouvernement, m'étant assuré, par mes bienfaits, l'attachement de ces troupes, sur lesquelles Cyrus, en les menant dans la haute Asie, ne comptait que parce qu'il les stipendiait. Vous m'avez désigné quelques‑uns des avantages que je puis retirer de votre affection. Vous avez omis le plus important, et je le sens. Il est permis au roi seul de porter la tiare droite sur sa tête ; mais avec votre assistance, un autre a peut‑être droit de la porter ainsi dans son coeur.” Ce discours parut sincère à Cléarque :

--οὐκοῦν, ἔφη, οἵτινες τοιούτων ἡμῖν εἰς φιλίαν ὑπαρχόντων πειρῶνται διαβάλλοντες ποιῆσαι πολεμίους ἡμᾶς ἄξιοί εἰσι τὰ ἔσχατα παθεῖν; [2.5.25]

“Ceux donc, reprit‑il, qui, tandis que nous avons des motifs aussi puissants d'être amis, tâchent par calomnies de susciter la guerre entre nous, méritent les derniers supplices.

--καὶ ἐγὼ μέν γε, ἔφη ὁ Τισσαφέρνης, εἰ βούλεσθέ μοι οἵ τε στρατηγοὶ καὶ οἱ λοχαγοὶ ἐλθεῖν, ἐν τῷ ἐμφανεῖ λέξω τοὺς πρὸς ἐμὲ λέγοντας ὡς σὺ ἐμοὶ ἐπιβουλεύεις καὶ τῇ σὺν ἐμοὶ στρατιᾷ. [2.5.26]

‑ Pour moi, dit Tissapherne, je dénoncerai ceux qui me disent que vous tramez des complots contre moi et contre mon armée. Je les nommerai à vos généraux et à vos chefs de loches, s'ils veulent venir publiquement me trouver.

--ἐγὼ δέ, ἔφη ὁ Κλέαρχος, ἄξω πάντας, καὶ σοὶ αὖ δηλώσω ὅθεν ἐγὼ περὶ σοῦ ἀκούω. [2.5.27] ἐκ τούτων δὴ τῶν λόγων ὁ Τισσαφέρνης φιλοφρονούμενος τότε μὲν μένειν τε αὐτὸν ἐκέλευε καὶ σύνδειπνον ἐποιήσατο. τῇ δὲ ὑστεραίᾳ ὁ Κλέαρχος ἐλθὼν ἐπὶ τὸ στρατόπεδον δῆλός τ᾽ἦν πάνυ φιλικῶς οἰόμενος διακεῖσθαι τῷ Τισσαφέρνει καὶ ἃ ἔλεγεν ἐκεῖνος ἀπήγγελλεν, ἔφη τε χρῆναι ἰέναι παρὰ Τισσαφέρνην οὓς ἐκέλευεν, καὶ οἳ ἂν ἐλεγχθῶσι διαβάλλοντες τῶν Ἑλλήνων, ὡς προδότας αὐτοὺς καὶ κακόνους τοῖς Ἕλλησιν ὄντας τιμωρηθῆναι. [2.5.28] ὑπώπτευε δὲ εἶναι τὸν διαβάλλοντα Μένωνα, εἰδὼς αὐτὸν καὶ συγγεγενημένον Τισσαφέρνει μετ᾽Ἀριαίου καὶ στασιάζοντα αὐτῷ καὶ ἐπιβουλεύοντα, ὅπως τὸ στράτευμα ἅπαν πρὸς αὑτὸν λαβὼν φίλος ᾖ Τισσαφέρνει. [2.5.29] ἐβούλετο δὲ καὶ Κλέαρχος ἅπαν τὸ στράτευμα πρὸς ἑαυτὸν ἔχειν τὴν γνώμην καὶ τοὺς παραλυποῦντας ἐκποδὼν εἶναι. τῶν δὲ στρατιωτῶν ἀντέλεγόν τινες αὐτῷ μὴ ἰέναι πάντας τοὺς λοχαγοὺς καὶ στρατηγοὺς μηδὲ πιστεύειν Τισσαφέρνει. [2.5.30] ὁ δὲ Κλέαρχος ἰσχυρῶς κατέτεινεν, ἔστε διεπράξατο πέντε μὲν στρατηγοὺς ἰέναι, εἴκοσι δὲ λοχαγούς· συνηκολούθησαν δὲ ὡς εἰς ἀγορὰν καὶ τῶν ἄλλων στρατιωτῶν ὡς διακόσιοι. [2.5.31] ἐπεὶ δὲ ἦσαν ἐπὶ θύραις ταῖς Τισσαφέρνους, οἱ μὲν στρατηγοὶ παρεκλήθησαν εἴσω, Πρόξενος Βοιώτιος, Μένων Θετταλός, Ἀγίας Ἀρκάς, Κλέαρχος Λάκων, Σωκράτης Ἀχαιός· οἱ δὲ λοχαγοὶ ἐπὶ ταῖς θύραις ἔμενον. [2.5.32] οὐ πολλῷ δὲ ὕστερον ἀπὸ τοῦ αὐτοῦ σημείου οἵ τ᾽ἔνδον ξυνελαμβάνοντο καὶ οἱ ἔξω κατεκόπησαν. μετὰ δὲ ταῦτα τῶν βαρβάρων τινὲς ἱππέων διὰ τοῦ πεδίου ἐλαύνοντες ᾧτινι ἐντυγχάνοιεν Ἕλληνι ἢ δούλῳ ἢ ἐλευθέρῳ πάντας ἔκτεινον. [2.5.33] οἱ δὲ Ἕλληνες τήν τε ἱππασίαν ἐθαύμαζον ἐκ τοῦ στρατοπέδου ὁρῶντες καὶ ὅ τι ἐποίουν ἠμφεγνόουν, πρὶν Νίκαρχος Ἀρκὰς ἧκε φεύγων τετρωμένος εἰς τὴν γαστέρα καὶ τὰ ἔντερα ἐν ταῖς χερσὶν ἔχων, καὶ εἶπε πάντα τὰ γεγενημένα. [2.5.34] ἐκ τούτου δὴ οἱ Ἕλληνες ἔθεον ἐπὶ τὰ ὅπλα πάντες ἐκπεπληγμένοι καὶ νομίζοντες αὐτίκα ἥξειν αὐτοὺς ἐπὶ τὸ στρατόπεδον. [2.5.35] οἱ δὲ πάντες μὲν οὐκ ἦλθον, Ἀριαῖος δὲ καὶ Ἀρτάοζος καὶ Μιθραδάτης, οἳ ἦσαν Κύρῳ πιστότατοι· ὁ δὲ τῶν Ἑλλήνων ἑρμηνεὺς ἔφη καὶ τὸν Τισσαφέρνους ἀδελφὸν σὺν αὐτοῖς ὁρᾶν καὶ γιγνώσκειν· ξυνηκολούθουν δὲ καὶ ἄλλοι Περσῶν τεθωρακισμένοι εἰς τριακοσίους. [2.5.36] οὗτοι ἐπεὶ ἐγγὺς ἦσαν, προσελθεῖν ἐκέλευον εἴ τις εἴη τῶν Ἑλλήνων στρατηγὸς ἢ λοχαγός, ἵνα ἀπαγγείλωσι τὰ παρὰ βασιλέως. [2.5.37] μετὰ ταῦτα ἐξῆλθον φυλαττόμενοι τῶν Ἑλλήνων στρατηγοὶ μὲν Κλεάνωρ Ὀρχομένιος καὶ Σοφαίνετος Στυμφάλιος, ξὺν αὐτοῖς δὲ Ξενοφῶν Ἀθηναῖος, ὅπως μάθοι τὰ περὶ Προξένου· Χειρίσοφος δὲ ἐτύγχανεν ἀπὼν ἐν κώμῃ τινὶ ξὺν ἄλλοις ἐπισιτιζομένοις. [2.5.38] ἐπειδὴ δὲ ἔστησαν εἰς ἐπήκοον, εἶπεν Ἀριαῖος τάδε. Κλέαρχος μέν, ὦ ἄνδρες Ἕλληνες, ἐπεὶ ἐπιορκῶν τε ἐφάνη καὶ τὰς σπονδὰς λύων, ἔχει τὴν δίκην καὶ τέθνηκε, Πρόξενος δὲ καὶ Μένων, ὅτι κατήγγειλαν αὐτοῦ τὴν ἐπιβουλήν, ἐν μεγάλῃ τιμῇ εἰσιν. ὑμᾶς δὲ βασιλεὺς τὰ ὅπλα ἀπαιτεῖ· αὑτοῦ γὰρ εἶναί φησιν, ἐπείπερ Κύρου ἦσαν τοῦ ἐκείνου δούλου. [2.5.39] πρὸς ταῦτα ἀπεκρίναντο οἱ Ἕλληνες, ἔλεγε δὲ Κλεάνωρ ὁ Ὀρχομένιος·

‑ Je vous les amènerai tous, répliqua Cléarque, et je vous déclarerai quiconque me tient sur vous de semblables discours.” Tissapherne, après cet entretien, fit beaucoup de caresse à Cléarque, et le retint à souper. Ce général étant retourné le lendemain au camp, parut persuadé des intentions pacifiques de Tissapherne, et publia ce que le satrape lui avait dit. Il ajouta qu'il fallait que les chefs invités par Tissapherne se rendissent chez ce Perse, et que ceux des Grecs qui seraient convaincus de calomnie, fussent punis comme traîtres, et mal intentionnés pour leurs compatriotes. Il soupçonnait Ménon de ce crime, sachant qu'Ariée et lui avaient eu une conférence avec Tissapherne ; que Ménon, d'ailleurs, formait un parti contre lui, et, par une conduite insidieuse, voulait lui débaucher toute l'armée, et s'assurer par là l'amitié de Tissapherne. Cléarque, de son côté, visait à s'attacher toutes les troupes, et à se défaire des rivaux qui l'inquiétaient. Quelques soldats furent d'un avis contraire à celui de Cléarque, et dirent qu'il ne fallait pas que tous les généraux et les chefs de lochos allassent chez Tissapherne, ni qu'on se fiât aveuglement à lui. Cléarque insista fortement jusqu'à ce qu'il eût fait décider qu'il irait 5 généraux et 20 chefs de lochos. Environ 200 soldats les suivirent, comme pour aller acheter des vivres. Quand ils furent arrivés à la tente du satrape, on fit entrer les 5 généraux, Proxène de Béotie, Ménon de Thessalie, Agias Arcadien, Cléarque Lacédémonien et Socrate d'Achaïe. Les chefs de lochos restèrent à la porte. Peu de temps après, au même signal, on arrêta les généraux qui étaient entrés, et on fit main basse sur tout ce qui se trouvait de Grecs en dehors. Ensuite quelque cavalerie barbare se dispersant dans la plaine, passa au fil de l'épée tout ce qu'elle trouva de Grecs indistinctement hommes libres et esclaves. Les Grecs, qui l'aperçurent de leur camp, s'étonnèrent de cette excursion, et ne concevaient pas ce que ces cavaliers pourraient faire. Mais enfin Nicarque l’Arcadien arriva. Il avait pris la fuite, quoique blessé au ventre et tenant ses entrailles dans ses mains il raconta tout ce qui s'était passé. Aussitôt les Grecs coururent aux armes, frappés de terreur, et présumant que leur camp allait être à l'instant assailli par les Barbares ; mais l'armée entière de Tissapherne n'y marcha pas. Il ne vint qu'Ariée, Artaèze et Mithradate qui avaient été les plus intimes amis de Cyrus. L'interprète des Grecs dit qu'il voyait aussi parmi ces Barbares le frère de Tissapherne , et qu'il le reconnaissait bien. Ils étaient escortés d'environ 300 Perses cuirassés. Quand ils furent près du camp, ils demandèrent que quelque général ou un chef de lochos s'avançât pour qu'ils lui annonçassent les intentions du roi. Cléanor d'Orchomène et Sophénète de Stymphale sortirent du camp avec précaution. Xénophon Athénien les suivit pour apprendre des nouvelles de Proxène. Chirisophe se trouvait absent pour lors, ayant été avec d'autres Grecs chercher des vivres dans un village. Quand on fut à portée de s'entendre, Ariée dit : “Grecs, Cléarque ayant été convaincu de violer ses serments et de transgresser le traité, a reçu la peine qui lui était due : il n'est plus. Proxène et Ménon, qui ont dénoncé sa perfidie, reçoivent de grands honneurs. Quant à vous, le roi vous demande vos armes, et prétend qu'elles lui appartiennent, puisque vous les portiez pour Cyrus son esclave.” Les Grecs lui répondirent, Cléanor d'Orchomène portant la parole :

--ὦ κάκιστε ἀνθρώπων Ἀριαῖε καὶ οἱ ἄλλοι ὅσοι ἦτε Κύρου φίλοι, οὐκ αἰσχύνεσθε οὔτε θεοὺς οὔτ᾽ἀνθρώπους, οἵτινες ὀμόσαντες ἡμῖν τοὺς αὐτοὺς φίλους καὶ ἐχθροὺς νομιεῖν, προδόντες ἡμᾶς σὺν Τισσαφέρνει τῷ ἀθεωτάτῳ τε καὶ πανουργοτάτῳ τούς τε ἄνδρας αὐτοὺς οἷς ὤμνυτε ἀπολωλέκατε καὶ τοὺς ἄλλους ἡμᾶς προδεδωκότες ξὺν τοῖς πολεμίοις ἐφ᾽ἡμᾶς ἔρχεσθε; [2.5.40] ὁ δὲ Ἀριαῖος εἶπε· Κλέαρχος γὰρ πρόσθεν ἐπιβουλεύων φανερὸς ἐγένετο Τισσαφέρνει τε καὶ Ὀρόντᾳ, καὶ πᾶσιν ἡμῖν τοῖς ξὺν τούτοις. ἐπὶ τούτοις Ξενοφῶν τάδε εἶπε. [2.5.41] Κλέαρχος μὲν τοίνυν εἰ παρὰ τοὺς ὅρκους ἔλυε τὰς σπονδάς, τὴν δίκην ἔχει· δίκαιον γὰρ ἀπόλλυσθαι τοὺς ἐπιορκοῦντας· Πρόξενος δὲ καὶ Μένων ἐπείπερ εἰσὶν ὑμέτεροι μὲν εὐεργέται, ἡμέτεροι δὲ στρατηγοί, πέμψατε αὐτοὺς δεῦρο· δῆλον γὰρ ὅτι φίλοι γε ὄντες ἀμφοτέροις πειράσονται καὶ ὑμῖν καὶ ἡμῖν τὰ βέλτιστα ξυμβουλεῦσαι. [2.5.42] πρὸς ταῦτα οἱ βάρβαροι πολὺν χρόνον διαλεχθέντες ἀλλήλοις ἀπῆλθον οὐδὲν ἀποκρινάμενοι.

“O le plus méchant des hommes, Ariée ! vous tous qui étiez dans l'intimité de Cyrus ! pouvez‑vous lever les yeux sans rougir vers les dieux ou sur les hommes ; vous qui ayant juré d'avoir les mêmes amis et les mêmes ennemis que nous, avez depuis machiné notre perte avec Tissapherne, le plus impie et le plus scélérat des mortels avez égorgé les généraux mêmes qui avaient reçu votre serment, et nous ayant tous trahis, marchez contre nous avec nos ennemis ?” Ariée répliqua : “Cléarque avait déjà été convaincu de tendre des embûches à Tissapherne, à Orontas et à nous tous qui les accompagnons. ‑ Cléarque, donc, reprit Xénophon, a été justement puni d'avoir violé le traité, malgré ses serments ; car il est juste que les parjures périssent. Mais Proxène et Ménon, puisque vous avez à vous louer d'eux et qu'ils sont nos généraux, renvoyez‑les nous. Également bien intentionnés pour vous et pour nous, il est évident qu'ils ne tâcheront de nous inspirer que les desseins les plus avantageux aux 2 armées.” Les Barbares ayant longtemps conféré ensemble sur cette réponse, se retirèrent sans en avoir rendu aucune.

[2.6.1] οἱ μὲν δὴ στρατηγοὶ οὕτω ληφθέντες ἀνήχθησαν ὡς βασιλέα καὶ ἀποτμηθέντες τὰς κεφαλὰς ἐτελεύτησαν, εἷς μὲν αὐτῶν Κλέαρχος ὁμολογουμένως ἐκ πάντων τῶν ἐμπείρως αὐτοῦ ἐχόντων δόξας γενέσθαι ἀνὴρ καὶ πολεμικὸς καὶ φιλοπόλεμος ἐσχάτως. [2.6.2] καὶ γὰρ δὴ ἕως μὲν πόλεμος ἦν τοῖς Λακεδαιμονίοις πρὸς τοὺς Ἀθηναίους παρέμενεν, ἐπειδὴ δὲ εἰρήνη ἐγένετο, πείσας τὴν αὑτοῦ πόλιν ὡς οἱ Θρᾷκες ἀδικοῦσι τοὺς Ἕλληνας καὶ διαπραξάμενος ὡς ἐδύνατο παρὰ τῶν ἐφόρων ἐξέπλει ὡς πολεμήσων τοῖς ὑπὲρ Χερρονήσου καὶ Περίνθου Θρᾳξίν. [2.6.3] ἐπεὶ δὲ μεταγνόντες πως οἱ ἔφοροι ἤδη ἔξω ὄντος ἀποστρέφειν αὐτὸν ἐπειρῶντο ἐξ Ἰσθμοῦ, ἐνταῦθα οὐκέτι πείθεται, ἀλλ᾽ᾤχετο πλέων εἰς Ἑλλήσποντον. [2.6.4] ἐκ τούτου καὶ ἐθανατώθη ὑπὸ τῶν ἐν Σπάρτῃ τελῶν ὡς ἀπειθῶν. ἤδη δὲ φυγὰς ὢν ἔρχεται πρὸς Κῦρον, καὶ ὁποίοις μὲν λόγοις ἔπεισε Κῦρον ἄλλῃ γέγραπται, δίδωσι δὲ αὐτῷ Κῦρος μυρίους δαρεικούς· [2.6.5] ὁ δὲ λαβὼν οὐκ ἐπὶ ῥᾳθυμίαν ἐτράπετο, ἀλλ᾽ἀπὸ τούτων τῶν χρημάτων συλλέξας στράτευμα ἐπολέμει τοῖς Θρᾳξί, καὶ μάχῃ τε ἐνίκησε καὶ ἀπὸ τούτου δὴ ἔφερε καὶ ἦγε τούτους καὶ πολεμῶν διεγένετο μέχρι Κῦρος ἐδεήθη τοῦ στρατεύματος· τότε δὲ ἀπῆλθεν ὡς ξὺν ἐκείνῳ αὖ πολεμήσων. [2.6.6] ταῦτα οὖν φιλοπολέμου μοι δοκεῖ ἀνδρὸς ἔργα εἶναι, ὅστις ἐξὸν μὲν εἰρήνην ἄγειν ἄνευ αἰσχύνης καὶ βλάβης αἱρεῖται πολεμεῖν, ἐξὸν δὲ ῥᾳθυμεῖν βούλεται πονεῖν ὥστε πολεμεῖν, ἐξὸν δὲ χρήματα ἔχειν ἀκινδύνως αἱρεῖται πολεμῶν μείονα ταῦτα ποιεῖν· ἐκεῖνος δὲ ὥσπερ εἰς παιδικὰ ἢ εἰς ἄλλην τινὰ ἡδονὴν ἤθελε δαπανᾶν εἰς πόλεμον. [2.6.7] οὕτω μὲν φιλοπόλεμος ἦν· πολεμικὸς δὲ αὖ ταύτῃ ἐδόκει εἶναι ὅτι φιλοκίνδυνός τε ἦν καὶ ἡμέρας καὶ νυκτὸς ἄγων ἐπὶ τοὺς πολεμίους καὶ ἐν τοῖς δεινοῖς φρόνιμος, ὡς οἱ παρόντες πανταχοῦ πάντες ὡμολόγουν. [2.6.8] καὶ ἀρχικὸς δ᾽ἐλέγετο εἶναι ὡς δυνατὸν ἐκ τοῦ τοιούτου τρόπου οἷον κἀκεῖνος εἶχεν. ἱκανὸς μὲν γὰρ ὥς τις καὶ ἄλλος φροντίζειν ἦν ὅπως ἔχοι ἡ στρατιὰ αὐτῷ τὰ ἐπιτήδεια καὶ παρασκευάζειν ταῦτα, ἱκανὸς δὲ καὶ ἐμποιῆσαι τοῖς παροῦσιν ὡς πειστέον εἴη Κλεάρχῳ. [2.6.9] τοῦτο δ᾽ἐποίει ἐκ τοῦ χαλεπὸς εἶναι· καὶ γὰρ ὁρᾶν στυγνὸς ἦν καὶ τῇ φωνῇ τραχύς, ἐκόλαζέ τε ἰσχυρῶς, καὶ ὀργῇ ἐνίοτε, ὡς καὶ αὐτῷ μεταμέλειν ἔσθ᾽ὅτε. [2.6.10] καὶ γνώμῃ δ᾽ἐκόλαζεν· ἀκολάστου γὰρ στρατεύματος οὐδὲν ἡγεῖτο ὄφελος εἶναι, ἀλλὰ καὶ λέγειν αὐτὸν ἔφασαν ὡς δέοι τὸν στρατιώτην φοβεῖσθαι μᾶλλον τὸν ἄρχοντα ἢ τοὺς πολεμίους, εἰ μέλλοι ἢ φυλακὰς φυλάξειν ἢ φίλων ἀφέξεσθαι ἢ ἀπροφασίστως ἰέναι πρὸς τοὺς πολεμίους. [2.6.11] ἐν μὲν οὖν τοῖς δεινοῖς ἤθελον αὐτοῦ ἀκούειν σφόδρα καὶ οὐκ ἄλλον ᾑροῦντο οἱ στρατιῶται· καὶ γὰρ τὸ στυγνὸν τότε φαιδρὸν αὐτοῦ ἐν τοῖς ἄλλοις προσώποις ἔφασαν φαίνεσθαι καὶ τὸ χαλεπὸν ἐρρωμένον πρὸς τοὺς πολεμίους ἐδόκει εἶναι, ὥστε σωτήριον, οὐκέτι χαλεπὸν ἐφαίνετο· [2.6.12] ὅτε δ᾽ἔξω τοῦ δεινοῦ γένοιντο καὶ ἐξείη πρὸς ἄλλον ἀρξομένους ἀπιέναι, πολλοὶ αὐτὸν ἀπέλειπον· τὸ γὰρ ἐπίχαρι οὐκ εἶχεν, ἀλλ᾽ἀεὶ χαλεπὸς ἦν καὶ ὠμός· ὥστε διέκειντο πρὸς αὐτὸν οἱ στρατιῶται ὥσπερ παῖδες πρὸς διδάσκαλον. [2.6.13] καὶ γὰρ οὖν φιλίᾳ μὲν καὶ εὐνοίᾳ ἑπομένους οὐδέποτε εἶχεν· οἵτινες δὲ ἢ ὑπὸ πόλεως τεταγμένοι ἢ ὑπὸ τοῦ δεῖσθαι ἢ ἄλλῃ τινὶ ἀνάγκῃ κατεχόμενοι παρείησαν αὐτῷ, σφόδρα πειθομένοις ἐχρῆτο. [2.6.14] ἐπεὶ δὲ ἄρξαιντο νικᾶν ξὺν αὐτῷ τοὺς πολεμίους, ἤδη μεγάλα ἦν τὰ χρησίμους ποιοῦντα εἶναι τοὺς ξὺν αὐτῷ στρατιώτας· τό τε γὰρ πρὸς τοὺς πολεμίους θαρραλέως ἔχειν παρῆν καὶ τὸ τὴν παρ᾽ἐκείνου τιμωρίαν φοβεῖσθαι εὐτάκτους ἐποίει. [2.6.15] τοιοῦτος μὲν δὴ ἄρχων ἦν· ἄρχεσθαι δὲ ὑπὸ ἄλλων οὐ μάλα ἐθέλειν ἐλέγετο. ἦν δὲ ὅτε ἐτελεύτα ἀμφὶ τὰ πεντήκοντα ἔτη. [2.6.16] Πρόξενος δὲ ὁ Βοιώτιος εὐθὺς μὲν μειράκιον ὢν ἐπεθύμει γενέσθαι ἀνὴρ τὰ μεγάλα πράττειν ἱκανός· καὶ διὰ ταύτην τὴν ἐπιθυμίαν ἔδωκε Γοργίᾳ ἀργύριον τῷ Λεοντίνῳ. [2.6.17] ἐπεὶ δὲ συνεγένετο ἐκείνῳ, ἱκανὸς νομίσας ἤδη εἶναι καὶ ἄρχειν καὶ φίλος ὢν τοῖς πρώτοις μὴ ἡττᾶσθαι εὐεργετῶν, ἦλθεν εἰς ταύτας τὰς σὺν Κύρῳ πράξεις· καὶ ᾤετο κτήσεσθαι ἐκ τούτων ὄνομα μέγα καὶ δύναμιν μεγάλην καὶ χρήματα πολλά· [2.6.18] τοσούτων δ᾽ἐπιθυμῶν σφόδρα ἔνδηλον αὖ καὶ τοῦτο εἶχεν, ὅτι τούτων οὐδὲν ἂν θέλοι κτᾶσθαι μετὰ ἀδικίας, ἀλλὰ σὺν τῷ δικαίῳ καὶ καλῷ ᾤετο δεῖν τούτων τυγχάνειν, ἄνευ δὲ τούτων μή. [2.6.19] ἄρχειν δὲ καλῶν μὲν καὶ ἀγαθῶν δυνατὸς ἦν· οὐ μέντοι οὔτ᾽αἰδῶ τοῖς στρατιώταις ἑαυτοῦ οὔτε φόβον ἱκανὸς ἐμποιῆσαι, ἀλλὰ καὶ ᾐσχύνετο μᾶλλον τοὺς στρατιώτας ἢ οἱ ἀρχόμενοι ἐκεῖνον· καὶ φοβούμενος μᾶλλον ἦν φανερὸς τὸ ἀπεχθάνεσθαι τοῖς στρατιώταις ἢ οἱ στρατιῶται τὸ ἀπιστεῖν ἐκείνῳ. [2.6.20] ᾤετο δὲ ἀρκεῖν πρὸς τὸ ἀρχικὸν εἶναι καὶ δοκεῖν τὸν μὲν καλῶς ποιοῦντα ἐπαινεῖν, τὸν δὲ ἀδικοῦντα μὴ ἐπαινεῖν. τοιγαροῦν αὐτῷ οἱ μὲν καλοί τε καὶ ἀγαθοὶ τῶν συνόντων εὖνοι ἦσαν, οἱ δὲ ἄδικοι ἐπεβούλευον ὡς εὐμεταχειρίστῳ ὄντι. ὅτε δὲ ἀπέθνῃσκεν ἦν ἐτῶν ὡς τριάκοντα. [2.6.21] Μένων δὲ ὁ Θετταλὸς δῆλος ἦν ἐπιθυμῶν μὲν πλουτεῖν ἰσχυρῶς, ἐπιθυμῶν δὲ ἄρχειν, ὅπως πλείω λαμβάνοι, ἐπιθυμῶν δὲ τιμᾶσθαι, ἵνα πλείω κερδαίνοι· φίλος τε ἐβούλετο εἶναι τοῖς μέγιστα δυναμένοις, ἵνα ἀδικῶν μὴ διδοίη δίκην. [2.6.22] ἐπὶ δὲ τὸ κατεργάζεσθαι ὧν ἐπιθυμοίη συντομωτάτην ᾤετο ὁδὸν εἶναι διὰ τοῦ ἐπιορκεῖν τε καὶ ψεύδεσθαι καὶ ἐξαπατᾶν, τὸ δ᾽ἁπλοῦν καὶ ἀληθὲς τὸ αὐτὸ τῷ ἠλιθίῳ εἶναι. [2.6.23] στέργων δὲ φανερὸς μὲν ἦν οὐδένα, ὅτῳ δὲ φαίη φίλος εἶναι, τούτῳ ἔνδηλος ἐγίγνετο ἐπιβουλεύων. καὶ πολεμίου μὲν οὐδενὸς κατεγέλα, τῶν δὲ συνόντων πάντων ὡς καταγελῶν ἀεὶ διελέγετο. [2.6.24] καὶ τοῖς μὲν τῶν πολεμίων κτήμασιν οὐκ ἐπεβούλευε· χαλεπὸν γὰρ ᾤετο εἶναι τὰ τῶν φυλαττομένων λαμβάνειν· τὰ δὲ τῶν φίλων μόνος ᾤετο εἰδέναι ῥᾷστον ὂν ἀφύλακτα λαμβάνειν. [2.6.25] καὶ ὅσους μὲν αἰσθάνοιτο ἐπιόρκους καὶ ἀδίκους ὡς εὖ ὡπλισμένους ἐφοβεῖτο, τοῖς δὲ ὁσίοις καὶ ἀλήθειαν ἀσκοῦσιν ὡς ἀνάνδροις ἐπειρᾶτο χρῆσθαι. [2.6.26] ὥσπερ δέ τις ἀγάλλεται ἐπὶ θεοσεβείᾳ καὶ ἀληθείᾳ καὶ δικαιότητι, οὕτω Μένων ἠγάλλετο τῷ ἐξαπατᾶν δύνασθαι, τῷ πλάσασθαι ψεύδη, τῷ φίλους διαγελᾶν· τὸν δὲ μὴ πανοῦργον τῶν ἀπαιδεύτων ἀεὶ ἐνόμιζεν εἶναι. καὶ παρ᾽οἷς μὲν ἐπεχείρει πρωτεύειν φιλίᾳ, διαβάλλων τοὺς πρώτους τοῦτο ᾤετο δεῖν κτήσασθαι. [2.6.27] τὸ δὲ πειθομένους τοὺς στρατιώτας παρέχεσθαι ἐκ τοῦ συναδικεῖν αὐτοῖς ἐμηχανᾶτο. τιμᾶσθαι δὲ καὶ θεραπεύεσθαι ἠξίου ἐπιδεικνύμενος ὅτι πλεῖστα δύναιτο καὶ ἐθέλοι ἂν ἀδικεῖν. εὐεργεσίαν δὲ κατέλεγεν, ὁπότε τις αὐτοῦ ἀφίσταιτο, ὅτι χρώμενος αὐτῷ οὐκ ἀπώλεσεν αὐτόν. [2.6.28] καὶ τὰ μὲν δὴ ἀφανῆ ἔξεστι περὶ αὐτοῦ ψεύδεσθαι, ἃ δὲ πάντες ἴσασι τάδ᾽ἐστί. παρὰ Ἀριστίππου μὲν ἔτι ὡραῖος ὢν στρατηγεῖν διεπράξατο τῶν ξένων, Ἀριαίῳ δὲ βαρβάρῳ ὄντι, ὅτι μειρακίοις καλοῖς ἥδετο, οἰκειότατος [ἔτι ὡραῖος ὢν] ἐγένετο, αὐτὸς δὲ παιδικὰ εἶχε Θαρύπαν ἀγένειος ὢν γενειῶντα. [2.6.29] ἀποθνῃσκόντων δὲ τῶν συστρατήγων ὅτι ἐστράτευσαν ἐπὶ βασιλέα ξὺν Κύρῳ, ταὐτὰ πεποιηκὼς οὐκ ἀπέθανε, μετὰ δὲ τὸν τῶν ἄλλων θάνατον στρατηγῶν τιμωρηθεὶς ὑπὸ βασιλέως ἀπέθανεν, οὐχ ὥσπερ Κλέαρχος καὶ οἱ ἄλλοι στρατηγοὶ ἀποτμηθέντες τὰς κεφαλάς, ὅσπερ τάχιστος θάνατος δοκεῖ εἶναι, ἀλλὰ ζῶν αἰκισθεὶς ἐνιαυτὸν ὡς πονηρὸς λέγεται τῆς τελευτῆς τυχεῖν. [2.6.30] Ἀγίας δὲ ὁ Ἀρκὰς καὶ Σωκράτης ὁ Ἀχαιὸς καὶ τούτω ἀπεθανέτην. τούτων δὲ οὔθ᾽ὡς ἐν πολέμῳ κακῶν οὐδεὶς κατεγέλα οὔτ᾽εἰς φιλίαν αὐτοὺς ἐμέμφετο. ἤστην δὲ ἄμφω ἀμφὶ τὰ πέντε καὶ τριάκοντα ἔτη ἀπὸ γενεᾶς.

Les généraux qu'on avait ainsi arrêtés furent menés à Artaxerxès : ce roi leur fit couper la tête. Telle fut leur fin. Cléarque, l'un d'eux, de l'avis de tous ceux qui l'ont intimement connu, passait pour avoir au plus haut degré les talents et le goût de son métier. Il resta chez les Lacédémoniens tant qu'ils furent en guerre avec Athènes. La paix s'étant faite, il persuada à sa patrie que les Thraces insultaient les Grecs ; et ayant gagné comme il put les Éphores, il mit à la voile pour faire la guerre aux Thraces qui habitent au‑dessus de la Chersonèse et de Périnthe. Après son départ, les Éphores changèrent d'avis et tâchèrent de le faire revenir de l'Isthme. Il cessa alors de leur obéir et continua sa navigation vers l'Hellespont. Cette désobéissance le fit condamner à mort par les magistrats de Sparte. N'ayant plus de patrie, il vint trouver Cyrus ; et j'ai indiqué ailleurs de quelle manière il gagna la confiance de ce prince. Cyrus lui donna 10.000 dariques. Cléarque les ayant reçues ne s'abandonna point à une vie voluptueuse et oisive ; mais avec cet argent il leva une armée, et fit la guerre aux Thraces. Il les vainquit en bataille rangée, puis pilla et ravagea leur pays. Cette guerre l'occupa jusqu'à ce que ses troupes devinssent nécessaires à Cyrus. Il partit alors pour aller faire une nouvelle guerre avec ce prince. Tous ces traits me paraissent indiquer un homme passionné pour la guerre, qui la préfère à la paix, dont, sans honte et sans dommage, il pourrait goûter les douceurs, qui, lorsque l'oisiveté lui est permise, va chercher les fatigues de la guerre, et lorsqu'il peut jouir sans péril de ses richesses, aime mieux les dissiper en courant aux combats. Il dépensait pour la guerre comme un autre fait pour ses amours ou pour quelque genre de volupté. Tel était le goût de Cléarque pour le métier des armes. Quant à ses talents, voici d'après quoi l'on en peut juger. Il aimait les dangers, conduisait, la nuit comme le jour, ses troupes à l'ennemi, et, dans les occasions périlleuses, il était prudent et fécond en expédients, comme l'ont avoué tous ceux qui l'y ont vu. Il passait pour avoir, autant qu'il est possible, le don de commander, mais d'après son génie particulier ; car nul ne fut plus capable que lui d'inventer les moyens de fournir ou de faire préparer des vivres à ses troupes. Il savait aussi inculquer à tout ce qui l'entourait qu'il ne fallait pas lui désobéir. Il retirait cet avantage de sa dureté ; car il avait l'aspect sévère, la voix rude. Il punissait toujours avec rigueur et quelquefois avec colère, en sorte qu'il s'en est plus d'une fois repenti. C'était cependant aussi par principe qu'il châtiait ; car il regardait des hommes indisciplinés comme n'étant bons à rien. On prétend même lui avoir entendu dire qu'il fallait que le soldat craignît plus son général que l'ennemi, soit qu'on lui prescrivit de garder un poste ou d'épargner le pays ami ou de marcher avec résolution à l'ennemi. Aussi dans les dangers, les troupes le désiraient ardemment pour chef, et le préféraient à tout autre. La sévérité de ses traits se changeait alors, disait‑on, en sérénité, et sa dureté avait l'air d'une mâle assurance qui ne devait plus faire trembler que l'ennemi, et où le soldat lisait son salut ; mais le péril évanoui, dès qu'on pouvait passer sous les drapeaux d'un autre chef, beaucoup de Grecs quittaient les siens ; car il n'avait point d'aménité : il se montrait toujours dur et cruel, et ses soldats le voyaient du même oeil que des enfants voient leur pédagogue. Aussi n'y eut‑il jamais personne qui le suivît par amitié et par inclination. Mais ceux que leur patrie, le besoin, ou quelque autre nécessité avaient mis et forçaient de rester sous ses ordres, servaient avec une subordination sans égale. Dès que ses troupes eurent commencé à vaincre sous lui, beaucoup de raisons les rendirent excellentes. L'audace, en présence de l'ennemi leur était devenue une vertu familière, et la crainte d'être punies par leur chef les avait singulièrement disciplinées. Tel était Cléarque lorsqu'il commandait ; mais il passait pour ne pas aimer à être commandé par un autre. Il avait environ 50 ans quand il mourut. Proxène de Béotie, dès qu'il sortit de l'enfance, conçut l'ambition de devenir capable des plus grandes choses. Pour satisfaire ce désir, il se mit à l'école de Gorgias de Léontium. Quand il eut pris de ses leçons, se croyant en état de commander, et s'il devenait ami des grands, de payer par ses services leurs bienfaits, il joignit Cyrus, et s'associa à l'expédition de ce prince. Il espérait y acquérir une grande réputation, un grand pouvoir, de grandes richesses. Mais s'il conçut ces désirs, il prouva évidemment qu'il ne voulait rien obtenir par des moyens bas et injustes. Il croyait que ce n'était que par des voies droites et honnêtes qu'il fallait parvenir à son but, et que si elles ne l'y menaient pas, il valait mieux n'y jamais atteindre. Il ne lui manquait rien pour commander de braves et d'honnêtes gens ; mais il ne savait inspirer aux subalternes ni respect ni crainte. Que dis‑je ? Il avait plus l'air de respecter ses soldats que d'être respecté d'eux. On voyait qu'il craignait plus de s'en faire haïr qu'ils ne craignaient de lui désobéir. Il croyait que pour bien commander, et pour s'en faire la réputation, il suffisait de donner des louanges à qui se conduisait avec bravoure, et d'en refuser à qui tombait en faute. De là, parmi ceux qui étaient à ses ordres, tout ce qui avait des sentiments de probité et d'honneur lui était affectionné, tous les méchants complotaient contre lui, et tâchaient de tirer parti de sa facilité. Il mourut âgé d'environ 30 ans. Ménon de Thessalie était possédé d'une soif insatiable de l'or, et ne la cachait pas. Il désirait le commandement pour s'emparer de plus de trésors ; les honneurs, pour gagner davantage. Il ne voulait être ami des gens les plus puissants que pour commettre impunément des injustices. Il regardait le parjure, le mensonge, la fourberie comme le chemin le plus court qui menât à l'objet de ses désirs. Il traitait de bêtise la simplicité et la sincérité. On voyait clairement qu'il n'aimait personne, et s'il se disait l'ami de quelqu'un, il n'en cherchait pas moins ouvertement à lui nuire. Jamais sa raillerie ne tomba sur un ennemi, et il ne parlait point des gens avec qui il vivait familièrement sans se moquer d'eux. Ce n'était point à envahir le bien des ennemis, qu'il dirigeait ses projets. Il jugeait difficile de prendre à qui se tenait sur ses gardes. Il pensait avoir seul remarqué qu'il était plus aisé de dépouiller un ami, et de s'approprier ce qu'on ne songeait point à défendre. Il redoutait tout ce qu'il connaissait de parjures et de méchants, comme gens cuirassés contre son attaque. Mais il tâchait de profiter de la faiblesse dont il taxait les gens pieux et qui faisaient profession de sincérité. Comme il est des hommes qui étalent avec complaisance leur piété, leur franchise, leur droiture, Ménon se targuait de son art à tromper, à inventer des fourberies, à tourner en ridicule ses amis. Il regardait comme n'ayant pas reçu d'éducation quiconque n'était pas fin et rusé. Essayait‑il d'obtenir le premier rang dans l'amitié d'un homme, il croyait qu'il ne manquerait pas de captiver son esprit en décriant près de lui ses amis les plus intimes. C'était en se rendant complice des crimes de ses soldats, qu'il travaillait à s'assurer leur soumission. Pour se faire considérer et cultiver, il laissait apercevoir que personne n'avait plus que lui le pouvoir et la volonté de nuire. Était‑il abandonné de quelqu'un, il croyait l'avoir bien traité, de ne l'avoir pas perdu pendant qu'il s'en était servi. On pourrait mentir sur son compte si l'on entrait dans des détails peu connus ; mais je n'en rapporterai que ce qui est su de tout le monde. Étant dans la fleur de la jeunesse, il obtint d'Aristippe le commandement des troupes étrangères de son armée ; il passa le reste de sa jeunesse dans la plus grande faveur auprès d'Ariée, barbare qui aimait les jeunes gens d'une jolie figure. Lui‑même, dans un âge tendre, conçut une passion violente pour Tharypas, plus âgé que lui. Quand les généraux grecs furent mis à mort pour avoir fait avec Cyrus la guerre au roi, Ménon, à qui l'on avait le même reproche à faire, ne subit pas le même sort. Il fut cependant ensuite condamné par le roi au supplice ; non pas à avoir, comme Cléarque et les autres généraux, la tête tranchée, ce qui passait pour le genre de mort le plus noble, mais on dit qu'il périt, après avoir souffert pendant un an les tourments auxquels on condamne les scélérats. Agias d'Arcadie et Socrate d'Achaïe furent mis à mort aussi. Ils n'eurent jamais à essuyer de railleries sur leur conduite à la guerre, ni de reproche sur leurs procédés envers leurs amis Tous 2 étaient âgés d'environ 40 ans.

LIVRE DEUXIÈME.


On a vu, dans le livre précédent, comment Cyrus leva des troupes grecques lorsqu'il entreprit son expédition contre Artaxerxès. On y a lu tout ce qui se passa pendant la marche, les détails de la bataille, comment Cyrus fut tué, et comment les Grecs revenus à leur camp y passèrent la nuit, persuadés qu'ils avaient battu toutes les troupes du roi, et que Cyrus était en vie. À la pointe du jour, les généraux s'assemblèrent. Ils s'étonnaient que Cyrus n'envoyât personne leur porter des ordres ou ne parût pas lui‑même. Ils résolurent de faire charger les équipages qui leur restaient, de prendre les armes, et de marcher en avant pour se réunir au prince. Ils s'ébranlaient déjà, lorsque au lever du soleil Proclès, gouverneur de Teuthranie, qui descendait de Damarate le Lacédémonien, et Glous, fils de Tamos, arrivèrent. Ils apprirent aux Grecs que Cyrus avait été tué ; qu'Ariée ayant fui avec ses Barbares, occupait le camp d'où l'on était parti la veille ; qu'il leur promettait de les y attendre tout le jour, s'ils voulaient s'y rendre ; mais que dès le lendemain, à ce qu'il annonçait, il se mettrait en marche pour retourner en Ionie. Les généraux et tous les Grecs ayant entendu ce discours, s'affligeaient. Cléarque dit : « Plût au ciel que Cyrus vécût encore ! Mais puisqu'il est mort, annoncez à Ariée que nous avons battu le roi ; qu'il n'y a plus de troupes devant nous, comme vous le voyez vous‑mêmes, et que nous allions marcher contre Artaxerxès si vous ne fussiez survenus. Qu'Ariée nous joigne. Nous lui promettons de le placer sur le trône ; car c'est aux vainqueurs à disposer des empires. » Ayant dit ces mots, il renvoya les députés, et les fit accompagner par Chirisophe Lacédémonien, et par Ménon de Thessalie. Ménon brigua lui‑même cet emploi ; car il était ami d'Ariée et lié à ce barbare par les nœuds de l'hospitalité. Les députés partirent. Cléarque attendit leur retour. L'armée se procura des vivres comme elle put. On prit aux équipages des bœufs et des ânes qu'on tua. Le soldat, pour avoir du bois, s'avançant un peu hors de la ligne jusqu'au lieu où s'était donnée la bataille, ramassa les flèches qu'on avait fait mettre bas aux déserteurs de l'armée du roi. Il y en avait une grande quantité. On trouva aussi des boucliers à la perse, des boucliers de bois des Égyptiens, beaucoup de boucliers d'armés à la légère, et des caissons vides. On se servit de ces bois pour faire bouillir les viandes, et l'on vécut ainsi ce jour‑là.
Vers l'heure où la multitude abonde dans les places publiques, il arrive des hérauts, de la part du roi et de Tissapherne. Ils étaient tous Barbares, à Phalinus près, Grec qui était à la suite de ce satrape, et qui en était considéré ; car il se donnait pour avoir des connaissances sur la tactique et sur le maniement des armes. Les hérauts s'étant approchés et ayant appelé les généraux, leur annoncent que le roi se regardant comme vainqueur, par la mort de Cyrus, ordonne aux Grecs de rendre les armes, de venir aux portes de son palais implorer sa clémence, et tâcher d'obtenir de lui un traitement favorable. Voilà ce que déclarèrent les hérauts. Les Grecs s'indignèrent de leur discours : Cléarque se contenta de dire que ce n'était point aux vainqueurs à mettre bas les armes. « Vous autres, ajouta‑t‑il, généraux, mes compagnons, répondez ce que vous croirez de meilleur et de plus honnête. Je reviens à vous dans un moment. » Un de ses domestiques était venu le chercher pour qu'il vît les entrailles de la victime, car il sacrifiait lors de l'arrivée des Perses. Cléanor d'Arcadie, le plus âgé des chefs, répondit qu'on mourrait avant de rendre les armes. Proxène dé Thèbes prit la parole et dit : « Tout ceci m'étonne, Phalinus. Est‑ce à titre de vainqueur, est‑ce à titre d'ami et, comme un présent que le roi nous demande nos armes : Si c'est comme vainqueur, qu'est‑il besoin de les demander? Que ne vient‑il les prendre ? S'il veut les obtenir par la voie de la persuasion, qu'il déclare donc quel sera le traitement des Grecs, lorsqu'ils auront eu pour lui cette déférence. » Phalinus répondit : « Le roi croit avoir remporté la victoire, puisque Cyrus a été tué ; car qui peut désormais lui disputer son empire ? Il vous regarde comme étant en son pouvoir, parce qu'il vous tient au milieu de ses états, entre des fleuves que vous ne pouvez repasser, et qu'il peut vous accabler sous une telle multitude d'hommes, que vous ne suffiriez pas à les égorger s'il vous les livrait désarmés. »
Xénophon Athénien prit ensuite la parole : « Vous le voyez vous‑même, Phalinus, dit‑il, nous n'avons plus d'autre ressource que nos armes et notre courage. Tant que nous garderons nos armes, il nous reste l'espoir que notre courage nous servira. Si nous les avions livrées, nous craindrions de perdre jusqu'à la vie. Ne pensez donc pas que nous nous dépouillions pour vous du seul bien qui nous reste. Croyez que nous nous en servirons plutôt pour vous disputer les biens dont vous jouissez. » Phalinus sourit à ce discours, et répondit : « Jeune homme, vous avez l'air d'un philosophe, et vous parlez avec agrément. Mais sachez que vous êtes un insensé si vous présumez que votre valeur l'emportera sur les forces du roi. » On prétend qu'il y eut alors des Grecs qui montrèrent quelque faiblesse, et qui dirent que comme ils avaient été fidèles à Cyrus, ils le seraient au roi s'il voulait se réconcilier avec eux, et qu'ils lui deviendraient infiniment utiles ; qu'Artaxerxès pourrait les employer à toute autre entreprise de son goût ; mais que s'il voulait les faire passer en Égypte, ils l'aideraient à soumettre ce royaume. Sur ces entrefaites, Cléarque revint et demanda si l'on avait répondu aux hérauts. Phalinus reprit la parole et lui dit : « L'un répond d'une façon, Cléarque, l'autre d'une autre. Parlez vous‑même, et dites‑nous ce que vous pensez. ‑ Je vous ai vu, Phalinus, avec plaisir, répondit Cléarque, et tout le camp, à ce que je présume, vous en dirait autant ; car vous êtes Grec, et vous ne voyez ici que des Grecs. Dans la position où nous nous trouvons, nous allons vous demander avis sur ce qu'il y a à faire, d'après les propositions que vous nous apportez. Conseillez‑nous donc, je vous en conjure par les dieux, ce que vous croirez le plus honnête, le plus courageux, et ce qui doit vous couvrir de gloire chez la postérité ; car on y dira, tel fut le conseil que donna aux Grecs Phalinus que le roi envoyait pour leur ordonner de rendre les armes. Quel qu'il soit, ce conseil, vous sentez que de toute nécessité on en parlera en Grèce. » Par ces insinuations, Cléarque voulait engager le député même du roi à conseiller qu'on ne lui rendît pas les armes, et relever ainsi l'espoir et le courage des Grecs. Phalinus l'éluda par ses détours, et contre l'attente de Cléarque, il parla ainsi : « Si entre mille chances il en est une seule pour que vous échappiez au courroux du roi, en lui faisant la guerre, je vous conseille de ne point livrer vos armes. Mais, si en résistant à ce prince il ne vous reste aucun espoir de salut, embrassez, croyez‑moi, le seul parti qui puisse sauver vos jours. » Cléarque répliqua : « Tel est donc votre avis, Phalinus. Portez de notre part au roi cette réponse : s'il veut être de nos amis, nous lui serons plus utiles, et s'il est de nos ennemis, nous le combattrons mieux, les armes à la main qu'après nous en être dépouillés. » Plalinus dit : « Nous lui ferons part de cette résolution. Il nous a chargés de plus de vous annoncer qu'il vous accordait une trêve tant que vous resteriez dans ce camp, mais qu'elle serait rompue dès que vous vous ébranleriez pour marcher en avant ou en arrière. Répondez donc sur ce point. Restez‑vous ici, préférant la trêve, ou dirai-je au roi que vous recommencez les hostilités ? ‑ Annoncez-lui, reprit Cléarque, que nous acceptons les conditions qu'il propose. ‑ Qu'entendez‑vous par là, dit Phalinus ? ‑ Que tant que nous resterons ici, dit Cléarque, la trêve aura lieu ; que, dès que nous marcherons en avant ou en arrière, les hostilités recommenceront. ‑ Mais, insista Phalinus, qu'annoncerai‑je au roi définitivement, la trêve ou la guerre ? » Cléarque répéta encore : « La trêve tant que nous resterons ici, la guerre dès que nous nous porterons en avant ou en arrière », et il ne voulut pas s'expliquer davantage sur ce qu'il projetait. Phalinus et les hérauts qui l'accompagnaient se retirèrent.
Proclès et Chirisophe revinrent du camp d'Ariée. (Ménon y était resté auprès de ce chef des barbares.) Ils rapportèrent qu'Ariée disait qu'il y avait beaucoup de Perses plus distingués que lui, qui ne souffriraient pas qu'il s'assît sur le trône et leur donnât des lois. « Mais si vous voulez faire votre retraite avec lui, il vous fait dire de le joindre cette nuit, sinon il vous annonce qu'il décampera demain au point du jour. ‑ Il faut faire ce que vous proposez, reprit Cléarque, si nous allons joindre Ariée, sinon prenez le parti que vous croirez le plus avantageux pour vous. » Par ces mots vagues il ne s'ouvrait pas même à eux de son dessein. Ensuite, au coucher du soleil, ayant assemblé les généraux et les chefs de lochos, il leur tint ce discours : « Compagnons, j’ai consulté les dieux par des sacrifices pour savoir si nous marcherions contre le roi. Les entrailles n'ont pas été favorables et avec raison. Car, à ce que j'entends dire, le roi a mis entre nous et lui le Tigre, fleuve navigable que nous ne pouvons passer sans bateaux, et nous n'en avons point. Rester ici, c’est impraticable, car les vivres nous manquent. Mais quant à rejoindre l'armée barbare de Cyrus, les dieux nous y invitent par des signes très favorables. Voici donc ce qu'il faut faire : séparons‑nous, et que chacun soupe avec ce qu'il a. Dès qu'on sonnera la retraite, pliez vos bagages ; chargez‑les au second signal ; au troisième, suivez‑moi ; je vous conduirai. La colonne des équipages longera le fleuve, et sera couverte par celle de l'infanterie. » Les généraux et les chefs de loches se retirèrent après ce discours, et firent ce qui était prescrit. De ce moment Cléarque commanda en chef et ils lui obéirent, non qu'ils l'eussent élu, mais on sentait que lui seul avait la capacité qu'exige le commandement d'une armée, et que l'expérience manquait aux autres. Voici le calcul du chemin qu'avait parcouru l'armée depuis Éphèse, ville d'Ionie, jusqu'au champ de bataille. En quatre‑vingt‑treize marches, elle avait fait cinq cent trente‑cinq parasanges ou seize mille cinquante stades ; et l'on dit que du champ de bataille à Babylone, il y avait trois cent soixante stades.
La nuit étant survenue, Miltocythès, Thrace, déserta et passa à l'armée du roi avec quarante cavaliers thraces qu'il commandait et trois cents soldats à peu près de la même nation. Cléarque conduisit le reste de l'armée comme il avait annoncé. On le suivit et l'on arriva vers minuit au camp d'avant la bataille qu'occupaient Ariée et ses troupes. Les Grecs ayant pris leurs rangs, et posé ainsi les armes à terre, leurs généraux et leurs chefs de loches allèrent trouver Ariée. Les Grecs, Ariée et les principaux de son armée se jurèrent de ne point se trahir les uns les autres mais de se secourir loyalement en toute occasion. Les Barbares jurèrent de plus qu'ils conduiraient les Grecs sans fraude ni embûches. Ces sermons furent proférés après qu'on eut immolé un sanglier, un taureau, un loup et un bélier ; les Grecs trempant leurs épées, et les Barbares leurs lances, dans un bouclier plein du sang des victimes. Après s'être donné réciproquement ces assurances de fidélité, Cléarque parla ainsi : « Puisque nous entreprenons ensemble la même retraite, dites‑nous, Ariée ce que vous pensez sur la route qu'il nous faut suivre ? Choisirons‑nous celle que nous prîmes en venant, ou en imaginez‑vous une meilleure ? ‑ Nous mourrions de faim, répondit Ariée, si nous revenions par le même chemin : il ne nous reste plus de vivres. Dans les dix-sept dernières marches que nous avons faites pour arriver ici, nous n'avons rien trouvé dans le pays ou nous avons consommé en passant le peu qui y était. Mon projet est de me retirer par un chemin plus long, mais mieux approvisionné. Il nous faut faire, les premiers jours, des marches aussi longues qu'il sera possible, pour nous éloigner de l'armée du roi ; si nous gagnons une fois sur lui, deux ou trois marches, il ne pourra plus nous joindre. Car nous suivre avec peu de troupes, c'est ce qu'il n'osera pas. Avec un grand nombre il ne pourra avancer autant, et peut‑être l'embarras des vivres le retardera‑t‑il encore. Tel est, dit Ariée, mon avis. »
Ce projet des généraux ne tendait qu'à échapper au roi ou à le fuir. La fortune conduisit mieux les troupes. Dès que le jour parut elles se mirent en marche, le soleil luisant à leur droite. On comptait qu'au coucher de cet astre on arriverait à des villages de Babylonie, et en cela on ne se trompa pas. Vers le soir on crut voir de la cavalerie ennemie. Ceux des Grecs qui n'étaient pas dans leurs rangs coururent les reprendre. Ariée, qui était monté sur un chariot, parce qu'il était blessé, mit pied à terre, prit sa cuirasse, et ceux qui l'entouraient en firent autant. Pendant qu'ils s'armaient revinrent les gens envoyés à la découverte. Ils rapportèrent qu'il n'y avait point de cavalerie, et que ce qu'on voyait était des bêtes de somme qui pâturaient. Tout le monde conclut aussitôt que le roi campait près de là, d'autant qu'il paraissait s'élever de la fumée de quelques villages peu éloignés. Cléarque ne marcha point à l'ennemi. Il voyait que ses troupes étaient lasses, à jeun, et qu'il se faisait tard. Il ne se détourna point non plus de peur d'avoir l'air de fuir. Mais s'avançant droit devant lui, il fit camper la tête de la colonne sur le terrain des villages les plus voisins. L'armée du roi en avait tout enlevé jusqu'aux bois dont les maisons étaient construites, Les premiers venus rangèrent leurs tentes avec assez d'ordre les autres n'arrivant qu'à la nuit noire, campèrent au hasard et jetèrent de grands cris, s'appelant les uns les autres. Ces cris furent entendus même des ennemis, et les effrayèrent au point que ceux qui campaient le plus près des Grecs s'enfuirent de leurs tentes. On s'en aperçut le lendemain, car il ne paraissait plus dans les environs ni bête de somme, ni camp, ni fumée. Le roi lui‑même, à ce qu'il parut, fut effrayé de la marche des Grecs. Il le prouva par ce qu'il fit le jour suivant. La nuit s'avançant, une terreur panique saisit tous les Grecs. Il survint un tumulte et un bruit tels qu'il s'en élève ordinairement dans ces sortes d'alertes. Cléarque avait par hasard sous sa main l'Éléen Tolmidès, le meilleur des hérauts de ce temps. Il lui dit d'ordonner qu'on fît silence et de proclamer ensuite, de la part des chefs, qu'une récompense d'un talent d'argent était promise à quiconque dénoncerait celui qui avait lâché un âne dans le camp. Quand on l'eut publié, les soldats sentirent que leur terreur était frivole et qu'il n'était rien arrivé à leurs généraux. Dès le point du jour, Cléarque ordonna aux Grecs de se former dans le même ordre où ils étaient le jour de la bataille, et de poser ainsi leurs armes à terre.
On eut alors une preuve évidente de ce que j'ai avancé tout à l'heure, que l'arrivée des Grecs avait frappé le roi de terreur. Ce prince qui leur avait fait ordonner la veille de rendre leurs armes, envoya, dès le lever du soleil, des hérauts proposer un traité. Arrivés aux postes avancés, ils demandèrent les généraux. Les grandes gardes le leur firent savoir ; et Cléarque, qui dans ce moment inspectait les rangs des Grecs ordonna qu'on dît aux hérauts d'attendre jusqu'à ce qu'il eût le temps de leur donner audience. Puis ayant tellement disposé l'armée, que la phalange fût serrée, eût bonne apparence, et qu'aucun des soldats qui manquaient d'armes ne fût en évidence ; il fit appeler les députés du roi et alla lui‑même au devant d'eux, escorté des soldats les plus beaux et les mieux armés. Il recommanda aux autres généraux d'en user de même. Quand on fut près des députés, Cléarque leur demanda ce qu'ils voulaient. Les députés dirent qu'ils venaient pour un traité ; qu'ils étaient chargés de rapporter au roi les intentions des Grecs, et autorisés à faire connaître aux Grecs celles du roi. Cléarque répondit : « Rapportez donc à votre monarque qu'il faut d'abord combattre ; car nous n'avons pas au camp de quoi dîner, et à moins d'en fournir aux Grecs, personne n'osera leur parler de traité. » Après avoir entendu ces mots, les députés repartirent au galop et revinrent bientôt après, ce qui prouva que le roi n'était pas loin ou qu'il y avait au moins près de là quelqu'un chargé de ses pouvoirs pour la négociation. « Le roi, dirent les députés, trouve votre demande raisonnable, et nous revenons avec des guides qui, si la trêve se conclut, vous conduiront où vous trouverez des vivres. - Le roi, demanda Cléarque, offre‑t‑il dès ce moment sûreté aux négociateurs seulement qui iront le trouver et en reviendront, ou à toute l'armée ? ‑ À toute l'armée, dirent les députés, jusqu'à ce que le roi ait reçu vos propositions. » Après cette réponse, Cléarque les fit éloigner et délibéra avec les généraux. On résolut de conclure promptement ces préliminaires pour marcher aux vivres et s'en fournir sans hostilités. « C'est bien mon avis, dit Cléarque. Je différerai cependant de répondre. Je laisserai aux députés du roi le temps de craindre que nous ne refusions le traité. Je pense que nos soldats n'en auront pas moins d'inquiétude. » Ensuite lorsqu'il crut le moment convenable arrivé, il annonça aux députés qu'il accédait aux préliminaires offerts, et leur dit de le mener aussitôt où étaient les vivres. Ces Perses y conduisirent l'armée.
Cléarque allant conclure le traité, faisait marcher les troupes en bataille, et commandait lui‑même l'arrière‑garde. On rencontra des fossés et des canaux si pleins d'eau, qu'on ne pouvait les passer sans ponts. Mais on en fit à la hâte, soit avec les palmiers tombés d'eux‑mêmes, soit avec ceux qu'on coupa. C'était alors qu'on pouvait voir quel général était Cléarque. De sa main gauche il tenait une pique, dans la droite il avait une canne : Si quelqu'un des Grecs commandés pour ouvrir la route lui paraissait montrer de la paresse, il le tirait de sa place et y substituait un travailleur plus actif. Lui‑même, entrant dans la boue, mettait la main à l'ouvrage, en sorte que tous les pionniers auraient rougi d'y montrer moins d'ardeur que lui. Il n'avait commandé pour cette corvée que les Grecs au‑dessous de trente ans. Des soldats plus âgés y concoururent volontairement dès qu'ils virent le zèle de Cléarque. Ce général se hâtait d'autant plus, qu'il soupçonnait, qu'en cette saison les fossés n'étaient pas toujours aussi pleins d'eau, car ce n'était pas le temps d'arroser la plaine. Il présumait que le roi y avait fait lâcher des eaux pour montrer aux Grecs que beaucoup d'obstacles s'opposeraient à leur marche.
On arriva aux villages où les guides avaient indiqué qu'on pourrait prendre des vivres. On y trouva beaucoup de blé, du vin de palmier et une boisson acide tirée de ces arbres, qui avait fermenté et bouilli. On servait aux domestiques des dattes pareilles à celles que nous voyons en Grèce, et il n'en paraissait à la table des maîtres que de choisies et d'étonnantes pour leur beauté et leur grosseur. Leur couleur ne différait point de celle de l'ambre jaune. On en mettait quelques‑unes à part pour les faire sécher, et on les servait au dessert. C'était un mets délicieux pour la fin du repas ; mais il occasionnait des maux de tête. Ce fut là encore que pour la première fois nos soldats mangèrent du chou palmiste. La plupart admiraient sa forme et le goût agréable qui lui est particulier, mais il causait aussi des maux de tête violents. Le palmier séchait en entier dès qu'on avait enlevé le sommet de sa tige. On séjourna trois jours en cet endroit. Tissapherne et le frère de la reine, avec trois autres Perses, vinrent de la part du roi, suivis d'un grand nombre d'esclaves. Les généraux grecs étant allés au devant d'eux. Tissapherne leur dit l'abord, par la bouche de son interprète : « Grecs, j’habite dans le voisinage de la Grèce, et depuis que je vous ai vus tomber dans un abîme de malheurs dont vous ne pouvez vous retirer, j'ai regardé comme un honneur pour moi d'obtenir du roi, si je le pouvais, qu'il me permît de vous ramener dans votre patrie. Car je pense m'assurer par là des droits, non seulement à votre reconnaissance, mais à celle de toute la Grèce. D'après cette opinion, j'ai supplié le roi, je lui ai représenté qu'il était juste qu'il m'accordât une grâce. Je lui ai rappelé que c'était moi qui lui avais donné le premier avis de la marche de Cyrus, qu'en lui apportant cette nouvelle, je lui avais amené du secours, que de tout ce qu'on vous avait opposé le jour de la bataille, j'étais le seul qui n'eusse pas pris la fuite ; que j'avais percé et l'avais rejoint à votre camp lorsqu'il s'y porta après la mort de son frère ; qu'enfin avec ces troupes qui m'escortent et qui lui sont le plus affectionnées j'avais poursuivi l'armée barbare de Cyrus. Artaxerxès m'a promis de peser ces raisons. Il m'a ordonné de venir vous trouver et de vous demander pourquoi vous lui aviez fait la guerre. Je vous conseille de rendre une réponse modérée afin qu'il me soit plus aisé d'obtenir pour vous du roi un traitement favorable, si cependant j'y puis réussir. »
Les Grecs s'étant éloignés ensuite, délibérèrent. Puis ils répondirent, Cléarque portant la parole : « Nous ne nous sommes point assemblés pour faire la guerre au roi. Nous n'avons pas cru marcher contre lui. Cyrus (vous le savez vous‑mêmes) a inventé mille prétextes pour nous prendre au dépourvu, et pour nous amener jusqu'ici. Cependant lorsque nous l'avons vu au milieu des dangers, nous avons rougi de le trahir à la face des dieux et des hommes, nous étant laissés précédemment combler de ses faveurs. Depuis que ce prince a été tué, nous ne disputons plus au roi sa couronne, nous n'avons point de raisons pour vouloir ravager ses états, nous ne souhaitons point de mal à sa personne, et nous nous retirerions dans notre patrie si personne ne nous inquiétait. Mais si l'on nous fait une injure, nous tâcherons, avec l'aide des dieux, de la repousser. Qui que ce soit, au contraire, qui nous prévienne par des bienfaits, nous les lui rendrons, si nous le pouvons, avec usure. » Ainsi parla Cléarque. Tissapherne l'ayant entendu, répliqua : « Je rendrai au roi ce discours, et viendrai vous redire ses intentions. Que jusqu'à mon retour la trêve subsiste. Nous vous fournirons pendant ce temps des vivres à acheter. » Le satrape ne revint point le lendemain, ce qui causa de l'inquiétude aux Grecs. Il arriva le jour d'après, et annonça qu'il avait obtenu du roi avec peine et comme une grâce le salut des Grecs, quoique beaucoup de Perses fussent d'un avis contraire et objectassent qu'il était indigne de la grandeur du roi, de laisser échapper des troupes qui avaient porté les armes contre lui. « Enfin, dit‑il, vous pouvez recevoir notre serment : nous vous promettrons de vous faire traiter en amis dans tous les états du roi, et de vous ramener fidèlement en Grèce ; vous faisant trouver des marchés garnis de vivres sur toute votre route. Où vous n'en trouverez pas, il vous sera permis de prendre dans le pays ce qui vous sera nécessaire. Il faudra que vous nous juriez de votre côté de traverser cet empire comme pays ami, sans rien endommager, achetant les vivres à prix d'argent, lorsqu'il y aura un marché où l'on vous en vendra, et n'en prenant au pays qu'à défaut de marchés. » Cela fut arrêté. Tissapherne et le beau‑frère du roi, d'un côté, les généraux et les chefs de loches grecs de l'autre, jurèrent l'observation de ces articles, et se donnèrent réciproquement la main en signe d'alliance. Tissapherne dit ensuite : « Je vais retrouver le roi : lorsque j'aurai terminé les affaires qui me restent, je reviendrai avec mes équipages pour vous ramener en Grèce, et retourner moi‑même dans mon gouvernement. »+
Les Grecs, et Ariée qui campait près d'eux, attendirent ensuite Tissapherne plus de vingt jours. Pendant ce temps les frères d'Ariée et d'autres de ses parents viennent le trouver. Des Perses passent aussi à son camp et parlent à ses troupes pour les rassurer. Quelques‑uns même leur promettent avec serment, de la part du roi, qu'il ne les punira pas d'avoir porté les armes pour Cyrus, et qu'il oubliera tout ce qui s'est passé. Dès ce moment il parut qu'Ariée, et les chefs de son armée avaient moins d'égards pour les Grecs. Plusieurs de ceux‑ci en furent mécontents, et allant trouver Cléarque et les autres généraux, ils leur dirent : « Pourquoi rester ici ? Ne savons‑nous pas que le roi met la plus grande importance à nous exterminer afin que les autres Grecs tremblent de porter la guerre dans ses états ? Maintenant il nous engage à séjourner ici, parce que ses troupes sont dispersées. Dès qu'il les aura rassemblées, il ne manquera pas de tomber sur nous. Peut‑être creuse‑t‑il des fossés, élève‑t‑il des murs pour rendre notre retour impossible. Il ne consentira jamais que, revenus en Grèce, nous racontions qu'avec aussi peu de troupes, ayant défait les siennes à la porte de sa capitale, nous nous sommes retirés en le narguant. » Cléarque répondit à ceux qui lui paraient ainsi : « Toutes ces pensées se sont présentées à mon esprit comme au vôtre. Mais je réfléchis que si nous partons maintenant, nous aurons l'air de nous retirer en guerre, et de transgresser le traité. De là, nous ne trouverons nulle part ni à acheter ni à prendre des vivres. De plus, personne ne voudra nous servir de guide : dès que nous aurons pris ce parti, Ariée nous abandonnera ; il ne nous restera plus un seul ami, et ceux mêmes qui l'étaient auparavant deviendront nos ennemis. J'ignore si nous avons d'autres fleuves à passer ; mais nous savons que l'Euphrate seul nous arrêtera, et qu'il est impossible de le traverser quand des ennemis nous en disputeront le passage. S'il faut combattre, nous n'avons point de cavalerie. Les Perses en ont beaucoup et d'excellente, en sorte que l'ennemi, s'il est repoussé, ne perdra rien, et que s'il nous bat, il n'est pas possible qu'il leur échappe un seul de nous. Je ne conçois pas d'ailleurs ce qui aurait pu obliger le roi, qui a tant de moyens de nous exterminer, s'il veut le faire, à jurer la paix, à nous tendre la main en signe d'alliance, à prendre les dieux à témoin de ses serments, uniquement pour se parjurer, et rendre désormais sa foi suspecte aux Grecs et aux Barbares. » Cléarque tint beaucoup de semblables discours.
Sur ces entrefaites, Tissapherne arriva avec ses troupes, et comme ayant dessein de retourner dans son gouvernement. Orontas l'accompagnait et avait aussi son armée. Ce dernier emmenait la fille du roi qu'il avait épousée. De là on partit sous la conduite de Tissapherne qui faisait trouver des vivres à acheter. Ariée, avec l'armée barbare de Cyrus, accompagnait Tissapherne et Orontas, et campait avec eux. Les Grecs, se défiant de ces Barbares, prenaient des guides et marchaient séparément. On campait séparément aussi, à une parasange au plus les uns des autres. On se tenait de part et d'autre sur ses gardes, comme si l'on eût été en guerre, et ces précautions engendrèrent aussitôt des soupçons. Quelquefois les Grecs et les Barbares se rencontraient en allant an fourrage ou au bois et se frappaient, ce qui fit naître une haine réciproque. On arriva en trois marches au mur de la Médie et on le passa. Il est construit de briques cuites au feu et liées par un ciment d'asphalte. Sa largeur est de vingt pieds, sa hauteur de cent. On disait qu'il était long de vingt parasanges. Babylone n'en était pas éloignée.
De là on fit en deux marches huit parasanges. On traversa deux canaux, l'un sur un pont à demeure, l'autre sur un pont soutenu par sept bateaux. Ces canaux recevaient leurs eaux du Tigre. On avait tiré de ces canaux des fossés qui coupaient le pays. Les premiers étaient larges. Ils se subdivisaient en d'autres moindres, et finissaient en petites rigoles telles qu'on en pratique en Grèce pour arroser les champs de panis. On arriva enfin sur les bords du Tigre. À quinze stades de ce fleuve était une ville grande et peuplée, nommée Sitace. Les Grecs campèrent tout autour et à peu de distance d'un parc beau, vaste et planté d'arbres de toutes espèces.
Les Barbares avaient passé le Tigre et ne paraissaient plus. Proxène et Xénophon se promenaient par hasard après souper à la tête du camp en avant des armes. Arrive un homme qui demande aux gardes avancées où il trouvera Proxène ou Cléarque. Il ne demandait point Ménon, quoiqu'il vînt de la part d'Ariée, hôte de ce Grec. Proxène ayant répondu qu'il était un de ceux qu'il cherchait, cet homme lui dit : « Ariée et Artaèze, ci‑devant attachés à Cyrus et qui vous veulent toujours du bien, m'ont envoyé vers vous. Ils vous recommandent de vous tenir sur vos gardes, de peur que les Barbares ne vous attaquent cette nuit ; car il y a beaucoup de troupes dans le parc voisin. Ils vous conseillent aussi d'envoyer une garde au pont du Tigre, que Tissapherne a résolu de replier dans la nuit, s'il lui est possible, pour empêcher que vous ne passiez le Tigre, et pour vous tenir enfermés entre le fleuve et le canal. Proxène et Xénophon entendant ce rapport, mènent l'homme à Cléarque et lui rendent compte de ce qu'il a dit. Cléarque fut troublé et même très effrayé de ce récit. Parmi les Grecs qui étaient là, un jeune homme ayant réfléchi, dit qu'il ne serait pas conséquent aux ennemis d'attaquer et de rompre le pont. * S'ils attaquent, il est évident qu'il faut qu'ils nous battent ou qu'ils soient battus. Supposons qu'ils doivent remporter la victoire, qu'ont‑ils besoin de replier le pont ? Quand il y en aurait plusieurs autres, où nous réfugierions-nous après une défaite ? Que si l'avantage est à nous, le pont rompu, les Barbares n'ont plus de retraite, et les forces nombreuses qui sont sur l'autre rive ne pourraient leur donner le moindre secours. »
Cléarque demanda ensuite à l'homme qu'on lui avait amené, quelle était l'étendue du pays contenu entre le Tigre et le canal. On apprit, par sa réponse, que ce pays était vaste, qu'il y avait des villages et beaucoup de grandes villes. On reconnut alors que les Barbares avaient insidieusement envoyé cet émissaire, parce qu'ils craignaient que les Grecs, qui avaient passé le pont du canal, ne se fixassent dans cette espèce d'île, où ils auraient eu pour rempart d'un côté le Tigre, de l'autre le canal ; qu'ils ne tirassent des vivres de la contrée même qui était vaste, féconde et peuplée de cultivateurs, et qu'il ne s'y formât un asile sûr pour quiconque voudrait insulter le roi. On prit ensuite du repos. On envoya cependant une garde au pont du Tigre. On ne fut attaqué d'aucun côté. La garde même du pont assura depuis qu'il n'y était venu aucun Barbare. Dès le point du jour, l'armée grecque passa avec le plus de précautions qu'elle put ce pont soutenu par trente‑sept bateaux ; car quelques‑uns des Grecs qui étaient près de Tissapherne avaient prévenu qu'on serait attaqué au passage. Mais tous ces avis se trouvèrent dénués de fondement. Glous seulement et quelques autres Barbares parurent pendant qu'on traversait le fleuve. Ils observèrent si les Grecs passaient, et l'ayant vu, ils s'éloignèrent au galop.
Des bords du Tigre, on fit, en quatre jours de marche, vingt parasanges. On arriva au fleuve Physcus, large d'un plèthre. Un pont le traversait. En cet endroit était aussi une grande ville nommée Opis, près de laquelle les Grecs rencontrèrent un frère bâtard de Cyrus et d'Artaxerxès, et une armée nombreuse qu'il amenait de Suse et d'Ecbatane pour secourir le roi. Il fit faire halte à ses troupes et regarda passer les Grecs. Cléarque était à leur tête et les fit défiler deux à deux. De temps en temps il s'arrêtait. Tant que la tête de la colonne faisait halte, le reste de l'armée le faisait nécessairement aussi, en sorte que tes Grecs eux‑mêmes trouvaient leurs troupes plus nombreuses, et que le Perse qui les considérait en fut frappé d'étonnement. De là en six marches on fit trente parasanges à travers les déserts de la Médie, et l'on arriva dans le domaine de Parysatis, mère du roi et de Cyrus. Tissapherne, pour insulter aux mânes de ce prince, permit aux Grecs d'y piller les villages, et leur défendit seulement de faire des esclaves. Il y avait beaucoup de blé, de menu bétail et d'autres effets. Puis on fit en cinq marches vingt parasanges dans le désert, l'armée ayant le Tigre à sa gauche. À la première de ces marches, on vit sur l'autre rive du fleuve une ville grande et florissante nommée Caenes, d'où les Barbares, sur des radeaux faits avec des peaux, apportèrent à l'armée des pains, du fromage et du vin.
On arriva ensuite sur les bords du fleuve Zabate, large de quatre plèthres. On y séjourna trois jours. Les soupçons réciproques des Grecs et des Barbares s'y accrurent. Il ne parut pas cependant qu'on se tendît aucune embûche. Cléarque résolut de s'aboucher avec Tissapherne pour détruire, s'il le pouvait, ces soupçons avant qu'ils dégénérassent en une guerre ouverte. Il envoya dire au satrape qu'il désirait conférer avec lui. Tissapherne répondit qu'il était prêt à le recevoir ; et quand ils se virent, Cléarque lui tint ce discours : « Je me souviens, Tissapherne, des serments que nous nous sommes faits, et de la foi que nous nous sommes donnée, de ne nous point attaquer. Vous n'en êtes pas moins en garde contre nous, et vous nous considérez encore comme ennemis. Nous l'apercevons tous, et par cette raison nous nous gardons de même. J'ai beau chercher cependant, je ne puis découvrir que vous ayez tenté de nous nuire, et je suis certain que les Grecs ne forment aucun projet contre vous. Voilà pourquoi j'ai désiré que nous nous abouchassions, afin que, s'il est possible, nous anéantissions cette défiance mutuelle. Car j'ai vu que souvent des hommes, ou prêtant l'oreille à la calomnie, ou se livrant à des soupçons, ont conçu les uns des autres une crainte mal fondée, et que ceux qui ont mieux aimé prévenir l'injure que la souffrir ont causé des maux sans remède à ceux qui ne leur voulaient, qui ne leur auraient jamais fait aucun mal. Je pense qu'une explication est ce qui dissipe le mieux de tels malentendus, et je suis venu dans le dessein de vous prouver que vous n'avez pas raison de vous défier de nous. Nos serments, dont les dieux sont témoins (et c'est pour moi la première et la plus importante considération), nos serments, dis‑je, nous interdisent toute inimitié. Je ne pourrais regarder comme heureux un mortel à qui sa conscience reprocherait de s'être joué des dieux ; car si l'on est en guerre avec eux, quelle fuite rapide peut nous soustraire à leur poursuite ? Quelles ténèbres peuvent nous cacher à leurs yeux ? Quel lieu fortifié est un rempart contre leur vengeance ? Rien n'est indépendant de l'autorité suprême des dieux. Ils ont dans tous les lieux, ils ont sur tout ce qui existe un pouvoir égal et sans bornes. Telle est mont opinion sur les Immortels et sur les serments garants de l'amitié que nous nous sommes mutuellement promise. Descendant à des considérations humaines, je vous regarde, dans la conjoncture présente, comme le plus grand bien et le plus précieux pour les Grecs. Avec vous quelle route nous sera difficile ? Quel fleuve ne passerons‑nous pas ? Où manquerons‑nous de vivres. Sans vous, nous voyagerons toujours dans les ténèbres, car nous ignorons absolument notre chemin ; nous serons arrêtés par tous les fleuves. Une poignée d'hommes nous sera redoutable. Les déserts nous le seront encore plus. C'est là que nous attendent des difficultés sans nombre. Si donc la fureur nous aveuglait jusqu'à vous faire périr, que résulterait‑il pour nous d'avoir immolé notre bienfaiteur, si ce n'est de nous attirer une nouvelle guerre avec le roi, avec le plus puissant de tous les vengeurs ? Je vais vous exposer de plus à quelles espérances personnelles je renoncerais en entreprenant de vous faire la moindre injure. J'ai désiré de me faire ami de Cyrus, parce que je croyais trouver en lui l'homme le plus capable d'obliger qui il voudrait. Je vous vois maintenant réunir à votre gouvernement celui de ce prince. Je vous vois héritier de sa puissance et soutenu de celle du roi, contre laquelle luttait Cyrus. Dans ces circonstances, quel homme serait assez insensé, pour ne pas désirer d'être de vos amis ? Je me flatte que vous voudrez aussi être le nôtre, et je vous indiquerai ce qui me le fait présumer. Je vois les Mysiens et les Pisidiens inquiéter votre gouvernement. J'espère, avec les Grecs que je commande, les humilier et vous les soumettre. J'en entends dire autant de beaucoup d'autres peuples. Je me crois en état de les empêcher de troubler sans cesse votre tranquillité. Les Égyptiens, je le sais, sont ceux contre lesquels vous êtes le plus irrités, et je ne vois pas quelles troupes vous pourriez vous associer, pour châtier ces rebelles, qui valussent celles dont je suis le chef. Aux environs de votre gouvernement, vous deviendriez le protecteur le plus puissant de quiconque vous voudriez favoriser ; vous ordonneriez en maître absolu la destruction de qui oserait vous insulter, en nous ayant pour ministres de vos vengeances, nous qui ne vous servirions pas seulement par l'espoir de la solde, mais par des motifs de reconnaissance et par un juste souvenir de notre salut que nous vous devrions. Après avoir fait toutes ces réflexions, il me paraît si étonnant que vous ayez de nous quelque défiance, que je serais charmé de savoir quel a été l'homme assez éloquent, pour vous persuader que nous avons de mauvais desseins contre vous. » Cléarque ayant fini de parler, Tissapherne répondit : « Je suis charmé, Cléarque, de vous entendre tenir ce discours sensé. Car, puisque vous pensez ainsi, je croirai désormais que vous ne pouvez former de projets nuisibles contre moi, sans en former contre vous-même. Mais à votre tour apprenez que vous ne sauriez avec justice vous défier ni d'Artaxerxès ni de moi. Si nous avions voulu vous perdre, vous semble‑t‑il que nous n'eussions pas assez de cavalerie, d'infanterie, d'armes, pour vous nuire sans courir le moindre risque. Présumez‑vous que nous ne trouvassions pas de lieu favorable pour vous attaquer ? Mais combien dans le pays qui fait des vœux pour nous, de vastes plaines que vous vous fatiguez à traverser ? Combien sur votre chemin de montagnes dont nous pouvons vous boucher les passages en les occupant avant vous ? Combien de fleuves au‑delà desquels nous pouvons ne laisser défiler que la quantité de vos troupes que nous voudrons combattre ? Que dis‑je ! Il en est que vous ne passeriez même jamais sans notre secours. Supposons qu'aucun de ces moyens ne nous réussisse, les fruits de la terre peuvent‑ils résister au feu ? Nous brûlerons tout devant vous, et nous vous opposerons la famine pour adversaire. Pouvez ‑vous, quelque braves que vous soyez, le combattre ? Comment, ayant autant de moyens de vous faire la guerre sans courir le moindre danger, choisirions‑nous entre tant de manières la seule qui soit impie envers les dieux et qui nous couvrirait de honte devant les hommes, qui ne convient qu'à des gens sans ressource, plongés dans l'embarras, pressés par la nécessité, qu'à des scélérats qui veulent retirer quelque avantage de leur parjure envers les dieux, et de leur infidélité envers les humains ? Nous ne sommes pas à ce point, Cléarque, insensés et déraisonnables. Pourquoi donc, lorsqu'il nous était facile de vous détruire, ne vous avons‑nous pas attaqués ? Sachez que vous le devez au désir vif que j'ai eu de gagner l'amitié des Grecs, et de revenir dans mon gouvernement, m'étant assuré, par mes bienfaits, l'attachement de ces troupes, sur lesquelles Cyrus, en les menant dans la haute Asie, ne comptait que parce qu'il les stipendiait. Vous m'avez désigné quelques‑uns des avantages que je puis retirer de votre affection. Vous avez omis le plus important, et je le sens. Il est permis au roi seul de porter la tiare droite sur sa tête ; mais avec votre assistance, un autre a peut‑être droit de la porter ainsi dans son coeur.»
Ce discours parut sincère à Cléarque : « Ceux donc, reprit‑il, qui, tandis que nous avons des motifs aussi puissants d'être amis, tâchent par calomnies de susciter la guerre entre nous, méritent les derniers supplices. ‑ Pour moi, dit Tissapherne, je dénoncerai ceux qui me disent que vous tramez des complots contre moi et contre mon armée. Je les nommerai à vos généraux et à vos chefs de loches, s'ils veulent venir publiquement me trouver. ‑ Je vous les amènerai tous, répliqua Cléarque, et je vous déclarerai quiconque me tient sur vous de semblables discours. » Tissapherne, après cet entretien, fit beaucoup de caresse à Cléarque, et le retint à souper. Ce général étant retourné le lendemain au camp, parut persuadé des intentions pacifiques de Tissapherne, et publia ce que le satrape lui avait dit. Il ajouta qu'il fallait que les chefs invités par Tissapherne se rendissent chez ce Perse, et que ceux des Grecs qui seraient convaincus de calomnie, fussent punis comme traîtres, et mal intentionnés pour leurs compatriotes. Il soupçonnait Ménon de ce crime, sachant qu'Ariée et lui avaient eu une conférence avec Tissapherne ; que Ménon, d'ailleurs, formait un parti contre lui, et, par une conduite insidieuse, voulait lui débaucher toute l'armée, et s'assurer par là l'amitié de Tissapherne. Cléarque, de son côté, visait à s'attacher toutes les troupes, et à se défaire des rivaux qui l'inquiétaient. Quelques soldats furent d'un avis contraire à celui de Cléarque, et dirent qu'il ne fallait pas que tous les généraux et les chefs de lochos allassent chez Tissapherne, ni qu'on se fiât aveuglement à lui. Cléarque insista fortement jusqu'à ce qu'il eût fait décider qu'il irait cinq généraux et vingt chefs de lochos. Environ deux cents soldats les suivirent, comme pour aller acheter des vivres.
Quand ils furent arrivés à la tente du satrape, on fit entrer les cinq généraux, Proxène de Béotie, Ménon de Thessalie, Agias Arcadien, Cléarque Lacédémonien et Socrate d'Achaïe. Les chefs de lochos restèrent à la porte. Peu de temps après, au même signal, on arrêta les généraux qui étaient entrés, et on fit main basse sur tout ce qui se trouvait de Grecs en dehors. Ensuite quelque cavalerie barbare se dispersant dans la plaine, passa au fil de l'épée tout ce qu'elle trouva de Grecs indistinctement hommes libres et esclaves. Les Grecs, qui l'aperçurent de leur camp, s'étonnèrent de cette excursion, et ne concevaient pas ce que ces cavaliers pourraient faire. Mais enfin Nicarque l’Arcadien arriva. Il avait pris la fuite, quoique blessé au ventre et tenant ses entrailles dans ses mains il raconta tout ce qui s'était passé. Aussitôt les Grecs coururent aux armes, frappés de terreur, et présumant que leur camp allait être à l'instant assailli par les Barbares ; mais l'armée entière de Tissapherne n'y marcha pas. Il ne vint qu'Ariée, Artaèze et Mithradate qui avaient été les plus intimes amis de Cyrus. L'interprète des Grecs dit qu'il voyait aussi parmi ces Barbares le frère de Tissapherne , et qu'il le reconnaissait bien. Ils étaient escortés d'environ trois cents Perses cuirassés. Quand ils furent près du camp, ils demandèrent que quelque général ou un chef de lochos s'avançât pour qu'ils lui annonçassent les intentions du roi. Cléanor d'Orchomène et Sophénète de Stymphale sortirent du camp avec précaution. Xénophon Athénien les suivit pour apprendre des nouvelles de Proxène. Chirisophe se trouvait absent pour lors, ayant été avec d'autres Grecs chercher des vivres dans un village. Quand on fut à portée de s'entendre, Ariée dit : « Grecs, Cléarque ayant été convaincu de violer ses serments et de transgresser le traité, a reçu la peine qui lui était due : il n'est plus. Proxène et Ménon, qui ont dénoncé sa perfidie, reçoivent de grands honneurs. Quant à vous, le roi vous demande vos armes, et prétend qu'elles lui appartiennent, puisque vous les portiez pour Cyrus son esclave. »
Les Grecs lui répondirent, Cléanor d'Orchomène portant la parole : « O le plus méchant des hommes, Ariée ! vous tous qui étiez dans l'intimité de Cyrus ! pouvez‑vous lever les yeux sans rougir vers les dieux ou sur les hommes ; vous qui ayant juré d'avoir les mêmes amis et les mêmes ennemis que nous, avez depuis machiné notre perte avec Tissapherne, le plus impie et le plus scélérat des mortels avez égorgé les généraux mêmes qui avaient reçu votre serment, et nous ayant tous trahis, marchez contre nous avec nos ennemis ? » Ariée répliqua : « Cléarque avait déjà été convaincu de tendre des embûches à Tissapherne, à Orontas et à nous tous qui les accompagnons. ‑ Cléarque, donc, reprit Xénophon, a été justement puni d'avoir violé le traité, malgré ses serments ; car il est juste que les parjures périssent. Mais Proxène et Ménon, puisque vous avez à vous louer d'eux et qu'ils sont nos généraux, renvoyez‑les nous. Également bien intentionnés pour vous et pour nous, il est évident qu'ils ne tâcheront de nous inspirer que les desseins les plus avantageux aux deux armées. » Les Barbares ayant longtemps conféré ensemble sur cette réponse, se retirèrent sans en avoir rendu aucune.
Les généraux qu'on avait ainsi arrêtés furent menés à Artaxerxès : ce roi leur fit couper la tête. Telle fut leur fin. Cléarque, l'un d'eux, de l'avis de tous ceux qui l'ont intimement connu, passait pour avoir au plus haut degré les talents et le goût de son métier. Il resta chez les Lacédémoniens tant qu'ils furent en guerre avec Athènes. La paix s'étant faite, il persuada à sa patrie que les Thraces insultaient les Grecs ; et ayant gagné comme il put les Éphores, il mit à la voile pour faire la guerre aux Thraces qui habitent au‑dessus de la Chersonèse et de Périnthe. Après son départ, les Éphores changèrent d'avis et tâchèrent de le faire revenir de l'Isthme. Il cessa alors de leur obéir et continua sa navigation vers l'Hellespont. Cette désobéissance le fit condamner à mort par les magistrats de Sparte. N'ayant plus de patrie, il vint trouver Cyrus ; et j'ai indiqué ailleurs de quelle manière il gagna la confiance de ce prince. Cyrus lui donna dix mille dariques. Cléarque les ayant reçues ne s'abandonna point à une vie voluptueuse et oisive ; mais avec cet argent il leva une armée, et fit la guerre aux Thraces. Il les vainquit en bataille rangée, puis pilla et ravagea leur pays. Cette guerre l'occupa jusqu'à ce que ses troupes devinssent nécessaires à Cyrus. Il partit alors pour aller faire une nouvelle guerre avec ce prince.
Tous ces traits me paraissent indiquer un homme passionné pour la guerre, qui la préfère à la paix, dont, sans honte et sans dommage, il pourrait goûter les douceurs, qui, lorsque l'oisiveté lui est permise, va chercher les fatigues de la guerre, et lorsqu'il peut jouir sans péril de ses richesses, aime mieux les dissiper en courant aux combats. Il dépensait pour la guerre comme un autre fait pour ses amours ou pour quelque genre de volupté. Tel était le goût de Cléarque pour le métier des armes. Quant à ses talents, voici d'après quoi l'on en peut juger. Il aimait les dangers, conduisait, la nuit comme le jour, ses troupes à l'ennemi, et, dans les occasions périlleuses, il était prudent et fécond en expédients, comme l'ont avoué tous ceux qui l'y ont vu. Il passait pour avoir, autant qu'il est possible, le don de commander, mais d'après son génie particulier ; car nul ne fut plus capable que lui d'inventer les moyens de fournir ou de faire préparer des vivres à ses troupes. Il savait aussi inculquer à tout ce qui l'entourait qu'il ne fallait pas lui désobéir. Il retirait cet avantage de sa dureté ; car il avait l'aspect sévère, la voix rude. Il punissait toujours avec rigueur et quelquefois avec colère, en sorte qu'il s'en est plus d'une fois repenti. C'était cependant aussi par principe qu'il châtiait ; car il regardait des hommes indisciplinés comme n'étant bons à rien. On prétend même lui avoir entendu dire qu'il fallait que le soldat craignît plus son général que l'ennemi, soit qu'on lui prescrivit de garder un poste ou d'épargner le pays ami ou de marcher avec résolution à l'ennemi. Aussi dans les dangers, les troupes le désiraient ardemment pour chef, et le préféraient à tout autre. La sévérité de ses traits se changeait alors, disait‑on, en sérénité, et sa dureté avait l'air d'une mâle assurance qui ne devait plus faire trembler que l'ennemi, et où le soldat lisait son salut ; mais le péril évanoui, dès qu'on pouvait passer sous les drapeaux d'un autre chef, beaucoup de Grecs quittaient les siens ; car il n'avait point d'aménité : il se montrait toujours dur et cruel, et ses soldats le voyaient du même oeil que des enfants voient leur pédagogue. Aussi n'y eut‑il jamais personne qui le suivît par amitié et par inclination. Mais ceux que leur patrie, le besoin, ou quelque autre nécessité avaient mis et forçaient de rester sous ses ordres, servaient avec une subordination sans égale. Dès que ses troupes eurent commencé à vaincre sous lui, beaucoup de raisons les rendirent excellentes. L'audace, en présence de l'ennemi leur était devenue une vertu familière, et la crainte d'être punies par leur chef les avait singulièrement disciplinées. Tel était Cléarque lorsqu'il commandait ; mais il passait pour ne pas aimer à être commandé par un autre. Il avait environ cinquante ans quand il mourut.
Proxène de Béotie, dès qu'il sortit de l'enfance, conçut l'ambition de devenir capable des plus grandes choses. Pour satisfaire ce désir, il se mit à l'école de Gorgias de Léontium. Quand il eut pris de ses leçons, se croyant en état de commander, et s'il devenait ami des grands, de payer par ses services leurs bienfaits, il joignit Cyrus, et s'associa à l'expédition de ce prince. Il espérait y acquérir une grande réputation, un grand pouvoir, de grandes richesses. Mais s'il conçut ces désirs, il prouva évidemment qu'il ne voulait rien obtenir par des moyens bas et injustes. Il croyait que ce n'était que par des voies droites et honnêtes qu'il fallait parvenir à son but, et que si elles ne l'y menaient pas, il valait mieux n'y jamais atteindre. Il ne lui manquait rien pour commander de braves et d'honnêtes gens ; mais il ne savait inspirer aux subalternes ni respect ni crainte. Que dis‑je ? Il avait plus l'air de respecter ses soldats que d'être respecté d'eux. On voyait qu'il craignait plus de s'en faire haïr qu'ils ne craignaient de lui désobéir.
Il croyait que pour bien commander, et pour s'en faire la réputation, il suffisait de donner des louanges à qui se conduisait avec bravoure, et d'en refuser à qui tombait en faute. De là, parmi ceux qui étaient à ses ordres, tout ce qui avait des sentiments de probité et d'honneur lui était affectionné, tous les méchants complotaient contre lui, et tâchaient de tirer parti de sa facilité. Il mourut âgé d'environ trente ans.
Ménon de Thessalie était possédé d'une soif insatiable de l'or, et ne la cachait pas. Il désirait le commandement pour s'emparer de plus de trésors ; les honneurs, pour gagner davantage. Il ne voulait être ami des gens les plus puissants que pour commettre impunément des injustices. Il regardait le parjure, le mensonge, la fourberie comme le chemin le plus court qui menât à l'objet de ses désirs. Il traitait de bêtise la simplicité et la sincérité. On voyait clairement qu'il n'aimait personne, et s'il se disait l'ami de quelqu'un, il n'en cherchait pas moins ouvertement à lui nuire. Jamais sa raillerie ne tomba sur un ennemi, et il ne parlait point des gens avec qui il vivait familièrement sans se moquer d'eux. Ce n'était point à envahir le bien des ennemis, qu'il dirigeait ses projets. Il jugeait difficile de prendre à qui se tenait sur ses gardes. Il pensait avoir seul remarqué qu'il était plus aisé de dépouiller un ami, et de s'approprier ce qu'on ne songeait point à défendre. Il redoutait tout ce qu'il connaissait de parjures et de méchants, comme gens cuirassés contre son attaque. Mais il tâchait de profiter de la faiblesse dont il taxait les gens pieux et qui faisaient profession de sincérité. Comme il est des hommes qui étalent avec complaisance leur piété, leur franchise, leur droiture, Ménon se targuait de son art à tromper, à inventer des fourberies, à tourner en ridicule ses amis. Il regardait comme n'ayant pas reçu d'éducation quiconque n'était pas fin et rusé. Essayait‑il d'obtenir le premier rang dans l'amitié d'un homme, il croyait qu'il ne manquerait pas de captiver son esprit en décriant près de lui ses amis les plus intimes. C'était en se rendant complice des crimes de ses soldats, qu'il travaillait à s'assurer leur soumission. Pour se faire considérer et cultiver, il laissait apercevoir que personne n'avait plus que lui le pouvoir et la volonté de nuire. Était‑il abandonné de quelqu'un, il croyait l'avoir bien traité, de ne l'avoir pas perdu pendant qu'il s'en était servi. On pourrait mentir sur son compte si l'on entrait dans des détails peu connus ; mais je n'en rapporterai que ce qui est su de tout le monde. Étant dans la fleur de la jeunesse, il obtint d'Aristippe le commandement des troupes étrangères de son armée ; il passa le reste de sa jeunesse dans la plus grande faveur auprès d'Ariée, barbare qui aimait les jeunes gens d'une jolie figure. Lui‑même, dans un âge tendre, conçut une passion violente pour Tharypas, plus âgé que lui. Quand les généraux grecs furent mis à mort pour avoir fait avec Cyrus la guerre au roi, Ménon, à qui l'on avait le même reproche à faire, ne subit pas le même sort. Il fut cependant ensuite condamné par le roi au supplice ; non pas à avoir, comme Cléarque et les autres généraux, la tête tranchée, ce qui passait pour le genre de mort le plus noble, mais on dit qu'il périt, après avoir souffert pendant un an les tourments auxquels on condamne les scélérats.
Agias d'Arcadie et Socrate d'Achaïe furent mis à mort aussi. Ils n'eurent jamais à essuyer de railleries sur leur conduite à la guerre, ni de reproche sur leurs procédés envers leurs amis Tous deux étaient âgés d'environ quarante ans.