ORDERIC VITAL
HISTOIRE DE NORMANDIE
TROISIEME PARTIE : LIVRE XIII (PARTIE II)
LIVRE XIII partie I
Œuvre mise en page par Patrick Hoffman
Texte latin de Migne.
XIII. Stephanus Anglorum rex Normanniam in feudo recipit a Ludovico Francorum rege. Stephanus rebelles castigat. Andegavensium aggressiones in Normanniam. Tertia septimana Martis, Stephanus rex in Normanniam venit, Ogas cum magno comitatu applicuit. Cujus, adventu audito, pauperum plebs per integrum annum oppressa et desolata exsultavit. Eodem tempore, Guillelmus Pictavensium dux, memor malorum quae nuper in Normannia operatus est, poenitentia motus, ad S. Jacobum peregre profectus est. Deinde feria VI Parasceve, V Idus Aprilis, sacra communione munitus est, et ante aram B. Apostoli venerabiliter defunctus est. Filiam vero suam Ludovico juveni Francorum regi in conjugem dari praecepit, ipsumque regem totius juris sui haeredem constituit: quod ita postea factum est. Quidam Normannorum proceres in Stephanum regem turbati sunt: contra quos ab ipso Franci et Flandrenses acciti sunt. In Maio, Stephanus rex cum Ludovico rege colloquium habuit; Normanniae ducatum ab ipso jure recepit, et foedus amicitiae, sicut antecessor ejus tenuerat, pepigit. Securior itaque remeavit, rebellantem Rabellum bellico robore impetiit, et oppida ejus Juliam-Bonam, vileriasque et mansionem Odonis obsedit, et per se aut per auxiliarios cum familiis suis ferro et flamma expugnavit. Tunc Joffredus Andegavensis cum quadringentis militibus in Normanniam venit, et stipendiarius conjugi suae factus, ingentem malitiam exercuit. Nam ab initio Maii crudelem guerram exercuit, incendioque et rapina hominumque caedibus depopulari Oximensem pagum summopere studuit. Basolcas, oppidum Rogerii de Molbraio, cum ecclesia combussit, ibique sex homines ignis exstinxit. Divenses monachi pro tuitione sui C et X marcos argenti Andegavorum consuli pacti sunt; et sic patriam suam, ne penitus deleretur, tutaverunt. Similiter Fiscannenses pro Argentiis centum marcos erogaverunt. Tunc Rodbertus comes de Gloucestra aliique nonnulli, quod ad hostes converterentur, suspecti sunt; sed Cadomenses oppidani regis fidelitati firmiter inhaeserunt, quibus munitionem tutantibus, Joffredus et sui de Vado-Berengarii nihil adepti redierunt. Ibi Guillelmus de Ipro cum suis praeliari cum Andegavensibus concupivit, sed Normannis prae invidia fideliter illos juvare nolentibus, idem cum suis recessit, atque infidos consortes derelinquens, ad regem trans Sequanam accessit. Rex autem, pace facta cum Rabello, Ebroicensem pagum adiit, et Rogerium de Conchis, sexto mense postquam captus est, de carcere ejecit, gravique conditione, ut temeraria improbitas ejus castigaretur, oneravit. Rotronem Moritoniae comitem et Richerium de Aquila nepotem ejus sibi annexuit, datis eisdem quae cupiditas illorum avide poposcit. Nam comiti oppidum de Molinis, et Richerio Bonmolinum concessit, eosque sibi sic colligatos hostibus in Normanniae finibus opposuit; ratus utilius esse dare minora ut servarentur majora, quam inhianter amplecti omnia, meritoque amicos perdere et eorum suffragia. Guillelmum de Ipro aliosque Flandrenses admodum amplexatus est, et in illis praecipue fisus est. Unde proceres Normannorum nimis indignati sunt, suumque regi famulatum callide subtraxerunt; eisque invidentes pluribus modis insidiati sunt. Tunc plurimis cladibus pagensium caterva passim depopulabatur; hostilis enim gladius multos devorabat, et alia ex parte mors inopina pluribus incumbebat. Mense Junio, Stephanus rex Lexovium venit, et copiosum exercitum congregavit, ut Argentomum vel aliud oppidum obsideret, ubi Joffredum Andegavensem, cum quo cominus confligere optabat, comperisset. Optimates autem ejus certamen hujusmodi detrectabant, et regi praelium summopere dissuadebant. Tunc in illa expeditione gravissima seditio inter Normannos et Morinos orta est, atque caedes hominum utriusque partis feralis facta est (74) . Hinc totus exercitus turbatus est, et plurima pars principum, insalutato rege, profecta est. Ductorem quoque suum unaquaeque turma clientum prosecuta est. Rex autem cum agmina sua sine bello fugere vidisset, nimis iratus est, et desertores usque ad Pontem Aldemari festinanter persecutus est. Ibi Hugonem de Gornaco et Guillelmum juvenem de Guarenna, aliosque turgidos adolescentes detinuit, et terroribus ac blandimentis pro posse suo sedavit; sed livida vafrorum corda sufficienter pacificare nequivit. Unde suspectos pro quibusdam occasionibus eos habens, ad bellum reducere non praesumpsit; sed saniori consilio, ut quibusdam visum est, inito, biennales trevias ab hostibus accepit. Mense igitur Julio, tranquillitas pacis, opitulante Deo, Normanniam refovit, inermis plebs quae dispersa fuerat sua tuguria repetiit, et aliquandiu post nimias tumultuum tempestates in egestate magna siluit, et aliquantulum securior quievit. |
Dans la troisième semaine de mars, le roi Etienne vint en Normandie; il aborda à La Hogue avec une grande suite. Ayant appris son arrivée, le peuple opprimé et désolé pendant une année entière recouvra l'allégresse. Dans le même temps, Guillaume, duc de Poitiers, se rappelant le mal qu'il avait fait récemment en Normandie, touché de repentir, quitta son pays pour se rendre à Saint-Jacques47. Ensuite, le vendredi, veille d'une fête, le 5 des ides d'avril (9 avril), il se munit de la sainte-communion, et mourut pieusement devant l'autel du saint apôtre. Il ordonna de marier sa fille à Louis-le-Jeune, roi de France, et déclara monarque héritier de tous ses biens. C'est ce qui eut lieu par la suite. Quelques seigneurs normands se soulevèrent contre le roi Etienne, qui réunit contre eux les Français et les Flamands. Au mois de mai, le roi Etienne eut une entrevue avec le roi Louis, reçut de lui le duché de Normandie à titre de fief, et fit avec lui un traité d'amitié aux mêmes conditions que son prédécesseur. Parvenu à plus de sécurité, il s'en retourna, attaqua de vive force Rabel le chambellan qui s'était révolté, assiégea ses places de Lillebonne, de Villers48 et de Mésidon49, et y porta le fer et la flamme avec ses troupes, soit par lui-même, soit par ses alliés. Alors Geoffroi d'Anjou, avec quatre cents chevaliers, arriva en Normandie, et, devenu le chevalier de sa femme, y occasiona beaucoup de mal. En effet, depuis le commencement de mai, il fit une guerre cruelle, et s'appliqua surtout à ravager l'Exmois par l'incendie, la rapine et le meurtre. Il brûla avec l'église la place de Basoches50, qui appartenait à Roger de Monbrai; seize hommes y périrent dans les flammes. Les moines de Saint-Pierre-sur-Dive payèrent pour leur sauvegarde cent-dix marcs d'argent au comte d'Anjou, et préservèrent ainsi leur maison d'une destruction complète. Il en fut de même des moines de Fécamp, qui payèrent cent marcs pour Argences51. Alors Robert, comte de Glocester, et quelques autres furent soupçonnés de s'être rangés du parti de l'ennemi. Les habitans de Caen restèrent constamment attachés au Roi; et, ayant fortifié leur place, Geoffroi et les siens furent obligés de se retirer du Gué-Bérenger, sans avoir rien obtenu. Là Guillaume d'Ypres eut le desir, ainsi que les siens, d'en venir aux mains avec les Angevins; mais par jalousie les Normands n'ayant pas voulu le seconder, il se retira avec ses troupes, et, laissant ses perfides alliés, passa au delà de la Seine. Le Roi, ayant fait la paix avec Rabel, se rendit dans le territoire d'Evreux, et tira des prisons de Galeran, Roger de Conches, au bout de six mois de captivité; il lui imposa de dures conditions pour punir sa téméraire conduite. Il se lia avec Rotrou, comte de Mortagne, et avec Richer de L'Aigle son neveu, en leur donnant tout ce que leur avide ambition desirait. En effet, il accorda au comte la place de Moulins, et à Richer celle de Bons-Moulins; puis, s'étant uni avec eux, il les opposa à ses ennemis sur les frontières de la Normandie, persuadé qu'il était beaucoup plus utile de donner de petits objets pour en conserver de grands que d'aspirer à posséder tout, et de courir risque de perdre ses amis et leur appui. Il rechercha beaucoup Guillaume d'Ypres et les autres seigneurs flamands, et eut en eux une grande confiance. Les seigneurs normands en furent excessivement indignés; ils mirent beaucoup d'adresse à retirer au Roi leur assistance, et, pleins de jalousie, tendirent toutes sortes d'embûches à leurs adversaires. C'est alors que le pays fut de tous côtés dévasté par de nombreux désastres. Le glaive de l'ennemi moissonna beaucoup de gens, et d'un autre côté une mort inattendue en frappa un grand nombre. Au mois de juin, le roi Etienne se rendit à Lisieux; il y réunit une nombreuse armée pour aller assiéger Argentan, ou toute antre place où il serait sûr de rencontrer Geoffroi d'Anjou, avec lequel il desirait en venir aux mains. Cependant les grands blâmaient ce projet, et mettaient beaucoup de soin pour dissuader le Roi de livrer bataille. Dans cette expédition, il s'éleva une violente altercation entre les Normands et les Flamands, et il se fit de part et d'autre un cruel massacre. Cet événement jeta le désordre dans toute l'armée, et la plupart des chefs partirent sans saluer le Roi. Chaque corps de vassaux suivit son chef. Le Roi ayant vu ses troupes prendre la fuite sans combat, entra dans une violente colère, et suivit en toute hâte les déserteurs jusqu'à Pont-Audemer. Il y retint Hugues de Gournai, le jeune Guillaume de Varenne, ainsi que quelques autres jeunes orgueilleux, et les calma autant qu'il put, soit par la crainte soit par les caresses: mais il ne put suffisamment apaiser les cœurs envieux des perfides. C'est pourquoi les considérant comme suspects à cause de diverses circonstances, il ne chercha pas à les ramener au combat; mais, ayant pris une meilleure résolution, comme il le parut à quelques personnes, il accepta de l'ennemi une trève de deux ans. En conséquence, au mois de juillet, la tranquillité de la paix ranima la Normandie avec l'aide de Dieu. Le peuple désarmé, qui avait été dispersé, regagna ses chaumières; pendant quelque temps il garda un morne silence à cause de sa grande pauvreté après les affreuses tempêtes des tumultes de la guerre, et goûta quelque repos au sein de la sécurité.
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XIV. Mors Guarini Uticensis abbatis. Mors Ludovici Francorum regis. Turbationes et bella in Normannia. Britonum invasio in Normanniam. Stephanus rex in Angliam transfretat. Interea Guarinus, abbas Uticensis ecclesiae, postquam in monachatu XLIII annis Deo militavit, jam LX et III annos aetatis habens, feliciter occubuit. Nam XVII Kalendas Julii missam mane reverenter cantavit, quemdam defunctum militem sepelivit, ipsoque die in lectum decidit, et quinque diebus graviter aegrotavit, quotidieque missam, quam per XXX annos creberrime sacerdos ipse celebraverat, aegrotus audivit. Videns itaque viam universae carnis sese ingressurum, tanti itineris viaticum devotus expetiit, ac ad summi Regis Sabaoth iturus curiam, sese praeparavit lacrymosa videlicet confessione, assiduoque intenta oratione, oleique sacri unctione, et Dominici corporis salvifica perceptione. Denique talibus ac tantis instructus munimentis, XI Kalendas Julii migravit; et completis in eo, ut dictum est, quaeque fideli athletae Christi competunt, recessit, et XV regiminis sui anno spirituales filios Domino Deo commendans, et sese, obdormivit. Gislebertus autem Sagiensis coenobii abbas adfuit, et cum sociis in luctu Patris flebilibus exsequias celebravit. Imbribus itaque tribulationum toti provinciae ingruentibus, Guarinus abbas Rodberti et Gislae filius ereptus est, et in capitulo secus Osberni abbatis tumulum sepultus est. Quo defuncto, Uticenses monachi pariter convenerunt, et commune colloquium, ne status ecclesiae suae laberetur, habuerunt. Deinde, dum celebritatem Sancti Joannis Baptistae solemnizarent, ipsoque die in capitulo una considerent, considerantes sancti Patris Benedicti institutionem, chartaeque suae, quam Guillelmus dux postea rex cum episcopis et optimatibus Normanniae, sanxit auctoritatem, et ecclesiae privilegium atque veterem consuetudinem, concorditer elegerunt Richardum de Legrecestra, monachum litteratum, religiosum, facundum, et pluribus bonis atque claris charismatibus instructum. Ille quidem absens erat, nec in illa concione aliquem sibi consanguinitate conjunctum habebat. Nihil hujusmodi suspicabatur, imo rusticanis laboribus in Anglia pro servitio fratrum angebatur. Nam illuc a suo abbate jam pridem directus fuerat, et ecclesiasticas res ibidem jam sex mensibus diligenter tractaverat. Notitiam quippe Anglicae gentis et loquelae habebat, utpote qui fere XVI annis canonicus Legrecestrae fuerat, et in curia Rodberti consulis de Mellento ante conversionem diu commoratus fuerat, causarumque censor, et arcanorum conscius, ac in agendis rebus familiaris consiliarius pollebat. Haec et alia probitatis indicia rectorique congrua monachi considerantes, eumdem ad ecclesiae regimen elegerunt: et electo Stephanus rex ejusque proceres suffragati sunt. Uticenses coenobitae didascalis et rectoribus suis semper fidi, album lapidem posuerunt super tumulum venerandi abbatis Guarini; super quem sculpendum ob amorem dilecti quondam sodalis mei, postea Patris, hoc epitaphium edidi:
Hac tegitur petra Guarini corpus et ossa, Mense Julio et Augusto nimius calor aestatis terrigenas torruit, et usque ad Idus Septembris perduravit, multimodaque pestis mortales morbidos fecit. Tunc Ludovicus rex Ludovicum-Florum filium suum accersiit, eumque Thedbaldi palatini comitis et Radulfi de Parrona consobrini sui tutelae commisit, et cum exercitu Galliae in Aquitaniam direxit, ut filiam Pictavensis ducis uxorem duceret, totumque ducatum, sicut Guillelmus dux constituerat, sibi subjugaret. Interea Ludovicus rex nimietate aestivi caloris in Aquilina silva aegrotavit, et crescente languore, II Nonas Augusti (75) hominem exivit; atque in ecclesia S. Dionysii Areopagitae inter reges regiam tumulationem accepit. Sequenti autem Dominico, Ludovicus puer Pictavis coronatus est; et sic regnum Francorum et Aquitaniae ducatum, quem nullus patrum suorum habuit, nactus est. In Normannia Rogerius Balbus pacem turbulentus turbavit, contra quem Stephanus rex exercitum duxit, et municipium ejus, quod in Ebroicensi pago Grandis-Silva nuncupatur, obtinuit. Unde coercitus rebellis praedo pacem cum rege fecit, et aliquantulum illa regio post magnas oppressiones quievit. Tunc in Vilcassino rex munitionem Chitrei, ubi spelunca latronum erat, dejecit. Unde Guillelmus de Calvimonte cum Odmundo filio suo in regem surrexit, et pro domus suae praecipitio guerram facere decrevit. In Abrincatensi pago Richardus, cognomento Silvanus, apud S. Paternum fortissimam munitionem firmavit; et aggregatis undecunque latronibus, post mortem Henrici regis saevissimam stragem in populo Dei perpetravit. Hunc etiam post diutinam debacchationem, quando voluit, justissima Dei ultrix manus sine mora praecipitavit Praefatus enim raptor quadam die praedatum perrexit, et cohors militum de vicinis oppidis vicum S. Paterni flammis interim tradidit. Porro Silvanus, ut villae suae fumum perspexit, per reciprocum callem cum suis equum festinanter regyravit; sed sociis ocior hostes primus offendit, et in occursu eorum a quodam milite lancea perforatus interiit. Deinde regii milites ad arcem accesserunt, et ab oppidanis ut regi turrim redderent exegerunt. Quod dum illi facere nollent, isti cadaver perempti domini sui ante portam turpiter projicientes eis exhibent. Custodes utique, infortunio gravi viso, perterriti sunt, et regis militibus sese cum munitione dedentes moesti siluerunt, atque corpus Biothanati secus viam extra coemeterium tumulaverunt. Eodem tempore, Britones, quorum caput ad nefas perpetrandum Galduinus Dolensis erat, surrexerunt, et in terram S. Michaelis archangeli de Periculo Maris, et in finitimas possessiones irruerunt. Praedis multoties direptis, ingentia innocuis damna intulerunt; sed postquam innumera dispendia pagensibus illata sunt, ultione divina nefario capite contrito, defecerunt. Quadam enim die, atrox Galduinus CXL milites cum multis peditibus in expeditionem duxit, et ingentem praedam hominesque multos rapuit, atque pomposus remeare coepit; sed aestuans mare ad littus omnes detinuit. Interea orto clamore pauperis vulgi, XX milites Normannorum praedones insecuti sunt. Galduinus autem, ut vociferationem post tergum audivit, cum X militibus, clypeis tantum opertis, contra insequentes rediit. Porro Normanni fortiter in eos irruerunt, atque Britones terga vertentes persecuti sunt, et Galduinum, priusquam suis commilitonibus adjungeretur, occiderunt. Praedones itaque confusi praedam perdiderunt, et fugientes suis diros rumores renuntiaverunt. Variis itaque tempestatibus infelix Normannia turbabatur, ac mutuis ensibus pignorum suorum vulnerabatur, atque pro innumeris caedibus multis ubique luctibus replebatur; infortunia plerumque dirissima perferebat, et asperrima quotidie metuebat, quia totam efficaci gubernatore provinciam carere moesta videbat. Inter haec Stephanus rex de intestinis motibus Anglorum rumores audivit. Unde in Adventu Domini festinanter in Angliam transfretavit, et Gualerannum atque Rodbertum comites, aliosque proceres pene omnes secum duxit; Neustriae vero justitiarios, Guillelmum de Rolmara et Rogerium vicecomitem, aliosque nonnullos constituerat: illis praecipiens facere quod ipse praesens agere non poterat, justitiam videlicet incolis inferre et pacem inermi populo procurare. Reversus autem in Angliam, turbatum regnum invenit, et fomentum nimiae crudelitatis et cruentae proditionis persensit. Nam quidam pestiferi conspirationem fecerunt, et clandestinis machinationibus sese ad nefas invicem animaverant, ut constituto die Normannos omnes occiderent, et regni principatum Scotis traderent. Tanta perversitas, et Richardo Nigello Eliensi episcopo primitus nota per conjuratos nequitiae socios facta est, et per eum reliquis praesulibus regni et optimatibus atque tribunis regiisque satellitibus pervulgata est. Plures itaque de perversis conspiratoribus detecti sunt, et convicti poenas tanti sceleris luerunt, meritoque patibulis aliisque generibus mortis interierunt. Porro, nonnulli malitiae conscii ante accusationem fugerunt, et accusante propria conscientia convicti, relictis omnibus divitiis et honoribus suis exsulaverunt. Potentiores siquidem, qui rebellionis conscii fuerunt, ad resistendum temere animati sunt, et foedus cum Scottis et Gualis, aliisque seditiosis et infidis ad perniciem populi pepigerunt. |
Cependant Guérin, abbé du monastère d'Ouche, après avoir combattu pour la cause de Dieu, pendant quarante-trois années, dans la profession monastique, mourut heureusement à l'âge de soixante-trois ans. Le matin du 17 des calendes de juillet (15 juin), il dit respectueusement la messe, ensevelit un chevalier qui venait de mourir; puis, dans la même journée, il tomba malade, souffrit beaucoup durant cinq jours, et dans cet état entendit journellement la messe que, pendant trente ans, il avait comme prêtre célébrée régulièrement. En conséquence, voyant qu'il allait entrer dans la voie que doit parcourir tout ce qui est chair, il demanda avec dévotion le viatique d'un si grand voyage, et sur le point de se présenter devant la cour du grand roi Sabaoth, il s'y prépara par une confession faite les larmes aux yeux, par des prières continuelles, par l'extrême-onction de l'huile sainte et par la salutaire réception du corps du Sauveur. Ensuite, pourvu de tant et de si grands réconforts, il mourut le 11 des calendes de juillet (21 juin); puis, ayant accompli comme nous l'avons dit tout ce que doit faire un fidèle champion du Christ, et, après quinze ans de gouvernement, recommandant à Dieu ses fils spirituels et lui-même, il s'endormit. Gislebert, abbé du monastère de Séès, assista Guérin, dont il célébra les obsèques avec ses compagnons affligés d'avoir perdu leur père. Ainsi, pendant que les orages des tribulations accablaient toute la province, l'abbé Guérin, fils de Robert et de Gisla, nous fut ravi, et fut enterré dans le chapitre le long du tombeau de l'abbé Osbcrn. Quand il fut mort, les moines d'Ouche se réunirent tous et tinrent une assemblée générale, afin de pourvoir aux besoins de leur maison. Ensuite, pendant qu'ils solennisaient la fête de Saint-Jean-Baptiste, et que ce jour ils siégeaient en chapitre, considérant les institutions du saint père Benoît et l'autorité de la charte que leur accorda le duc Guillaume, qui depuis fut roi, de concert avec les évêques et les grands de la Normandie, conformément d'ailleurs aux privilèges et aux anciennes coutumes de l'Eglise, les moines, d'accord, élurent Richard de Leicester, moine pieux, instruit, éloquent, et pourvu de plusieurs qualités bonnes et illustres. Il était absent, et n'avait dans cette réunion personne qui lui fût attaché par le sang. Il ne soupçonnait rien de cette élection, accablé qu'il était en Angleterre de travaux champêtres pour le service du couvent. En effet, dès long-temps, il y avait été envoyé par son abbé, et, depuis seize mois, il s'y occupait diligemment d'affaires ecclésiastiques. Il connaissait la nation anglaise et sa langue, ayant été pendant près de seize ans chanoine de Leicester: avant sa conversion monastique, il était resté long-temps à la cour de Robert comte de Meulan, juge de ses causes, confident de ses secrets, et son conseiller intime dans toutes ses affaires. Les moines d'Ouche, prenant en considération ces preuves de mérite et beaucoup d'autres, convenables à un chef, le choisirent pour gouverner leur maison: cette élection fut approuvée par le roi Etienne et par les grands. Les moines d'Ouche, toujours fidèles à leurs maîtres et à leurs chefs, firent placer une pierre blanche sur le tombeau du vénérable abbé Guérin. Je composai l'épitaphe suivante, pour y être gravée, inspiré par l'amour que je portais à mon ancien compagnon, qui depuis fut mon père: «Sous cette pierre reposent la poussière et les os de Guérin, qui fut moine d'Ouche durant vingt-quatre années. Résistant avec courage aux tentations de la chair, avec la grâce de Dieu il brilla par de grandes vertus. A cause de ses mérites, ses frères le tirèrent du milieu du troupeau, pour qu'à leur tête il devînt le soutien de ses compagnons. Florissant avec éclat comme abbé pendant quatorze ans, il aspira avec ardeur à l'éternité au milieu des ruines qui l'entouraient. Le mois de juin ayant vu vingt fois le retour du soleil, ce père entouré de ses enfans en pleurs se retira de cette vie. Que le Dieu qui gouverne tout le fasse dans les deux jouir de la lumière éternelle!» Pendant les mois de juillet et d'août, l'excessive chaleur de l'été brûla les mortels, dura jusqu'aux ides de septembre (13 septembre), et occasiona des maladies de toute espèce. Alors le roi Louis fit venir son fils Louis Florus, le confia aux soins de Thibaut comte palatin, et de Raoul de Péronne qui était son cousin, et l'envoya en Aquitaine avec l'armée française, pour épouser la fille du duc de Poitiers et occuper tout le duché conformément aux dispositions du duc Guillaume. Pendant ce temps-là, le roi Louis tomba malade dans la forêt de L'Aigle à cause de l'excès des chaleurs de l'été. La maladie ayant fait des progrès, il mourut je 2 des nones d'août (4 août), et reçut une royale sépulture dans l'église de Saint-Denis-l'Aréopagite, parmi les rois ses prédécesseurs. Le dimanche suivant, le jeune Louis fut couronné à Poitiers, et obtint ainsi non-seulement le royaume des Français, mais encore le duché d'Aquitaine, qu'aucun de ses ancêtres n'avait possédé. En Normandie, le factieux Roger-le-Bègue troubla la paix. Le roi Etienne conduisit contre lui son armée, et s'empara de son château nommé Grand-Bois52, et qui est situé dans le territoire d'Evreux. Ce brigand révolté, se trouvant ainsi comprimé, fit sa paix avec le Roi; et durant quelque temps, après de grandes vexations, cette contrée goûta le repos. Alors le Roi rasa dans le Vexin la forteresse de Quitri53, qui renfermait une caverne de voleurs. C'est pourquoi Guillaume de Chaumont et Osmond son fils se soulevèrent contre le Roi, et résolurent de faire la guerre, au grand détriment de leur maison. Dans le pays d'Avranches, Richard surnommé Silvain établit une forteresse redoutable à Saint-Pair54, et, ayant réuni des brigands de toutes parts, après la mort du roi Henri, fit un cruel carnage des peuples du Seigneur; mais, après qu'il eut long-temps exercé ses fureurs, Dieu, dès qu'il le voulut, le précipita aussitôt de son bras justement vengeur. En effet, comme ce brigand était sorti un certain jour pour se livrer au pillage, une troupe de chevaliers des places voisines vint livrer aux flammes le bourg de Saint-Pair. Alors Silvain, voyant la fumée de cette place, tourna aussitôt bride avec ses compagnons par le même chemin: plus prompt qu'eux il chargea le premier l'ennemi, et dans cette rencontre, percé d'un coup de lance par un chevalier, il trouva la mort qu'il méritait. Ensuite les chevaliers du Roi se rendirent à la forteresse, et exigèrent qu'elle fût remise à leur monarque par la garnison. Comme elle ne voulut pas y consentir, ils lui firent voir le cadavre de Silvain qu'ils jetèrent honteusement devant la porte. Alors la garnison, voyant cette cruelle infortune, fut effrayée; elle se rendit, ainsi que la place, aux gens du Roi, garda tristement le silence, et ensevelit le corps du défunt hors du cimetière le long du chemin. Dans le même temps, les Bretons qui avaient à leur tète, pour se livrer au crime, Gelduin de Dol, firent une invasion sur le territoire de l'Archange-Saint-Michel-en-Péril-de-Mer55 et sur le pays voisin. Ayant à diverses reprises enlevé un butin considérable, ils occasionèrent des pertes immenses; mais après avoir fait éprouver aux paysans d'innombrables dommages, la vengeance divine anéantit ces brigands en écrasant leur tête coupable. En effet un certain jour, l'atroce Gelduin conduisit à une expédition cent quarante chevaliers avec beaucoup de gens de pied; il enleva beaucoup d'hommes et de butin, et commença sa retraite avec orgueil; mais la marée montante les arrêta tous au rivage. Sur ces entrefaites, le pauvre peuple ayant jeté de grands cris, vingt chevaliers normands s'attachèrent à la poursuite des voleurs. Alors Gelduin, entendant des clameurs derrière lui, retourna contre ceux qui le poursuivaient, accompagné de dix chevaliers couverts seulement de leurs boucliers. Les Normands fondirent courageusement sur les Bretons, qui tournèrent le dos; ils les poursuivirent et tuèrent Gelduin avant qu'ils eussent pu rejoindre leurs compagnons. Ainsi ces brigands couverts de confusion perdirent leur butin, et n'eurent dans leur fuite à donner aux leurs que de fâcheuses nouvelles. C'est ainsi que la malheureuse Normandie était agitée par diverses tempêtes, frappée des glaives opposés de ses enfans, et que partout elle était couverte d'innombrables massacres et de torrens de larmes. Elle souffrait les plus cruelles calamités, et chaque jour en redoutait de plus affreuses, parce que, dans sa douleur, elle se voyait totalement privée d'un chef qui la gouvernât convenablement. Sur ces entrefaites, le roi Etienne apprit qu'il y avait en Angleterre des mouvemens intérieurs: aussi, pendant l'Avent, il passa promptement en Angleterre, où il emmena les comtes Galeran et Robert, et presque tous ses autres seigneurs. Il avait établi, pour rendre la justice en Normandie, Guillaume de Roumare, le vicomte Roger et plusieurs autres, auxquels il ordonna de faire ce qu'il n'avait pu exécuter durant son séjour, savoir, de rendre la justice aux habitans et de procurer la paix au peuple sans défense. A son retour en Angleterre, il trouva le royaume plongé dans le trouble, et il découvrit un foyer de cruautés excessives et de sanglantes trahisons. En effet, quelques séditieux avaient tramé une conspiration, et, par de clandestines manœuvres, s'excitaient mutuellement au crime, afin d'égorger tous les Normands à un jour fixé et de donner aux Ecossais le trône d'Angleterre. Cet affreux attentat fut d'abord porté à la connaissance de Richard Néel, évêque d'Ely, par les complices des conspirateurs. Ce prélat en informa les autres évêques du royaume, les grands, les chefs de l'armée et les gardes du Roi. Plusieurs de ces perfides conspirateurs furent découverts: convaincus d'un si grand crime, ils furent punis, et périrent justement, soit par la potence soit par d'autres genres de mort. Cependant quelques coupables prirent la fuite avant d'être accusés, et, convaincus par les remords de leur propre conscience, ils passèrent à l'étranger en abandonnant toutes leurs richesses et leurs dignités. Toutefois les plus puissans de ceux qui avaient tramé la révolte eurent la témérité de résister, et, au grand détriment du peuple, firent alliance avec les Ecossais, les Gallois et d'autres séditieux ou perfides. |
XV. Eventus varii in Hierosolymitano regno. In illo tempore, peregrini de partibus Eois advenerunt, dirosque rumores in Occiduo climate sparserunt, unde corda fidelium, quae amore Dei proximique flagrant, nimis contristata sunt. Narrant enim quod Poncius, Tripolitanus comes, eodem anno contra ethnicos pugnaverit, et ipse cum multis aliis ferro gentilium occubuerit. Hinc animatus Amir-Sanguim rex Haleph bellicas vires collegit, et in autumno cum ingenti excercitu Turcorum fines Christianorum introivit, atque ad bellum paratus Christianos provocavit. Quod audiens Fulco Hierosolymorum rex per totum suum regnum legatos direxit, et omnes, qui ad arma idonei erant, ad pugnam convocavit, et fere VI millia secum ad certamen duxit. Solas mulieres, et inermes clericos ad tutelam urbium dimisit, caeteros autem absque omni excusatione ad agonem ire praecepit. Tandem convenerunt pariter, et commisso conflictu utrinque pugnatum est acriter. Innumera quippe paganorum ceciderunt millia. Sed, judicante Deo, cujus judicia justa sunt et vera, pene tota Christianorum acies est collapsa, et praeter XXX milites penitus caesa. Solus enim rex, et decem de familia ejus commilitones, atque XVIII de militibus Templi evaserunt, ac ad quoddam castrum contra Damascum a Balduino primo constructum, quod Mons-Regalis vocatur, confugerunt, ibique aliquandiu inclusi fortiter restiterunt. Omnes itaque in confessione Christi corruerunt, praeter paucos, qui, ut dictum est, cum rege vix evaserunt. Porro Sanguim, licet multa suorum amisisset millia ferro Christianorum, optata tamen elatus victoria e vestigio subsecutus obsedit castellum, et residuos, qui de bello elapsi tutabant praesidium, nimis coarctavit multis modis impugnationum. Obsessi autem, quamvis pluribus molestarentur angustiis, praecipue tamen attenuati sunt anxietate famis, et pro penuria panis compulsi sunt vesci carnibus equinis aliisque immundis et insolitis. Ipse rex prae parcitate dapifer erat, atque frusta carnium asinorum seu canum singulis distribuebat. Interea Radulfus, Hierosolymitanus praesul, audito suorum infortunio, contristatus est, et qualiter inclusis martyribus auxiliaretur multa secum revolvens meditatus est. In primis fideles reclusos, qui coelesti theoriae in muris Hierusalem intendebant, peragravit, et ipsos et omnes alios Hierosolymitas ut Dominum Salvatorem omnium pro communi salute populi sui attentius exorarent, obsecravit. Deinde clericos et laicos eadem commonuit, et cunctis triduanum jejunium indixit; nec solum matronis, sed etiam infantibus, et jumentis affationem hujusmodi more Ninivitarum imposuit. Expleto autem libenter et devote jejunio, ad portum maris patriarcha perrexit, eique quod valde concupiverat Deo volente occurrit. Quatuor enim naves hominibus onustas littori appropinquantes de longe vidit, et per signum salutiferae crucis, quod in habitu eorum visu deprehenderat, Christianos esse cognovit. Gaudens igitur eos ad portum applicantes exspectavit, et de navibus egredientes reverenter salutavit. Productos autem in liberam planitiem sic affari coepit: Vere beati et amici Dei estis, quos ut suae beatitudinis participes praestolatur curia coelestis. Ecce jam si flagrat in vobis fides integra, eadem sine dubio vobis propinatur martyrii causa, pro qua sancti athletae Christi, Georgius et Theodorus, Demetrius et Sebastianus, contra Satanam ejusque satellites laboriose dimicaverunt, acriter certantes gloriose superaverunt, et perennem coronam triumphantes a rege Sabaoth acceperunt. Similis, oro, fortuna vobis comitetur, nec dispar merces a Deo vobis donetur. Ecce saevus Sanguim et gentilis exercitus terras nostras nuper invaserunt, et perempto exercitu Christi Hierosolymorum regem cum paucis in quodam castello pertinaciter obsederunt, et inclusos pluribus modis ad deditionem coarctare satagunt. Nostrates autem viri in Deo sperantes viriliter obstare moliuntur, mirabiliumque Dei memores velox auxilium ejus operiuntur: eligentes in nomine Domini magis per mortem socios sequi, quam cum dedecore profanis in vita sua subjugari. Jam satis eventum audistis. Et quia prudentes atque cordati homines estis, jam quid velim, et quid agi oporteat in tali negotio, bene perpenditis. His auditis, omnes alacriter adversum paganos sese obtulerunt, et obsessis fratribus suffragari totis nisibus optaverunt. Laetus igitur patriarcha dixit: Deo gratias agimus Adonai fortissimo, qui semper suos celeri dignatur relevare solatio. Nunc ergo vos, qui de natali solo pro coelesti amore progressi estis, et dilectas conjuges divitiasque diu quaesitas reliquistis, et huc per plures in mari et in terra molestias pervenistis: exempla sanctorum, sumentes scutum fidei, praetendite; et sanctuario Dei, quod de longinquo expetitis, constanter succurrite. Dominus vobiscum est, qui obsesso in Bethulia cito per feminam consolatus est. Nam per Judith viduam superbi caput Hotophernis amputavit, Assyriisque contritis sitientem populum pie refrigeravit, victoriaque simul innumerisque spoliis ditavit, et super omnes circumsitas nationes magnificavit. Ezechiae quoque regi in Hierusalem incluso per Isaiam prophetam securitatem mandavit, et sequenti nocte centum octoginta quinque millia Assyriorum per angelum combussit, tumidumque regem Sennacherib post blasphemias trucesque minas cum dedecore fugavit. Haec et alia multa his similia in divinis operibus considerate, et in Dei virtute confidentes certamen inite. Salutaribus itaque monitis coetus Christianos pontifex instruxit, et armatos ad phalanges Turcorum duxit. Speculatores autem paganorum grandem exercitum a mari venientem perspexerunt, et principi suo protinus annuntiaverunt. Ille vero promptos et dicaces legatos obviam misit, et per eos qui essent, vel quo tenderent, solerter inquisivit. At illi responderunt: Christiani sumus. Porro fratribus nostris, quos a paganis obsessos audivimus, auxiliari tota virtute cupimus. Alios quoque, qui jam perempti sunt, bello ulcisci peroptamus. Responsum est illis, ut ad praesens quiete silerent, et in die tertio ad pugnam parati essent. Interea callidus Sanguim Fulconem regem ad colloquium accersiit, eique inter plurimas versutas tergiversationes dixit: Nobilitati tuae multum condoleo, et quia rex es, tibi si vis parcere desidero. Optime novi esse tuum, et defectionem virium tuarum. Angustia famis cum omnibus, qui tecum inclusi sunt, nimium opprimeris, nec aliquod adminiculum ex qualibet parte praestolaris. Fac ergo pacem mecum. Castellum mihi cum omnibus, qui intus sunt, redde, et ego te permittam liberum abire. Fulco respondit: Absit a me, ut traditor fiam fratrum meorum. Hoc nullatenus facere diffinio, imo cum eis usque ad mortem perseverabo, et agonis finem patienter exspectabo. Sanguim dixit: Cum tuis loquere, et utile tibi tuisque consilium accipe. Parcam tibi quia rex es, et honorari debes. Castellum, et omnes captivos, quos retines de nostris, redde, omnesque quos habemus de vestris, recipe, et sic jurejurando firmata pace cum omnibus tuis libenter recede. Haec audiens Fulco, suos repetiit, et illis omnia quae audierat a tyranno, retulit; et quid in tam angustis rebus agendum esset interrogavit. At illi vicinum sibi nescientes auxilium, anxii velox dederunt concilium. Hortati sunt, ut turris redderetur pro ereptione Christianorum, ut Damascenis panderetur Montis-regalis oppidum, ne obsessi subirent mortis periculum, et Hierusalem civitas sancta sine defensore pateret ludibrio gentilium. Territus itaque Fulco rex consultui suorum acquievit, et cum Ethnicis pacem, quam poposcerant, cum sacramento pepigit. Sanguim praesidium, et nepotem suum, quem ceperant, recepit; et ipse nihilominus Christianis vinctos eorum, ut pactum fuerat, reddidit. Deinde triumphans et ludens tyrannus Fulconi dixit: Deceptus es, rex, et castra Christianorum, qui ad suffragium ejus venerunt, ostendit. Sed quamvis fideles super hoc sophismate moesti essent, mutari sententia nequivit. Data profecto securitate, rex et patriarcha, et fideles hinc et inde convenerunt; et a tyranno ut occisos in bello fratres suos sepelire sibi permitteret, petierunt. Annuente illo, corpora peremptorum quaesierunt, inventa diligenter et honorifice tumulaverunt, quibus dum aureos de digitis annulos extrahere vellent, non potuerunt. Viventes igitur omnipotentem Deum devote laudaverunt, et Christi martyres cum ornamentis suis veneranter humaverunt. |
Dans ce temps-là, des pélerins arrivèrent des contrées orientales, et répandirent dans l'Occident des bruits fâcheux qui contristèrent cruellement les cœurs des fidèles qu'enflammait l'amour de Dieu et du prochain. Ils racontaient que Pons, comte de Tripoli, avait combattu cette même année contre les Païens, et qu'il avait succombé avec beaucoup d'autres sous le fer de ces barbares. Animé par cet événement, Emir-Sanguin56, roi d'Alep, rassembla ses forces, pénétra, dans l'automne, avec une grande armée de Turcs, sur le territoire des Chrétiens, et les appela au combat après s'y être bien disposé. Foulques, roi de Jérusalem, ayant appris cet événement, envoya des courriers dans tout son royaume; il appela aux armes tous ceux qui y étaient propres, et conduisit au combat près de six mille hommes. Il ne laissa pour la garde des villes que les femmes et les clercs sans défense; et il ordonna à tous les autres de marcher à la guerre sans aucune excuse. Enfin les deux armées s'approchèrent, et, le combat s'étant engagé, on se battit avec acharnement de part et d'autre. Il tomba d'innombrables milliers de Païens; mais, par un jugement de Dieu, dont les décisions sont équitables et vraies, presque toute l'armée chrétienne fut anéantie et taillée en pièces, à l'exception de trente chevaliers. Le Roi seul, dix chevaliers de sa maison, et dix-huit chevaliers du Temple, échappèrent, et s'enfuirent à un certain château que Baudouin I avait bâti devant Damas, et que l'on appelle Mont-Réal57. Renfermés dans cette place, ils y résistèrent courageusement quelque temps. C'est ainsi que toute cette armée mourut en confessant le Christ, à l'exception, comme nous l'avons dit, d'un petit nombre qui échappa avec le Roi. Cependant Sanguin, fier de voir ses vœux comblés par la victoire, encore bien qu'il eût perdu plusieurs milliers des siens par le fer des Chrétiens, suivit de près les fuyards, assiégea le château, et gêna cruellement, par ses attaques, ceux qui restaient, et qui, ayant échappé à la défaite, défendaient la place. Affligés de toutes sortes d'angoisses, et surtout exténués par les souffrances de la famine, les assiégés étaient forcés de se nourrir de chair de cheval, et d'autres alimens soit immondes soit insolites. Le Roi lui-même, dans cette détresse, faisait les fonctions de sénéchal, et distribuait à chacun des morceaux de chair d'ânes et de chiens. Pendant ce temps-là, Raoul, patriarche de Jérusalem, ayant appris l'infortune de ses frères, fut profondément affligé, et songea beaucoup en lui-même aux moyens de secourir les martyrs renfermés à Mont-Réal. Il visita d'abord les fidèles reclus qui, dans l'intérieur de Jérusalem, s'appliquaient aux méditations célestes; il les supplia, eux et tous les autres habitans de Jérusalem, de prier avec ferveur le Seigneur, sauveur de tous les hommes, pour le salut commun de son peuple. Ensuite, il donna les mêmes avertissemens aux clercs et aux laïques, et prescrivit à chacun un jeûne de trois jours: à la manière des Ninivites, il imposa cette affliction non seulement aux hommes, mais encore aux enfans et aux femmes. Ce jeûne ayant été observé de bon cœur et avec dévotion, le patriarche se rendit au port de mer, et, par la volonté de Dieu, il vit arriver ce qu'il desirait vivement. Il aperçut de loin quatre navires chargés d'hommes qui s'approchaient du rivage, et reconnut qu'ils étaient chrétiens au signe de la croix du salut qu'il remarqua sur leurs habits. En conséquence, plein de joie, il attendit qu'ils eussent débarqué au port, et il les salua respectueusement à leur sortie des bâtimens. Quand ils se furent avancés sur une place libre, il leur parla ainsi: «Vous êtes véritablement des bienheureux et des amis de Dieu, vous que la cour céleste attend pour vous faire participer à ses béatitudes. Voilà déjà, si une foi pure brûle en vous, que sans aucun doute le même sujet de martyre vous est offert que celui pour lequel les saints champions du Christ, George et Théodore, Démétrius et Sébastien, combattirent avec tant de peine contre Satan et ses satellites, les vainquirent glorieusement après une lutte vigoureuse, et reçurent du roi Sabaoth l'éternelle couronne pour prix de leur triomphe. Je prie Dieu que vous ayez une semblable destinée, et qu'il vous accorde un prix égal. Voilà que le cruel Sanguin et l'armée des Païens viennent d'envahir notre territoire; ils ont massacré l'armée du Christ; ils tiennent le roi de Jérusalem opiniâtrément assiégé dans un château avec un petit nombre de chevaliers, et ils cherchent de toutes manières à les contraindre de se rendre. Mais nos compatriotes, qui espèrent en Dieu, essayent de résister vaillamment, se souviennent des merveilles célestes, et en attendent un prompt secours, choisissant, au nom du Seigneur, plutôt de suivre leurs compagnons égorgés, que d'être avec affront soumis vivans aux profanes. Vous avez déjà une connaissance suffisante de l'événement; et comme vous êtes prudens et gens de cœur, vous sentez bien ce que je veux, et ce qu'il faut faire dans cette circonstance.» A ces mots, tous s'offrirent gaîment à marcher contre les Païens, et desirèrent secourir de tous leurs efforts leurs frères assiégés. C'est pourquoi le patriarche leur dit avec satisfaction: «Nous rendons grâce à Dieu, au puissant Adonaï, qui daigne toujours relever les siens par une prompte consolation. En conséquence, vous qui, pour l'amour de Dieu, arrivez de votre pays natal, qui abandonnez vos épouses chéries, et vos biens acquis par de longs travaux, et qui touchez ces bords, après beaucoup de peines éprouvées sur mer et sur terre, suivez l'exemple des saints en prenant le bouclier de la foi, et secourez vaillamment le sanctuaire de Dieu que vous venez chercher de si loin. Le Seigneur est avec vous, lui qui se servit d'une femme pour assister promptement les assiégés de Béthulie. En effet, par la main de Judith, veuve sainte, il trancha la tête de l'orgueilleux Holopherne; il rafraîchit avec bonté son peuple altéré, après avoir écrasé les Assyriens; il lui accorda à la fois la victoire et un immense butin, et l'éleva au dessus de toutes les nations voisines. Par le prophète lsaïe il envoya la sécurité au roi Ezéchias, renfermé dans Jérusalem; puis, la nuit suivante, il fit brûler par l'ange exterminateur cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens, et mit honteusement en fuite l'orgueilleux roi Sennacherib, qui avait proféré des blasphèmes et d'atroces menaces. Considérez parmi les œuvres divines celles-ci, beaucoup d'autres ssmblables, et, confians dans la puissance de Dieu, marchez au combat.» C'est ainsi que, par de salutaires avis, le pontife instruisit les bataillons chrétiens, et les conduisit armés contre les phalanges des Turcs. Cependant les sentinelles de ces Païens virent venir de la mer une grande armée, et l'annoncèrent aussitôt à leur prince. Il envoya au-devant d'eux des députés éloquens et habiles, et les chargea de demander à cette armée ce qu'elle était et où elle allait. Les Croisés répondirent: «Nous sommes Chrétiens. Nous voulons secourir de toutes nos forces nos frères qui, comme nous l'avons appris, sont assiégés par les Païens, et nous desirons vivement venger, les armes à la main, ceux qui sont déjà morts.» On leur répondit de rester tranquilles pour le présent, et de se préparer au combat dans trois jours. Pendant ce temps-là, le rusé Sanguin engagea le roi Foulques à une entrevue, et, entre autres propos perfides, il lui dit: «Je compatis beaucoup à votre noblesse, et, comme vous êtes roi, je desire vous épargner, si vous voulez. Je connais parfaitement votre position et l'abattement de vos forces. Vous êtes, ainsi que tous ceux qui sont renfermés avec vous, accablés par les angoisses de la famine, et vous n'attendez aucun secours de nulle part. Faites donc la paix avec moi. Rendez-moi ce château avec tout ce qu'il renferme, et je vous laisserai partir en liberté.» Foulques répondit: «Loin de moi l'idée de trahir mes frères. Je ne me résoudrai à aucune action de ce genre; au contraire, je resterai avec eux jusqu'à la mort, et j'attendrai patiemment la fin de la lutte.» Sanguin ajouta: «Entretenez-vous avec vos chevaliers, et profitez de mes utiles conseils pour vous et pour les vôtres. Je vous ferai grâce parce que vous êtes roi, et devez être honoré. Rendez-moi ce château et tous les prisonniers de ma nation que vous retenez; recevez tous ceux que nous avons à vous, et, faisant ainsi la paix que nous jurerons, sortez avec tous les vôtres.» Foulques, ayant entendu cette proposition, alla retrouver ses compagnons, leur fit part des propositions du tyran, et leur demanda ce qu'il y avait à faire dans une telle détresse. Comme ils ignoraient le secours qui s'approchait, ils s'empressèrent, dans leur anxiété, de communiquer leur avis: ils exhortèrent le Roi à rendre la tour pour la délivrance des Chrétiens, à ouvrir les portes de Mont-Réal aux habitans de Damas, afin que les assiégés ne fussent pas exposés à la mort, et que la sainte ville de Jérusalem ne fût pas, sans défenseur, livrée à la risée des Païens. En conséquence, le roi Foulques, effrayé, se rendit à l'avis de ses compagnons, et jura avec les Païens la paix qu'ils desiraient. Sanguin reçut la place et son neveu qui avait été pris, tandis que lui, de son côté, rendit aux Chrétiens leurs prisonniers comme il était convenu. Ensuite le tyran, triomphant et moqueur, dit à Foulques: «Roi, vous êtes dupe!» et il lui fit voir l'armée chrétienne qui venait secourir Mont-Réal. Quoique les fidèles fussent affligés de cette perfidie, on ne put se dédire. Après avoir donné des sûretés, le Roi, le patriarche et les fidèles se réunirent, et demandèrent au tyran la permission de donner la sépulture à leurs frères, qui avaient péri pendant la guerre. Sanguin y ayant consenti, les Chrétiens cherchèrent les corps de leurs frères défunts; ils les enterrèrent diligemment et honorablement après les avoir trouvés; mais ils ne purent leur tirer des doigts leurs anneaux d'or. En conséquence ils louèrent dévotement le Seigneur tout-puissant, et inhumèrent respectueusement avec leurs ornemens les martyrs du Christ. |
XVI. Constantinopolitanus imperator Joannes Antiochiae urbe potiri molitur. Raymundus Antiochiae princeps sponte vassallus imperatoris Joannis fit. Eadem tempestate, quando Hierosolymitae flebiliter, ut dictum est, ab Ethnicis afflicti sunt. et Raimundus Antiochiae princeps, aliique virtuosi milites, necessitate fratrum comperta, illis subvenire festinaverunt, Joannes imperator Contantinopolitanus ingentem exercitum de omni ditione sua, quae satis ampla est, contraxit, et Antiochiam metropolim Syriae, quam de imperio suo esse calumniabatur, obsedit. Praefatus autem Raimundus, qui tunc principatum habebat, Guillelmi Pictavensium ducis filius erat. Hic nimirum post mortem Henrici regis Eoas partes adiit, et filiam Buamundi junioris dono Fulconis consobrini sui sibi datam conjugem duxit, latumque principatum in Syria, largiente Deo, vindicavit, qui dum ad auxilium regis Hierusalem, ut jam dixi, contra paganos properaret, et in illo itinere adventum imperatoris ad obsidionem urbis audiisset, tam grandi turbine commotus cum sociis turmis confestim remeavit; suisque, qui sine tutore trementes in civitate oppilabantur, succurrere properavit. Cum autem urbi appropinquasset, et formidine anxius esset, quod circumvallantem exercitum irrumpere et urbem introire non posset, de imminenti negotio cum suis tractare coepit, quorum unus, quem vere magnanimum arbitror, illi dixit: Satis notum est, quod Graeci prudentia pollent, et eloquentia caeteris nationibus eminent, sed in arduis rebus audacia et fortitudine carent. Unde, o probi commilitones, et probati athletae, si meis dignamini consiliis acquiescere, arma vestra viriliter sumite, et armati tanquam de turmis imperialibus usque ad ipsius Augusti tentorium silenter ite, et Ionias legiones penetrate. Tunc prope imperatoris aures terribiliter exclamate, et qui sitis audacter demonstrate. Haec audientes alii ad arduum opus animati sunt, monitisque magnanimi militis noctu insigniter obsecundaverunt. Franci siquidem ad tentorium augustale pervenientes exclamaverunt, et obstantes hostiliter percutere coeperunt. Repentinas vociferationes ferorum Francorum securus Augusti exercitus ex insperato audivit, nimiumque territus, pariterque turbatus et expers consilii fugam iniit, et relictis omnibus per tria milliaria, quasi gladium cervicibus suis imminere vidisset, fugit. Raimundus autem dux, Pelasgis cum suo imperatore fugientibus, perstitit, nec diutius cum paucis innumeros persequi voluit; sed laetis modum ponens, in urbem suam introivit, et ingens gaudium Antiochenis, donante Deo, suppeditavit. Orto siquidem sole, cives exierunt, ingentes in archivis tentoriis divitias invenerunt, avide diripuerunt, laetique in urbem spolia devexerunt. Porro, imperator cum suis fugiendo fatigatus quievit, confusus et indignans a quo fugatus fuisset inquisivit, et Aquitanorum audaciam, prosperumque eventum agnoscens erubuit. Rursus exercitum congregavit, et praefatum principem ad colloquium invitavit. Magnanimus heros, qui prius dederat dimicandi consilium, denuo duci suasit ne respueret pacis colloquium, dicens nunc tractare de pace esse honorabile et valde commodum. Ille acquievit, ad concionem abiit, eique imperator ait: Antiochena civitas de imperio Constantinopolitano est. Buamundus vero princeps homagium patruo meo fecit, et cum reliquis proceribus Occidentis paravit, quod si omnia, quae Turci abstulerant, et ipse recuperare posset, sacro imperio restitueret. Hoc itaque pactum a te, qui nunc principaris, exigo, et urbem imperii nostri, quam usurpas, reposco. Raimundus respondit: De avitis conditionibus tecum placitare nolo. Urbem hanc a rege Hierusalem cum filia principis recepi, eique ut domino fidem promisi. Vestras igitur ratiocinationes ostendam, et persuasionibus ipsius in omnibus obediam, nec aliquam deliberationem in hoc negotio sine illius consilio faciam. His ita dictis, imperator approbans quod fidem domino servaret, inducias dedit ut praefatum regem expeteret, et quid agendum esset legaliter ab ipso indagaret. Cumque legatio hujusmodi ad regem, qui tunc aegrotabat, destinata fuisset, ipse causa suis necessariis amicis manifestata, respondit: Omnes satis novimus, ut a majoribus jamdudum didicimus, Antiochiam de imperio Constantinopolitano esse, et a Turcis XIV duntaxat annis Augusto subtractam, sibique subactam fuisse: et reliqua, quae imperator asserit de antecessorum pactis nostrorum, vera esse. Non debemus veritatem abnegare, et rectitudini resistere. Nequaquam, praesertim cum ego gravi detineor infirmitate. Unde non possum consanguineo meo succurrere. Nam propter aestus, et curas, atque labores, quos perpessus sum, et infirmas escas, quibus infeliciter inclusus in Monte regali nuper usus sum, lethiferam aegritudinem cum sodalibus meis incurri. Ideoque nunc praepedior consobrino meo ad certamen adminiculari. Nostram igitur excusationem agnoscentes, ite, dominoque vestro ex mea parte dicite, ut pacem cum imperatore faciat, meoque jussu ab ipso cujus juris est urbem recipiat, et legaliter teneat. Christianus enim est imperator, magnaeque potentiae, et a Francis honoratus. Si vult, admodum valet illos adjuvare. Reversi vero legati responsa congrue reddiderunt, duoque principes pacem peregrinis et universis in Christo credentibus, qui in Graecia sive Syria morabantur, commoda inter se confirmaverunt. Raimundus itaque homo factus Augusti, Antiochiam ab illo accepit; et imperator illi amicitiam et auxilium contra Damascum omnesque gentiles promisit. Haec itaque guerra, quae per annos ferme XL damnose perduravit, et per Buamundos eorumque successores contra Alexium orta, agitata, innumeris millibus vincula, perniciemque, et multa detrimenta contulit: favente Deo, nunc sub principibus Joanne Augusto et Raimundo Pictavensi, multis utriusque partis gaudentibus, cessavit |
Dans ce même temps, pendant que les habitans de Jérusalem éprouvaient, ainsi que nous l'avons dit, tant d'afflictions de la part des Païens, et que Raimond, prince d'Antioche, et d'autres vertueux chevaliers accouraient au secours de leurs frères, dont ils avaient appris la détresse, Jean, empereur de Constantinople, rassembla une grande armée de tous ses Etats, qui sont très-considérables, et mit le siége devant Antioche, métropole de la Syrie, qu'il réclamait comme faisant partie de son Empire. Raimond, dont nous venons de parler, et qui possédait alors cette principauté, était fils de Guillaume, duc de Poitiers. Après la mort du roi Henri, il s'était rendu en Orient, avait épousé la fille de Boémond le jeune, qui lui avait été donnée en mariage par Foulques son cousin, et avait obtenu des bontés de Dieu une grande principauté en Syrie. Comme il se rendait, ainsi que je l'ai dit, au secours du roi de Jérusalem contre les Païens, il apprit en chemin l'arrivée de l'Empereur pour assiéger Antioche; affligé de cette grave inconstance, il s'en retourna aussitôt avec les troupes qui l'accompagnaient, et se hâta de secourir les siens qui, tremblans et sans chef, étaient renfermés dans la place. Comme il s'en approchait, et que, dans sa crainte, il ne savait s'il pourrait traverser l'armée assiégeante et pénétrer dans la ville, il s'entretint de son embarras avec ses amis, dont l'un, qui me semble tout-à-fait magnanime, lui parla en ces termes: «Il est assez connu que les Grecs ont beaucoup de prudence, et qu'ils surpassent en éloquence les autres nations; mais, dans les circonstances difficiles, ils manquent d'audace et de courage. C'est pourquoi, vaillans compagnons d'armes, champions éprouvés, si vous daignez suivre mes avis, prenez vaillamment les armes; bien armés, marchez en silence jusqu'aux tentes de l'Auguste lui-même, comme si vous faisiez partie des troupes impériales, et traversez les légions grecques. Alors jetez des cris terribles aux oreilles de l'Empereur, et montrez hardiment qui vous êtes.» A ces mots, les autres guerriers s'excitèrent à cette difficile entreprise, et suivirent hardiment pendant la nuit les conseils du magnanime chevalier. En conséquence, les Français, parvenus à la tente de l'Empereur, jetèrent de grands cris, et se mirent à charger rudement tout ce qui était devant eux. L'armée impériale, qui se croyait en sûreté, entendit, sans s'y attendre, les cris jetés à l'improviste par les fiers Français. Saisie d'une terreur panique, également troublée et privée de conseils, elle se mit en déroute, et abandonnant tout, elle s'enfuit pendant trois milles, comme si chacun eût vu le glaive menacer sa tête. Le duc Raimond, voyant fuir les Grecs avec leur Empereur, s'arrêta, ne voulut pas poursuivre longtemps tant de monde avec un si petit nombre de troupes; et mettant des bornes au massacre, il entra dans sa ville, et procura, par la grâce de Dieu, une grande joie aux habitans d'Antioche. Au lever du soleil, ils sortirent de la ville, trouvèrent dans les tentes des Grecs des richesses considérables qu'ils enlevèrent avec avidité et transportèrent avec joie chez eux. Cependant l'Empereur, fatigué de fuir avec son armée, s'arrêta; confus et indigné, il s'informa de la cause de la déroute, et fut honteux en apprenant l'entreprise et l'heureux succès des Aquitains. Il rassembla son armée, et invita le duc à une entrevue. Le magnanime guerrier, qui avait donné le conseil de livrer bataille, persuada au duc de ne pas repousser cette proposition, disant qu'il était désormais honorable et grandement avantageux de traiter de la paix. Raimond y consentit, et partit pour l'entrevue dans laquelle l'Empereur lui dit: «La ville d'Antioche appartient à l'empire de Constantinople. Le prince Boémond fit hommage à mon père, et jura avec les autres seigneurs d'Occident de restituer à ce saint Empire tout ce que les Turcs avaient enlevé, et qu'il pourrait recouvrer. En conséquence j'exige de vous, qui maintenant possédez la principauté d'Antioche, que vous mainteniez ce traité, et je réclame pour l'Empire cette ville que vous usurpez.» Raimond lui fit cette réponse: «Je ne veux point discuter avec vous les conditions arrêtées par mes aïeux. J'ai reçu cette ville du roi de Jérusalem avec sa fille, et je lui ai donné ma foi comme à mon seigneur. Je lui ferai donc part de vos demandes: j'obéirai en tout à ses conseils, et, dans cette affaire, je ne délibérerai sur aucun point sans l'avoir consulté.» A ces mots, l'Empereur approuvant que Raimond gardât sa foi à son seigneur, accorda une trève pour que le duc allât trouver son roi, et lui demandât ce qu'il était légitime de faire. Quand ce message fut parvenu au Roi, qui alors était malade, il répondit, après avoir communiqué l'affaire à ses amis intimes: «Nous savons tous suffisamment, comme nous l'avons appris depuis long-temps de nos ancêtres, que la ville d'Antioche fait partie de l'Empire de Constantinople, qu'elle a été ravie à l'Empereur par les Turcs pendant quatorze années, que c'est pour lui qu'elle a été conquise; ce que l'Empereur avance sur les traités de nos prédécesseurs est conforme à la vérité. Devons-nous nier ce qui est vrai et repousser ce qui est juste? Non, sans doute, surtout quand je suis retenu par une grave infirmité, à raison de laquelle je ne saurais secourir mon cousin. En effet, j'ai gagné, avec mes compagnons, une maladie mortelle, pour avoir souffert de la chaleur, des inquiétudes et des travaux, et pour m'être nourri de mauvais alimens pendant que nous étions déplorablement renfermés à Mont-Réal. Telles sont les causes qui m'empêchent de seconder mon cousin dans aucune guerre. Vous connaissez mes motifs d'excuse: allez donc, et dites de ma part à votre maître qu'il fasse la paix avec l'Empereur, et que je lui ordonne de recevoir Antioche de celui auquel elle appartient, et de la tenir de lui avec loyauté. En effet, l'Empereur est chrétien; il jouit d'une grande puissance, il est honoré par les Français. S'il le veut, il peut les servir beaucoup.» A leur retour, les envoyés firent convenablement part de la réponse du Roi. Les deux princes conclurent entre eux une paix avantageuse aux croisés et à tous les Chrétiens qui habitaient soit en Grèce, soit en Syrie. Ainsi Raimond, devenu le vassal de l'Empereur, reçut de lui la ville d'Antioche, et l'Empereur lui promit son amitié et son assistance contre Damas et tous les Païens. C'est ainsi que cette guerre, qui avait pernicieusement duré pendant près de quarante ans, et qui, suscitée et continuée par les Boémond et leurs successeurs contre Alexis, avait occasioné à d'innombrables milliers d'hommes la captivité, la mort-même, et beaucoup de dommages, cessa présentement, par la faveur de Dieu, sous l'empereur Jean et le duc Raimond de Poitiers, à la satisfaction réciproque des deux parties. |
XVII. Eventus varii in Francia, Anglia, Apulia et Normannia. Andegavensis comes bellum renovat in regem Angliae. Anno ab Incarnatione Domini 1138, indictione I, Ludovicus Juvenis rex Francorum apud Bituricam in Natali Domini coronatus est: ibique ingens curia nobilium et mediocrium virorum de omni Gallia et Aquitania, aliisque circumsitis nationibus aggregata est. Illuc metropolitani praesules, eorumque suffraganei convenerunt. Illuc consules, aliaeque dignitates confluxerunt, suumque famulatum novo regi exhibuerunt. Petrus Anacletus, qui sedem apostolicam fere VII annis usurpaverat, in cathedra sedens, VIII Kalendas Februarii subita morte decessit; atque, ut fertur, a fratribus suis, filiis videlicet Petri Leonis, quorum in urbe Roma maxima potestas est, ita occultatur, ut ubi cadaver ejus sepultum sit, ignoretur. Sequenti quoque mense, fama longe personuit quod Rogerius Apuliae dux defunctus esset quem praefatus schismaticus in regem Siciliae consecraverat, dataque sorore sua, sibi ad perturbandum Ecclesiae jus asciverat. Porro Lotharius imperator, ut Rogerii occasum audivit, in Apuliam festinavit, eamque sibi, secundum morem antiquum statumque Romanorum, subjugare sategit. Stephanus vero rex cum in Angliam venisset et machinationem quorumdam contra publicam regni utilitatem comperisset, indignatus contra rebelles, importune arma sustulit, et prohibente fratre suo Henrico Guentoniensi praesule, Bedafordam obsedit, ibique Natale Domini, hibernis ingruentibus pluviis, laboriose peregit et nihil profecit. Nam filii Rodberti de Bellocampo munitionem fortiter tenuerunt, neque regi, donec praefatus praesul frater ejus adesset, aliquomodo humiliati sunt. Non enim debitam subjectionem sive servitium domino denegare suo decreverunt; sed quia regem Hugoni cognomento Pauperi filiam Simonis de Bellocampo dedisse cum patris honore audierunt, totam haereditatem suam amittere verentes, consultu amicorum pertinaciter restiterunt. Tandem pontifici post quinque septimanas advenienti acquieverunt, et per ejus consilium quod sibi utile opinabantur et opem, cum rege pacificati sunt, et oppidum reddiderunt. In Normannia Rainaldus de Dunstani-villa, filius (nothus) Henrici regis, provinciam Constantini turbabat, et sorori suae favens Andegavinis adhaerebat. Balduinum quoque de Raduariis et Stephanum de Magna-villa, aliosque Stephani regis inimicos secum habebat. Sed Rogerius vicecomes acriter ipsis obstabat, patriamque protegens hostium perversis conatibus insigniter resistebat. Hostibus admodum terribilis in primis visus est; sed in hujus saeculi salo nulla potentia longa est. Inimici siquidem ejus prosperitati nimis invidentes, insidias illi paraverunt et perniciem ejus machinati sunt. Quadam die cursores ad diripiendam praedam destinaverunt, et quidam milites in latebris abditi, sanguinem fundere avidi, praestolati sunt. Orto autem clamore, Rogerius arma cum suis arripuit, et praedones cum praeda persequens, in manus insidiantium incidit. At illi ut famelici leones de insidiis prosilientes, incautos percusserunt, et Rogerium, pro vita sua vociferantem et multa pollicentem, absque misericordia jugulaverunt. Rectore itaque interfecto, totus pagus desolatus est, ac praedonum rabies super pagenses immoderate saeviens admodum effrenata est. Mense Januario, Simon Rufus, Balduini filius, Rodberto Geroii filio permittente, castrum Escalfoii introivit, et aggregata secum turma satellitum, terram Rodberti comitis de Legrecestra in Ebroicensi praesulatu devastare coepit; erat enim miles acerrimus, audax et manu promptus, largus commilitonibus et in duris exercitiis obstinatus, ideoque ad arduos et truces ausus temerarius. Denique ut ipse depopulationem patriae inchoavit, Riboldus frater ejus ad nefas eidem adhaesit, ipsumque in munitione, quae Pons-Erchenfredi dicitur, suscepit. Guillelmus autem Fraxinellus et sex fratres ejus, et Alanus de Taneto, et Ernaldus dapifer comitis et oppidani Glottenses insurrexerunt, ac Pontem-Erchenfredi et monasteriolum atque circumjacentes vicos combusserunt. Tam feralis furia utrosque invasit, et in tantum nefas omnes praecipitavit, ut nullam sanctis locis reverentiam servarent, nec religiosis hominibus nec innocentibus villanis viduisque parcerent, nec sanctis diebus Quadragesimae manus studiumque a scelere coercerent. Biennales treviae quae inter regem et Andegavensem Joffredum pactae sunt, pluribus modis contaminatae sunt. Satellites enim comitissae in Quadragesima Radulfum de Axone virum potentem comprehenderunt, dominaeque suae vinculis arctandum tradiderunt; quem ipsa diu tenuit, nec abire, donec munitiones suas redderet, permisit. At contra Engelrannus de Soria, aliique regii clientes Rainaldum et Balduinum extra castrum de Ulmo pertinaciter repererunt, et commissa cominus pugna, Balduinum et alios plures ceperunt. Ibi nimirum dum maxime pugnaretur, et adhuc in dubio esset cui victoria daretur, quidam de parentibus et amicis Rogerii vicecomitis, ut locum et tempus ultionis nacti sunt, strictis ensibus in suos conversi, plures de interfectoribus illius occiderunt, et sic adversae parti victoriae pompam procuraverunt. Ecce, sicut Dominus ait: Qui acceperit gladium, gladio peribit (Matth. XXVI, 52) , furialis societas, quae Rogerium Nigelli filium paulo ante crudeliter trucidavit, ab amicis illius ex improviso percussa inter suos decidit. Eodem tempore, Theodoricus Flandrensis satrapa filiam suam filio Stephani regis conjugem dedit, totumque ducatum Flandriae dimisit, deinde crucem Domini accepit . Mense Maio, Gualerannus comes et Guillelmus de Ipro in Normanniam transfretaverunt, et nimis turbatae regioni subvenire conati sunt. In primis contra Rogerium de Conchis arma levaverunt; sed fortuna variante, bellicosum militem ac ad resistendum sibi paratum repererunt. Unde furorem suum super pagenses jaculati sunt; et utrique ad praedam currentes, incendiis et rapinis provinciam devastaverunt, direptisque rebus necessariis, inermem populum desolationi subdiderunt. Andegavensis Joffredus mense Junio in Normanniam cum militari manu venit, et Rodbertum comitem Gloucestrae precibus et promissis ad suam partem inclinavit, per quem Bajocas et Cadomum et plura Normanniae oppida sibi subjugavit. In Anglia vero praesules et oppidani quamplures, ut praefatum comitem, cujus potestas magna erat in utrisque regnis, Andegavensibus adminiculari audierunt, nequitiam quam penes se occultabant, protulerunt, et contra regem rebellaverunt. Mense Julio, Gualerannus comes et Guillelmus de Ipro, dolentes quod per intestinam proditionem hostes praevaluerint, atque Normannos, qui externos hostes in exteris sedibus superaverunt, plerumque jam conculcaverint; Radulfum de Parrona cum CC militibus ad auxilium sui accersierunt, aliosque auxiliares undique convocantes, in Andegavinos ire decreverunt. Rodbertus autem de Curseio comiti Joffredo nuntium confestim direxit, et machinationem suorum eidem intimavit, ut ocius de Normannia egrederetur, majoremque sibi opportunitatem praestolaretur. Quo audito, protinus cum suis meticulosus recessit; unde adversariorum conglobata multitudo admodum doluit quod hostilis exercitus repentina discessione evaserit. Verum ne mille milites frustra congregati viderentur, et sine aliqua probitate ad sua regrederentur, Cadomum adierunt, provinciam undique depopulati sunt, et castrenses extrahere de munitione conati sunt. Sed Rodbertus comes factiones utriusque partis valde metuit, ideoque cum centum militibus callide intus delituit; equites solummodo XL egressi sunt, et in stricto calle super Olnam hostibus occurrerunt, et utrique nimis atrociter conflixerunt. Ibi Rodbertus Bertrannus et Joannes de Jorra nobiles et pulchri milites occisi sunt, et plures ex utraque parte vulnerati sunt; pro quorum infortunio tristi plures contristati sunt. Praefatus comes Gloucestrae, per quem magnae perturbationis occasio surrexerat, dono Henrici regis patris sui potentiam in Anglia possidebat, divitiis et oppidis virisque ferocibus pollebat; nam munitionem Gloucestrae et Cantuariae servabat, oppida quoque munitissima Brighton, et Ludas atque Doveram habebat. Unde multi eidem faventes rebellando regem offenderunt, et provincias sibi contiguas furiis agitati perturbaverunt, multisque modis depopulati sunt. In primis enim Goiffredus, cognomento Talabot, Herfordam urbem invasit, ibique scelerosis complicibus ad nefas aggregatis, in regem rebellavit. Gualchelmus autem, cognomento Maminot, tenuit Devoram, et Rodbertus, Alveredi de Lincolnia filius, arcem Guarham et Morguam, Gualchelmus Ucham, et Guillelmus de Moun Devestornam, Guillelmus vero juvenis cognomento Puerellus, quatuor oppida habebat, id est Brunam, Elesmaram, Obretonam, et Guitentonam, et his turgidus augebat rebellantium turmam. Radulfus autem Lupellus munitionem, quam Cari nominant, tenuit; Guillelmus vero filius Joannis Harpetro munivit, aliisque rebellibus associatus, natale solum inquietare sategit. Porro David, Scotiae rex, propter fraudulentam invitationem factiosorum, a quibus ad patriae detrimentum lacessitus fuerat, seu propter jusjurandum quod, jubente Henrico rege, jam nepti suae fecerat, pestiferos regni perturbatores pro favore Andegavensium adjuvabat. Carduilum quippe validissimum oppidum, quod Julius Caesar, ut dicunt, condidit, tenebat; ibique Scottorum ferocissimam manum collocaverat. Illi nimirum Angliam crudeliter invaserunt, finitimosque populos bello impetierunt, et belluino more barbariem suam in eis exercuerunt. Nulli ei parcebant, sed juvenes et senes pariter interficiebant; mulieres quoque praegnantes saevo ense dissectis visceribus enecabant. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1138, Louis-le-Jeune, roi des Français, fut couronné à Bourges le jour de la Nativité du Seigneur. Il se réunit dans cette ville un grand concours de personnages, tant nobles que de moyen état, de toute la France, de l'Aquitaine et des autres contrées voisines. Les prélats métropolitains et leurs suffragans s'y trouvèrent; les comtes et les autres seigneurs titrés y accoururent, et offrirent leur hommage au nouveau Roi. Pierre Anaclet, qui, pendant près de sept ans, avait usurpé le siége apostolique, mourut subitement sur sa chaise le 8 des calendes de février (25 janvier). On rapporte que ses frères, qui étaient fils de Pierre Léon, et qui jouissaient d'une grande puissance dans la ville de Rome, cachèrent tellement son corps qu'on ignora où il avait été enseveli. Dans le mois suivant, le bruit se répandit au loin que Roger, duc de la Pouille, venait de mourir. Le pape schismatique, dont nous avons parlé, l'avait consacré roi de Sicile; et, lui ayant donné sa sœur, se l'était attaché pour troubler les droits de l'Eglise. L'empereur Lothaire ayant appris la mort de Roger, se rendit en hâte dans la Pouille, et, suivant l'usage des Empereurs, s'appliqua à la soumettre, ainsi que l'Etat Romain. Le roi Etienne étant venu en Angleterre, et y ayant découvert les trames de quelques factieux contre le bien public du royaume, prit les armes mal-à-propos dans son indignation contre les rebelles, et malgré son frère Henri, évêque de Winchester, il assiégea Bedford; mais les pluies d'hiver tombèrent en abondance à l'époque de Noël, il eut beaucoup de peine et ne réussit pas. En effet, les fils de Robert de Beau-Champ58 défendirent courageusement la place, et refusèrent de se soumettre au Roi en quelque manière que ce fût, jusqu'à ce que son frère l'évêque de Winchester fût présent. Ils résolurent de ne pas refuser a leur seigneur la soumission ni le service qui lui étaient dus; mais, comme ils avaient appris que le Roi avait donné à Hugues, surnommé le Pauvre, la fille de Simon de Beau-Champ, avec les biens de son père, ils résistèrent opiniâtrement, de l'avis de leurs amis, et dans la crainte de perdre leur héritage. Enfin, le prélat étant arrivé au bout de cinq semaines, ils se rendirent; et par son conseil, qu'ils regardaient comme sage, ainsi qu'au moyen de son assistance, ils firent la paix avec le Roi, et rendirent la place. En Normandie, Renaud de Dunstanville, fils du roi Henri, troublait le Cotentin, et, d'accord avec sa sœur, s'était lié aux Angevins. Il avait avec lui Baudouin de Reviers, Etienne de Magne-Ville59, et les autres ennemis du roi Etienne; mais le vicomte Roger leur résistait vigoureusement, et, protégeant le pays, le défendait brillamment contre les perverses attaques de l'ennemi. Il paraissait formidable à tous ses adversaires; mais dans les vicissitudes de ce siècle aucune puissance n'est durable: ses ennemis, profondément jaloux de son bonheur, lui tendirent des embûches et machinèrent sa perte. Un jour, ils envoyèrent des coureurs au pillage, tandis que quelques chevaliers, cachés dans une embuscade, attendaient avec avidité l'occasion de verser le sang. Un grand bruit s'étant élevé, Roger prit les armes avec ses compagnons, et, poursuivant les brigands chargés de butin, il tomba dans les mains de ses ennemis embusqués. Ceux-ci, s'élançant de leurs retraites, comme des lions affamés, chargèrent la troupe de Roger, prise au dépourvu, et sans pitié égorgèrent ce vicomte, qui demandait la vie et faisait de grandes promesses. Le gouverneur ayant été mis a mort, tout le pays fut désolé, et la rage des brigands, opprimant sans frein les paysans, n'a pu jusqu'à ce jour être réprimée dans ses excès. Au mois de janvier, Simon-le-Roux, fils de Baudouin, entra dans le château d'Echaufour, avec la permission de Robert, fils de Giroie; et ayant réuni une troupe de satellites, il se mit à ravager les terres de Robert, comte de Leicester, dans l'évêché d'Evreux. Le Roux était un chevalier entreprenant, hardi, prompt de la main, libéral envers ses compagnons d'armes, infatigable dans les plus rudes exercices, et par conséquent téméraire dans les entreprises difficiles et cruelles. Dès qu'il eut commencé à ravager le pays, son frère Ribould vint partager ses crimes, et le reçut dans la forteresse que l'on appelle le Pont-Echenfrei. Guillaume Frénel et ses six frères, Alain du Thennie et Ernauld, sénéchal du comté, ainsi que les habitans de Glos, se soulevèrent et brûlèrent le Pont- Echenfrei, Montreuil60 et les bourgs circonvoisins. Alors une fureur cruelle s'empara des deux partis, précipita tout le monde vers le crime, à tel point que l'on ne conserva nul respect pour les saints lieux, que l'on n'épargna ni les hommes consacrés à la religion, ni les paysans innocens, ni les veuves, et qu'on ne cessa d'appliquer au crime son esprit et ses mains, même pendant les saints jours du carême. La trève de deux ans, qui avait été conclue entre le roi d'Angleterre et Geoffroi d'Anjou, fut violée de beaucoup de manières. En effet, les soldats de la comtesse s'emparèrent, pendant le carême, de Raoul de Lasson61, homme puissant, et le livrèrent à leur maîtresse pour le resserrer dans les fers. Elle l'y retint longtemps, et ne lui rendit la liberté qu'après qu'il eut remis ses places fortes. D'un autre côté, Enguerrand de Sai62 et quelques autres partisans du Roi attaquèrent vivement dans une rencontre Renaud et Baudouin hors du château d'Ommoi63, et, ayant engagé le combat de près, ils prirent Baudouin et quelques autres personnes. Pendant qu'on se battait là avec acharnement, et que la victoire restait douteuse entre les deux partis, quelques parens et amis du vicomte Roger, trouvant là le lieu et le temps de la vengeance, tirèrent l'épée contre les leurs, tuèrent plusieurs de ses meurtriers, et procurèrent ainsi l'honneur de la victoire au parti opposé. Ainsi, comme le Seigneur l'a dit: «Celui qui se sert du glaive périra par le glaive.» Cette réunion de furieux qui, peu auparavant, avait tué cruellement Roger, fils de Néel, frappée tout à coup par ses amis, succomba au milieu de ses propres partisans. Dans le même temps, Thierri, comte de Flandre, donna sa fille en mariage au fils du roi Etienne, lui remit tout le duché de Flandre, prit la croix, se rendit à Jérusalem, et à son retour fit la guerre au jeune prince qui était son gendre. Au mois de mai, le comte Galeran et Guillaume d'Ypres passèrent en Normandie, et cherchèrent à secourir cette contrée cruellement troublée. D'abord ils marchèrent contre Roger de Conches; mais, au sein des vicissitudes de la fortune, ils trouvèrent ce belliqueux chevalier disposé à les recevoir. C'est pourquoi ils déchargèrent leur fureur sur les paysans, et, courant tout deux au butin, ils dévastèrent le pays par le pillage et l'incendie; et enlevant les choses nécessaires à la vie, ils livrèrent à la désolation le peuple désarmé. Geoffroi d'Anjou arriva au mois de juin en Normandie, et attira dans son parti, à force de prières et de promesses, Robert, comte de Glocester, qui lui soumit Bayeux, Caen, et plusieurs autres places. En Angleterre, les prélats et quelques châtelains, ayant appris que le comte Robert, dont le pouvoir était grand, prêtait son assistance aux Angevins dans les deux Etats, manifestèrent la méchanceté qu'ils avaient tenue cachée, et se révoltèrent contre le Roi. Au mois de juillet, le comte Galeran et Guillaume d'Ypres, affligés de voir l'ennemi prévaloir, grâce aux trahisons intestines, et fouler souvent aux pieds les Normands, qui, dans les pays étrangers, avaient triomphé de tous leurs ennemis, appelèrent à leur secours Raoul de Péronne avec deux cents chevaliers, et firent marcher contre les Angevins d'autres auxiliaires qu'ils attirèrent de divers points. Cependant Robert de Courci envoya sans tarder un courrier au comte Geoffroi, pour lui faire connaître les machinations des siens, en lui mandant de quitter au plus vite la Normandie, et d'attendre un moment plus favorable. A la réception de ces dépêches, Geoffroi, effrayé, se retira avec son armée: ce qui affligea beaucoup la troupe de ses ennemis, désolés de voir partir si subitement leurs adversaires. Toutefois, pour qu'on ne vît pas mille chevaliers réunis en vain, et s'en retournant sans coup férir, ils marchèrent vers Caen, ravagèrent le pays aux environs, et tâchèrent d'attirer la garnison hors de la place. Le comte Robert craignait beaucoup les entreprises des deux partes, et resta sagement renfermé dans la place avec cent chevaliers. Quarante chevaliers seulement sortirent, marchèrent à la rencontre de l'ennemi dans un vallon étroit, sur les bords de l'Orne, et engagèrent un combat terrible. Là Robert Bertrand et Jean de Joo64, nobles et beaux chevaliers, furent tués; un grand nombre de personnes furent blessées de part et d'autre; leur infortune déplorable affligea beaucoup de monde. Le comte de Glocester, dont nous avons parlé, et qui avait été cause d'un grand trouble, tenait du roi Henri son père beaucoup de puissance en Angleterre, possédait beaucoup de richesses, de châteaux et de vaillans vassaux. En effet, il commandait dans les plaies fortes de Glocester et de Cantorbéry, de Bristol, de Lydd et de Douvres. Aussi ses partisans nombreux firent, en se révoltant, beaucoup de tort au Roi; agités par les furies, ils troublèrent les provinces voisines, et les ravagèrent de toutes manières. D'abord Goisfred, surnommé Talabot, s'empara de la ville d'Hereford, et s'y étant réuni à des scélérats qu'il s'associa pour le crime, il se révolta contre le Roi. Gaulchelin, surnommé Maminot, occupa Douvres; Robert, fils d'Alvered de Lincoln, s'assura de la citadelle de Wareham; le Gallois Morgan, d'Okeham, et Guillaume de Moun, de Downton. Le jeune Guillaume, surnommé Peveril, possédait quatre places, savoir, Born, Elesmare, Obreton et Guitenton; et il vint, plein d'orgueil, augmenter les forces des révoltés. Raoul Louvel s'établit dans la forteresse appelée Cari; Guillaume, fils de Jean, fortifia Harpetro, et, s'étant réuni à d'autres rebelles, ne songea plus qu'à troubler son pays natal. Cependant David, roi d'Ecosse, secondait les factieux qui troublaient le royaume en faveur des Angevins; il y avait été engagé perfidement par les séditieux, qui l'avaient porté à ravager leur patrie, ou bien à cause du serment que, d'après l'ordre du roi Henri, il avait prêté à sa nièce. Il tenait Cardiff, place très-forte que l'on dit avoir été bâtie par Jules César, et il y avait fait entrer une troupe sanguinaire d'Ecossais. Ils envahirent cruellement l'Angleterre, firent la guerre aux peuples de leurs voisinages, et, comme des bêtes féroces, exercèrent sur eux leur barbarie. En effet, ils n'épargnaient personne; ils massacraient également les jeunes gens et les vieillards, et faisaient périr les femmes enceintes, en leur ouvrant cruellement les flancs avec leur épée. |
XVIII. Stephanus rex rebelliones domat et castigat. Stephanus autem rex contra tot insurgentes acutum ensem exercuit, et donis seu promissis aut robusta manu pugnatorum hostes sibi subegit. Rodbertum siquidem de Stotesburia, probum militem letigimumque, comitem Derbiciae constituit, et Gislebertum de Clara comitem de Pembroc sublimavit, per quos Gualchelmum Maminotum et Lupellum, aliosque plures qui amici vel affines eorum erant, sibi complacavit. Rebellantibus itaque, ut jam dixi, plurimis, animosus rex ira commotus est, et triplici exercitu inimicorum propugnacula expugnare conatus est. Ipse in primis Herfordam urbem, quae super Guaiam fluvium inter Anglos et Gualos collimitanea erat, obsedit; et a civibus atque provincialibus ut naturalis dominus gratanter susceptus, oppidum cepit, et Goiffredo Talabot fugato, aliis qui intus erant misericorditer pepercit. Regina vero Doveram cum valida manu per terram obsedit, et Boloniensibus, amicis ac parentibus suis atque alumnis, ut per mare hostes cohiberent, mandavit. Porro Bolonienses dominae suae jussa libenter amplectentes, famulatum suum ei exhibent, naviumque multitudine operiunt illud fretum quod strictum est, ne castrenses sibi aliquatenus procurarent. Interea Rodbertus de Ferrariis, quem rex, sicut dictum est, Derbiciae consulem ordinavit, Gualchelmum generum suum allocutus regi pacificavit, et praefatam munitionem ei subjugavit. Gissebertus vero de Clara Escedas castellum obsedit, et oppidanos usque ad deditionem coarctavit. Guillelmus Alani filius, municeps et vicecomes Scrobesburiae, qui habebat in conjugio neptem Rodberti comitis Gloucestriae, favere illi volens, in regem rebellavit, et praedictam urbem contra illum fere uno mense tenuit. Tandem mense Augusto regia virtute victus aufugit, et rex forti assultu munitionem subegit. Arnulfus de Hesdingo praefati juvenis avunculus, bellicosus miles ac temerarius, multoties a rege oblatam pacem superbe respuit, insuper et injuriosa regi verba jaculari praesumpsit, et alios qui sese dedere volebant in rebellione pertinaciter perstare coegit. Denique, capta munitione, cum multis aliis ipse comprehensus est, et principi quem contempserat oblatus est. Rex autem, quia pro mansuetudine sua contemptibilis contumacibus videbatur, ideoque multi nobilium ad curiam ejus asciti venire dedignabantur, iratus Arnulfum aliosque fere XCIII de his qui obstiterant jussit patibulo suspendi, aliisque generibus mortis festinanter puniri. Arnulfus quippe sero poenitens, aliique plures regi pro se supplicaverunt, multamque pecuniam pro redemptione sui promiserunt. Sed rege ultionem multis auri ponderibus proponente, protinus trucidati sunt. Turgidi autem complices eorum, tanta severitate regis audita, nimis territi sunt, tremulique in triduo ad regem accurrerunt, et varias excusationes quod tandiu tardaverint commentati sunt; quidam etiam munitionum suarum claves detulerunt, servitiumque suum regi supplices obtulerunt, et compressis aliquantulum seditiosis desertoribus, amatores pacis laetati sunt. |
Cependant le roi Etienne exerça le tranchant de son glaive contre tous ces révoltés, et soumit ses ennemis soit par des présens, soit par des promesses, soit en employant la valeur de ses chevaliers. Il créa comte de Derby Robert de Tewksbury65, preux et loyal chevalier, et donna le titre de comte de Pembroke à Gislebert de Clare: il se servit d'eux pour s'attacher Gaulchelin Maminot, Louvel et plusieurs autres qui étaient leurs amis ou leurs voisins. En voyant tant de rebelles, ainsi que je l'ai déjà dit, le fier monarque fut enflammé de colère, et employa trois armées pour attaquer les châteaux de ses ennemis. Il assiégea d'abord la ville de Hereford qui, placée sur la rivière de Wye, sert de limite aux Anglais et aux Gallois: bien accueilli par les citoyens et les gens du pays comme leur seigneur légitime, il s'empara de la ville, et ayant mis en fuite Goisfred Talabot, il fit grâce avec clémence au reste de la garnison. De son côté, la Reine assiégea Douvres par terre avec une puissante armée, et ordonna aux Boulonnais ses amis, ainsi qu'à ses parens et à ses sujets, de resserrer l'ennemi du côté de la mer. Alors les Boulonnais, obéissant de bon cœur aux ordres de leur princesse, lui offrirent leurs services, et couvrirent d'une multitude de vaisseaux ce détroit qui a peu de largeur, afin que les assiégés ne pussent rien se procurer de ce côté. Pendant ce temps-là, Robert de Ferrières que, comme nous l'avons dit, le Roi avait créé comte de Derby, eut unentretien avec son gendre Gaulchelin, lui procura la paix avec le Roi, et le détermina à rendre la place dont nous venons de parler. Gislebert de Clare assiégea le château d'Esled, et força la garnison à se rendre. Guillaume, fils d'Alain, châtelain et vicomte de Shrewsbury, qui avait épousé la nièce de Robert, comte de Glocester, voulant le favoriser, se révolta contre le Roi, et lui résista près d'un mois dans cette ville. Enfin, au mois d'août, vaincu par la faveur royale, il prit la fuite, et le Roi emporta la place après un rude assaut. Arnulf de Hesding, chevalier belliqueux et téméraire, oncle du jeune Guillaume, repoussa orgueilleusement la paix que le Roi lui offrit plusieurs fois, osa même diriger contre lui des propos injurieux, et s'efforça de retenir avec opiniâtreté dans la révolte ceux qui voulaient se soumettre. Enfin, la place qu'il commandait ayant été prise, il fut fait prisonnier avec plusieurs autres, et livré au prince qu'il avait méprisé. Le monarque, qui paraissait aux révoltés méprisable à cause de sa douceur, telle que beaucoup de nobles mandés à sa cour refusèrent de s'y présenter, se mit en courroux, et ordonna de faire punir, soit par la potence, soit par d'autres genres de mort Arnulf, et près de quatre-vingt-treize de ceux qui lui avaient résisté. Arnulf, tardivement repentant, et plusieurs autres seigneurs, supplièrent le Roi, et promirent beaucoup d'argent pour leur rançon; mais ce prince, préférant la punition du crime à de grosses sommes d'or, les fit mettre à mort sur-le-champ. Leurs orgueilleux complices, effrayés de cette grande sévérité, qui leur fut rapportée, tout tremblans, accoururent dans trois jours auprès du Roi, et donnèrent diverses excuses pour leur retard prolongé. Quelques-uns même apportèrent les clefs de leurs places fortes, et offrirent humblement leurs services au Roi: ainsi les séditieux, qui avaient abandonné leur devoir, ayant été quelque peu comprimés, les amis de la paix furent comblés de joie. |
XIX. Pax inter Angliae et Scotiae reges. Bella in Normannia. Depraedationes Andegavensium. Eadem septimana, Stephano regi similis fortuna in alia regni parte blandita est. Nam comes Albemarlae et Rogerius de Molbraio contra regem Scotiae pugnaverunt, et interfecta multitudine Scotorum, regem fugaverunt : caedemque truculentam, quam illi super Anglos absque omni reverentia Christianae religionis jampridem exercuerant, ulti sunt. Scoti nempe minacem gladium metuentes ad aquam fugerunt, et ingens flumen nomine Zedam sine vado irruerunt, mortemque fugientes a morte protinus absorpti sunt. Post diutinam duorum regum guerram, et atrociter ab utrisque ad multorum detrimentum exercitatam, legati pacis divinitus exciti sunt, et inter ambos reges, qui damnis et caedibus assiduisque curis et laboribus jam fessi erant, discurrerunt, ipsosque ad concordiam revocaverunt. Henricus itaque, filius David regis Scotiae, amicitiam hujuscemodi approbavit, ac Adelinam Guillelmi Suthregiae comitis filiam adamavit et in conjugium requisivit. Necessitudine tali constrictus, amicitiae Normannorum et Anglorum medullitus adhaesit; quia salubre et utillimum hoc fore sibi suisque consultu sapientum prospexit. Interea Normanni in matris suae gremio debacchabantur, et plures nequitiae passim peragebantur. Septimo die Septembris Rogerius Toenites militum insignem manum aggregavit, et plures injurias sibi olim factas vindicare satagens, Britolium expugnavit. Comitem quippe Hanaucensem (Balduinum IV) cum LXXX, et Petrum de Maulia cum XL, Simonem quoque Rufum cum XX militibus secum habebat, validamque turmam quam ipse de omni ditione sua contraxerat. Denique fervidus Rogerius insigni turma stipatus, oppidum ex improviso expetiit, et injecto igne, ingens damnum imparatis oppidanis ingessit. Trituratores enim per plateas messes caedebant, et ingentes acervi straminis et paleae, ut Autumnus exigit, sparsim ante domos jacebant, unde gratum sibi flammae fomentum facile rapiebant. Sic nimirum opulenta villa in puncto concremata est. Ecclesia etiam B. Sulpitii episcopi et confessoris, cum multis opibus Burgensium et hominibus qui intus erant, proh dolor! combusta est. Castellani autem milites ut se praeventos ab hostibus viderunt, ad munitionem cum plurimis fugientes inimicorum gladio subrepti sunt. Eodem anno concordia inter Rogerium et comites fratres facta est; a quibus etiam ad Stephanum regem in Angliam adductus, eique honorifice reconciliatus est. Kalendas Octobris, Joffredus Andegavensis Falesiam obsedit, ibique XVIII diebus frustra multum laboravit et nonodecimo die nihil lucratus inde recessit. Richardus de Luceio princeps militum in oppido fuit, et cum oppidanis munitionem viriliter defensavit; apertisque januis, audacia obsessorum obsidentes quotidie subsannabat: et quia inclusi ciborum et armorum abundantia tumebant, ad assultum cum ludibrio provocabant. Hostes autem in circumitu provinciam devastaverunt, ecclesias irreverenter irruperunt, et sacratis vestibus atque vasis absque timore Dei ablatis, sacra loca contaminaverunt, nullique parcentes, vulgi spolia et quaeque poterant diripuerunt. Tandem, terrente Deo, noctu fugerunt, et tentoria cum vestibus et armis, atque rhedas pane et vino aliisque necessariis rebus onustas fugientes reliquerunt, quibus gaudentes oppidani admodum ditati sunt. Verum post decem dies iterum Andegavorum comes ex insperato remeavit, et circa Falesiam cum multis millibus discurrens, praedam redeuntium et secure quiescentium diripuit, caedibus et rapinis ingens damnum Normanniae intulit, et per tres hebdomadas a feralibus exercitiis non cessavit. Tolcham in initio Novembris venit, ibique opulentum burgum invenit, et vicinam munitionem Bonaevillae in crastinum expugnare peroptavit. Tunc hostes in praefata villa domos amplas, sed vacuas invenerunt, in quibus triumphantes temere hospitati sunt, et splendida sibi convivia paraverunt. Interea dum nox profunda esset, et hostile agmen in aliis domibus secure quiesceret, subito Guillelmus, cognomento Trossebot, Bonaevillae munio temeritatem hostium callide praevenit, et oppidanos secum aggregatos hortatu necessario ad magnos ausus animavit, puerosque despicabiles et meretriculas Tolcham direxit, et quid agerent exquisito meditatu solerter instruxit. Illi autem, ut edocti fuerant, per burgum latenter dispersi sunt, et ignem per quatuor partes villae in XLV locis audacter immiserunt. Andegavenses itaque villam jam invaserant, et hospites suos in propriis laribus et cathedris sedentes jam ceperant. Ingenti strepitu flammarum et vociferatione vigilum exciti, admodum territi sunt; et arma et equos cum multis aliis rebus necessariis relinquentes aufugerunt. Praefatus vero Guillelmus cum suis armatus obviam hostibus venit; sed densitas fumi omnes, ne se invicem viderent vel cognoscerent, obtenebravit. Tandem turbidus comes in coemeterio quodam constitit, ibique suos conglomeravit, et confusus trepidusque diem exspectavit. Mane autem facto, quantocius aufugit, et Normannorum proterviam aliquantulum expertus, non sine dedecore Argentomum venit. Invalida plebs Normanniae moesta trepidabat, et defensore carens Altissimi auxilium invocabat. Optimates populi dolis et malignis simultatibus insistebant, et fraudulenter quamplures hostibus favebant, neque suos defendebant, sed ablatis rebus opprimebant, et nequiter illis incumbebant. Eo tempore, Thedbaldus Beccensis abbas, ad regimen Dorobernensis metropolis in Anglia assumptus est, eique in loco ejus Letaldus bonae vitae monachus ad gubernandam Beccensem Ecclesiam subrogatus est. |
Dans la même semaine, il arriva au roi Etienne un semblable bonheur dans une autre partie du royaume. En effet, le comte d'Aumale66 et Roger de Monbrai combattirent contre le roi d'Ecosse, et, après avoir tué une multitude d'Ecossais, mirent le Roi en déroute. Ces peuples reçurent la punition du massacre cruel qu'ils avaient fait des Anglais récemment, et sans aucun respect pour la religion chrétienne. Effectivement, les Ecossais, craignant le fer qui les menaçait, s'enfuirent vers l'eau, se jetèrent sur un point non guéable dans une grande rivière que l'on appelle Zeed67, et, fuyant la mort, n'en furent pas moins sa proie. Après la longue guerre que se firent les deux rois, et qui fut de part et d'autre poursuivie avec atrocité au grand dommage de beaucoup de monde, on envoya de part et d'autre, au grand étonnement de tous, des messagers de paix. Ils s'entremirent entre les deux monarques qui étaient las de pillages et de meurtres, ainsi que de soins et de travaux continuels, et les rappelèrent à la concorde. Henri, fils de David, roi d'Ecosse, approuva ce traité. Il conçut de l'amour pour Adeline, fille de Guillaume, comte de Surrey68, et il la demanda en mariage. Attaché par une telle union, il devint l'ami intime des Normands et des Anglais, parce qu'il reconnut, d'après l'avis des hommes prudens, que ce rapprochement lui serait utile et salutaire ainsi qu'à ses peuples. Cependant les Normands exerçaient leurs fureurs dans le sein de leur mère patrie, et commettaient de tous côtés beaucoup d'attentats. Le 7 septembre, Roger de Toeni réunit une troupe brillante de chevaliers, et, pour venger plusieurs injures qui lui avaient été faites autrefois, il attaqua Breteuil. Il était accompagné du comte du Hainault avec quatre-vingts chevaliers, de Pierre de Maulle avec quarante, et de Simon-le-Roux avec vingt; il avait en outre réuni une puissante troupe qu'il avait tirée de toutes ses terres L'ardent Roger, à la tête de cette armée brillante, assiégea tout à coup la place, et, après y avoir jeté des feux, causa un grand dommage aux habitans qui ne s'y attendaient pas. En effet, des ouvriers battaient la moisson sur les places; et, comme il est d'usage en automne, il y avait devant les maisons de grands monceaux épars de gluis et de paille: aussi les flammes trouvèrent facilement un aliment convenable. C'est ainsi qu'une ville opulente fut brûlée en un moment. L'église même de Saint-Sulpice, évêque et confesseur, fut, hélas! réduite en cendres, avec beaucoup d'hommes et de meubles des bourgeois qui s'y trouvaient renfermés. Les chevaliers de la garnison se voyant prévenus par l'ennemi, et fuyant vers la citadelle avec beaucoup de monde, furent atteints par le glaive. Dans la même année, la paix fut conclue avec Roger, les deux frères Galeran, comte de Meulan, et Robert, comte de Leicester et de Breteuil: ils conduisirent Roger en Angleterre auprès du roi Etienne, avec lequel il se réconcilia honorablement. Le jour des calendes d'octobre (Ier octobre), Geoffroi, comte d'Anjou, assiégea Falaise: il s'y donna inutilement beaucoup de peine pendant dix-huit jours; et le dix-neuvième, n'ayant pu obtenir aucun avantage, il se retira. Richard de Lucé69, qui commandait dans la place, la défendit vaillamment avec les habitans. Ayant ouvert les portes, les assiégés se moquaient journellement des assiégeans: comme les premiers étaient fiers d'avoir en abondance des vivres et des armes, ils engageaient par moquerie les assiégeans à leur donner l'assaut. Alors les ennemis ravagèrent la province qu'ils parcoururent; ils violèrent les églises sans crainte de Dieu; ils profanèrent les lieux saints après avoir enlevé les vases sacrés et les ornemens; ils n'épargnèrent personne, et dépouillèrent même les hommes du commun autant qu'ils le purent. Enfin, effrayés par la volonté de Dieu, ils s'enfuirent nuitamment, et laissèrent dans leur déroute leurs tentes remplies de bagages et d'armes, ainsi que les chariots chargés de pain, de vin et d'autres provisions, dont les habitans s'enrichirent beaucoup avec joie. Toutefois, au bout de dix jours, le comte d'Anjou reparut inopinément, et courant, avec plusieurs milliers de soldats, autour de Falaise, il enleva le butin de ceux qui revenaient et qui se croyaient en sûreté. Il fit beaucoup de mal à la Normandie par le meurtre et par le pillage, et, durant trois semaines, n'interrompit pas ses actes de cruauté. Il se rendit à Touques au commencement de novembre; il y trouva une place opulente, et voulut assiéger le lendemain Bonneville70, forteresse du voisinage. Les ennemis trouvèrent à Bonneville des maisons considérables, mais vides, où ils s'établirent témérairement dans leur triomphe, et se firent préparer de splendides festins. Sur ces entrefaites, pendant l'obscurité de la nuit, comme les agresseurs se reposaient avec sécurité dans les maisons de leurs adversaires, Guillaume, surnommé Troussebot, gouverneur de Bonneville, profita habilement de l'imprudence des Angevins; par des exhortations convenables, il excita à de grandes entreprises les habitans qu'il avait rassemblés autour de lui; puis il envoya à Touques des jeunes gens débauchés et des filles publiques, et leur dit adroitement, après y avoir bien réfléchi, ce qu'ils avaient à faire. Ces gens, d'après leurs instructions, se dispersèrent en cachette dans le bourg et dans ses quatre quartiers, et mirent hardiment le feu en quarante-cinq endroits. Déjà les Angevins avaient pris la place, et fait prisonniers leurs hôtes dans leurs propres foyers et sur leurs chaises; tout à coup, surpris par le grand bruit des flammes et les cris des gardes, ils furent excessivement effrayés, et prirent la fuite en abandonnant leurs chevaux, leurs armes, et même leurs effets les plus nécessaires. Alors Guillaume Troussebot se présenta en armes avec sa troupe devant les ennemis; mais l'épaisseur de la fumée les aveugla tellement de part et d'autre, qu'ils ne purent ni se voir ni se reconnaître. Enfin le comte Geoffroi tout troublé s'arrêta dans un cimetière, il y rassembla ses soldats; là, confus et tremblant, il attendit l'arrivée du jour. Aussitôt qu'il parut il s'enfuit au plus vite, et ayant appris à connaître l'audace des Normands, il arriva tout honteux à Argentan. Sans défense et contristé, le peuple tremblait en Normandie, et, privé de protecteurs, invoquait l'assistance du Très-Haut. Les grands se signalaient par la perfidie et les entreprises criminelles; la plupart favorisaient l'ennemi frauduleusement, et ne défendaient pas leurs compatriotes; au contraire ils les dépouillaient, les opprimaient, et les rendaient victimes de leur méchanceté. Dans ce temps-là Thibaut, abbé du Bec, fut appelé en Angleterre au siége de la métropole de Cantorbéry. A sa place, Letald, moitie d'une vie pieuse, fut choisi pour gouverner le monastère du Bec. |
XX. Concilium Romanum. Audinus Ebroicensis episcopus. Gesta episcoporum Salesburiensis et Heliensis. Mathildis Andegavensis comitissa transfretat in Angliam. Eventus varii. Anno ab Incarnatione Domini 1139, indictione II, Innocentius papa II Romae in medio Quadragesimae ingens concilium tenuit, et multitudini praelatorum statuta sanctorum Patrum inviolabiliter teneri praecepit. De multis regionibus exciti ad synodum convenerant, et hac de causa brumali tempore periculosum iter inierant, sicque cum multis suarum dispendiis rerum Romana moenia viderant. Multa illis papa de priscis codicibus propalavit, insignemque sacrorum decretorum textum congessit. Sed nimis abundans per universum orbem nequitia terrigenarum corda contra ecclesiastica scita obduravit. Unde remeantibus ad sua magistris, apostolica decreta passim per regna divulgata sunt. Sed nihil, ut manifeste patet, oppressis et opem desiderantibus profuerunt; quoniam a principibus et optimatibus regnorum cum subjectis plebibus parvipensa sunt. Audinus Ebroicensis episcopus paschali septimana in Angliam profectus est, ibique VI Nonas Julii Melitonae in canonicali coenobio defunctus et sepultus est. Hic in Bajocensi pago ortus, studia litterarum inquisivit, peritiaque liberalium artium imbutus, inter doctissimos coaluit, et regi Henrico familiaris effectus inter praecipuos scribas complacuit. Denique de capella regis provectus, XXIV annis Ebroicensem dioecesim tenuit, clerum subjectamque plebem ad servandam Dei legem erudivit, ecclesiaeque cultum solerter exercuit, et basilicam B. Dei genitricis Mariae, quae tempore illo combusta fuerat, a fundamentis reparavit. Rotrocus autem, filius Henrici comitis de Guarevico, Rothomagensis archidiaconus ad episcopatum Ebroicensem assumptus est, et a D. Hugone archiepiscopo consecratus est. Eodem, ut reor, anno Turstinus Eboracensis archiepiscopus, praefati Audini frater, defunctus est . Eodem tempore, turbatio magna in Anglia exorta est. Rogerius enim Salesburiensis praesul, divitiis ac potentibus amicis ac munitionibus admodum fretus, utpote qui toti Angliae omni vita Henrici regis praefuerat, prae cunctis regni optimatibus derogabatur quod regi dominoque suo esset infidus, et faveret Andegavorum partibus. Ipsi quoque adhaerebant necessarii complices, filius videlicet ejus qui erat cancellarius regis et nepotes potentissimi, quorum unus erat episcopus Lincolniensis et alter Heliensis. Porro ex abundantia multiplicium divitiarum tam sublimibus viris audacia inerat, temereque vicinos optimates variis infestationibus inquietare praesumebant. Unde furiosis punctionibus exerciti plures contra eos conspiraverunt, et occasione concepta pariter insurrexerunt, eisque talionem agitationum illatarum rependere conati sunt. Duo quippe fratres Gualerannus et Rodbertus comites, et Alanus de Dinan aliique plures apud Oxnafordam urbem seditionem contra familiam praesulum coeperunt; et occisis ex utraque parte pluribus, episcopi Rogerius et Alexander capti sunt. Heliensis autem praesul qui nondum ad curiam regis venerat, sed extra urbem in villa cum parisitis suis hospitatus fuerat, diris rumoribus auditis, quia male sibi conscius erat, ad Divisas fortissimum oppidum repente confugit; et in circumitu congregata regione, munitionem praeoccupavit, et contra regem totis nisibus munire decrevit. Quod audiens rex, iratus exercitum promovit, et cum multis minis Guillelmum de Ipro praemisit, jurans quod Rogerius praesul nil vesceretur, donec hostile oppidum sibi redderetur. Rogerium quoque filium pontificis, cognomento Pauperem comprehendit, et ante portam in conspectu rebellium suspendi praecepit. Mater quippe ejus nomine Mathildis de Ramesburia, pellex videlicet episcopi, principalem munitionem servabat. Tandem Salesburiensis pontifex, accepta regis licentia, cum nepote suo locutus est, ipsumque multum redarguit, quod seditionem oriri videns non propriam dioecesim repetisset, sed alienas ad res furibundus divertisset, incendioque furenti multis millibus inediam peperisset. Turgido nepote cum suis asseclis in rebellione pertinaciter persistente, et irato rege ut praefatus Rogerius patibulo mox suspenderetur, jubente, meticulosa mater luctuosam prolis conditionem audiens prosiluit, et pro filio sollicita dixit: Ego peperi, nec ullatenus debeo ejus promereri interitum; sed si sic necesse est, ipsum debeo per meum salvare obitum. Protinus regi nuntium destinavit, et pro redemptione amicorum validam munitionem quam tenebat obtulit. Fractus itaque antistes Heliensis cum reliquis complicibus suis moerens deditionem acquievit. Denique, pacificatis omnibus, oppidum regi redditum est, et episcopi cum pace ad parochias suas reversi sunt. Non multo post Rogerius praesul mortuus est, et Heliensis publicus hostis totius patriae factus est. In autumno, Mathildis Andegavorum comitissa, cum Rodberto de Cadomo fratre suo et Guidone de Sabloilo aliisque pluribus in Angliam transfretavit, et Arundello suscepto permissu regis, ad oppida quae suae parti favebant cum pace perrexit. In hac nimirum permissione magna regis simplicitas sive socordia notari potest. et ipse a prudentibus, quod suae salutis regnique sui securitatis immemor fuerit, lugendus est. Ingens enim nimiae malitiae fomentum facile tunc exstinguere potuisset, si calliditatem sapientum imitatus, lupum ab introitu ovilis statim expulisset; si salvatis ovibus, malignantium nequitiam in ipso initio praeoccupasset, et vires lethiferas, in capitibus eorum qui rapinas et caedes hominum patriaeque depopulationem quaerebant, gladio justitiae more patrum praesecuisset. Mense Novembri, Rotrocus comes Moritoniae pretio conductus Pontem-Erchenfredi adiit; sed octo gregariis militibus, qui intus inedia interibant, manum dantibus, munitionem recepit, miserosque municipes abire permittens, oppidum Rogerio de Platanis commisit. Tunc Ribolus et Simon Rufus, aliique nepotes Radulphi Rufi velociter expulsi sunt, et dominatum castri, quod hactenus possederant, repente perdiderunt. Rodbertus de Cadomo sororem suam Mathildem jam in Anglia receptam in suis mapaliis hospitatus est; et Gualis ad auxilium sui ascitis, nimia malitia passim multiplicata est. Nam plus quam decem millia, ut fertur, barbari per Angliam diffusi sunt, qui nec sanctis locis, nec reverentiae religionis parcebant: sed rapinis et incendiis atque coedibus hominum instanter insistebant. Singillatim referre nequeo, quantam afflictionem Ecclesia Dei passa est in suis filiis, qui veluti pecudes quotidie trucidabantur Britonum gladiis. Anno ab Incarnatione Domini 1140, Indictione III, Stephanus rex concilium congregavit, et de statu reipublicae cum proceribus suis tractare studuit. Tunc inter optimates de constitutione Salesburiensis episcopi lis orta est. Henricus enim Guentoniensis praesul Henricum de Solleio nepotem suum intromittere voluit; et quia, majori vi resistente, praevalere nequivit, iratus de Curia regis recessit. Gualerannus namque Mellenticus comes Philippum de Harulficurte archidiaconum Ebroicensem elegerat, eique rex pro pluribus causis libenter acquieverat. Praefato autem juveni coenobium Fiscanense concessit, in quo tempore quatuor abbatum praecedentium magna religio floruit. In eodem anno, Richardus Uticensis abbas, postquam de Romano concilio rediit, exigentibus causis, post Natale Domini mox in Angliam transiit, et plurimis laboribus fatigatus in Quadragesima febres incurrit. Quibus per multos dies admodum vexatus sese confessione et oratione bene praemunivit, et post Pascha potionem a Medicis accepit; sed nimia vi potionis oppressus, VII die Maii defecit. Tertio itaque regiminis sui anno Idus Maii (in Anglia) defunctus est, et Torveiam delatus ante crucifixum in Ecclesia Sanctae Mariae a domino Rodberto ejusdem coenobii abbate sepultus est. Quod Uticenses monachi ut audierunt, in unum convenerunt, et Rannulfum Nogienis priorem, qui jam in monachatu XL annis honeste vixerat, in abbatem elegerunt Electus autem frater cum litteris Hugonis archiepiscopi Rothomagensis, et Joannis episcopi Lexoviensis se concordi electione fratrum in Angliam transfretavit: et a Stephano rege, visis pontificalibus epistolis, concessionem abbatiae, et ecclesiasticarum confirmationem rerum recepit. Regressus vero de Anglia, Joannem episcopum cum regalibus litteris adiit, et a venerabili praesule benigniter susceptus paternam benedictionem VIII Idus Novembris suscepit. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1139, le pape Innocent II tint à Rome un grand concile au milieu du carême, et ordonna au nombre considérable de prélats qui s'y trouvaient d'observer inviolablement les décrets des saints Pères. Appelés de diverses contrées, ils s'étaient rendus tous au concile, et, à cet effet, pendant l'hiver, avaient entrepris un voyage périlleux: c'est ainsi qu'en faisant de grandes dépenses ils avaient vu les murs de Rome. Le pape leur exposa beaucoup de choses des anciennes Ecritures, et publia un texte pur des saints décrets; mais la méchanceté des hommes, trop générale dans l'univers, endurcit les cœurs contre les préceptes ecclésiastiques. A leur retour dans leur pays, les prélats répandirent partout la connaissance des décrets apostoliques; mais, comme on le voit trop clairement, cela fut sans utilité pour les opprimés et pour ceux qui avaient besoin de secours, puisque ces actes furent méprisés par les princes et par les grands, ainsi que par les peuples soumis à leur pouvoir. Audin, évêque d'Evreux, partit dans la semaine de Pâques pour l'Angleterre; il y mourut, le 6 des nones de juillet (2 juillet), à Melton, chez les chanoines, où il fut enterré. Né dans le Bessin, il étudia beaucoup les lettres, et, profondément instruit dans les arts libéraux, il se distingua parmi les plus savans; devenu cher au roi Henri, il lui plut beaucoup parmi les principaux de ses secrétaires. Ensuite, tiré de la chapelle du Roi, il gouverna vingt-quatre ans le diocèse d'Evreux, instruisit le clergé et les fidèles à observer la loi de Dieu, soutint habilement le culte de l'Église, et répara de fond en comble la basilique de la bienheureuse Marie mère de Dieu, qui avait été brûlée de son temps. Retrou, fils de Henri, comte de Warwick, archidiacre de Rouen, fut élu à l'évêché d'Évreux, et consacré par l'archevêque Hugues. La même année, si je ne me trompe, Turstin, archevêque d'York, frère d'Audin, vint à mourir. Dans le même temps, il y eut un grand trouble en Angleterre. Roger, évêque de Salisbury, fier de ses richesses, de ses puissans amis et de ses places fortes, ayant gouverné toute l'Angleterre pendant la vie entière du roi Henri, s'était fait un tort notable parmi les grands du royaume, pour avoir été infidèle à Etienne, son roi et son seigneur, et pour avoir favorisé les Angevins. Il avait des complices qui lui étaient intimement attachés, tel que son fils qui était chancelier du Roi, et des neveux très-puissans, dont l'un était évêque de Lincoln et l'autre d'Ely. Ces personnages distingués tiraient leur audace de leurs grandes richesses, et avaient en conséquence la témérité de vexer les seigneurs de leur voisinage par toutes sortes d'iniquités. C'est pourquoi, animés par de cruelles offenses, plusieurs conspirèrent contre ces tyrans, et s'étant accordés sur le moment, se soulevèrent en même temps; puis ils s'efforcèrent de leur faire subir les représailles de leurs vexations. Les comtes Galeran et Robert, tous deux frères, Alain de Dinan et plusieurs autres seigneurs commencèrent à Oxford à se lever contre les partisans des prélats. Après que de part et d'autre plusieurs personnes eurent été tuées, les évêques Roger et Alexandre furent pris. L'évêque d'Ely, qui ne s'était pas encore présenté à la cour du Roi, mais qui s'était établi hors la ville dans une campagne avec ses parasites, ayant entendu des bruits fâcheux, comme sa conscience lui faisait des reproches, s'enfuit aussitôt à Devizes, place très-forte; puis, ayant brûlé tout le pays des environs, il occupa le premier la forteresse et résolut de la mettre de toutes ses forces en défense contre le Roi. Ce que le monarque apprenant, il entra en courroux, fit marcher son armée, et se répandant en grandes menaces, fit marcher en avant Guillaume d'Ypres, en jurant que l'évêque Roger n'aurait rien à manger jusqu'à ce qu'il eût pris la forteresse. Il fit arrêter Roger-le-Pauvre, fils du prélat, et ordonna de le pendre devant la porte à la vue des révoltés. Sa mère nommée Mathilde de Ramsey, qui était la concubine de l'évêque, défendait la principale forteresse. Enfin l'évêque de Salisbury, avec la permission du Roi, eut un entretien avec son neveu; il le blâma beaucoup de ce qu'en voyant naître la sédition, il ne s'était pas retiré dans son propre diocèse, au lieu de se mêler en furieux dans des affaires qui lui étaient étrangères, et de faire subir la famine à plusieurs milliers d'hommes par un incendie violent. Comme cet orgueilleux persistait opiniâtrement avec ses fauteurs dans la rebellion, et que le Roi irrité ordonnait d'attacher soudain à la potence Roger-le-Pauvre, la mère effrayée, apprenant la fâcheuse position de son fils, s'élança de sa place, et, dans sa sollicitude, s'écria: «Je l'ai enfanté, et je ne dois en aucune manière occasioner sa mort; même, s'il le faut, je dois le sauver au prix de mon existence.» Aussitôt elle envoya un courrier au Roi; et, pour le l'achat de ses amis, elle offrit de lui rendre la puissante forteresse qu'elle occupait. Ainsi, l'évêque d'Ely abattu consentit, dans son affliction, à se rendre avec ses autres complices. Enfin, tout étant pacifié, la place fut remise aux mains du Roi, et les évêques retournèrent en paix dans leurs diocèses. Peu après le prélat Roger mourut. Ainsi succomba71 l'évêque d'Ely, cet ennemi public de tout son pays. Dans l'automne, Mathilde, comtesse des Angevins, passa en Angleterre avec Robert de Caen son frère, Gui de Sablé et plusieurs autres. Arundel s'étant rendu, elle marcha en paix avec la permission du Roi vers les places de son parti. On peut remarquer dans cette permission une preuve de la grande simplicité ou de la faiblesse du monarque, et les gens sages doivent le plaindre de ce qu'il négligea ainsi son salut et la sûreté de son royaume. En effet, il eût pu facilement éteindre un grand foyer de maux excessifs, si, imitant l'habileté des sages, il eût aussitôt repoussé le loup de la porte de la bergerie; si, pour le salut du troupeau, il eût dans son principe étouffé la scélératesse des méchans, et écrasé le venin dans la tête de ceux qui cherchaient à piller, à massacrer les hommes et à ravager le pays; si enfin, comme ses pères, il eût frappé les pervers avec le glaive de la justice. Au mois de novembre, Rotrou, comte de Mortagne, excité par l'avidité, se rendit au Pont-Echenfrei -, huit soldats, qui dans la place mouraient de faim, la lui remirent. Il permit à cette misérable garnison de se retirer, et confia la place à Roger de Planes72. Alors Ribould, Simon-le-Roux, et les autres neveux de Raoul-le-Ronx furent chassés sans retard, et perdirent soudain la possession du château qu'ils avaient eue jusqu'alors. Robert de Caen donna l'hospitalité sous son toit à sa sœur Mathilde qui avait été reçue en Angleterre; il appela les Gallois à son secours, et de toutes parts il se commit de grands crimes. En effet on rapporte que plus de dix mille barbares se répandirent en Angleterre, où ils n'épargnaient pas les saints lieux, n'avaient nul respect pour la religion, et se livraient sans relâche au pillage, à l'incendie et au meurtre. Je ne saurais rapporter en détail combien l'Eglise de Dieu souffrit d'afflictions dans ses fils, qui, comme des troupeaux, tombaient journellement égorgés sous le fer des Bretons. L'an de l'incarnation du Seigneur 114o, le roi Etienne réunit une assemblée, et, de concert avec les grands, s'occupa des affaires publiques. Il s'éleva entre eux une difficulté sur la nomination d'un évoque à Salisbury. En effet Henri, évêque de Winchester, voulait y placer son neveu Henri, et, comme il ne put l'emporter sur la majorité, il se retira fort en colère de la cour du Roi. Galeran, comte de Meulan, avait fait choix de Philippe de Harcourt, archidiacre d'Evreux, et, pour plusieurs causes, le Roi y avait donné volontiers son approbation. Ce prince donna à Henri le couvent de Fécamp, dans lequel la religion fut grandement florissante du temps des quatre abbés précédens. Dans la même année, Richard, abbé d'Ouche, à son retour du concile de Rome, passa promptement en Angleterre, après Noël, pour des affaires urgentes: fatigué par de longs travaux, il fut attaqué de la fièvre pendant le carême. Après en avoir souffert considérablement pendant plusieurs jours, il se munit à l'avance de la confession et de la prière; puis, après Pâques, les médecins lui administrèrent une potion; mais, comme elle était trop forte, il en fut abattu, et mourut le septième jour de mai. Ainsi il cessa de vivre le jour des nones73 de ce mois, l'an troisième de son gouvernement. Transporté à Thorney, il y fut inhumé devant le crucifix dans l'église de Sainte-Marie, par Robert, abbé de ce couvent. Dès que les moines d'Ouche apprirent ce malheur, ils se réunirent et choisirent pour abbé Ranulfe, prieur de Noyon74, qui depuis quarante ans portait pieusement l'habit monastique. Ce frère ayant été élu, il se rendit en Angleterre avec des lettres de Hugues, archevêque de Rouen, et de Jean, évêque de Lisieux, relatives à la régularité de son élection. Sur le vu de ces dépêches, le roi Etienne lui accorda l'abbaye, et lui confirma les biens de cette église. A son retour d'Angleterre, Ranulfe alla trouver l'évêque Jean, lui présenta les lettres du Roi, et, bien accueilli par le vénérable prélat, reçut sa bénédiction le 8 des ides de novembre (6 novembre). |
XXI. Turbationes et rebelliones in Anglia. Stephanus rex captus est in Anglia ab Andegavensibus. Anno ab Incarnatione Domini 1141, Indictione IV, ingens turbatio in regno Anglorum exorta est, et repentina mutatio cum multorum detrimento subsecuta est. Rannulfus enim comes Cestrae et Guillelmus de Raumara, uterinus frater ejus, contra Stephanum regem rebellaverunt, et arcem quam Lincolniae ad tutandam urbem ipse possidebat, fraudulenter invaserunt. Nam tempus, quo turrenses famuli per diversa dispersi fuerant, callide exploraverant, et tunc conjuges suas quasi causa ludendi ad arcem praemiserant. Denique, dum ibidem duo comitissae morarentur, et cum uxore militis, qui turrim tueri debebat, luderent et confabularentur, Comes Cestrae exarmatus, et sine amictu quasi pro ducenda uxore sua, et tres milites, nemine aliquod malum suspicante, subsecuti sunt. Et sic ingressi, repente vectes et arma quae aderant arripuerunt, et custodes regis violenter ejecerunt. Deinde Guillelmus, et armati milites cum illo, ut antea dispositum fuerat, introierunt. Et sic duo fratres turrim cum tota urbe sibi subjugaverunt. Porro Alexander episcopus et cives eventum regi mandaverunt: quod audiens rex valde iratus est, et quod tantum facinus amicissimi ejus, quibus magnos honores et dignitates auxerat, fecissent, miratus est. Deinde post Natale Domini exercitum congregavit, Lincolniam confestim perrexit, auxilioque civium, fere XVII milites qui in urbe jacebant, noctu ex insperato comprehendit. Duo vero comites cum uxoribus et familiaribus amicis in arce erant, subitoque circumvallati quid agerent anxii nesciebant. Tandem Rannulfus qui junior erat ac facilior et audacissimus, noctu cum paucis egressus est, et in Cestrensem provinciam ad suos profectus est. Rodberto autem comiti de Gloucestra socero suo, aliisque amicis et parentibus suis querelam suam deprompsit, Gualos et exhaeredatos aliosque multos contra regem excivit, ac ut inclusis obsidione suffragaretur vires undecunque collegit. In primis Mathildem Andegavorum comitissam expetiit, auxilium ab ea summopere poposcit, eique fidelitatem spopondit, ejusque gratiam pro velle suo impetravit. Conglobata itaque armatorum multitudine, duo consules (Cestriae ac Gloucestriae) ad obsidionem appropiaverunt, atque ad pugnandum contra repugnantes sese praeparaverunt. Porro quotidie de adventu inimicorum rumores audiens rex parvipendebat, nec eos tales esse ut tantos ausus praesumerent credebat; sed illos qui in arce clementiam ejus obsecrabant, aptatis expugnari machinis cogebat. Denique Dominica sexagesimae, dum sacra solemnitas Hypapanti Domini celebraretur, et ipse rex hostium phalanges jam adesse intueretur, proceres advocavit, consiliumque quid ageret ab eis inquisivit. Quidam igitur persuaserunt ut ingentem familiam cum devotis civibus ad tutandam urbem constitueret, et ipse ad congregandum exercitum, de cunctis Angliae regionibus honeste diseederet, et rursus opportuno tempore, si hostes ibidem permansissent, ad expugnandum illos regali severitate remearet. Admonebant etiam alii ut debita sacrae Purificationi S. Dei genitricis Mariae reverentia exhiberetur, et tempus praelii, nuntiis pacis intercurrentibus, commode protelaretur; ut, procrastinatione interposita, neutra pars confunderetur, nec humanus sanguis ad multorum dolorem funderetur. Obstinatus autem princeps persuasioni prudentum obaudire contempsit, et praelium pro aliqua ratione induciari indignum duxit, sed protinus suos ad bellum armari praecepit. Acies igitur pugnatorum prope urbem convenerunt, et, ordinatis utrinque turmis, bellum commiserunt. Tres nimirum cohortes sibi rex constituit, et tres nihilominus contraria pars ordinavit. In prima fronte regalis exercitus Flandri et Britones erant, quibus Guillelmus de Ipro et Alanus de Dinan praeerant; econtra vesana Gualorum caterva obstabat, quibus duo fratres Mariadoth et Kaladrius praeerant. Rex ipse cum quibusdam pedes descendit, et pro vita sua regnique sui statu fortiter pugnavit. Rannulfus autem comes econtra cum caeteris suis pedes descendit, et animosam legionem Cestrensium peditum ad stragem faciendam admodum corroboravit. Rodbertus vero consul Gloucestriae, qui maximus erat in illa expeditione, Bassianis jussit aliisque exhaeredatis, ut ipsi pro recuperatione suarum haereditatum quas calumniabantur, haberent ictum certaminis. In primis utrinque acerrime pugnatum est, et plurimus hominum sanguis effusus est. In regis acie praecipui milites fuerunt, sed hostes nimia multitudine peditum et Gualorum praevaluerunt. Sane Guillelmus de Ipro cum Flandrensibus, et Alanus cum Britonibus primi terga dederunt, et inimicos animosiores et socios formidolosiores reddiderunt. In illo conflictu perfidia nequiter debacchata est; nam quidam magnatorum cum paucis suorum regi comitati sunt, suorumque satellitum turmam adversariis, ut praevalerent, praemiserunt. Sic nimirum domino suo fidem suam mentiti sunt, meritoque perjuri et proditores dijudicari possunt. Gualerannus autem comes et Guillelmus de Guarenna frater ejus, Gislebertus de Clara, et alii Normannorum atque Anglorum praeclari equites, ut primam cohortem fugisse viderunt, territi et ipsi terga dederunt. Porro Balduinus de Clara et Richardus Ursi filius, Engelrannus de Saia et Ildebertus de Laceio praelianti regi fideliter adhaeserunt, et usque ad defectionem viriliter cum illo certaverunt. Stephanus autem rex fortium actuum antecessorum suorum memor fortiter dimicavit, et quandiu tres secum pugiles habuit, ense vel securi Norica, quam quidam illi juvenis ibi administraverat, pugnare non cessavit. Tandem fessus et ab omnibus derelictus, Rodberto comiti consobrino suo se commisit, et captus est, et ab eodem paulo post Mathildi comitissae oblatus est. Sic, sic vergente volubili rota fortunae, de solio regni praecipitatus est, et in ingenti munitione Brichton gemens et miser, proh dolor! incarceratus est. Balduinus vero de Clara, caeterique praeclari tirones quos cum rege dixi descendisse et insigniter pugnasse, capti sunt. Praecedenti nocte, dum plebs Dei vigilias in honore Virginis matris celebraret, et matutinorum generalem synaxim ecclesiastico ritu solemnizandam exspectaret, in occiduis partibus, in Gallia scilicet ac Britannia, nimius imber grandinis et pluviae factus est, et cum ingenti coruscatione mugitus terribilis tonitrui auditus est. Ipso die, dum rex pugnaturus Missam audiret, et multiplici, ni fallor, cogitatu et cura intrinsecus laboraret, cereus consecratus in manu ejus fractus est, et, multis spectantibus, ter lapsus est. Hoc plane infelix praesagium quibusdam sophistis visum est, et ipso die in lapsu principis manifeste detectum est. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1141, il s'éleva des troubles violens en Angleterre, à la suite desquels de grands changemens s'opérèrent au détriment de beaucoup de monde. En effet, Ranulfe, comte de Chester, et Guillaume de Roumare, son frère utérin, se révoltèrent contre le roi Etienne, et surprirent la forteresse que ce monarque possédait à Lincoln, pour la défense de la ville. Ils avaient adroitement attendu le moment où la garnison s'était dispersée en différens lieux, et ils avaient envoyé leurs femmes devant eux à la citadelle comme pour s'amuser. Enfin, pendant que les deux comtesses s'y trouvaient, plaisantaient, et causaient avec la femme du chevalier qui commandait dans la tour, le comte de Chester, désarmé et sans manteau, y alla comme pour ramener sa femme, et fut suivi de trois chevaliers, sans que personne soupçonnât aucune fraude. Etant ainsi entrés, ils se saisirent tout à coup des leviers et des armes qu'ils trouvèrent sous leur main, et chassèrent violemment la garnison royale; ensuite Guillaume de Roumare et ses chevaliers, bien armés, entrèrent dans la place comme il avait été convenu. Ainsi les deux frères s'emparèrent de la tour et de toute la ville de Lincoln. Cependant l'évêque Alexandre et les citoyens mandèrent au Roi cet événement: Etienne, ayant appris ces choses, éprouva une violente colère, et fut très-étonné de voir ses meilleurs amis, qu'il avait comblés de biens et de dignités, commettre un si grand attentat. Après Noël, il rassembla son armée, se rendit en hâte à Lincoln, et, à l'aide des habitans, se saisit à l'improviste pendant la nuit d'environ dix-sept chevaliers, qui avaient couché dans la ville. Cependant les deux comtes étaient dans la citadelle avec leurs femmes et leurs amis: investis tout à coup, ils ignoraient dans leur anxiété ce qu'ils avaient à faire. Enfin Ranulfe, qui était le plus jeune et le plus prompt à se déterminer, d'ailleurs très-brave, sortit de nuit avec un petit nombre de chevaliers, et se rendit vers les siens dans la province de Chester. Il adressa ses plaintes à Robert, comte de Glocester, son beau-père, et à quelques autres personnes, soit amis, soit parens; il arma contre le Roi les Gallois, les seigneurs qui avaient été dépouillés, et beaucoup d'autres mécontens; puis, de toutes parts, il réunit des forces pour secourir les assiégés de Lincoln. Il s'adressa surtout à Mathilde, comtesse d'Anjou, lui demanda instamment des secours, lui jura fidélité, et obtint d'elle ce qu'il voulut. Ayant ainsi rassemblé une troupe nombreuse, les deux comtes s'approchèrent de la place assiégée, et se disposèrent à combattre ceux qui leur résisteraient. Cependant le Roi, entendant journellement parler de l'arrivée de ses ennemis, méprisait ces rapports, ne croyait pas qu'ils eussent l'audace de tenter de si grandes entreprises, et se disposait à attaquer avec des machines convenables ceux qui, dans la tour, réclamaient sa clémence. Cependant, le dimanche de la Sexagésime75, pendant que l'on célébrait la sainte solennité de la Purification, le Roi, ayant vu les troupes ennemies déjà près de lui, convoqua les principaux seigneurs, et leur demanda conseil sur ce qu'il devait faire. Quelques-uns l'engagèrent à laisser pour la défense de la ville une nombreuse troupe qui se réunirait aux citoyens dévoués, à se retirer en faisant bonne contenance pour former une armée de tous les points de l'Angleterre, et à revenir en temps convenable, si les ennemis ne se retiraient pas, pour les assiéger de nouveau avec toute la rigueur qui convenait à un monarque. D'autres lui conseillaient de rendre les devoirs qu'il devait à la purification sacrée de Sainte-Marie, mère de Dieu, et de différer le moment du combat par l'entremise des messagers de paix, afin qu'en obtenant du délai, aucun des deux partis ne fût écrasé, et que le sang humain ne coulât pas pour la désolation générale. Dans son obstination, le monarque dédaigna de céder aux avis des gens sages, et crut qu'il était indigne d'ajourner l'engagement pour quelque raison que ce fût; au contraire, il fit aussitôt prendre les armes à sa troupe. En conséquence les armées se réunirent près de la ville, et, s'étant de part et d'autre rangées en bataille, elles en vinrent aux mains. Le Roi forma trois corps: l'année ennemie en présenta un pareil nombre. Sur la première ligne de l'armée royale se placèrent les Flamands et les Bretons, que commandaient Guillaume d'Ypres et Alain de Dinan; ils avaient en tête une troupe furieuse de Gallois, qui avaient pour chefs Mariadoth et Kaladrius. Le Roi et quelques-uns de ses officiers descendirent de cheval; il combattit courageusement à pied pour la défense de sa vie et de sa couronne. Le comte Ranulfe, de son côté, mit pied à terre avec ses escadrons, et encouragea vivement au carnage la troupe vaillante des fantassins de Chester. Cependant Robert, comte de Glocester, qui jouait un grand rôle dans cette expédition, ordonna aux guerriers de Bath, et aux autres qui avaient été dépouillés, de porter les premiers coups dans le combat, pour recouvrer leurs biens qu'ils revendiquaient. D'abord, on combattit de part et d'autre avec acharnement, et le sang des hommes coula en abondance. Les meilleurs chevaliers se trouvaient avec le Roi; mais les ennemis l'emportèrent par le grand nombre de leurs hommes de pied et des Gallois. Il est certain que Guillaume d'Ypres avec ses Flamands, et Alain avec ses Bretons, furent les premiers qui tournèrent le dos, et par leur fuite découragèrent leurs compagnons d'armes en même temps qu'ils ranimèrent l'ennnemi. Dans ce combat la perfidie déploya toutes ses fureurs. En effet, quelques seigneurs, avec un petit nombre de guerriers, accompagnèrent le Roi, et envoyèrent à ses adversaires la plupart de leurs hommes pour assurer leur triomphe. Ainsi ils trahirent la fidélité qu'ils devaient à leur maître, et méritèrent d'être considérés comme parjures et traîtres. Le comte Galeran, Guillaume de Varenne son frère, Gislebert de Clare, et plusieurs autres chevaliers distingués, tant anglais que normands, voyant la déroute du premier corps, furent effrayés eux-mêmes, et tournèrent le dos à l'ennemi. Cependant Baudouin de. Clare, Richard, fils d'Ours, Enguerrand de Sai et Ildebert de Laci restèrent fidèlement auprès du Roi pendant la bataille, et combattirent vaillamment avec lui jusqu'à ce qu'elle fût perdue. Le Roi Etienne, se rappelant les belles actions de ses prédécesseurs, se battit avec un grand courage, et, tant qu'il eut avec lui trois soldats, il ne cessa de combattre avec une épée ou la hache norvégienne76 qu'un jeune homme lui avait procurée. Enfin, excédé de fatigue et abandonné de tout le monde, il se rendit au comte Robert son cousin qui le reçut prisonnier, et le présenta peu de temps après à la comtesse Mathilde. C'est ainsi que par un retour de la roue inconstante de la fortune, le roi Etienne fut précipité du trône, et fut, hélas! conduit en prison, gémissant et malheureux, dans l'importante place de Bristol. Baudouin de Clare, et quelques autres jeunes chevaliers fort distingués, qui, comme je l'ai dit, avaient mis pied à terre avec le Roi et combattu vaillamment, furent aussi faits prisonniers. La nuit précédente, pendant que le peuple de Dieu fêtait la veille de la Purification en l'honneur de la Vierge mère, et attendait, pour la solenniser selon l'usage de l'Église, la messe générale du matin, il tomba en Occident, surtout en France et en Angleterre, une énorme quantité de grêle et de pluie, et l'on entendit d'effrayans coups de tonnerre accompagnés de grands éclairs. Ce même jour, pendant que le Roi, sur le point de combattre, entendait la messe, et était intérieurement agité de beaucoup de pensées et de soins, le cierge consacré se brisa dans sa main, et tomba trois fois en présence de nombreux spectateurs. Ce présage parut très-fâcheux à quelques hommes sages, et le même jour il se vérifia clairement par la chute du prince. |
XXII. Eventus varii post captionem regis Stephani. Finis hujusce Operis. Piae meditationes. Infortunium regis luctum peperit clericis et monachis populisque simplicibus, quia idem rex humilis et mansuetus erat bonis ac mitibus, et, si dolosi optimates paterentur, abolitis suis pravis conatibus, liberalis tutor patriae fuisset ac benevolus. Cives autem Lincolniae qui regi, ut oportuit, domino suo faverant, omnimodis ut victoriam cessisse adversariis audierunt, domos suas et uxores cum omnibus rebus suis diffidentes dereliquerunt, et ad vicinum flumen, ut exsilium petentes salvarentur, confugerunt. Qui dum repente conglobati ad scaphas venissent, nimiaque sui multitudine cymbas implessent, metuque mortis attoniti inordinate se habuissent, et posteriores cum impetu super priores irruissent, statim naviculae versatae sunt, et pene omnes, qui intraverant, ut quidam asserunt, fere quingenti nobiles cives interierunt. In conflictu bellico non tanti corruerunt. Guillelmus quidam famosus optio ex parte regis occisus est, qui nepos fuerat Goiffredi Rothomagensis archiepiscopi. De aliis vero, ut autumant qui interfuerunt, non plusquam centum mortui sunt. Porro Rannulfus comes aliique victores urbem introierunt, totamque ut barbari depopulati sunt, et residuos cives quos invenire vel capere potuerunt, diversis mortium generibus, absque respectu pietatis, ut pecudes mactaverunt. Peracta itaque pugna et capto rege, dissensio magna facta est in Anglorum regno. Henricus enim Guentonensis episcopus ad Andegavos se protinus convertit, et comitissa in urbe regali favorabiliter recepta, fratrem suum regem et omnes qui de parte ejus erant omnino deseruit. Gualerannus autem comes, et Guillelmus de Guarenna, et Simon aliique plures reginae adhaeserunt, et pro rege suisque haeredibus viriliter pugnaturos se spoponderunt. Sic admodum malitia hinc et inde passim multiplicata est, et rapinis et incendiis hominumque caedibus Anglia repleta est; et quae olim ditissima affluens fuerat, nunc miserabiliter desolata est. Joffredus autem Andegavensis comes, ut uxorem suam vicisse audivit, protinus in Normanniam venit, legatos ad proceres direxit, ac ut munitiones suas sibi dederent et pacifici essent jure requisivit. Primus in sequenti quadragesima Rotrocus Moritoniae consul pacem cum illo fecit; et rupto foedere quod cum rege pepigerat, auxilium suum Andegavensibus exhibuit. Occasionem namque irae contra regem nuper ceperat, quod ipsum pro ereptione Richerii nepotis sui requisierat, sed nihil per ipsum impetraverat. Richerius siquidem de Aquila Dominico in Septembri, dum B. Mariae Nativitas celebraretur, cum L militibus in Angliam pacifice pergebat. Cumque ad burgum qui Lira dicitur, inermis pervenisset, a Rodberto de Belismo qui insidiabatur itineri ejus, subito captus est, cum quo firmam pacem habere sperabat. Denique Britolii sex mensibus in carcere fuit; et praefatus praedo cum nimia tyrannide terram ejus rapinis et incendiis sine causa devastavit. Rotrocus ergo comes avunculus ejus de tanta rabie multum doluit, et nepotem suum de vinculis, et honorem ejus ab inimicis eruere concupivit; ideoque cum armatis frequenter explorare occursus ejus summopere curavit. Tandem in fine Octobris, volente Deo, praedonibus cum valida manu occurrit; Rodbertum et Mauricium fratrem ejus aliosque plures comprehendit; quibus dire, ut justum est, incarceratis, magnam securitatem innocuis pagensibus contulit. In medio Quadragesimae principes regionum Moritoniae convenerunt, et colloquium de negotiis reipublicae habuerunt. Ibi Hugo Rothomagensis archiepiscopus atque Normanni Thedbaldum comitem adierunt, eique regnum Angliae et ducatum Normanniae obtulerunt. Ille vero tantarum, ut prudens et religiosus, praegravari curarum pondere refutavit, sed Joffredo, Henrici regis genero, interpositis quibusdam conditionibus, regium jus concessit, ita videlicet ut Turonicam urbem, quae de feudo ejus erat, sibi dimitteret, fratremque suum regem de vinculis absolveret, et pristinum honorem quem, vivente avunculo suo, habuerat, ipsi et haeredi ejus ex integro restitueret. Tunc Rodbertus, Legrecestrae comes, cum Rotroco foedus iniit, et Richerium de Aquila, rogatu consulum qui aderant, liberavit; pacem quoque cum Andegavensibus, donec de Anglia remearet, sibi et Gualeranno fratri suo procuravit. Vernolienses autem oppidani, in quorum conventu XIII millia hominum computabantur, qui olim pro rege terribiliter frendebant et minitabantur, considerantes quod Andegavensibus jam plures cederent qui dudum obstiterant, emolliri a pristino rigore coeperunt, et munitione reddita, dominatum Joffredi consulis et Mathildis susceperunt. Sic non multo post municipes de Nonencorte fecerunt. Joannes vero Lexoviensis episcopus jam grandaevus et multa expertus diuturnitate, sine spe alicujus auxilii guerram Andegavorum nolens tam diu sufferre, maxime cum videret illos cis Sequanam passim praeeminere, et plura vicinorum oppida pacifice sibi subjicere, consultu amicorum in ultima septimana Quadragesimae pacem fecit cum comite. Deinde ante Pentecosten Cadomo reversus Lexovium, ex nimio aestu et labore infirmatus est; et post aegrotationem unius hebdomadis, XXXIV episcopatus sui anno, XII Kalendas Junii defunctus est. Tunc Rotrocus, Ebroicensis episcopus, et Rannulfus Uticensis abbas, aliique dioecesis suae abbates convenerunt, et in basilica S. Petri apostoli corpus ejus ante aram S. Michaelis ad aquilonalem plagam sepelierunt. Tunc Ludovicus Juvenis, Francorum rex, ingentem exercitum congregavit, ac ad festivitatem S. Joannis Baptistae Tolosam obsidere perrexit, et in consulem Andefonsum Raimundi filium praeliari contendit. Ecce senio et infirmitate fatigatus, librum hunc finire cupio, et hoc ut fiat pluribus ex causis manifesta exposcit ratio. Nam sexagesimum septimum aetatis meae annum in cultu Domini mei Jesu Christi perago, et dum optimates hujus saeculi gravibus infortuniis sibique valde contrariis comprimi video, gratia Dei roboratus, securitate subjectionis et paupertatis tripudio, en Stephanus rex Anglorum in carcere gemens detinetur, et Ludovicus, rex Francorum expeditionem, agens contra Gothos et Guascones, pluribus curis crebro anxiatur; en praesule defuncto, Lexoviensis cathedra caret episcopo, et quando vel qualem habitura sit pontificem nescio. Quid amplius dicam? Inter haec, omnipotens Deus, eloquium meum ad te converto, et clementiam tuam ut mei miserearis dupliciter exoro. Tibi gratias ago, summe rex, qui me gratis fecisti, et annos meos secundum beneplacitam voluntatem tuam disposuisti. Tu es enim rex meus et Deus meus, et ego sum servus tuus, et ancillae tuae filius, qui pro posse meo a primis tibi vitae meae servivi diebus. Nam Sabbato Paschae apud Attingesham baptizatus sum, qui vicus in Anglia situs est super Sabrinam ingentem fluvium. Ibi per ministerium Ordrici presbyteri ex aqua et Spiritu sancto me regenerasti, et mihi ejusdem sacerdotis, patrini scilicet mei, nomen indidisti. Deinde, cum quinque essem annorum, apud urbem Scrobesburiam scholae traditus sum, et prima tibi servitia clericatus obtuli in basilica sanctorum Petri et Pauli apostolorum. Illic Signardus insignis presbyter per quinque annos Carmentis Nicostratae litteras docuit me, ac psalmis et hymnis, aliisque necessariis instructionibus mancipavit me. Interea praedictam basilicam super Molam flumen sitam, quae patris mei erat, sublimasti, et per piam devotionem Rogerii comitis venerabile coenobium construxisti. Non tibi placuit, ut illic diutius militarem, ne inter parentes, qui servis tuis multoties oneri sunt et impedimento, paterer inquietudinem, vel aliquod detrimentum in observatione legis tuae per parentum carnalem affectum incurrerem. Idcirco, gloriose Deus, qui Abraham de terra patrisque domo et cognatione egredi jussisti, Odelerium patrem meum aspirasti, ut me sibi penitus abdicaret, et tibi omnimodis subjugaret, Rainaldo igitur monacho plorans plorantem me tradidit, et pro amore tuo in exsilium destinavit, nec me unquam postea vidit. Paternis nempe votis tenellus puer obviare non praesumpsi, sed in omnibus illi ultro adquievi, quia ipse mihi spopondit ex parte tua, si monachus fierem, quod post mortem meam paradisum cum innocentibus possiderem. Gratanter facta inter me et te, genitore meo proloquente, conventione hujuscemodi, patriam et parentes, omnemque cognationem, et notos et amicos reliqui; qui lacrymantes et salutantes benignis precibus commendaverunt me tibi, o summe Deus Adonai! Orationes illorum, quaeso, suscipe, et quae mihi optaverunt, pie rex Sabaoth, clementer annue. Decennis itaque Britannicum mare transfretavi, exsul in Normanniam veni, cunctis ignotus neminem cognovi. Linguam, ut Joseph in Aegypto, quam non noveram, audivi. Suffragante tamen gratia tua, inter exteros omnem mansuetudinem et familiaritatem reperi. A venerabili Mainerio abbate in monasterio Uticensi XI aetatis meae anno ad monachatum susceptus sum, undecimaque Kalendas Octobris Dominico clericali ritu tonsoratus sum. Nomen quoque Vitalis pro Anglico vocamine, quod Normannis absonum censebatur, mihi impositum est: quod ab uno sodalium sancti Mauricii martyris, cujus tunc martyrium celebrabatur, mutatum est. In praefato caenobio LVI annis, te favente, conversatus sum, et a cunctis fratribus multo plus quam merui, amatus et honoratus sum. Aestus et frigora, pondusque diei perpessus in vinea Sorech inter tuos laboravi, et denarium, quem pollicitus es, securus, quia fidelis es, exspectavi. Sex abbates quia tui fuerunt vicarii, ut patres et magistros reveritus sum, Mainerium et Serlonem, Rogerium et Guarinum, Richardum et Rannulfum. Isti nempe Uticensi conventui legitime praefuerunt, pro me et pro aliis tanquam rationem reddituri vigilaverunt, intus et exterius solertiam adhibuerunt, nobisque necessaria, te comitante et juvante, procuraverunt. Idus Martii, cum XVI essem annorum, jussu Serlonis electi, Gislebertus Lexoviensis praesul ordinavit me subdiaconum. Deinde post biennium, VII Kalendas Aprilis, Serlo Sagiensis antistes mihi stolam imposuit diaconi. In quo gradu XV annis tibi libenter ministravi. Denique XXXIII aetatis meae anno, Guillelmus archiepiscopus Rothomagi XII Kalendas Januarii oneravit me sacerdotio. Eodem vero die CCXLIV diaconos, et CXX consecravit sacerdotes, cum quibus ad sanctum altare tuum in Spiritu sancto devotus accessi, jamque XXXIV annis cum alacritate mentis tibi sacra ministeria fideliter persolvi. Sic, sic, Domine Deus, plasmator et vivificator meus, per diversos gradus mihi dona tua gratuito dedisti, et annos meos ad servitutem tuam juste distinxisti. In omnibus locis, ad quae jamdudum me duxisti, a tuis amari, non meritis meis, sed munere tuo me fecisti. Pro universis beneficiis tuis, benigne Pater, tibi gratias ago, toto corde laudo et benedico, et pro innumeris reatibus meis misericordiam tuam flebiliter imploro. Parce mihi, Domine, parce, et ne confundas me. Ad infatigabilem bonitatem tuam pie plasma tuum respice et omnia peccata mea dimitte, et absterge. Perseverantem in tuo famulatu da mihi voluntatem, viresque indeficientes contra versipellis Satanae malignitatem, donec adipiscar, te donante, perpetuae salutis haereditatem. Et quae mihi, benigne Deus, hic et in futuro dari deposco, haec amicis et benefactoribus meis peropto. Haec etiam cunctis fidelibus tuis secundum providentiam tuam concupisco; ad obtinenda perennia bona, quibus ardenter inhiant desideria perfectorum, quia nostrorum non sufficit efficacia meritorum. O Domine Deus, omnipotens Pater, conditor et rector angelorum, vera spes et aeterna beatitudo justorum, subveniat nobis apud te gloriosae intercessio sanctae Virginis et matris Mariae, et omnium sanctorum, praestante Domino nostro Jesu Christo, redemptore universorum, qui tecum vivit et regnat in unitate Spiritus sancti Deus per omnia saecula saeculorum. Amen. |
Le malheur du roi Etienne causa un grand chagrin aux clercs et aux moines, ainsi qu'aux gens simples du peuple, parce que ce monarque était humble et affable pour les hommes bons et doux; et si de perfides seigneurs l'eussent permis, en renonçant à leurs tentatives perverses, il eût été le protecteur généreux et bienveillant de sa patrie. Les habitans de Lincoln qui avaient, comme il convient, pris le parti du roi leur maître, voyant que leurs ennemis avaient remporté une victoire complète, abandonnèrent, dans leur désolation, leurs maisons, leurs femmes et leurs biens, et gagnèrent le fleuve voisin pour se sauver a l'étranger. S'étant portés en foule aux bateaux, et les ayant remplis d'une trop grande multitude, en s'y jetant pêle mêle dans la crainte de la mort, les derniers arrivés se précipitèrent sur les premiers, et firent aussitôt chavirer ces bâtimens. Presque tous ceux qui y étaient entrés périrent, à ce qu'on assure, au nombre d'environ cinq cents nobles citoyens. Il n'en périt pas tant dans la bataille. Un chevalier d'élite nommé Guillaume, qui était neveu de Goisfred, archevêque de Rouen, fut tué dans l'armée royale. Au surplus, il ne périt pas plus de cent chevaliers, au dire de ceux qui se trouvèrent à la bataille. Cependant le comte Ranulfe et les autres vainqueurs entrèrent dans la ville, et, comme des barbares, la pillèrent entièrement. Ils massacrèrent, comme des troupeaux, sans aucune pitié, et par divers genres de mort, ce qui restait de citoyens qu'ils purent trouver et prendre. Après cette bataille et la prise du Roi, il y eut de grands troubles dans le royaume d'Angleterre. Henri, évêque de Winchester, se tourna aussitôt du côté des Angevins; ayant reçu favorablement la comtesse dans la capitale, il abandonna entièrement le Roi son frère et tous ceux de son parti. Le comte Galeran, Guillaume de Varenne, Simon, et plusieurs autres seigneurs s'attachèrent à la Reine, et promirent de combattre vaillamment pour le nouveau roi et ses héritiers. Ainsi de tous côtés s'étendit la perversité; ainsi l'Angleterre fut remplie de pillages, d'incendies et de meurtres; et cette contrée naguère si opulente est maintenant désolée. Cependant Geoffroi, comte d'Anjou, ayant appris les triomphes de sa femme, se rendit aussitôt en Normandie, envoya des courriers aux principaux seigneurs, et leur ordonna, en vertu de ses droits, de remettre leurs places fortes et de rester en paix. Dans le carême suivant, Rotrou comte de Mortagne fut le premier qui fit la paix avec Geoffroi, et prêta son assistance aux Angevins après avoir rompu le traité qu'il avait fait avec le roi Etienne. Il avait eu récemment un sujet de ressentiment contre ce monarque, parce que l'ayant invité à faire mettre en liberté Richer de L'Aigle son neveu, il n'avait pu rien obtenir de lui. En effet, un dimanche de septembre, pendant que l'on célébrait la nativité de la Vierge, Richer passait tranquillement en Angleterre avec cinquante chevaliers; arrivé sans armes au bourg que l'on appelle Lire77, il fut aussitôt fait prisonnier par Robert de Bellême, qui était en embuscade sur la route, et avec lequel il croyait avoir fait une paix durable. Ensuite il fut retenu six mois en prison à Breteuil, et, sans nul motif, le brigand dont nous venons de parler ravagea, dans l'excès de sa tyrannie, par le pillage et l'incendie, les terres de Richer de L'Aigle En conséquence le comte Rotrou, oncle de Richer, fut profondément affligé de tant de fureurs, et desira arracher son neveu de la prison, et soustraire ses terres à l'invasion de ses ennemis. C'est pourquoi il s'occupa avec zèle de suivre fréquemment, avec des soldats, la marche de Robert. Enfin, dans les derniers jours d'octobre, conformément à la volonté de Dieu, Rotrou, accompagné d'une forte troupe, rencontra les brigands; il prit Robert et Maurice son frère, ainsi que plusieurs autres guerriers; il les tint rigoureusement en prison, comme il était juste, et procura ainsi aux innocens paysans une grande sécurité. Au milieu du carême, les seigneurs de Normandie se réunirent à Mortagne et délibérèrent sur les affaires publiques. Hugues, archevêque de Rouen, et quelques seigneurs normands allèrent trouver le comte Thibaut78, et lui offrirent le royaume d'Angleterre et le duché de Normandie. Comme ce prince était prudent et pieux, il refusa de se charger du fardeau de tant d'affaires, et céda son droit au trône, moyennant certaines conditions, à Geoffroi gendre du roi Henri. Ces conditions furent que Geoffroi céderait à Thibaut la ville de Tours, qui dépendait de son comté; qu'il mettrait en liberté le roi Etienne son frère, et qu'il lui rendrait ainsi qu'à son héritier la totalité de ses anciens biens, dont il avait joui du vivant de son oncle. Alors Robert, comte de Leicester, fit un traité avec Rotrou, et, à la demande des comtes qui étaient présens, il mit en liberté Richer de L'Aigle, et conclut la paix pour lui-même et pour son frère avec les Angevins, jusqu'à ce qu'il fût de retour de l'Angleterre. Cependant les habitans de Verneuil, qui comptaient dans leur parti treize mille hommes, et qui naguères se montraient terribles et menaçans en faveur du Roi, considérant que beaucoup de gens avaient déjà traité avec le comte d'Anjou, après une longue résistance, laissèrent fléchir leur ancienne obstination, et, rendant leur place, reçurent la loi du comte Geoffroi et de Mathilde. Les habitans de Nonancourt ne tardèrent pas à les imiter. Jean, évêque de Lisieux, déjà âgé et doué d'une longue expérience, n'ayant plus d'espoir d'aucun secours, et ne voulant pas soutenir plus long-temps la guerre contre les Angevins, surtout lorsqu'il les voyait s'établir victorieusement sur la rive gauche de la Seine, et que plusieurs places de son voisinage faisaient la paix avec eux, traita, de l'avis de ses amis, avec le comte d'Anjou dans la dernière semaine du carême. Ensuite, avant la Pentecôte, étant retourné de Caen à Lisieux, il souffrit beaucoup de l'excès de la chaleur et de la fatigue; et, après avoir été malade pendant une semaine, il mourut le 12 des calendes de juin (21 mai), après trente quatre ans d'épiscopat. Alors Rotrou, évêque d'Evreux, Raoul, abbé d'Ouche, et les autres abbés de son diocèse, se réunirent et inhumèrent son corps dans la basilique de l'apôtre Saint-Pierre, du côté du nord, devant l'autel de Saint-Michel. Alors Louis-le-Jeune, roi des Français, rassembla une grande armée; à l'époque de la fête de Saint-Jean-Baptiste79, il alla mettre le siége devant Toulouse, et fit la guerre au comte Alphonse80, fils de Raimond. Voilà que fatigué par la vieillesse et les infirmités, j'éprouve le desir de terminer ce livre, et, d'après plusieurs motifs, la raison exige bien certainement qu'il en soit ainsi. En effet, j'ai passé soixante-sept ans de ma vie dans le culte de mon Seigneur Jésus-Christ; et, pendant que je vois les grands du siècle accablés de rudes infortunes et des maux les plus fâcheux pour eux, je suis, grâce à Dieu, fort de la sécurité que me donne ma soumission, et de la joie que je dois à ma pauvreté. Voilà qu'Etienne, roi des Anglais, est retenu gémissant en prison, et que Louis, roi des Français, est en proie au tourment de soucis divers dans l'expédition qu'il entreprend contre les Goths et les Gascons. Voilà que la chaire de Lisieux est privée d'évêque par la mort de son prélat, et je ne sais quand il aura un successeur ni quel il pourra être. Que dirai-je de plus? «Sur ces entrefaites, Dieu tout-puissant, je dirige vers vous mon discours, et j'implore doublement votre clémence pour que vous ayez pitié de moi. Je vous rends grâce, roi suprême, de m'avoir mis au monde sans que je le méritasse, et d'avoir disposé de mes années selon le bon plaisir de votre volonté. Vous êtes mon Roi et mon Dieu; moi, je suis votre serviteur et le fils de votre servante, et, autant que je l'ai pu, je vous ai servi depuis les premiers jours de ma vie. En effet, le samedi de Pâques81, je fus baptisé à Attingham, bourg situé en Angleterre, sur le grand fleuve de la Saverne. Là, par le ministère du curé Orderic, vous m'avez régénéré par l'eau et l'Esprit-Saint, et vous m'avez donné le nom de ce prêtre qui fut mon parrain. Ensuite, lorsque je fus âgé de cinq ans, vous m'envoyâtes à l'école dans la ville de Shrewsbury, et je vous y offris mes premiers services dans la basilique des saints apôtres Pierre et Paul. Là, l'illustre prêtre Siegward m'enseigna pendant cinq années les lettres latines, inventées par Nicostrate, qui depuis mérita le surnom de Carmente. Il me rendit familier avec les psaumes, les hymnes, et les autres instructions nécessaires. Cependant vous avez élevé sur les bords de la Mole et dans les domaines de mon père la basilique dont je viens de parler, et vous avez fait construire un vénérable couvent par la pieuse dévotion du comte Roger82. Il ne vous a pas plu que j'y combattisse longtemps pour vous, de peur que je n'éprouvasse de l'inquiétude au milieu de parens, qui souvent gênent et embarrassent vos serviteurs, ou que je ne fusse exposé à quelque contrariété dans l'observance de votre loi, à cause des affections mondaines que les liens du sang font éprouver. C'est pourquoi, Dieu glorieux, qui fîtes sortir Abraham de son pays, de la maison de son père, et du sein de sa famille, vous inspirâtes à mon père Odelir le dessein de m'éloigner entièrement de lui, et de me soumettre à vous de toutes manières. Tout éploré, il me remit pleurant aussi au moine Rainauld, m'envoya en exil par amour pour vous, et depuis ce moment ne m'a jamais revu. Jeune et faible enfant, je n'osai m'opposer au desir de mon père; je lui obéis volontiers en toutes choses, parce qu'il me promit, de votre part, que, si je me faisais moine, je partagerais après ma mort le Paradis avec les justes. Après avoir fait de bon cœur, à la voix de mon père, cette convention mutuelle entre vous et moi, j'abandonnai ma patrie, mes parens les plus proches, le reste de ma famille, mes connaissances et mes amis, qui tous, les larmes aux yeux et me disant adieu, me recommandèrent, par d'affectueuses prières, à vous, ô mon Dieu, ô suprême Adonaï! Exaucez, je vous en supplie, leurs prières, ô bon roi Sabaoth, et, dans votre clémenee, faites-moi jouir de ce qu'ils m'ont souhaité! «C'est ainsi qu'à l'âge de dix ans je passai la mer: j'arrivai exilé en Normandie, inconnu de tout le monde et ne connaissant personne. Comme Joseph en Égypte, j'entendis une langue que je ne comprenais nullement;, toutefois, secouru par votre grâce, je trouvai chez les étrangers toute la douceur et l'amitié que je pouvais desirer. Le vénérable Mainier, abbé du monastère d'Ouche, m'admit à l'état monastique dans la onzième année de mon âge, et le dimanche 11 des calendes d'octobre (22 septembre), il me donna la tonsure suivant l'usage des clercs. Il substitua le nom de Vital à mon nom anglais qui semblait barbare aux Normands, et il emprunta ce nom à l'un des compagnons du martyr saint Maurice, dont en ce jour on célébrait la fête. Grâce à vos faveurs, je suis resté dans ce couvent cinquante-six ans; j'y ai été aimé et honoré beaucoup au-delà de ce que je mérite, par tous mes frères et mes compatriotes. Supportant la chaleur, le froid et le poids du jour, j'ai travaillé parmi vos serviteurs dans la vigne de Sorec; et, comme vous êtes juste, j'ai attendu avec assurance le denier que vous avez promis. J'ai révéré, comme mes pères et mes maîtres, parce qu'ils étaient vos vicaires, les six abbés Mainier et Serlon, Roger et Guérin, Richard et Ranulf; ils ont gouverné légitimement le monastère d'Ouche; ils ont veillé comme s'ils devaient rendre compte pour moi et pour les autres; ils ont fait usage de leur habileté à l'intérieur comme au dehors, et ils nous ont procuré sous vos yeux et avec votre assistance ce qui nous était nécessaire. J'avais seize ans, lorsqu'aux ides de mars (15 mars), sur l'invitation de Serlon qui venait d'être élu, Gislebert, évêque de Lisieux, m'ordonna sous-diacre. Ensuite, au bout de deux années, le 7 des calendes d'avril (26 mars), Serlon, devenu évêque de Séès, m'imposa l'étole du diaconat. Je vous ai servi de bon cœur pendant quinze ans dans cet ordre; ensuite parvenu à l'âge de trente-trois ans, le 12 des calendes de janvier (21 décembre), l'archevêque Guillaume m'imposa à Rouen le fardeau du sacerdoce en même temps qu'il consacra deux cent quarante-quatre diacres et cent vingt prêtres83 avec lesquels je m'approchai de votre autel sacré, dévotement et animé par le Saint-Esprit. Déjà, depuis trente-quatre ans, j'ai rempli fidèlement le saint ministère dans toute l'allégresse de mon cœur. «C'est ainsi, Seigneur Dieu, vous qui m'avez créé et qui m'avez fait vivre, c'est ainsi que vous m'avez gratuitement prodigué vos dons dans les divers ordres qui m'ont été conférés, et que vous avez justement consacré mes années à votre service. Dans tous les lieux où depuis long-temps vous m'avez conduit, vous avez permis que je fusse chéri de mes serviteurs, non pas pour mon mérite, mais par un effet de votre bonté. Pour tous vos bienfaits, ô tendre père, je vous rends grâces, je vous loue et bénis de tout mon cœur. Les larmes aux yeux, j'implore votre miséricorde pour mes innombrables péchés. Epargnez-moi, Seigneur, épargnez-moi, et ne me couvrez pas de confusion. Conformément à votre infatigable bonté, jetez un regard de tendresse sur votre ouvrage; pardonnez-moi tous mes péchés, et faites disparaître les souillures de mon ame. Accordez-moi la volonté de persévérer dans votre service, ainsi que des forces suffisantes contre la malice du fallacieux Satan, jusqu'à ce que j'obtienne de vous l'héritage du salut éternel. Ce que je vous demande ici pour moi dans ce moment et pour l'avenir, ô Dieu de bonté! je le desire aussi pour mes amis et pour mes bienfaiteurs; je vous adresse les mêmes vœux pour tous les fidèles selon l'ordre de votre Providence. Comme nos mérites ne sont pas assez efficaces pour acquérir les biens éternels auxquels aspirent les desirs des hommes pieux, ô, Seigneur Dieu, père tout-puissant, créateur et chef des Anges, véritable espérance et éternelle béatitude des justes, puisse la glorieuse intercession de sainte Marie, vierge-mère, ainsi que de tous les saints, nous assister auprès de vous, avec l'aide de Notre Seigneur Jésus-Christ, rédempteur de tous les hommes, qui vit et règne avec vous comme Dieu, dans l'unité du Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il!» |
(47) Saint-Jacques de Compostelle. (48) Villers-Chambellan, arrondissement de Rouen. (49) Mésidon, arrondissement de Lisieux. (50) Basoches-au-Houlme, arrondissement d'Argentan. (51) Arrondissement de Caen. (52) Grandis Silva. (53) Chitreium. (54) Arrondissement d'Avranches. (55) Le Mont-Saint-Michel. (56) Emadeddin Zenghi I. (57) Ou Mont-Ferrat, ou Mont-Ferrand. (58) Bellus campus, arrondissement d'Avranches. (59) Magna villa, arrondissement de Valognes. (60) Montreuil-l'Argilé, arrondissement de Bernai. (61) De Axone: Peut-être Lasson, arrondissement de Caen. (62) Arrondissement d'Argentan. (63) De ulmo: Peut-être Ommoi, Omméel, ou Mont-Ormel, trois communes de l'Arrondissement d'Argentan. (64) Arrondissement de Falaise. (65) Stotesburia. Ce Robert est Robert de Ferrières. (66) Guillaume, fils d'Etienne. (67) Zeda, la Tweed. (68) Guillaume de Varenne. (69) Arrondissement de Domfront. (70) L'une et l'autre dans l'arrondissement de Pont-l'Evèque. (71)Fractus est, que je crois devoir lire, au lieu du factus est de l'imprimé. (72) Platani, arrondissement de Bernai. (73) L'imprime porte idus maii; ce qui est évidemment une erreur. (74) Noyon-sur-Andelle. (75) Le 2 février 1143. (76) Securis norien. (77) Arrondissement d'Evreux. (78) Comte de Blois et de Champagne. (79) En 1144, selon quelques historiens. (80) Andefonsus. Alphonse Jourdain, fils de Raimond IV. (81)Ne le 16 février 1075: il fut baptisé le samedi 4 avril suivant. (82) Roger de Mont-Gomeri. (83) Voyez le livre XI vers la fin. |