ORDERIC VITAL
HISTOIRE DE NORMANDIE
TROISIEME PARTIE : LIVRE XIII (PARTIE I)
livre XII partie III - LIVRE XIII partie II
Œuvre mise en page par Patrick Hoffman
Texte latin de Migne.
LIBER DECIMUS TERTIUS. I. Eventus varii. Franci ad suecurrendum Hildefonsum regem contra Saracenos, Hispaniam petunt. Mulli illorum in Hispania sese stabiliunt. Eventus varii harum regionum. Dum Occidentales peregrini contra paganos in Palaestina saepe certarent, et Hierusalem aliasque urbes crebris conflictibus et diutinis obsidionibus Christo manciparent, Goisfredus, comes Moritoniae, filius Rotronis comitis, vir in multis probitatibus praedicabilis, usque ad mortem aegrotavit; et vocatis proceribus Pertici et Corboniae, qui suo comitatui subjacebant, res suas solerter ordinavit. Beatricem nempe conjugem suam, quae consulis de Rupeforti filia fuit , et optimates suosprudenter instruens, rogavit ut pacis quietem et securitatem sine fraude tenerent, suamque terram municipiis suis Retroni filio suo unigenito, qui in Hierusalem peregre perrexerat, fideliter conservarent. Denique strenuus heros, omnibus rite peractis, Cluniacensis monachus factus est, et apud Nogentem castrum suum in Octobris medio defunctus et sepultus est. Ibi quippe pater ejus in honore S. Dionysii Areopagitae coenobium coeperat, et ipse multum terris et opibus sublimaverat. In eodem mense, Guillelmus de Molinis, audacissimus marchio mortuus est, et in capitulo B. Ebrulfi tumulatus est. Anno ab Incarnatione Domini 1100, peractis rebus pro quibus Hierusalem ierant, optimates redierunt, et sua repetierunt. Tunc Rodbertus, Normannorum dux, et Rodbertus Flandrensis, atque Rotro Moritoniensis, aliique plures prospere reversi sunt, et affinibus merito congratulantibus, sua quippe possederunt. Non multo post, Hildefonsus , Aragonum rex graviter a paganis impetitus est, et crebris certaminibus multisque detrimentis nimium vexatus est. Unde Rotroni, consanguineo suo, legatos destinavit; eique humiliter mandavit ut sibi contra ethnicos dimicanti subveniret, et auxilia Francorum, quae multis in necessitatibus laudabiliter experti sunt, secum adduceret. Promisit etiam se daturum suffragantibus Gallis larga stipendia, et secum remorari volentibus opima praedia. Protinus comes probissimus commilitones ascivit, cognato regi suppetias adduxit, sine dolo et fictione adjuvit; sed integram Hiberorum fidem non invenit. Nam, dum in multis strenue cum sociis et comprovincialibus suis egisset, et eorum adminiculum Saracenos admodum terruisset, Hispani dolum in illos machinati sunt, et de morte suorum auxiliatorum, consensu regis, ut opinantur, tractaverunt. Quod facinus ut ab eorum complicibus detectum Gallis patuit, Rotro cum consodalibus suis regem cum proditoribus Hiberis reliquit, et in nullo digne pro tantis laboribus remuneratus, in Gallias remeavit. Eodem tempore, inter Rotronem et Rodbertum Belesmensem magna seditio exorta est, pro quibusdam calumniis quas iidem marchisi agitabant pro suorum limitibus fundorum. Unde atrocem guerram vicissim fecerunt, in terris suis praedas et incendia perpetraverunt, et scelera sceleribus accumulaverunt; inerme vulgus spoliaverunt, damnis damnorumque metu saepe afflixerunt, multisque calamitatibus sibi subjectos milites et pagenses contristaverunt. Verumtamen Rotro superior exstitit et Rodbertum de Belesmo victum fugavit, et plurimos de hominibus ipsius comprehendit, et in carcere coarctavit. Consobrini enim erant, et ideo de fundis antecessorum suorum altercabant. Guarinus de Damfronte, quem daemones suffocaverunt, Rotronis atavus fuit, et Rodbertus de Bellismo, quem filii Gualterii Sori securibus apud Balaum in carcere ut porcum mactaverunt, Mabiliae matris Rodberti patruus exstitit. Rodbertus itaque Damfrontem et Bellismum, et omne jus parentum suorum solus possidebat, participemque divitiarum seu consortem potestatis habere refutabat; imo plura dolo seu vi coacervare inexplebiliter ambiebat. Collimitanei ergo comites Goiffredus et Rotrocus haereditatis suae portionem multoties acriter calumniati fuerant; sed praefato tyranno, cui XXXIV oppida erant, violenter suum jus, licet innumera damna fecerint, ei auferre nequiverant. Henricus autem rex Anglorum, probitate Rotronis comperta, Mathildem filiam suam (notham) uxorem illi dedit, et in Anglia terras et opes ei plurimas ampliavit. |
LIVRE TREIZIÈME.
Pendant que les pélerins occidentaux livraient en Palestine des combats répétés aux Païens, et remettaient sous la loi du Christ Jérusalem et d'autres villes, à la suite de fréquentes batailles et de siéges prolongés, Geoffroi1, comte de Mortagne, fils du comte Rotrou, homme recommandable par de nombreuses prouesses, tomba malade jusqu'à la mort, et, ayant convoqué les seigneurs du Perche et du Corbonnais, qui dépendaient de son comté, il régla sagement ses affaires. Donnant des instructions prudentes à sa femme Béatrix, qui était fille du comte de Rochefort2, ainsi qu'aux grands de son comté, il les pria de maintenir loyalement le repos et la sécurité de la paix, et de conserver fidèlement ses terres avec ses places à Rotrou, son fils unique, qui était parti pour Jérusalem. Enfin ce brave seigneur, ayant acquitté ses devoirs de chrétien, prit l'habit de moine de Cluni; puis il mourut, et fut enterré au milieu d'octobre3 dans son château de Nogent4. Son père y avait commencé un monastère en l'honneur de Saint-Denis l'aréopagite, et lui-même l'avait fort enrichi de terres et d'autres biens. Dans le même mois, Guillaume de Moulins, marquis intrépide, mourut, et fut enterré dans le chapitre de Saint-Evroul. L'an de l'incarnation du Seigneur 1100, l'expédition pour laquelle les grands s'étaient rendus à Jérusalem étant terminée, ils revinrent chez eux, et, comme il était juste, ils reprirent leurs biens. Alors Robert, duc des Normands; Robert, comte de Flandres; Rotrou5, comte de Mortagne, et plusieurs autres, firent un heureux retour, et reprirent leurs possessions à la satisfaction de leurs amis intimes et de leurs voisins. Peu de temps après, lldefonse6, roi d'Aragon, fut cruellement attaqué par les Païens, et souffrit beaucoup dans de fréquentes batailles et par de grandes pertes. C'est pourquoi il envoya des courriers à Rotrou, son cousin, et le pria humblement de le secourir dans la guerre qu'il avait à soutenir contre les Païens, et de lui procurer l'assistance des Français, qui, dans beaucoup de circonstances difficiles, avaient mérité de grands éloges: il promit aux Français qui le seconderaient de grandes récompenses, et même de riches terres à ceux qui voudraient demeurer avec lui. Aussitôt le vaillant comte convoqua ses compagnons d'armes, marcha au secours du Roi, son cousin, et le seconda loyalement et sans feinte; mais il ne trouva pas autant de bonne foi dans les Espagnols. En effet, pendant qu'avec ses compagnons et ses compatriotes il se signalait par beaucoup d'exploits, et que son assistance épouvantait beaucoup les Sarrasins, les Espagnols dressèrent des embûches à leurs protecteurs, et, comme on le croit, cherchèrent, du consentement du Roi, à les faire périr. Cet attentat ayant été dévoilé aux Français par les complices des conjurés, Rotrou et ses compagnons laissèrent le Roi avec ses traîtres Espagnols. Ainsi, pour tant de travaux ne recevant aucune digne récompense, Rotrou rentra en France. Dans le même temps il s'éleva de grandes difficultés entre Rotrou de Mortagne et Robert de Bellême, à cause de quelques réclamations que ces seigneurs faisaient l'un contre l'autre pour les limites de leur territoire. C'est pourquoi ils se firent une guerre atroce, commirent sur leurs terres beaucoup de pillages et d'incendies, et accumulèrent crimes sur crimes. Ils dépouillèrent le peuple sans défense, jetèrent partout l'affliction par le mal et par la crainte du mal, et contestèrent à force de calamités les chevaliers et les paysans qui leur étaient soumis. Toutefois Rotrou l'emporta: il mit en fuite Robert, après l'avoir vaincu dans une bataille, lui prit beaucoup de monde, et enferma ses prisonniers dans une étroite prison. Ces seigneurs étaient cousins; c'est pourquoi ils avaient des difficultés relativement aux terres de leurs ancêtres. Guérin de Domfront, que les démons avaient étouffé, était le bisaïeul de Rotrou, et Robert de Bellême7, que les fils de Gaultier-Sor avaient, dans la prison de Balon, égorgé comme un porc, à coups de hache, était l'oncle de Mabile, mère de Robert. C'est pourquoi Robert8 seul possédait Domfront, Bellême, et toutes les terres de ses parens, dont il refusait de partager les richesses et la puissance. Au contraire, dans son ambition insatiable, il voulait encore s'agrandir par la ruse et la force. Geoffroi et Rotrou, voisins l'un de l'autre, réclamèrent souvent avec violence une partie de leurs héritages; mais ils n'avaient pu rien enlever de vive force au tyran dont nous venons de parler, et qui possédait trente-quatre places fortes, quoiqu'ils lui fissent éprouver d'innombrables pertes. Henri, Roi des Anglais, ayant entendu parler de la valeur de Rotrou, lui donna en mariage sa fille Mathilde, et l'enrichit en Angleterre de beaucoup de terres et d'autres biens. |
II. Pugnae Hildefonsi regis, adjuvantibus Francis, contra Saracenos Hispaniae et Marocci. Seditiones in Hispania. Hildefonsi regis mors. Saraceni, comperto recessu Francorum, animosiores effecti, rursus aggressi regiones Christianorum, vires suas ostenderunt saevis caedibus multorum. Porro erubescentes Aragonii, viribus hostium oppressi, Francos iterum accersierunt, eisque pro perpetrata olim contumelia satisfecerunt, et jurejurando terras et honores dandos denominaverunt. Comes ergo, praeteritae litis et injuriae immemor, amici et consobrini legationem suscepit, et secum ingentem exercitum undecunque collectum adduxit, et contra paganos pugnaturus in terram eorum audacter intravit. Porro Hispani de tanto auxilio gaudentes, Francos alacriter susceperunt, transactosque reatus emendare volentes, in urbibus suis Toleto et Tudela, necnon Pampelona oppidisque suis hospitati sunt, et amplos honores ac possessiones eis tradiderunt. Illi nimirum otia vitantes, in initio aestatis in unum congregati sunt, ethnicosque de suis finibus cruentis ictibus expulerunt, et talionem eis reddituri, terminos illorum pertransierunt. Pro illatis autem damnis et contumeliis, Deo favente, multimodam ultionem exercuerunt, et in regionibus eorum magnam ubertatem invenientes victus omniumque rerum, hiemem praestolati sunt. Tunc Rotro, comes Moritoniae, cum Francis et episcopus Caesaraugustanus cum fratribus de Palmis, et Guarzo de Biara cum Gasconibus, Penecadel, ubi sunt duae turres inexpugnabiles, munierunt, et sex septimanis tenuerunt. Tandem pugnantes contra Amorgan, regem Valentiae, per Sativam urbem convenerunt. Sed pagani antequam ferirentur, fugerunt. Relictis autem in munitione Penecadel LX satellitibus, redierunt. Sed Amoravii et Andeluciani de Africa missi a rege Alis, filio Insted, eis obviaverunt, triduoque in castro Serraliis obsiderunt. Christiani vero his tribus diebus peccatorum suorum poenitentiam egerunt, jejunaverunt, et Deum invocantes, XVIII Kalendas Septembris pugnaverunt, et adminiculante coelesti virtute, post diuturnum certamen, cum sol occumberet, vicerunt; sed fugientes paganos, nocturna formidantes pericula, per incognita itinera diu persequi non ausi fuerunt. Pridie, ante generalem pugnam, Guarinus Sancio, vir in multis laudandus, cum fratribus de Palmis in montana ascendit; ibique Christianis, cum virtute Dei, praeliantibus, Alaminus rex cum CLIV millibus peditum victus aufugit. Innumeri de tantis paganorum legionibus perierunt, aut armis persequentium, aut praecipitiis, aut nimia lassitudine, vel siti, vel aliis generibus mortium. Sic Afri, qui suppetias idololatris Hiberis venerant, interierunt, et Christicolarum telis in Orcum demissi, cum regibus suis gehennae poenas luunt. Deinde Normannorum quidam et Francorum loca sibi opportuna perquisierunt, et ibidem ad habitandum sedes elegerunt. Silvester autem de Sancto Karilefo, et Rainaldus de Baillol, aliique plures ad natale solum repedarunt, qui patrimonia sua extranearum acquisitionibus rerum praeposuerunt. Tunc Normannus eques, Rodbertus de Culcio, cognomento Burdet, in Hispania commorari decrevit, atque ad quamdam urbem, quae Terragona in antiquis codicibus nuncupatur, secessit. Ibi passi leguntur, tempore Galieni imperatoris, sancti martyres Christi Fructuosus episcopus, et Angulus et Eulogius diaconi, qui primo in carcerem trusi, deinde flammis injecti, exustis vinculis, manibus in modum crucis expansis, orantes ut urerentur, obtinuerunt. Aurelius Clemens Prudentius de ipsis in Libro de Martyribus metricum carmen composuit, ipsorumque certamen luculentis versibus enodavit. Terraconae metropolitana sedes erat, et Oldericus, eruditissimus senex, archiepiscopus florebat, et in vicis burgisque dioecesis suae officium sibi injunctum exercebat. In episcopali quippe basilica quercus et fagi aliaeque proceres arbores jam creverant, spatiumque interius intra muros urbis a priscis temporibus occupaverant, habitatoribus per immanitatem Saracenorum peremptis, seu fugatis, qui eamdem dudum incoluerant. Denique Rodbertus instinctu praesulis, Honorium papam adiit, velle suum ei denudavit, Terraconensem comitatum ab omni exactione saeculari liberum dono papae recepit et reversus, validis sodalibus quaesitis sibique adjunctis, usque hodie custodit, ethnicisque resistit. Interim dum pergeret Romam, itemque pro colligendis contubernalibus rediisset in Normanniam, Sibylla uxor ejus, filia Guillelmi Caprae, servavit Terraconam. Haec non minus probitate quam pulchritudine vigebat. Nam, absente marito, pervigil excubabat, singulis noctibus loricam ut miles induebat, virgam manu gestans, murum ascendebat; urbem circumibat, vigiles excitabat, cunctos ut hostium insidias caute praecaverent prudenter admonebat. Laudabilis est juvenis hera, quae marito sic famulabatur fide, et dilectione sedula, populumque Dei pie regebat pervigili solertia. Anno ab Incarnatione Domini 1125, postquam Rotro comes cum suis satellitibus et auxiliariis in Galliam remeavit, Aragonensis rex, visis insignibus gestis quae Franci sine illo super paganos in Hispania fecerant, invidit; laudisque cupidus ingentem suae gentis exercitum arroganter adunavit. Remotas quoque regiones usque ad Cordubam peragravit, et in illis sex hebdomadibus cum exercitu deguit, ingentique terrore indigenas, qui Francos cum Hiberis adesse putabant, perculit. Saraceni autem in munitionibus suis delitescebant, sed per agros armentorum pecorumque greges passim dimittebant. Nullus de castellis in Christianos exierat, sed Christiana cohors ad libitum omnia extra munimenta diripiebat, et depopulatione gravi provincias affligebat. Tunc Muceranii fere decem millia congregati sunt, ac regem Hildefonsum humiliter adierunt. Nos, inquiunt, et patres nostri hactenus inter gentiles educati sumus, et baptizati Christianam legem libenter tenemus; sed perfectum divae religionis dogma nunquam ediscere potuimus. Nam neque nos pro subjectione infidelium, a quibus jamdiu oppressi sumus, Romanos seu Gallos expetere doctores ausi fuimus, neque ipsi ad nos venerunt propter barbariem paganorum, quibus olim paruimus. Nunc autem adventu vestro admodum gaudemus, et, natali solo relicto, vobiscum migrare cum uxoribus et rebus nostris optamus. Muceranus itaque rex quod petebant annuit. Magna igitur eorum multitudo de finibus suis exivit, et pro sacrae legis amore, ingenti penuria et labore afflicta exsulavit. Aragones enim ut remeaverunt, totam regionem bonis omnibus spoliatam invenerunt, nimiaque penuria et fame antequam proprios lares contigissent, vehementer aporiati sunt. Porro Cordubenses, aliique Saracenorum populi valde irati sunt, ut Muceranios cum familiis et rebus suis discessisse viderunt. Quapropter, communi decreto contra residuos insurrexerunt, rebus omnibus eos crudeliter exspoliaverunt, verberibus et vinculis multisque injuriis graviter vexaverunt. Multos eorum horrendis suppliciis interemerunt, et omnes alios in Africam ultra fretum Atlanticum relegaverunt exsilioque truci pro Christianorum odio, quibus magna pars eorum comitata fuerat, condemnaverunt. Hildefonsus autem rex, ut in regnum suum regressus est, magnis et multis tam publicis quam domesticis seditionibus perturbatus est. Uraca enim uxor ejus, quae filia Hildefonsi senioris Galliciae regis fuerat, consilio et instinctu Galiciensium contra maritum suum rebellaverat, eique perniciem tam veneno quam armis machinata, multis causa perditionis fuerat. Denique Gallicii grave dissidium inter virum et conjugem ejus ut viderunt, nec pacem eis idoneam adhibere suadendo potuerunt, Petrum-Hildefonsum, Raimundi Francigenae comitis filium, ex filia Hildefonsi Magni, regem sibi statuerunt, et hucusque parvum regem vocitantes, libertatem regni sub eo viriliter defendunt. In praefatos reges acris guerra diu duravit, et multa subjectis plebibus damna intulit. Praefata vero mulier in maritum omnimodis saeviit, et nepoti, qui paternam haereditatem regebat, favit. Tandem, divino nutu, sicut Egla uxor David, post diutinam caedem difficultate partus periit. Qua defuncta, bellicosos reges serena pax in amicitiam copulavit, et unanimes fervor praeliandi contra ethnicos armavit. Anno ab Incarnatione Domini 1133, indictione XI, Hildefonsus Aragonum rex exercitum contra paganos aggregavit, et munitissimum ditissimumque castellum, Meschinaz obsedit et cepit. Et oppidanis turgentibus, qui divitiis et ciborum abundantia, inaccessibilique, ut rebantur, firmitate gloriabantur, praecepit ut sese indemnes dederent, et in pace omnibus secum rebus suis sublatis recederent. At illi acriter restiterunt, et minas ejus ac promissa parvipenderunt. Strenuus autem rex per tres septimanas fortiter illos coarctavit, et exteriorem munitionis partem violenter obtinuit. Castellani ergo perterriti interius munimentum regi obtulerunt, ac ut liberos cum suis omnibus eos exire permitteret, rogaverunt. Quibus iratus rex respondit: Hoc quod nunc poscitis a primordio sponte obtuli vobis. Sed vos Christi virtutem et Christianorum fidem, probitatemque floccipendentes respuistis. Nunc igitur, per caput meum, vobis assero, quod hinc non egrediemini, nisi cum vitae vestrae detrimento. Deinde suis jussit ut praeparatas machinas erigerent, et validos assultus in oppidum darent. Quo facto, castellum ceperunt, et cunctis gentilibus capita detruncaverunt, magnumque terrorem vicinis sic intulerunt. Victor itaque rex in civitatem Fragam exercitum duxit, et annua ipsam obsidione circumvallavit. Cives ergo legatos in Africam statim miserunt, et Alis, regi Africae, ut illis succurreret mandaverunt. At ille Amoraviorum decem millia transfretum eis destinavit. Qui in Hispaniam venientes per IV proceres regi mandavere ut festinaret de obsidione urbis recedere. Protinus rex sanctas sibi de capella sua reliquias deferri praecepit, quibus allatis coram omnibus juravit, quod obsidionem non dimitteret, nisi civitas sibi redderetur, aut ipsi letho praepediretur, aut fugaretur. Hoc etiam XX optimatibus suis jurare praecepit. Legati autem redeuntes hoc Amoraviis renuntiaverunt, et illi mox aggregatis omnibus contubernalibus suis ad bellum convenerunt. Deinde fortiter instructa gentilium acies exercitui regis occurrit, acriterque praeliari coepit. Denique rex, ut pervalidum sibi certamen imminere prospexit, veredarios suos celeriter direxit, et omnes amicos atque confines, ut sibi suffragarentur, exoravit. Ipse vero cum suis agminibus pedem ad vicinum montem callide retraxit. Ibique tribus continuis diebus ac noctibus in obstantes Amoravios dimicavit. Rodbertus autem cognomento Burded, comes Terraconae, aliique fideles, auditis rumoribus de regis impugnatione, velociter armati laxatis habenis advolarunt, in nomine Jesu alte vociferati sunt, repentino impetu lassatos gentiles percusserunt, prostraverunt, victosque fugaverunt. Multos quippe ceperunt, plures vero necaverunt, et, victoria peracta, spoliis inimicorum admodum ditati sunt, victorique Deo laeti gratias egerunt. Verum, quia in hoc labenti saeculo nulla mortalium potentia longa est, adversitas prosperitatem, disponente justo rectore Deo, velociter prosecuta est. Cives enim Fragae urbis, quam rex obsidebat, ad quam omnium pessimorum ex ethnicis seu falsis Christianis refugium erat, metuentes tam magnanimi principis iras, insuperabilesque conatus, et Christianorum Christi crucesignatos, et invicta virtute corroboratos exercitus, pacem ab eo petierunt, et subjectionem ei secundum consideratas conditiones spoponderunt. Ille vero concordiam eorum obstinata mente refutavit, et annuum vectigal ab eis recipere sprevit, seseque illos obsidione obtenturum fore minitatus, jurejurando confirmavit. Quod audientes Saraceni, dira desperatione acriores exstiterunt, ad Halin regem Africae denuo legatas miserunt, et ab aliis regibus principibusque gentium in tanto discrimine sibi subsidium summopere procuraverunt. Anno ab Incarnatione Domini 1134, indictione XII, Rodbertus II, dux Normannorum XXVIII anno ex quo apud Tenerchebraicum captus est, et in carcere fratris sui detentus est, mense Februario Carduili Britanniae obiit, et in coenobio monachorum Suncti Petri apostoli Gloucestrae tumulatus quiescit. Tunc Buchar-Halis, filius regis Maroch, plures undique bellatorum copias collegit, et in Hispanias contra Christianos pugnare venit. Alammion autem Cordubensis et Alcharias de Dalmaria, aliique optimates Libyae et Hiberiae cum multis millibus ei adjuncti sunt, coetusque suos ad pugnam insidiose instruxerunt. Hi simul conglomerati Fragae auxiliati sunt, et quinque pertitas acies illuc perduxerunt. Rima nimirum acies ducebat ducentos camelos victualibus et multis speciebus necessariis onustos quibus relevare nitebantur obsessos, et mendicos Christicolas ad irruptionem illicere contra primas cohortes praedae cupidos. Aliae vero phalanges procul divisae in insidiis latebant, ac ut fugientum persecutores exciperent caute manebant. Ad Fragam duo flumina currunt, ab Ilerde Segra, et Ebora a Caesaraugusta in Campo Dolenti. Inter haec flumina pugnatum est in mense Julio, ubi multum sanguinis effusum est. Hildefonsus rex ut nimiam multitudinem ethnicorum contra se venire audivit, principes Christiani exercitus convocavit, ac ad bellum magnifice concitavit. Bertrandus enim Laudunensis, comes Quadrionae, et Rodericus Asturiae, Haimarus de Narbona, et Centulphus Gastonis filius de Biara, Garsio Adramis aliique plures bellicosi proceres in Campo-Dolenti certaverunt. Hildefonsus rex ut primam aciem, quae camelos victualibus onustos ducebat, perspexit, Bertranno comiti, ut cum eis primo dimicaret praecepit. Cui Bertrannus dixit: Domine rex, primos transire dimittamus, ut illis ad urbem appropiantibus nos optime parati simus, et illos si onusti praedis remeaverint ferire, et caute contra insidias inimicorum agmina nostra tutare. Interea sequentes socios eorum exspectemus, et prompti bello excipiamus. Tunc iratus rex cum exclamatione dixit: Ubi est magnanimitas tua, strenue comes? Huc usque timiditatem nunquam in te reperi. His dictis, Consul animosus erubuit, et in ethnicos cum suis coetibus acriter irruit. Illi protinus terga verterunt, ac ad innumerabiles quae sequebantur catervas refugere moliti sunt. Tunc innumerae phalanges in Christianos surrexerunt, et Bertrannum ac Haimarum et Centulfum cum multis millibus occiderunt. Rex autem cum residuis in quodam colle diutius dimicavit, nimiaque hostium multitudine conclusus, suos pene omnes amisit, ibique ad mortem usque pro Christo confligere proposuit. Pontifex autem Urgelensis regi ut recederet jussit. Sed ille pro ruina suorum nimis moestus noluit. Cui episcopus: Ex auctoritate, inquit, Dei omnipotentis, tibi praecipio, ut confestim recedas de hoc campo, ne, te cadente, tota paganis subdatur Christianorum regio, et cunctis in hac provincia consistentibus Christianis incumbat publica interfectio. Denique pontificali jussione constrictus, obedire voluit, sed innumeris millibus paganorum ambitus difficilem exitum undique circumspexit. Attamen ense feroci cum LX militibus, qui residui cum illo laborabant, per tenuiorem hostium cratem sibi callem aperuit, et cum summa difficultate cum X commilitonibus evasit, praesulemque praedictum cum quinquaginta pugnatoribus peremptum reliquit. Tali eventu gentiles elati sunt, et Christiani vehementer contristati sunt. Rex cum magno moerore ad amicos ut remeavit, Caesaraugustanis et Francis occurrit, aliisque fidelibus, qui ad bellum properabant, sed infortunio tristi audito vehementer fracti lugebant. Videntes vero regem, confortare se conati sunt, seseque ad imperium ejus sponte obtulerunt. Ille autem ira fervens, et dolore pollens, unam saltem a Domino, antequam moreretur, de paganis ultionem cum ingenti desiderio praestolabatur.Obvias itaque Christianorum phalanges per devios anfractus ad maritima perduxit, ibique multitudinem Saracenorum opimam captivis et spoliis Christianorum onerantem naves invenit, subitoque super eos, qui nil hujusmodi tunc suspicabantur, irruit, et de illis nimia caede peracta, irae furenti aliquantulum satisfecit. Ibi navis capitibus Christianorum onusta erat, quae rex Buchar patri suo regi Africae pro testimonio victoriae suae mittebat. Captivos quoque circiter septingentos, et insignes manubias vanae laudis amator destinabat. Hildefonsus autem rex, ut supra dictum est, Dei nutu repente supervenit, factaque hostili strage, caesorum capita sociorum rapuit, et Ecclesia Dei honorifice sepelienda reddidit. Captivi vero, qui jam in navibus vincti jacebant, strepitum audientes oculos levaverunt, et videntes quod optare non audebant, vehementer exhilarati sunt, viribus quoque resumptis alacriter animati sunt, et Christianis in littore cum Saracenis pugnantibus vincula vicissim absolverunt, ac ad subsidium suorum de puppibus prosilierunt, sumptisque jugulatorum armis, ethnicos adhuc superstites mortificare moliti sunt. Sic tripudio paganorum versa vice luctus successit, et Christiana cohors in cunctis operibus suis Deum benedixit. Hildefonsus fortis rex laboribus et aerumnis fractus paulo post aegrotavit, et in lecto decumbens post octo dies animam exhalavit. Quo defuncto, quia filium non habuit, turbatio de successore subjectos inter bellicos strepitus aliquandiu detinuit. Denique Aragones Remigium sacerdotem et monachum, quia frater regis erat elegerunt, et, regem sibi constituerunt . Navares autem Garsionem satrapam sibi regem praeposuerunt. |
Les Sarrasins, apprenant la retraite des Français, reprirent courage, attaquèrent de nouveau le territoire des Chrétiens, et manifestèrent leur force par le meurtre cruel de beaucoup de gens. Alors les Aragonnais, honteux de leur conduite, accablés par les forces de l'ennemi, implorèrent de nouveau l'assistance des Français, leur firent satisfaction pour les anciens outrages qu'ils leur avaient faits, et promirent par serment de leur donner des terres et des dignités. En conséquence, le comte, oubliant les altercations et les injures passées, accueillit bien la demande du Roi, son ami et son cousin, conduisit avec lui une grande armée rassemblée de tous côtés, et entra courageusement en Espagne pour y combattre les Païens. Les Espagnols, joyeux d'un secours si important, accueillirent avec empressement les Français, et voulant réparer leurs anciens torts, les logèrent dans les villes de Tolède, de Tudela, de Pampelune, et dans d'autres places, et leur donnèrent de grandes dignités et de grandes terres. Là, sans se livrer au repos, ils se réunirent au commencement de l'été, chassèrent les Païens après des affaires sanglantes, et, leur rendant la pareille, pénétrèrent sur leur territoire. Favorisés de Dieu, ils y exercèrent toutes sortes de vengeances pour les pertes et les affronts dont les Sarrasins s'étaient rendus coupables, et, trouvant dans le pays ennemi une grande abondance et des vivres de toute espèce, ils attendirent la fin de l'hiver. Alors Rotrou, comte de Mortagne, avec les Français, l'évêque de Saragosse avec les frères de Palmes, et Guazson de Béarn avec les Gascons, fortifièrent la ville de Penecadel, où se trouvent deux tours imprenables, et l'occupèrent pendant six semaines. Enfin combattant contre Amorgan, roi de Valence, ils marchèrent sur Xativa; mais les Païens prirent la fuite avant d'être attaqués. Ils s'en revinrent après avoir laissé soixante soldats dans la forteresse de Penecadel; mais les Almoravides et les Andalousiens envoyés d'Afrique par le roi Ali, fils de Justed, marchèrent contre eux, et les assiégèrent pendant trois jours dans le château de Serrai. Pendant ces trois jours, les Chrétiens firent pénitence de leurs péchés; ils jeûnèrent; puis, invoquant le Seigneur, ils livrèrent bataille le 19 des calendes de septembre (14 août); et, avec l'aide de la céleste puissance, après avoir combattu tout le jour, ils vainquirent au coucher du soleil: mais comme ils craignaient les dangers de l'obscurité, ils n'osèrent poursuivre long-temps les Païens qui fuyaient par des chemins inconnus. La veille, avant le combat général, Guérin Sanche, homme digne d'éloges en beaucoup de choses, gravit les montagnes avec les frères de Palmes. Les Chrétiens ayant combattu avec l'assistance de Dieu, le roi Almamoun vaincu prit la fuite avec cent cinquante mille fantassins. De ces nombreuses légions de Païens il mourut un nombre considérable d'hommes, ou par les armes de ceux qui les poursuivaient, ou par les précipices, ou par l'excès de fatigue, ou par la soif, ou par d'autres genres de mort. Ainsi les Africains, qui étaient venus secourir les idolâtres d'Espagne, périrent, et, envoyés en enfer par les traits des Chrétiens, ils y souffrent avec leurs rois les supplices de la gehenne. Ensuite quelques Normands et quelques Français firent la recherche d'emplacemens convenables, et choisirent des lieux propres à leur servir d'habitation. Cependant Silvestre de Saint-Calais9, Rainauld de Bailleul et plusieurs autres revinrent dans leur pays natal, préférant leur patrimoine à des acquisitions étrangères. Alors Robert de Culei10, surnommé Burdet, chevalier normand, résolut de se fixer en Espagne, et se retira dans une certaine ville que les anciens livres appellent Tarragone. On y lit que, du temps de l'empereur Gallien, de saints martyrs du Christ, l'évêque Fructuose et les diacres Angule et Euloge, furent d'abord conduits en prison, puis jetés dans les flammes, et que leurs liens étant consumés, ils étendirent les mains en forme de croix, et, par leurs prières, obtinrent d'être brûlés. Prudence a composé un poème métrique sur ces bienheureux dans son livre des Martyrs, et, en vers élégans, a raconté leur triomphe. Il y avait un siége métropolitain à Tarragone: l'archevêque Odelric, vieillard très-savant, y florissait et exerçait les fonctions de sa charge dans les villes et dans les bourgs de son diocèse. Il croissait dans l'enceinte de la cathédrale des chênes, des hêtres et d'autres grands arbres qui, depuis long-temps, occupaient le terrain situé entre les murs, depuis que les citoyens qui l'avaient long-temps habité avaient été tués ou mis en fuite par la cruauté des Sarrasins. Robert, d'après les conseils du prélat, alla trouver le pape Honorius, lui expliqua sa volonté, et reçut en don du pape le comté de Tarragone libre de toute redevance séculière; et, à son retour, ayant cherché et s'étant adjoint des compagnons, il l'a gardé jusqu'à ce jour, et tient bon contre les Païens. Pendant qu'il se rendait à Rome, et qu'il était retourné en Normandie pour y trouver des compagnons, sa femme Sibylle, fille de Guillaume de Caprée, garda Tarragone. Elle n'avait pas moins de courage que de beauté. En effet, dans l'absence de son mari, elle était pleine de vigilance; chaque nuit elle s'armait d'une cuirasse comme un chevalier; elle montait sur les murs, un bâton à la main, faisait le tour de la place, réveillait les sentinelles et les engageait prudemment à ne se pas laisser surprendre par les ruses de l'ennemi. On doit beaucoup d'éloges à une jeune dame qui sert ainsi son mari avec foi par une affection attentive, et qui gouverne pieusement le peuple de Dieu avec toute l'habileté de la vigilance. L'an de l'incarnation du Seigneur 1125, quand le comte Rotrou fut retourné en France avec ses troupes et ses auxiliaires, le roi d'Aragon, témoin des grands exploits que les Français faisaient sous lui en Espagne contre les Païens, leur porta envie, et, jaloux de leur gloire, il rassembla insolemment une grande armée de sa nation. Il traversa des contrées éloignées pour gagner Cordoue; il y resta six semaines avec ses troupes, et frappa d'une grande terreur les peuples de la contrée, qui croyaient que les Français marchaient avec les Espagnols. Les Sarrasins se cachaient dans leurs places fortes, et ils abandonnaient dans les champs leurs troupeaux de toute espèce. Aucun d'eux ne sortait des châteaux contre les Chrétiens, tandis que ceux-ci enlevaient hors des châteaux tout ce qui leur convenait, et dévastaient cruellement la province. Alors près de dix mille habitans de Murcie se réunirent, et allèrent trouver humblement le Roi Ildefonse. «Jusques ici, dirent-ils, nous et nos pères avons été élevés dans la haine des Païens; baptisés que nous sommes, nous suivons librement la loi chrétienne; mais nous n'avons jamais pu apprendre dans sa perfection le dogme de cette religion sainte. En effet, nous n'avons point osé, à cause de l'état d'asservissement où nous retiennent les Infidèles qui nous oppriment depuis long-temps, demander des docteurs, soit aux Romains, soit aux Français, qui ne peuvent venir à nous à cause de la barbarie des Païens auxquels nous avons autrefois été soumis. Maintenant nous nous réjouissons beaucoup de votre arrivée, et nous desirons partir avec vous, en quittant notre pays natal avec nos femmes et nos biens.» Le Roi accorda aux Murciens ce qu'ils demandaient. En conséquence une grande multitude quitta son pays, et s'exila en s'exposant, par amour de la sainte loi, à une grande détresse et à beaucoup de travaux. Dès que les Aragonais se retirèrent, ils trouvèrent tout le pays dépouillé de ses productions, et souffrirent cruellement de l'excessive disette et de la famine avant d'avoir regagné leur patrie. Cependant les habitans de Cordoue et les autres peuples sarrasins entrèrent dans une violente colère, quand ils aperçurent que les Murciens étaient partis avec leurs familles et leurs richesses. C'est pourquoi, d'après une délibération générale, ils s'armèrent contre ceux qui restaient, les dépouillèrent cruellement de ce qu'ils avaient, et les vexèrent cruellement en les accablant de toutes sortes d'outrages sous le bâton et dans les fers. Ils en firent périr beaucoup dans d'horribles supplices, en reléguèrent d'autres en Afrique, au delà du détroit Atlantique, et les condamnèrent à un exil rigoureux, en haine des Chrétiens, qu'une grande partie des Murciens avait accompagnés. Le roi Ildefonse rentra dans ses Etats: il y fut aussitôt troublé par de grandes agitations tant publiques que privées. Sa femme Uraque, qui était fille d'Ildefonse-le-Vieux, roi de Galice, s'était, par les conseils et l'instigation des peuples de ce pays, révoltée contre son mari, et, tramant sa perte tant par le poison que par les armes, causa le malheur de beaucoup de gens. Enfin les Galliciens, voyant une si grave division entre le Roi et la Reine, et ne pouvant, par la persuasion, leur procurer une paix convenable, mirent sur leur trône Pierre Ildefonse, fils du comte français Raimond et d'une fille d'Ildefonse-le-Grand, et l'appelant jusqu'à ce jour leur petit Roi, ils défendirent vaillamment sous lui la liberté du royaume. Une guerre cruelle dura long-temps entre ces rois, et fit un grand mal à leurs sujets. La Reine exerça toutes sortes de fureurs contre son mari, et favorisa son neveu, qui gouvernait l'héritage paternel. Enfin, par la permission de Dieu, de même qu'Egla, femme de David, elle mourut en mal d'enfant, après avoir commis beaucoup de meurtres. Après sa mort, une douce paix ramena l'amitié entre ces monarques belliqueux, et l'ardeur de la guerre les arma tous contre les Païens. L'an de l'incarnation du Seigneur 1133, Ildefonse, roi des Aragonais, rassembla son armée contre les Païens, et assiégea Méquinença, place très-forte et très-riche: il ordonna aux habitans, qui étaient fiers de leurs richesses, de l'abondance de leurs provisions, et d'habiter une forteresse qu'ils croyaient inaccessible, de se rendre s'ils voulaient conserver leurs biens, et de se retirer en paix en emportant leurs bagages. Ils résistèrent, au contraire, avec vigueur, et firent peu de cas des menaces comme des promesses; mais le vaillant monarque les serra de près durant trois semaines, et emporta d'assaut les dehors de la place. Dans cette conjoncture, les assiégés épouvantés offrirent au Roi de lui remettre les fortifications intérieures, et le prièrent de leur permettre de sortir en liberté avec tout ce qui leur appartenait. Le Roi irrité fit cette réponse: «Ce que vous me demandez maintenant, je vous l'ai, dès le commencement, offert volontiers; mais vous avez traité avec mépris la puissance du Christ, la bonne foi et la valeur des Chrétiens: maintenant je vous atteste, par ma tête, que vous ne sortirez d'ici qu'après avoir perdu la vie.» Ensuite il ordonna à ses troupes de dresser les machines que l'on avait préparées, et de livrer à la place de vigoureux assauts. Ce qui ayant été fait, on prit le château, on trancha la tête à tous les Païens, et on répandit ainsi une grande terreur chez tous leurs voisins. Ensuite le monarque vainqueur conduisit son armée vers la ville de Fraga, et l'assiégea pendant un an. Les assiégés envoyèrent aussitôt des députés en Afrique, et prièrent le roi Ali de venir les secourir. Il fit passer la mer à dix mille Almoravides. Arrivés en Espagne, ils firent dire au roi d'Aragon de lever promptement le siége. Aussitôt ce monarque se fit apporter de sa chapelle les saintes reliques, sur lesquelles il jura publiquement qu'il continuerait le siége jusqu'à ce que la ville se fût rendue, ou qu'il fût enlevé par la mort, ou bien mis en fuite sur le champ de bataille. Il en fit jurer autant à vingt de ses principaux seigneurs. A leur retour, les députés firent part de cette résolution aux Almoravides: ceux-ci s'étant réunis à leurs compatriotes se disposèrent au combat. Ensuite l'armée païenne, s'étant rangée courageusement en bataille, marcha contre l'armée d'Ildefonse, et engagea vivement l'action. Le Roi, voyant qu'un rude combat allait avoir lieu, envoya en toute hâte des courriers et pria tous ses amis et ses voisins de marcher à son secours. Lui-même avec ses troupes opéra habilement sa retraite jusqu'aux montagnes voisines. Là, il soutint le combat contre les Almoravides durant trois jours et trois nuits. Cependant Robert, surnommé Burdet, comte de Tarragone, et quelques autres Chrétiens, ayant appris l'embarras où se trouvait le Roi, accoururent en armes à toute bride, poussèrent do grands cris au nom de Jésus, tombèrent tout à coup sur les Païens fatigués, les rompirent et les mirent en déroute. Ils en prirent beaucoup, ils en tuèrent davantage, et, remportant la victoire, s'enrichirent considérablement des dépouilles de l'ennemi; et, pleins de joie, rendirent grâces à Dieu qui était vainqueur. Mais comme, dans ce siècle périssable, la puissance des mortels n'a point de longue durée, l'infortune suivit de près la prospérité, conformément aux dispositions du Dieu juste qui gouverne toutes choses. Les citoyens de la ville de Fraga, que le Roi assiégeait, et qui était le refuge de tous les méchans, soit Païens, soit faux Chrétiens, redoutant le courroux d'un prince si magnanime, ses efforts invincibles, et les armées des Chrétiens, qui portaient la croix du Christ, et dont un courage insurmontable faisait la force, demandèrent la paix, et promirent de se soumettre d'après les conditions arrêtées. Ce prince refusa avec fermeté de traiter avec eux; il dédaigna de recevoir d'eux un tribut annuel, et jura positivement et avec menaces qu'il les forcerait à se rendre en continuant le siége: ce qu'entendant les Sarrasins, ils se livrèrent ardemment à un cruel désespoir, firent partir de nouveaux envoyés vers Ali, roi d'Afrique, et cherchèrent avec soin à se procurer des secours, dans un si grand danger, auprès des autres rois et des princes. L'an de l'incarnation du Seigneur 1134, Robert II, duc des Normands, mourut dans le mois de février à Cardiff, vingt-huit ans après qu'il eut été pris à Tinchebrai, et mis en prison par son frère. Il repose enterré dans le couvent des moines de l'apôtre saint Pierre à Glocester. Alors Buchar-Ali, fils du roi de Maroc, rassembla de toutes parts de nombreuses troupes de guerriers, et vint en Espagne combattre les Chrétiens. Almamoun de Cordoue, Alcharias, et quelques autres seigneurs de l'Afrique et de l'Espagne se réunirent à lui avec plusieurs milliers d'hommes, et disposèrent insidieusement leurs troupes au combat. Réunis, ils allèrent secourir Fraga, et y conduisirent leur armée divisée en cinq corps: le premier menait avec lui deux cents chameaux chargés de vivres et de beaucoup de choses nécessaires pour ravitailler la place assiégée, et pour engager les Chrétiens, souffrans et avides de butin, à attaquer les premières cohortes. Les autres troupes, divisées au loin, étaient cachées dans des embuscades, et attendaient adroitement pour charger ceux qui poursuivraient les fuyards. Deux rivières se rendent à Fraga: savoir, la Sègre qui vient de Lérida, et l'Ebre qui vient de Saragosse en champ-dolent11. Ce fut entre ces deux fleuves que l'on combattit au mois de juillet, et qu'une grande effusion de sang eut lieu. Le roi Ildefonse voyant venir à lui une innombrable multitude de Païens, rassembla les chefs de l'armée chrétienne, et l'excita dignement au combat. Bertrand de Léon, comte de Carrion, Roderic d'Asturie, Haimar de Narbonne, Centulf, fils de Gaston de Béarn, Garsion, Adramis et plusieurs autres vaillans seigneurs combattirent dans le champ-dolent. Dès que le roi Ildefonse vit le premier corps qui conduisait les chameaux chargés de vivres, il ordonna au comte Bertrand d'aller d'abord les attaquer. Bertrand lui répondit: «Seigneur Roi, laissons passer les premiers, afin qu'aux approches de la ville, nous soyons mieux en mesure de tomber sur eux, s'ils reviennent chargés de butin, et de protéger habilement nos troupes contre les embûches des ennemis. Cependant, attendons ceux qui suivent, et disposons-nous à les bien recevoir.» Alors le Roi irrité s'écria: «Où donc est votre courage, vaillant comte? Jusqu'ici je n'ai jamais trouvé de timidité en vous.» A ces mots le fier comte rougit, et fondit vivement sur les Païens avec sa troupe. Les Sarrasins ne tardèrent pas à tourner le dos, et s'appliquèrent à fuir vers les corps innombrables qui les suivaient. Alors des phalanges sans nombre s'avancèrent contre les Chrétiens, et tuèrent Bertrand, Raimar, Roderic, avec plusieurs milliers de soldats. Le Roi, avec le reste de l'armée, tint long-temps sur une colline, et, investi par un nombre excessif d'ennemis, il perdit presque tous les siens. Il proposa de combattre jusqu'à la mort pour le Christ. L'évêque d'Urgel ordonna au Roi de se retirer; mais ce monarque, accablé de la perte de ses sujets, n'y voulut point consentir. Alors le prélat lui dit: «En vertu de l'autorité du Dieu tout-puissant, je vous ordonne de quitter à l'instant ce champ, de peur que, par votre mort, tout le territoire chrétien ne soit soumis aux Païens, et que tous les fidèles qui demeurent en cette province ne soient exposés à un massacre général.» Enfin, forcé par les ordres de l'évêque, le Roi voulut obéir; mais il vit que, de toutes parts, l'issue était difficile, environné qu'il était d'innombrables milliers de Païens. Cependant, accompagné de soixante chevaliers, qui combattaient encore avec lui, il s'ouvrit un passage, l'épée à la main, dans les rangs les moins épais de l'ennemi: ce ne fut qu'avec une extrême difficulté qu'il échappa, ainsi que dix de ses compagnons. Il fut forcé d'abandonner l'évêque, qui fut tué avec les cinquante autres combattans. Les Païens furent enorgueillis d'un tel événement, et les Chrétiens profondément affligés. Le Roi étant retourné plein de douleur auprès de ses amis, rencontra les habitans de Saragosse, les Français et d'autres fidèles qui marchaient en hâte vers le lieu du combat; mais, en apprenant cette déplorable infortune, ils furent violemment brisés par la douleur. A la vue du Roi, ils essayèrent de reprendre courage, et lui demandèrent spontanément ses ordres. Ce monarque, enflammé de courroux et pâle de douleur, attendait avec une grande impatience que le Seigneur lui accordât, avant sa mort, la faveur de se venger au moins une fois des Païens. C'est pourquoi il conduisit vers la mer, par des routes détournées, les phalanges chrétiennes, qui s'étaient présentées à lui. Là, il trouva une grande multitude de Sarrasins qui chargeaient leurs vaisseaux de Chrétiens captifs et de butin; au moment qu'ils ne s'y attendaient pas, il fondit aussitôt sur eux, et, faisant de ces barbares un carnage effroyable, il satisfit un peu la violence de sa colère. Il y avait là un vaisseau chargé de têtes de Chrétiens, que le roi Buchar envoyait au roi d'Afrique son père, en témoignage de sa victoire. Il lui adressait aussi sept cents prisonniers environ et de brillantes dépouilles, amateur qu'il était d'une vaine et périssable gloire. Le roi Ildefonse, comme nous l'avons dit, survint soudainement: par la permission de Dieu, et, ayant fait un horrible carnage, il reprit les têtes de ses compagnons massacrés, et les rendit à l'église de Dieu pour être honorablement ensevelies. Les captifs, qui déjà étaient étendus enchaînés sur les vaisseaux, entendant un grand bruit, levèrent les yeux, et, voyant ce qu'ils n'osaient desirer, se livrèrent à une grande joie. Ayant repris des forces, ils s'encouragèrent gaîment, et, pendant que les Chrétiens étaient aux mains avec les Sarrasins sur le rivage, ils détachèrent mutuellement leurs chaînes, s'élancèrent des bâtimens pour voler au secours des leurs, saisirent les armes de ceux qui étaient tués, et travaillèrent à donner la mort aux Païens qui survivaient. C'est ainsi que, par un retour contraire, le deuil succéda à la joie chez les barbares, et que l'armée chrétienne bénit Dieu dans toutes ses œuvres. Le vaillant roi Ildefonse, accablé de travaux et de ehagrins, tomba malade peu de temps après, et, réduit à garder le lit, rendit l'ame au bout de huit jours. A sa mort, comme il n'avait point de fils, il s'éleva, relativement à sa succession, des troubles qui retinrent quelque temps ses sujets au milieu du fracas de la guerre. Enfin les Aragonais élurent Remi, prêtre et moine, parce qu'il était frère d'ildefonse, et l'établirent pour leur roi. Cependant les Navarrois se donnèrent pour monarque Garsion leur gouverneur12. |
III. Ecclesiae Dei tribulationes. Episcopatus et monasteria turbantur. Schisma antipapae Anacleti. Adventus Innocentii II papae in Galliam. Romana Ecclesia, sub duobus principibus qui de papatu contendebant, a transitu Honorii papae turbata, ingens tribulationum et dissensionum per orbem exuberavit copia. Nam in plerisque coenobiis duo abbates surrexerunt, et in episcopiis duo praesules de pontificatu certaverunt, quorum unus adhaerebat Petro Anacleto, alter vero favebat Gregorio Innocentio. In hujuscemodi schismate anathema formidandum est, quod difficulter a quibusdam praecaveri potest, dum unus alium summopere impugnet, contrariumque sibi cum fautoribus suis feraliter anathematizet. Sic nimirum quisque ad id quod agere appetit, sed impossibilitate praepeditus ad effectum perducere nequit, sua saltem imprecatione Deum contra aemulum suum expetit. Petrus, potentatu fratrum parentumque suorum urbem obtinuit, et Rogerium, ducem Apuliae, regem Siciliae consecravit, cujus ope pene totam Italiam sibi associavit. Gregorius autem cum Quirinali clero Gallias expetiit; primoque ab Arelatensibus susceptus, legatos inde Francis direxit Porro Cluniacenses, ut ejus adventum cognoverunt, LX equos seu mulos cum omni apparatu congruo papae et cardinalibus clericis destinaverunt, et usque ad suam Basilicam favorabiliter conduxerunt. Tunc ibidem XI diebus papam cum suis detinuerunt, ecclesiamque novam in honore S. Petri apostolorum principis ab eodem, cum ingenti tripudio populique frequentia, dedicari fecerunt. Inde magnam auctoritatem apud Occiduos promeruit, quod a Cluniacensibus Petro praepositus fuerit; ab eisdem quippe Petrus in pueritia enutritus coaluit, et eorum habitu ac professione monachus exstitit. Gregorius itaque a Cluniacis, quorum auctoritas inter nostrates monachos maxime praecellit, amicabiliter ut Pater Patrum susceptus, pontificali stemmate in Galliis enituit; et deinceps ab Occiduis principibus et episcopis susceptus, in brevi magnas vires impetravit. Nam apud Carnotum Henricus rex Anglorum ad pedes ejus humiliter corruit, illique reverentiam papae debitum, Idus Januarii, sponte exhibuit, et multa donaria Romanis clericis regali munificentia contulit. Ibique in domo Helisendis vicedominae hospitatus, Francis et Romanis gaudentibus, triduo permansit. Deinde praefatus papa toto illo anno Franciam peragravit, et immensam gravedinem Ecclesiis Galliarum ingessit, utpote qui Romanos officiales cum multis clientibus secum habuit, et de redditibus apostolicae sedis in Italia nihil adipisci potuit. Cum Lothario imperatore locutus est, et ab eo cum suis ut magister venerabilis habitus est. Concilium Remis mense Octobri habendum constituit, ad quod omnes episcopos et abbates totius Occidentis accersiit. Interea Philippus puer, quem ante biennium Ludovicus rex in regem consecrati fecerat, quique pro simplicium nectare morum omnibus qui cognoverant eum placuerat, dum quemdam armigerum per vicos Lutetiorum ludens persequeretur, de equo corruit, et membris horribiliter fractis, in crastinum obiit. Sic, sine confessione et viatico, coram patre et matre III Idus Octobris, mortuus est, et cum magno luctu inter regis Francorum tumulatus est. Sequenti Dominica, papa Suessionis basilicam S. Medardi episcopi dedicavit, et inde Remis ad concilium properavit; ibique sublimium multiplices causas personarum discutiens, fere XV diebus permansit. Illic adfuerunt XIII archiepiscopi et CCLXIII episcopi, et abbatum et monachorum et clericorum magna multitudo. Illuc rex et regina, et tota nobilitas Franciae confluxerunt, et per Rainaldum, Remorum archiepiscopum, ad totam synodum suam petitionem fecerunt, puerum scilicet Ludovicum pro Philippo fatre suo regem consecrari postulaverunt. Innocentius igitur papa, VIII Kal. Novembris, filium regis regem consecravit. Quae consecratio quibusdam Francis utriusque ordinis displicuit. Quidam enim laicorum post mortem principis spem augendi honoris habebant; quidam vero clericorum jus eligendi et constituendi principem regni captabant. His itaque pro causis nonnulli de ordinatione pueri mussitabant; quam procul dubio impedire, si potuissent, summopere flagitabant. Ludovicus autem rex, ut novi ritus insolitos conatus in regno suo scaturire comperiit, iratus in quosdam, qui progeniem ejus a regni fastigio alienare moliti sunt, lethiferam ultionem exercere concupivit. Unde malevola quorumdam temeritas securior ad nefas cucurrit, et quibusdam horribili exitio, proh dolor! exstitit; aliisque amore Dei proximique ferventibus moerorem invexit. Nam, postquam Joannes, senex Aurelianensis episcopus, episcopatum deseruit, Hugo decanus qui ad pontificatum electus fuerat, de curia regis rediit, et a temerariis hominibus in via percussus obiit; et episcopatus sine praesule, sicut navis sine gubernatore in mari, diu fluctuavit. Tunc etiam Thomas, S. Victoris canonicus, vir magnae auctoritatis, interemptus est; cujus interfectionem Stephanus Parisiensis episcopus astans cum ingenti moerore contemplatus est (64) . Robur enim insanientium praevaluit lictorum, qui non reveriti sunt Creatorem omnium, nec pro illo episcopum ut ejus fidelem famulum. Anno ab Incarnatione Domini 1132, indictione X, Innocentius papa postquam a Galliis, in quibus obedientiam et ingentem amicitiam repererat, recessit, Italiam expetiit; sed a Romanis repudiatus, Picenum opulentam provinciam secessit. Illic per plures annos apostolicam dignitatem exercuit, et inde per orbem decretalia scita destinavit. Tunc rigor sanctae conversationis in ecclesiasticis viris admodum crevit, et canonicalis ordo in Francia et Anglia multipliciter adamatus invaluit. Fervor quoque abbatum metas antecessorum suorum transcendere praesumpsit, et priscis institutionibus graviora superadjecit, satisque dura imbecillibus humeris onera imposuit. |
L'Eglise romaine ayant été troublée sous deux princes qui se disputaient la papauté depuis la mort du pape Honorius, il s'éleva dans l'univers une foule de tribulations et de dissensions. En effet, dans la plupart des couvens, il se montra deux abbés; dans les évêchés, deux prélats se disputèrent le siége pontifical, l'un s'attachant à Pierre Anaclet, l'autre favorisant Grégoire Innocent. Dans un tel schisme, l'anathême était à craindre, parce qu'il était difficile à la plupart d'en éviter l'atteinte, puisque l'un attaquait l'autre avec une grande ardeur, et ne manquait pas d'excommunier d'une manière fatale son adversaire et ses partisans. Ainsi chacun cherche ce qu'il doit faire; mais, dans l'impossibilité qui l'arrête, il ne peut parvenir à son but: au moins, dans ses imprécations, il implore les cieux contre son rival. Pierre, grâce au pouvoir de ses frères et de ses parens, s'empara de la ville de Rome, et consacra roi de Sicile Roger, duc de la Pouille, à l'aide duquel il fit entrer presque toute l'Italie dans ses intérêts. Grégoire au contraire, ayant avec lui le clergé romain, se rendit en France, et, d'abord bien accueilli par les habitans d'Arles, il envoya des légats aux Français. Alors les moines de Cluni, apprenant son arrivée, firent parvenir au pape et aux cardinaux-clercs soixante chevaux ou mulets, avec tout ce qui était nécessaire et convenable, et les conduisirent avec de grands égards jusqu'à leur basilique. Ils retinrent onze jours chez eux le pape et sa suite; ils firent dédier par ce pontife, avec une grande joie et au milieu d'un nombreux concours de peuple, une église nouvelle en l'honneur de saint Pierre, prince des Apôtres. Grégoire obtint chez les Occidentaux une grande autorité pour avoir été préféré à Pierre par les moines de Cluni, qui pourtant avaient élevé celui-ci depuis son enfance, lui avaient donné l'habit, et avaient reçu sa profession monastique. C'est ainsi que Grégoire, accueilli avec amitié comme le père des pères par les religieux de Cluni, dont l'autorité est supérieure à celle des autres moines de France, jouit avec éclat dans ce royaume des droits de sa dignité pontificale, et ensuite obtint une grande influence d'après le bon accueil qu'il avait reçu des prinoes et des évêques d'Occident. Effectivement Henri, roi des Anglais, se jeta humblement à ses pieds dans la ville de Chartres, lui rendit librement les hommages qui lui étaient dus, le jour des ides de janvier (10 janvier), et, dans sa royale munificence, fit beaucoup de dons aux clercs romains. Le pape, à la satisfaction réciproque des Français et de sa suite, séjourna trois jours dans la maison de la vidame Elisende13. Ensuite ce pape parcourut la France pendant toute cette année, et y causa de lourdes dépenses aux églises, parce qu'il avait avec lui les officiers romains, ainsi qu'une nombreuse suite, et qu'il ne pouvait rien obtenir en Italie des revenus du siége apostolique. Il eut un entretien avec l'empereur Lothaire, et fut, ainsi que les siens, traité par lui comme un maître vénérable. Il décida qu'au mois d'octobre ou tiendrait à Rheims un concile, auquel il appela la totalité des évêques et des abbés de tout l'Occident. A cette époque, le jeune Philippe, que, d'eux ans auparavant, le roi Louis avait fait consacrer, et qui plaisait à tous ceux qui le connaissaient par la douce simplicité de ses mœurs, tomba de cheval en poursuivant par plaisanterie un écuyer dans les rues de Paris, et, s'étant horriblement fracturé les membres, mourut dès le lendemain. Ainsi, sans confession et sans viatique, ce prince rendit l'ame en présence de son père et de sa mère, le 3 des ides d'octobre (13 octobre), et fut, avec un grand deuil, inhumé parmi les rois de France. Le dimanche suivant, le pape dédia à Soissons la basilique de Saint-Médard, et de là se rendit à Rheims au concile. Il y passa près de quinze jours à discuter les causes compliquées de plusieurs grands personnages. Là se trouvèrent treize archevêques, ainsi que deux cent soixante-trois évêques, et une grande multitude d'abbés, de moines et de clercs. Le Roi, la Reine et toute la noblesse de France y allèrent: par l'organe de Rainauld, archevêque de Rheims, ils firent demander à tout le concile que le jeune Louis fût consacré roi à la place de son frère Philippe: c'est ce que fit le pape Innocent le 8 des calendes de novembre (15 octobre). Cette consécration déplut aux Français des deux ordres: quelques laïques avaient l'espoir de s'agrandir après la mort du prince, et plusieurs clercs desiraient obtenir le droit d'élire et d'établir le chef du royaume. C'est pourquoi certaines personnes murmuraient du sacre de l'enfant, que, sans nul doute, elles auraient empêché si elles l'avaient pu. Le roi Louis voyant s'élever dans ses États des prétentions extraordinaires à cause de cette cérémonie inusitée, conçut du ressentiment contre ceux qui cherchaient à éloigner son fils du trône royal, et desira en tirer une mortelle vengeance. De là il arriva que, dans leur témérité malveillante, quelques factieux crurent pouvoir avec sécurité commettre beaucoup d'attentats, causèrent, hélas! d'horribles désastres, et suscitèrent de grands chagrins à ceux qui étaient embrasés de l'amour de Dieu et du prochain. En effet, quand le vieux Jean, évêque d'Orléans, eut abandonné son évêché, le doyen Hugues, qui avait été élu à sa place, revint de la cour de Louis: il fut en route frappé par des hommes téméraires, et mourut laissant le siége épiscopal sans prélat, et en proie à de longues fluctuations, comme le navire abandonné sans pilote au milieu des flots. Alors aussi Thomas, chanoine de Saint-Victor, homme d'une grande considération, fut assassiné sous les yeux d'Étienne, évêque de Paris, qui en conçut un grand chagrin. La puissance des meurtriers triompha: ils ne respectèrent pas le Créateur de toutes choses, ni un évêque qui était son serviteur fidèle. L'an de l'incarnation du Seigneur 1132, le pape Innocent, ayant quitté les Français, chez lesquels il avait trouvé l'obéissance et une grande amitié, regagna l'Italie; mais, repoussé par les Romains, il se retira à Pise, métropole opulente. Là, pendant plusieurs années, il exerça la dignité apostolique, et envoya ses décrétales dans tout l'univers. Alors les ecclésiastiques cherchèrent à rendre leurs institutions plus rigoureuses, et les règles canoniques, chéries grandement en France et en Angleterre, y prirent de nouvelles forces, tandis que le zèle des abbés s'efforça de dépasser les limites fixées par leurs prédécesseurs, surchargea les anciennes institutions d'additions onéreuses, et imposa de trop durs fardeaux à la faiblesse humaine. |
IV. Coetus praelatorum Cluniaci adunatus. Eventus varii in Italia et Normannia. Petrus Cluniacensis abbas veredarios et epistolas per omnes cellas suas tunc direxit, et omnes cellarum priores de Anglia et Italia, regnisque aliis accersiit, jubens ut Dominica Quadragesimae tertia Cluniaci adessent, ut praecepta monasticae conversationis austeriora quam hactenus tenuerant, audirent. Illi nimirum archimandritae suis jussis obsecundaverunt, ac ad statutum terminum CC priores Cluniacum convenerunt. In illa die, MCC et XII fratres ibi adfuerunt, ecclesiastico ritu canentes processerunt, et cum jucunditate cordis oculos levantes ad Deum, devote ipsum collaudaverunt. Haec idcirco securus edo, quia gaudens interfui, et tam gloriosum agmen in Christi Jesu nomine congregatum vidi; atque cum eis de basilica Sancti Petri apostolorum principis Dominico processi, et per claustrum in aedem Virginis matris ingressus oravi. Tunc Radulfus, Antisiodorensis episcopus, et abbates, Albericus Vizeliensis, ac Adelardus Melundensis, ejusdem coenobii monachi, coetum auxerunt, et conatus Petri abbatis praesentia et exhortatione sua confirmaverunt. Ille vero subjectis auxit jejunia, abstulit colloquia, et infirmi corporis quaedam subsidia, quae illis moderata Patrum hactenus permiserat reverendorum clementia. Fratres autem assueti magistro semper obedire, contra religiosum morem nolentes ei resistere, aspera quidem imperia susceperunt, rationabiliter tamen ostenderunt, quod venerabilis Hugo, et illius antecessores Maiolus et Odilo arctam vitae viam tenuerunt, et per eamdem Cluniacenses discipulos ad Christum perducere moliti sunt. Idem quoque cum reverentia et humilitate probabiliter asseruerunt, sufficere debere per vestigia eorum in via mandatorum Dei dilatato corde currere, quorum sanctitas palam declarata est miraculorum claro specimine. Austerus autem praeceptor Salomonis oblitus praecepti: Ne transgrediaris terminos antiquos quos posuerunt patres tui (Prov. XX, 28) . Cistercienses, aliosque novorum sectatores aemulatus, rudibus ausis institit, et ab inceptis desistere ad praesens erubuit. Postmodum tamen emollitus subditorum arbitrio consensit; memorque discretionis quae virtutum mater est, invalidisque compatiens subvenit; perplura de gravibus institutis quae proposuerat, intermisit. Anno ab Incarnatione Domini 1133, Lotharius imperator ab episcopis, aliisque fidelibus, ob amorem Dei, qui post Gregorium seu Petrum dissidentes errabant, sategit. Mandavit enim Petro ut alii cederet, aut judicium de ordinatione sua subiret. At ille gratanter mandatum suscepit, et ad examen justorum se venturum coram ipso Caesare acquievit. Deinde Augustus Innocentio similia mandavit, sed ille, nisi omnia, quae ad praesulatum pertinent, ei libere redderentur, ad placitum venire recusavit. Imperator autem ut haec audivit, contra Gregorium indignatus, Petro quaeque possidebat dimisit, et negotio imperfecto post hebdomadas VII recessit. Eodem anno, Richardus, Bajocasinae urbis episcopus, in hebdomada Paschae obiit, cui post duos annos Richardus, Rodberti comitis de Gloucestria filii regis filius, successit. Quem, jubente Innocentio papa, Hugo, Rothomagensis archiepiscopus, consecravit. Tunc etiam Richardus de Bellofago, regis honorabilis capellanus Abrincatensem praesulatum suscepit, quem supradictus metropolitanus consecravit. |
Pierre, abbé de Cluni, envoya des courriers et des lettres dans toutes les maisons de son ordre, en convoqua tous les prieurs, tant d'Angleterre et d'Italie que des autres royaumes, et leur ordonna de se trouver à Cluni le troisième dimanche de carême, afin d'y recevoir des réglemens monastiques plus austères que ceux qu'on avait observés jusques alors. Les personnes convoquées obéirent aux commandemens qu'elles reçurent, et au jour fixé deux cents prieurs se réunirent à Cluni. Il s'y trouva ce jour-là douze cent douze moines: ils firent la procession en chantant suivant le rit ecclésiastique; et dans la joie de leur cœur, élevant leurs yeux vers Dieu, ils le louèrent dévotement. J'en puis parler avec certitude, parce que j'eus la satisfaction de m'y trouver, et que je vis cette glorieuse armée rassemblée au nom de Jésus-Christ. Je sortis le dimanche en procession de l'église de Saint-Pierre, prince des apôtres, et j'entrai ensuite par le cloître dans la chapelle de la Vierge-mère où je fis ma prière. Alors Raoul, évêque d'Auxerre, ainsi que les abbés Alberic de Vézelai et Adelard de Melun, moines de Cluni, vinrent augmenter l'assemblée; et, par leur présence comme par leurs exhortations, donnèrent beaucoup de poids aux démarches de l'abbé Pierre. Il augmenta les jeûnes de ses religieux, supprima les entretiens, et certains secours pour les infirmités du corps que la clémence modérée des révérends pères avait permis jusques alors. Les frères, accoutumés à obéir toujours à leur maître, et ne voulant point, par leur résistance, enfreindre les règles religieuses, reçurent ces décisions, toutes rigoureuses qu'elles étaient; toutefois ils lui remontrèrent que le vénérable Hugues et ses prédécesseurs, Maïeul et Odilon, avaient suivi l'étroit sentier de la vie par lequel ils avaient tâché de mener au Christ les disciples de Cluni. Ils prouvèrent, avec respect et humilité, qu'il devait suffire de marcher avec un cœur joyeux dans la voie des commandemens de Dieu, sur les traces de ceux dont la sainteté s'était hautement manifestée par l'éclatant spectacle des miracles; mais l'austère réformateur oubliant le précepte de Salomon, qui dit: Ne dépassez pas les anciennes limites que vos pères ont fixées,» et s'attachant à imiter les moines de Cîteaux et les autres partisans de là nouveauté, poursuivit l'entreprise qu'il avait ébauchée, et eut honte de se désister pour le présent de ce qu'il avait commencé. Toutefois il fléchit par la suite, se rendit au sentiment de ses subordonnés; puis, se rappelant la discrétion qui est la mère des vertus, il compatit à la faiblesse humaine, et se relâcha en quelques points des dures institutions qu'il avait proposées. L'an de l'incarnation du Seigneur 1133, l'empereur Lothaire, supplié, pour l'amour de Dieu, par les évêques et les autres fidèles, mit le siége devant Rome, et s'appliqua à procurer la paix au peuple de Dieu qui, dans sa dissidence, suivait soit Grégoire, soit Pierre. Lothaire manda à Pierre de céder sa place à son compétiteur, ou de subir un jugement sur son ordination. Pierre accueillit cette demande, et consentit à se présenter devant l'Empereur lui-même, au jugement d'hommes équitables. L'auguste Empereur envoya un pareil message à Innocent; mais il refusa de venir plaider sa cause si on ne lui rendait pas librement les honneurs qui appartenaient à sa prélature. L'Empereur, entendant cette réponse, indigné contre Grégoire, abandonna à Pierre ce qu'il avait en sa possession, et, laissant l'affaire imparfaite, se retira au bout de sept semaines. La même année, Richard, évêque de Bayeux, mourut dans la semaine de Pâques: au bout de deux ans, il eut pour successeur Richard, fils de Robert, comte de Glocester, qui avait pour père le roi Henri. Sur l'ordre du pape Innocent, il fut consacré par Hugues, archevêque de Rouen. Alors Richard de Beaufai14, honorable chapelain du Roi, devint évêque d'Avranches, et fut aussi consacré par le même métropolitain. |
V. Turbationes et eventus varii in Apulia et Sicilia. Circa haec tempora turbatio ingens facta est in Apulia, ad cujus originem elucidandam repetitio priscae propaginis et eventus hominum est necessaria. Postquam Rogerius senex Siciliae comes, Tancredi de Alta-villa filius, obiit, uxor ejus Adeles cum parvulo filio regere se non posse magnas possessiones perspexit, et anxia qui agendum foret, tam secum quam cum familiaribus suis solerter indagavit. Ingentes enim provincias praefatus consul et XI fratres ejus bellica virtute obtinuerant, et barbaros sub potenti manu excelsi Dei fortiter in Apulia et Sicilia subegerant. Tandem praefata mulier Rodbertum, Rodberti ducis Burgundiae filium, in amicitiam copulavit, eique filiam suam conjugem cum toto Sicaniae principatu tradidit. Rodbertus quippe hujus pater Rodberti Francorum regis et Constantiae reginae filius fuit, cujus nobilitas de sanguine regum et augustorum processit, et in multis regionibus claris operibus et mirandis virtutibus admodum effulsit. Ipse nimirum est quem potentissima mater post obitum genitoris toti Galliae praeficere voluit, et Henrico qui primogenitus erat, ut in superioribus parumper tetigi, praeferre omnimodis studuit. Denique justititia Henricum jure in solium regni sublimante, Rodbertus ducatum Burgundiae diu tenuit, et tres filios, Henricum et Rodbertum atque Simonem, genuit. Porro Henricus primogenitus ejus, ipso jubente, uxorem duxit, ex qua filios tres, Hugonem et Odonem atque Rodbertum Lingonensem episcopum, genuit ; et superstite patre hominem decessit. Quo defuncto, pater longo postmodum tempore vixit, et filios suos nepotibus suis grandaevus praeposuit, suumque ducatum illis annuit, et proceribus cunctis, ut soboli suae penitus adhaererent, praecepit. Quod audiens Hugo puer siluit, et opportunum tempus patienter exspectavit. Spem tamen in Domino fixam habebat, et privatim coessentibus sibi dicebat: Justus Dominus, qui patrem meum mundo subripuit, prolem ejus haereditate debita non privabit. Porro, adveniente ducis occasu, officiales cunctos atque barones accersiit, et mansionariis aulae principalis, ut regiam sibi et optimatibus suis festine ornarent, imperiose mandavit. Illi vero, unde tironi tantae jussionis audacia inesset, mirati sunt, et continuo perterriti jussis obtemperaverunt, et splendidum apud Divionem novo duci apparatum acceleraverunt. Animosus itaque juvenis sine bello et effusione sanguinis avitum honorem obtinuit; et exsulantibus patruis Rodberto et Simone, paternam haereditatem tribus annis insigniter tenuit; justitia insignis mitibus et justis placuit; irreligiosis autem et exlegibus terribilis, ut fulgur, incubuit. Completis tribus annis, Odoni fratri suo sponte ducatum dimisit; et ipse pro coelesti amore saeculum reliquit, monachusque Cluniaci factus (68) , XV annis Deo gloriose militavit. Odo autem frater ejus ducatum Burgundiae diu possedit; et ex Mathilde filia Guillelmi Testardie, comitis Burgundiae, Hugonem ducem genuit et Helam, quae prius Bertranno Tolosano comiti Poncium Tripolitanum comitem peperit, ac postea Guillelmo Talavacio Guidonem Pontivi comitem, aliamque sobolem copiosam utriusque sexus edidit. Rodbertus autem Burgundio, ut praedictum est, filiam Rogerii Normanni conjugem habuit, et principatum contra cunctos per X annos strenue defensavit. Interea socrus ejus Rogerium puerum educavit, atque ubi eumdem ad arma gerenda et jus patris regendum tironem idoneum agnovit, egregium Francigenam probumque militem generum suum venenosa potione infecit. Exstincto itaque feminea fraude nobili marchiso, Rogerius successit, et pluribus annis in magna prosperitate viguit. Multis tamen facinoribus pollutus magnis expiari, ut reor, tormentis meruit. Callida mater ejus, quae filia Bonifacii Liguris fuerat, a morte mariti sui pecuniis undecunque collectis, ingentem thesaurum sibi congesserat. Quod audiens, Balduinus prior Hierosolymae rex, opes concupivit, ipsamque, ut conjugali ritu sibi copularet, per illustres procos requisivit. Illa vero fastus et honoris insatiabiliter avida, nobilibus paranymphis acquievit, et multitudine stipata clientum, cum ingenti aerario Hierusalem properavit. Rex autem Balduinus opimas quidem opes gratantes recepit, et stipendiariis, qui pro nomine Christi contra paganos laboriose dimicabant, dispersit: mulierem vero vetustate rugosam, et pluribus criminum naevis infamem repudiavit. Anus itaque culpis promerentibus confusa, Sicanios repetiit, et inter eos cunctis deinde contemptibilis consenuit. Rogerius Siciliae princeps admodum confortatus est, et super omnes antecessores parentelae ipsius divitiis et honoribus locupletatus est. Post obitum Guillelmi ducis, ut supra dictum est, ducatum Apuliae nolentibus colonis adeptus est. Deinde omnes qui ei resistere nisi sunt, impugnavit, et magnis viribus crudeliter oppressit, nec ulli pepercit, sed cognatos et extraneos pariter prostravit, et spoliatos opibus cum dedecore conculcavit. Tancredus de Conversana Matellae a Rogerio Siculo fortiter obsessus est, et inde fugiens in oppidum, quod Mons-Petrosus dictum est, a protervo persecutore ibi captus est. Goifredus etiam de Andra cum uxore ab eodem in rupe captus est, in castello, quod secus Potentiam urbem situm est. Rogerius autem oppidum subjugavit, ibique thesaurum, in quo erant XV minae auri vel argenti, cepit. Grimaldum quoque de Baro Langobardum, liberalem et strenuum virum, comprehendit, et ablatis rebus ac munitionibus vehementer humiliavit. Richardum etiam principem Capuae consobrinum suum exhaeredavit, et injusta vi exsulare coegit. Sic vehementi violentia proximos et longinquos pessumdedit, et multum cruoris effundens, multasque lacrymas crudeliter eliciens admodum crevit, ac primus de Tancredina progenie regalem thronum conscendit, et sceptrum ac diadema aliaque regni insignia gessit. Filiam Petri Leonis, sororem Anacleti pontificis, uxorem duxit, et ab eodem coronatus, regium stemma nunc gerit. |
Vers ce temps-là, il y eut de grands troubles dans la Pouille, dont l'origine ne peut être expliquée qu'en rappelant l'histoire des anciens princes et des événemens du pays. Quand le vieux Roger, comte de Sicile, fils de Tancrède de Hauteville, fut mort, sa femme Adèle vit bien qu'avec son fils, qui était un enfant, elle ne pourrait gouverner ses vastes Etats: aussi, dans son inquiétude, elle rechercha habilement, tant en elle-même qu'avec ses amis, ce qu'elle avait à faire. Le comte Roger et ses onze frères avaient conquis par la force des armes des provinces considérables, et soumis courageusement, dans la Pouille et la Sicile, les barbares au pouvoir suprême de Dieu. Enfin cette princesse se lia d'amitié avec Robert, fils de Robert duc de Bourgogne, et lui donna sa fille en mariage avec toute la principauté de Sicile. Robert, père de celui-ci, était fils de Robert, roi des Francais, et de la reine Constance: aussi sa noblesse venait-elle du sang des Rois et des Empereurs, et jeta-t-elle un grand éclat dans beaucoup de contrées par des travaux illustres et d'admirables vertus. Ce prince est le même que sa puissante mère voulut, après la mort du père, mettre sur le trône de France, et qu'elle s'appliquait de toutes manières à élever au-dessus de Henri, qui était l'aîné, ainsi que j'en ai dit quelque chose précédemment. Enfin, l'équité ayant mis le sceptre aux mains de Henri, Robert gouverna long-temps le duché de Bourgogne, et eut trois fils, Henri, Robert et Simon. Cependant Henri, l'aîné des trois, par l'ordre du duc Robert, épousa une femme qui lui donna trois fils, Hugues, Eudes et Robert, évêque de Langres; puis il mourut du vivant de son père. Henri étant mort, son père vécut long-temps après; il préféra, dans sa vieillesse, ses fils à ses neveux, leur céda son duché, et ordonna à tous les grands d'être fidèles à ses enfans. Ce qu'entendant le jeune Hugues, il garda le silence, et attendit patiemment un temps favorable. Toutefois il espérait constamment dans le Seigneur, et disait en particulier à ses amis: «Le juste Dieu, qui a enlevé mon père de ce monde, ne privera pas ses enfans de l'héritage qui leur est dû.» Le duc étant mort, Hugues rassembla tous les officiers et les barons, et commanda en maître aux gens du palais de le disposer promptement pour lui et pour les grands. Ils s'étonnèrent de la hardiesse de ce commandement dans un jeune homme: tout effrayés, ils obéirent aussitôt à ses ordres, et préparèrent en toute hâte à Dijon, pour le nouveau duc, un splendide appareil. C'est ainsi que ce jeune homme, plein de résolution, obtint, sans tirer l'épée et sans effusion de sang, les Etats de ses ancêtres; et, pendant l'exil de ses oncles Robert et Simon, gouverna dignement, durant trois années, l'héritage paternel. Doué d'une équité remarquable, il plut aux hommes doux et justes; terrible comme la foudre, il frappa l'irréligion et la déloyauté. Au bout de trois ans, il remit volontairement son duché à son frère Eudes, et, pour l'amour de Dieu, abandonnant le siècle, et se faisant moine de Cluni, il combattit glorieusement pour le Ciel pendant quinze années. Eudes posséda long-temps le duché de Bourgogne; il eut d'une fille de Guillaume-tête-hardie, Hugues, qui fut duc, et une fille nommée Héla. Mariée d'abord à Bertrand, comte de Toulonse, elle lui donna Pons, comte de Tripoli; puis, ayant épousé Guillaume-Talvas, elle mit au jour Gui, comte de Ponthieu, et une nombreuse lignée de l'un et l'autre sexe. Robert de Bourgogne épousa, comme nous l'avons dit, la fille du Normand Roger, et pendant dix ans défendit vaillamment sa principauté contre tous ses ennemis. Pendant ce temps-là sa belle-mère éleva le jeune Roger; et, dès qu'elle vit que ce jeune homme était propre à porter les armes et à gouverner les Etats de son père, elle empoisonna, hélas! l'illustre Français, son gendre, qui était un preux chevalier. Ce noble seigneur, ayant péri par la perfidie d'une femme, Roger lui succéda, et, pendant plusieurs années, jouit d'une grande prospérité. Cependant, souillé de crimes nombreux, il mérita, comme je le pense, de les expier par de grands tourmens. Son astucieuse mère, qui était fille de Boniface de Ligurie, ayant ramassé de toutes parts beaucoup d'argent depuis la mort de son mari, s'était formé un grand trésor. Ce qu'apprenant Baudouin Ier, roi de Jérusalem, il desira acquérir ces richesses, et, par d'illustres solliciteurs, fit demander Adèle en mariage. Cette princesse, insatiable de faste et d'honneurs, donna son consentement à la demande des nobles envoyés, et, entourée d'un nombreux domestique, se rendit à Jérusalem avec son trésor. Le roi Baudouin reçut avec un grand plaisir ces immenses richesses, et les partagea à ses chevaliers, qui, au nom du Christ, combattaient avec tant de peine contre les Païens., puis il répudia cette femme, ridée par la vieillesse, et rendue infâme par la tache de plusieurs crimes. En conséquence cette vieille, confuse des outrages qu'elle avait mérités, regagna la Sicile, et y passa sa vieillesse au milieu du mépris général. Roger, prince de Sicile, acquit beaucoup de puissance, et surpassa tous les parens qui l'avaient précédé en richesses et en honneurs. Après la mort du duc Guillaume il obtint, comme nous l'avons dit, le duché de la Pouille malgré les peuples. Il attaqua ensuite tous ceux qui essayèrent de lui résister, les opprima cruellement par ses forces supérieures, n'épargna personne, écrasa également ses parens et les étrangers, et, après les avoir dépouillés de leurs biens, les foula aux pieds avec outrage. Tancrède de Conversano fut vigoureusement assiégé à Matera par Roger de Sicile, et de là, fuyant dans la ville que l'on appelle Monte-Peloso, il y fut pris par son insolent persécuteur. Goisfred d'Andria fut aussi fait prisonnier avec sa femme sur un rocher, dans un château qui est situé près de la ville de Potenza. Roger soumit la place, et y prit un trésor dans lequel il y avait quinze mines d'or et d'argent. Il prit aussi le Lombard Grimoald de Bari, et l'humilia beaucoup après lui avoir enlevé ses biens et ses places. Il dépouilla Richard, prince de Capoue, son cousin, et, par l'iniquité de ses violences, le força de s'exiler. C'est ainsi que, par sa tyrannie, il ruina les princes voisins et éloignés, et qu'en versant beaucoup de sang, ainsi qu'en faisant couler cruellement beaucoup de larmes, il augmenta sa puissance. Le premier de la race de Tancrède il monta au trône, et porta le sceptre, le diadème, et les autres insignes de la royauté. Il épousa la fille de Pierre Léon, sœur du pape Anaclet: couronné15 par ce pontife, il est maintenant assis sur le trône. |
VI. Prodigia et flagella coelestia. Ruina multarum ecclesiarum et urbium. Mors plurimorum hominum et principum. Anno ab Incarnatione Domini 1134, indictione XII, multa gravia in mundo contigerunt, quibus quidam, exigentibus culpis, plexi sunt; alii vero terribilia et insolita videntes, terrore pallentes contremuerunt. Nam in natali Innocentum nix copiosa cecidit, totamque superficiem terrae cooperuit, et domorum aditus mole sua sic oppilavit, ut sequenti die vix egredi de tectis homines aut jumenta possent, vel aliquo modo procurare quae sibi competerent. Multi fideles ecclesiam ipsa celebritate non introierunt, nec ipsi sacerdotes in plerisque locis, opposita sibi nivis congerie, limina basilicae nequaquam calcaverunt. Post VI dies, zephyro flante, nix eliquata est, et immensa inundatio aquarum repente facta est. Flumina inde nimis creverunt, alveorumque suorum limites transgressa sunt, et ingentia damna seu incommoda mortalibus intulerunt. In vicis enim et urbibus contiguis tecta repleverunt, hominesque de suis habitaculis fugaverunt. Enormes foeni acervos e pratis sustulerunt, et tonnas Falerni plenas aliaque vasa repostoria, cum multis speciebus et pretiosis opibus, de suis locis transtulerunt. Plures igitur pro suo damno lamentati sunt, et alii econtra pro insperato emolumento laetati sunt. Mense Junio vehemens aestus per XV dies mundum torruit, et terrigenas ad omnipotentis Domini clementiam per jejunium et orationes suppliciter confugere, ne velut Pentapolei flammis combusti perirent, compulit. Fontes siquidem et stagna Titaneus ardor, qui tunc per Geminos discurrebat, exsiccavit; et importuna sitis greges animantum graviter exacerbavit. Tunc quodam Sabbato multi aestuantes aquae refrigerium petierunt, et multi diversis in locis una pene hora in undis suffocati sunt. In nostro quippe vicinio, unde rumores ad nos facile pervolarunt, XXXVII in stagnis seu fluminibus homines lymphis intercepti sunt. Divinum examen, quo cuncta fiunt, discutere nescio, latentes rerum causas propalare nequeo; sed rogatus a sociis annualem historiam simpliciter recito. Inscrutabilia quis perscrutari potest? Rerum eventus, ut vidi, vel posteris benigniter denoto, et omnipotentem Deum in cunctis operibus suis, quae vero justa sunt, glorifico. Consideret quisque prout sibi divinitus inspiratum fuerit, et utile sibi si quid aestimaverit, salubriter decerpat prout voluerit. Mense Augusto, in vigilia S. Laurentii martyris, post nonam turbo vehemens exortus est, quem terribilis tonitrus cum nimia pluviae inundatione circa vesperam secutus est. Tunc fulmina cum ingenti mugitu ceciderunt, et plures feminas in diversis locis interemerunt. Nullum vero marem animadversione illa interiise audivi; sed femineus tantum sexus in hominibus et brutis animalibus pertulit pondus imminentis flagelli. In villa, quae Planchis dicitur in confinio Lexoviensis episcopatus et Sagiensis, Guillelmus Blanchardus quidam juvenis de vicino agro rhedam ducebat, in qua soror ejus cum manipulis avenae consistebat. Cumque adolescens imbres nimium perstrepentes formidaret, atque matris ad tugurium, quod proximum erat, summopere festinaret, fulmen super clunes equae, quae plaustrum trahebat, protinus cecidit, et ipsam equam et vagantem pullam ejus quae sequebatur, et juvenculam quae in vehiculo erat, simul exanimavit. Juvenis autem, qui in sella sedebat, et jumentum freno regebat, nimio quidem prae timore corruit, sed, miserante Deo, sospes evasit. Inundatio pluviae maxima erupit, verumtamen bigam et garbas incendium consumpsit: quarum favillas, et exstinctae cadaver in feretro in crastinum vidi, quia Merulae consistens illuc perrexi, ut divinam posteris relaturus percussionem indubitanter scirem rei certitudinem. In villa, quae Guaspreia dicitur, messores, dum viderent nubes tetra offuscari obscuritate, cuidam, quae forte in campo spicas colligebat, dixerunt puellae: Curre, filia, celeriter, et pallia nostra seu tunicas contra imbres nobis defer. Quae libenter jussa suscepit, et statim ire coepit. Sed in primo, ut opinor, passu fulmen cecidit, et ipsam feriens in momento exanimavit. Multa quoque similia eadem hora contigere, quae postmodum edidici, veracium relatione, sed nequeo singillatim omnia litteris assignare. In prima Septembris septimana Dominus Deus noster multa per ignem peccata puniit, et peccatorum penates cum gazis injuste diu congregatis combussit. Cenomanis enim et Carnotum, antiquae et opulentae urbes, consumptae sunt. Alencion quoque et Nogentum in Pertico, Vernoliumque et alia oppida, villaeque plures, flamma irae Dei discurrente per orbem, perierunt. Tunc Cenomanis episcopalis basilica, quae pulcherrima erat, concremata est, et feretrum sancti cum corpore pontificis et confessoris Juliani difficulter in monasterium sancti martyris Vincentii translatum est. Ossa quoque sanctae Scholasticae virginis, cum multis aliis reliquiis incensa sunt, et post incendium cineres in locis suis a religiosis perscrutatoribus inventi sunt. Carnoti vero, monasterium Sancti Petri apostoli combustum est, et venerabilis monachorum conventus, claustro cum reliquis officinis destructo, dispersus est. In his tempestatibus diversorum incolae locorum miros eventus et varios experti sunt; variasque incendii causas lugubres senserunt, et prolixas inde narrationes pro admiratione seu lamentatione contribulibus referre poterunt. Ego autem illis non interfui, nec dubia referendo librum protelare decrevi. In eodem mense justus judex per contrarium elementum in alio climate terribilia exercuit, et scelestos pyratas a nequitiis, quibus terra sub Noe polluta fuerat, compescuit. In Flandria mare noctu redundavit, et per septem milliaria repente diffusum, basilicas et turres atque tuguria pariter operuit, et innumera hominum millia utriusque sexus et ordinis et conditionis pari periculo absolvit. Ibi plane nec velocitas cursori profuit, nec fortitudo pugilem protexit, nec copia divitiarum opulentos salvavit, sed omnes aeque pulchros et deformes viros et feminas diluvium involvit et obturatis aquae oribus absque mora morti tradidit. Sic nimirum mare miserorum punitionem in puncto peregit, et confestim ad locum suum jussu Dei remeavit. Quaedam paupercula nuper infantem enixa, ut strepitum rugientis aquae audivit, territa, sed mente sana, de lecto mox prosiluit, infantem et gallinam cum pullis suis arripuit, et monticulum foeni, quod extra tugurium erat, velociter ascendit. Impetus autem irruentis et omnia involventis aquae foenum sublevavit, et de loco mulonem hac et illac fluctuantem longe transtulit. Miseratione vero misericordis Dei mulier salvata est, et in tanta vicinitate mortis cum parvulis rebus, quas secum habebat, morti coelitus erepta est. Puer duodennis retulit mihi tunc super culmen domatis se protinus ascendisse, ibique perniciei discrimen evasisse, patrem vero suum et matrem in inferioribus interiisse. Eodem anno praeclari principes obierunt. Nam, ut supra dictum est, Rodbertus II, dux Normannorum, in Februario, Carduili, migravit. Hildefonsus autem Arragonum rex in introitu autumni obiit, post bellum Sagense, in quo nobilium baronum Bertranni et Roderici, aliorumque procerum occasus contigit. Tunc Gualli Britones a cunctis gentibus, quae sub regis Henrici ditione consistunt, vehementer afflicti sunt, et plurimae regiones eorum Flandrensibus datae sunt. A quibus et ipsi in silvis et latebris ubicunque inventi sunt, absque omni humanitatis respectu quasi canes interfecti sunt. Hoc animosiores eorum intuentes, valde indignati sunt, animosque resumentes arma sustulerunt; et multa pro ultione sui damna facientes, in regem Henricum feraliter surrexerunt. Castrum pagani filii Joannis, quod Cans dicitur, combusserunt, et omnes utriusque sexus homines, quos intus invenerunt, immisericorditer obtruncaverunt. Omnes, hoc facinore facto, incolae cum extraneis condensos ut lupi saltus appetierunt, publicamque caedibus et rapinis atque incendiis inimicitiam exercuerunt. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1134, il arriva dans le monde de nombreux malheurs, qui servirent à punir quelques personnes des crimes qu'elles avaient commis, tandis que d'autres, voyant des choses terribles et extraordinaires, pâlirent d'effroi et tremblèrent. Le jour des Innocens il tomba une neige abondante, qui couvrit toute la surface de la terre, et de sa masse cacha tellement l'accès des maisons, que les hommes ni les animaux ne purent le lendemain sortir de leurs retraites, ni se procurer en aucune manière ce qui leur était utile. Il fut impossible à un grand nombre de fidèles d'entrer dans les églises pour célébrer cette fête, et les prêtres eux-mêmes, dans beaucoup de lieux, ne purent s'y rendre à cause de l'amas de neige qui en obstruait les avenues. Au bout de six jours, le zéphir étant venu à souffler, la neige se fondit, et il en résulta tout à coup une immense inondation. Les rivières s'enflèrent considérablement, franchirent les limites de leur lit, et causèrent aux hommes des dommages et des désagrémens considérables. Les eaux remplirent les maisons dans les villes et les bourgs qui se trouvaient à leur portée, et chassèrent les hommes de leurs habitations. Elles enlevèrent dans les prairies d'énormes meules de foin, et déplacèrent des tonnes pleines de vin, ainsi que d'autres grands vases, avec beaucoup de meubles et d'effets précieux. Il en résulta que beaucoup de personnes eurent à pleurer des pertes, tandis que d'autres se réjouirent d'un bénéfice inattendu. Au mois de juin, un été ardent brûla le monde pendant quinze jours, et força les mortels de recourir en supplians, par le jeûne et la prière, à la clémence du Seigneur tout-puissant, dans la crainte où ils étaient de périr par les flammes qui brûlèrent la Pentapole. En effet, l'ardeur du soleil, qui parcourait alors les Gémeaux, dessécha les fontaines et les étangs, et une soif importune fit cruellement souffrir les animaux. Alors, un certain samedi, un grand nombre de personnes, excédées de chaleur, cherchèrent à se rafraîchir dans les eaux, et beaucoup, en divers lieux, y lurent suffoquées en moins d une heure. Dans notre voisinage, d'où nous avons facilement reçu des détails, trente-sept hommes périrent dans les eaux des étangs ou des rivières. Je ne saurais discuter les jugemens de Dieu, par lequel tout s'opère, et je ne puis montrer les causes cachées des événemens; mais, à la prière de mes compagnons, j'écris avec simplicité ces annales. Qui peut expliquer des choses inexplicables? Je me borne à noter avec soin, pour la postérité, les événemens que j'ai vus, et je glorifie le Seigneur tout-puissant dans toutes ses œuvres, qui sont véritablement justes. D'après les inspirations qu'il reçoit du Ciel, que chacun porte son jugement, et recueille sagement comme il voudra ce qu'il croira lui être utile. Au mois d'août, la veille de saint Laurent martyr, après nones, il s'éleva un violent tourbillon, qui fut suivi vers le soir de terribles coups de tonnerre avec une excessive inondation de pluie. Alors la foudre tomba avec un bruit horrible, et dans divers lieux tua plusieurs femmes. Je n'ai pas entendu dire qu'il fût mort aucun homme, et le sexe féminin souffrit seul, dans l'espèce humaine comme dans les bêtes brutes, tout le poids de ce fléau menaçant. Dans le village que l'on appelle Planches16, sur les confins des évêchés de Lisieux et de Séès, un certain jeune homme, nommé Guillaume Blanchard, ramenait une charrette du champ voisin, sur laquelle sa sœur était assise avec des gerbes d'avoine. Comme ce jeune homme craignait la pluie qui tombait avec fracas, et se hâtait d'arriver à la chaumière de sa mère, qui était voisine, la foudre tomba sur la croupe de la jument qui traînait la voiture, et tua en même temps cet animal, une pouliche qui courait autour d'elle, et la jeune fille qui était assise. Le jeune homme, qui était sur la selle et tenait la bride, tomba, dans l'excès de sa crainte; mais, par la miséricorde de Dieu, il échappa à la mort. Il survint une grande inondation de pluie, qui n'empêcha pas la charrette et les gerbes de brûler. J'en vis le lendemain les charbons, ainsi que le corps de la défunte, qui était dans une bière, parce que, me rendant au Merjerault17, je m'arrêtai à Planches pour apprendre positivement cette catastrophe, afin de la raconter fidèlement à la postérité. Dans le village de Gâprée18, des moissonneurs, voyant une nuée très-noire, qui répandait l'obscurité, dirent à une jeune fille, qui par hasard cueillait des épis dans le champ: «Jeune fille, courez vite, et apportez-nous nos manteaux ou nos habits pour nous préserver de la pluie.» Elle s'empressa d'obéir, et partit aussitôt; mais au premier pas qu'elle fit, je crois, la foudre tomba, et l'ayant atteinte, elle mourut au moment même. A la même heure, il arriva beaucoup de choses semblables, que j'ai apprises depuis par des rapports véridiques; mais je ne puis écrire chaque chose en détail. Dans la première semaine de septembre, le Seigneur notre Dieu punit par le feu beaucoup de péchés, et brûla les habitations des pécheurs, avec les trésors que depuis longtemps, ils avaient injustement amassés. Le Mans et Chartres, villes antiques et opulentes, furent réduites en cendres: Alençon aussi, Nogent-au-Perche19, Verneuil, d'autres villes et beaucoup de villages périrent par les flammes de la colère de Dieu, qui parcourait l'univers. Alors la basilique épiscopale du Mans, qui était très-belle, fut brûlée, et le cercueil de saint Julien, évêque et confesseur, fut à grand'peine transporté avec son corps dans le monastère du saint martyr Vincent. Les ossemens de la vierge sainte Scholastique furent brûlés avec beaucoup d'autres reliques. Mais après l'incendie, grâce à de pieuses recherches, on les retrouva à leur place à Chartres. Le monastère de Saint-Pierre apôtre devint la proie des flammes, et le vénérable couvent des moines fut dispersé après la destruction du cloître, ainsi que des autres pièces. Dans ce temps-là les habitans de divers lieux éprouvèrent différens événemens merveilleux; ils souffrirent des incendies provenus de diverses causes, et purent ensuite, dans leur étonnement ou leurs plaintes, en faire de longs récits à leurs compatriotes. Je n'ai pas été témoin de ces accidens, et je ne veux pas étendre mon livre en rapportant des choses douteuses. Dans le même mois, le Juge équitable exerça de terribles vengeances, par l'élément contraire, dans un autre climat: il punit de criminels pirates pour des forfaits pareils à ceux dont la terre avait été souillée du temps de Noë. En Flandre, la mer déborda pendant la nuit, et s'étant répandue inopinément sur une étendue de sept milles, elle couvrit également les églises, les tours et les chaumières, et engloutit dans une même catastrophe d'innombrables milliers d'individus de l'un et de l'autre sexe, de tout ordre et de toute condition. Là certainement la vitesse ne servit point au coureur, la valeur ne protégea point le chevalier, l'opulence ne sauva point le riche: ce déluge enveloppa également les hommes et les femmes, soit qu'ils fussent beaux, soit qu'ils fussent laids, et leur fermant la bouche par les flots, les livra subitement à la mort. C'est ainsi que la mer accomplit en un moment la punition de ces malheureux, et par l'ordre de Dieu reprit aussitôt sa place. Une pauvre femme, récemment accouchée, ayant entendu le bruit des eaux rugissantes, effrayée, mais gardant son sang-froid, sauta aussitôt de son lit, emporta son enfant ainsi qu'une poule fuit avec ses poulets, et monta en toute hâte sur une meule de foin qui était près de sa chaumière. La rapidité de l'eau, qui roulait et qui enveloppait tout, souleva le foin, et transporta fort loin la meule, flottant çà et là. Par la miséricorde de Dieu, cette femme fut sauvée, et miraculeusement arrachée à la mort qu'elle avait vue de si près, ainsi que le peu de choses qu'elle avait avec elle. Un enfant de douze ans m'a raconté qu'alors il était monté sans tarder sur le comble d'un toit, et qu'il y avait échappé à sa perte imminente, tandis que son père et sa mère restés au dessous avaient péri. Dans le cours de la même année, plusieurs nobles princes quittèrent la vie. En effet, comme nous l'avons dit, Robert II, duc des Normands, mourut à Cardiff au mois de février; Ildefonse, roi d'Aragon, au commencement de l'automne, après la bataille de Fraga, dans laquelle périrent les nobles barons Bertrandet Roderic, ainsi que plusieurs autres seigneurs. Alors les Gallois bretons éprouvèrent de grandes calamités par l'invasion de tous les peuples soumis à la puissance du roi Henri, et plusieurs de leurs provinces furent données aux Flamands. Ces peuples, poursuivis partout dans les forêts et les cavernes, lurent, sans aucun égard pour l'humanité, massacrés comme des chiens. A l'aspect de tant de malheurs, ils se ranimèrent, éprouvèrent une vive indignation, et, reprenant courage, coururent aux armes, commirent beaucoup de ravages dans la fureur de leurs vengeances, et se soulevèrent d'une manière funeste contre le roi Henri. Ils brûlèrent le château de Cans, qui appartenait à Païen, fils de Jean, et sans pitié coupèrent la tête à toutes les personnes des deux sexes qu'ils y trouvèrent. Après cet attentat, tous les habitans s'enfoncèrent avec les étrangers dans l'épaisseur des forêts, ainsi que des loups, et ils exercèrent publiquement leurs fureurs par le meurtre, le brigandage et l'incendie. |
VII. Concilium Picentinum. Hugo Rothomagensis archiepiscopus. Henricus rex plurimos dominos aut reprimit aut castigat. Morbus Ludovici Francorum regis. Anno ab Incarnatione Domini 1135, indictione XIII, Innocentius papa maximam synodum apud Picenum) tenuit , et de utilitatibus ecclesiasticis multum tractavit; sed infortuniis praepedientibus, omnia pro voto complere nequivit. Hugo, Rothomagensis archiepiscopus, ipsum summopere adjuvit, et ab eodem honoratus primatum super multos pontifices suscepit. Curis itaque apostolicae servitutis occupatus, curas proprii praesulatus aliquandiu intermisit, et diutius in Ausoniae partibus demoratus, aliorum negotia solerter expedivit; quod regi vehementer displicuit. Praeterea, post mortem Richardi, Bajocensis episcopi, rex nepoti suo Richardo praefatae urbis pontificatum dedit, quem archiepiscopus consecrare, quia nothus erat, satis detractavit, diuque, donec apostolica sanctione pro regis timore concessum esset, distulit. Tandem remeantibus legatis cum decretis papae, Bajocensis Ecclesia data est Richardo, Rodberti comitis de Gloucestra filio, eademque die Abrincatensis episcopatus commissus est Richardo de Belfago. Eodem anno, Henricus rex, diris rumoribus de Guallorum factionibus auditis, valde indignatus est; et prudenter ordinata Normannia, cum electis sagittariis et bellicosa manu transfretare ter conatus est. Verum, contrariis insurgentibus causis, iter ejus impeditum est, nec vivus Angliam videre a Deo, qui omnia mire eontinet, permissus est. Gener enim ejus, Joffredus Andegavensis, magnas potentis soceri gazas affectabat, castella Normanniae poscebat, asserens quod sibi sic ab eodem rege pactum fuerat, quando filiam ejus in conjugem acceperat. Animosus autem sceptriger neminem sibi, dum vitales caperet auras, voluit praeficere, vel etiam in domo sua seu regno sibi coaequare, diligenter revolvens divinae dictum Sophiae, quod Nemo potest duobus dominis servire (Luc. XVI, 13) . Inde turgidus adolescens iratus, minis et superbis actibus regem offendit, monita ejus et consilia temere sprevit, et in tantum furorem procaciter excitavit, ut filiam ei suam auferre voluisse, et in Angliam secum ducere, si divinitas hoc decrevisset. Satis enim rex aegre tulit, quod ille generum suum Rozcelinum vicecomitem obsedit, et Bellummontem penitus concremavit, nec pro reverentia tam sublimis soceri genero ejus aliquando pepercit. Origo igitur maximarum dissensionum inter Normanniae proceres pullulabat; nam eorum quidam Andegavensi favebant, sed manifestam rebellionem propalare non audebant, quia regem multa expertum metuebant. Ipsum quippe ad arma contra se (excitare) merito formidabant, quem pro castigatione perenniter vincire reos satis noverant. Guillelmus Talavacius, et Rogerius Toenites praecipue suspecti erant, unde ad curiam regis venire formidabant. Hac de causa rex in Angliam navigare distulit, propriosque milites ad custodiendam munitionem Conchas direxit. Quibus intromissis, oppidum in circuitu bene muratum servavit, juvenemque Rogerium, ne rebellaret, coercuit. Talavacium vero saepius ad se accersiit, et venire non audentem, quia mordax illum conscientia terrebat, diutius exspectavit; ad ultimum post plurimas submonitiones fundis omnibus dissaisivit. Mense Septembri privatus omni honore suo, Talavacius, ad consulem Andegavensem divertit, et ab eo susceptus, in oppidis quae de feudo ejus erant, Pireto et Mamerz habitavit. Rex autem ab initio Augusti usque ad festivitatem Omnium Sanctorum, Sagiensem pagum perlustravit, et Alencionem et Almaniscas, aliaque Talavacii castella sibi mancipavit. Aggregata vero multitudine operariorum, fossas Argentonii augmentavit, et oppidum illud futurorum nescius summopere munivit, quod paulo post vicinis habitatoribus nimis obfuit. Quinto Kalendas Novembris, dum festivitas SS. apostolorum Simonis et Judae celebraretur, et matutina synaxis divinae majestati a devotis vigilanter ageretur, vehemens ventus circa quartam vigiliam noctis surrexit, et tota die usque ad nonam perdurans, valde perstrepuit, terribiliterque magno cum fragore insonuit, innumerasque domos et basilicas atque turres excelsas discooperuit, arborumque multitudine prostrata, lucos illustravit. His itaque prospectis, corda mortalium territa sunt, et diversas inde sententias prompserunt. Quidam perspicaces sophistae arcana rerum subtiliter rimati sunt; et ex praeteritis futura caute conjicientes, dixerunt quod ira Dei mundo, culpis exigentibus, immineret, et principes terrae cum subjectis plebibus, tanquam arbores silvarum, in brevi prosterneret. Tunc Ludovicus, rex Francorum, XXVIII regni sui annum agebat, et exinanitione diarriae attenuatus aegrotabat. Metu igitur mortis domum suam et quaeque habebat disposuit; et praecipuos Gallorum optimates, Thedbaldum Blesensem atque Radulfum Parronensem accersiit; eosque, quia discordes erant, pacificavit. Filio quoque suo Ludovico-Floro regnum Galliae commisit, quem ante triennium regem Remis constituerat, et ab Innocentio papa cum synodo XIII archiepiscoporum et CCLXIII episcoporum X Kalendas Novembris coronari fecerat, cum tripudio multitudinis quae aderat. Desperantibus siquidem de rege archiatris, omnipotens Adonai, qui ter quinos annos Ezechiae regi ad vitam donavit, aegrotanti Ludovico spatium vitae prolongavit, et meliorationem transacti status pro correctione vitae ex insperato contulit. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1135, le pape Innocent assembla un grand concile à Pise, et s'y occupa beaucoup des affaires ecclésiastiques; mais des malheurs qui survinrent l'empêchèrent de réaliser tous ses vœux. Hugues, archevêque de Rouen, le seconda puissamment: aussi, comblé d'honneurs par le pape, il reçut la primatie sur plusieurs évêques. Occupé des soins du service apostolique, il négligea quelque temps l'administration de son propre diocèse; resté trop long-temps en Italie, il expédia habilement les affaires d'autrui: c'est ce qui déplut vivement au Roi. Au reste, après la mort de Richard, évêque de Bayeux, le Roi en confia le siége à Richard, son neveu, auquel l'archevêque refusa positivement la consécration, parce qu'il était bâtard, et qu'il voulait différer jusqu'à ce que le Roi, par la crainte qu'il inspirait, eût obtenu la sanction apostolique. Enfin, les envoyés étant de retour avec le décret du pape, l'église de Bayeux fut remise à Richard, fils de Robert, comte de Glocester; le même jour, l'évêché d'Avranches fut confié à Richard de Beaufai. Pendant la même année, le roi Henri, ayant appris de tristes nouvelles de la révolte des Gallois, s'indigna vivement, et, ayant prudemment mis ordre aux affaires de Normandie, il tenta trois fois de passer la mer avec des archers d'élite et une troupe belliqueuse; mais plusieurs obstacles étant survenus, le trajet n'eut pas lieu, et Dieu, qui dirige merveilleusement toutes choses, ne permit pas que le Roi rentrât vivant en Angleterre. Geoffroi d'Anjou son gendre desirait les grands trésors de son puissant beau-père, et réclamait les châteaux de la Normandie, assurant que le Roi les lui avait promis en lui donnant sa fille en mariage. Le fier monarque ne voulut pas, tant qu'il vivrait, que personne se plaçât au dessus de lui, ou même l'égalât soit dans sa maison, soit dans son royaume, se rappelant parfaitement celte maxime de la divine sagesse qui dit, que personne ne peut servir deux maîtres. En conséquence, le jeune prince, naturellement orgueilleux, offensa dans sa colère le roi Henri par des menaces et des actions arrogantes, eut la témérité de mépriser ses avertissemens et ses conseils, et, par son insolence, le porta à une telle fureur qu'il voulait lui reprendre sa fille, et l'emmener avec lui en Angleterre, si Dieu l'eût permis. Le Roi vit avec peine Geoffroi assiéger son propre gendre, le vicomte Rozcelin, brûler entièrement la ville de Beaumont20, et, sans égard pour la majesté royale, n'épargner en rien ce seigneur. Les plus grandes dissensions se manifestaient partout entre les seigneurs de la Normandie: car quelques-uns favorisaient le comte d'Anjou, mais n'osaient en venir à une révolte ouverte, parce qu'ils avaient long-temps éprouvé combien le Roi était à redouter. Aussi craignaient-ils avec raison de faire prendre les armes contre eux à un prince qui, comme ils le savaient trop, punissait la révolte par un emprisonnement perpétuel. Guillaume-Talvas21 et Roger de Toëni étaient surtout l'objet de graves soupçons: c'est pourquoi ils n'osaient venir à la cour du Roi. Par ce motif, le Roi différa de passer en Angleterre, et envoya ses propres troupes pour garder le château de Conches. Cette garnison conserva une place qui était entourée de bonnes murailles, et empêcha le jeune Roger de se révolter. Quant à Talvas, le Roi l'appela souvent auprès de lui; mais il attendit long-temps ce comte, qui n'osait se présenter, parce qu'il était effrayé par le remords de sa conscience. A la fin, après plusieurs sommations, le Roi le dessaisit de tous ses biens. Au mois de septembre, Talvas, dépouillé de son comté, se retira auprès du comte d'Anjou, et, bien accueilli par lui, se fixa à Pérai22 et à Mamers, places qu'il tenait en fief de Geoffroi. Depuis le commencement d'août jusqu'à la fête de la Toussaint, le roi Henri parcourut le territoire de Séès, et s'empara d'Alençon, d'Almenêches, et des autres places de Talvas. Ayant réuni beaucoup d'ouvriers, il augmenta les fossés d'Argentan, et, sans prévoir l'avenir, fortifia beaucoup cette place, qui peu après causa de grands préjudices aux habitans du voisinage. Le 5 des calendes de novembre (28 octobre), pendant que l'on célébrait la fête des saints apôtres Simon et Jude, et que les personnes pieuses offraient avec vigilance l'office de matines à la divine Majesté, il s'éleva un vent violent vers la quatrième veille de la nuit; il dura tout le jour jusqu'à nones avec la même violence, et retentit terriblement avec un grand fracas. Il découvrit une innombrable quantité de maisons ainsi que de tours élevées, et il éclaircit les bois en renversant une multitude d'arbres. A cette vue, les cœurs des mortels furent effrayés, et chacun en dit son sentiment. Quelques philosophes pleins de sagacité recherchèrent savamment la cause secrète de ces événemens, et, tirant adroitement du passé des conjectures pour l'avenir, ils dirent que la colère de Dieu menaçait le monde à cause de ses crimes, et qu'elle ne tarderait pas à renverser les princes de la terre avec leurs peuples, comme étaient tombés les arbres des forêts. Alors Louis, roi des Français, accomplissait la vingt-huitième année de son règne, et se trouvait malade, anéanti qu'il était par la dysenterie. En conséquence, dans la crainte qu'il avait de la mort, il mit ordre à sa maison et à tout ce qu'il possédait; il manda les principaux seigneurs français, Thibaut de Blois et Raoul de Péronne; et comme ils étaient divisés, il rétablit la paix entre eux. Il remit le royaume de France à Louis Florus son fils, que trois ans auparavant, à Rheims, et à la satisfaction générale des assistans, il avait établi roi et fait couronner par le pape Innocent, et par tout le concile composé de treize archevêques et de deux cent soixante-trois évêques, le 10 des calendes de novembre (23 octobre). Pendant que les médecins désespéraient du rétablissement du Roi, le tout-puissant Adonaï, qui accorda quinze ans de vie au roi Ezéchias, prolongea aussi celle de Louis malade, et lui accorda inopinément l'amélioration de son état, pour qu'il s'amendât.
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VIII. Mors et funera Henrici Anglorum regis. Turbationes in Anglia Interea, Henricus rex Anglorum, VII Kalendas Decembris, in castrum Leonis venit, ibique venatores ut in silvam sequenti die venatum irent constituit. Sed, interveniente nocte, protinus aegritudinem incurrit, et a feria III usque ad Dominicam lethali morbo laboravit. Interea prius capellanis suis reatus suos confessus est. Deinde, Hugone archiepiscopo Rothomagensium accersito, de spirituali consilio locutus est; admonitus omnes forifacturas reis indulsit, exsulibus reditum et exhaeredatis avitas haereditates annuit. Rodberto autem filio suo (notho) de thesauro quem idem servabat Falesiae, sexaginta millia libras jussit accipere, famulisque suis atque stipendiariis militibus mercedes et donativa erogare. Corpus vero suum Raddingas deferri praecepit, ubi coenobium CC monachorum in honore sanctae et individuae Trinitatis condiderat. Denique catholicus rex de servanda pace et tutela pauperum omnes obsecravit, et post confessionem, absolutionem et poenitentiam a sacerdotibus accepit, oleique sacri unctione delinitus et sancta Eucharistia refectus, Deo se commendavit. Sicque Kalendis Decembris, Dominico, incipiente nocte, hominem excessit. Adfuerunt ibi quinque comites Rodbertus de Gloucestra, Guillelmus de Guarenna, Rotro de Mauritania, Gualerannus de Mellento, et Rodbertus de Legrecestra, aliique proceres et tribuni, nobilesque oppidani, quos omnes conjuravit Hugo archiepiscopus cum Audino Ebroicensi episcopo, ne corpus domini sui relinquerent, nisi ex communi consilio; sed omnes illud usque ad mare conducerent honorabili cuneo. Igitur, feria II, de castro Leonis Rothomagum regis soma detulerunt, et viginti millia hominum, ne in funereis ei felicitas exsequiis deesset, comitati sunt. In metropolitana Sanctae Dei genitricis Mariae basilica cum ingenti tripudio susceptum est, et a cunctis ordinibus utriusque sexus multarum copia lacrymarum effusa est. Ibi noctu a perito carnifice in archipraesulis conclavi pingue cadaver apertum est, et balsamo suaveolenti conditum est. Intestina vero ejus Ermentrudis ad villam in vase delata sunt, et in ecclesia S. Mariae de Prato, quam mater ejus inchoaverat, sed ipse perfecerat, reposita sunt. Deinde provido consultu sapientum Guillelmo de Guarenna Rothomagus et Caletensis regio commissa est, quae utiliter aliquandiu ab eo protecta est. Guillelmus de Rolmara et Hugo de Gornaco, aliique marchisi ad tutandos patriae fines directi sunt. Rogerius vero de Sigillo cum aliis quibusdam clericis, et Rodbertus de Ver, ac Joannes Algaso, aliique milites de Anglia et satellites ac ministri regis conglobati sunt, et per Pontem-Aldemari atque Bonamvillam feretrum regis Cadomum perduxerunt, ibique diu fere quatuor hebdomadas prosperum flamen ad navigandum praestolati sunt. Interea cadaver regis in choro S. protomartyris Stephani servatum est, donec post Natale Domini missis illuc monachis, impositum navi et transvectum est, atque a successore regni et episcopis et principibus terrae in Radingensi basilica honorifice sepultum est. Ecce veraciter descripto qualiter obierit gloriosus pater patriae, nunc dactylicis versibus breviter pangam contumacis aerumnas Normanniae, quas misera mater miserabiliter passa est a viperea sobole. Quae nimirum, mox ut rigidi principis cognovit occasun., in Adventus Domini prima hebdomade, in ipsa die ut rapaces lupi ad praedas et nefandas depopulationes cucurrit avidissime.
Sceptriger invictus, sapiens dux, inclytus heros,
Occidit Henricus rex prima luce Decembris, Stephanus Boloniensis comes, audita morte avunculi sui, protinus transfretavit, et a Guillelmo Cantuariensi archiepiscopo, aliisque praesulibus et principibus terrae susceptus, regale fastigium ascendit, et XVIII Kalendas Januarii, coronatus rex, quartus de stirpe Normannorum regnavit. Normanni autem Thedbaldum fratrem ejus apud Novum-Burgum convenientes sibi praeferre voluerunt; sed in ipso conventu a quodam monacho, qui Stephani legatus erat, audierunt quod omnes Angli Stephanum suscepissent, eique omnes obedire, eumque sibi regem praeficere vellent. Mox omnes, annuente Thedbaldo, decreverunt uni domino militare, propter honores quos in utraque barones possidebant regione. Thedbaldus igitur, cum major natu esset, indignatus quod regnum non habuerit, ad magna negotia quae in Galliis eum urgebant festinavit, et Normanniam diutius conculcari negligenter permisit. Rege vero nihilominus in Anglia occupato, rectora Normannia caruit. In prima Decembris septimana, Joffredus Ande gavensis, ut mortem Henrici regis comperit, Mathildem uxorem suam mox in Normanniam praemisit, quam Guiganalgaso, vir infimi quidem generis, sed magnae potestatis, ut naturalem dominam suscepit, eique Argentomum et Oximos et Damfrontem, aliaque quibus ut vicecomes, jubente rege, praeerat, oppida subegit. Deinde, comes cum Guillelmo Talavacio, Pontivi comite, et Andegavensibus catervis atque Cenomannicis secutus est, et a Sagiensibus aliisque castellanis, qui de feudo Talavacii erant, susceptus est. Exercitus autem ejus per circumjacentem provinciam diffusus, crudelia peregit, eeclesias et coemeteria violavit, hospites suos injuriis contristavit, et eosdem a quibus benigniter tractati fuerant, pluribus damnis et laesuris afflixit. Porro Normanni, quibus genuina ferocitas et audacia insunt, ut nequitiam hostium in se grassari male senserunt, arma furoris et ipsi nihilominus exercuerunt, et per vicos atque saltus fugientes persecuti sunt, ac, ut fama vulgi refert, plus quam DCC igne seu ferro trucidaverunt. Residui vero, cruentis Normannorum nisibus territi, cum dedecore fugientes sua repetierunt; et acutis eorum mucronibus aspere castigati, eosdem ultra extunc experiri non apposuerunt. Rodbertus etiam de Sablolio, filius Lisiardi, aliique proceres contra Joffredum conulem rebellaverunt; et intestinis eum guerris detinentes, in Neustriam remeare non permiserunt. Ast Normannia, licet ab exteris non inquietaretur, pacis tamen securitate nequaquam fruebatur, quoniam a filiis suis nequiter vexabatur, et indesinentem angustiam ventris quasi parturiens patiebatur. Normannica gens, si secundum legem Dei viveret et sub bono principe unanimis esset, Chaldaeis sub Nabuchodonosor, et Persis ac Medis sub Cyro et Dario, et Macedonibus sub Alexandro par, invincibilis esset, ut in Anglia et Apulia Syriaque frequens victoria testimonium illi perhibet. Caeterum, quia discordia ipsos ab invicem segregat et in sua viscera lethaliter armat, exterorum victores a sese superantur, et, vicinis hostibus cum ludibrio spectantibus, mutuis ictibus immisericorditer jugulantur; unde suae matris oculi crebro lacrymantur. |
Pendant ce temps-là, Henri, roi des Anglais, se rendit Le 7 des calendes de décembre (25 novembre) au château de Lions, et ordonna aux chasseurs de venir chasser avec lui le lendemain dans la forêt; mais comme la nuit survint, il tomba tout à coup malade, et depuis le mardi jusqu'au dimanche il souffrit d'une maladie mortelle. Cependant il confessa ses fautes à ses chapelains; ensuite ayant appelé Hugues, archevêque de Rouen, il lui demanda ses conseils spirituels. D'après les avis que Henri reçut du prélat, il pardonna aux coupables toutes leurs forfaitures, rendit aux exilés leurs revenus, et à ceux qu'il avait déshérités, le patrimoine de leurs pères. Il ordonna à son fils Robert de prendre pour lui, du trésor qu'il conservait à Falaise, soixante mille livres, de faire des présens, et de donner des récompenses à ses domestiques et aux chevaliers qui étaient à sa solde. Il donna des ordres pour que son corps fût porté à Reading, où il avait bâti, en l'honneur de la sainte et indivisible Trinité, un couvent composé de deux cents moines. Enfin ce Roi catholique pria tout le monde de maintenir la paix et de protéger les pauvres. Après sa confession, il reçut des prêtres l'absolution et la pénitence; puis, oint de l'huile sainte, et rassasié de la sa sainte Eucharistie, il se recommanda à Dieu. C'est ainsi que le jour des calendes de décembre (Ier décembre), au commencement de la nuit, il quitta la vie mortelle. A cette mort se trouvèrent cinq comtes, Robert de Glocester, Guillaume de Varenne, Rotrou de Mortagne, Galeran de Meulan et Robert de Leicester, ainsi que plusieurs autres seigneurs, soit capitaines, soit nobles châtelains. L'archevêque Hugues et Audin, évêque d'Evreux, conjurèrent tous les assistons de ne pas abandonner le corps de leur maître sans une délibération générale, et de le conduire jusques à la mer en formant une honorable escorte. Le lundi, on transporta le corps du Roi du château de Lions à Rouen, et vingt mille hommes l'accompagnèrent pour honorer ses obsèques. Il fut reçu par un grand concours dans la basilique métropolitaine de Sainte-Marie mère de Dieu, et les personnes des deux sexes, dans tous les ordres, répandirent une grande abondance de larmes. Là, pendant la nuit, dans la chambre de l'archevêque, le cadavre qui était replet fut ouvert par un habile chirurgien qui l'embauma. Ses entrailles furent portées dans un vase à Emendreville, et déposées dans l'église de Sainte-Marie-du-Pré, que sa mère avait commencée, mais qu'il avait finie. Ensuite, de l'avis des hommes sages, on confia, à Guillaume de Varenne, Rouen et le pays de Caux, qu'il protégea bien pendant quelque temps. Guillaume de Roumare, Hugues de Gournai et d'autres marquis furent envoyés pour la défense des frontières. Robert de Sigi23, avec quelques autres clercs, Robert de Ver24, Jean Algason, d'autres chevaliers anglais, les gardes et les ministres du Roi se réunirent et conduisirent son cercueil à Caen, en passant par Pont-Audemer et Bonneville25. On fut obligé d'attendre à Caen près de quatre semaines qu'il survînt un vent favorable pour se mettre en mer. Pendant ce temps-là, le corps du Roi fut conservé dans le chœur de Saint-Etienne, premier martyr, jusqu'à ce que, après Noël, des moines, qui furent envoyés à cet effet, le chargèrent sur un vaisseau et le transportèrent en Angleterre. Il fut inhumé avec de grands honneurs dans l'église de Reading, par son successeur au trône, par les évêques et par les seigneurs séculiers. C'est ainsi qu'ayant décrit avec véracité la mort de ce glorieux père de la patrie, je vais maintenant raconter en peu de mots, dans des vers hexamètres, les douleurs de la Normandie en désordre, qui, mère déplorable, eut à souffrir tant de calamités de la part de ses enfans semblables aux vipères. Dès que la Normandie apprit la mort de ce prince si ferme, à l'époque de la première semaine de l'Avent, dans un même jour, les Normands coururent avidement, comme des loups ravissans, pour ravir leur proie et se livrer à de criminelles dévastations. «Le monarque invincible, ce duc si sage, cet illustre héros, qui gouverna tant de peuples sous des lois équitables, hélas! il a perdu la vie, et sa mort fait naître un deuil général: Normands, Anglais, à la fois sont menacés de massacres publics. Son opulence, sa justice, sa prudence et sa valeur firent en tous lieux éclater sa puissance. Nul prince dans l'univers ne fut meilleur que lui, à une époque où le monde entier éprouve les fureurs de forfaits sans mesure. Je le crois, il fut au premier rang de tous les bons rois. C'est ce qu'attestent ses actions éclatantes. Puisse ce protecteur de l'Eglise, ce tranquille ami de la paix, vivre toute l'éternité avec le Christ, monarque des cieux! Ainsi soit-il!» «Le roi Henri mourut le premier jour de décembre. La patrie affligée en éprouve de l'abattement dans tous ses membres. Déjà de tous côtés chacun cherche à ravir le bien d'autrui, et dans ses actes d'iniquité chacun relâche les rênes de la religion. Voyez les infernales furies poursuivre les mortels; elles préparent les armes, appellent aux combats, et distribuent les traits. Les Normands se livrent avec ardeur au vol et au pillage; mutuellement ils s'égorgent, ils se font prisonniers, ils s'enchaînent; ils brûlent les maisons et tout ce qu'elles contiennent; ils n'ont pour les moines nul égard, pour les femmes aucun respect. Les dames de distinction gémissent dépouillées par la rage des scélérats; les droits de leur rang ne servent plus à les protéger. Imberbe encore, l'enfant est sans pitié mis à mort par le brigand. Toutes païennes qu'elles étaient, les phalanges romaines n'ont point commis tant de crimes. Il est évident que, pour ces gens, la paix est amère et insupportable: aussi la rompirent-ils bientôt quand ils apprirent la mort du Roi. Brigands iniques, ils se réjouirent du trépas de leur prince, et, dans leur avidité pour le pillage, coururent au crime avec ardeur. Ils croient déjà que désormais aucun maître ne pourra les contenir par les lois; je prétends au contraire qu'ils seront victimes de leur erreur: les lois éternelles du monarque tout-puissant n'ont pas cessé de subsister, et bientôt il donnera à l'Eglise un généreux protecteur. Après la mort du prince, l'ordre des moines supplie le Ciel, et s'efforce de porter par ses pleurs la Sagesse suprême au pardon de tant d'attentats. Dieu suprême, empêchez qu'ils ne puissent accomplir leurs forfaits comme le desirent ces serviteurs enragés de la désolation. Voilà qu'ils entrent en fureur; voilà qu'ils appellent et qu'ils entraînent tout le monde au crime. Empêchez qu'ils ne puissent par leurs méfaits accomplir leurs vœux. 0 Christ, donnez-nous un chef qui chérisse la paix et l'équité, qui les observe, et qui serve de guide à votre peuple! Frappez de la verge de justice le dos des orgueilleux, afin qu'en sûreté les fidèles puissent vous servir! Ainsi soit-il!»26 Etienne, comte de Boulogne, ayant appris la mort de son oncle, passa aussitôt la mer, fut bien accueilli par Guillaume, archevêque de Cantorbéry, par d'autres prélats et par les seigneurs séculiers; il monta au trône royal le 18 des calendes de janvier (15 décembre), il fut couronné roi, et régna comme quatrième prince de la race normande. Cependant les Normands, réunis au Neubourg27, voulurent lui préférer son frère Thibaut; mais, dans leur réunion même, ils apprirent d'un moine, qui était l'ambassadeur d'Etienne, que tous les Anglais s'étaient rangés du parti de ce dernier, et qu'ils voulaient lui obéir et en faire leur roi. Bientôt tous les assistans, avec le consentement de Thibaut, résolurent de n'obéir qu'à un seul maître à cause des biens que, comme barons, ils possédaient dans les deux Etats. Thibaut, en sa qualité d'aîné, indigné de n'avoir pu obtenir le trône, partit en hâte à cause des grandes affaires dont il était accablé en France, et, par sa négligence, laissa long-temps opprimer la Normandie. Ce duché resta sans chef, car le Roi était occupé en Angleterre. Dans la première semaine de décembre, Geoffroi d'Anjou ayant appris la mort du roi Henri, se fit précéder en Normandie par sa femme Mathilde, que Guigan-Algason, homme de basse extraction, mais d'une grande puissance, reçut comme sa reine légitime, et à laquelle il remit Argentan, Exmes, Domfront et quelques autres places, dont le Roi l'avait fait vicomte. Ensuite arriva le comte d'Anjou avec Guillaume Talvas, comte de Ponthieu, et les troupes tant angevines que manselles: il fut bien accueilli par les garnisons de Séès et de quelques autres châteaux qui dépendaient du fief de Guillaume Talvas. Cette armée, répandue dans tout le pays circonvoisin, commit beaucoup de cruautés, viola les églises et les cimetières, outragea ses hôtes, et accabla de vols et de blessures ceux même qui l'avaient bien reçue. Cependant les Normands, qui sont naturellement fiers et entreprenans, ayant éprouvé les effets de la méchanceté de leurs hôtes, recoururent en fureur à la voie des armes, poursuivirent les fuyards dans les villages et dans les bois; et, comme on le rapporte vulgairement, en firent périr plus de sept cents parle fer et par le feu. Les autres, effrayés des poursuites sanglantes des Normands, prirent honteusement la fuite, regagnèrent leur pays, et rudement châtiés par la pointe de l'épée, ne voulurent plus désormais s'y exposer. Robert de Sablé, fils de Lisiard, et quelques autres seigneurs se soulevèrent contre le comte Geoffroi, et le retenant chez lui au milieu de la guerre civile, ne lui laissèrent pas la liberté de retourner en Normandie. Toutefois cette province, quoique non inquiétée par l'étranger, ne jouissait nullement de la sécurité de la paix, puisqu'elle était criminellement opprimée par ses enfans, et que, comme la femme en couche, elle était sans cesse dans les douleurs de l'enfantement. Si la nation normande vivait selon la loi de Dieu, et se réunissait avec unanimité sons un bon prince, elle serait aussi invincible que les Chaldéens sous Nabuchodonosor, que les Perses et les Mèdes sous Darius et sous Cyrus, et que les Macédoniens sous Alexandre, ainsi que le prouvent ses fréquentes victoires en Angleterre, dans la Pouille et dans la Syrie. Au contraire, comme la discorde les divise entre eux, et les arme mortellement contre leur propre sein, vainqueurs des étrangers, ils sont vaincus par eux-mêmes, et, à l'aspect de leurs ennemis du voisinage, dont ils sont la risée, ils s'égorgent mutuellement sans pitié, et font ainsi couler fréquemment les larmes de leur mère. |
IX. Stephanus Anglorum rex novus. Turbationes in Normannia. Depraedatio Uticensis burgi. Anno ab Incarnatione Domini 1136, indictione XIV, Stephanus rex Anglorum, dum remoraretur in Neustriam transfretare, et ipsa provincia patrono careret ac principe, ortae sunt simultates inter inquietos optimates Normanniae, nimiaeque per filios iniquitatis creverunt malitiae. In initio Quadragesimae, Eustachius de Britolio apud Paceium mortuus est, et Guillelmus filius ejus, post Pascha, Britolii honorem ferro et flamma calumniatus est. Tunc Stephanus rex filiam suam biennem Gualeranno comiti de Mellento in cunabulis dedit. Comes autem post Pascha mox in Normanniam rediit. Nimia vero guerra inter Rogerium de Toeneio et Rodbertum, comitem de Legrecestra, graviter agitabatur, et ingens totius patriae desolatio miserabiliter oriebatur. Inter Rogationes et Pentecosten, Rogerius munitionem regis in Valle-Rodolii furtim introivit. Sed post tres dies Gualerannus comes, cum communi virtute Rothomagensi, illuc irruit, et municipium domino regi restituit. Deinde feria secunda post Pentecosten, Achinneium cum valida manu invasit, totumque municipium combussit. In crastinum nihilominus super eum Rogerius irruit, et tres villas ejus subito concremavit. Haec et multa his similia Normanni agebant, seseque propriis dentibus commanducabant. A Natali Domini usque ad octavas Pentecostes, pro absentia regis qui trans pontum multimodis regni curis occupatus erat, Thedbaldus comes a comite Andegavorum trevias acceperat, et interim regis adventum Normannica phalanx avide attendebat. Finito autem termino treviarum, omnis plebs attonita erat, et, rectore viduata, quid ageret ignorabat. Nam malevoli fures desiderabant illum diem videre, quo res alienas libere possent furari seu rapere. Inermes vero et benigni ac simplices admodum metuebant, quod rapaces filii Belial absque Dei timore optabant. Rodbertus cognomento Boetus, quidam famosus sagittarius, Richerio Aquilensi adhaerebat, et multos nebulones indomitosque garciones, ad strages hominum et latrocinia quotidie peragenda, sibi asciscebat. Qui quanto sagittandi peritia major, tanto in nequitiis erat detestabilior. Hic septimanam Pentecostes, quam septiformi gratia discipulis Christi data sanctus illustravit Spiritus, temere violavit nefariis actibus, et futuri nescius inhiabat pejoribus. Nam sicut boni flamma Spiritus Paracleti ad amorem Dei et proximi salubriter accendebantur, sic mali daemonico spiritu debacchantes, ad omne nefas rapiebantur. Igitur XV Kalendas Junii praedones ut lupi ad praedam cucurrerunt, et non bellicosorum rura militum invaserunt, sed armenta per agros cucullatorum quiete pascentia protinus abducere conati sunt. Verum, sicut ipsi veloces ad effundendum sanguinem fuerunt, sic justo Dei judicio contritionem et infelicitatem in viis suis repente invenerunt. Apud Uticum XXX latrunculi praedam simplicis populi diripuerunt; sed, orto clamore pastorum, burgenses irruerunt et XII ceperunt, ex quibus VII ad unam quercum suspenderunt. Ibi Rodbertus Boetus cum sex complicibus suis impetu furentis populi sublimatus est; talique triumpho pro facinoribus suis illico potitus est. Ecce qui septem sacratos dies Pentecostes contaminare non reveriti sunt, saevaque temeritate rapinis et homicidiis inermes proximos conculcare nimis exarserunt, sic eodem numero sequenti feria secunda simul suspendio perierunt. Quod Aquilenses ut ipso die audierunt, pro ultione sociorum cum nimio furore conglobati sunt, subitoque Uticum convolarunt, ac ex improviso burgum S. Ebrulfi succenderunt, ibique LXXXIV domus in puncto temporis in cineres conversae sunt. Monachi flentes campanas pulsabant, psalmos et litanias in basilica cantabant, quia monasterii excidium mox instare formidabant. Alii obviam militibus egressi, supplicabant, cum lacrymis sese de punitione reorum excusabant, et humilibus verbis obsecrabant; rectitudinem quoque et satisfactionem pro reatu legitimam offerebant. At illi ut amentes furebant, excaecati furore in monachos fremebant, et nihil sanae rationis intendebant. Imo quidam eorum religiosos Dei servos de caballis dejectos laedere volebant. Tandem, absque Dei reverentia, in villam assultum fecerunt, et violenter ingressi spolia rapuerunt, et habitacula, ut dictum est, penitus intra portas concremaverunt. Hujuscemodi militia vindicibus latronum merito in opprobrium conversa est, quae contra innocentes monachos et eorum homines armata est, et pessimos plagiarios, qui omne nefas perpetrare satagebant, ulta est. Richerius monachorum filiolus talem famulatum patrinis suis exhibuit, et sic pro anima Boeti famosi furis et homicidae aliorumque impostorum oravit, et hujusmodi oblationem ecclesiae, in qua idem baptizatus fuerat, obtulit. Baldricus quoque Aquilensis presbyter ad facinus parochianos exsecrabile praeivit, in hospitium alterius sacerdotis primus ignem immisit, et sic praevius per praeceps in barathrum suos secum pertraxit. Nimietas flammarum ad basilicam usque pervenit, sed, miseratione Dei, contrarius ventus surrexit, globosque flammarum multis aspectantibus et gaudentibus alias expulit. Basilica itaque et monachiles officinae, cum libris et utensilibus ecclesiasticis salvatae [fuerunt]; ad quas desolati contribules cum suis familiolis confugerunt, et meliora secundum Dei providentiam tempora praestolati sunt. Aquilenses vero spoliis Uticensium divites et turgidi facti sunt, sed non in longum exsultaverunt. Nam, eodem mense, super Sagium et Guaceium irruerunt, et contra Rogerium de Toenio saepius certaverunt; sed post depopulationem villae S. Ebrulfi prosperum eventum non assecuti sunt, imo pernicie seu captione suorum, imminutionem, judicante Deo, plerumque incurrerunt. Merito, qui contra nudos et simplices dimicaverunt, nec eis pro divino metu pepercerunt, postea fortissimos et pugnaces athletas non quaerentes invenerunt; a quibus cum opprobrio et derisione a militibus sibi obviis frequenter audierunt: Huc venite, milites. Non enim cucullati, seu coronati sumus, sed milites in armis vos ad bella provocamus. Socii vestri sumus, experiri debetis quid agere possumus. Improperiis hujusmodi crebro erubuerunt, et plures eorum duros ictus perpessi corruerunt. Unde nonnulli ad poenitentiam aliorum dejectione lacessiti sunt. |
L'an de l'incarnation du Seigneur 1136, comme Etienne, roi des Anglais, tardait à passer en Normandie, et que cette province était privée de protecteur et de prince, il s'éleva des altercations entre les seigneurs turbulens, et les fils de l'iniquité multiplièrent leurs attentats. Au commencement du carême, Eustache de Breteuil mourut à Pacy; après Pâques, son fils Guillaume revendiqua la terre de Breteuil le fer et la flamme à la main. Alors le roi Etienne maria sa fille âgée de deux ans à Galeran, comte de Meulan. Après Pâques, ce comte ne tarda pas à venir en Normandie. Cette contrée était le théâtre d'une guerre cruelle entre Roger de Toëni, et Robert, comte de Leicester, et tout le pays était misérablement livré à une grande désolation. Entre les Rogations et la Pentecôte, Roger surprit la forteresse royale de Vaudreuil28; mais, au bout de trois jours, le comte Galeran, à la tête de la commune de Rouen, fondit sur la place, et la rendit au domaine du Roi. Ensuite, la seconde férie après la Pentecôte, il s'empara d'Acquigui29 avec une forte armée, et brûla toute la place. Néanmoins, dès le lendemain, Roger marcha contre lui, et lui brûla trois villages. Les Normands commettaient ces attentats et beaucoup d'autres semblables; ils se dévoraient de leurs propres dents, comme le rapporte allégoriquement l'Apocalypse en parlant de la bête. Depuis la naissance du Seigneur jusqu'à l'octave de la Pentecôte, à cause de l'absence du Roi, qui, au-delà des mers, était occupé des nombreuses affaires de son royaume, le comte Thibaut avait conclu une trève avec le comte d'Anjou: cependant l'armée Normande attendait avec impatience l'arrivée du Roi. La trève étant expirée, tout le peuple fut saisi d'étonnement, et, resté sans chef, il ne savait ce qu'il devait faire; car les brigands, dans leur malveillance, desiraient voir arriver le jour où ils pourraient en liberté piller et ravir le bien d'autrui. Sans défense, les hommes de bien et les gens simples redoutaient extrêmement ce qui faisait l'objet des vœux des enfans de Bélial, ravisseurs qui ne connaissaient pas la crainte de Dieu. Robert, surnommé Boet, archer fameux, était attaché à Richer de L'Aigle, et s'était uni avec beaucoup de bandits et de mauvais sujets30 pour commettre journellement des meurtres et des brigandages: autant il était supérieur dans l'art de tirer les flèches, autant il était détestable dans sa perversité. Il eut la témérité de violer par de méchantes actions la semaine de la Pentecôte, que le Saint-Esprit rendit illustre en répandant sur les disciples du Christ les sept dons de la grâce: ce brigand, sans s'inquiéter de l'avenir, se disposait encore à de plus grands forfaits. De même que les gens de bien sont salutairement enflammés par les feux du saint Paraclet pour l'amour de Dieu et du prochain, ainsi les méchans, poussés au désordre par l'esprit diabolique, sont entraînés à toutes sortes de crimes. En conséquence, le 15 des calendes de juin (18 mai), des brigands, semblables à des loups, coururent au carnage et se ruèrent, non sur les champs des belliqueux chevaliers, mais sur les terres des moines, dont ils voulurent enlever les troupeaux qui paissaient tranquillement. Comme ils se montrèrent prompts à verser le sang, de même, par un équitable jugement de Dieu, ils trouvèrent soudain sur leur chemin la résistance et l'infortune. Trente voleurs pillèrent auprès d'Ouche le pauvre peuple; mais, au bruit des cris des bergers, les bourgeois chargèrent les brigands et en prirent douze, dont sept furent pendus par eux à un chêne. Là, Robert Boet31 fut, dans un mouvement de fureur populaire, promu à une grande élévation avec six de ses complices, et obtint ainsi le triomphe que méritaient ses crimes. C'est ainsi que ceux qui n'avaient pas craint de profaner les sept jours sacrés de la Pentecôte, et qui avaient brûlé d'envie d'écraser leur prochain sans défense, par de téméraires entreprises, par le pillage et par le meurtre, furent, au nombre de sept, le lundi suivant, pendus tous ensemble. Les gens de L'Aigle ayant appris le même jour cet événement, se réunirent enflammés de fureur pour venger leurs compagnons, coururent aussitôt à Ouche, et, à l'improviste, brûlèrent le bourg de Saint-Evroul, où dans un clin-d'œil quatre-vingt-quatre maisons furent réduites en cendres. Les moines en pleurs sonnaient les cloches, chantaient dans l'églisedes psaumes et des litanies, parce qu'ils craignaient la ruine imminente du monastère. Quelques-uns sortirent pour aller au-devant des soldats; ils les suppliaient, ils s'excusaient en pleurs de la punition qui avait été infligée aux coupables; ils priaient humblement, et offraient justice et satisfaction légitime pour ce qui s'était passé. Les soldats étaient furieux comme des insensés; aveuglés de colère, ils frémissaient contre les moines et ne se rendaient à aucune bonne raison; même quelques-uns d'eux voulaient frapper de religieux serviteurs de Dieu qu'ils avaient renversés de leurs chevaux. Enfin, sans nul respect pour le Ciel, ils assaillirent le bourg, y entrèrent de vive force, le pillèrent, et, comme nous l'avons dit, brûlèrent entièrement les maisons qui se trouvaient dans l'enceinte. Ces gens-là furent justement couverts d'opprobre pour avoir vengé des brigands, en prenant les armes contre des moines innocens et contre leurs vassaux, et en s'établissant les défenseurs des scélérats qui cherchaient à commettre toutes sortes de crimes. C'est ainsi que Richer de L'Aigle, filleul des moines, servit ses parrains; c'est ainsi qu'il pria pour l'ame de Boet, fameux par ses brigandages et ses meurtres, et pour celle des autres imposteurs; c'est ainsi qu'il fit des offrandes à l'église dans laquelle il avait été baptisé! Baudri, curé de L'Aigle, marcha à la tête de ses paroissiens pour commettre cet exécrable attentat; le premier il mit le feu à la maison d'un autre prêtre, et fut ainsi le précurseur qui entraîna ses compatriotes dans le gouffre où ils se précipitèrent. La violence des flammes parvint jusqu'à l'église; mais, par la misérieorde de Dieu, il s'éleva un vent contraire qui, à la vue et à la satisfaction de beaucoup de monde, repoussa vers d'autres points les tourbillons embrasés. C'est ainsi que l'église, les bâimens du couvent, les livres et le mobilier ecclésiastique furent sauvés. Les gens du pays désolés se réfugièrent au couvent avec leur monde, et attendirent de meilleurs temps selon la providence de Dieu. Les gens de L'Aigle furent enrichis et fiers des dépouilles des habitans d'Ouche; mais leur joie ne dura pas long-temps. En effet, dans le même mois, ils se jetèrent sur Séès et Gacé, et combattirent souvent contre Roger de Toeni; mais, après le pillage de Saint-Evroul, il ne leur arriva plus d'éyénemens heureux; au contraire, d'après la décision de Dieu, ils éprouvèrent des pertes fréquentes, soit par la mort, soit par la capture des leurs. Il était juste que ceux qui avaient attaqué des hommes nus et simples, et que la crainte de Dieu n'avait point portés à les épargner, rencontrassent ensuite, sans les chercher, des guerriers vaillans et belliqueux. Ils entendirent fréquemment les chevaliers qu'ils rencontraient leur dire avec opprobre et dérison: «Chevaliers, venez ici: nous ne portons ni capuchon ni couronne; mais comme chevaliers armés, nous vous appelons au combat. Nous sommes vos camarades; vous devez éprouver ce que nous savons faire.» Ils eurent souvent à rougir de ces reproches, et plusieurs d'entre eux tombèrent frappés de rudes coups: c'est pourquoi quelques-uns, voyant la chute des autres, furent portés à la pénitence. |
X. Eventus varii in Anglia et Normannia. Post Pentecosten, Stephanus rex ad transfretandum classem suam praeparavit; eoque prosperum flamen prope portum exspectante nuntius venit, in quo Rogerium Salesburiae praesulem, cui totius Albionis tutela jamdudum ab avunculo suo, et postmodum ab ipso commissa fuerat, mortuum esse audivit. Unde intermissa navigatione Salesburiam reversus est, et episcopo sospite reperto, ab itinere suo usque in Quadragesimam frustra retardatus est. Interea Gissebertus de Clara in Oximos expeditionem fecit, et Novumburgum quem rex Henricus nuper auxerat, cum ecclesia S. Dei Genitricis combussit. Veteri quoque burgo, ut concremaret, acriter institit; sed Talavacio comite cum aliis militibus subito irruente, victus cum difficultate aufugit. Ibi Henricus de Ferrariis captus est, et ingens hominum, qui regi favebant, captura sive caedes facta est. Ea tempestate, Gualerannus et Rodbertus comites auxilium a Thedbaldo comite (Blesensi) petierunt, ipsumque, datis centum marcis argenti, contra Rogerium de Toenio conduxerunt. In terram vero ejus in natali S. Barnabae apostoli cum enormi multitudine irruerunt, et multorum tuguria pauperum in tribus villis combusserunt. Tandem super Bulgeium quemdam grandem vicum irruerunt, et instinctu comitis Legrecestrae vicinis in penatibus ignem immiserunt, et pulcherrimam aedem S. Mariae Magdalenae cum viris et mulieribus incenderunt. Ipso die, Richerius Aquilensis et Alveredus Vernoliensis, dum ante novas Ferrarias cum suis transirent, a Rodberto de Belismo (72) et Malis - vicinis aliisque militibus Gallis, qui Rogerium adjuvabant, fortiter imperiti et fugati sunt, et multis ex eorum sodalibus captis vel interfectis, vix evaserunt. Tertia septimana Junii, Thedbaldus comes Pontem S. Petri obsedit, et per integrum mensem impugnando multum laboravit. Guillelmus enim de Fontibus cum aliis probatissimis militibus et clientibus qui Rogerio adhaerebant, acriter hostibus obstantes oppidum servabant. Interea, venerabilis Boso Beccensium abbas, postquam idem coenobium fere X annis laudabiliter rexit, in die festivitatis S. Joannis Baptistae, post diutinum languorem, quem vir eruditissimus patienter tulerat, obiit; eique Tedbaldus prior ecclesiastica monachalis conventus electione successit. In crastinum solemnitatis S. Joannis Radulfus, Ebroicensis ecclesiae archidiaconus, dum de Paceio remearet, a filiis Simonis Harengi impetitus, vix evasit. Ipse quidem ad quamdam basilicam fugiens salvatus est, sed famulus et comes itineris ejus, qui suo pro domino repugnabat, occisus est. Hic tumultuosus annus vere bissextilis fuit, et tunc ultimus in ordine concurrentium bissextus cucurrit, ac, ut vulgo dicitur, bissextus super regem et populum ejus in Normannia et Anglia cecidit. Tertia septimana Septembris repentino Rothomagus igne combusta est, et ingens damnum fidelibus populis divino judicio illatum est. Nobile coenobium S. Audoeni flammis edacibus, proh dolor! absumptum est, quod vix ad perfectum per LXXX annos multorum labore perductum est. Pari quoque infortunio monasterium sanctimonialium desolatum est, quod in honore S. Amandi episcopi et confessoris constructum est. |
Après la Pentecôte, le roi Etienne fit équiper une flotte pour passer la mer. Comme il attendait au port un vent favorable, il lui arriva un courrier qui lui annonça la mort de Roger, évêque de Salisbury , qui avait été chargé de la régence de toute l'Angleterre d'abord par son oncle, ensuite par lui-même. Cet événement ayant suspendu l'embarquement, Etienne revint à Salisbury: il en trouva l'évêque bien portant, et son voyage fut ainsi vainement retardé jusqu'au carême. Cependant Gislebert de Clairai32 fit une expédition contre la ville d'Exmes, et brûla le nouveau bourg que le roi Henri avait récemment agrandi, ainsi que l'église de la sainte Mère de Dieu. Il chercha à brûler l'ancien bourg; mais ayant été vaincu par le comte Talvas, qui survint tout à coup avec d'autres chevaliers, il se sauva avec peine. Henri de Ferrières33 fut fait prisonnier dans cette affaire, où beaucoup d'hommes qui étaient partisans du Roi furent pris ou tués. Dans ce temps-là, les comtes Galeran et Robert, frères jumeaux, demandèrent des secours à Thibaut, comte de Blois, et lui ayant donné cent marcs d'argent, le déterminèrent à marcher contre Roger de Toëni. Le jour de la nativité de l'apôtre saint Barnabé, ils fondirent sur ses terres avec une énorme multitude de troupes, et brûlèrent dans trois villages les chaumières de beaucoup de pauvres gens. Enfin ils fondirent sur un grand bourg nommé Bougi34. D'après les conseils du comte de Leicester, ils mirent le feu aux maisons voisines, et brûlèrent la belle église de Sainte-Marie-Madeleine avec les hommes et les femmes qu'elle renfermait. Le même jour, Richer de L'Aigle et Alvered de Verneuil passant avec leurs troupes devant la nouvelle Ferrières35, furent rudement attaqués et mis en déroute par Robert de Bellême, par les Malvoisin et par d'autres chevaliers français qui étaient du parti de Roger. Ce ne fut pas sans peine qu'ils échappèrent après avoir perdu un grand nombre de leurs camarades tués ou faits prisonniers. Dans la troisième semaine de juin, le comte Thibaut assiégea le Pont-Saint-Pierre36, et fit de grands efforts pendant tout un mois pour s'en emparer. Guillaume de Fontaines, avec plusieurs preux chevaliers et des vassaux qui étaient attachés à Roger, défendit vivement la place contre l'attaque de l'ennemi. Sur ces entrefaites, le vénérable Boson, abbé du Bec, à la suite d'une longue maladie, que ce savant homme avait supportée patiemment, mourut le jour de la fête de Saint-Jean-Baptiste, après avoir gouverné louablement ce monastère pendant près de dix ans. Il eut pour successeur le prieur Thibaut, qui fut élu canoniquement par l'assemblée des moines. Le lendemain de la fête de Saint-Jean, Raoul, archidiacre de l'église d'Evreux, à son retour de Pacy, fut attaqué par les fils de Simon Harenc, et échappa avec beaucoup de peine. S'étant réfugié dans une église, il fut sauvé; mais son domestique, qui l'accompagnait dans son voyage, fut tué en défendant son maître. Cette tumultueuse année fut véritablement bissextile: alors le dernier bissexte courut pour beaucoup de combattans; et, comme on dit vulgairement, le bissexte tomba sur le Roi et son peuple en Normandie et en Angleterre. Dans la troisième semaine de septembre, la ville de Rouen fut brûlée par un incendie imprévu; et, par le jugement de Dieu, les fidèles éprouvèrent de grands dommages. Le noble couvent de Saint-Ouen fut, hélas! consumé par les flammes dévorantes, à peine conduit à sa perfection par de nombreux travaux durant quatre-vingts ans. Le même malheur arriva au monastère de religieuses bâti en l'honneur de saint Amand, évêque et confesseur. |
XI. Invasio et depraedationes Andegavensium in Normanniam. Deinde sequenti Dominico, XI Kalendas Octobris, Joffredus, Andegavensis comes, Sartam fluvium pertransivit, et cum ingenti multitudine armatorum Normanniam intravit. Habebat enim secum Guillelmum Pictaviensem ducem et Joffredum Vindocinensem, Guillelmum quoque juvenem Guillelmi Nivernensis consulis filium, et Guillelmum Pontivi comitem, cognomento Talavacium. Hi nimirum, aliique plures tribuni et centuriones cum viribus suis Andegavensibus associati sunt, et in Normannos per omne nefas, seu pro favore principis, sive pro cupiditate praedae irruerunt. Unde omnes ab eisdem quibus impudenter nocuerunt, hostili odio Hili-Becci despective cognominati sunt. In primis comes Quadrugias oppidum obsedit, et arcem quam Gualterius miles tenebat, in triduo expugnavit; sed eamdem paulo post idem oppidanus, adversariis abeuntibus, recuperavit. Scoceium incolae concremaverunt, et relinquentes aufugerunt, et hostibus pedetentim properantibus, fumum et favillas dimiserunt. Municipes de Asnebec foedus in annum pepigerunt. Rodbertus enim de Novoburgo praefati castri dominus Joffredo comiti notus fuerat, et per Amalricum comitem jamdudum amicitia et familiaritate inhaeserat. Andegavenses arcem de Mosterolo adierunt, et bis in illam assultum fecerunt; sed fortiter his qui intus erant repugnantibus, nihil nisi vulnera lucrati sunt, plurimisque suorum interfectis, recesserunt. Richardus enim cognomento Bassetus, cujus in Anglia, vivente Henrico rege, potentia, utpote capitalis justitiarii, magna fuerat, in parvo feudo quod parentum successivo jure in Normannia obtinuerat, Anglica tumens opulentia, super pares compatriotas sese magnitudine operum extollere affectaverat. Firmissimam ergo ex quadris lapidibus turrim apud Mosterolum construxit. Sed, defuncto rege, Guillelmus de Montepincionis in illam mox introivit, armis eam et hominibus munivit, furentesque Guiribeccos, ut dictum est, viriliter repulit. Inde illi castrum quod Monasterium Huberti dicitur, expetierunt; victoque Paganello municipe, qui multa in illo nequiter anno perpetraverat, municipium obtinuerunt, et praedictum cum XXX militibus oppidanum per ingentem pecuniae redemptionem graviter coercuerunt. Deinde, dum festum S. Michaelis archangeli celebraretur, hostilis exercitus Lexovium obsidere molitur. Verum, illis tunc festinantibus, Gualerannus comes de Mellento, aliique Normannorum proceres, qui ibidem erant cum multis militibus, Alanum de Dinam cum audacissimis defensoribus ad tutandam urbem constituerunt; et ipsi, ut liberius obsessis subsidium deforis conferrent, egressi sunt; et exitum rei meticulose de longe exspectaverunt. Britones autem aliique qui munitionem tueri debuerunt, visa procul hostium multitudine timuerunt, et obviam illis procedere seu cominus praeliari diffisi sunt. Ignem ergo injecerunt, et commissam urbem incenderunt, et sic hostes excidio sui, ne pejora contingerent, anticipaverunt. Hostes autem, ut appropiaverunt et ardentem cum multis divitiis urbem viderunt, vehementer irati doluerunt; quia praedarum spe penitus frustrati sunt, et pro amissione manubiarum quae flammis deperibant, luxerunt. Animositatem itaque Normannorum gementes compererunt; acerbitatem quoque implacabilis eorum malevolentiae admirati sunt, quos videbant malle suas opes conflagratione deperire, quam externae dominationis jugo sua colla, salvis opibus, mancipare. Porro propter vehementissimum ignem ad munitionem accedere, vel assultum aliquo modo ingerere non potuerunt. Unde regiratis equis, statim ad Sappum reversi sunt, et oppidum illud medullitus expugnare nisi sunt. Arbor procera, quae abies dicitur, prope ecclesiam S. Petri apostoli antiquitus stabat, pro qua vulgaris locutio villam Sappum nuncupare solebat. Quod vocabulum usque hodie burgo seu castello perseverat. Illuc Andegavenses Lexovio remeantes ex insperato accesserunt, et incolas contra se audacter egressos ferociterque saevientes persenserunt. Quibus acriter certantibus, flammae ab utrisque, ab indigenis videlicet ac extraneis, in aedibus immissae sunt; unde vires oppidanorum protinus exinanitae sunt. Tunc ibi ecclesia S. Petri apostoli cum tota villa concremata est, et multis ibidem qui resistere conabantur vulneratis, conquassata turris capta est. Ipsam nimirum Gualterius de Clara et Radulfus de Coldum sororius ejus tenuerunt, et in adversarios cum XXX militibus aliquandiu repugnaverunt; sed nimia vi contrariae phalangis oppressi defecerunt, et exhaustis viribus, in arce capti sunt. Nam fere tria millia sagittariorum sagittis infestabant, multique fundibularii saxorum grandinem in oppidanos jaciebant, et ingenti eos turbine feraliter opprimebant. Andegavenses in Normannia XIII diebus demorati sunt, odiumque perenne, non dominatum Normannorum immanitate sua meruerunt. Generale siquidem bellum, quia tunc Normanni principe carebant, non repererunt. Sparsim tamen rapacitati et incendiis insistentes, a pagensibus confusi sunt; sociisque varia sorte per diversa prostratis diminuti, tandem fugerunt; innumera mala inedicibiliter operati sunt, meritoque nihilominus similia perpessi sunt. Nullam sacris reverentiam exhibuerunt, imo sanctuarium Domini nequiter conculcaverunt, et sacerdotes aliosque Dei ministros ethnicorum more injuriati sunt: quosdam enim ante sanctum altare irreverenter despoliaverunt, nonnullos etiam signa pulsantes et Deum invocantes trucidaverunt. Novem presbyteri pariter ad comitem accurrerunt, et lacrymosam de violatione suarum ecclesiarum et direptione sacrorum querimoniam fecerunt: quod audientes honesti viri Deumque timentes valde condoluerunt. Principes igitur apud Sappum omni exercitui, ne sacra contaminarent, per praeconem prohibuerunt: sed temerarii praedones in tanta multitudine decreta procerum floccipenderunt. Gregarii namque milites et indomiti piratae, ad devorandos devoratores aliorum, ut lupi convenerant, vagique et indisciplinati de diversis et longinquis regionibus ut milvi convolaverant, qui nihil aliud nisi praedari, obviosque ferire vel vincere cupiebant. Optimates autem qui separes coetus in expeditione legali ductu ductitare debebant, in militia Romanae rigorem disciplinae, nisi fallor, ignorabant, nec ipsas heroum more militares inimicitias modeste disponebant. Unde probrosis facinoribus absque boni respectu pene cuncti, ut opinor, sordebant, et per omne nefas in duplex detrimentum, corporis videlicet et animae, proruebant, Deoque et hominibus abominabiles apparebant. Plurimos greges armentorum et pecudum mactaverunt, et crudas vel semicoctas carnes sine sale et pane comederunt: coria vero pluribus vehiculis in propriam regionem deferre conati sunt. Quamvis enim autumnale tempus alimentorum copiis abundaret, et ubertas provinciae post longam pacem sub bono patricio incolis arrideret, et omnem frugum seu carnium affluentiam suppeditaret, tantae tamen multitudini coquorum et pistorum servitus deerat, et in bellico tumultu plurimorum, quibus humana necessitas maxime indiget, administratio non suppetebat. Guiribecci ergo, quia inconditis post contaminationem sacrorum eduliis intemperanter usi sunt, justo Dei judicio pene omnes ventris fluxu aegrotaverunt, fluentique diarria satis anxii foeda vestigia obiter reliquerunt, suosque reposcere lares plerique vix potuerunt. Tandem Kalendis Octobris dum in arcem Sappi impetum facerent, et muniones illius acerrime resisterent, Joffredus comes pilo in pede dextro fortiter percussus est, gravique laesura pedis cum suorum ruina Normannorum animositatem aliquantulum expertus est. Uxor autem ejus ipso die circa vesperam ad eum venit, et multa millia pugnatorum frustra secum adduxit; nam primo mane, trepidantibus undique incolis, Andegavenses subito recesserunt, eosque a quibus nimis timebantur timentes, pertinaciter fugerunt, totamque regionem tam sociorum quam hostium depopulati sunt. Fugam vero illorum Normanni tarde compererunt. Unde nimis contristati sunt quod eos persequendo de regione sua non conduxerunt. Solus Engerrannus de Corte-Odmari cum Rodberto de Mesdavit aliisque paucis militibus transitus Oldonis praeoccupavit, ibique multos homines et equos et rhedas panibus et vino multaque supellectili onustas retinuit, et Andegavenses prae timore mortis ausos flumen sine vado introire, in Oldonis profundo compulit mortem subire. Comes autem, qui spumanti equo vectus cum pluribus minis Normanniam intraverat, pallidus et gemens, atque badivola (73) jacens sua revectus visitat; sed in ipso reditu a suis graviora quam ab hostibus damna tolerat. Nam in silva quam Malasiam vocant, cubicularius comitis occisus est, et mantica ejus cum consularibus indumentis et vasis pretiosis subrepta est. Interea, dum Andegavenses Lexoviensem pagum, ut jam dictum est, devastarent, et paganorum more debacchantes, absque Dei metu exsecrabilia perpetrarent, Rogerius de Conchis in Ebroicensi episcopatu circumjacentem provinciam devastabat, et omnia caedibus atque flammis edacibus tradebat. Guillelmum quippe de Paceio, Eustachii filium, et Rogerium Balbum, comitemque Ferricum secum habebat; et comitem Gualerannum et omnes Uticensis provinciae milites, ne obviam Andegavensibus in armis procederent, occupabat. Castrum quod Mellenticus comes apud Crucem pro defensione patriae construxerat, Rogerius acriter impugnavit, sed non obtinuit. Abbatiam vero quam S. Audoenus jamdudum construxit, sanctaeque crucis quam in coelo viderat honori dicavit et B. Leufredo ad regendum commisit, Rogerius cum suis commilitonibus violavit, quod non diu impune pertulit. Burgum monachorum concremavit, ecclesiamque impugnavit, de monasticis penetralibus fugitivos inibi latitantes rapuit; spolia vero monachorum ac ad eos confugientium diripuit; sed, Deo aequissimo judice vindicante, paulo post omnia perdidit. Nam, sequenti die post fugam Andegavensium, id est tertio die Octobris, Rogerius inopinabiliter debacchatus est. In valle siquidem Rodolii uberem provinciam devastavit, caedibus et rapinis incendiisque irreverenter insudavit, et ita multos cum suis complicibus, ablatis rebus, miseros effecit. Ecclesiam vero S. Stephani concremavit, cujus reatus talionem ipsa die recepit. Nam Sabbato circa vesperam, dum redirent et ingentem praedam pluresque captivos pompose secum ducerent, Gualerannus comes et Henricus de Pomereio cum quingentis militibus de vicina silva egressi sunt, et contra hostile agmen ad bellum parati constiterunt. Rogerius autem qui multum audax et probus erat, cum paucis militibus quos secum habebat (Guillelmum enim de Paceio et Rogerium Balbum cum suis copiis et praeda et captivis, Achinneium praemiserat) frustra fortiter in hostes pugnavit; sed multitudine pressus et victus succubuit, et cum Ferrico comite ac Rodberto de Belismo, qui Poardus cognominabatur, captus ingemuit, infortunioque suo magnum inimicis gaudium et vicinis pagensibus securitatem peperit. Interea, dum Ferricus de Stampis in carcere gemeret, uxor ejus, pro cujus stemmate comes ipse appellabatur, Ludovicum regem Parisius adiit. Unde dum ipsa praegnans remearet, equitando laesa est, et paulo post difficultate partus mortua est. |
Le dimanche suivant, le 11 des calendes d'octobre (21 septembre), Geoffroi, comte d'Anjou, passa la rivière de Sarthe, et pénétra en Normandie avec une nombreuse armée. Il avait avec lui Guillaume, duc de Poitiers, Geoffroi de Vendôme, le jeune Guillaume, fils de Guillaume, comte de Nevers, et Guillaume, comte de Ponthieu, surnommé Talvas. Ces seigneurs et plusieurs autres chefs et capitaines se réunirent aux troupes angevines, et commirent sur les Normands toutes sortes de crimes, soit pour seconder leur prince, soit par avidité du butin. C'est pourquoi ils furent avec mépris, et par suite de la haine qu'ils inspiraient, surnommés Guiribecs37 par ceux qu'ils avaient si impudemment vexés. D'abord le comte d'Anjou assiégea la place de Carouges38; il en prit en trois jours le château que le chevalier Gaultier défendait, et que celui-ci recouvra peu de temps après, au départ de ses ennemis. Les habitans d'Ecouché brûlèrent leur place, l'abandonnèrent pour prendre la fuite, et ne laissèrent que de la fumée et des cendres à l'ennemi, qui s'avançait pas à pas. La garnison d'Annebecq39 conclut une trêve pour un an: car Robert du Neubourg, seigneur de ce château, était de la connaissance du comte Geoffroi, et, par l'entremise du comte Amauri, s'était depuis longtemps attaché à lui par les liens d'une intime amitié. Les Angevins marchèrent vers la forteresse de Montreuil40, et lui donnèrent deux fois l'assaut; mais, la garnison ayant opposé une vive résistance, ils ne gagnèrent que des blessures, et se retirèrent après avoir perdu plusieurs des leurs. Richard, surnommé Basset, qui, du vivant du roi Henri, avait eu beaucoup de puissance en Angleterre, où il était grand justicier, dans l'orgueil que lui causait son opulence au delà des mers, avait cherché à s'élever au dessus de ses compatriotes et de ses égaux, par la grandeur des travaus qu'il fit faire dans ce petit fief que, par droit de succession, il avait eu de ses pères en Normandie. C'est pourquoi il avait fait bâtir en pierres de taille une tour à Montreuil. Le roi Henri étant mort, Guillaume de Mont-Pinçon s'y établit aussitôt, la fortifia d'hommes et d'armes, et, comme nous l'avons dit, repoussa virilement les Guiribecs. De là les Angevins marchèrent au château qu'on appelle Moutier Hubert41; ayant vaincu Painel, commandant de la garnison, et qui, dans cette année, avait commis beaucoup de crimes, ils s'emparèrent de la place, et grevèrent d'une forte rançon ce châtelain avec trente chevaliers. Ensuite, lorsque l'on célébrait la fête de l'archange saint Michel, l'armée ennemie chercha à assiéger Lisieux. Comme elle marchait en hâte vers cette ville, Galeran, comte de Meulan, et quelques autres seigneurs normands, qui s'y trouvaient avec beaucoup de chevaliers, chargèrent Alain de Dinan de défendre la ville avec une courageuse garnison. Eux-mêmes sortirent pour aller chercher au dehors des secours aux assiégés; mais, dans la crainte qu'ils éprouvaient, ils attendirent de loin le résultat de l'affaire. Les Bretons et les autres soldats qui devaient défendre la place, ayant vu de loin une multitude d'ennemis, furent saisis d'épouvante, et n'osèrent ni s'avancer au devant d'eux, ni les combattre de près. Ils mirent le feu à la ville qui leur était confiée, la brûlèrent, et ainsi prévinrent les ennemis par leur perte, pour qu'il ne leur survînt pas de plus grands malheurs. Dès que les ennemis s'approchèrent et virent que la ville brûlait avec toutes ses richesses, ils éprouvèrent beaucoup de colère et de douleur, parce qu'ils furent entièrement privés de l'espoir du butin, et qu'ils s'affligèrent de perdre les dépouilles qui périssaient dans les flammes. C'est ainsi qu'en gémissant, ils reconnurent la fierté des Normands, et admirèrent la violence de leur implacable haine, en les voyant aimer mieux perdre dans le feu leurs richesses, que de les sauver en courbant la tête sous le joug de la domination étrangère. Toutefois les Angevins ne purent, à cause de la violence du feu, s'approcher de la place, ni lui livrer aucun assaut. C'est pourquoi, tournant bride aussitôt, ils retournèrent au Sap, et cherchèrent de tous leurs efforts à s'emparer de cette place. Il y avait, depuis des temps fort anciens, près de l'église de l'apôtre saint Pierre, un arbre fort élevé que l'on appelle un sapin42, dont le nom vulgaire accoutuma le peuple à appeler cette ville le Sap, nom qui jusqu'à ce jour lui est resté. Là les Angevins se rendirent inopinément à leur retour de Lisieux, et trouvèrent les habitans, qui étaient sortis hardiment au devant d'eux, et qui annonçaient des dispositions fîères et furieuses. Pendant qu'ils combattaient vigoureusement, le feu fut mis aux maisons par les gens du pays et par les étrangers. Cet événement anéantit totalement les forces des assiégés. Alors l'église Saint-Pierre et toute la ville furent brûlées, et beaucoup de ceux qui essayaient de résister ayant été blessés, la tour fut prise après avoir été réduire en ruines. Gaultier de Clairai et Raoul de Coldum, son beau-frère, l'occupaient, et résistèrent long-temps à l'ennemi avec trente chevaliers; mais, accablés par les forces disproportionnées de l'armée ennemie, ils succombèrent, et, excédés d'épuisement, ils furent pris dans la tour. Près de trois mille archers les incommodaient beaucoup par leurs flèches, tandis que beaucoup de frondeurs leur lançaient une grêle de pierres, dont le tourbillon les tourmentait cruellement. Les Angevins restèrent treize jours en Normandie, et, par leurs cruautés, méritèrent une haine éternelle, mais ils n'obtinrent pas la conquête du pays. Comme les Normands n'avaient point de prince, l'ennemi n'eut point à soutenir une guerre générale: toutefois, pendant qu'il se livrait çà et là au brigandage et à l'incendie, il fut battu par les paysans, et fort affaibli par la perte de ses soldats détruits en différens lieux par divers accidens. Enfin il prit la fuite, commit d'innombrables crimes au delà de tout ce qu'on peut dire, et à bon droit éprouva de semblables maux. Les Angevins n'eurent aucun respect pour les choses sacrées; ils foulèrent aux pieds méchamment le sanctuaire du Seigneur, et, comme des Païens, outragèrent les prêtres et les autres ministres de Dieu. Ils en dépouillèrent sans respect quelques-uns devant le saint autel; ils en tuèrent plusieurs qui sonnaient les cloches et invoquaient Dieu. Neuf curés accoururent auprès du comte et se plaignirent, les larmes aux yeux, de ce que l'on avait violé leurs églises et pillé les choses sacrées: en entendant le récit de ces méfaits, les gens honnêtes et craignant Dieu éprouvèrent une grande douleur. En conséquence les seigneurs, qui se trouvaient au Sap, firent défendre par un hérault à toute l'armée de commettre aucune profanation; mais, dans une si grande multitude, les téméraires brigands méprisèrent les ordres de leurs chefs. La soldatesque et les pillards sans frein se rassemblaient comme des loups pour s'entre-dévorer; vagabonds et indisciplinés, ils accouraient comme des milans de pays divers et lointains, ne desirant autre chose que piller, frapper ou soumettre tout ce qu'ils rencontraient. Les chefs qui devaient conduire loyalement dans cette expédition leurs corps séparés, ignoraient, si je ne me trompe, la rigueur de la discipline romaine pendant la guerre, et ne mettaient pas, comme les héros, beaucoup de modération dans les hostilités: presque tous se souillaient de honteux forfaits, sans égard pour la vertu, et, se précipitant par toutes sortes de crimes vers une double perte, celle du corps et celle de l'ame, se rendaient abominables aux yeux de Dieu et des hommes. Les Angevins égorgèrent beaucoup de troupeaux de divers bétail; ils en mangèrent, sans sel et sans pain, les chairs crues ou à demi cuites; ils essayèrent d'en emporter dans leur pays le cuir sur plusieurs chariots. Quoique la saison d'automne fournisse des alimens en abondance, et que, sous un bon prince, après une longue paix, le pays donnât aux habitans des productions considérables, et procurât à foison toutes sortes de fruits et de viandes, toutefois le service des cuisiniers et des boulangers ne pouvait suffire à tant de monde, et, dans le désordre des guerres, le ministère de plusieurs personnes ne suffisait pas à ceux qui manquaient des choses nécessaires a l'humanité. Aussi les Guiribecs, après avoir profané les choses sacrées, ayant usé sans modération d'alimens sans apprêt, furent presque tous, par un équitable jugement de Dieu, malades du dévoiement, et, souffrant beaucoup d'une diarrhée continue, laissèrent en chemin de hideuses traces, et purent à peine regagner leurs foyers. Enfin, le jour des calendes d'octobre (I octobre), pendant qu'il attaquait la forteresse du Sap, dont la garnison résistait vigoureusement, le comte Geoffroi fut blessé grièvement au pied droit; il éprouva un peu quelle était l'animosité des Normands, et par la gravité de sa blessure et par le désastre des siens. Le même jour, sa femme vint le trouver vers le soir, et lui amena inutilement plusieurs milliers de combattans. En effet, au point du jour, pendant que tout le pays d'alentour éprouvait beaucoup d'effroi, les Angevins se retirèrent tout-à-coup, et, redoutant vivement ceux dont ils étaient eux-mêmes redoutés, ils s'enfuirent à toutes jambes, et ravagèrent toute la contrée tant de leurs alliés que de leurs ennemis. Les Normands tardèrent long-temps à connaître cette déroute: aussi furent-ils profondement affligés de n'avoir pu poursuivre leurs ennemis en les chassant de leur pays. Enguerrand de Court-Omer43, avec Robert de Médavi, et un petit nombre d'autres chevaliers, occupèrent les passages du Dou44; ils y arrêtèrent beaucoup d'hommes et de chevaux, ainsi que des chariots chargés de pain, de vin, et de beaucoup d'effets; et forcèrent les Angevins effrayés de se jeter dans la rivière sans prendre les gués, et de périr au fond des eaux. Le comte qui, menaçant et porté sur un cheval écumant d'orgueil, était entré en Normandie, la parcourut maintenant pâle, gémissant, étendu dans une litière45, et dans sa retraite il éprouva encore plus d'accidens graves de la part des siens que de la part de l'ennemi. En effet, dans le bois que l'on appelle Malèfre46, le chambellan de Geoffroi fut assassiné, et ses malles furent enlevées avec ses habits de comte et des vases précieux. Sur ces entrefaites, pendant que les Angevins ravageaient, comme nous l'avons dit, le territoire de Lisieux, et, furieux comme des Païens, commettaient sans crainte de Dieu d'exécrables attentats, Roger de Conches dévastait dans l'évêché d'Evreux le pays du voisinage, et le livrait partout au meurtre et aux flammes dévorantes. Il avait avec lui Guillaume de Pacy, fils d'Eustache, Roger-le-Bègue, ainsi que Ferric, comte d'Etampes; et il occupait le comte Galeran et tous les chevaliers du pays d'Ouche, pour les empêcher de marcher en armes à la rencontre des Angevins. Roger attaqua vivement, mais ne put prendre le château que le comte de Meulan avait bâti pour la défense du pays, à la croix Saint-Leuffroy. Roger, avec ses compagnons d'armes, viola l'abbaye que Saint Ouen avait depuis long-temps bâtie, qu'il avait dédiée en l'honneur de la sainte croix qu'il avait vue dans le ciel, et dont il avait confié la direction au bienheureux Leuffroi. Cet attentat ne resta pas longtemps impuni: Roger brûla le bourg des moines, attaqua l'église, enleva les religieux qui s'y étaient cachés, après avoir fui de leurs cellules; mais, par une vengeance de Dieu, juge très-équitable, il perdit peu de temps après tout ce qu'il avait dérobé. En effet, le lendemain de la fuite des Angevins, c'est-à-dire, le troisième jour d'octobre, Roger inopinément se livra à toute sa fureur: il dévasta une fertile contrée aux environs du Vaudreuil. Il commit sans égard des meurtres, des brigandages et des incendies, et, de concert avec ses complices, il rendit beaucoup de gens malheureux, en les dépouillant de tout ce qu'ils avaient. Il brûla l'église de Saint-Etienne, et pour ce crime il reçut le même jour la peine du talion. En effet, le samedi vers vêpres, comme il revenait, emmenant fastueusement avec lui un grand butin et beaucoup de prisonniers, le comte Galeran et Henri de La Pommeraie, avec cinq cents chevaliers, sortirent de la forêt voisine, et se montrèrent, disposés à combattre, en tète de l'armée ennemie. Roger, qui était entreprenant et brave, n'avait avec lui qu'un petit nombre d'hommes; car il avait envoyé devant, à Acquigny, Guillaume de Pacy, ainsi que Roger-le-Bègue, avec leurs troupes, le butin et les prisonniers. Ce fut vainement qu'il soutint courageusement la charge de ses ennemis: accablé et vaincu par leur multitude, il succomba, et gémit d'être fait prisonnier, ainsi que le comte Ferric et Robert de Bellême que l'on surnommait Poard. Cet accident causa une grande joie à ses ennemis, et rendit la sécurité aux paysans du voisinage. Pendant que Ferric d'Etampes gémissait en prison, sa femme, dont la noblesse le faisait appeler comte, se rendit à Paris auprès du roi Louis. A son retour, comme elle était grosse, elle se blessa à cheval, et peu après mourut dans le travail de l'accouchement.
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XII. Piae meditationes. Mors variorum dominorum et praelatorum. Siccitas. Vicissitudines praesentis vitae quam mutabiles sunt, saecularia gaudia cito transeunt, eosque, a quibus summopere affectantur, in puncto deserunt. Mundanus honor instar bullae subito crepat ac deficit, sibique inhiantibus insultat atque decipit. Amatores mundi corruptibilia sequuntur, sic per abrupta vitiorum gradientes corrumpuntur, subitoque sedentes in ima labuntur. Et dum sublimes fastus laboriose vix adipiscuntur, inde nec quidquam tumentes in momento praecipitantur, et concinnae solummodo narrationes inter residuos, qui vitalibus auris perfruuntur, ab eloquentibus de illis passim sparguntur. Omnipotens itaque Creator terrigenas instruit, et pluribus modis salubriter erudit, ne in hoc fragilis saeculi pelago anchoram suae spei figant, neque transitoriis delectationibus sive lucris lethaliter inhaereant. Non habemus hic manentem civitatem, ut dicit Apostolus, sed futuram inquirimus (Hebr. XIII, 14) . Ecce in hoc anno bissextili, post mortem Henrici regis multae mutationes in orbe factae sunt, et personae plures clericalis et laicalis ordinis cum mediocribus et infimis lapsae sunt. Tunc Girardus, Engolismensis episcopus, vir eruditissimus, migravit, qui magni nominis et potestatis in Romano senatu, tempore Paschalis papae et Gelasii, Calixti et Honorii fuit. Guido autem de Stampis, Cenomanorum praesul, hominem exivit, cui Paganus archidiaconus de Sancto Karilefo successit. Porro, pro Gisleberto cognomento universali Lundoniensi episcopo, quo nuper defunctus est, Anselmus Anselmi archiepiscopi nepos, abbas Sancti Edmundi regis subrogatus est. Guillelmus vero Cantuariensis archiepiscopus defunctus est, atque Henricus frater Stephani regis ad regendam metropolim electus est. Sed quia episcopus secundum decreta canonum de propria sede ad aliam ecclesiam nisi auctoritate Romani pontificis promoveri nequit, praefatus praesul Guentoniensis in Adventu Domini mare transfretavit, et legatis Picenum ad Innocentium papam missis, in Neustria ipse hiemavit. Nefaria perfidorum scelera in anno bissextili facta, aerumnis lacrymisque plena a plangentibus edidicit, tristes querelas de miseris eventibus Normanniae lugubris audivit, et certa suis aspectibus indicia intueri potuit: aedes videlicet concrematas, ecclesias discoopertas et desolatas, villas depopulatas, propriisque colonis viduatas, et plebes in gremio matris admodum contristatas, utpote omnibus necessariis insolenter privatas, et tam a suis quam ab externis absque metu tutoris spoliatas, nec adhuc idonei rectoris praesentia sine suffragiis exhilaratas. Pluribus itaque modis aerumnarum Normanniae gravior adhuc percussio imminet. In episcopatu Sagiensi anathema totam terram Guillelmi Talavacii perculit, et dulcis cantilena divini cultus, quae fidelium corda mitigat ac laetificat, conticuit. Introitus ecclesiarum ad Dei servitium laicis prohibiti sunt, et valvae obseratae sunt. Aera signorum conticuerunt, corpora mortuorum inhumata computruerunt, et metum et horrorem intuentibus incusserunt. Gaudium nuptiarum illud affectantibus denegatum est, et ecclesiasticarum laetitia solemnitatum humiliata est. In Ebroicensi quoque dioecesi parilis disciplina infremuit et per totam terram Rogerii Toenitii discolas compescere terrendo sategit. Ipse nimirum vinctus in carcere coarctatur, suae voluntatis impos flet atque lamentatur, et ab Ecclesia etiam pro sacrorum violatione, quam ipse sui compos ex insolentia fecerat, maledicitur, et tota terra ejus terribili anathemate plectitur. Sic contumaces et nimium rebelles duplici affectione proteruntur, sed dura caeterorum haec intuentium corda, proh dolor! non corriguntur, nec ad emendationem a perversa intentione reflectuntur. Anno ab Incarnatione Domini 1137, indictione XV, ingens in toto orbe siccitas fuit, quantam nemo nostris temporibus vidit. In plerisque locis fontes aruerunt, lacus et cisternae exsiccatae sunt, et quidam fluvii fluere desierunt. Homines et jumenta sitis anxietate laboraverunt, et in quibusdam regionibus aquam usque ad septem leucas quaesierunt; et nonnulli eorum qui sibi suisque lympham humeris deferebant, nimii caumatis angustia defecerunt. |
Que les vicissitudes de la vie présente sont rapides! que les joies du monde passent vite, et comme elles abandonnent en un clin d'œil ceux qui les recherchent le plus ardemment! Les honneurs du siècle, semblables aux bulles de l'eau, crèvent et s'évanouissent en un instant, objets d'insulte et de déception pour ceux qui les recherchent. Comme les amateurs du monde s'attachent à des choses corruptibles, ils se corrompent en marchant dans les voies du vice, et bientôt souillés ils se perdent dans ses abîmes. Pendant qu'avec les plus grandes difficultées ils parviennent à peine aux honneurs, enflés d'un vain orgueil, ils en sont aussitôt précipités, et il ne reste plus de ce qu'ils furent que d'élégans discours prononcés çà et là, par quelques bouches éloquentes, au milieu de ceux qui leur survivent. C'est pourquoi le tout-puissant Créateur forme l'homme, et de diverses manières l'instruit salutairement à ne pas jeter l'ancre de son espérance dans la mer des fragilités du siècle, et à ne pas s'attacher mortellement à l'argent et aux voluptés passagères. Nous n'avons pas ici, comme dit l'apôtre, une cité stable, mais nous cherchons à l'obtenir. Voilà que, dans cette année bissextile, il s'opéra après la mort du roi Henri beaucoup de changemens dans l'univers: il tomba beaucoup de personnes de l'ordre du clergé comme des laïques, avec des gens de moyen état et des dernières classes. Alors mourut Girard, évêque d'Angoulême, homme très-savant, qui eut beaucoup de réputation et d'influence à la cour de Rome, du temps du pape Pascal, de Gélase, de Calixte et d'Honorius. Gui d'Etampes, évêque du Mais, quitta la vie, et eut pour successeur Païen, archidiacre de Saint-Calais. Anselme, neveu de l'archevêque Anselme, et abbé de Saint-Edmond, succéda à Gislebert surnommé l'Universel, évêque de Londres, qui était mort depuis peu. Guillaume, archevêque de Cantorbéry, mourut, et l'on élut Henri, frère du roi Etienne, pour gouverner cette métropole; mais comme un évêque ne peut, selon les décrets des canons, être transféré d'un siége à un autre sans l'autorité du pontife romain, Henri, évêque de Winchester, traversa la mer à l'époque de l'Avent, et, ayant envoyé des députés vers le pape Innocent à Pise, il passa l'hiver en Normandie. Il y apprit de la bouche des victimes les crimes affreux commis par les méchans pendant l'année bissextile, et les chagrins ainsi que les pleurs qui en étaient résultés; il entendit de tristes plaintes sur les malheureux événemens dont la Normandie s'affligeait, et il en put voir de ses propres yeux d'incontestables preuves: les maisons brûlées, les églises découvertes et désolées, les villages ravagés et privés de leurs cultivateurs, les peuples contristés sur le sein de leur mère, dénués des choses les plus nécessaires, dépouillés de tout protecteur, tant par leurs compatriotes que par les étrangers, et n'ayant pas encore recouvré la sécurité, par la présence ou l'assistance d'un chef habile. Toutefois de plus graves atteintes menaçaient encore la Normandie de divers genres de malheurs. Dans l'évêché de Séès, l'anathême pontifical frappa toutes les terres de Guillaume-Talvas, et soudain cessèrent les doux chants du culte divin, qui calment et réjouissent les cœurs des fidèles; l'entrée des églises fut interdite aux laïques et les portes en furent fermées. L'airain des cloches garda le silence; les cadavres des morts pourrirent sans inhumation, et frappèrent les regards d'épouvante et d'horreur; les plaisirs des noces furent refusés à ceux qui les cherchaient, et l'allégresse des solennités ecclésiastiques disparut dans l'humiliation. On exerça de pareilles rigueurs dans le diocèse d'Evreux, et on essaya de contenir par la terreur les désordres qui se commettaient dans toutes les terres de Roger de Toëni. Ce comte cependant est enchaîné dans une étroite prison; il pleure et gémit de ne pouvoir exécuter sa volonté; il est maudit par l'Église à cause des profanations que, dans son insolence, il a commises sciemment, et toutes ses terres sont frappées des terreurs de l'anathême. Ainsi les insolens et les rebelles à la Divinité sont écrasés par une double affliction; mais, hélas! les cœurs endurcis des autres témoins de ce spectacle ne changent nullement, et ne passent pas de la perversité à l'amendement. L'an de l'incarnation du Seigneur 1137, on éprouva sur toute la terre une grande sécheresse, telle que personne n'en avait vu de notre temps. Presque partout les fontaines se tarirent, les lacs et les citernes se desséchèrent, et quelques rivières même cessèrent de couler. Les hommes et les animaux souffrirent cruellement de la soif; dans certaines contrées, on alla chercher l'eau jusqu'à sept lieues, et quelques personnes, qui la portaient pour elles-mêmes ou pour les leurs sur leurs épaules, périrent suffoquées par l'excès de la chaleur.
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(1) Geoffroi II. (2) C'est une erreur: elle était fille de Hilduin, comte de Rouci. (3) De l'an 1100, et non pas 1090, ni 1110, comme l'ont dit quelques historiens. (4) Nogent-le-Rotrou. (5) Rotrou III, mal à propos désigné sous le nom de Rotrou II, devenu comte du Perche en 1113. (6) Alphonse I, roi d'Aragon. (7) Robert I. (8) Robert II. (9) Saint-Calais-du-Désert, département de la Sarthe. (10) Culei-le-Patri, arrondissement de Falaise. (11) Cœsar Augusta in campo dolenti. (12) Le manuscrit de Saint-Evroul offre ici une page et demie restée blanche, parce que l'auteur se r2servait sans doute d'écrire la suite de ces événemens quand il en aurait recueilli les détails. (13) Vice-domina. (14) Arrondissement de Mortagne. (15) A Palerme le jour de Noël 113o. (16) Planches-sur-Rîle, arrondissement d'Argentan. (17) Ce bourg est de l'arrondissement d'Argentan; on écrit aujourd'hui Méslerault. (18) Arrondissement d'Alençon. (19) Aujourd'hui Nogent-le-Rotrou. (20) Beaumont-le-Vicomte, département de la Sarthe. (21) Guillaume III. (22) Piretum. (23) Sigilium, probablement Sigi, arrondissement de Neuf-Châtel. (24) Arrondissement de Bayeux. (25) Bonneville-sur-Touque, arrondissement de Pont-l'Évèque. (26) Les deux alinéas précédens sont en vers hexamètres. (27) Arrondissement de Louviers. (28) Vallis Rodolii, arrondissement de Louviers. (29) Arrondissement de Louviers. (30) Indomiti garciones. (31) Boatus. Il est appelé plus haut Boetus. (32) Clara: d'abord Clare, puis Clairai, arrondissement d'Alençon. (33) Probablement Ferrières la-Verrerie, arrondissement d'Alençon. (34) Bongi-sur-Rîle, arrondissement de Bernai. (35) Peut-être Ferrières-Saint-Hilaire, arrondissement do Bernai; ou plutôt La Ferrière-sur-Rîle, arrondissement d'Évreux. (36) Arrondissement d'Andelys. (37) Hilli-Becci, qu'Orderic Vital appelle ensuite Guiri-Becci. (38) Bourg de l'arrondissement d'Alençon. (39) Saint-Georges-d'Annebecq, arrondissement d'Argentan, de même que le bourg d'Ecouché. (40) Montreuil-au-Houlme, arrondissement d'Argentan. (41) Monasterium Huberti, arrondissement de Lisieux. (42) Abies. Le peuple du pays dit encore un sap pour un sapin. (43) De Corte-Odomari. (44) Oldo, petite rivière qui se jette dans l'Orne. (45) Bajanula, et non pas Badivola, comme on l'a imprimé. (46) Malafia, aux portes d'Alençon. |