HISTOIRE DE NORMANDIE
TROISIEME PARTIE : LIVRE VIII (PARTIE I)
livre VII partie II - LIVRE VIII : PARTIE II
Œuvre mise en page par Patrick Hoffman
Texte latin de Migne.
LIBER OCTAVUS. I. Robertus dux in Normannia et Guillelmus Rufus in Anglia patri suo succedunt.--Plurimae discordiae, post mortem Guillelmi regis oriuntur. Anno ab Incarnatione Domini 1082, indictione X, Guillelmus Nothus, rex Anglorum, V Idus Septembris, Rothomagi defunctus est; et corpus ejus in ecclesia Sancti Stephani protomartyris Cadomi sepultum est. Rodbertus autem, filius ejus, Normannorum dux et Cenomannorum princeps nomine tenus multis annis factus est; sed torpori et ignaviae subjectus, nunquam, ut decuit, in virtute et justitia principatus est. Guillelmus Rufus epistolam patris sui Lanfranco archiepiscopo detulit. Qua perlecta, idem praesul cum eodem juvene Lundoniam properavit; ipsumque ad festivitatem Sancti Michaelis in veteri basilica Sancti Petri apostoli, quae West-Monasterium dicitur, regem consecravit. Hic XII annis et X mensibus (8) regnavit, patremque suum in quibusdam secundum saeculum imitari studuit. Nam militari probitate, et saeculari dapsilitate viguit, et superbiae libidinique, aliisque vitiis nimium subjacuit. Sed erga Deum et Ecclesiae frequentationem, cultumque frigidus exstitit. Hic auri et argenti, gemmarumque copiam Othoni aurifabro erogavit, et super patris sui mausoleum fieri mirificum memoriale praecepit. Ille vero regiis jussis parens, insigne opus condidit, quod ex auro et argento et gemmis usque hodie competenter splendescit. Egregii versificatores de tali viro, unde tam copiosum thema versificandi repererunt, multa concinna et praeclara poemata protulerunt. Sed solius Thomae archiepiscopi Eboracensis versus hujusmodi, pro dignitate metropolitana, ex auro inserti sunt.
Qui rexit rigidos Normannos, atque Britannos
Tunc in Normannia facta est nimia rerum mutatio, gelidusque timor inermi inhaesit populo, et potentibus impune flagrans ambitio. Rodbertus de Bellisma festinabat ad curiam regis, loqui cum illo de rebus necessariis. Perveniens ad introitum Brionnae, audivit regem mortuum esse. Qui mox, cornipede regyrato, Allencionem venit, et improvisos regis satellites statim de praetorio ejecit. Hoc quoque fecit Bellismae, et omnibus aliis castellis suis, et non solum suis, sed et in vicinorum suorum, quos sibi pares dedignabatur habere, municipiis, quae aut intromissis clientibus suis sibi subjugavit, aut penitus, ne sibi aliquando resistere possent, destruxit. Guillelmus etiam, comes Ebroicensis, de Dangione regios expulit excubitores; et Guillelmus de Britolio, ac Radulfus de Conchis, aliique omnes in sua ditione redegerunt munitiones; ut unusquisque libere posset contra vicinum suum et collimitaneum exercere inimicitias damnabiles. Sic proceres Neustriae de munitionibus suis omnes regis custodes expulerunt, patriamque divitiis opulentam propriis viribus vicissim exspoliaverunt. Opes itaque, quas Anglis aliisque gentibus violenter rapuerant, merito latrociniis et rapinis perdiderunt. Omnes ducem Rodbertum mollem esse desidemque cognoscebant, et idcirco facinorosi eum despiciebant, et pro libitu suo dolosas factiones agitabant. Erat quippe idem dux audax et validus, multaque laude dignus, eloquio facundus, sed in regimine sui suorumque inconsideratus, in erogando prodigus, in promittendo diffusus, ad mentiendum levis et incautus, misericors supplicibus, ad justitiam super iniquo faciendam mollis et mansuetus, in definitione mutabilis, in conservatione omnibus nimis blandus et tractabilis, ideoque perversis et insipientibus despicabilis; corpore autem brevis et grossus, ideoque Brevis-Ocrea (10) patre est cognominatus. Ipse cunctis placere studebat, cunctisque quod petebant aut dabat, aut promittebat, vel concedebat. Prodigus, dominium patrum suorum quotidie imminuebat, insipienter tribuens unicuique quod petebat, et ipse pauperescebat, unde alios contra se roborabat. Guillelmo de Britolio dedit Ibericum, ubi arx, quam Albereda proavia ejus fecit, fortissima est. Et Rogerio de Bellomonte, qui solebat Ibericum jussu Guillelmi regis custodire, concessit Brioniam; quod oppidum munitissimum et in corde terrae situm est. |
LIVRE HUITIEME.
L'an de l'Incarnation du Seigneur 1087, Guillaume-le-Bâtard, roi des Anglais, mourut à Rouen, le 9 septembre, et son corps fut enseveli à Caen dans l'église de Saint-Etienne, premier martyr. Son fils Robert devint, du moins de nom, pendant plusieurs années, duc des Normands et prince des Manceaux; mais, enclin à l'engourdissement et à la paresse, il ne gouverna jamais, comme il convient, dans la vertu et la justice. Guillaume-le-Roux porta à l'archevêque Lanfranc la lettre de son père. Aussitôt qu'il en eut pris lecture, le prélat avec le jeune prince se rendit à Londres, et le consacra roi le jour de la fête de saint Michel, dans la vieille église dédiée à saint Pierre apôtre, et que l'on appelle Westminster. Il régna douze ans et dix mois, et s'appliqua à imiter son père en diverses choses selon le siècle; car il se distingua par ses prouesses guerrières, par sa magnificence mondaine, et se laissa vaincre beaucoup trop par l'orgueil, la volupté et d'autres vices, tandis qu'il restait froid envers Dieu, et négligeait la fréquentation des églises et le culte. Il remit à l'orfèvre Othon une grande quantité d'or, d'argent et de pierres précieuses, et lui ordonna de faire sur le tombeau de son père un monument digne d'admiration. Fidèle aux ordres du roi, l'artiste fit un ouvrage remarquable, qui jusqu'à ce jour a dignement brillé de l'éclat de l'or, de l'argent et des pierreries. D'habiles poètes ont mis au jour beaucoup de poèmes élégans et pompeux sur le grand homme qui a fourni un si ample thême à leurs compositions; mais on ne fit graver en or que ces vers de Thomas, archevêque d'York, à cause de sa dignité de métropolitain:
Qui rexit rigidos Normannns, atque Britannos
Et Cenomannenses virtute coercuit enses,
Rex magnus parva jacet hic Guillelmus in urna:
Ter septem gradibus se volverat atque duobus, «Guillaume qui gouverna les Normands indociles, vainquit vaillamment les Bretons, régna avec fermeté, fit par sa valeur rentrer dans le fourreau le glaive des Manceaux, et les soumit aux lois de son empire, ce grand monarque repose ici dans une bien petite urne; et cet étroit asile suffit à ce grand «eigneur. Déjà le soleil avait durant vingt-trois jours parcouru le sein de la Vierge, quand ce prince descendit au tombeau.» Pendant la même année, beaucoup de nobles Normands accompagnèrent leur roi dans la nuit du trépas. En effet, pendant qu'il était encore malade, son parent Guilbert d'Aufoi, fils de Richard de Heugleville, homme bon et simple, mourut le 14 août, et fut enseveli dans l'église de Sainte-Marie, où il avait établi six moines du monastère d'Ouche. Sa femme Béatrix, douée de beaucoup de religion, fut enterrée dans le même lieu quatre ans après, le 4 janvier. A la mort de leur duc, les Normands répandirent beaucoup de larmes, sinon pour lui, du moins pour leurs amis et leurs parens qui moururent alors. Simon de Montfort, gendre de Richard, comte d'Evreux, et Guillaume Painel1, Hugues, jeune homme très-brave, fils de Hugues de Grandménil, et son cousin Robert de Rhuddlan2, Guillaume d'Avranches, fils de Guitmond, et d'autres hommes illustres terminèrent leur carrière. Heureux ceux qui moururent à propos, et ne virent point les calamités de leur pays désolé et privé de défenseur! Alors il s'opéra en Normandie une grande révolution; le peuple désarmé fut glacé d'effroi, et les grands se livrèrent impunément à leur ambition dévorante. Robert de Bellême se rendait à la cour du roi pour avoir avec lui un entretien sur des affaires importantes. Parvenu à l'entrée de Brionne, il apprit la mort du roi. Aussitôt tournant bride il regagna Alençon, et chassa sans retard du château les troupes royales qui n'étaient pas sur leurs gardes. Il en fit autant à Bellême et dans tous ses autres châteaux, et non seulement dans ses places, mais encore dans celles de ses voisins, qu'il dédaignait de considérer comme ses égaux: il se les soumit en y introduisant ses partisans ou en les détruisant entièrement, pour qu'elles ne pussent plus lui résister. Guillaume, comte d'Evreux, chassa de Dangu3 la garnison royale; Guillaume de Breteuil, Raoul de Conches, et tous les autres élevèrent des forteresses dans leurs terres, afin que chacun d'eux pût librement faire sentir les effets de sa haine pernicieuse à ses voisins et aux seigneurs limitrophes. C'est ainsi que les grands de la Normandie expulsèrent de leurs places fortes toutes les garnisons que le roi y avait placées, et dépouillèrent à l'envi, et de leurs propres mains, leur patrie si puissante et si riche. En conséquence ils perdirent à bon droit, par le vol et le brigandage, toutes les richesses qu'ils avaient ravies violemment aux Anglais et aux autres nations. Tout le monde savait que le duc Robert était plongé dans la mollesse et l'oisiveté. C'est ce qui le faisait mépriser par les hommes capables d'attentats, qui excitaient à leur gré de perfides séditions. Toutefois ce duc était hardi et vaillant, il n'était pas indigne d'éloges; il avait de l'éloquence, mais il était inconsidéré dans sa conduite et dans le gouvernement des siens. Prodigue quand il donnait, exagéré dans ses promesses, léger et mal avisé dans le mensonge, miséricordieux pour ceux qui le suppliaient, faible et doux quand il fallait faire justice du crime, prompt à changer de résolution, trop affable et complaisant dans ses rapports avec tout le monde, et à caisse de ces défauts peu considéré des méchans et des insensés. Il était replet et de petite taille: c'est pour cela que son père l'avait surnommé Courte-Botte. Il cherchait à plaire à tout le monde, et il donnait, promettait ou accordait tout ce qu'on lui demandait. Chaque jour par ses prodigalités il diminuait le domaine de ses pères, faisant aux premières demandes des dons sans mesure; et il s'appauvrissait d'autant plus qu'il fortifiait davantage les autres contre lui. Il donna à Guillaume de Breteuil, Ivri, qui possède un château très-fort, que sa bisaïeule Alberède avait fait bâtir; il fit don à Roger de Beaumont, qui avait coutume de garder Ivri par l'ordre du roi Guillaume, de Brionne, qui est une place très-fortifiée, et située dans le cœur du duché. |
II. Odo Bajocensis episcopus e custodia emittitur.--Henricus, dato pretio, a Roberto duce fratre suo partem Normanniae accipit. Odo, Bajocensis episcopus, postquam de carcere liber egressus est, totum in Normannia pristinum honorem adeptus est, et consiliarius ducis, videlicet nepotis sui, factus est. Erat enim eloquens et magnanimus, dapsilis et secundum saeculum valde strenuus. Religiosos homines diligenter honorabat, elerum suum acriter ense et verbo defendebat, ecclesiamque pretiosis ornamentis copiose per omnia decorabat. Hoc attestantur aedificia quae construxit, et insignia ex auro et argento vasa et indumenta, quibus basilicam vel clerum ornavit. In adolescentia, pro germanitate ducis, datus est ei Bajocensis praesulatus, in quo plus quam quinquaginta annis pollens, diversa est operatus. In quibusdam spiritus ei laudabiliter dominabatur, in nonnullis vero spiritui caro miserabiliter principabatur. Carnali ergo ardore stimulatus, genuit filium nomine Joannem, quem nunc in curia Henrici regis videmus, eloquentia magnaque probitate pollentem. Sed, quamvis in quibusdam praefatum Odonem saecularis detinuisset levitas, multum tamen exterius ipse res emendavit ecclesiasticas. Ecclesiam Sanctae Dei genitricis Mariae a fundamentis coepit, eleganter consummavit, multisque gazis et ornamentis affatim ditavit. Ad ecclesiam Sancti Vigoris, episcopi Bajocensis, quae sita est juxta murum urbis, monachos posuit, eisque religiosum et sapientem Rodbertum de Tumbalenia patrem praeposuit, qui, inter reliqua peritiae suae monumenta brevem et luculentam, sensuque profundam super Cantica canticorum expositionem dimisit in ecclesia. Verum, postquam praefatus pontifex, ut praedictum est, clausus fuit in carcere, praedictus abbas, relictis omnibus, perrexit peregre, veniensque Romam, a Gregorio VII papa detentus honorifice, usque ad mortem Romanae fideliter servivit Ecclesiae. Fundatore itaque episcopo vinculis mancipato, et abbate in Latias partes abeunte, novitius grex monachorum dispersus est, et quaesitis prout quisque potuit sedibus, ad idem coenobium nunquam reversus est. Denique praesul Odo Grentoni, Divionensium abbati, dedit praedictum monasterium, ibique usque hodie cella floret Divionensium. Sic evidenter patet quod antistes Odo monasticum ordinem valde dilexisset. Dociles quoque clericos Leodicum mittebat, et alias urbes, ubi philosophorum studia potissimum florere noverat, eisque copiosos sumptus, ut indesinenter et diutius philosophiae fontis possent insistere, largiter administrabat. De discipulis quos ita nutriebat, fuerunt Thomas archiepiscopus Eboracensis, atque Samson frater ejus episcopus Wigornensis, Guillelmusque de Ros abbas Fiscannensis, et Turstinus Glastoniensis, multique alii, qui nostris temporibus in Ecclesia Dei floruerunt, et subjectis ovibus pabulo doctrinae, radiisque virtutum solerter profuerunt. Sic Odo pontifex, licet saecularibus curis admodum esset irretitus, multa tamen laudabilia permiscebat illicitis actibus, et quae facinorose aggregarat, largitus est ecclesiis et pauperibus. Tandem nutu Dei omnipotentis, Dominicae Incarnationis anno 1096, indictione IV, omnia reliquit, et iter Hierosolymitanum cum Rodberto duce nepote suo, ut in sequentibus, volente Deo, plenius dicemus, arripuit, et, praesente Gisleberto Ebroicensium episcopo, in urbe Panormitana obiit. Corpus vero ejus in basilica Sanctae Mariae sepultum est, super quod insigne opus a Rogerio comite Siciliae factum est. Rodbertus, Normanniae dux, opes, quas habebat, militibus ubertim distribuit, et tironum multitudinem pro spe et cupidine munerum sibi connexuit. Deficiente aerario, Henricum fratrem suum, ut de thesauro suo sibi daret, requisivit. Quod ille omnino facere noluit. Dux autem mandavit ei quod, si vellet, de terra sua venderet illi. Henricus, ut audivit quod concupivit, mandato fratris libenter acquievit. Pactio itaque inter fratres firma facta est. Henricus duci tria millia librarum argenti erogavit et ab eo totum Constantinum pagum, quae tertia Normanniae pars est, recepit. Sic Henricus Abrincas et Constantiam, Montemque Sancti Michaelis in Periculo Maris, totumque fundum Hugonis Cestrensis consulis, quod in Neustria possidebat, primitus obtinuit. Constantiensem itaque provinciam bene gubernavit, suamque juventutem laudabiliter exercuit. Hic in infantia studiis litterarum a parentibus traditus est, et tam naturali quam doctrinali scientia nobiliter imbutus est. Hunc Lanfrancus, Dorobernensis episcopus, dum juvenile robur attingere vidit, ad arma pro defensione regni sustulit, eumque lorica induit, et galeam capiti ejus imposuit; eique, ut regis filio et in regali stemmate nato, militiae cingulum in nomine Domini cinxit. Hic XII annis, quibus super Anglos Guillelmus Rufus regnavit, laboriosam per varios mobilis fortunae rotatus vitam transegit, et tristibus seu laetis exercitatus, multa edidicit. Denique, defuncto fratre suo, regni culmen conscendit, quod jam fere XXXIII annis tenuit. Mores ejus et actus suis in locis, donante Deo, si vita comes, enodabo. Nunc vero ad narrationis ordinem redire decerno, et quae nostris temporibus acta sunt, posteris intimabo. In primo anno principatus duorum fratrum, optimates utriusque regni conveniunt, et de duobus regnis nunc divisis, quae manus una pridem tenuerat, tractare satagunt. « Labor, inquiunt, nobis ingens subito crevit, et maxima diminutio potentiae nostrae opumque nobis incubuit. Hactenus enim Normannia sub ducibus magnis honorifice positi sumus, paterna haereditate, quam parentes nostri, qui de Dacia cum Rollone ante ducentos et duodenos annos venere, nacti sunt cum magna strenuitate. Deinde nos cum Guillelmo duce pontum transfretavimus, et Saxones Anglos viribus armisque nostris prostravimus, et fundos eorum cum omnibus divitiis, non sine magno cruoris nostri discrimine, obtinuimus. Proh dolor! en violenta nobis orta est mutatio, et nostrae sublimitatis repentina dejectio. Quid faciemus? Ecce defuncto seniore nostro, duo juvenes succedunt, jamque dominatum Angliae et Normanniae subito segregarunt. Quomodo duobus dominis tam diversis, et tam longe ab invicem remotis competenter servire poterimus? Si Rodberto, duci Normannorum, digne servierimus, Guillelmum, fratrem ejus, offendemus. Unde ab ipso spoliabimur in Anglia magnis redditibus et praecipuis honoribus. Rursus, si regi Guillelmo congrue paruerimus, Rodbertus dux in Normannia privabit nos paternis haereditatibus. Summopere cavendum est ne tale divortium contingat nobis sub principibus his, quale sub Roboam et Hieroboam contigit Israelitis. Unus populus per duos principes in sese divisus est, et lege, templo, caeremoniisque Dei pessundatis, in apostasiam lapsus est. Sic Hebraei per detestabile dissidium in sua viscera nequiter armati sunt, et servientes Baalim multa suorum millia trucidarunt. Ad postremum vero pars eorum, qui nunquam postea redierunt, sub Assyriis in Mediam captivata est; et alia pars sub Chaldaeis Babylonicam captivitatem passa est. Et Thebaeis quid contigit sub duobus fratribus Eteocle et Polinice? Nonne multa millia utriusque partis corruerunt? Ad ultimum vero ipsi fratres mutuis vulneribus conciderunt, et extraneis successoribus haereditarium jus dimiserunt? Haec et multa hujusmodi solerter intueri debemus, et prudenter praecavere ne per consilium juvenile pereamus; inviolabile foedus firmiter ineamus, et Guillelmo rege dejecto vel interfecto, qui junior est, et protervus, et cui nihil debemus, Rodbertum ducem, qui major natu est, et tractabilior moribus, et cui jamdudum, vivente patre amborum, fidelitatem juravimus, principem Angliae ac Neustriae, ad servandam unitatem utriusque regni, constituamus. » Hoc itaque consilium Odo praesul Bajocensis, et Eustachius comes Boloniensis, atque Rodbertus Belesmensis, aliique plures communiter decreverunt, decretumque suum Rodberto duci detexerunt. Ille vero, utpote levis et inconsideratus, valde gavisus est promissis inutilibus, seseque spopondit eis, si inchoarent, adfuturum in omnibus, et collaturum mox efficax auxilium ad perpetrandum tam clarum facinus. Igitur, post Natale Domini praedicti proceres in Angliam transfretaverunt, et castella sua plurimo apparatu munierunt, multamque partem patriae contra regem infra breve tempus commoverunt. |
Odon, évêque de Baveux, étant sorti libre de sa prison, recouvra en Normandie tous ses anciens biens, et devint conseiller du duc son neveu. Ce prélat était éloquent et magnanime, libéral et très-brave, selon le siècle. Il honorait beaucoup les religieux, et défendait vivement son clergé par ses discours et l'épée à la main. Il décorait amplement de précieux ornemens l'église en tout ce qu'elle avait besoin. C'est ce qu'attestent les édifices qu'il bâtit, les beaux vases et les beaux vêtemens, tant d'or que d'argent, dont il para la cathédrale et le clergé. Comme il était frère du duc Guillaume, il eut dès son adolescence l'évêché de Bayeux, où il ne resta pas oisif pendant plus de cinquante ans qu'il le gouverna. L'esprit le conduisait louablement en certaines choses; mais dans quelques autres la chair commandait misérablement à l'esprit. Ainsi stimulé par une ardeur charnelle, il eut un fils nommé Jean, que nous voyons maintenant à la cour du roi Henri se distinguer par son éloquence et par beaucoup de mérite. Quoiqu'en certaines choses Odon eût cédé à la légèreté du siècle, il ne fit pas moins beaucoup de choses visiblement à l'avantage de l'Eglise. Il commença à bâtir depuis les fondemens l'église de Sainte-Marie, mère de Dieu; il la termina élégamment, et l'enrichit de beaucoup de trésors et d'ornemens. Il établit des moines dans l'église de saint Vigor, évêque de Bayeux, laquelle est située près des murs de la ville; et il leur donna pour père le religieux et sage Robert de Tombelène, qui, entre autres monumens de son habileté, laissa dans son église, sur le Cantique des Cantiques, une exposition claire, précise et d'un sens profond. Pendant que l'évêque Odon était, comme nous l'avons dit, renfermé en prison, l'abbé Robert abandonnant tout autre soin passa en pays étranger, se rendit à Rome, où il fut retenu honorablement par le pape Grégoire VII, et jusqu'à sa mort y servit fidèlement l'Eglise romaine. L'évêque fondateur ayant été jeté dans les fers, et l'abbé étant parti pour l'Italie, le troupeau naissant des moines se dispersa; et chacun s'étant établi où il put, personne ne retourna an couvent de Bayeux. Enfin l'évêque Odon fit à Jarenton4, abbé de Dijon, le don de ce monastère, où jusqu'à ce jour la colonie dijonaise n'a pas cessé de fleurir: c'est ce qui démontre évidemment qu'Odon aima beaucoup l'ordre monastique. Il envoyait aussi des clercs dociles à Liége5, et dans d'autres villes où il savait que les études philosophiques étaient principalement en honneur. Il leur fournissait abondamment tout ce qui leur était nécessaire pour se fixer sans relâche et long-temps auprès des sources de la philosophie. Parmi les disciples qu'il fit élever ainsi, on remarqua Thomas, archevêque d'York, son frère Samson, évêque de Worcester, Guillaume de Ros, abbé de Fécamp, Turstein de Glaston, et beaucoup d'autres qui de notre temps ont fleuri dans l'église de Dieu, et ont rendu de grands services, par l'éclat rayonnant de leur vertu, aux troupeaux qu'ils étaient chargés de nourrir de leur doctrine. C'est ainsi que l'évêque Odon, quoique trop occupé de soins mondains, mêlait beaucoup de choses louables à des actions illicites, et donnait aux églises et aux pauvres ce qu'il avait amassé par des moyens criminels. Enfin, par la permission de Dieu tout-puissant, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1096, Odon abandonna toutes choses; il entreprit le pélerinage de Jérusalem avec le duc Robert, son neveu, comme nous le dirons plus amplement par la suite, si Dieu le permet, et mourut dans la ville de Palerme en présence de Gislebert, évêque d'Evreux. Son corps fut inhumé dans l'église de Sainte-Marie, où Roger, comte de Sicile, lui fît faire un tombeau remarquable. Robert, duc de Normandie, distribua largement les richesses qu'il avait à ses chevaliers, et s'attacha ainsi une multitude de jeunes hommes par l'espoir et le desir des faveurs. Quand son trésor vint à manquer, il demanda de l'argent à son frère Henri, qui ne voulut nullement lui en prêter. Alors le duc lui écrivit pour offrir de lui vendre une portion de son territoire. Dès que Henri eut reçu cette demande qu'il desirait, il accepta avec empressement les offres de son frère. En conséquence, tous deux firent un traité en forme. Henri remit au duc trois mille livres d'argent, et reçut de lui tout le Cotentin, qui forme le tiers de la Normandie. C'est ainsi que Henri obtint d'abord Avranches, Coutances, le Mont-Saint-Michel-en-Péril-de-Mer, et tout le fief6 que Hugues, comte de Chester, possédait en Normandie. Ce prince gouverna sagement la province de Cotentin, et employa convenablement sa jeunesse. Dès son enfance, il avait été par ses parens livré à l'étude des lettres, et noblement imbu des sciences, tant naturelles que morales. Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, le voyant parvenu à la force de l'âge, lui fit prendre les armes pour qu'il pût défendre l'Etat, le revêtit de la cuirasse, lui posa le casque sur la tête, et au nom du Seigneur, lui attacha la ceinture de chevalier, comme à un fils de roi, et à un prince né dans les honneurs royaux. Pendant les douze années que Guillaume-le-Roux régna sur les Anglais, Henri mena une vie laborieuse au milieu des vicissitudes de la mobile fortune, et dans les alternatives de la tristesse et de la joie acquit une grande expérience. Enfin, son frère étant mort, il monta sur le trône, qu'il occupe depuis près de trente-trois ans. Je parlerai de sa conduite et de ses actions en leur lieu, si Dieu le permet et s'il me prête vie. Maintenant il me semble à propos de reprendre le fil de ma narration, et je dirai pour l'instruction de la postérité ce qui s'est passé de notre temps. L'an premier du gouvernement des deux frères, les grands des deux Etats se réunirent et s'occupèrent des intérêts de l'une et de l'autre contrée, aujourd'hui divisées, et qui récemment se trouvaient dans une même main. «Une grande épreuve, dirent-ils, nous est survenue tout à coup, et nous éprouvons une très-grande diminution dans notre puissance et nos richesses. En effet, nous avons joui honorablement de la Normandie sous des ducs illustres, et comme d'un héritage paternel, que nos aïeux venus de Danemarck avec Rollon, il y a deux cent douze ans, acquirent à force de bravoure; ensuite nous avons passé les mers avec le duc Guillaume; nous avons par notre puissance et nos armes renversé les Anglo-Saxons, et nous avons obtenu leurs biens avec toutes leurs richesses, non sans une grande effusion de notre propre sang. Quelles douleurs! Nous sommes témoins de la violente révolution qui s'opère, et de l'abaissement soudain de notre puissance. Que ferons nous à la mort de notre seigneur? Deux jeunes gens lui succèdent, et sans perdre de temps ont déjà séparé le gouvernement de l'Angleterre de celui de la Normandie. Comment pourrons-nous obéir convenablement à deux maîtres si différens et si éloignés l'un de l'autre? Si nous servons dignement Robert, duc des Normands, nous offenserons son frère Guillaume; il nous dépouillera des grands biens et des hautes dignités que nous possédons en Angleterre. Si nous nous soumettons convenablement au roi Guillaume, le duc Robert nous privera en Normandie de nos héritages paternels. Il faut prendre les plus grandes précautions pour qu'il ne nous arrive pas sous ces princes un démembrement pareil à celui qu'éprouvèrent les Israélites sous Roboam et Jéroboam. Alors un seul peuple se divisa lui-même sous deux princes, et la loi, le temple et les cérémonies divines ayant été négligés, il tomba dans l'apostasie. C'est ainsi que les Hébreux par une détestable dissension tournèrent criminellement leurs armes contre eux-mêmes, et devenus serviteurs de Baal, égorgèrent plusieurs milliers de leurs compatriotes. A la fin une partie de ce peuple, qui depuis ne revit jamais ses foyers, fut sous les Assyriens conduite captive en Médie, et une autre partie sous les Chaldéens subit la captivité à Babylone. Qu'arriva-t-il aux Thébains sous Etéocle et Polynice? Ne vit-t-on pas périr plusieurs milliers des deux partis? Enfin les deux frères tombèrent sous leurs propres coups, et laissèrent à des successeurs étrangers leurs droits et leur héritage. Nous devons considérer avec soin ces choses, et beaucoup d'autres du même genre, et prendre prudemment toutes les précautions utiles, afin de ne pas périr par des conseils inconsidérés. Faisons donc un traité inviolable et solide; renversons ou faisons périr le roi Guillaume, qui est jeune et arrogant, et auquel nous ne devons rien. Plaçons sur le trône d'Angleterre et de Neustrie, pour conserver l'unité des deux Etats, le duc Robert, qui est l'aîné, dont les mœurs sont affables, et auquel dès long-temps, du vivant de son père, nous avons prêté serment de fidélité pour les deux contrées.» Telle fut la détermination que prirent en commun Odon, évêque de Bayeux, Eustache, comte de Boulogne, Robert de Bellême, ainsi que plusieurs autres; ils en firent part au duc Robert. Ce prince léger et inconsidéré se réjouit beaucoup de ces promesses toutes frivoles qu'elles étaient. Il promit à ses partisans de les seconder en tout s'ils commençaient, et de leur fournir bientôt un secours efficace pour conduire à fin une si brillante entreprise. En conséquence, après Noël, les seigneurs dont il s'agit passèrent en Angleterre, fortifièrent leurs châteaux avec un grand soin, et en peu de temps soulevèrent contre le roi une grande partie de l'Angleterre. |
III. Rebellio in Anglia ab Odone episcopo suscitatur pro Roberto duce ad solium evehendo.--Guillelmus Rufus rebelles devincit. Odo nimirum, ut supra dictum est, palatinus Cantiae consul erat, et plures sub se comites virosque potentes habebat. Rogerius comes Scrobesburiensis, et Hugo de Grentemaisnil, qui praesidatum Legrecestrae regebat, ac Rodbertus de Rodelento nepos ejus, aliique plures fortissimi milites seditiosis favebant, et munitiones suas fossis, et hominibus, atque alimentis hominum et equorum abundanter instruebant. Jam avidi praedones invadebant praedas pagensium, ovanter praestolantes ducem Rodbertum, qui statuerat praecursores suos, vere redeunte, sequi cum multis legionibus militum. Tunc Osbernus, Richardi, cognomento Scrop, filius, et Bernardus de Novo Mercato gener ejus, aliique complices eorum, qui fines Merciorum possidebant, in territorio Wigornensi rapinis et caedibus, prohibente et anathematizante viro Dei Wulfstano episcopo, nequiter insistebant. Rex vero Guillelmus, ut vidit suos in terra sua contra se pessima cogitare, et, per singula crebrescentibus malis, ad pejora procedere, non meditatus est ut timida vulpes ad tenebrosas cavernas fugere, sed ut leo fortis et audax rebellium conatus terribiliter comprimere. Lanfrancum itaque archiepiscopum cum suffraganeis praesulibus, et comites, Anglosque naturales convocavit, et conatus adversariorum, ac velle suum expugnandi eos indicavit. At illi regem, ut perturbatores pacis comprimeret, adhortati sunt, seseque promptissimos ad adjuvandum polliciti sunt. Anglorum vero triginta millia tunc ad servitium regis sponte sua convenerunt, regemque, ut perfidos proditores absque respectu puniret, admonuerunt, dicentes: « Viriliter age, ut regis filius, et legitime ad regnum assumptus, securus in hoc regno dominare omnibus. Nonne vides quot tecum sumus tibique gratanter paremus? Passim per totam Albionem impera, omnesque rebelles dejice regali justitia. Usque ad mortem pro te certabimus, nec unquam tibi alium praeponemus. Stultum nimis est et profanum noto regi praeferre hostem extraneum. Detestabilis gens est, quae principi suo infida est. Phalanx morti sit vicina, quae domini sui gaudet ruina! Solerter Anglorum rimare historias, inveniesque semper fidos principibus suis Angligenas. » Rex ergo Rufus indigenarum hortatu promptior surrexit, et congregato exercitu magno, contra rebelles pugnaturus, processit. Tunc Odo Bajocensis cum quingentis militibus intra Roffensem urbem se conclusit, ibique Rodbertum ducem cum suis auxiliaribus, secundum statuta quae pepigerant, praestolari proposuit. Non enim seditiosi, quamvis essent plurimi, multisque gazis et armis et ingenti apparatu stipati, ausi erant contra regem in regno suo praeliari. Oppidum igitur Rovecestrae sollicita elegerunt provisione, quoniam, si rex eos non obsedisset in urbe, in medio positi, laxis habenis, Lundoniam et Cantuariam devastarent; et per mare, quod proximum est, insulasque vicinas, pro auxiliis conducendis nuntios cito dirigerent. Animosus autem rex conatus eorum praevenit, oppidumque Maio mense cum grandi exercitu potenter obsedit, firmatisque duobus castellis omnem exeundi facultatem hostibus abstulit. Praedictum, ut praelibavimus, oppidum Odo praesul, et Eustachius comes, atque Rodbertus Bellesmensis, cum multis nobilibus viris, et mediocribus, tenebant, auxiliumque Rodberti ducis, qui desidia mollitieque detinebatur, frustra exspectabant. Rogerius vero, Merciorum comes, multique Normannorum, qui cum rege foris obsidebant, clam adminiculari quantum poterant inclusis satagebant. Non tamen palam contra regem arma levare audebant. Omnes episcopi Angliae cum Anglis sine dolo regem juvabant, et pro serena patriae pace, quae bonis semper amabilis est, laborabant. Hugo, comes Cestrensis, et Rodbertus de Molbraio, Nordanhumbrorum comes, et Guillelmus de Guarenna, ae Rodbertus Haimonis filius, aliique legitimi maturique barones regi fideliter adhaerebant, eique armis et consilio contra publicos hostes commode favebant. In oppido Roffensi plaga similis Aegyptiorum plagae apparuit, qua Deus, qui semper res humanas curat, et juste disponit, antiqua miracula nostris etiam temporibus recentia ostendit. Nam, sicut sciniphes importunitate sua Aegyptios infestabant, et nec ad momentum ab infestatione sua circa ipsos cessabant, ita muscae obsessos incessanti molestia importune vexabant. Obsessi nempe extra castellum exire nequibant, et plures eorum ex diversis infortuniis, grassante morbo, interibant. Innumerabiles ergo muscae hominum et equorum coeno nascebantur, et tam aetatis quam anhelitus cohabitantium calore confovebantur, et oculis ac naribus, et cibis ac potibus inclusorum horribiliter ingerebantur. Tanta itaque importunitate muscarum stimulabatur cohors superba rebellium, ut nunquam die vel nocte possent capere cibum, nisi magna pars ipsorum ab inquietudine muscarum vicissim flabellis defenderet ora sociorum. Igitur Odo Bajocensis et complices sui diutius obsidionem pati non potuerunt. Unde Guillelmum regem nuntiis petierunt ut pacem cum eis faceret, ac oppidum ab eis reciperet tali tenore ut terras, fundos et omnia, quae hactenus habuerant, ab ipso reciperent, et ipsi eidem ut naturali domino fideliter a modo servirent. His auditis, rex iratus est, et valde rigidus intumuit, et in nullo flexus, legatorum postulationibus non acquievit; sed perfidos traditores in oppido virtute potenti capiendos juravit, et mox patibulis suspendendos, et aliis mortium diversis generibus de terra delendos asseruit. Videntes autem ii, qui obsidebant cum rege, ad necem parentum et amicorum, qui obsessi erant, tam valide regis animum furere, cum ingenti supplicatione ad eum accesserunt, eique multa prece, multoque favore blandiri conati sunt. Dicunt itaque: « Laudetur Deus, qui semper adjuvat sperantes in se, et dat bonis patribus eximiam sobolem succedere! Ecce turgidi juvenes, et cupiditate caecati senes jam satis edocti sunt quod regiae vires in hac insula nondum defecerunt. Nam qui de Normannia tanquam milvi ad praedam super nos cum impetu advolarunt, et in Anglia regiam stirpem defecisse arbitrati sunt, jam Guillelmum juvenem, Guillelmo sene non debiliorem, cohibente Deo, experti sunt. Jam pene victi, viribus tuis succumbunt, et fatiscentes magnitudinem tuam supplices exposcunt. Nos quoque, qui tecum maximis in periculis, sicut cum patre tuo, perstitimus, nunc tibi humiliter astamus, et pro compatriotis nostris obnixe supplicamus. Decet nimirum ut sicut timidos et vecordes vicisti fortitudine, sic humiliatis et poenitentibus parcas mansuetudine. Severitatem regiam temperet clementia, et gloriosae virtuti tuae sufficiat celebris victoria! David, rex magnus, Semei maledicenti se pepercit, et Joab atque Abisai, aliosque bellatores, pro adversante sibi Absalon, ne perimerent eum, obnixe rogavit (II Reg II, 18) . In divinis voluminibus abundant exempla hujuscemodi, a quibus non discrepat sagax poeta in libello De mirabilibus mundi:
Parcere prostratis sit nobilis ira leonis! Haec ita dicentibus Guillelmus rex ait: « Fateor me viribus vestris hostes expugnasse, et, per auxilium Dei, cum labore vestro, gratanter trophaeo appropinquasse. Verum tanto cautius praecavere debetis ne me precibus vestris a rigore rectitudinis deviare cogatis. Quisquis parcit perjuris et latronibus, plagiariis et exsecratis proditoribus, aufert pacem et quietem innocentibus, innumerasque caedes et damna serit bonis et inermibus. Quid sceleratis peccavi? quid illis nocui? quid mortem meam totis nisibus procuraverunt, et omnes pro posse suo contra me populos cum detrimento multorum erexerunt? Omnia sua illis dimisi, nulloque reatu contra me commovi. Et illi summopere mihi facti inimici. Unde reor omnino esse justum ut David magni regis, quem mihi proposuistis imitandum, irrefragabiliter teneamus judicium. Sicut Baana et Rechab, filii Remmon Berotitae, qui regem Isboseth in domo sua decollaverunt, judicante David, in Hebron suspendio perempti sunt (II Reg. II, 4) ; sic isti insidiatores regni puniantur terribili animadversione, ut praesentes et futuri terreantur, et castigentur hujus ultionis relatione! » Ad haec, optimates regi dixerunt: « Omnia, quae dicis, domine rex, vera et justa esse censemus, nec uno verbo rationi tuae contradicere valemus. Benevolentia tamen cogente, potentiam tuam humiliter oramus ut consideres qui sunt, pro quibus tantopere rogamus. Bajocensis Odo patruus tuus est, et pontificali sanctificatione praeditus est. Cum patre tuo Anglos subjugavit, eique in multis anxietatibus periculose subvenit. Quid tanto viro agendum est? Absit ut in sacerdotem Domini manus injicias, et sanguinem ejus effundas in tali causa! Reminiscere quid fecerit Saul in Nobe, et quid pertulerit in monte Gelboe (II Reg. I, 22 et 31) . Quis praesumet tibi nefarius suadere ut antistitem Domini, patruumque tuum velis condemnare? Nemo. Omnes ergo precamur ut illi benevolentiam tuam concedas, et illaesum in Normanniam ad dioecesim suam abire permittas. Comes etiam Boloniensis patri tuo satis fuit fidelis, et in rebus arduis strenuus adjutor et contubernalis. Rodbertus quoque Belesmensis, qui patri tuo fuit valde dilectus, et multis honoribus olim ab ipso promotus, nunc magnam Normanniae partem possidet, fortissimisque castellis corroboratus, pene omnibus vicinis suis et Neustriae proceribus praeeminet. His itaque si animi tui rancorem indulseris, et tecum benigniter retinueris, aut saltem a te cum pace dimiseris, eorum adhuc amicitia servitioque in multis eventibus utiliter perfrueris. Idem qui laedit, fors post ut amicus obedit. In horum comitatu pollent, seseque tibi offerunt eximii tirones, quorum servitutem, inclyte rex, parvipendere non debes. Igitur quos jam superasti potestate, divitiis et ingenti probitate, subjuga tibi magnificentia et pietate. » Magnanimus itaque rex, fidelium suorum precibus victus, assensit, exitium et membrorum debilitationem obsessis indulsit, et de oppido exeundi facultatem cum equis et armis concessit. Sed omnem spem habendi haereditates et terras in regno ejus, quandiu ipse regnaret, funditus abscidit. Tunc Odo pontifex a rege Rufo impetrare tentavit ne tibicines in eorum egressu tubis canerent, sicut moris est, dum hostes vincuntur, et per vim oppidum capitur. Rex autem iratus, quod petebatur omnino denegavit, nec se concessurum etiam propter mille auri marcos palam asseruit. Oppidanis ergo cum moerore et verecundia egredientibus, et regalibus tubis cum gratulatione clangentibus, multitudo Anglorum, quae regi adhaerebat, cunctis audientibus vociferabatur, et dicebat: « Torques, torques afferte, et traditorem episcopum cum suis complicibus patibulis suspendite. Magne rex Anglorum, cur sospitem pateris abire incentorem malorum? Non debet vivere perjurus homicida, qui dolis et crudelitatibus peremit hominum multa millia. » Haec et alia probra moestus antistes cum suis audivit. Sed, quamvis acerba minaretur, indignationi suae satisfacere non potuit. Sic irreligiosus praesul de Anglia expulsus est, et amplissimis possessionibus spoliatus est. Tunc maximos quaestus, quos cum facinore obtinuit, justo Dei judicio, cum ingenti dedecore perdidit, et confusus Bajocas rediit, nec in Angliam postmodum repedavit. Anno itaque primo Guillelmi Rufi regis, in initio aestatis, Roffensis urbs ei reddita est, omniumque, qui contra pacem enses acceperant, nequam commotio compressa est. Nam iniqui et omnes malefactores, ut audaciam regis et fortitudinem viderunt, quia praedas et caedes, aliaque facinora cum aviditate amplexati fuerant, contremuerunt, nec postea XII annis quibus regnavit mutire ausi fuerunt. Ipse autem callide se habuit, et vindictae tempus opportunum exspectavit. Quorumdam factiones saevissimis legibus puniit, aliquorum vero reatus ex industria dissimulavit. Antiquis baronibus, quos ab ipso aliquantulum desciverat nequitia, versute pepercit pro amore patris sui, cui diu fideliter inhaeserant, et pro senectutis reverentia; sciens profecto quod non eos diu vigere sinerent morbi et mors propria. Porro quidam, quanto gravius se errasse in regiam majestatem noverunt, tanto ferventius omni tempore postmodum ei famulati sunt, et tam muneribus quam servitiis ac adulationibus multis modis placere studuerunt. |
Odon, comme nous l'avons dit ci-dessus, était comte Palatin de Kent, et avait sous lui plusieurs comtes et plusieurs hommes puissans. Roger, comte de Shrewsbury, Hugues de Grandménil, qui gouvernait le comté de Leicester, Robert de Rhuddlan, son neveu, et plusieurs autres chevaliers très-braves favorisaient la sédition, et fortifiaient leurs châteaux de fossés et de garnisons; ils les remplissaient abondamment de provisions pour les hommes et les chevaux. Déjà d'avides brigands dépouillaient les campagnes, attendant avec joie l'arrivée du duc Robert, qui avait résolu de suivre ses précurseurs au retour du printemps avec des troupes nombreuses. Osbern, fils de Richard, surnommé Scrop, et Bernard de Neuf-Marché, son gendre, ainsi que leurs autres complices qui tenaient les frontières de la Mercie, commettaient déjà méchamment sur le territoire de Worcester beaucoup de meurtres et de brigandages, malgré les défenses et l'anathème de l'homme de Dieu, Wulfstan, évêque du pays. Dès que le roi Guillaume vit que ses officiers se livraient dans son propre pays à de criminelles entreprises contre lui, et que dans ces nouvelles calamités tout allait de mal en pis, il ne songea pas comme le timide renard à fuir dans les cavernes ténébreuses, mais, comme le lion courageux et hardi, il s'occupa de mettre fin par un coup terrible aux entreprises des rebelles. En conséquence il convoqua l'archevêque Lanfranc avec les prélats ses suffragans, les comtes et les principaux seigneurs d'origine anglaise; il leur fit part de l'entreprise de ses ennemis et du desir qu'il avait de les combattre. Ils engagèrent le roi à comprimer les perturbateurs de la paix, et promirent de le seconder avec le plus grand empressement. Trente mille Anglais se réunirent spontanément pour servir le roi, qu'ils engagèrent à punir les perfides qui le trahissaient: ils lui dirent: «Agissez virilement comme fils de roi, et, légitimement appelé au trône, commandez avec sécurité à tout le monde dans ce royaume. Vous voyez en quel nombre nous nous trouvons avec vous, et combien nous vous obéissons de bon cœur: commandez dans tout Albion, et frappez de votre royale justice tous les rebelles jusqu'à la mort; nous combattrons pour vous, et jamais nous ne vous préférerons un autre prince. Il est trop insensé et trop impie de donner à un ennemi étranger la préférence sur un monarque que l'on connaît; on doit détester toute nation qui est infidèle à son prince. Que ces hommes soient voués à la mort, qui se réjouissent de la ruine de leur seigneur. Parcourez attentivement l'histoire des Anglais, et vous les trouverez toujours fidèles à leurs princes.» En conséquence, le roi Guillaume-le-Roux7 se mit en campagne avec plus de confiance, grâce aux exhortations des Anglais; il rassembla une grande armée et marcha contre les rebelles pour les combattre. Alors Odon, évêque de Bayeux, se renferma dans la ville de Rochester, avec cinq cents chevaliers, et se proposa d'y attendre le duc Robert, avec ses auxiliaires, conformément au traité qu'ils avaient fait. Quoique les séditieux fussent en grand nombre, qu'ils eussent réuni beaucoup de trésors et d'armes et qu'ils eussent fait de grandes dispositions, ils n'osèrent jamais livrer bataille au roi dans ses propres Etats. Ils avaient prudemment fait choix de la ville de Rochester, afin que si le roi ne les assiégeait pas dans la place, établis sur ce point central, ils pussent sans difficulté dévaster le territoire de Londres et de Cantorbéry, et envoyer sans retard, par le moyen de la mer, qui est voisine, et par les îles des environs, des courriers pour obtenir des secours. Mais le roi, plein de courage, prévint leurs efforts, et dans le mois de mai assiégea vigoureusement la place avec une armée considérable; puis, ayant fait construire deux châteaux, il ôta aux assiégés tout moyen de communiquer au dehors. Ainsi que nous l'avons indiqué, la ville était occupée par l'évêque Odon, par le comte Eustache, par Robert de Bellême, et par beaucoup d'hommes tant nobles que d'une classe intermédiaire. Vainement ils attendaient le secours du duc Robert, qui était arrêté par sa nonchalance et sa mollesse. Roger, comte des Merciens, et plusieurs des Normands qui sous les ordres du roi formaient le siége au dehors, s'efforçaient en cachette, autant qu'ils le pouvaient, de secourir les assiégés. Toutefois ils n'osaient publiquement se soulever contre le roi. Tous les évêques d'Angleterre ainsi que les Anglais d'origine servaient Guillaume avec loyauté et travaillaient franchement pour conserver à leur pays les douceurs de la paix, qui est toujours agréable aux gens de bien. Hugues, comte de Chester, Robert de Mowbrai, comte du Northumberland, Guillaume de Varenne, Robert fils d'Aimon, et plusieurs autres barons fidèles et prudens, restaient attachés au roi et le secondaient à propos de leurs armes et de leurs conseils contre les ennemis publics. Semblable à la plaie des Egyptiens, il parut dans la ville de Rochester une plaie, par laquelle Dieu, qui prend toujours soin des affaires humaines et dispose tout justement, renouvela de notre temps les anciens miracles. En effet, de même que les moucherons importunaient les Egyptiens et ne cessaient pas un seul moment de les incommoder, de même les mouches tourmentaient par leurs attaques continuelles les assiégés désolés. Ils ne pouvaient sortir de la place, et plusieurs mouraient des maladies que leur causaient diverses calamités. Ces insectes innombrables naissaient des excrémens des hommes et des chevaux; la chaleur occasionnée tant par l'été que par l'haleine des habitans favorisait leur développement; et ils pénétraient horriblement dans les yeux et les narines, ainsi que dans les alimens et la boisson des assiégés. L'orgueilleuse troupe des rebelles souffrait tellement de l'importunité des mouches, que jamais de jour ou de nuit ils ne pouvaient prendre leurs repas, si une grande partie d'entre eux ne défendait à tour de rôle avec des éventails la bouche des autres contre les attaques continuelles de ces insectes. Il en résulta qu'Odon, évêque de Bayeux, et ses complices ne purent plus long-temps soutenir le siége. Aussi envoyèrent-ils au roi Guillaume des députés pour faire la paix et lui remettre la ville, sous la condition de tenir de lui leurs terres, leurs fiefs et tout ce qu'ils avaient possédé jusqu'alors, et de le servir désormais fidèlement comme leur maître naturel. Quand il eut entendu ces propositions, le roi entra dans une vive colère; sa rigueur s'en augmenta beaucoup, et ne cédant en rien, il rejeta les demandes des députés; il jura qu'il prendrait de vive force dans leur ville les perfides qui l'avaient trahi, et affirma qu'il les ferait aussitôt attacher à la potence ou tuer par divers autres genres de supplices. Ceux qui assiégeaient la ville, de concert avec le roi, le voyant enflammé d'une si violente fureur contre la vie de leurs parens et de leurs amis qui étaient dans la place, allèrent le trouver avec de grandes supplications, et tâchèrent de le calmer à forces de prières et de condescendances. Ils lui dirent: «Que Dieu soit loué, lui qui secourt sans cesse ceux qui espèrent en lui, et permet qu'aux bons pères succèdent de bons enfans! Nous voyons que des jeunes gens orgueilleux et des vieillards aveuglés par l'ambition apprennent à leurs dépens que la puissance royale n'a pas encore failli dans cette île. Effectivemeut ceux qui, semblables aux milans qui se précipitent sur leur proie, sont venus de Normandie nous assaillir avec impétuosité, et qui ont pensé qu'en Angleterre la race royale était éteinte, éprouvent que, grâces à Dieu, Guillaume-le-Jeune vaut bien le vieux Guillaume. Déjà, presque vaincus, ils tombent sous vos coups, et sur le point d'être anéantis implorent en suppliant votre grande puissance. Et nous aussi qui, dans les plus grands périls, sommes restés avec vous comme avec votre père, nous nous présentons maintenant humblement devant vous, et nous vous prions de tout notre cœur pour nos compatriotes. Il convient sans doute que comme vous avez vaincu par votre valeur ces hommes lâches et tremblans, de même vous leur pardonniez avec bonté quand ils se repentent et s'humilient. Que la clémence tempère la sévérité du roi, et qu'une éclatante victoire suffise à la gloire de votre vertu. Le grand roi David pardonna à Semeï, qui le maudissait, et pria instamment, en faveur d'Absalon révolté, Joab, Abésaï et d'autres guerriers, pour qu'ils ne le fissent pas périr. Dans les livres divins on trouve en abondance des exempies de ce genre, auxquels se rapportent ces vers d'un poète ingénieux, dans son livre des Merveilles du monde:
Parcere prostratis sit nobilis ira leonis; «Comme le courroux du lion est assez noble pour épargner celui qui se prosterne, vous qui commandez sur la terre vous devez aussi vous montrer miséricordieux.» Voici quelle fut la réponse du roi Guillaume: «J'avoue que par votre secours j'ai vaincu mes ennemis, et qu'avec l'aide de Dieu je suis, par mes travaux, près d'en triompher; mais vous n'en devez prendre que plus de soin pour ne pas me forcer par vos prières de dévier des rigueurs de la justice. Quiconque épargne les parjures et les brigands, les pillards et les traîtres exécrables, prive de la paix et du repos les innocens, et fait naître pour les bons et les faibles des malheurs et des meurtres sans nombre. Quels sont mes torts envers ces scélérats? Ai-je fait quelque chose pour leur nuire? Pourquoi ont-ils déployé tous leurs efforts pour m'arracher la vie, et soulever, autant qu'il était en eux, au préjudice de tant de monde, et contre moi, tous les peuples de ce royaume? Je leur ai laissé tous leurs biens, je n'ai, par aucune faute, mérité leur haine; et ces hommes se sont montrés mes ennemis acharnés. Aussi je pense qu'il est tout-à-fait juste que nous observions avec exactitude la sentence du grand roi David que vous me proposez pour exemple. Ainsi que, d'après son jugement, Baana et Rechab, fils de Remmon-le-Bérotite qui avaient tranché la tête au roi Isboseth dans son palais, furent pendus à Hébron, de même ces séditieux seront punis terriblement pour l'effroi du présent et de l'avenir, que le récit d'une telle vengeance rendra sages.» A ce discours les grands répondirent à Guillaume: «Seigneur roi. nous regardons comme vrai et juste tout ce que vous dites, et ne pouvons opposer une seule objection à vos raisons. Néanmoins, dans les bons sentimens qui nous animent, nous supplions humblement votre puissance de considérer quels sont ceux pour lesquels nous vous implorons instamment. Odon de Bayeux est votre oncle et il est pourvu de la sanctification pontificale; il aida votre père à soumettre les Anglais, et, dans plusieurs conjonctures difficiles, il le secourut à ses propres périls. Que peut-on faire à un homme d'un ordre aussi élevé? Loin de vous l'idée de porter les mains sur le prêtre du Seigneur, et de verser son sang pour une telle cause; rappelez-vous ce qu'a fait Saül à Nobé, et ce qu'il a souffert sur la montagne de Gelboé. Quel serait l'homme assez pervers pour vous conseiller de condamner le prêtre de Dieu et votre oncle? Personne. Nous vous prions donc tous d'user envers lui de bonté, et de permettre qu'il se rende sans dommage dans son diocèse en Normandie. Le comte de Boulogne s'est toujours montré fidèle envers votre père, et toujours courageusement il le seconda et l'accompagna dans les plus pénibles entreprises. Quant à Robert de Bellême, que votre père aima toujours beaucoup et qu'il éleva jadis aux plus grands honneurs, il possède maintenant une grande partie de la Normandie, et, puissant par les châteaux les mieux fortifiés, il tient le premier rang entre tous ses voisins et les seigneurs neustriens. C'est pourquoi, si l'indulgence remplace le ressentiment dans votre cœur, si vous conservez auprès de vous avec bonté les coupables, ou si du moins vous les laissez aller en paix, vous tirerez encore dans beaucoup de circonstances un parti avantageux de leur amitié et de leurs services: Idem qui lœdit, fors post ut anticus obedit. «Le même homme qui vous blessa peut, par la suite, vous servir comme ami. «Sous leurs ordres se trouvent des guerriers accomplis qui vous offrent de passer à votre service, et dont vous ne devez pas, illustre monarque, mépriser les propositions. C'est pourquoi vous devez vous soumettre par la générosité et la clémence ceux que vous avez vaincus par la force, par la richesse et par vos éminentes qualités.» En conséquence ce monarque magnanime, vaincu par les prières des seigneurs qui lui étaient fidèles, fit remise aux assiégés de la mort et de la mutilation, et leur accorda la permission de sortir de la place avec leurs chevaux et leurs armes. Toutefois il leur enleva entièrement toute espérance de posséder jamais, tant qu'il régnerait, aucun héritage ni aucune terre dans ses Etats. Alors l'évêque Odon essaya d'obtenir de Guillaume-le-Roux qu'il fût défendu aux musiciens de sonner de la trompette à la sortie des assiégés, comme il est d'usage lorsqu'on a vaincu l'ennemi ou que l'on s'est emparé d'une place à force ouverte8. Irrité d'une telle proposition, le roi refusa positivement, et déclara publiquement qu'il ne l'accorderait pas même pour mille marcs d'or. En conséquence les assiégés étant venus à sortir tristes et honteux, et les trompettes du roi sonnant en signe d'alégresse, la multitude des Anglais qui avaient suivi le roi criaient à haute voix devant toute l'assistance: «Des colliers, des colliers9! Apportez des colliers, et que l'on attache à la potence ce traître d'évêque avec ses complices. Grand roi des Anglais, pourquoi laissez-vous aller sain et sauf cet instigateur de tous nos maux? Le parjure homicide qui a fait périr tant de milliers d'hommes par ses perfidies et ses cruautés, ne doit pas continuer de vivre.» Le prélat confus entendit ainsi que les siens tous ces reproches; mais quoique son dépit s'exhalât encore en dures menaces, il n'était pas en son pouvoir de satisfaire à son indignation. C'est ainsi que cet évêque impie fut chassé de l'Angleterre et dépouillé de ses vastes possessions. Alors il perdit avec une grande honte, par l'équitable jugement de Dieu, les grandes richesses que le crime lui avait procurées; il retourna à Baveux couvert de confusion, et ne reparut plus jamais en Angleterre. Ce fut donc dans la première année du règne de Guillaume-le-Roux10, au commencement de l'été, que la ville de Rochester capitula, et que la révolte criminelle de tous ceux qui avaient pris les armes pour troubler la paix fut entièrement comprimée; car les méchans et tous les malfaiteurs voyant la bravoure et la fermeté du roi furent réduits à trembler pour s'être rendus coupables, dans leur criminelle avidité, de brigandages, de meurtres et d'autres forfaits. Désormais, pendant les douze années qu'il régna, ils n'osèrent murmurer. Ce monarque se comporta habilement, et attendit pour la vengeance le moment favorable. Il punit par des lois sévères les entreprises factieuses de quelques séditieux, et dissimula à dessein les crimes de quelques autres. Quant aux anciens barons qui ne s'étaient pas montrés fidèles à son parti, il eut le bon esprit de leur pardonner pour l'amour de son père, auquel ils avaient été constamment attachés, et par respect pour leur vieillesse, sachant fort bien que les maladies et la mort naturelle ne devaient pas leur laisser une longue existence. Cependant quelques-uns d'eux le servirent constamment par la suite, avec d'autant plus de zèle qu'ils reconnaissaient avoir plus gravement offensé la majesté royale; et ils s'attachèrent à se rendre agréables à Guillaume, de toutes manières, tant par des présens que par leurs bons services et leurs adulations.
|
IV. Grithfridus rex Guallorum Angliam invadit. Historia Roberti Rodelentensis comitis. Cum supradicta tempestate vehementer Anglia undique concuteretur, et mutuis vulneribus incolae regni quotidie mactarentur, quia hi regem dejicere tentabant, illi econtra pro rege viriliter dimicabant, Grithfridus, rex Guallorum, cum exercitu suo fines Angliae invasit, et circa Rodelentum magnam stragem hominum et incendia fecit; ingentem quoque praedam cepit, hominesque in captivitatem duxit. Rodbertus autem, Rodelenti princeps, de obsidione Roffensi rediens, et tam atroces damnososque sibi rumores comperiens, vehementer dolens ingemuit, ac terribilibus minis iram suam evidenter aperuit. Erat enim miles fortis et agilis, facundus et formidabilis, largus et multis probitatibus laudabilis. Hic Eduardi regis armiger fuit, et ab illo cingulum militiae accepit. Unfridus pater ejus, fuit filius Amfridi de progenie Dacorum; Adeliza vero mater ejus, soror Hugonis de Grentemaisnil, de clara stirpe Geroianorum. Hic praecipuus agonotheta, inter militiae labores, ecclesiae cultor erat, et clericos ac monachos valde diligens honorabat, ac eleemosynis pauperum pro modulo suo libenter instabat. Porro Uticense coenobium, ubi fratres sui Ernaldus et Rogerius monachi erant, et pater suus ac mater, aliique parentes ejus tumulati quiescebant, valde dilexit, et pro viribus suis locupletavit. Hinc illi ecclesiam de Telliolo, et hoc quod habebat in ecclesia de Dambleinvilla, et presbyterium dedit; et hoc quod habebat in ecclesia de Cornero cum presbyterio concessit. Decimam molendinorum, et omnium exituum suorum, et redecimationem promptuariorum suorum addidit. Idem vero Rodbertus in Anglia dedit Sancto Ebrulfo et monachis ejus Cumbinellam, terram duarum carrucarum, et XX villanos, et ecclesiam cum presbyterio, decimamque totam et villam, quae Chercabia dicitur, cum ecclesia et presbyterio, ecclesiamque de Insula et in civitate Cestra ecclesiam Sancti Petri de Mercato, et tres hospites. Quae omnia ut Sanctus Ebrulfus solide et quiete, sicut ea ipse dederat, possideret, in capitulum Uticense venit, et de his omnibus quae dicta sunt, coram Mainerio abbate et conventu monachorum concessionem suam confirmavit. Tunc ibidem cum eo fuerunt Razso decanus et Hugo de Millaio, Guillelmus Pincerna filius Grimoldi et Rogerius filius Geroii, Durandus et Brunellus, Osbernus de Orgeriis atque Gauterius praepositus. Interfuerunt hi, dum Rodbertus in basilicam perrexit, et donationem rerum supramemoratarum super altare posuit. Haec breviter tetigi de donis quae praefatus heros Uticensi contulit ecclesiae, nec me velit, quaeso, prudens lector inconsiderate subsannare, si titulum incoepti operis, dum tempus est, prosequor in narratione. Rodbertus, Unfridi filius, dum puer erat, cum patre suo in Angliam transfretavit, et Eduardo regi, donec ab eodem miles fieret, domi militiaeque servivit. Deinde, fulgentibus armis jam indutus, regiisque muneribus honorifice ditatus, parentes suos revisere concupivit, et regis adepta permissione, ad suos ovans repatriavit. Facto autem Senlacio bello, et rege Guillelmo multis hostium tumultibus occupato, praefatus tiro cum Hugone consobrino suo. Richardi de Abrincis, cognomento Goz, filio, iterum ad Anglos transiit, et semper in omnibus exercitiis, quae a militibus agenda erant, inter praecipuos viguit. Deinde, post multos agones, praedicto Hugoni comitatus Cestrensis datus est, et Rodbertus princeps militiae ejus, et totius provinciae gubernator factus est. Tunc vicini Britones, qui Gualli, vel Guallenses vulgo vocitantur, contra regem Guillelmum et omnes ejus fautores nimis debacchabantur. Decreto itaque regis, oppidum contra Guallos apud Rodelentum constructum est, et Rodberto, ut ipse pro defensione Anglici regni barbaris opponeretur, datum est. Bellicosus marchio contra inquietam gentem saepissime conflixit, crebrisque certaminibus multum sanguinis effudit. Incolis itaque Britonibus saevo Marte repulsis, fines suos dilatavit, et in monte Dagaunoth, qui mari contiguus est, fortissimum castellum condidit. Per XV annos intolerabiliter Britones protrivit, et fines eorum, qui pristina libertate tumentes nihil omnino Normannis debuerunt, invasit. Per silvas et paludes et per arduos montes persecutus hostes multis modis profligavit. Nam quosdam cominus ut pecudes irreverenter occidit, alios vero diutius vinculis mancipavit, aut indebitae servituti atrociter subjugavit. Christicolae non licet fratres suos sic opprimere, qui in fide Christi sacro renati sunt baptismate. Superbia et cupiditas, quae per totum orbem mortalium possident pectora, Rodbertum marchisum absque modo ad praedas stimulabant et homicidia, per quae idem in horrendum praecipitium mersus est postea. Nam in die Julii Grithfridus, rex Guallorum, cum tribus navibus sub montem, qui dicitur Hormaheva, littori appulsus est, et mox piratarum exercitus quasi lupi rapaces ad depopulandam regionem diffusus est. Interim mare fluctus suos retraxit, et in sicco littore classis piratarum stetit. Grithfridus autem cum suis per maritima discurrit, homines et armenta rapuit, ac ad naves exsiccatas festine remeavit. Interea clamor vulgi Rodbertum, meridie dormitantem, excitavit, eique hostilem discursum per terram suam nuntiavit. Ille vero, ut jacebat, impiger surrexit, et mox praecones, ad congregandum agmen armatorum, per totam regionem direxit. Porro ipse cum paucis bellatoribus imparatus Guallos prosecutus est, et de vertice montis Hormahevae, qui nimis arduus est, captivos a piratis ligari, et in naves cum pecoribus praecipitari speculatus est. Unde marchisus, audax ut leo nobilis, vehementer infremuit, hominesque paucos, qui secum inermes erant, ut, antequam aestus maris rediret, super Guallos in sicco littore irruerent admonuit. Illi vero praetendunt suorum paucitatem, et per ardui montis praecipitium descendendi difficultatem. Denique Rodbertus, dum videret inimicum agmen cum praeda sua praestolari reditum maris, quo aufugeret, nimis doluit, impatiensque morae, per difficilem descensum sine lorica, cum uno milite, nomine Osberno de Orgeriis, ad hostes descendit. Quem cum viderent solo clypeo protectum, et uno tantum milite stipatum, omnes pariter in illum missilia destinant, et scutum ejus jaculis intolerabiliter onerant, et egregium militem lethaliter vulnerant. Nullus tamen quandiu stetit, et parmam tenuit, ad eum cominus accedere, vel eum ense impetere ausus fuit. Tandem bellicosus heros spiculis confossus genua flexit, et scutum missilibus nimis onustum, viribus effetus, dimisit, animamque suam Deo, sanctaeque Dei genitrici Mariae commendavit. Tunc omnes in illum irruunt, et in conspectu suorum caput ejus abscindunt, ac super malum navis pro signo victoriae suspendunt. Hoc plures de cacumine montis cum ingenti fletu et moestitia cernebant, sed hero suo succurrere non valebant. Deinde comprovinciales de tota regione adunati sunt, sed frustra, quia marchiso jam mactato suffragari nequiverunt. Classe tamen parata, piratas per mare fugientes persequebantur nimis tristes, dum caput principis sui super malum puppis intuebantur. Cumque Grithfridus et complices sui respicerent, et persecutores nimis iratos pro injuria herili adverterent, caput deposuerunt, et in mare projecerunt. Hoc ut Roberti milites conspexerunt, nequidquam prosequi homicidas desierunt. Corpus vero ejus cum nimio luctu Anglorum et Normannorum sustulerunt, et Cestram detulerunt, ibique in coenobio Sanctae Walburgae virginis sepelierunt. Nuper illud coenobium Hugo Cestrensis consul construxerat, eique Richardus Beccensis monachus abbas praeerat, ibique Deo monachorum gregem inter belluinos coetus nutriebat.
Post aliquot annos Ernaldus monachus, Unfridi
filius, in Angliam transfretavit, et ossa Rodberti fratris sui, Rodberto de
Limesia, Merciorum episcopo, concedente, sustulit; quae Rogerius abbas cum
conventu fratrum honorifice suscepit, et in claustro monachorum secus ecclesiam,
in meridiana parte, tumulavit. Praefatus Ernaldus, cum quatuor nobilibus socius,
Widone et Rogerio, Drogone et Odone, in adolescentia militiam deseruit, et
factus monachus, plus cunctis sodalibus suis in monachatu desudavit, et fere
quinquaginta annis in ordine monachili fervidus vixit. Hic nimirum ecclesiae
suae utilitati satis inhiavit, pro quibus Britannicum pelagus multoties
transfretavit, atque Apuliam et Calabriam, Siciliamque, ut de spoliis parentum
suorum ecclesiae suae subsidium suppeditaret, penetravit. Tunc Guillelmum,
abbatem sanctae Euphemiae, fratrem suum, et Guillelmum de Grantemaisnil,
consobrinum suum, aliosque cognatos suos in Italia locupletatos adiit, ipsisque
benigna vi quantum potuit, ut monasterio suo conferret, abstulit. Sic de rebus
parentum suorum ornatus, et alia commoda ecclesiae suae procuravit, ipsosque
consanguineos utilitatibus monasterii subjugavit. Multas injurias atque repulsas
plurimis in locis pertulit, sed ab incoepto conatu, licet plurimis
adversitatibus interdum et frequenter impediretur, depelli non potuit.
Praedictus vir his et hujusmodi nisibus sat procaciter studuit, ejusque studio
conditus super tumulum fratris sui, lapideus arcus usque hodie consistit.
Hoc in mausoleo, Rodbertus de Rodelento |
Comme l'Angleterre avait été violemment ébranlée de toutes parts par les tempêtes politiques dont nous venons de parler, et que les habitans du royaume se portaient journellement des coups mutuels, parce que les uns voulaient détrôner le roi, et que les autres défendaient virilement sa cause, Grithfrid, roi des Gallois, envahit avec son armée les frontières de l'Angleterre, et, dans les environs de Rhuddlan, versa beaucoup de sang, alluma beaucoup d'incendies, fit un butin considérable et emmena en captivité beaucoup d'hommes. Cependant Robert, seigneur de Rhuddlan, revenait du siége de Rochester quand il apprit des nouvelles si affreuses et si fâcheuses pour ses propres intérêts. Dans l'amertume de sa douleur, il fit éclater de grands gémissemens, et manifesta sa colère par les plus terribles menaces. Ce comte était un chevalier courageux et actif, éloquent et redoutable, libéral, et méritant beaucoup d'éloges pour ses nombreuses prouesses. Il avait été écuyer du roi Edouard, et avait reçu de lui le baudrier de chevalier. Umfrid, son père, était fils d'Umfrid, de race danoise. Sa mère Adelise, sœur de Hugues de Grandménil, appartenait à l'illustre famille des Giroie. Ce vaillant champion ne négligeait pas l'Eglise au milieu de ses travaux guerriers; il honorait avec affection les clercs et les moines, et selon ses moyens il donnait de bon cœur des aumônes aux pauvres. Il aima beaucoup surtout, et enrichit autant qu'il le put le couvent d'Ouche, où ses frères Ernauld et Roger étaient moines, et où son père, sa mère et quelques autres de ses parens reposaient enterrés. C'est ce qui le détermina à lui donner l'église du Tilleul et tout ce qu'il possédait dans l'église de Damblinville, ainsi que le presbytère. Il concéda aussi avec le presbytère ce qui lui appartenait dans l'église de Cornier11; il y joignit la dîme des moulins et de tous ses revenus, et la dîme de la dîme de sa table12. Ce même Robert donna en Angleterre, à Saint-Evroul et à ses moines, Cumbinell, terre de deux charrues, vingt villains, l'église avec son presbytère, toute la dîme et la terre que l'on appelle churchby, avec l'église et le presbytère, l'église de l'Ile, et, dans la ville de Chester, l'église de Saint-Pierre-du-Marché, et trois bourgeois. Afin que Saint-Evroul possédât d'une manière stable et sans trouble ces choses de même qu'il les avait données, Robert se rendit au chapitre d'Ouche, et confirma la concession de ces objets en présence de l'abbé Mainier et de l'assemblée des moines. Alors se trouvèrent là avec lui Razson doyen, Hugues de Milli, Guillaume l'échanson, fils de Grimon, et Roger, fils de Giroie, Durand et Barnelle, Osbern d'Orgères et Gautier le prevôt. Ces personnes furent présentes lorsque Robert se rendit à l'église, et y déposa sur l'autel la donation des objets que nous venons de spécifier. J'ai fait cette courte mention des dons que Robert fit à l'église d'Ouche, et je prie le lecteur prudent de ne pas rire inconsidérément de me voir me conformer, dans ma narration, quand l'occasion s'en présente, au titre que j'ai imposé à cet ouvrage. Robert, fils d'Umfrid, étant encore fort jeune, passa en Angleterre avec son père, et servit le roi Edouard dans son palais et à la guerre, jusqu'à ce qu'il eût été fait chevalier par ce prince. Ensuite, revêtu d'une brillante armure, et enrichi honorablement des faveurs du roi, il desira revoir ses parens; et, avec la permission d'Edouard, il se rendit gaîment dans sa patrie. Après la bataille de Senlac, le roi Guillaume étant occupé à faire tête à ses nombreux ennemis, le jeune guerrier passa de nouveau en Angleterre avec son cousin Hugues, fils de Richard d'Avranches, surnommé Goz; il se fit toujours remarquer parmi les plus vaillans dans toutes les affaires de guerre. Après beaucoup d'exploits, Hugues reçut le comté de Chester, et Robert fut fait chef de son armée13, et gouverneur de toute la province. Alors les Bretons, qui en étaient voisins, et que l'on appelle vulgairement Galles ou Gallois, se portaient à de grands excès contre le roi Guillaume et tous ses partisans. Le roi décida qu'il serait bâti à Rhuddlan une place forte pour tenir les Gallois en respect, et elle fut confiée à Robert, pour qu'il y défendît le royaume d'Angleterre contre les barbares. Ce marquis belliqueux eut souvent à combattre contre cette nation turbulente, et versa beaucoup de sang dans différentes rencontres. Il étendit ses frontières aux dépens des Bretons, repoussés de vive force, et bâtit une citadelle très-forte sur le mont d'Agaunoth, qui touche à la mer. Pendant quinze ans, il porta de rudes coups aux Bretons, et envahit le territoire de ces peuples, qui, fiers de leur antique liberté, ne voulaient être tenus à rien envers les Normands. Poursuivant l'ennemi à travers les forêts, les étangs et les monts escarpés, il le battit de toutes les manières. En effet, il tuait les uns comme des troupeaux quand ils tombaient dans ses mains; il jetait les autres pour long-temps dans les fers ou les soumettait cruellement à une injuste servitude. Il n'est pas permis à un chrétien d'opprimer ainsi ses frères qui, par le sacré baptême, ont acquis une nouvelle vie dans la foi du Christ. L'orgueil et la cupidité, qui par tout l'univers s'emparent du cœur des mortels, portaient sans mesure le marquis Robert à l'amour du butin et aux homicides, qui, par la suite, le plongèrent dans un horrible précipice; car le troisième jour de juillet, Grithfrid, roi des Gallois, aborda avec trois vaisseaux sous la montagne que l'on appelle Hormahève, et bientôt la troupe de ces pirates se répandit comme des loups ravissans dans le pays pour le ravager. Cependant la mer vint à se retirer au moment du reflux, et la flotte de ces corsaires resta à sec sur le rivage. Grithfrid pendant ce temps-là parcourait les côtes; il enlevait les hommes et les bestiaux; puis il se rendit en hâte vers ses vaisseaux restés à sec. Dans cette circonstance, les cris du peuple arrachèrent au sommeil Robert, qui faisait la méridienne, et lui firent connaître l'incursion des ennemis sur ses terres. Sans balancer, il se leva aussitôt dans le costume où il se trouvait, et envoya à l'instant même dans tout le pays ses hérauts pour rassembler la troupe de ses soldats. Alors, sans avoir pris soin de se revêtir de ses armes, s'étant mis à la tête d'un petit nombre de guerriers, il s'attacha à la poursuite des Gallois, et vit, du sommet du mont Hermohève, qui est très-élevé, les pirates enchaîner leurs captifs et les jeter dans leurs navires avec les troupeaux qu'ils avaient enlevés. A cette vue, l'intrépide marquis frémit comme un noble lion, et engagea le petit nombre de soldats qu'il conduisait, et qui n'étaient pas mieux armés que lui-même, à charger les Gallois sur la grève encore sèche, avant que le flux ne vînt la recouvrir. Ces hommes lui représentèrent qu'ils étaient en petit nombre, et la difficulté de descendre le long du précipice de cette côte escarpée. Enfin Robert voyant que la troupe ennemie attendait avec son butin le retour de la mer pour s'enfuir, éprouva une vive douleur, et se détermina, impatient qu'il était de tout retard, à descendre sans cuirasse vers l'ennemi, et par une pente difficile, avec un seul chevalier nommé Osbern d'Orgères. Les ennemis le voyant couvert d'un simple bouclier, et accompagné d'un seul homme, lui décochent unanimement leurs flèches, chargent son écu d'un poids insupportable de traits, et blessent à mort le vaillant Osbern. Tant que Robert resta debout et tint son bouclier, personne n'eut la hardiesse de l'approcher ni de l'attaquer avec l'épée. Enfin ce belliqueux héros, percé de flèches, fut forcé de fléchir le genou, et, épuisé de fatigues, laissa échapper le bouclier surchargé du poids qui l'accablait, puis recommanda son ame à Dieu et à sainte Marie, mère du Sauveur. Alors tous les pirates se précipitent sur lui, et, à la vue des siens, lui coupent la tête, et l'attachent au mât de leur vaisseau en signe de victoire. Du sommet de la montagne, plusieurs virent ce spectacle avec une grande douleur, et en répandant des larmes; mais ils ne pouvaient secourir leur maître. Enfin les hommes de toute la province se réunirent, mais inutilement, puisqu'ils ne purent sauver leur chef déjà mis à mort. Dans l'excès de leur tristesse, ayant enfin préparé des vaisseaux, ils se mirent à la poursuite les pirates, qui s'enfuyaient sur la mer, et au mât desquels ils voyaient avec une profonde affliction la tête de leur chef. Grithfrid et ses complices voyant qu'on les poursuivait, et considérant la fureur qu'éprouvaient les Normands de l'outrage fait à leur chef, détachèrent la tête, et la jetèrent dans les flots. A cette vue, les chevaliers de Robert cessèrent de poursuivre inutilement les assassins. On fit l'enlèvement du corps au milieu du grand deuil des Anglais et des Normands; il fut porté à Chester, où on l'ensevelit dans le couvent de la vierge Sainte-Valburge. Hugues, comte de Chester, avait depuis peu de temps bâti ce monastère, qui avait pour abbé Richard, moine du Bec. C'est là qu'il nourrissait pour le service de Dieu un troupeau de moines au milieu des troupes de loups ravissans. Au bout de quelques années, le moine Ernauld, fils d'Umfrid, passa en Angleterre, enleva les restes de son frère Robert, avec la permission de Robert de Lyme, évêque des Merciens, et le transporta en Normandie au monastère d'Ouche: l'abbé Roger avec ses moines reçut honorablement ces restes, et les inhuma dans le cloître le long de l'église au midi. Ernauld, dont nous venons de parler, quitta les armes dès l'adolescence avec quatre nobles compagnons, Gui, Roger, Drogon et Odon; devenu moine, il l'emporta sur eux par sa ferveur monacale, et pendant près de cinquante ans vécut plein de zèle pour l'ordre. Il montra toujours beaucoup d'ardeur pour les intérêts de son église, pour lesquels il passa plusieurs fois en Angleterre, en Pouille, en Calabre et en Sicile, afin d'enrichir son église des dépouilles de ses parens. C'est alors qu'il alla trouver Guillaume, abbé de Sainte-Euphémie, son frère, Guillaume de Grandménil, son cousin, et plusieurs autres de ses parens qui avaient fait fortune en Italie. Il leur enleva avec une douce violence le plus qu'il put de secours pour son couvent. Ainsi chargé des dons de sa famille, il procura à son église beaucoup d'ornemens et d'autres avantages, et sacrifia sa propre famille aux intérêts du monastère. Il souffrit en beaucoup de lieux des injures et des rebuffades; mais rien ne put le détourner de son entreprise, quoiqu'il trouvât de fréquens obstacles et qu'il eût quelques contrariétés à supporter. Ernauld ne ralentit rien de son zèle, et tel fut le genre d'efforts auxquels il se voua constamment. C'est par ses soins que le tombeau de son frère fut décoré d'une arcade de pierre qui existe encore aujourd'hui. Le peintre Rainauld surnommé Barthélemi peignit de diverses couleurs cette arcade et ce tombeau, et l'Anglais Vital, prié instamment par Ernauld, fit en vers élégiaques l'épitaphe suivante: Sous ce mausolée repose Robert de Rhuddlan, enseveli suivant l'usage des humains dans le sein de la terre. Fils d'Umfrid, qui naquit du sang des Danois, ce jeune homme fut illustre et brave, généreux et vaillant, actif, beau et entreprenant. Tel ce chevalier se montra dans l'univers, tant que la vie lui fut accordée. Marquis libéral, fidèle ami de ses compagnons, il obéit à l'Eglise comme à la mère du Christ. Toujours il honora les prêtres, les moines, les orphelins et les pélerins, et leur prodigua ses largesses. Il bâtit le château de Rhuddlan et l'occupa long-temps, tenant ferme contre des voisins furieux. Supportant volontairement et d'une ame intrépide mille périls qui s'offrirent à lui, il porta les armes contre les nations barbares. Il traversa plusieurs fois tout armé le mont Snowdon, et le rapide fleuve de Colven; suivi de peu de guerriers, il enleva dans une embuscade un butin considérable, en mettant en fuite le beau roi Bliden; il fit prisonnier et chargea de chaînes Hoël, roi qui commandait alors les troupes galloises. Il prit aussi le roi Grithfrid, et vainquit Tréhell. Tels sont les titres nombreux de sa gloire. Toutefois, ayant imprudemment attaqué les Gallois, il trouva la mort au commencement des chaleurs de juillet. Owen et le roi Hoël triomphèrent de la vengeance qu'ils obtinrent sous le mont Hormahève. Grithfrid lui trancha la tête de son glaive et la jeta dans la mer. Le reste de son corps est conservé dans ce tombeau. Puisse-t-il, par les mérites du saint père Evroul, dans le cloître duquel il repose, obtenir un salut complet! Jadis plein de vigueur, ici il repose inanimé. Quelles douleurs, hélas, pour toute la patrie! Ici devenu poussière, il est sans utilité. En conséquence, pieux lecteur, souvenez-vous de lui: pour qu'il soit placé dans le palais du Ciel priez dignement, les larmes aux yeux, le Dieu qui gouverne toutes choses. O Christ, splendeur de Dieu, créateur de la vie, réparateur de l'univers, montrez-vous propice à votre serviteur. Enlevez Robert aux foyers du Tartare; effacez, je vous prie, les crimes dont il est trop coupable. Epargnez le guerrier qui dans ses cris invoqua la vierge Marie, et tomba criblé de traits cruels. Pardonnez-lui ses fautes, accordez-lui de durables trésors, afin qu'il puisse assister sans cesse aux célestes chœurs. Ainsi soit-il.»
|
V. Mala Roberti ducis administratio. Instigante Odone episcopo Cenomanenses invadit. Guillelmo Rufo per omnes Anglorum regiones dominante, et ubique rebelles principali censura fortiter comprimente, turgidus Odo, de Anglia ejectus, Bajocensem dioecesim repetiit, et Rodberto duce molliter agente, toti Normanniae dominari sategit. Provincia tota erat dissoluta, et praedones catervatim discurrebant per vicos et per rura, nimiumque super inermes debacchabatur latrunculorum caterva. Rodbertus dux nullam super malefactores exercebat disciplinam, et grassatores per octo annos sub molli principe super imbecillem populum suam agitabant furiam. Importune sanctam Ecclesiam vexabant, et possessiones, quas antecessores boni liberaliter dederant, violenter auferebant aut devastabant. Desolata gemebant monasteria, et monachi ac sanctimoniales grandi premebantur penuria. In tantarum simultatum pestilentia, nullus honos Deo sacratis exhibebatur, seu reverentia. Quotidie fiebant incendia, rapinae et homicidia, et lugebat plebs, nimiis calamitatibus anxia. Filii nequam emergebant in Normannia, qui enormi cum aviditate ad cuncta prompti erant facinora, et crudeliter materna depascebantur viscera. Inter haec impune procedebat petulans illecebra, molles flammisque cremandos turpiter foedabat Venus sodomitica. Maritalem torum publice polluebant adulteria, et erga divinae legis observantiam multiplex aderat negligentia. Episcopi ex auctoritate Dei exleges anathematizabant, theologi prolatis sermonibus Dei reos admonebant. Sed his omnibus tumor et cupiditas cum satellitibus suis immoderate resistebant. Adulterina passim municipia condebantur, et ibidem filii latronum, ceu catuli luporum ad dilacerandas bidentes, nutriebantur. Occasiones inimicitiarum ab iniquis quaerebantur, ut mutuis conflictibus finitimae sedes frequentarentur, et rapacitates cum incendiis irreverenti conatu agitarentur. Graviter hoc sentit et mihi attestatur depopulata regio, et gemens viduarum debiliumque, pluribus oppressa malis, concio. Sic per desidiam ignavi ducis in brevi disperiit, et in magnam egestatem ac perturbationem dedecusque cecidit quidquid per vivacitatem studiumque solertis heri et fautorum ejus actum est, longoque tempore in Neustria propagatum est. In aestate, postquam certus rumor de Roffensis [oppidi] deditione citra mare personuit, Henricus Clito, Constantiniensis comes, in Angliam transfretavit, et a fratre suo terram matris suae requisivit. Rex autem Guillelmus benigniter eum, ut decuit fratrem, suscepit, et quod poterat (13) fraterne concessit. Deinde peractis pro quibus ierat, in autumno regi valefecit, et cum Rodberto Belesmensi, qui jam per amicos potentes cum rege pacificatus erat, in Normanniam remeare disposuit. Interea quidam malevoli discordiae satores eos anticipaverunt, et falsa veris immiscentes, Rodberto duci denuntiaverunt quod Henricus frater suus, et Rodbertus Belesmensis cum rege Rufo essent pacificati, ac ad ducis damnum sacramenti etiam obligatione confoederati. Dux igitur, illos potentes ac fortissimos milites sciens, eorumque conatus valde pertimescens, cum Bajocensi episcopo consilium iniit, et praefatos optimates praeoccupavit. Nam, antequam aliquid molirentur, cum securi ad littus maris de navibus egrederentur, valida militum manu missa, illos comprehendit, vinculis coarctavit, et unum Bajocis, aliumque Noilleio, sub manu Bajocensis tyranni, custodiae mancipavit. Rogerius, comes Serohesburiae, ut Rodbertum filium suum captum audivit, accepta a rege licentia, festinus in Neustriam venit, et omnia castella sua militari manu contra ducem munivit. Porro Bajocensis Odo, velut ignivomus draco projectus in terram, nimis iratus contra regis insolentiam, variis seditionibus commovebat Normanniam, ut sic de aliquo modo nepoti suo, a quo turpiter expulsus fuerat, machinaretur injuriam. Ipsum nempe dux multum metuebat, et quibusdam consiliis ejus acquiescebat, quaedam vero flocci pendebat. Undique furentibus in Normannia seditiosis, et multa mala cupientibus addere, pessimus praesul Odo ad ducem Rothomagum venit, et consideratis totius provinciae negotiis, duci ait: « Quisquis gubernaculum regni debet tenere, populoque Dei, qui diversis in moribus diffusus est, praeeminere, mitis et asper prout ratio expetit, sit! ubique sit mitis ut agnus bonis et subjectis ac humilibus; asper autem ut leo pravis et rebellibus ac contumacibus! Hoc, domine dux, sagaciter perpende, ut bene nobili praesis ducatui Normanniae, quem divinitus suscepisti ex paterna successione. Confortare et viriliter age. Ecce protervi et exleges per totam terram debacchantur, et pessimis assiduisque actionibus pene paganis assimilantur, et enormitate scelerum, si dici fas est, adaequantur. Clamant ad te monachi et viduae, et dormis. Inaudita facinora frequenter audis et parvipendis. Non sic egit sanctus David, nec magnus Alexander. Non sic Julius Caesar, nec Severus afer. Non sic Annibal Carthaginensis, nec Scipio Africanus, nec Cyrus Persa, nec Marius Romanus. Quid moror in relatione barbarorum, obscura quorum etiam nomina tibi sunt incognita? Replicemus notiora, et sanguini nostro propinquiora. Reminiscere patrum et proavorum, quorum magnanimitatem et virtutem pertimuit bellicosa gens Francorum. Rollonem dico, et Guillelmum Longam-Spatam, atque tres Richardos, et Rodbertum avum tuum, postremo Guillelmum patrem tuum, cunctis antecessoribus sublimiorem. Horum, quaeso, rigorem aemulare et efficaciam, sicut illi praedecessorum suorum sectati sunt vigorem et industriam, qui regna mundi per immensos labores obtinuerunt, tyrannos compresserunt et saevas gentes edomuerunt. Expergiscere, et invictum aggrega exercitum Normanniae, et in urbem Cenomannicam proficiscere. Ibi sunt municipes tui in arce, quam pater tuus condidit, et tota civitas, cum venerabili Hoello episcopo, tibi gratanter obedit. Jube ut illuc omnes Cenomanensium proceres veniant ad te, et obsecundantibus laetis affatibus et benevola mente congratulare. Contemnentes vero cum virtute militari aggredere, et munitiones eorum, nisi cito dediderint se, protinus obside. Cenomanensibus subjugatis, Rogerium comitem aggredere, et ipsum cum progenie sua de finibus Normanniae funditus exclude. Ne timeas, sed in virtute Dei confidas. Virile robur arripe, et consiliis sapientium utere. Jam Rodbertum, Rogerii primogenitum, tenes in carcere. Jam, si pertinaciter, ut bonum ducem decet, perstiteris in agone, Talvatios subversores de ducatu tuo poteris penitus expellere. Maledica est prosapia eorum, alit nefas, et machinatur quasi jus haereditarium. Hoc nimirum horrenda mors eorum attestatur, quorum nullus communi et usitato fine, ut caeteri homines, defecisse invenitur. Talavatiana propago, nisi nunc eam eradicaveris, adhuc, ut opinor, noxia tibi erit et inexpugnabilis. Habent quidem fortissima castella, Bellismum, Lubercionem, Axeium, Alentionem, Danfrontem, Sanctum Cenericum, Rupem de Ialgeio, pro qua ab audaci Hugone digladiata est Mabilia, Mamercias, et Vinacium, et alia plura, quae Guillelmus Bellesmensis et Rodbertus, Ivo et Guarinus, aliique successores eorum superbe construxerunt, aut vi, seu fraude, dominis suis vel finitimis subripuerunt. Dolis et scelestis machinationibus semper inhiaverunt, nec ulli amicorum vel affinium fidem servaverunt. Simplicibus itaque vicinis nece seu captione supplantatis, admodum creverunt, et ingentes domos ac fortissimas munitiones cum nimio sudore pagensium condiderunt. Nunc omnia, optime dux, jure illis auferre poteris, si magnanimi patris tui et operum ejus fortis aemulator exstiteris. Pater enim tuus omnia praedicta munimenta in vita sua habuit, et quibuscunque voluit, ad tutandum commendavit. Verum Rodbertus, quem jam ligatum coerces, mox ut regem defunctum audivit, municipes tuos de munitionibus tuis per superbiam suam expulit, suaeque ditioni, ut exhaereditaret te, munimina subegit. Haec omnia quae dixi, sapienter inspice, ac ut bonus princeps, pro pace sanctae matris Ecclesiae, et pro defensione pauperum debiliumque laudabiliter exsurge, et resistentes virtute contere. Confractis cornibus primorum, qui cervicem erexerunt contra te, reliqui, visa dejectione contubernalium, formidabunt te, et jussis tuis famulabuntur sine contradictione. Tunc populus Dei sub tutela protectionis tuae securus in pace laetabitur, et pro salute tua omnipotentem Deum pie deprecabitur. Cultus divinitatis in regione tua cunctis ab ordinibus jugiter celebrabitur, et lex Dei cum securitate communi salubriter observabitur. » Exhortatoriam antistitis allocutionem omnes, qui aderant, laudaverunt, et sese ad ducis officium pro defensione patriae totius hilariter obtulerunt. Dux igitur Rodbertus, aggregato exercitu, Cenomannis profectus est, et tam a clero quam a civibus tripudianter susceptus est. Deinde, legationibus ejus auditis, convenerunt ad eum Goisfredus Madeniensis, Robertus Burgundio, et Helias filius Joannis, aliique plures parati ad servitium ducis. Agminibus vero Normannorum praeerant praesul Bajocensis, et Guillelmus comes Ebroicensis. Radulfus de Conchis, et nepos ejus Guillelmus Bretoliensis, aliique militares viri, multis probitatibus praecipui. Paganus de Monte-Dublelis, cum aliis contumacibus castrum Balaonem tenebat, et venienti duci cum turmis suis acriter resistebat. Ibi Osmundus de Gaspreio, pulcherrimus miles et honorabilis, Kalendis Septembribus occisus est. Cujus corpus ab Ernaldo monacho Uticum deductum est, et in porticu ante valvas ecclesiae sepultum est. Post plurima damna utriusque partis, Balaonenses pacem cum duce fecerunt, et postmodum Normanni simul ac Cenomanenses cum duce castrum Sancti Cerenici obsederunt. Ibi familia Rodberti Belesmensis erat, cui Rodbertus Quadrellus, acerrimus miles et multo vigore conspicuus, praeerat; qui hortatu Rogerii comitis obsidentibus fortiter obstabat. Verum, deficiente alimonia, castrum captum est, et praefatus municeps jussu irati ducis protinus oculis privatus est. Aliis quoque pluribus qui contumaciter ibidem restiterant principi Normanniae, debilitatio membrorum inflicta est ex sententia curiae. Tunc Gaufridus Madeniensis cum Cenomanensibus tribunis ad ducem accessit, eique Rodbertum Geroium, Rodberti Geroiani filium, praesentavit: « Iste, inquit, vir, domine dux, consobrinus tuus est, et in Apulia cum parentibus tuis, qui magna ibidem potentia pollent, jamdudum conversatus est. Nunc autem ad te, dominum suum et consanguineum, fiducialiter accedit, servitiumque suum tibi fideliter offerens, hoc a te castrum jure requirit, quod pater suus omni vita sua haereditario jure possedit, tenuit et isthic obiit. » Tunc Rodbertus dux ista poscentibus facile annuit, et Rodberto Geroio castellum Sancti Cerenici reddidit. Ille vero fere XXXVI annis postmodum tenuit, muris et vallis, zetisque munivit, et moriens Guillelmo et Rodberto filiis suis dereliquit. Habitatoribus hujus municipii quies et pax pene semper defuit, finitimique Cenomanenses, seu Normanni insistunt. Scopulosum montem anfractus Sartae fluminis ex tribus partibus ambit, in quo sanctus Cerenicus, venerandus confessor, tempore Milehardi, Sagiorum pontificis, habitavit. Ibi monachis coenobium fundavit, cum glorioso coetu domino militante, vitaeque cursu beate peracto, Nonis Maii feliciter ad Dominum migravit. Denique Carolo Simplice regnante, dum Hastingus Danus cum gentilium phalange Neustriam depopulatus est, sanctum corpus a fidelibus in Castrum Theoderici translatum est, et, dispersis monachis, monasterium destructum. Succedenti vero tempore, incolarum facta est mutatio. Sanguinarii praedones ibi speluncam latronum condiderunt, ubi sub regimine Sancti Cerenici contemptores mundi modeste conversati sunt, et in ordine monachico jugum Domini fine tenus gesserunt. Centum quadraginta, ut fertur sub praefato archimandrita cultores ibidem in vinea Domini Sabaoth laboraverunt, quorum lapidea sepulcra palam adventantibus inter basilicam et in circuitu ejus testimonio sunt, cujus meriti et reverentiae homines inibi requiescant. Scelesti ergo habitatores multa infortunia merito perpessi sunt, et caedibus ac combustionibus, multimodisque pressuris ac dejectionibus frequenter afflicti sunt. Municipes Alencionis et Bellesmi, aliarumque munitionum, ut audierunt quam male contigerit Rodberto Quadrello, et complicibus qui cum eo fuerant, valde territi sunt, et ut debitas venienti duci munitiones redderent, consilium inierunt. Verum Rodbertus ab incoepta virtute cito defecit, et, mollitie suadente, ad tectum et quietem avide recurrit, exercitumque suum, ut quisque ad sua repedaret, dimisit. |
Guillaume-le-Roux ayant établi sa domination sur toutes les contrées de son royaume, et ayant fortement comprimé par la vigueur de ses mesures ceux qui avaient pris les armes contre lui, l'orgueilleux Odon, chassé d'Angleterre, se rendit dans le diocèse de Bayeux, et trouvant le duc Robert livré à la mollesse, chercha à dominer sur toute la Normandie. La province entière tombait en dissolution, les brigands parcouraient en troupes les bourgs comme les campagnes, et des bandes de voleurs se livraient à toute sorte d'excès contre le peuple désarmé. Le duc ne prenait aucune mesure contre ces malfaiteurs, qui, durant huit ans, sous ce prince faible, exercèrent leurs fureurs sur une population sans défense. Ils vexaient sans pitié la sainte Eglise, lui enlevaient violemment ou dévastaient les possessions qu'autrefois les gens de bien lui avaient libéralement données. Les monastères désolés gémissaient; les moines et les religieuses étaient dans une grande détresse. Au milieu de la contagion de tant de haines, les objets consacrés à Dieu n'étaient ni honorés ni respectés. Chaque jour était marqué par des incendies, des brigandages et des meurtres; et le peuple, tourmenté d'excessives calamités, était plongé dans le deuil. La Normandie donnait naissance à de méchans enfans, qui avec une avidité cruelle étaient disposés à toute sorte d'attentats, et dévoraient avec barbarie le sein de leur mère. S'animant au milieu de ces désordres, qui pour elle avaient des attraits, la Vénus sodomitique souillait honteusement des efféminés, qui auraient mérité le supplice du bûcher. L'adultère profanait publiquement la couche conjugale, et l'inobservance de la loi divine se présentait sous tous les aspects. En vertu de l'autorité de Dieu, les évêques lançaient l'anathème sur ceux qui enfreignaient ses lois. Dans leurs sermons, les théologiens donnaient aux coupables de salutaires avertissemens; mais l'orgueil et la cupidité sous les armes opposaient une insurmontable résistance. En divers lieux on bâtissait des forteresses illicites; et là les enfans des brigands, comme de jeunes louveteaux, étaient élevés pour déchirer les brebis. Les méchans ne cherchaient que des occasions de haine, afin que, dans les hostilités réciproques, les endroits voisins des frontières14 fussent souvent envahis, et que, dans la violence des démêlés, il ne fût plus question que de brigandages et d'incendies. C'est ce que sentirent cruellement et attestent encore le pays dépeuplé et la multitude gémissante des veuves et des gens sans défense que toutes sortes de maux accablaient. C'est ainsi que par la nonchalance d'un prince indolent dépérit en peu de temps et se tourna en indigence, en trouble et en déshonneur tout ce qui avait été fait de bien par l'activité et les soins d'un maître habile et de ses serviteurs, ainsi que tout ce qui, pendant si long-temps, avait été produit à l'avantage de la Neustrie. Dans le courant de l'été, après qu'un bruit certain eut annoncé au delà des mers la reddition de Rochester, Henri Cliton, comte du Cotentin, passa en Angleterre, et réclama de Guillaume-le-Roux les possessions de leur mère. Le roi le reçut avec bonté, l'accueillit comme il convient à un frère, et lui accorda fraternellement tout ce qu'il demandait. Ayant obtenu l'objet de son voyage, Henri fit ses adieux à Guillaume pendant l'automne, et se disposa à retourner en Normandie avec Robert de Bellême, qui, par l'entremise de quelques amis puissans, avait fait sa paix avec le roi. Cependant quelques artisans de discorde prirent les devans, et mêlant le mensonge à la vérité, annoncèrent au duc Robert que son frère Henri et Robert de Bellême avaient traité avec Guillaume-le-Roux, et, au préjudice du duc, s'étaient liés par les obligations du serment. Robert sachant combien étaient puissans et braves les chevaliers auxquels il aurait affaire, et redoutant beaucoup leurs entreprises, prit conseil de l'évêque de Bayeux, et les fit arrêter. Avant qu'ils pussent rien faire, comme ils descendaient au rivage de la mer, il envoya une forte troupe de soldats qui les saisit et les jeta dans les fers; il les confia à la garde du tyran de Bayeux, l'un dans cette ville et l'autre à Neuilli15. Roger, comte de Shrewsbury, ayant appris que son fils Robert était prisonnier, passa en toute hâte en Normandie avec la permission du roi, et mit des garnisons dans tous ses châteaux pour résister au duc. Cependant l'évêque de Bayeux, Odon, comme un dragon abattu qui vomit des flammes, outré de ressentiment pour l'affront qu'il avait reçu du roi, excitait toutes sortes de troubles en Normandie afin de préparer, de quelque manière que ce fût, des embarras à son neveu qui l'avait honteusement chassé. Le duc, craignant beaucoup Odon, cédait à quelques-uns de ses avis, et dédaignait les autres. Pendant que de toutes parts les séditieux exerçaient leurs fureurs et cherchaient l'occasion d'augmenter encore le mal, le criminel prélat alla trouver le duc à Rouen, et examinant les affaires de la province, il lui dit: «Quiconque est chargé de tenir les rênes du gouvernement et de commander au peuple de Dieu, qui n'est pas le même partout, doit se montrer doux ou sévère comme la raison l'exige, plein de douceur comme un agneau pour ceux qui sont bons, humbles et soumis, sévère comme le lion pour les méchans, les rebelles et les insolens. Réfléchissez attentivement, seigneur duc, afin de bien gouverner le noble duché de Normandie, qui, par la faveur de Dieu, vous est venu de la succession paternelle: prenez courage, et agissez virilement. Vous voyez que des hommes sans pudeur et sans lois se livrent à toutes sortes d'excès sur toutes vos terres, imitent pour ainsi dire les Païens par leurs forfaits continuels, et les égalent, s'il est permis de le dire, par l'énormité de leurs attentats. Les moines et les veuves élèvent leurs cris vers vous, et vous dormez! Vous entendez fréquemment parler de forfaits inouïs, et vous ne vous en occupez pas! Ce n'est pas ainsi qu'agissaient le saint roi David et Alexandre-le-Grand, ni Jules-César, ni Septime Sevère, que vit naître l'Afrique, ni Annibal le Carthaginois, ni Scipion l'Africain, ni le Perse Cyrus, ni le Romain Marius. Pourquoi m'arrêté-je à vous citer des Barbares dont les noms obscurs vous sont inconnus? Venons-en à des princes que nous connaissons mieux, et qui touchent de près à notre sang. Souvenez-vous de vos pères et de vos aïeux dont la nation française, toute belliqueuse qu'elle est, a tant redouté la magnanimité et la valeur. Je veux parler de Rollon, Guillaume-Longue-Epée, les trois Richard, Robert votre aïeul, et enfin Guillaume votre père, le plus illustre de vos ancêtres. Imitez, je vous prie, leur fermeté et leur sagesse de même qu'ils ont pris pour modèle la vigueur et l'habileté de leurs prédécesseurs, qui obtinrent l'empire du monde pour prix de leurs travaux immenses, comprimèrent les tyrans, et soumirent des nations cruelles. Réveillez-vous, rassemblez l'invincible armée de Normandie, et partez pour la ville du Mans. Là vos garnisons occupent la citadelle que bâtit votre père; toute la ville vous obéit de bonne grâce ainsi que Hoel son vénérable évêque. Appelez-y tous les grands du Maine; donnez-leur avec bienveillance, et dans de gracieux entretiens, les éloges qu'ils méritent. Attaquez au contraire avec vigueur ceux qui méprisent votre pouvoir. Assiégez sans délai leurs places fortes s'ils ne se soumettent pas à l'instant même. Après avoir subjugué les Manceaux, attaquez le comte Roger, et chassez-le à jamais ainsi que sa race loin du territoire normand. N'ayez aucune crainte et fiez-vous dans la vertu de Dieu; déployez les forces d'un homme, et employez les avis des sages. Vous tenez déjà dans les fers Robert, le fils aîné de Roger. Si vous vous comportez avec une fermeté opiniâtre comme il convient à un bon prince, vous pourrez chasser à jamais de vos Etats ces Talvas toujours séditieux. Leur race est maudite; elle entretient le crime et le prépare comme par droit héréditaire. C'est ce que n'atteste que trop le trépas horrible de ces hommes dont on ne voit aucun mourir d'une manière ordinaire et commune, comme le reste des mortels. La race des Talvas, si vous ne l'extirpez pas, vous deviendra, je pense, pernicieuse et indomptable. En effet, ils possèdent les châteaux les plus forts, Bellême, l'Urson16, Essai17, Alençon, Domfront, Saint-Céneri, la Motte d'igé18, pour laquelle Mabile tomba sous le glaive de Hugues, Maraers, Vignas19, et plusieurs autres places qui doivent leur existence à l'orgueil de Guillaume de Bellême, de Robert d'Ives, de Guérin et de leurs successeurs, ou que ces princes ont ravies soit par violence, soit par ruse à leurs légitimes seigneurs ou à leurs voisins. Ils ont toujours aspiré à commettre des perfidies et des entreprises criminelles, et ils ne se sont jamais montrés fidèles à leurs engagemens envers aucun de leurs amis ou de leurs voisins. Leur puissance s'est élevée sur la mort ou la captivité de leurs voisins, victimes de trop de confiance; c'est au prix de la sueur prodiguée par les gens du pays qu'ils ont élevé tant de palais et de citadelles redoutables. Maintenant, généreux duc, vous pouvez enlever aux Talvas tous leurs biens, si vous voulez vous montrer digne imitateur de votre magnanime père et de ses œuvres. En effet, votre père possédait de son vivant toutes ces places fortes, et en confiait la garde à qui bon lui semblait; mais Robert, que vous tenez prisonnier, ayant appris la mort du roi, chassa avec arrogance vos garnisons du sein de vos forteresses, et les soumit à ses lois pour vous en déshériter. Considérez sagement tout ce que je vous ai dit; levez-vous honorablement comme un bon prince pour rendre la paix à la sainte mère Eglise, et pour défendre les pauvres ainsi que les faibles; écrasez courageusement tout ce qui vous résiste; quand vous aurez brisé les cornes de ceux qui les lèvent contre vous, le reste, voyant la chute de ses complices, tremblera devant vous, et, sans résistance, s'empressera d'obéir à vos ordres. Alors le peuple de Dieu, goûtant la sécurité sous l'abri de votre protection, pourra se réjouir en paix et priera pieusement le Dieu tout-puissant pour votre salut. Tous les ordres dans vos Etats célébreront constamment le culte divin, et dans la sécurité commune la loi de Dieu sera salutairement observée.» Toute l'assistance donna beaucoup d'éloges à l'allocution dans laquelle le prélat faisait ces exhortations, et s'offrit joyeusement à défendre la patrie pour le service du duc. En conséquence, le duc Robert ayant réuni son armée, partit pour le Mans, et fut accueilli avec une grande joie tant par le clergé que par les citoyens. Dès qu'ils eurent reçu ses messages, Geoffroi de Mayenne, Robert le Bourguignon, Hélie fils de Jean, et plusieurs autres seigneurs vinrent le trouver, préparés à le servir. L'armée des Normands était commandée par l'évêque de Bayeux, par Guillaume, comte d'Evreux, par Raoul de Conches, et par Guillaume de Breteuil, son neveu, ainsi que par plusieurs autres chevaliers d'un grand mérite. Païen de Mont-Doubleau avec quelques révoltés tenait le château de Balon, et résista vigoureusement au duc lorsqu'il se présenta avec ses troupes. Là, Osmand de Gâprée20, chevalier très-beau et très-honorable, fut tué le jour des calendes de septembre; son corps fut conduit à Ouche par le moine Ernault, et inhumé sous le porche devant les portes de l'église. Après plusieurs pertes de part et d'autre, la garnison de Balon fit sa paix avec le duc; ensuite les Normands et les Manceaux réunis allèrent avec lui assiéger le château de Saint-Céneri. Là se trouvait la famille de Robert de Bellême, à la tête de laquelle était Robert Quarrel, très-brave chevalier et doué d'une force remarquable. Encouragé par le comte Roger, il tint bon contre les assiégeans: cependant le château fut pris faute de vivres, et le châtelain, dont nous venons de parler, fut, par l'ordre du duc irrité, condamné à avoir les yeux crevés. Plusieurs autres de ceux qui avaient fait une criminelle résistance furent mutilés en vertu d'une sentence de la cour du duc de Normandie. Alors Geoffroi de Mayenne avec tous les seigneurs Manceaux alla trouver le duc, lui présenta Robert Giroie, fils de Robert du même nom, et lui parla en ces termes: «Seigneur duc, cet homme est votre cousin, il a long-temps demeuré en Pouille avec ses parens, qui jouissent d'un grand pouvoir. Maintenant il vient à vous avec confiance, comme à son maître et à son cousin; il vous offre fidèlement ses services; il vous demande à bon droit le château que son père a possédé toute sa vie par droit héréditaire, qu'il a défendu, et où il est mort.» Le duc Robert accorda facilement cette demande, et rendit à Robert Giroie le château de Saint-Céneri. Il l'occupa depuis pendant près de trente six ans, le fortifia de murailles, de retranchemens et de lieux d'habitation, puis le laissa en mourant à ses fils Guillaume et Robert. Les habitans de cette place n'ont presque jamais joui de la paix ni du repos, trop voisins qu'ils sont des Manceaux et des Normands. Ce rocher montueux est entouré de trois côtés par les détours de la rivière de Sarthe; là, saint Cérenic21, vénérable confesseur, habita du temps de Milehard, évêque de Seès22; il y fonda un couvent de moines, dont la glorieuse troupe combattit pour le Seigneur; ayant saintement accompli le cours de sa vie, il se rendit pour son salut auprès de Dieu, le 7 mai. Enfin sous le règne de Charles-le-Simple, lorsque le Danois Hastings ravagea la Neustrie avec une troupe de Païens, le saint corps de Cérenic fut transporté par les fidèles à Château-Thierri, les moines furent dispersés et le couvent détruit. Dans la suite des temps le sort des habitans changea. De sanguinaires brigands établirent une horrible retraite sur ce rocher, où, sous la conduite de saint Céneri, des hommes qui méprisaient le monde avaient vécu modestement, et porté jusqu'à la mort le joug du Seigneur dans l'ordre monacal. On rapporte que cent quarante moines y avaient cultivé la vigne du Seigneur Sabaoth23, sous cet archimandrite: leurs tombeaux de pierre, placés dans l'église et tout autour, attestent évidemment, à ceux qui les visitent, par quelles vertus se distinguèrent et quels respects méritent les hommes qui y reposent. Quant aux scélérats qui les remplacèrent, ils endurèrent à bon droit beaucoup de calamités: ils eurent souvent à souffrir du meurtre, de l'incendie, de plusieurs infortunes et de grandes misères. Les hommes d'armes d'Alençon, de Bellême et des autres places fortes ayant appris le sort tragique de Robert Quarrel et de ses complices,vivement effrayés, prirent conseil entre eux pour remettre, comme il convenait, leurs forteresses au duc qui allait se présenter. Cependant Robert ne tarda pas à décheoir de la vigueur qu'il avait d'abord montrée; entraîné par sa mollesse, il revint avec empressement à son palais et au repos, et congédia son armée, dont chacun retourna chez soi. |
VI. Rogerus Cenomanensis comes cum Roberto duce pacem facit.--Nequitia Roberti comitis Belesmensis.--Normanniae magnates inter se belligerant. Rogerius igitur comes, dissolutis agminibus Normannorum atque Cenomanensium, gavisus est, et per dicaces legatos a duce pacem, filiique sui absolutionem postulans, multa falso pollicitus est. Dux autem, qui improvidus erat et instabilis, ad lapsum facilis, ad tenendum justitiae rigorem mollis, ex insperato frivolis pactionibus infidorum acquievit, et pace facta Rogerio comiti petita concessit, atque Rodbertum Belesmensem a vinculis absolvit. Ille vero jam liberatus intumuit, jussa ducis atque minas minus appretiavit praesentisque memor injuriae, diutinam multiplicemque vindictam exercuit. Nam per XV annos, quibus postmodum in Neustria simul manserunt, admodum furuit, totamque terram ejus pluribus modis turbavit. Multos ab auxilio ejus et famulatu callidis tergiversationibus avertit, et dominium ducis, quod antecessores ejus possidebant et copiose auxerant, imminuit. Erat enim ingenio subtilis, dolosus et versipellis, corpore magnus et fortis, audax et potens in armis, eloquens, nimiumque crudelis et avaritia et libidine inexplebilis, perspicax seriorum commentor operum et in exercitiis mundi gravissimorum patiens laborum; in exstruendis aedificiis et machinis, aliisque arduis operibus ingeniosus artifex, et in torquendis hominibus inexorabilis carnifex. Sanctam Ecclesiam non ut filius matrem honoravit, adjuvit atque vestivit; sed velut privignus novercam deturpavit, oppressit et spoliavit. Hunc denique, post innumeros reatus et dolosas factiones, Dei judicio in vinculis arctavit Henricus rex ut aequissimus censor, et ad hoc a Deo specialiter inspiratus, miserorum strenuus vindex. Verum de his alias. Praefatus vir, procurante Willelmo rege, qui multum eumdem dilexerat propter amorem parentum ejus, Rogerii et Mabiliae, filiam Guidonis, Pontivi comitis, Agnetem nomine, uxorem duxit; ex qua filium nomine Guillelmum progenuit, qui haereditario jure amplas possessiones in Neustria et Pontivo postmodum tute possedit. Rodbertus enim, ut divitiis, sic tyrannide omnes fratres suos superavit, et omne antecessorum suorum in Normannia et Cenomannico rure patrimonium, exhaeredatis fratribus, invasit, et longo tempore solus obtinuit. Contribules suos, nobilitate pares sibi, subjugare summo nisu laboravit, et quosdam, prout insatiabilis cupiditas dictavit, dolis et intolerabilibus bellis, aut insidiosis assultibus suae ditioni curvavit. Hoc experti sunt Hugo de Nonanto, Paganellus et Rodbertus de Sancto Cerenico, Bernardus de Firmitate, et alii multi, quos idem saepe contristavit, multisque modis terruit et afflixit. Multos nimirum, demptis honoribus et combustis munitionibus, humiliavit, seu depopulatis possessionibus in nimiam egestatem redegit, vel, quod est pejus, debilitatis membris mancos, aut loripedes, vel orbatis luminibus inutiles reddidit. Misera itaque regio in desolationem redibat, dum flagrans tyrannis cruenti marchionis omnes finitimos conculcare ambiebat; contra quem animositas ingenuitate pari tumentium pristinam libertatem usque ad mortem defensare satagebat. Sic immensa quotidie detrimenta crescebant, et pro vindicta vel acquisitione damna damnis adjecta res mortalium conterebant, terrigenasque ad inediam minabant. Goisfredus, Rotronis Mauritaniae comitis filius, contra Rodbertum arma sustulit, et Excalfoium, multasque alias in circuitu villas combussit, multasque praedas hominesque abduxit. Erat idem consul magnanimus, corpore pulcher et validus, timens Deum et Ecclesiae cultor devotus, clericorum pauperumque Dei defensor strenuus, in pace quietus et amabilis, bonisque pollebat moribus, in bello gravis et fortunatus, finitimisque intolerabilis regibus, et inimicus omnibus. Hic nobilitate parentum suorum, et conjugis suae Beatricis inter illustres spectabilis erat, strenuosque barones, et in bellis acres oppidanos suae ditioni subditos habebat. Filias quoque suas consularibus viris dedit in matrimonio, Margaritam Henrico, comiti de Covarevico, et Julianam Gisleberto de Aquila oppido, ex quibus orta est elegans sobolis generosae propago. Goisfredus itaque comes tot stemmatibus exornabatur, et armis animisque cum divitiis et amicis fulciebatur, et quod est super omnia, timore Dei stipatus, neminem timens, ut leo progrediebatur. Danfrontem, fortissimum castrum, aliosque fundos jure calumniabatur, et Rodberto cognato suo auferre nitebatur. Contristabatur quod inermes et immeritos premebat, sed in campo publicum hostem reperire nequibat, contra quem debitam ultionem exercebat. Nam ille, qui pene omnes comprimebat, omnes nihilominus metuebat, ideoque publicum certamen cum hoste cominus agere non audebat. In munitionibus igitur suis callide latitabat, et praedones discurrere per fines suos plerumque moerens sinebat, nec obviam procedere, quamvis militiae fortissimus esset, praesumebat. Callidus enim praecavebat ne, si progrederetur, a domesticis suis in manibus hostium relinqueretur. Sic longa lis inter duos potentes marchisios perduravit, et multa subditis detrimenta caedesque generavit. Par equidem malorum fomes inter alios proceres undique per Normanniam pullulavit, et enormem tragoedis farraginem praeparavit. Perturbata undique procerum turgidis seditionibus Neustria sub molli principe, pacificisque inter incendia crebrasque depraedationes gementibus filiis Ecclesiae, clementissimus generis humani rector servis suis condoluit, emeritosque quosdam de lacu miseriae et convalle lacrymarum, consortio mortalium exemit, et in amoenitate desiderabili paradisi, ut remur, notis in consimili studio religionis commilitonibus pie associavit. |
Le comte Roger se réjouit beaucoup de voir dissoute l'armée des Normands et des Manceaux; et faisant demander au duc par des délégués éloquens la paix pour lui et le pardon pour son fils, il fit beaucoup de vaines promesses. Robert qui était imprévoyant et inconstant, facile à céder, faible dans l'administration de la justice, acquiesça, lorsqu'on s'y attendait le moins, à un vain traité avec ces hommes déloyaux. Il fit la paix avec le comte Roger, lui accorda ses demandes, et délivra de prison Robert de Bellême. Celui-ci, mis en liberté, reprit son orgueil, ne tint compte ni des ordres ni des menaces du duc, et gardant toujours la mémoire de l'affront qu'il avait reçu, s'en vengea long-temps et de toutes les manières. En effet, durant quinze ans, pendant lesquels le duc et lui restèrent ensemble en Normandie, Robert de Bellême ne cessa de manifester sa fureur, et troubla en cent façons le territoire de son maître. Par d'adroites machinations, il détourna beaucoup de seigneurs dé l'obéissance et de l'assistance qu'ils devaient au duc, et diminua le domaine que les prédécesseurs de celui-ci avaient possédé et considérablement accru. C'était un homme fin et rempli d'astuce; il était grand et fort, courageux et puissant sous les armes, éloquent, mais très-cruel, insatiable dans son avarice et son libertinage, plein d'habileté pour les affaires épineuses et dans les exercices du monde, supportant les plus rudes fatigues, ingénieux ouvrier pour la construction des édifices et des machines, ainsi que des autres choses difficiles, inexorable bourreau lorsqu'il s'agissait de tourmenter les hommes. Il n'honora pas la sainte mère Eglise, comme doit faire un fils, il ne la nourrit pas, il ne l'habilla pas; mais comme un fils d'un autre lit avec une marâtre, il la déshonora, l'opprima et la dépouilla. Enfin, après d'innombrables crimes et d'artificieuses conspirations, le roi Henri, comme un juge équitable, par un jugement divin, le fit jeter dans les fers, et spécialement inspiré en cela par la Divinité, vengea généreusement les malheureux. C'est ce dont nous parlerons ailleurs. Ce seigneur protégé par le roi Guillaume, qui l'avait aimé beaucoup par suite de son attachement pour Roger et Mabile ses père et mère, prit pour femme Agnès, fille de Gui, comte de Ponthieu, de laquelle il eut un fils nommé Guillaume, qui dans la suite posséda en paix par droit héréditaire de vastes possessions en Normandie et dans le Ponthieu. Ce ne fut pas seulement par les richesses, ce fut aussi par la tyrannie qu'il l'emporta sur tous ses frères, dont il usurpa et posséda à lui seul pendant long-temps les héritages, envahissant tout le patrimoine de leurs prédécessseurs tant en Normandie que dans le territoire du Maine. Il mit tous ses efforts à soumettre à sa puissance les nobles, ses égaux et ses compatriotes; et d'après les inspirations de son insatiable cupidité, il en courba sous son joug quelques-uns à force de perfidies, de guerres insupportables et d'insidieuses entreprises. C'est ce qu'éprouvèrent Hugues de Nouant, Painel et Robert de Saint-Céneri, Bernard de La Ferté et plusieurs autres, qu'il poursuivit souvent, qu'il effraya et tourmenta de toutes manières; il en humilia beaucoup après leur avoir ravi leurs biens et brûlé leurs châteaux; d'autres furent réduits à la plus grande misère par la dévastation de leurs possessions, ou, ce qui pis est, furent mutilés parla perte d'un bras ou d'une jambe ou rendus impropres à quoi que ce soit par la perte de leurs yeux. Par suite de tant de calamités, le pays était réduit à la désolation pendant que la tyrannie flagrante et sanguinaire de ce marquis24 cherchait à fouler aux pieds tous ses voisins, qui, fiers d'une noblesse égale, essayaient de défendre contre-lui et jusqu'à la mort leur ancienne liberté. Ainsi croissaient chaque jour d'immenses calamités, et, soit pour la défense, soit pour l'attaque, les crimes ajoutés aux crimes détruisaient les biens des gens du pays, et menaçaient de les réduire à l'indigence. Geoffroi, fils de Rotrou, comte de Mortagne, prit les armes contre Robert, mit le feu à Echaufour et à plusieurs autres lieux du voisinage, et emmena avec lui beaucoup d'hommes et de butin. Ce comte était un homme magnanime, beau de corps, adroit, craignant Dieu, dévot, ami de l'Eglise, courageux défenseur des clercs et des pauvres du Seigneur, tranquille et aimable dans la paix; il était de bonnes mœurs, habile et heureux dans la guerre, redoutable aux princes voisins qu'il avait tous pour ennemis. Par la noblesse de ses parens et de sa femme Béatrix, il se faisait remarquer parmi les plus illustres; il comptait parmi ses sujets de courageux barons et des châtelains intrépides. Il maria ses filles à de nobles comtes, Marguerite à Henri, comte de Warwick, et Julienne à Gilbert de L'Aigle, desquelles sortit une brillante lignée d'enfans généreux. Le comte Geoffroi réunissait tant de titres brillans; il les soutenait de ses armes et de son courage avec l'assistance de ses richesses et de ses amis; et, ce qui l'emporte sur tout le reste, fortifié par la crainte de Dieu, il marchait comme un lion sans redouter personne. Il revendiquait avec raison le très-fort château de Domfront, et d'autres possessions, et voulait les retirer des mains de Robert son cousin. Il s'affligeait beaucoup d'être forcé de vexer des hommes faibles qui ne le méritaient pas, tandis qu'il ne pouvait rencontrer en pleine campagne l'ennemi public contre lequel il avait de légitimes vengeances à exercer. Robert de Bellême, qui faisait trembler presque tout le monde, tremblait à son tour devant tons. C'est pour cela qu'il n'osait en venir avec son ennemi à une guerre ouverte. Il se renfermait prudemment dans ses forteresses, laissait le plus souvent, quoique à regret, des brigands parcourir ses terres, et n'osait marcher à leur rencontre, quoiqu'il fût très-brave. Sa prudence ne lui permettait pas de sortir, parce qu'il craignait que ses gens ne l'abandonnassent aux mains de ses ennemis. C'est ainsi que dura long-temps la discorde qui s'était élevée entre ces deux puissans marquis, occasionant à leurs vassaux beaucoup de dommages et de meurtres. A la vérité , un pareil foyer de malheurs s'étendait sur les autres seigneurs par toute la Normandie, et fournissait à la tragédie une ample matière. Pendant que sous un prince amolli la Neustrie était en proie aux violentes séditions de ces seigneurs, et que les pacifiques enfans de l'Eglise gémissaient au milieu des incendies et des pillages continuels, le très-clément maître du genre humain eut pitié de ses serviteurs. Il tira du lac de misère et de la vallée de larmes, séjour des mortels, quelques-uns de ses vétérans, et, comme nous le pensons, il les associa avec bienveillance, dans les délices du Paradis, à leurs dignes frères en religion qui avaient combattu pour elle avec le même zèle. |
VII. Mors Durandi Troarnensis abbatis.--Victor papa eligitur.--Urbanus papa. Durandus siquidem, Troarnensis abbas grandaevus, ab infantia monachus, religione et sapientia praecipuus, ecclesiastici cantus et divini dogmatis doctor peritissimus, sibi durus carnifex, aliisque mitis opifex, post multos in Dei cultu labores, in lectum decubuit, et bene, ut prudens et fidelis servus, ire ad curiam domini sui paratus, III Idus Februarii [1088], de saeculo migravit. In ejus transitu res non silenda contigit. In corpore praefati Patris, dum obiret, bipartitus color visus est. Nam in sinistra parte vultus ejus, et totius corporis, usque ad pedes, niveus candor apparuit, totamque dexteram partem plumbeus livor obtexit, et omnino dexteram medietatem, ut albedo sinistram, a vertice capitis usque ad pedes obtinuit. Insolitum itaque discrimen conspecti coloris terrorem intuentibus incussit, et inusitatae rei causam studiosis inquisitoribus ad exprimendam subtilitatem perspicacitatis suae ingessit. Inde diversi diversa dixere. Sed non est nostrum huic breviloquio singula inserere, quae multipliciter eloquentes ex abundantia sensus sui protulere. Quidam quidem laevam et dexteram ad actualem et contemplativam, vel praesentem et futuram vitam interpretati sunt. Alii vero prodigium hoc praesagium fore futurorum opinati sunt. Venerabiles discipuli glebam religiosi doctoris in capitulo suo reverenter sepelierunt, et in candido lapide, qui subpositus est, epitaphium hoc addiderunt. Hac tegitur tumba bonus et venerabilis abba. Sepulto pastore, Troarnensis grex Arnulfum, Sagiensis monasterii priorem, eligit, ac ut sibi praeponeretur, a rectoribus ecclesiasticis ac principibus suis expetiit. Illis autem congratulantibus, et libenter quod postulabant annuentibus, Arnulfus Troarnensium regimen suscepit, quod fere XXII annis solerter tenuit, et tam verbis quam scriptis et salutaribus exemplis subjectos erudiit. Praefata nimirum duo monasteria, sicut ab uno principe primordium fundationis ceperunt, sic ex uno fonte usus divinae servitutis et monastici ordinis institutionem sumpserunt. Rogerius enim de Monte Gomerici utrumque coenobium monachis dicavit, et Fiscannensis norma utrumque monachico ritui applicavit. Unus amor hos pariter coenobitas connexuit, signipotensque Martinus, Turonensis archipraesul, suo mancipatu commissos custodit. Sagienses a Troarnensibus primum sibi abbatem sumpserunt, et nunc, eodem adhuc patre vivente, amicabilem sibi vicissitudinem de discipulis ejus repetierunt. Quo adepto, Deo gratias egerunt, bonique pastoris solertia bene profecerunt. Tunc Rodbertus, Normanniae dux, optimatum suorum supplicationibus acquiescens, Henricum fratrem suum concessit, et a vinculis, in quibus cum Rodberto Belesmensi constrictus fuerat, absolvit. Circa haec tempora [1085] Gregorius papa in urbe Beneventana defunctus est, et Desiderius, Cassinensis abbas, in Victorem, Romanum papam, electus et inthronizatus est. Defuncti vero papae corpus in confessione Sancti Bartholomaei apostoli tumulatum est, ubi meritis ejus fidei petentium miraculorum copia divinitus ostensa est. Nam leprosi de aqua, unde corpus ejus ablutum fuerat, petierunt; qua consecuta, fideliter loti sunt, et opitulante Deo, protinus mundati sunt. Victor papa, postquam apicem pontificatus ascendit, primam missam in die sancto Pentecostae solemniter cantare coepit. Sed, occulto Dei nutu, gravem morbum subito incurrit. Nam, diarria cogente, ter ad latrinam de missa ductus est, et sic in papatu vix una tantum missa perfunctus. Hic magnae nobilitatis et sapientiae fuit ac religionis, coenobiumque Sancti Patris Benedicti, quod in Monte Cassino constructum est, longo tempore rexit. Inde ad praesulatum assumptus, repente, ut diximus, infirmatus est. In aegritudine tamen a Pentecoste usque ad Augustum languens, defunctus est. Quo defuncto, Romanus clerus convenit, et Odonem, ex monacho praesulem Ostiensem, in Urbanum, Romanum papam, elegit. Hunc Deus Israel maximum principem contra Allophilos constituit, turremque David cum propugnaculis contra faciem Damasci commisit. Hic erat natione Gallus, nobilitate et mansuetudine clarus, civis Remensis, monachus Cluniacensis, aetate mediocris, corpore magnus, modestia discretus, religione maximus, sapientia et eloquentia praecipuus. Adhuc Guitbertus, invasor apostolicae sedis, Ecclesiam Dei conturbabat, ac adulando vel persequendo cunctos quos poterat, ab unitate pacis ad suum schisma pertrahebat. Odo nimirum, comes Sutriae, nepos ejus erat, et ecclesiasticae pacis fautores pluribus pressuris coercebat. Urbanus papa, confisus in Domino coelorum, qui non relinquit virgam peccatorum super sortem justorum, misit legatos et epistolas Romanae auctoritatis Francis et Graecis, aliisque gentibus per orbem constitutis, ut in fide catholica irrefragabiliter persisterent, et omnem scissuram a lege Dei et corpore Christi, quod est Ecclesia, callide praecaverent. Solus Henricus, Teutonum princeps, et pedissequi ejusdem Guidberto cohaerebant. Galli vero et Angli, aliaeque gentes pene omnes per orbem Urbano pie obsecundabant. |
C'est ainsi que Durand, abbé de Troarn, moine depuis son enfance, célèbre par sa piété et sa sagesse, très-habile docteur dans le chant ecclésiastique et dans les dogmes divins, dur bourreau de lui-même, mais plein de douceur dans ses rapports avec les autres, après beaucoup de travaux dans le culte de Dieu, parvenu à un grand âge, fut forcé de s'aliter, et, bien préparé à se rendre à la cour de son maître, comme il convient à un prudent et fidèle serviteur, quitta le siècle le 11 février. A sa mort il arriva un événement qu'on ne doit point passer sous silence. Pendant qu'il rendait l'ame, on remarqua sur son corps une teinte mi-partie; la portion gauche de son visage et de tout son corps jusqu'aux pieds était blanche comme la neige, tandis qu'une couleur plombée couvrait la région droite de son corps, et y régnait complètement depuis la tête jusqu'aux pieds, comme la blancheur régnant dans toute la partie gauche. Cette différence extraordinaire de couleurs que l'on apercevait remplit de terreur toute l'assistance, et fournit à ceux qui recherchaient curieusement la cause de cet événement insolite une occasion de manifester la subtilité de leur esprit. Chacun en parla à sa manière; mais il ne nous convient pas de rapporter dans nos récits abrégés tout ce qu'on eu dit dans les discussions multipliées auxquelles chacun se livrait dans l'abondance de ses sentimens. Cependant nous dirons que quelques personnes interprétaient par la gauche et la droite la vie active et la vie contemplative, ou bien la vie présente et la vie future; d'autres au contraire y voyaient un présage d'événemens à venir. Les vénérables disciples de Durand ensevelirent respectueusement dans leur chapitre les restes de ce pieux docteur, et placèrent l'épitaphe suivante sur la pierre blanche qui les couvrit: «Par cette tombe est couvert le bon et vénérable abbé Durand, ce modèle de notre monastère. A la gloire du Seigneur il bâtit cet édifice, qui, nous le croyons, lui rendra Dieu propice. Le onzième jour de février, se dégageant des liens de la chair, il se rendit dans le séjour des anges.» Ce pasteur ayant été inhumé, le troupeau de Troarn fit choix d'Arnoul, prieur du couvent de Seès, et le demanda pour chef aux prélats de l'Eglise et aux princes. Aux applaudissemens de ceux-ci, qui accordèrent de bon cœur ce qu'on leur demandait, Arnoul prit le gouvernement des moines de Troarn, que pendant près de vingt-deux ans il conduisit habilement, en instruisant ses subordonnés tant par ses paroles que par ses écrits et ses exemples salutaires. De même que ces deux maisons tiraient leur origine d'un même prince, elles puisèrent à une même source les usages du service de Dieu et l'institution de l'ordre monastique. En effet, ces deux couvens avaient été donnés aux moines par le même fondateur, Roger de Mont-Gomeri, et avaient puisé l'un et l'autre les rites monastiques dans la règle de Fécamp. Aussi un même amour les unissait-il, et étaient-ils tous les deux placés sous la protection et la garde du puissant auteur de tant de miracles, Martin, archevêque de Tours. Les gens de Seès empruntèrent leur premier abbé à ceux de Troarn, et maintenant, ce chef vivant encore, ces derniers ont demandé à ses disciples de leur donner un chef à leur tour. L'ayant reçu, ils rendirent grâces à Dieu, et surent bien profiter des talens de ce bon pasteur. Alors Robert, duc de Normandie, cédant aux prières de ses seigneurs, leur accorda la grâce de son frère Henri, et brisa les fers dont il avait été chargé avec Robert de Bellême. Vers cette époque, le pape Grégoire mourut dans la ville de Bénévent, et Didier, abbé du Mont-Cassin, fut élu et intronisé pour pape romain sous le nom de Victor. Le corps du pape défunt fut inhumé dans l'église où reposent les reliques de l'apôtre saint Barthélemi, et où une grande abondance de miracles s'est divinement offerte par ses mérites à la foi de ceux qui l'ont imploré. En effet, les lépreux demandèrent de l'eau qui avait servi à laver le corps du pontife, s'en lavèrent pieusement, et, avec l'aide de Dieu, furent soudainement purifiés. Le pape Victor étant monté au trône pontifical, chanta solennellement sa première messe le jour de la Pentecôte; mais, par une permission secrète de Dieu, il tomba aussitôt gravement malade. Pressé par la diarrhée, il fut conduit trois fois de la messe aux latrines, et ne célébra ainsi qu'une messe pendant sa papauté. C'était un homme d'une grande noblesse, d'une sagesse profonde, et d'une religion fervente; il avait long-temps gouverné le couvent du saint père Benoît, lequel est bâti sur le Mont-Cassin. Tiré de là pour être élevé au pontificat suprême, il tomba tout à coup malade comme nous l'avons dit. Il continua de tramer une vie languissante dans les souffrances depuis la Pentecôte jusqu'au mois d'août, époque où il cessa de vivre. A sa mort le clergé romain s'assembla, et choisit pour pape Odon, qui de moine était devenu évêque d'Ostie, et prit le nom d'Urbain. Le dieu d'Israël l'établit prince contre les Mahométans, et lui confia la tour de David avec ses défenses contre la face de Damas. Il était Français de nation, célèbre par sa noblesse et sa douceur, citoyen de Rheims, moine de Cluni, d'un âge moyen, grand de corps, plus grand par sa religion, doué d'une grande modestie, et remarquable par sa sagesse et par son éloquence. Guibert, usurpateur du siége apostolique, troublait encore l'église de Dieu, et, par la flatterie ou les persécutions, poussait de l'unité de la paix à son schisme tous ceux qu'il pouvait. Odon, comte de Sutri, était son neveu, et faisait endurer aux amis de la paix de l'Eglise beaucoup de vexations. Le pape Urbain, se confiant au Maître des cieux, qui ne laisse pas long-temps la verge des pécheurs affliger la vie des justes, envoya des légats et des lettres de l'autorité romaine aux Français, aux Grecs et aux autres nations établies dans tout l'univers pour les engager à persister irrévocablement dans la foi catholique, et à éviter soigneusement toute scission avec la loi de Dieu, et le corps du Christ qui est l'église. Le seul Henri, prince des Teutons, et ses gens étaient attachés à Guibert, tandis que les Français, les Anglais et presque toutes les autres nations du globe obéissaient pieusement à Urbain. |
VIII. Varii in Apulia Normannia et Anglia eventus.--Quorumdam magnatum mors.--Restricta Guillelmi Rufi administratio. In Apulia omnes Normanni catholico papae concorditer favebant. Verum inter se truculenter dissidebant, et fratres plus quam civilia bella vicissim conserebant. Rogerius enim, cognomento Crumena, id est bursa, ducatu Calabriae solus cum matre potiebatur. Quod Buamundus frater ejus, apud Jordanum principem Capuae exsulans, aegre patiebatur. Unde auxilio ejusdem Jordani sororii sui, aliorumque parentum, amicorumque suorum, arma contra fratrem suum corripuit, partemque paterni honoris, quem ipse cum patre bello subegerat, viriliter repetere coepit. Cujus guerram frater et noverca tolerare nequiverunt, commodiusque consilium ab amicis expetere coacti sunt. Persuasione igitur Rogerii Siciliae comitis, aliorumque affinium pacem fecerunt, eique Barum atque Tarentum, aliasque duas urbes, cum multis oppidis tradiderunt. Fratres itaque, postquam talem concordiam fecerunt, Mabiliam sororem suam Guillelmo de Grentemaisnil in matrimonium dederunt, et ditioni ejus, quia valde probus erat, plurima castra submiserunt. Connexione hujusmodi necessitudinis Normanni provide mutuo religati sunt, et magnam Italiae partem, quam Drogo et Unfridus atque Richardus, et super omnes Robertus Wiscardus obtinuerant, usque hodie possederunt. Anno ab Incarnatione Domini 1089, indictione XII. Rodbertus, primus abbas Sagiensis monasterii, vir bonus et simplex, mense Januario in lectum cecidit, et perceptis Dominicis sacramentis, XVIII Kalendas Februarii de saeculo migravit. Cui Radulfus, Seifredi de Scurris filius, ejusdem coenobii monachus, in regimine successit. Hic litteris admodum fuit imbutus, eloquens et jucundus, ideoque amabilis omnibus. In juventute de illustri familia monachilem ad conversationem venit, et decem annis in monasterio per diversorum gradus officiorum humiliter ministravit. Undecimo tandem anno abbatiae curam, jubente et consecrante Girardo Sagiensi praesule, suscepit, et XVI annis inter saevos bellorum turbines strenue rexit, Deique fretus auxilio, pro temporis opportunitate res Ecclesiae diligenter auxit. Deinde Rodberti Belesmensis, saevitia nimis imminente, in Angliam confugit, quem rex Henricus honorifice secum detinuit, et per Gondulfum praesulem Roffensi episcopio praefecit. Inde post aliquot annos promotus, venerabili Anselmo archipraesuli successit, et novem annis Doroberniae metropoli praefuit. Anno [1089] tertio Guillelmi Rufi regis Anglorum, Lanfrancus, Cantuariensis metropolis episcopus, defunctus est, et in basilica Sanctae Trinitatis, quam ipse mirifico opere construxerat, ante crucifixum sepultus est. Beccensis autem Anselmus supra scriptam compatriotae sui memoriam heroico carmine volumini lacrymabiliter indidit, Deique nutu post triennium in cathedram Doroberniae, ecclesiastica electione promotus, ascendit. Deinde infra decem annos, quibus postmodum regnavit Guillelmus Rufus, Thomas, Eboracensis metropolita, coepiscopum suum morte secutus est, cum aliis multis episcopis et abbatibus. Nam Wlstanus praesul Guigornensis et Rodbertus Herfordensis, Osmundus, Salesburiensis et Gualkelinus Guentoniensis, Balduinus quoque archidiaconus et abbas S. Edmundi regis et martyris, Turstinus Glestoniensis et Rainaldus Abundoniensis, aliique plures episcopi et abbates obiere; quos sigillatim prae fastidio legentium nolo nominare. His temporibus quidam clericus, nomine Rannulfus, familiaritatem Rufi regis adeptus est, et super omnes regios officiales ingeniosis accusationibus et multifariis adulationibus magistratum a rege consecutus est. Erat enim ingenio acer, corpore pulcher, turgens disertis, commessationibus et ebrietatibus, libidinique nimis deditus, crudelis et ambitiosus, suisque prodigus; extraneis autem praedo rapacissimus. Hic de obscura satis et paupere parentela prodiit, et multum ultra natales suos ad multorum detrimentum sublimatus intumuit. Turstini, cujusdam plebeii presbyteri de pago Bajocensi, filius fuit, et a puerilibus annis inter pedissequos curiales cum vilibus parasitis educatus crevit, callidisque tergiversationibus, et argutis verborum machinationibus plus quam arti litteratoriae studuit. Et, quia semetipsum in curia magni regis Guillelmi arroganter illustribus praeferre audebat, nesciente non jussus, multa inchoabat, infestus in aula regis plures procaciter accusabat, temereque majoribus, quasi regia vi fultus, imperabat. Unde a Rodberto, dispensatore regio, Flambardus cognominatus est, quod vocabulum ei secundum mores ejus et actus quasi prophetice collatum est. Flamma quippe ardens multis factis intulit genti novos ritus, quibus crudeliter oppressit populorum coetus, et Ecclesiae cantus temporales mutavit in planctus. Hic juvenem fraudulentis stimulationibus inquietavit regem, incitans ut totius Angliae reviseret descriptionem, Anglicaeque telluris comprobans iteraret partitionem, subditisque recideret tam advenis quam indigenis, quidquid inveniretur ultra certam dimensionem. Annuente rege, omnes carrucatas, quas Angli hidas vocant, funiculo mensus est et descripsit, postpositisque mensuris, quas liberales Angli jussu Eduardi regis largiter distribuerant, imminuit, et regales fiscos accumulans colonis arva retruncavit. Ruris itaque olim diutius nacti diminutione, et insoliti vectigalis gravi exaggeratione, supplices regiae fidelitati plebes indecenter oppressit, ablatis rebus attenuavit, et in nimiam egestatem de ingenti copia redegit. Hujus consilio, juvenis rex, morientibus praelatis, ecclesias, cum possessionibus olim sibi datis, invasit, et tam in abbatiis coenobitas, quam in episcopiis episcopales decanos et canonicos cuilibet satellitum suorum subegit. Parcam autem ad victum suum distributionem rerum eis delegabat, et reliquos redditus suae ditioni mancipabat. Sic avaritia regis in Ecclesia Dei nimis exarsit, et nefarius mos, tunc incoeptus, usque in hodiernum diem perseverans, multis animabus exitio fit. Hac enim de causa cupidus rex pastores ecclesiis imponere differebat, et populus rectore, et grex pastore carens lupinis dentibus patebat, et multimodarum toxicatis missilibus culparum sauciatus interibat. Princeps itaque, nimia cupiditate flagrans, suo infert aerario largas opes, quas Ecclesiae Dei gratanter et devote dederunt antiqui Anglorum reges, Edilbertus scilicet ac Eduinus, Offa quoque ac Athulfus, Elfredus et Edgarus, aliique principes cum suis optimatibus. Illi nimirum, ad fidem noviter conversi, Deum fideliter coluerunt, et de suis abundantiis monachis et clericis affluenter largiti sunt; ut speciales ministri sacrae legis copioso victu pasti gauderent, Deique cultum absque ulla recusatione nocte dieque alacriter peragerent, et in locis constitutis celebres excubias Deo indesinenter exhiberent. Illuc peregrini et viatores securi veniebant, et ibidem post laborem citam repausationem sumebant, atque post inediam uberem alimoniam ex institutione principali reperiebant. Igitur ex insperato consolati, Deo gratias agebant, et pro benefactoribus, qui longe ante tantum sibi suffragium praeparaverant, Creatorem omnium pie exorabant. Antequam Normanni Angliam obtinuissent, mos erat ut, dum rectores ecclesiarum obirent, episcopus coenobiorum, quae in sua dioecesi erant, res sollicite describeret, et sub ditione sua, donec abbates legitime ordinarentur, custodiret. Similiter archiepiscopus episcopii res, antistite defuncto, servabat, et pauperibus vel structuris basilicarum, vel aliis bonis operibus, cum consilio domesticorum ejusdem ecclesiae, distrahebat. Hunc profecto morem Guillelmus Rufus ab initio regni sui persuasione Flambardi abolevit, et metropolitanam Cantuariae sedem sine pontifice tribus annis esse fecit, ejusque redditus suis thesauris intulit. Injustum quippe videtur, omnique rationi contrarium ut quod Deo datum est fidelium liberalitate principum, vel solertia dispensatorum ecclesiasticae rei laudabiliter est auctum, denuo sub laicali manu retrahatur, et in nefarios saeculi usus distrahatur. Indubitanter credendum est quod, sicut illi, qui Deo de suis opibus pie dederunt, jam retributionem meritorum donante Deo receperunt, sic sacrilegi sacrorum invasores, ultore Deo, punientur, opibusque, quas injuste possident, cum jugi dedecore spoliabuntur. Omnipotentis enim lex aeterna est et vera. Unde, sicut justitiae cultoribus gratiosa pollicetur stipendia, sic transgressoribus pro nequitiis dira comminatur supplicia. In omni pagina divinae auctoritatis misericordia et veritas praedicantur, et luce clarius omni erudito manifestantur. Mirum ergo est quod humanum cor in nefas tam facile labascit, et plus praesentia et caduca, quam futura et perpetua concupiscit, dum omnia divino patere obtutui, et nihil e divino examine indiscussum evadere noverit. Postquam Dorobernensium metropolis, praesule viduata, in timore et luctu exigit triennium, tandem justus arbiter, qui de coelo prospicit super filios hominum, et videt omnes amplecti vanitates vanitatum, acerba passione perculit regem Anglorum, multimoda scelerum faece coinquinatum. Aegritudine igitur mulctatus, sacerdotes Domini advocavit, spiritualibus archiatris animae suae ulcera confessione denudavit, emendationem vitae promisit, et ecclesiasticos rectores secundum voluntatem Domini archiepiscopum eligere praecepit. Tunc forte Anselmus Beccensium abbas pro utilitatibus Ecclesiae suae in Angliam transfretaverat. Audita jussione regis de metropolitani electione, sancta Ecclesia exsultavit, conventum seniorum una congregavit, et de negotio pro quo convenerant, tractare coepit. Tandem, considerata sanctitate et sapientia venerabilis Anselmi, concorditer omnes ipsum elegerunt in nomine Domini, multumque renitentem, secundum morem ecclesiasticum, praeposuerunt Cantuariorum metropoli. Inthronizatus itaque solers pastor frequenter ingemuit, prudenter perpendens quam grave et periculosum pondus ad portandum susceperit. Non intumescebat pro sui sublimatione, sed trepidabat pro multorum perditione, quos a lege Dei videbat aberrare sua sub gubernatione. In dioecesi sua multa corrigenda perspexit. Peccantem regem, torvosque proceres saepe corripuit. Unde plurima ab eis adversa tulit, et pro zelo justitiae bis exsulavit. Dictis et exemplis salutaribus perversos mores subditorum emendare studuit, sed obdurata quorumdam iniquitate, in multis non sicut voluisset profecit. Perversi quippe, sicut Salomon ait, difficile corriguntur, et stultorum infinitus est numerus (Eccle. I, 15.) |
Dans la Pouille tous les Normands favorisaient le pape catholique, mais ils étaient cruellement divisés entre eux, et les frères s'y faisaient une guerre plus que civile. En effet, Roger surnommé Crumena, c'est-à-dire la Bourse, possédait seul avec sa mère le duché de Calabre; ce que supportait impatiemment son frère, Boémond, exilé chez Jourdain prince de Capoue. C'est de là que, secondé par ce Jourdain, qui était son beau-frère, et par plusieurs autres de ses parens et de ses amis, Boémond prit les armes contre son frère, et réclama de lui une partie des Etats que lui-même avait conquis avec son père. Le frère et la belle-mère ne purent résister à cette attaque, et furent forcés de demander à leurs amis de bons conseils. En conséquence, à la persuasion de Roger, comte de Sicile, et d'autres princes voisins, ils firent la paix, et remirent à Boémond Bari, Tarente, deux autres villes et plusieurs places fortes. Les deux frères ayant ainsi traité, ils donnèrent en mariage leur sœur Mabile à Guillaume de Grandménil, et comme il était très-brave, ils mirent en son pouvoir plusieurs châteaux. Par les liens d'une telle union, les Normands se rattachèrent réciproquement, et avec prudence, les uns aux autres, et ils ont possédé jusqu'à ce jour une grande partie de l'Italie, qui avait été conquise par Drogon, Umfrid, Richard, et surtout par Robert Guiscard. L'an de l'Incarnation du Seigneur 1089, Robert Ier, abbé du monastère de Seès, homme bon et simple, tomba malade au mois de janvier, et, ayant reçu les sacremens du Seigneur, quitta le siècle le 15 janvier. Il eut pour successeur dans le gouvernement de la maison un de ses moines nommé Raoul, fils de Seifred d'Escures. Il était profondément instruit dans les lettres, éloquent, enjoué et aimable pour tout le monde. Dans sa jeunesse il quitta une famille illustre pour entrer dans la vie monacale, et durant dix années il servit humblement le couvent en passant par les grades des divers emplois. Enfin la onzième année il prit le gouvernement de l'abbaye par l'ordre de Girard évêque de Seès qui le consacra; il la gouverna habilement pendant seize années, au milieu des cruelles tempêtes de la guerre, et, appuyé sur l'assistance de Dieu, il mit tous ses soins à améliorer les affaires de son église autant que les circonstances le permettaient, Ensuite se trouvant exposé aux cruautés de Robert de Bellême devenues intolérables, Raoul passa en Angleterre, où le roi Henri le retint honorablement auprès de lui, et, par l'entremise de l'évêquc Gondulfe, le mit à la tête de l'évêché de Rochester. Quelques années après, par une nouvelle promotion, il succéda à l'archevêque Anselme, et, pendant neuf années, gouverna la métropole de Cantorbéry. La troisième année du règne de Guillaume-le-Roux, roi des Anglais, Lanfranc, archevêque de la métropole de Cantorbéry, mourut et fut enterré devant le crucifix dans l'église de la Sainte-Trinité, qu'il avait bâtie avec magnificence. Anselme, abbé du Bec, célébra dans un livre, d'une manière touchante, en vers héroïques, la mémoire de son compatriote, dont nous venons de parler, et par la permission de Dieu, après trois ans, promu par l'élection ecclésiastique, il monta sur le siége de Cantorbéry. Ensuite au bout de dix ans que régna encore Guillaume-le-Roux, Thomas, archevêque d'York, suivit au tombeau son co-évêque, ainsi que plusieurs autres prélats. En effet, Vulstan, évêque de Worcester, Robert, évêque d'Hereford, Osmond, évêque de Salisbury, et Gnatelin, évêque de Winchester, Baudouin, archidiacre et abbé de saint Edmond, roi et martyr, Turstein, abbé de Glastonbury, Rainauld, abbé d'Abingdon, et plusieurs autres, tant évêques qu'abbés, terminèrent alors leur carrière. Je ne crois pas devoir en parler plus en détail à cause de l'ennui que je causerais à mes lecteurs. Dans ce temps-là un certain clerc nommé Ranulfe gagna l'amitié de Guillaume-le-Roux, et obtint auprès de lui un crédit supérieur à celui de tous les serviteurs du prince, à force d'insinuations adroites et de flatteries variées. C'était un homme d'un esprit vif, d'un bel extérieur, qui se livrait sans mesure aux entretiens et aux plaisirs de la table, et s'abandonnait sans réserve à la débauche; cruel et ambitieux, il était prodigue pour les siens, mais il était pour les étrangers le voleur le plus rapace. Il était sorti d'une famille assez obscure; s'étant élevé au delà de ce que comportait sa naissance, il s'enfla d'orgueil au détriment de beaucoup de monde. Cet homme était fils d'un roturier nommé Turstin, prêtre du Bessin; dans son enfance il avait été élevé avec de vils parasites de la cour dans les plus bas emplois, et s'était appliqué bien moins aux études littéraires qu'à d'adroites intrigues et à des paroles pleines de tours captieux. Comme dans son arrogance il brûlait du desir de s'élever au dessus des gens de distinction à la cour du grand roi Guillaume, il entreprenait beaucoup de choses, quoique le prince n'en sût rien, et sans avoir reçu d'ordres; il accusait méchamment et avec audace beaucoup de personnes de la cour; et comme s'il eût été soutenu par la puissance royale, il avait l'impertinence de donner des ordres aux plus grands seigneurs. C'est ce qui fit que Robert. maître d'hôtel du roi, le surnomma Flambart, sobriquet qui lui fut donné comme prophétiquement à cause de sa conduite et de ses inclinations. En effet, ardent comme la flamme, il fit par ses actions contracter de nouvelles habitudes à la nation, il opprima cruellement les réunions du peuple, et changea en plaintes les chants de l'église. Par ses insinuations perfides, il tourmenta le jeune roi, qu'il engagea à vérifier et à renouveler25 le partage du territoire, et à retrancher aux sujets soit étrangers, soit indigènes et pauvres, tout ce qui dans leurs possessions serait trouvé dépasser une certaine mesure. Avec la permission du roi, il fit arpenter à la corde et décrire toutes les charruées26 de labourage, que les Anglais appellent des hydes; ayant substitué de nouvelles mesures, il diminua ce que les Anglais généreux avaient largement distribué par l'ordre du roi Edouard, et retrancha une partie des terres des colons au profit du fisc royal. Ainsi par la diminution des champs qui leur avaient été donnés jadis, et par le poids exorbitant des redevances extraordinaires, il vexa outre mesure les peuples soumis au roi, leur enleva une grande partie de leurs biens, et les fit passer de l'opulence à une excessive pauvreté. Par le conseil de Ranulfe, le jeune roi envahit à la mort des prélats, les églises et les propriétés qu'il avait autrefois données, et soumit au premier venu de ses satellites tant les religieux dans leurs abbayes que les doyens épiscopaux et les chanoines dans les évêchés. Il ne leur accordait pour leur nourriture qu'une faible portion de leurs revenus, et s'en appropriait le reste. C'est ainsi que l'avarice du roi dépassa toutes les bornes contre l'église de Dieu, et qu'un criminel usage, inouï jusqu'alors, et qui s'est maintenu jusqu'à ce jour, fut fatal à beaucoup d'ames. L'avare monarque différait de donner des pasteurs aux églises; de sorte que le peuple manquant de guides, le troupeau de pasteurs, tous étaient exposés à la dent des loups, et périssaient sous les traits empoisonnés de toutes sortes de péchés. Par suite de son excessive cupidité, le prince fit entrer dans son trésor de grandes richesses que les églises de Dieu avaient reçues de la bienveillance et de la dévotion des anciens rois Anglais, tels qu'Edelbert et Edwin, Offa et Athulf, Alfred et Edgar, et plusieurs autres princes avec leurs seigneurs. Ces personnages, nouvellement convertis à la religion, adorèrent Dieu fidèlement, et tirèrent de leur opulence de grandes largesses en faveur des moines et des clercs, afin que les ministres de la sainte loi vécussent joyeusement au sein d'une nourriture abondante, célébrassent activement et sans chercher à s'en dispenser le service divin nuit et jour, et consacrassent sans relâche des veilles solennelles au Seigneur dans des endroits marqués. Là venaient en sûreté les pélerins et les voyageurs; là ils prenaient un peu de repos après les fatigues, et trouvaient, d'après les principes de l'institution, une abondante nourriture après l'abstinence. En conséquence, inopinément consolés, ils rendaient grâces à Dieu et priaient pieusement le Créateur de toutes choses pour les bienfaiteurs qui leur avaient dès long-temps préparé tant d'avantages. Avant que les Normands se fussent emparés de l'Angleterre, c'était l'usage qu'à la mort des recteurs27 des églises, l'évêque dans le diocèse duquel se trouvait situé le couvent fît dresser un exact inventaire de ses biens, et les gardât sous sa main jusqu'à l'ordination légitime du nouvel abbé. L'archevêque aussi conservait les biens de l'évêché à la mort du titulaire, et de l'avis des officiers de l'église faisait une distraction des revenus, soit pour les pauvres, soit pour la réparation des églises, soit pour d'autres bonnes œuvres. Dès le commencement de son règne, Guillaume-le-Roux abolit cet usage à la persuasion de Flambart; il laissa trois ans sans pontife le siége métropolitain de Cantorbéry, et en fit entrer les revenus dans son trésor. Certainement il paraît injuste et contraire à toute raison que ce qui a été donné à Dieu par la libéralité des princes fidèles, ce qui s'est heureusement accru par les soins de l'administration ecclésiastique, soit de nouveau replacé sous des mains laïques, et distrait pour le service criminel du siècle. On doit croire sans nul doute que, comme ceux qui ont donné pieusement une partie de leurs biens à Dieu ont déjà reçu de sa bienveillance la récompense de leur mérite, de même les sacriléges envahisseurs des biens sacrés seront punis par le Ciel vengeur, et seront dépouillés avec un déshonneur éternel des richesses qu'ils possèdent injustement. Telle est la loi immuable et vraie du Tout-Puissant. De gracieuses récompenses sont promises à ceux qui suivent la justice, en même temps que ceux qui la transgressent sont menacés de cruels supplices en punition de leurs forfaits. Dans toutes les pages de la divine Ecriture la miséricorde et la sévérité28 sont annoncées, et se présentent plus claires que le jour aux yeux de tout homme instruit. Il est donc bien étonnant que le cœur humain penche si facilement vers le crime, et desire plus vivement les choses présentes et périssables que les choses futures et éternelles, quand on sait que tout est découvert aux regards de Dieu, et que rien n'échappe à son équitable examen. Quand la métropole de Cantorbéry, veuve de son prélat, eut passé trois ans dans la crainte et le deuil, enfin le juste Arbitre, qui du haut des cieux jette ses regards sur les fils des hommes, et voit tout le monde embrasser les vanités des vanités, frappa d'un mal cruel le roi des Anglais, souillé de la lie de toutes sortes de crimes. Puni par la maladie, il appela les prêtres du Seigneur, montra à nu, par la confession, aux médecins spirituels les plaies de son ame, promit d'amender sa vie, et ordonna aux recteurs des églises de choisir un archevêque selon la volonté du Seigneur. Par hasard Anselme, abbé du Bec, avait alors passé en Angleterre pour les affaires de son église. En apprenant les ordres du roi pour l'élection d'un métropolitain, la sainte Eglise conçut beaucoup de joie; elle réunit en assemblée les vieillards et s'occupa de l'objet de leur convocation. Enfin considérant la sainteté et la sagesse du vénérable Anselme, tous l'élurent à l'unanimité au nom du Seigneur; et suivant les règles ecclésiastiques, ils placèrent après de longs refus de sa part cet illustre prélat sur le siège archiépiscopal de Cantorbéry. Cet habile pasteur, ayant été intronisé, eut fréquemment à gémir en considérant, dans sa prudence, combien était pesant et périlleux le fardeau dont il s'était chargé. Son élévation ne lui inspirait point d'orgueil, il était effrayé de la perte de plusieurs qu'il voyait sous son gouvernement s'écarter des lois divines. Il trouva dans son diocèse beaucoup de choses à réformer. Souvent il réprimanda un roi pécheur et des seigneurs arrogans. Aussi eut-il beaucoup à souffrir de leur part, et fut-il deux fois exilé à cause de son zèle pour la justice. Par ses paroles et ses exemples salutaires, il s'appliqua à corriger les mœurs perverties de son troupeau; mais, il ne réussit pas comme il l'aurait voulu à l'égard de quelques-uns qui s'étaient endurcis dans l'iniquité; parce que, comme dit Salomon, «les pervers sont difficiles à corriger, et que le nombre des fous est infini.» |
IX. Guillelmus rex Robertum fratrem suum in Normannia aggredi meditatur.--In praefatum Robertum Cenomanenses insurgunt.--Fulco comes Andegavensis. In diebus illis [1089] lucerna verae sanctitatis obscurius micabat pene cunctis in ordinibus, mundique principes cum subjectis agminibus inhaerebant tenebrosis operibus. Guillelmus Rufus, Albionis rex, juvenis erat protervus et lascivus, quem nimis inhianter prosequebantur agmina populorum impudicis moribus. Imperiosus et audax atque militaris erat, et multitudine militum pompose tripudiabat. Militiae titulis applaudebat, illisque propter fastum saecularem admodum favebat. Pagenses contra milites defendere negligebat, quorum possessiones a suis tironibus et armigeris impune devastari permittebat. Tenacis memoriae, et ardentis ad bonum seu malum voluntatis erat. Terribilis furibus et latrunculis imminebat, pacemque serenam per subjectam regionem servari valenter cogebat. Omnes incolas regni sui aut illexit largitate, aut compressit virtute et terrore, ut nullus contra eum auderet aliquo modo mutire. Confirmatus itaque in regno, turmas optimatum ascivit, et Guentoniae congregatis, quae intrinsecus ruminabat sic ore deprompsit: « Nostis, inquit, egregii barones, qualiter egerit erga me Rodberti fratris mei fides, et quantos mihi procuravit labores. Non opus est multis sermonibus referre quot homines meos in regno meo excitaverit contra me, et summopere machinatus fuerit me regno vitaque privare. Satis omnibus liquet quod intolerabile mihi primo regni mei anno intulisset, nisi divina virtus per pietatem suam illud a me repulisset. Ecce lacrymabilem querimoniam sancta Ecclesia de transmarinis partibus ad me dirigit, quia valde moesta quotidianis fletibus madescit, quod justo defensore et patrono carens, inter malignantes quasi ovis inter lupos consistit. Terram meam fraudulentia et viribus auferre sategit, qui terram suam a malignis praedonibus defendere negligit. Nunc igitur commoneo vos omnes, qui patris mei homines fuistis, et feudos vestros in Normannia et Anglia de illo tenuistis, ut sine dolo ad probitatis opus mihi viriliter unanimes faveatis. Non debemus pati latronum conventicula, ut ab illis fideles opprimantur, et sanctorum destruantur coenobia, quae patres nostri summo nisu construxerunt in Neustria. Tota regio caedibus paret atque rapinis, saepius ex necessitate reminiscens Guillelmi magni principis, qui bellis eam eripuit externis et intestinis. Decet ergo ut, sicut nomen ejus et diadema gero, sic ad defensionem patriae inhaeream ejus studio. Colligite, quaeso, concilium, prudenter inite consilium, sententiam proferte, quid in hoc agendum sit discrimine. Mittam, si laudatis, exercitum in Normanniam, et injuriis, quas mihi frater meus sine causa machinatus est, talionem rependam. Ecclesiae Dei subveniam, viduas et orphanos inermes protegam, fures et sicaries gladio justitiae puniam. » His dictis, omnes assensum dederunt, et magnanimitatem regis collaudaverunt. Tunc Guillelmus rex Guillelmum de Guarenna comitem Suthregiae constituit, quem paulo post mors nulli parcens e medio rapuit. Corpus vero ejus Cluniacenses monachi, quos Laquis honorifice locavit, in capitulo suo sepelierunt, et quis vel qualis vir ibidem requieverit, his versibus super tumulum in albo lapide sculptis denotaverunt:
Hic, Guillelme comes, locus est laudis tibi fomes. Praefati consulis filii, Guillelmus et Rainaldus cum Gundreda matre sua successerunt, et, sub Guillelmo atque Henrico Angliae regibus, probitate et potentia diu claruerunt. Rodberto quoque, Haimonis filio, rex Guillelmus magnos honores tribuit, et inter maximos optimates Angliae ipsum sublimavit. Hic Sibiliam Rogerii comitis filiam, uxorem duxit, quae filiam ejus, nomine Mathildem, peperit, quam postmodum Rodbertus, Henrici regis filius, in matrimonium sibi conjunxit. Primus Normannorum, Stephanus de Albamarla, filius Odonis Campaniae comitis, regi adhaesit, et regiis sumptibus castellum suum super Aucium flumen vehementer munivit, in quo validissimam regis familiam contra ducem suscepit. Quem mox Gornacensis Girardus secutus est. Nam Gornacum, et Firmitatem, et Goisleni Fontem, aliasque munitiones suas regi tradidit, finitimosque suos regiae parti subjicere studuit. Deinde Rodbertus, Aucensium comes, et Gauterius Gifardus, et Radulfus de Mortuomari, et pene omnes qui trans Sequanam usque ad mare habitabant, Anglicis conjuncti sunt, et de regiis opibus ad muniendas domos suas armis et satellitibus, copiosam pecuniam receperunt. Tunc Rodbertus dux contra tot hostes repagulum paravit, filiamque suam, quam de pellice habuerat, Heliae, filio Lamberti de Sancto Sidonio, conjugem dedit, et Archas, cum Buris et adjacente provincia, in mariagio tribuit, ut adversariis resisteret, Calegiique comitatum defenderet. Ille vero jussa viriliter complere coepit. Roberto enim duci, et Guillelmo filio ejus semper fidelis fuit, et sub duobus regibus Guillelmo et Henrico multa pertulit, labores videlicet ac exhaereditationem, damna, exsilium ac multa pericula. Audientes Cenomanni dissidium Normannorum, cogitaverunt fastuosum excutere a se jugum eorum; quod olim facere multoties conati sunt sub Guillelmo, magno rege Anglorum. Hoc Robertus dux ut comperiit, legatos et exenia Fulconi, Andegavorum satrapae, destinavit; obnixe rogans ut Cenomannos a temerario ausu compesceret, ac in Normanniam ad se graviter aegrotantem veniret. At ille obsecranti libenter acquievit, ducemque jam convalescentem reperiit. Post plurima pacis et amicitiae colloquia, Fulco comes dixit duci Roberto: « Si mihi quam valde cupio rem feceris unam, Cenomannos tibi subjiciam, et omni tempore tibi ut amicus fideliter serviam. Amo Bertradam, sobolem Simonis de Monteforti, neptem scilicet Ebroicensis comitis Guillelmi, quam Helvissa comitissa nutrit, et sua sub tutela custodit. Hanc mihi conjugem trade, obsecro; et quaeque tibi pegigi, servabo. » Protinus ex parte ducis super hac re comes Ebroicensis requisitus est. Qui mox cum suis necessariis amicis consilium iniit, et exitum rei sollicite investigavit. Tandem negotio diligenter indagato, ad curiam ducis accessit, et inter caetera sic duci dixit: « Rem, domine dux, postulas a me mihi valde contrariam, ut neptem meam, quae adhuc tenera virgo est, digamo tradam, quam sororius meus mihi commendavit nutriendam. Verum provide commodum tuum quaeris, meumque parvipendis. Cenomannensem comitatum vis tibi obtinere per neptem meam, et tu mihi aufers haereditatem meam. Justumne est quod moliris? Non faciam quod poscis, nisi reddideris mihi Bathventum et Nogionem, Vaceium et Craventionem, Scoceium, aliosque fundos Radulfi patrui mei, qui pro magnitudine capitis, et congerie capillorum jocose cognominatus est Caput Asini; nepotique meo Guillelmo Bretoliensi Pontem Sancti Petri, et reliqua quae rationabiliter et legaliter poterimus approbare, quod nostra debeant esse haereditario jure. Legitimi siquidem mihi testes sunt, et in omnibus idonei, quod Robertus de Guaceio, filius praefati Radulfi patrui mei, me totius juris sui haeredem constituit. Sed Guillelmus rex, consobrinus noster, quia potentior nobis fuit, omnes haereditatis nostrae partes, sicut leo in partitione cervi, suas fecit. His, domine dux, sapienter consideratis, tene rectitudinem nobis, et nos tuis obtemperabimus jussis. » Dux autem, hujusmodi responsione audita, ex consultu sapientum decrevit dare minora, ne perderet majora. Tunc Edgarus Adelinus, et Robertus Belesmensis, atque Guillelmus de Archis, monachus Molismensis, praecipui ducis consiliarii erant. Guillelmi ergo Ebroicensis, et Guillelmi Bretoliensis nepotis ejus petitionibus dux acquievit, et praenominata cum territoriis suis oppida tribuit, praeter Scoceium, quod Girardus de Gornaco possidebat, qui de eadem parentela prodierat. Filius enim Basiliae, Girardi Fleitelli filiae, erat, tantaeque potentiae, cui nemo vim inferre poterat. Deinde Andegavensis consul concupitam puellam gaudens suscepit, et viventibus adhuc duabus uxoribus, tertiam desponsavit, quae filium ei, nomine Fulconem peperit. Pactique sui memor, Fulco Cenomannos adiit, eosque plus precibus et promissis, quam vi compescere studuit, et conspiratam rebellionem in annuum saltem spatium distulit. |
Dans ces jours, le flambeau de la vraie sainteté s'obscurcissait pour presque tous les ordres de l'Etat, et les princes du monde s'attachaient avec leurs nombreux sujets aux œuvres de ténèbres. Guillaume-le-Roux, roi d'Angleterre, était un jeune homme insolent et libertin, qu'imitaient avec trop d'avidité par leurs mœurs impudiques les peuples de ses Etats. Impérieux, audacieux et tout guerrier, il trouvait un grand plaisir à s'entourer pompeusement d'une multitude de chevaliers; il applaudissait aux titres qu'ils prenaient, et les favorisait beaucoup dans leur faste mondain. Il négligeait de protéger les paysans contre les chevaliers, et laissait impunément dévaster les propriétés par ses gens de guerre et par ses écuyers. Il était doué d'une grande mémoire, et se portait avec une égale ardeur vers le bien comme vers le mal. Il se montrait redoutable aux voleurs et aux brigands, et faisait de grands efforts pour maintenir la paix dans toute sa sérénité au sein des Etats qui lui étaient soumis. Il s'en attacha tous les peuples par ses largesses, ou les comprima par le courage et la terreur, à tel point que personne n'osait murmurer contre lui de quelque manière que ce fût. Lorsqu'il fut affermi sur son trône, il convoqua tous les grands, et les ayant réunis à Winchester, il leur fit connaître de vive voix ce qu'il méditait intérieurement. «Vous connaissez, dit-il, illustres barons, quelle a été à mon égard la bonne foi de mon frère Robert, et combien il m'a suscité de peines. Il est inutile de vous exposer dans de longs discours combien il a armé de mes hommes contre moi dans mon propre royaume, et quels soins il a employés pour m'enlever le trône et la vie. Il est assez évident pour tout le monde que, dès la première année de mon règne, il m'eût occasioné des maux insupportables si dans sa bonté ce la puissance divine ne les eût écartés de moi. Voyez la sainte Eglise me transmettre d'outre-mer ses plaintes douloureuses, toute baignée qu'elle est chaque jour des larmes de la tristesse, parce que, manquant d'un protecteur et d'un défenseur équitable, elle se trouve placée entre les méchans comme les brebis parmi les loups. Celui-là qui néglige de défendre son bien contre le brigandage des scélérats a cherché à me ravir le mien par la fraude et la violence. C'est pourquoi je vous avertis maintenant, vous, qui fûtes les hommes de mon père et qui avez tenu de lui vos fiefs tant en Normandie qu'en Angleterre, afin que vous m'assistiez tous virilement et avec loyauté dans mes justes entreprises. Nous ne devons pas souffrir que les voleurs se concertent pour opprimer les fidèles et détruire les monastères des saints que nos pères ont avec tant d'efforts construits en Normandie. Toute cette contrée est exposée au meurtre et au brigandage; et trop souvent dans ces conjonctures elle se rappelle Guillaume, ce grand prince qui l'avait soustraite aux guerres extérieures et intestines. Il convient donc que, portant son nom et son diadême, j'hérite de son zèle pour la défense de la patrie. Formez-vous, je vous prie, en conseil; que la prudence préside à vos déterminations; faites connaître votre avis, afin que je sache ce que je dois faire dans un tel embarras. Si c'est votre avis, je ferai passer une armée en Normandie, et je punirai de la peine du talion les outrages que mon frère m'a faits sans cause; je secourrai l'Eglise de Dieu; je protégerai les veuves et les orphelins sans défense; je frapperai du glaive de la justice les voleurs et les assassins.» A ces mots chacun donna son assentiment et loua la magnanimité du monarque. Alors le roi Guillaume établit comte de Surrey Guillaume de Varenne, que peu de temps après la mort, qui n'épargne personne, enleva du milieu des vivans. Les moines de Cluni, qu'il avait honorablement placés à Lewes29, l'ensevelirent dans leur chapitre, et firent connaître par les vers suivans, gravés sur son tombeau en pierre blanche, les qualités de l'homme qui y était inhumé. «Comte Guillaume, ce lieu est pour vous un foyer de louanges: vous en fûtes le fondateur, et votre amour lui prodigua les biens. Il décore votre tombeau parce que les dons que vous avez faits aux pauvres du Christ lui sont agréables. Pancrace qui, dans les cieux, vous a réuni à la société des saints, conserve ici vos cendres. O bon Pancrace, secourez ceux qui vous glorifient, et donnez une place dans le ciel à celui qui vous a bâti un tel édifice.» Ce comte eut pour successeurs ses fils Guillaume et Renaud avec leur mère Gundrède; ils se distinguèrent long-temps par leurs prouesses et leur puissance sous les rois anglais Guillaume et Henri. Le roi Guillaume accorda de grandes faveurs à Robert, fils d'Aymon, et l'éleva au premier rang des seigneurs d'Angleterre. Il épousa Sibylle, fille du comte Roger, laquelle eut une fille nommée Mathilde, que par la suite Robert, fils du roi Henri, prit pour femme. Le premier des Normands, Etienne d'Aumale, fils d'Eudes, comte de Champagne, s'attacha au roi, et, aux frais de ce prince, fortifia beaucoup un château qu'il possédait sur la rivière d'Eu30, et dans lequel il plaça une puissante garnison pour le roi contre le duc Robert. Girard de Gournai ne tarda pas à l'imiter. Il livra à Guillaume la ville de Gournai, La Ferté31, Gaille-Fontaine ainsi que ses autres places fortes, et s'appliqua à engager ses voisins dans le parti du roi. Ensuite Robert comte d'Eu, Gautier Giffard32, Raoul de Mortemer, et presque tous les seigneurs qui habitaient au delà de la Seine jusqu'à la mer s'unirent aux Anglais, et reçurent du roi des sommes considérables pour fortifier leurs places d'armes et de soldats. Alors le duc Robert se prépara à opposer une barrière à tant d'ennemis: il maria sa fille, qu'il avait eue d'une courtisane, à Hélie, fils de Lambert de Saint-Saens, et lui donna en dot33 Arques, Bures et tout le pays environnant, afin qu'il tînt bon contre l'ennemi et défendît le comté de Talon. Hélie s'occupa d'accomplir virilement ses ordres. Il fut en effet toujours fidèle au duc et à son fils Guillaume34; et sous les rois Guillaume et Henri35, il eut à souffrir beaucoup de traverses, d'exhérédations, de dommages, d'exils et d'autres calamités. Les Manceaux ayant eu connaissance de la division des Normands, songèrent à secouer leur joug orgueilleux, ce qu'ils avaient jadis tenté plusieurs fois sous Guillaume-le-Grand, roi des Anglais. Dès que le duc Robert eut découvert ce projet, il envoya des députés et des présens à Foulques, comte d'Anjou, en le priant instamment de réprimer l'entreprise téméraire des Manceaux, et de venir le trouver en Normandie où il était gravement malade. Foulques se rendit de bonne grâce à ces prières, et trouva le duc déjà convalescent. Après plusieurs entretiens de paix et d'amitié, le comte Foulques dit au duc Robert: «Si vous voulez faire pour moi une chose que je desire beaucoup, je vous soumettrai les Manceaux, et je vous servirai fidèlement en tout temps comme un véritable ami. J'aime Bertrade, fille de Simon de Montfort, par conséquent nièce de Guillaume, comte d'Evreux, qui est élevée par la comtesse Helvise, qui la garde sous sa tutelle. Donnez-la-moi pour femme, je vous prie, et j'exécuterai tout ce que je vous ai promis.» Aussitôt le duc fit parler de cette affaire au comte d'Evreux, qui prit conseil de ses amis les plus intimes, et chercha soigneusement avec eux comment il devait se conduire. Après avoir diligemment examiné la question, il se rendit à la cour du duc, et entre autres choses lui parla en ces termes: «Seigneur duc, vous me demandez une chose qui me contrarie beaucoup en me priant de donner à un homme déjà bigame ma nièce, qui est jeune encore36, et que mon beau-frère a confiée à mes soins. Vous cherchez prudemment vos avantages et faites peu de cas des miens. Au moyen de ma nièce vous voulez obtenir le comté du Maine et vous m'ôtez mon héritage. Ce que vous cherchez est-il juste? Je ne ferai pas ce que vous me demandez à moins que vous ne me rendiez Bavent37, Noyon38, Gravencon39, Gacé, Ecouché40, et les autres terres de Raoul, mon oncle, que l'on surnomma plaisamment Tête d'Ane à cause de la grandeur de sa tête et de la quantité de ses cheveux; et que vous ne remettiez à mon neveu Guillaume de Breteuil le Pont-Saint-Pierre et les autres objets dont nous conviendrons raisonnablement et légitimement, parce qu'ils doivent être à nous par droit héréditaire. J'ai de bons témoins, et qu'on ne peut récuser en rien, pour prouver que Robert de Gacé, fils de mon oncle Raoul, m'a fait l'héritier de tous ses biens. Le roi Guillaume, notre cousin, parce qu'il était plus puissant que nous, s'est approprié toutes les parties de notre héritage, comme le lion dans le partage du cerf. En considérant sagement ces choses, rendez-nous justice, seigneur duc, et nous obéirons à vos ordres.» Après avoir entendu cette réponse, le duc résolut, d'après l'avis des hommes sages, de donner peu, de peur de perdre beaucoup. A cette époque, Edgar Adelin41, Robert de Bellême et Guillaume d'Arques, moine de Molême, étaient les principaux conseillers de ce prince. En conséquence le duc accorda les demandes de Guillaume d'Evreux et de Guillaume de Breteuil son neveu; il leur remit ces places, que nous venons de nommer, avec leur territoire, excepté Ecouché, que possédait Girard de Gournai, issu de la même famille. En effet, il était fils de Basilie, fille de Girard Fleitel, et si puissant que personne ne pouvait lui faire violence. Le comte d'Anjou obtint avec joie Bertrade, qui était l'objet de ses desirs, et du vivant de ses deux autres femmes, il en fit sa troisième épouse: il en eut un fils nommé Foulques. Fidèle à ses engagemens, Foulques se rendit auprès des Manceaux, et s'appliqua à les apaiser beaucoup plus par les prières et par les promesses que par l'emploi de la force. Il retarda d'au moins une année la révolte qu'ils méditaient. |
X. Fulco Andegavensis comes novam calceorum formam excogitat.--Hujusce temporis mores, vestes, ludi, etc. Hic in multis reprehensibilis et infamis erat, multisque vitiorum pestibus obsecundabat. Ipse nimirum, quia pedes habebat deformes, instituit sibi fieri longos et in summitate acutissimos subtolares; ita ut operiret pedes, et eorum celaret tubera, quae vulgo vocantur uniones. Insolitus inde mos in occiduum orbem processit, levibusque et novitatum amatoribus vehementer placuit. Unde sutores, in calceamentis, quasi caudas scorpionum, quas vulgo pigacias (16) appellant, faciunt, idque genus calceamenti pene cuncti, divites et egeni, nimium expetunt. Nam antea omni tempore rotundi subtolares ad formam pedum agebantur, eisque summi et mediocres, clerici et laici, competenter utebantur. At modo saeculares perversis moribus competens schema superbe cupiunt; et quod olim honorabiles viri turpissimum judicaverunt, et omnino quasi stercus refutaverunt, hoc moderni quasi mel dulce aestimant, et veluti speciale decus amplectentes gestant. Rodbertus quidam nebulo in curia Rufi regis prolixas pigacias primus coepit implere stupis, et hinc inde contorquere instar cornu arietis. Ob hoc ipse Cornardus cognominatus est. Cujus frivolam adinventionem magna pars nobilium, ceu quoddam insigne probitatis et virtutis opus, mox secuta est. Tunc effeminati passim in orbe dominabantur, indisciplinate debacchabantur, Sodomiticisque spurcitiis foedi catamitae, flammis urendi, turpiter abutebantur. Ritus heroum abjiciebant, hortamenta sacerdotum deridebant, barbaricumque morem in habitu et vita tenebant. Nam capillos a vertice in frontem discriminabant, longos crines veluti mulieres nutriebant, et summopere curabant, prolixisque nimiumque strictis camisiis indui, tunicisque gaudebant. Omne tempus quidam usurpabant, et extra legem Dei moremque patrium pro libitu suo ducebant. Nocte comessationibus et potationibus, vanisque confabulationibus, aleis et tesseris, aliisque ludicris vacabant; die vero dormiebant. Sic post obitum Gregorii papae, et Guillelmi Nothi, aliorumque principum religiosorum, in occiduis partibus pene totus abolitus est honestus patrum mos antiquorum. Illi enim modestis vestiebantur indumentis, optimeque coaptatis ad sui mensuram corporis. Et erant habiles ad equitandum et currendum, et ad omne opus quod ratio suggerebat agendum. Ast in diebus istis veterum ritus pene totus novis adinventionibus commutatus est. Femineam mollitiem petulans juventus amplectitur, feminisque viri curiales in omni lascivia summopere adulantur. Pedum articulis, ubi finis est corporis, colubrinarum similitudinem caudarum imponunt, quas velut scorpiones prae oculis suis prospiciunt. Humum quoque pulverulentam interularum et palliorum superfluo surmate verrunt, longis latisque manicis ad omnia facienda manus operiunt, et his superfluitatibus onusti celeriter ambulare vel aliquid utiliter operari vix possunt. Sincipite scalciati sunt ut fures, occipite autem prolixas nutriunt comas ut meretrices. Olim poenitentes, et capti, ac peregrini usualiter intonsi erant, longasque barbas gestabant; indicioque tali poenitentiam, seu captionem, vel peregrinationem spectantibus praetendebant. Nunc vero pene universi populares cerriti sunt et barbatuli, palam manifestantes specimine tali quod sordibus libidinis gaudent, ut fetentes hirci. Crispant crines calamistro. Caput velant vitta, sine pileo. Vix aliquis militarium procedit in publicum capite discooperto, legitimeque secundum Apostoli praeceptum tonso (I Cor. XI) . Exterius itaque habitu gestuque monstrant, quales interius conscientias habeant et qualiter per arctum cultum ad Deum percurrant. Altissimus igitur Judex et sublimi residens solio, quod nimium flagitiis inhaeret humana intentio, populum ineruditum, plebemque indisciplinatam multiplici percutit flagello. Morbis enim macerari, et bellis inquietari terrigenas permittit, hypocriticisque praesidibus subjicit, quos sibi contrarios, suaeque legis spontaneos praevaricatores perspicit. Electi autem, qui zelo Phinees inflammantur, inter reprobos crebro irascuntur, ac ad Dominum cum Propheta conqueruntur: Vidi praevaricantes et tabescebam, quia eloquia tua non custodierunt (Psal. CXVIII, 158) . Unde a bonis doctoribus arguuntur, obsecrantur, increpantur in omni patientia et doctrina. Sed his omnibus pertinaciter obstat malevoli cordis obduratio nefaria, quae solet omnium fovere ac defendere scelerum contagia. Si Persius et Plautus, aliique mordaces satyrici nunc adessent, et curiose indagarent qualiter nostrates clam palamque libitus suos perpetrent, immensam reprehendendi materiam et subsannandi in propatulo reperirent. Innumeris itaque lapsibus perspectis in mundo, Geroius Grossivus in quadam epistola scripsit, inter reliqua, Gisleberto Maminoto, Luxoviensium episcopo:
Virtutum lampas, qua pristina splenduit aetas, Enormitati malitiae, quam passim grassari perspexit, ardens scholasticus hyperbolice detraxit. Blittero quoque Flandrita, in poemate, quod super Henrico Caesare nuper edidit, mundi et miseros mortalium eventus elegiacis modis lucelenter denotavit. Alii quoque plures litterati sophistae magnos questus protulerunt de flagitiis et aerumnis hujus saeculi; quos secutus in praesenti opusculo breviter memini, quo tempore cis Alpes coepit ineptia pigaciarum, et superflua prolixitas capillorum, atque vestium terrae sordes frustra scopantium. De sanctitate et miraculis sanctorum mallem scribere multo libentius quam de nugis infrunitorum, frivolisque nepotationibus; si principes nostri et antistites sanctis perfecte instarent charismatibus, et prodigiis pollerent, sanctitatem praeconantibus. Ast ego vim illis, ut sanctificentur, inferre nequeo. Unde his omissis, super rebus, quae fiunt, veracem dictatum facio. Nunc autem ad narrationis ordinem redeo. |
Ce comte, répréhensible en beaucoup de choses et même infâme, était esclave de toutes sortes de vices. Comme il avait les pieds difformes, il se fit faire des souliers longs et pointus par le bout afin de couvrir ses pieds, et d'en cacher les bosses que l'on appelle ordinairement des ognons. C'est de là que s'étendit en Occident cette mode extraordinaire qui plut beaucoup aux personnes légères et aux amateurs de nouveautés. C'est pourquoi les cordonniers font aux chaussures comme des queues de scorpion qu'ils appellent communément des pigaces, genre de souliers que presque tous les hommes tant riches que pauvres recherchent outre mesure. Jusqu'alors on avait de tout temps fait des souliers arrondis suivant la forme du pied, et les grands comme les petits, les prêtres comme les laïques, s'en servaient convenablement: mais bientôt les séculiers cherchèrent dans leur orgueil des parures qui fussent en rapport avec la perversité de leurs mœurs; et ce qu'autrefois les hommes les plus honorables avaient regardé comme le comble de la honte et de l'infamie, les modernes le trouvent doux comme du miel et en font parade comme d'une distinction toute particulière. Un certain Robert, mauvais sujet, attaché à la cour de Guillaume-le-Roux, commença le premier à remplir d'étoupe ses longues pigaces, et à les faire contourner comme des cornes de belier. C'est pourquoi on le surnomma Cornard. La plus grande partie de la noblesse ne tarda pas à suivre cette frivole invention, comme si c'eût été une marque de mérite et une preuve de vertu. Alors les hommes efféminés avaient partout l'empire sur tout le globe. Ils se livraient à toutes sortes d'excès immoraux, et, sales libertins dignes du feu, ils s'abandonnaient aux ordures de Sodôme. Ils rejetaient les coutumes des guerriers, riaient des exhortations des prêtres, et, dans leurs vêtemens comme dans leur vie, suivaient des mœurs étrangères. En effet, ils séparaient leurs cheveux depuis le sommet de la tête jusqu'au front, ils les entrenaient longs à la manière des femmes, et en prenaient un grand soin; ils trouvaient du plaisir à se revêtir de chemises et de tuniques longues et serrées à l'excès. Quelques-uns perdaient tout leur temps et le passaient selon leur fantaisie en opposition avec la loi de Dieu et les habitudes de leurs pères. Leur nuit était employée à des banquets de débauche et d'ivrognerie, à des entretiens futiles, aux dés et aux autres jeux de hasard. Quant au jour, ils l'employaient à dormir. C'est ainsi qu'après la mort du pape Grégoire, de Guillaume-le-Bâtard et des autres princes religieux, les habitudes honnêtes de nos ancêtres furent presque entièrement abolies dans les contrées occidentales. Ceux-ci portaient des habillemens modestes tout-à-fait adaptés aux formes de leur corps; ils étaient habiles dans l'équitation et la course, ainsi que dans tous les ouvrages que la raison prescrit de faire; mais de nos jours les usages des anciens ont été presque tous changés par de nouvelles inventions. La jeunesse pétulante adopte la mollesse féminine; les hommes de cour s'étudient à plaire aux femmes par toutes sortes de lascivetés. Ils placent aux articulations des pieds, où se termine le corps, l'image de la queue des couleuvres qui, comme des scorpions, se présentent aux yeux. De l'extrémité superflue de leurs robes et de leurs manteaux ils balayent la poussière de la terre; ils se couvrent les mains, quelque chose qu'ils fassent, avec de longues et larges manches, et chargés de ces superfluités, ils ne peuvent marcher promptement ni rien faire d'utile. Comme les voleurs ils ont le front rasé, tandis que comme les courtisanes, ils entretiennent sur le derrière de la tête de longues chevelures. Autrefois les pénitens, les prisonniers et les pélerins avaient l'habitude de garder tous leurs cheveux, et de porter la barbe longue: c'était la marque, aux yeux du public, de la pénitence, de la captivité ou des pélerinages. Maintenant presque tous les gens du peuple ont les cheveux frisés et la barbe courte, manisfestant ainsi aux regards de tout le monde que, comme des boucs fétides, ils se plaisent dans les ordures de la débauche. Ils frisent leurs cheveux avec le fer du coiffeur; au lieu de bonnet ils couvrent leurs têtes de bandelettes. A peine voit-on quelques chevaliers sortir en public la tête découverte et rasés comme il convient selon le précepte de l'apôtre. Ainsi ils montrent à l'extérieur, dans leurs vêtemens et leurs habitudes, quel est l'état intérieur de leur conscience, et quel est le culte qu'ils rendent à Dieu. Aussi le Juge suprême, assis sur son siége sublime, voyant le cœur des hommes trop attaché au crime, frappe de mille fléaux le peuple sans instruction et la populace sans frein. Il laisse les mortels privés de santé par les maladies, et de tranquillité par les guerres. Il leur donne des magistrats hypocrites qu'il voit s'opposer à ses volontés et prévariquer contre sa loi. Les élus, qui étaient enflammés du zèle de Phinée, s'irritent fréquemment contre les réprouvés, et portent leurs plaintes au Seigneur en proférant ces paroles du Prophète: «J'ai vu les prévaricateurs et je séchais de douleur de ce qu'ils ne gardaient pas vos préceptes.» En conséquence les pieux docteurs emploient à l'égard des pécheurs toute leur patience et leur doctrine à les réfuter, à les solliciter et à les tancer. Mais tous ces soins rencontrent des obstacles opiniâtres dans l'endurcissement coupable d'un cœur dépravé qui continue d'entretenir et de protéger la contagion du crime. Si Perse, Plaute et d'autres satiriques mordans se trouvaient parmi nous, et recherchaient curieusement combien nos compatriotes se livrent en cachette ou à découvert à leurs mauvais penchans, ils trouveraient d'innombrables sujets de reproches et de railleries. En voyant dans le monde tant de péchés, Giroie Grossif écrivit entre autres choses dans une lettre à Gilbert Maminol, évêque de Lisieux: «Le flambeau des vertus, qui fit tant briller les âges anciens, a reporté tout son éclat aux astres. De notre temps le monde se couvre de ténèbres, et dans sa léthargie ne peut déjà plus relever la tête. Aujourd'hui on ne trouve plus d'homme de bien; personne ne s'occupe du mérite; les justes récompenses, les honneurs, l'amour de la vertu, tout a disparu.» L'ardent scholastique a fait usage de l'hyperbole pour attaquer l'excès de méchanceté qu'il voyait s'étendre en tous lieux. Le Flamand Blitteron, dans un poème qu'il a nouvellement publié sur l'empereur Henri, a brillamment chanté en vers élégiaques les malheurs du monde et des mortels. Plusieurs autres philosophes lettrés ont fait entendre de grandes plaintes sur les crimes et les calamités de ce siècle, dont j'ai fait une courte mention dans ce présent ouvrage, à l'époque où commencèrent en deçà des Alpes la folie des pigaces, et la longueur superflue des cheveux, et celle des vêtemens qui ne servaient qu'à balayer vainement les ordures de la terre. J'aimerais beaucoup mieux parler dans mes écrits de la sainte vie et des miracles des bienheureux que des niaiseries des insensés, et de leurs frivoles déréglemens, si nos princes et nos prélats s'attachaient à la perfection des saintes grâces, et se signalaient par ces prodiges qui proclament la sainteté; mais je ne peux leur faire violence pour les forcer à se sanctifier. Puisqu'il en est ainsi, je me borne à parler avec simplicité de ce qui se passe, et je retourne maintenant à la suite de ma narration. |
(1) Paganellus. (2) Rodelentum; bourg du pays de Galles, dans le comte de Denbigh, sur la Clyde. On y voit encore quelques restes du château de Robert de Rhuddlan dont il est ici question. (3) De Dangione. (4) On lit mal à propos Grentoni dans les manuscrits et l'imprimé. (5) Leodicum. (6) Feudum, et non pas Fundum comme dans l'imprimé. (7) Orderic Vital dit simplement rex rufus, le roi roux. (8) Per vim, et non pas parvum. (9) Peut-être faudrait-il dire: «des cordes! des cordes!» mais le texte porte torques! (10) En 1088. (11) Cornerum; probablement Saint-Cornier des Landes, près de Tinchebrai. (12) Redecimationem promptuariorum suorum. (13) Princeps militiœ. (14) Finitimœ cœdes: probablement il faut lire: finitimœ sedes. C'est d'après cette hypothèse très-vraisemblable que nous ayons traduit. (15) Près d'Isigni. (16) Lubercio; aujourd'hui Bois-Barrier. (17) Axeium; Essai près d'Alençon, et non pas Assé comme on lit dans le Recueil des historiens de france. (18) Et non pas le Mont-Jallu, comme on a souvent traduit, Rupes de Jalgeio. (19) Junacium ou plutôt Vinacium; aujourd'hui Vieux-Vignas et non pas Vivoing, comme l'ont cru les éditcurs du Recueil des historiens de France. (20) Gaspreium; Gâprée, arrond. d'Alençon, et non pas Guêprei, arrond. d'Argentan, ainsi que quelques auteurs ont traduit mal à propos. (21) Ou Saint-Céneri. (22) Vers 660. (23) Le dieu des armées. (24) Il était comte; mais il est désigné ici par le titre de marquis, parce qu'il occupait une partie des frontières (Marches) de la Normandie. (25) Le Doomsday book. (26) Carrucatœ. (27) Rectores, chefs des églises. Dans la Bretagne on n'avait pas cessé d'appeler recteurs les curés. (28) Le texte porte veritas; mais il faut lire severitas. (29) Laquœ. (30) Aucius. C'est la Brèle, sur laquelle était situé le château dont il s'agit ici, le château d'Aumale. (31) La Ferté-en-Brai, dont le château fut brûlé en 1151 par Henri II, roi d'Angleterre, qui s'en était rendu maître. (32) Comte de Longueville. (33) Mariagium. (34) Guillaume Cliton. (35) Guillaume-le-Roux et Henri Ier. (36) Tenera virago. Il faut lire évidemment tenera virgo. (37) Arrondissement de Caen. (38) Noyon-sur-Andelle, aujourd'hui Charleval. (39) Grareucon est près de Lillebonne. (40) Scoceium, arrondissement d'Argentan. (41) Edgar Adelin le Saxon.
|