HISTOIRE DE NORMANDIE
DEUXIEME PARTIE : LIVRE IV (PARTIE II)
Œuvre mise en page par Patrick Hoffman
Texte latin de Migne.
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE.
HISTOIRE DE NORMANDIE,
PAR ORDERIC VITAL, TOME II.
XIV. Dissensiones inter comitatus Flandriae haeredes. Mathildis regina Normanniam gubernat. Anno quinto regni sui, Guillelmus rex Guillelmum Osberni filium misit in Normanniam, ut cum Mathilde regina tueretur provinciam. Tunc nimia dissensio inter principatus haeredes in Flandria surrexit. Balduinus enim gener Rodberti regis Francorum, fortissimus Flandrensium satrapa fuit, et ex Adala conjuge sua filios et filias plures multimoda indole pollentes habuit. Rodbertus Fresio, Arnulfus, Balduinus, Udo Treverorum archiepiscopus et Henricus clericus et Mathildis regina atque Judith uxor Tostici comitis soboles Balduini et Adalae sunt. De quorum moribus et variis eventibus sophistae magna volumina componere possunt. Rodbertus primogenitus jamdudum patrem offenderat, a quo repulsus et ejectus, ad Florentium ducem Fresionum patris sui hostem secesserat, eique favorabiliter serviens filiam ejus in conjugium acceperat. Unde Flandrensis dux vehementer iratus infremuit, Fresionem eum prae ira cognominavit, et eum omnino extorrem denuntians, Arnulfum juris sui haeredem constituit. Non multo post Balduinus dux defunctus est, et Arnulfus Morinorum ducatum parvo tempore nactus est. Nam Rodbertus Fresio ingentem Fresionum, aliarumque gentium catervam aggregavit, et Flandriam obnixe expugnavit. Philippus autem rex Francorum, qui consanguineus erat eorum, ad auxilium Arnulfi exercitum Gallorum adunavit, et Guillelmum comitem Normanniae custodem accersiit. Ille vero cum decem solummodo militibus regem adiit, et cum eo alacriter quasi ad ludum in Flandriam accessit. Rodbertus autem Fresio exercitum Henrici imperatoris cuneis suis sociavit, et Dominico Septuagesimae, X Kal. Martii mane, imperatos praeoccupavit, et Philippo rege cum Francis fugiente, Arnulfum fratrem suum et Balduinum nepotem suum et Guillemum comitem telis suorum occidit. Postea Morinorum ducatum diu tenuit, moriensque filiis suis, Rodberto Jerosolymitano et Philippo, reliquit. Guillelmi vero comitis corpus in Normanniam a suis delatum est, et in coenobio Cormeliensi, cum magno suorum luctu, sepultum est. Duo quippe coenobia monachorum in suo patrimonio construxerat in honore sanctae Dei genitricis Mariae. Unum quidem erat Lirae secus Riselam fluvium, ubi Adeliza uxor ejus tumulata est; aliud vero Cormeliis, ubi ipse, ut diximus, conditus est. Normannorum maximum strenuitate baronem valde omnes planxerunt, qui largitates ejus et facetias atque mirandas probitates noverunt. Haereditas ejus a rege Guillelmo filiis ejus distributa est. Willelmus major natu Britolium et Paceium, et reliquam partem paterni juris in Normannia obtinuit, et omni vita sua fere XXX annis tenuit. Rogerius autem junior frater comitatum Herfordensem, totumque fundum patris in Anglia obtinuit; sed paulo post propter perfidiam et proterviam suam, ut in sequentibus enodabitur, perdidit. Reginae Mathildi, licet potenter regnaret et innumeris opibus abundaret, luctus ingens ortus est de morte patris, de desolatione matris, de crudelitate unius fratris, qua ruina subito facta est alterius fratris et chari nepotis cum multis amicis. Sic omnipotens Deus immemores sui terrigenas percutit, superbos dejicit, et quod dominetur excelsus super omnem terram lucide ostendit. Rodbertus itaque Fresio totam sibi Flandriam subegit et fere XXX annis possedit, amicitiamque Philippi regis Francorum facile promeruit. Ipsi nempe majorum origine erant consobrini, et ambo conjuges habebant filias Florentii Fresionum marchisi, et filii eorum vinculo hujusmodi necessitudinis huc usque tenentur constricti. Porro inter Normannos et Flandritas recidiva dissensio prodiit, et propter necem fratris reginae, aliorumque affinium, et maxime pro casu Guillelmi comitis diu perduravit. Turbatis in Normannia rebus, rex Angliae regnum optime disposuit, et ipse in Normanniam, ut ibidem omnia recte et utiliter edomaret, properavit. Audito undique regis adventu, pacis amatores laetati sunt, sed filii discordiae et foedi sceleribus ex conscientia nequam, adveniente ultore, contremuerunt. Tunc Normannorum et Cenomannensium majores congregavit, et omnes ad pacem et justitiam tenendam regali hortatu corroboravit. Episcopos quoque et ecclesiasticos viros admonuit ut bene viverent, ut legem Dei jugiter revolverent, ut Ecclesiae Dei communiter consulerent, ut subditorum mores secundum scita canonum corrigerent, et omnes caute regerent.
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La cinquième année de son règne, le roi Guillaume envoya en Normandie Guillaume, fils d'Osbern, pour gouverner la province de concert avec la reine Mathilde. Il y avait alors en Flandre de grandes dissensions entre les héritiers du comté. Baudouin, gendre de Robert, roi des Français, avait été comte des Flamands, et s'était distingué par sa bravoure. Il eut de sa femme Adèle plusieurs fils et plusieurs filles, qui se firent remarquer par leur mérite: Robert le Frison, Arnoul, Baudouin, Odon, archevêque de Trêves, Henri le Clerc, la reine Mathilde et Judith femme du comte Tostic, furent les enfans de Baudouin et d'Adèle. Leur caractère, et les divers événemens de leur vie, peuvent fournir aux écrivains la matière de gros volumes. Robert, l'aîné de ces fils, avait depuis longtemps offensé son père qui le chassa; il se retira chez Florent, duc des Frisons, ennemi de Baudouin; et, pour prix de ses services, il obtint sa fille en mariage. Vivement irrité, le duc de Flandre le surnomma dans son courroux le Frison, et, le déclarant banni à jamais, établit Arnoul pour son héritier. Peu après, le duc Baudouin mourut, et Arnoul posséda quelque temps le duché. Robert le Frison rassembla une grande armée de Frisons et d'autres peuples, et attaqua la Flandre avec vigueur. Cependant Philippe, roi des Français, qui était leur cousin, réunit l'armée française pour marcher au secours d'Arnoul, et manda le comte Guillaume qui était chargé de la garde de la Normandie. Ce seigneur alla trouver le roi avec dix chevaliers seulement, et partit gaîment avec lui pour la Flandre, comme s'il allait à une fête. Robert le Frison réunit à ses forces celles de l'empereur Henri. Le dimanche de la septuagésime, 10 des calendes de mars (20 février), il attaqua ses ennemis de grand matin et à l'improviste, et mit en fuite Philippe avec ses Français. Son frère Arnoul, Baudouin son neveu, et le comte Guillaume tombèrent sous les coups des Flamands. Ensuite Robert conserva long-temps son duché, et en mourant le laissa à ses fils, Robert de Jérusalem et Philippe. Le corps du comte Guillaume fut transporté par les siens en Normandie, et fut inhumé avec un grand deuil dans le couvent de Cormeilles. Guillaume avait bâti dans ses domaines deux couvens de moines en l'honneur de sainte Marie, mère de Dieu: l'un deux était placé à Lire, sur la rivière de Rille, où sa femme Adelise fut enterrée; l'autre à Cormeilles, où, comme nous l'avons dit, il fut inhumé. Ce baron, le plus brave de tous les Normands, fut beaucoup pleuré par tous ceux qui connaissaient sa générosité, sa gaîté et tout son mérite. Son héritage fut partagé entre ses fils par le roi Guillaume: l'aîné, nommé Guillaume, eut Breteuil, Pacy, et le reste des biens de son père en Normandie. il en jouit toute sa vie, pendant à peu près trente ans. Roger, son frère puîné, reçut le comté de Herfort, et tous les biens de son père en Angleterre; mais il les perdit peu de temps après, à cause de sa perfidie et de son insolence, comme nous le dirons par la suite. Quoique la puissance de la reine Mathilde fût très-grande, et qu'elle fût comblée de biens de toute espèce, elle éprouva de grands chagrins que firent naître la mort de son père, la désolation de sa mère, la cruauté d'un de ses frères, d'où résulta la ruine de l'autre, ainsi que celle de son cher neveu et de plusieurs de ses amis. C'est ainsi que Dieu tout-puissant frappe les enfans de la terre qui ne se souviennent pas de lui, humilie les orgueilleux, et montre clairement sa domination sur l'univers. Robert le Frison subjugua toute la Flandre, la posséda près de trente ans, et mérita facilement l'amitié de Philippe, roi des Français. Ces deux princes étaient cousins, et tous deux avaient épousé des filles de Florent, marquis des Frisons; leurs fils sont jusqu'à ce jour restés unis parles liens de l'amitié. Toutefois une nouvelle dissension divisa les Normands et les Flamands, à cause de la mort du frère de la reine, ainsi que de quelques-uns de ses parens, et surtout à cause du malheur du comte Guillaume. Comme le trouble régnait en Normandie, le roi Guillaume mit en ordre les affaires d'Angleterre, et se rendit en toute hâte dans le duché, pour y régler toutes choses utilement et justement. Dès que l'on connut l'arrivée du roi, les amis de la paix se réjouirent; mais les enfans de la discorde et les hommes souillés de forfaits, dont la conscience vengeresse leur reprochait des crimes, se mirent à trembler. Alors le roi rassembla les personnages les plus marquans, tant du Maine que de la Normandie, et, les exhortant à la paix et à l'équité, leur rendit royalement le courage. Il engagea les évêques et tous les autres ecclésiastiques à mener une bonne conduite, à ne pas cesser d'observer la loi de Dieu, à pourvoir en commun aux besoins de l'Eglise, à veiller aux mœurs de leurs subordonnés, selon les décisions des canons, et à gouverner en tout avec sagesse. |
XV. Rothomagense concilium. Anno igitur ab Incarnatione Domini 1072, congregatum est concilium in metropolitana Rothomagensis urbis, sede, in basilica beatae et gloriosae Dei genitricis semper Virginis Mariae, cui Joannes ejusdem urbi archiepiscopus praeerat, et vestigia Patrum secutus utilitati ecclesiasticae omnimodis consulebat, cum suffraganeis suis, Odone Bajocensi, Hugone Lexoviensi, Rodberto Sagiensi, Michaele Abrincatensi et Gisleberto Ebroicensi. In primis disputatum est de fide sanctae et individuae Trinitatis, quam secundum statuta sanctorum conciliorum, scilicet Niceni, Constantinopolitani, primi Ephesini, Chalcedonensis concilii corroboraverunt, sanxerunt, se toto corde credere professi sunt. Post hanc catholicae fidei professionem, annexa sunt haec subscripta catholicae fidei doctrinae capitula. In primis statutum est a nobis ut secundum statuta Patrum, chrismatis et olei baptismatis et unctionis consecratio competenti hora, id est post Nonam, secundum statuta sanctorum Patrum fiat. Hoc etiam debet episcopus praevidere ut in ipsa consecratione XII sacerdotes, sacerdotalibus vestibus indutos, vel quamplures secum habeat. Item in quibusdam provinciis mos detestabilis inolevit, quod quidam archidiaconi pastore carentes ab aliquo episcopo particulas olei et chrismatis accipiunt, et ita oleo suo commiscent, quod et damnatum est. Sed unusquisque archidiaconus chrisma et oleum suum totum episcopo, a quo consecrabitur, ut proprio episcopo praesentet. Item chrismatis et olei distributio a decanis summa diligentia et honestate fiat; ita ut interim dum distribuerint, albis sint induti, et talibus vasculis distribuatur, ut nihil inde aliqua negligentia pereat. Item statutum est ut nullus missam celebret, qui non communicet. Item nullus sacerdos baptizet infantem, nisi jejunus et indutus alba et stola, nisi necessitate. Item sunt quidam qui viaticum et aquam benedictam ultra octavum diem reservant; quod et damnatum est. Alii vero non habentes hostias consecratas iterum consecrant; quod terribiliter interdictum est. Item donum sancti Spiritus ut non detur nisi jejunis et a jejunis, neque ipsa confirmatio absque igne fiat, statutum est. Hoc etiam statutum est, ne in dandis sacris ordinibus apostolicae auctoritatis violatores inveniamur. Legitur enim in Decretis Leonis papae quod non passim diebus omnibus sacri ordines celebrentur; sed post diem Sabbati, in ejus noctis exordio quae in prima Sabbati lucescit his qui consecrandi sunt, jejunis a jejunantibus sacra benedictio conferatur. Quod ejusdem observantiae erit, si mane ipso Dominico die, continuato Sabbati jejunio, celebretur. A quo tempore praecedentis noctis initium non recedit; quod ad diem Resurrectionis, sicut etiam in Pascha Domini declaratur, pertinere non dubium est. Item Quatuor Temporum observatio competenti tempore secundum divinam institutionem communi observantia a nobis servetur, id est prima hebdomada Martii, secunda Junii, tertia Septembris, eadem Decembris, ob reverentiam Dominicae Nativitatis. Indignum enim valde est ut sanctorum institutio aliquibus occupationibus vel mundiali sollicitudine destituatur. Item clerici, qui non electi, nec vocati, aut nesciente episcopo sacris ordinibus se subintromittunt; aliquibus vero episcopus, ut diaconibus, manum imponit; alii, caeteros ordines non habentes, diacones aut presbyteri consecrantur; hi digni sunt depositione. Item qui coronas benedictas habuerunt et reliquerunt, usque ad dignam satisfactionem excommunicentur. Clerici qui ordinandi sunt, in V feria veniant ad episcopatum. Item monachi et sanctimoniales qui, relictis suis ecclesiis, per orbem vagantur, alii pro nequitiis suis a monasteriis expulsi, quos pastorali auctoritate oportet compellere ut ad monasteria sua redeant; et si expulsos abbates recipere noluerint, victum eleemosynae eis tribuant, quae etiam manuum labore acquirant, quousque si vitam suam emendaverint videantur. Item emuntur et venduntur curae pastorales, scilicet ecclesiae parochianae, tam a laicis quam a clericis, insuper etiam a monachis; quod ne amplius fiat, interdictum est. Item ne nuptiae in occulto fiant, neque post prandium; sed sponsus et sponsa jejuni a sacerdote jejuno in monasterio benedicantur, et antequam copulentur, progenies utrorumque diligenter inquiratur. Et si infra septimam generationem aliqua consanguinitas inventa fuerit, et si aliquis eorum dimissus fuerit, non conjungantur. Sacerdos qui contra haec fecerit, deponatur. De sacerdotibus et levitis et subdiaconibus qui feminas sibi usurpaverunt, concilium Lexoviense observetur, ne ecclesias per se, neque per suffraganeos regant, nec aliquid de beneficiis habeant. Archidiaconi, qui eos regere debent, non permittantur aliquam habere nec concubinam, nec subintroductam mulierem, nec pellicem; sed caste et juste vivant, et exemplum castitatis et sanctimoniae subditis praebeant. Oportet etiam ut tales decani eligantur, qui sciant subditos redarguere et emendare, quorum vita non sit infamis, sed merito praeferetur subditis. Item interdictum est ne aliquis, qui vivente sua uxore de adulterio calumniatus fuerit, post mortem illius unquam de qua calumniatus fuerit accipiat. Multa enim mala inde evenerunt; nam plurimi de causa hac suas interfecerunt. Item nullus, cujus uxor velata fuerit, ipsa vivente, unquam aliam accipiat. Item si uxor viri, qui peregre aut alias profectus fuerit, alii viro nupserit, quousque prioris mortis certitudinem habeat, excommunicetur usque ad dignam satisfactionem. Item statutum est ne hi, qui publice lapsi in criminalibus peccatis inveniuntur, citissime in sacris ordinibus restituantur. Si enim lapsis, ut ait B. Gregorius, ad suum ordinem revertendi licentia concedatur, vigor canonicae procul dubio frangitur disciplinae, dum per reversionis spem pravae actionis desideria quisque concipere non formidat. Unde hoc ratum manere oportet, ut in crimine publice lapsus, ante peractam poenitentiam in pristino gradu nullatenus restituatur, nisi summa necessitate post dignam quidem longae poenitentiae satisfactionem. Item si aliquis lapsus dignus depositione repertus fuerit, et ad eum deponendum tot coepiscopos quot auctoritas postulat, scilicet in sacerdotis sex, in diaconi depositione tres; unusquisque, qui adesse non poterit, vicarium suum cum sua auctoritate transmittat. Item statutum est ut nullus in Quadragesima prandeat antequam, hora nona peracta, vespertina incipiat. Non enim jejunat qui ante manducat. Item statutum est ut in Sabbato Paschae officium ante nonam non incipiatur. Ad noctem enim Dominicae Resurrectionis respicit, ob cujus reverentiam Gloria in excelsis Deo et Alleluia cantatur; quod etiam in officii initio, cerei scilicet benedictione monstratur. Narrat liber Officialis quod in hoc biduo non fit sacramenti celebratio. Vocat autem hoc biduum sextam feriam et Sabbatum, in quo recolitur luctus et moestitia apostolorum. Item si alicujus sancti festivitas in ipsa die evenerit, in qua celebrari non possit, non ante, sed infra octavum diem celebretur. Item juxta sanctorum Patrum decreta, scilicet Innocentii papae et Leonis, statuimus ne generale baptisma nisi Sabbato Paschae et Pentecostes fiat. Hoc quidem servato, quod parvulis quocunque tempore, quacunque die petierint, regenerationis lavacrum non negetur. Vigilia vel die Epiphaniae, ut nullus nisi infirmitatis necessitate baptizetur, omnino interdicimus. Huic concilio consenserunt Joannes archiepiscopus Rothomagensis Ecclesiae, Odo Bajocensis episcopus, Michael Abrincatensis episcopus, Gislebertus Ebroicensis episcopus, et quamplures etiam venerabiles abbates, quibus eo tempore coenobia Normanniae nobiliter pollebant, et monachicum rigorem servabant. |
L'an de l'Incarnation du Seigneur 1072, on assembla un concile dans le siége métropolitain de la ville de Rouen; Jean, archevêque de cette ville, le présida dans l'église de la bienheureuse et glorieuse Marie, mère de Dieu, toujours vierge. Ce prélat, qui suivait les traces des Pères, s'occupait avec zèle des intérêts de l'Eglise, de concert avec ses suffragans, Odon de Bayeux, Hugues de Lisieux, Robert de Seès, Michel d'Avranches, et Gislebert d'Evreux. Il fut surtout question dans ce concile de la foi qu'on doit avoir en la sainte et indivisible Trinité, qui fut confirmée, sanctionnée et professée en toute croyance de cœur, selon les statuts des saints conciles, tels que ceux de Nicée, de Constantinople, le premier d'Ephèse et celui de Chalcédoine. Après cette profession de la foi catholique, on annexa dans les mêmes principes les chapitres suivans qui furent souscrits. D'abord il est statué par nous que, conformément aux décisions des Pères, la consécration du chrême, de l'huile du baptême et de l'onction, doit se faire à heure convenable, c'est-à-dire après none, ainsi que l'ont déterminé les saints Pères. L'évêque doit pourvoir à ce que, dans cette consécration, il ait avec lui au moins douze prêtres revêtus des habits sacerdotaux. Item. Il s'est établi dans quelques provinces une coutume détestable, selon laquelle certains archidiacres, manquant de pasteurs, reçoivent de quelque évêque de petites portions d'huile et de chrême, et les mêlent ainsi à leur huile: ce qui est condamné. Chaque archidiacre doit présenter tout son chrême et toute son huile à un évêque pour les faire consacrer, comme par son propre diocésain. Item. La distribution du chrême et de l'huile doit être faite par les doyens, avec beaucoup de soin et de respect, de manière qu'ils soient revêtus de leurs aubes, pendant qu'ils font cette distribution: elle sera faite dans de petits vases, afin qu'il ne s'en perde pas par négligence. Item. Personne ne célébrera la messe sans communier. Item. Aucun prêtre ne baptisera d'enfant s'il n'est à jeun et revêtu de l'aube, ainsi que de l'étole, si ce n'est dans un cas urgent. Item. Il y a quelques prêtres qui réservent au delà de huit jours le viatique et l'eau bénite: ce qui est condamné. D'autres n'ayant pas d'hosties consacrées consacrent de nouveau: ce qui est terriblement interdit. Item. Le don du Saint-Esprit ne doit être donné et reçu qu'à jeun. La confirmation ne peut se faire sans feu. Ceci est statué afin qu'en donnant les ordres sacrés, nous ne nous montrions point violateurs de l'autorité apostolique. On lit dans les décrets du pape Léon que ces ordres ne doivent pas être conférés indistinctement tous les jours, mais bien après le jour du samedi, au commencement de la nuit du dimanche, de manière que la sainte bénédiction soit conférée par des personnes à jeun à d'autres qui soient dans le même état. On observera la même règle, si la continuation du jeûne du samedi s'étend au dimanche matin. Le commencement de la nuit précédente ne s'éloigne pas de ce temps, auquel appartient sans nul doute le jour de la résurrection, comme il a été établi pour la Pâque du Seigneur. Item, L'observation des quatre-temps aux jours compétens, selon l'institution divine, est conservée par nous en commune observance, c'est-à-dire, dans la première semaine de mars, la seconde de juin, la troisième de septembre, ainsi que de décembre, à cause du respect dû à la Nativité du Seigneur. En effet, il serait fort inconvenant que l'institution des choses saintes fût privée des précautions et des soins que l'on accorde aux choses mondaines. Item. Les clercs qui, sans être élus ou appelés, ou à l'insu de leur évêque, s'immiscent dans les ordres sacrés; ceux qui reçoivent de l'évêque l'imposition des mains, comme s'ils étaient diacres; ceux qui n'ayant pas les autres ordres sont consacrés diacres ou prêtres, méritent la déposition. Item. Ceux qui ont eu et abandonné la tonsure seront excommuniés jusqu'à suffisante satisfaction. Les clercs qui doivent être ordonnés se rendront auprès de leur évêque le cinquième jour de la semaine (jeudi). Item. Les moines et les religieuses qui ayant quitté leurs églises divaguent par le monde, et ceux qui ont été chassés des couvons pour leur mauvaise conduite, doivent être par l'autorité pastorale déterminés à retourner dans leur monastère. Si les abbés refusent de les recevoir, on leur donnera la nourriture de l'aumône, et ils travailleront de leurs mains, jusqu'à ce qu'ils paraissent s'être amendés. Item. Des cures pastorales ou églises paroissiales sont achetées et vendues, tant par des laïques que par des clercs, et même des moines: c'est ce qui est interdit et ne doit plus se faire. Item. Les noces n'auront plus lieu en cachette, ni après dîner; mais l'époux et l'épouse, à jeun, seront bénis dans le monastère par un prêtre également à jeun: avant de les unir, on recherchera avec soin quelle est leur famille; et si l'on découvre quelques rapports de consanguinité au dessous de la septième génération, et si quelqu'un d'eux a été divorcé, le mariage n'aura pas lieu. Le prêtre qui n'observera pas ce statut sera déposé. On observera le concile de Lisieux en ce qui concerne les prêtres, les diacres et les sous-diacres qui se permettent d'avoir des femmes: ils ne gouverneront les Eglises, ni par eux-mêmes, ni par leurs suffragans; ils n'auront droit à aucuns bénéfices. Les archidiacres qui doivent les diriger ne leur permettront d'avoir, ni concubine, ni femme venant en cachette, ni courtisanne; mais ils vivront chastement et justement, et donneront à leurs surbordonnés l'exemple de la chasteté et d'une sainte conduite. On doit choisir les doyens de telle manière qu'ils sachent reprendre et corriger ceux qui leur sont soumis, et que leur vie ne soit point infâme, mais au contraire plus régulière que la conduite de ceux qu'ils doivent diriger. Item. Il est interdit à celui qui, du vivant de sa femme, a été accusé d'adultère, d'épouser, après la mort de cette femme, celle qui fut l'objet de l'accusation. De la non observation de cette mesure, il est résulté beaucoup de maux, et plusieurs maris ont par ce motif fait périr leurs femmes. Item. Celui dont la femme a pris le voile, ne peut tant qu'elle vivra en épouser une autre. Item. Si la femme, dont le mari est parti en pélerinage ou allé ailleurs, a pris un autre mari, elle sera excommuniée jusqu'à satisfaction suffisante, tant qu'on n'aura pas la certitude de la mort du premier. Item. Il est statué que ceux qui sont publiquement tombés en péché mortel ne doivent pas être trop promptement rétablis dans les ordres sacrés; car, comme dit le bienheureux Grégoire, si l'on accorde à ces pécheurs la permission de rentrer dans leur ordre, toute la force de la discipline canonique sera sans nul doute détruite, tant que chacun, par l'espoir du retour, ne craindra pas de concevoir le desir des mauvaises actions. Il est donc nécessaire de maintenir cette décision, afin que celui qui est tombé publiquement dans le crime ne puisse rentrer dans son premier état avant d'avoir terminé sa pénitence, à moins de grande nécessité, et toutefois après une digne satisfaction. Item. Si quelque pécheur a été trouvé dans le cas d'être repris, et que, pour le déposer, on n'ait pu réunir le nombre de co-évêques que l'autorité demande, savoir, six pour la déposition d'un prêtre, et trois pour celle d'un diacre, chacun des co-évêques qui n'aura pu venir, se fera représenter par son vicaire. Item. Il est statué que nul ne doit dîner dans le carême, avant que l'heure de none soit terminée, et que le soir commence. En effet, celui qui mange auparavant ne jeûne pas. Item. Il est statué que le samedi de Pâques, l'office ne doit pas commencer avant none. Effectivement il se rapporte à la nuit de la Résurrection du Seigneur, en l'honneur duquel on chante le gloria in excelsis et l'alleluia. Au commencement de cet office, on fera la bénédiction du cierge. Le livre des offices dit que, durant ces deux jours, on ne fait pas de célébration de sacremens; il appelle ces deux jours le sixième jour (vendredi), et le samedi, dans lesquels on renouvelle le deuil et la tristesse des Apôtres. Item. Si la fête de quelque saint survient ce même jour, pendant lequel on ne peut la célébrer, elle le sera non auparavant, mais huit jours après. Item. Conformément aux decrets des saints pères, savoir les papes Innocent et Léon, nous statuons que le baptême général ne peut se faire que le samedi de Pâques et de la Pentecôte; en observant toutefois que ce bain de la régénération ne peut être refusé aux enfans en quelque temps et quelque jour que ce soit. Nous interdisons entièrement de conférer le baptême la veille ou le jour de l'Epiphanie, à moins de nécessité pour cause de maladie.
A ce concile, assistèrent Jean, archevêque de l'église de Rouen;
Odon, évêque de Bayeux; Michel, évêque d'Avranches; Gislebert,
évêque d'Evreux, et un grand nombre de vénérables abbés, qui
alors étaient l'honneur des monastères de la Normandie, et y
maintenaient la discipline monacale.
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XVI. Monasteriorum abbates in Normannia sub Guillelmo rege. Operae pretium esse reor Patrum memoriam posteris intimare, qui Normanniae monasteria sub rege Guillelmo prudenter rexere, et aeterno Regi, qui incommutabiliter regnat, studuerunt usque ad mortem digniter obsecundare. Sequaces eorum multa de eis, ut reor, scripta posteritati dimisere; sed tamen quosdam, quos prae caeteris amo, non pro temporali mercede, sed pro solo amore sapientiae et religionis sibi coelitus inditae, dulce est mihi cum magistris meis in hac saltem pagina nominare. Fiscannense coenobium in prospectu maris positum, creatrici omnium sanctae et individuae Trinitati dicatum, a Richardo primo duce Normannorum nobiliter fundatum, a secundo multis honoribus et divitiis largiter ampliatum, post Guillelmum Divionensem virum sapientem et in religione ferventissimum, Joannes venerabilis abbas annis quinquaginta et uno rexit. Post quem Guillelmus de Ros, Bajocensis clericus, sed Cadomensis monachus, fere XXVII annis tenuit. Hic ut mystica nardus in domo Domini fragravit charitate, largitate, multimodaque probitate. Opera quae palam sedulo fecit, vel in occulto coram paucis arbitris omnipotenti Deo libavit, attestantur quis spiritus in illo habitavit, ipsumque totum possidens ad solium Domini Sabaoth coronandum perduxit. De Fontanellae monasterio Guntardus coenobita electione sapientum assumptus est, et post obitum Rodberti abbatis Gemmeticensibus rector datus est. Spiritualis doctrinae pabula commissis ovibus curiose impendit, et rigorem monastici ordinis viriliter tenuit. Mansuetos et obedientes, ut pater filios, mulcens honoravit; in reprobos autem et contumaces, regulaeque contemptores, ut severus magister disciplinae virgam exercuit. Denique ad concilium quod Urbanus papa anno ab Incarnatione Domini 1095, indictione III, apud Clarummontem tenuit, praefatus Pater cum caeteris collegis suis Normanniae pastoribus perrexit, ibique, jubente Deo, finem vitae VI Kal. Decembris accepit; cui Tancardus, Fiscannensis prior, ferus ut leo successit. Defuncto Herluino, qui fundator et primus abbas Beccensis monasterii exstitit, et multis charismatibus florens, Ecclesiae filiis in vita sua sine dolo profuit, venerabilis Anselmus multiplici litterarum scientia pleniter imbutus successit, et praefatum coenobium doctis ac devotis fratribus, donante Deo, laudabiliter replevit. Deinde aucto servorum Dei numero copia rerum non defuit, sed, confluentibus amicis nobilibus ac necessariis, fratribus necessaria ubertas honorifice provenit. Ad consilium probatissimi sophistae clerici et laici concurrebant, et dulcia veritatis verba, quae de ore ejus fluebant, fautoribus justitiae quasi sermones angeli Dei placebant. Hic natione Italus Lanfrancum secutus Beccum expetiit, et instar Israelitarum auro divitiisque Aegyptiorum, id est saeculari eruditione philosophorum onustus, terram repromissionis desideranter adiit. Monachus autem factus, coelesti theoriae omnimodis inhaesit, et de uberrimo fonte sophiae melliflua doctrinae fluenta copiose profudit. Obscuras sacrae Scripturae sententias solerter indagavit, strenue verbis aut scriptis dilucidavit, et perplexa prophetarum dicta salubriter enodavit. Omnia verba ejus utilia erant, et benevolos auditores aedificabant. Dociles discipuli epistolas typicosque sermones ejus scripto retinuerunt; quibus affatim debriati non solum sibi sed et aliis multis non mediocriter profecerunt. Hoc Guillelmus et Boso successores ejus multiplicer senserunt, qui tanti doctoris syntagmata insigniter sibi hauserunt, et sitientibus inde desiderabilem potum largiter propinaverunt. Anselmus affabilis et mansuetus erat, et cunctis simpliciter interrogantibus charitative respondebat. Inquirentibus amicis pie libros edidit mirae subtilitatis ac profunditatis de Trinitate, de veritate, de libero arbitrio, de casu diaboli, et cur Deus homo factus est. Fama sapientiae hujus didascali per totam latinitatem divulgata est, et nectare bonae opinionis ejus occidentalis Ecclesia nobiliter debriata est. Ingens in Ecclesia Beccensi liberalium artium et sacrae lectionis sedimen per Lanfrancum coepit, et per Anselmum magnifice crevit, ut inde plures procederent egregii doctores et providi nautae ac spirituales aurigae, quibus ad regendum in hujus saeculi stadio divinitus habenae commissae sunt Ecclesiae. Sic ex bono usu in tantum Beccenses coenobitae studiis litterarum sunt dediti, et in quaestione seu prolatione sacrorum aenigmatum utiliumve sermonum insistunt seduli, ut pene omnes videantur philosophi, et ex collocutione eorum etiam qui videntur inter eos illitterati, et vocantur rustici, possint ediscere sibi commoda spumantes grammatici. Affabilitate mutua et charitatis dulcedine in Domini cultu gaudent, et infatigabili religione, ut vera docet eos sapientia, pollent. De hospitalitate Beccensium sufficienter eloqui nequeo. Interrogati Burgundiones et Hispani, aliique de longe seu de prope adventantes respondeant, et quanta benignitate ab eis suscepti fuerint, sine fraude proferant, eosque in similibus imitari sine fictione satagant. Janua Beccensium patet omni viatori, eorumque panis nulli denegatur charitative petenti. Et quid plura de eisdem loquar? Ipsos in bonis perseverantes custodiat, et ad portum salutis incolumes perducat, qui gratis coepit, peragitque bonum quod in eis coruscat! Gerbertus Fontinellensis et Ainardus Divensis ac Durandus Troarnensis; quasi tres stellae radiantes in firmamento coeli, sic isti tres archimandritae multis modis rutilabant in arce Adonai. Religione et charitate, multiplicique peritia pollebant, studioque divinae laudationis in templo Dei jugiter inhiabant. Inter praecipuos cantores scientia musicae artis ad modulandum suaviter potiti sunt, et dulcisonos cantus antiphonarum atque responsoriorum ediderunt. De summo Rege, quem laudant cherubim et seraphim et omnis militia coelorum; de intacta Virgine Maria, quae nobis peperit Salvatorem saeculorum; de angelis et apostolis ac martyribus; de confessoribus ac virginibus mellifluas laudes ex dulcissimo corde manantes prompserunt; et Ecclesiae pueris ad concinendum Domino cum Asaph et Eman, Ethan et Idithun, et filiis Chore fideliter tradiderunt. Nicolaus, Richardi tertii ducis Normannorum filius, a puero Fiscannensis monachus, coenobium Sancti Petri principis apostolorum in suburbio Rothomagensi fere LX annis rexit, miraeque magnitudinis et elegantiae basilicam coepit, in qua corpus sancti Audoeni ejusdem urbis archiepiscopi cum multis aliis sanctorum reliquiis requiescit. Alii quoque plures tunc erant monachorum Patres in Neustria, quorum numerosa praeterire compellor charismata, ne lectori generet fastidium prolixitas nimia. |
Je pense qu'il est à propos de transmettre à la postérité la mémoire des Pères qui gouvernèrent prudemment les monastères de Normandie, sous le règne de Guillaume, et s'efforcèrent jusqu'à leur mort d'exécuter avec diligence les lois du monarque éternel qui règne sans changement et sans trouble. Les disciples de ces Pères ont, comme je le pense, laissé à la postérité plusieurs écrits sur leur histoire. Cependant il m'est doux ainsi qu'à mes maîtres de nommer, au moins dans cette page, ceux que je chéris de préférence, non pour aucune récompense temporelle, mais à cause du seul amour de la sagesse et de la religion que le ciel leur départit. Après Guillaume de Dijon, homme sage et d'une religion très-fervente, le vénérable abbé Jean gouverna cinquante-un ans le monastère de Fécamp, situé en face de la mer, dédié à la sainte et indivisible Trinité, créatrice de toutes choses, fondé noblement par Richard I, duc des Normands, et largement augmenté en honneurs et en richesses par Richard II. Après Jean, Guillaume de Roz, clerc de Bayeux et moine de Caen, fut à la tête de l'abbaye pendant près de vingt-sept ans. Comme le nard mystique, il parfuma la maison du Seigneur par la charité, la libéralité et toutes sortes de mérites. Toutes les œuvres qu'il fit soigneusement en public, ou qu'il offrit au Dieu tout-puissant secrètement ou en présence d'un petit nombre de témoins, prouvent de quel esprit il était animé. Cet esprit, qui le possédait tout entier, le conduisit pour être couronné au pied du trône du Seigneur. Le cénobite Gontard fut, par l'élection des hommes sages, tiré du monastère de Fontenelles38, et chargé de gouverner Jumiège, après la mort de l'abbé Robert. Il mit un grand soin à ouvrir les pâturages de la doctrine aux brebis qui lui furent confiées, et il observa sévèrement toute la rigueur de l'ordre monastique. Il honora avec bonté ceux qui étaient doux et obéissans, de même qu'un père traite ses enfans; mais comme un maître sévère, il frappa de la verge de la discipline les méchans, les mutins et ceux qui méprisaient la règle. Ce père avec les autres pasteurs, ses collègues de Normandie, se rendit au concile que le pape Urbain tint à Clermont, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1095, 3e de l'indiction, et par l'ordre de Dieu il termina sa vie le 6 des calendes de décembre (26 novembre). Il eut pour successeur Tancard, prieur de Fécamp, qui se montra redoutable comme un lion. Après la mort de Herluin, qui fut le fondateur et le premier abbé de l'abbaye du Bec, et qui, doué de beaucoup de grâces, se montra pendant sa vie entière disposé à servir sans feinte tous les enfans de l'Eglise, le vénérable Anselme, pleinement imbu de la science des lettres, lui succéda et remplit le monastère, avec la grâce de Dieu, et en méritant de grands éloges de frères aussi savans que dévots. Le nombre des serviteurs de Dieu s'étant accru, ce qui leur était nécessaire ne leur manqua pas; il y eut honorablement et en abondance toutes sortes de secours pour ces nobles amis et ces frères intimes qui se réunissaient de toutes parts. Les clercs et les laïques accouraient pour entendre ce philosophe éprouvé, de la bouche duquel les douces paroles de vérité découlaient et plaisaient aux amis de la justice comme les discours de l'ange de Dieu. Anselme, né en Italie, avait suivi Lanfranc au Bec; et de même que les Israélites, chargés de l'or et des richesses des Egyptiens, il s'était muni de la science séculière des philosophes, et avait avec ardeur gagné la terre de promission. Devenu moine, il s'attacha de toutes manières aux célestes connaissances, et versa copieusement, de la plus abondante fontaine de sagesse, des ruisseaux pleins du miel de la doctrine. Il approfondit avec sagacité les sentences les plus obscures de l'Ecriture-Sainte, il les éclaircit habilement dans ses entretiens et ses écrits, et débrouilla d'une manière salutaire les passages les plus difficiles des Prophètes. Tous ses discours étaient de la plus grande utilité, et ne manquaient pas d'édifier ses auditeurs bénévoles. Ses disciples dociles conservèrent par écrit ses lettres et ses discours typiques; et s'en étant rassasiés en retirèrent de grands avantages, non seulement pour eux, mais encore pour beaucoup d'autres. Ses successeurs Guillaume et Bozon, pénétrés de ses maximes, puisèrent d'une manière éclatante à la source des sciences de ce grand docteur, et y firent boire largement ceux qui avaient soif de ce desirable breuvage. Anselme était affable et doux, et répondait charitablement à tous ceux qui l'interrogeaient avec simplicité. A la demande de ses amis, il publia pieusement des livres d'une grande profondeur et d'un grand mérite sur la Trinité, sur la vérité, sur le libre arbitre, sur la chute du diable et sur la question de savoir pourquoi Dieu s'est fait homme. La réputation de ce disciple de la sagesse se répandit par toute la latinité, et l'Eglise s'abreuva noblement du nectar de ses bonnes opinions. Un grand dépôt de sciences libérales et de lectures sacrées commença à s'établir dans l'église du Bec par les soins de Lanfranc, et s'augmenta magnifiquement par ceux d'Anselme, de manière qu'il en résulta d'habiles docteurs, des nochers prévoyans et des cochers spirituels39, auxquels on confia les rênes de l'église, pour conduire les fidèles divinement à travers la carrière de ce siècle. C'est ainsi que, par un bon choix, les moines du Bec se livrèrent aux études des lettres et se montrèrent empressés à rechercher et à répandre les saints mystères et les discours utiles, à tel point que presque tous paraissaient des philosophes. Dans leurs relations avec eux, ceux qui semblaient illettrés, et que l'on appelle rustiques, pouvaient s'instruire avantageusement dans la grammaire. Ils se réjouirent dans le culte de Dieu par une affabilité mutuelle et par les douceurs de la charité; ainsi que l'enseigne la vraie sagesse, ils excellèrent infatigablement dans la religion. Je ne puis parler avec assez de détail de l'hospitalité des moines du Bec; que l'on interroge les Bourguignons, les Espagnols, et les autres personnes qui arrivaient de loin ou de près, ils répondront et diront véridiquement avec quelle bienveillance ils furent accueillis par les religieux, et ils s'efforceront sans doute de les imiter sans feinte dans ces actes pieux. La porte du Bec est ouverte à tous les voyageurs, et leur pain n'est jamais refusé a quiconque le demande dans l'esprit de charité. Que dirais-je de plus de ces cénobites? Que celui qui a commencé et qui entretient le bien qui brille en eux, les maintienne dans leur persévérance et les conduise sains et saufs au port du salut. Gerbert de Fontenelles, Ainard de Saint-Pierre-sur-Dive et Durand du Troarn, dignes archimandrites, jetèrent un grand éclat dans le palais d'Adonaï, comme trois étoiles rayonnantes dans le firmament des cieux. Ils n'excellaient pas moins par la religion et la charité que par leurs connaissances multipliées, et ils ne cessaient de chanter avec zèle les louanges divines dans le temple de Dieu. Parmi les principaux chantres, ils possédèrent la science de l'art musical dans ses modulations les plus suaves, et mirent au jour des airs pleins de douceur pour les antiennes et les répons. Le roi suprême, que louent les chérubins, les séraphins, et toute la milice des cieux; Marie, vierge immaculée, qui nous a donné le Sauveur des siècles; les anges, les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les vierges, furent l'objet de louanges pleines d'agrément, qui coulaient des cœurs le plus doucement émus. Ils les donnèrent aux enfans de l'Eglise, pour les faire chanter au Seigneur, comme avaient fait Asaph et Eman, Ethon, Idithon et les fils de Coré. Nicolas, fils de Richard III, duc des Normands, devenu moine de Fécamp depuis son enfance, gouverna pendant près de soixante ans le couvent de Saint-Pierre, prince des Apôtres, situé dans un faubourg de Rouen, et jeta les fondemens d'une église remarquable par sa grandeur et son élégance: c'est là que repose le corps de saint Ouen, archevêque de Rouen, avec les reliques de plusieurs autres saints. Il y avait alors en Normandie plusieurs autres Pères dont je suis forcé d'omettre les nombreux mérites, de peur que la longueur de mes discours n'ennuie mes lecteurs. |
XVII. Alexander II papa. Gregorius VII papa. De Cenomannico episcopatu. Anno ab Incarnatione Domini 1073, indictione XI, Alexander papa secundus, postquam Romanam et apostolicam sedem XI annis rexit, e mundo migravit. Et Gregorius VII, qui in baptismate Hildebrannus dictus est, successit, et in cathedra pontificali XVII annis sedit. Hic a puero monachus, in lege Domini valde studuit, multumque fervidus propter justitiam multas persecutiones pertulit. Passim per orbem apostolica edicta destinavit, et nulli parcens coelestibus oraculis terribiliter intonuit, omnesque ad nuptias regis Sabaoth minis precibusque invitavit. Poscenti papae venerandus Hugo Cluniacensis abbas Odonem praefati monasterii priorem, qui Remensis Ecclesiae canonicus fuerat, cum aliis idoneis coenobitis Romam transmisit; quos papa velut a Deo sibi missos adjutores ovanter suscepit. Odonem nempe praecipuum sibi consiliarium elegit, et Ostiensi Ecclesiae pontificem constituit; cujus sedis praerogativa est a Romano electum clero suscipere, et papam benedicere. Alios quoque monachos papa, prout ratio dictabat, promovit, et diversarum ecclesiarum tutelae digniter praefecit. Defuncto Ernaldo Cenomannorum episcopo, Guillelmus rex dixit Samsoni Bajocensi capellano suo: Cenomannensis episcopatus sedes suo viduata est antistite, in qua, volente Deo, te nunc volo subrogare. Cenomannis a canina rabie dicta, urbs est antiqua, et plebs ejus finitimis est procax et sanguinolenta, dominisque suis semper contumax et rebellionis avida. Pontificales igitur habenas tibi tradere decerno, quem a pueritia nutrivi et amavi sedulo, et nunc inter maximos regni mei proceres sublimare desidero. Samson respondit: Secundum apostolicam traditionem oportet episcopum irreprehensibilem esse. Ego autem in omni vita mea sum valde reprehensibilis, omnibusque mentis et corporis ante conspectum Deitatis sum pollutus flagitiis, nec tantum decus contingere possum, pro sceleribus meis miser et despicabilis. Rex dixit: Callidus es et perspicaciter vides quod tu rite peccatorem te confiteri debes. Fixam tamen in te statui sententiam, nec a te statutum convellam, quin episcopatum suscipias, aut alium, qui pro te praesul fiat, porrigas. His auditis, gavisus Samson ait: Nunc, domine mi rex, optime locutus es, et ad hoc agendum, adminiculante Deo, me promptum invenies. Ecce in capella tua est quidam pauper clericus, sed nobilis et bene morigeratus. Huic praesulatum commenda in Dei timore, quia dignus est, ut aestimo, tali honore. Regi autem percunctanti quis esset, Samson respondit: Hoellus dicitur et est genere Brito; sed humilis est et revera bonus homo. Mox, jubente rege, Hoellus accersitur ignarus adhuc ad quid vocaretur. Cumque rex juvenem in humili habitu macilentum vidisset, despexit; et conversus ad Samsonem, dixit: Istene est quem tu tantopere praefers? Samson respondit: Etiam, domine. Hunc sine dubio fideliter effero, hunc mihi meique similibus jure praepono. Mitis est et benignus, inde magis praesulatu dignus. Pro macie corporis non sit contemptibilis. Humilis habitus gratiorem eum assignat sapientibus. Ad exteriora tantum non respicit Deus, sed intuetur ea quae latent intrinsecus. Rex igitur prudens, sapientis verba intente percepit, et sagaciter examinare coepit. Diffusas autem cogitationes suas in se reversus rationis ligamine paulatim restrinxit, nominatumque clericum statim ad se accersiit, eique curam et saeculare jus Cenomannensis episcopatus commisit. Decretum regis clero insinuatum est, et praefati clerici bonae vitae testimonium ab his qui noverunt ventilatum est. Pro tam pura et simplici electione devota laus a fidelibus Deo reddita est, et electus pastor ad caulas ovium suarum ab episcopis et reliquis fidelibus, quibus hoc a rege jussum fuerat, honorifice perductus est. At ille non minus obstupuit in tam subita promotione ad praesulatum, quam David reprobatis a Samuele primogenitis fratribus in provectione ad regnum. Sic Hoellus Cenomannorum praesul factus est, et pontificali stemmate per XV annos sancte perfunctus est. Episcopalem basilicam, in qua corpus sancti Juliani confessoris, primi Cenomannorum praesulis requiescit, et alia bona opera Ecclesiae Dei necessaria condere coepit, et pro temporis opportunitate quae coepta erant perficere studuit. Quo defuncto, egregius versificator Hildebertus successit, et fere XXX annis praesulatum laudabiliter tenuit. Basilicam vero episcopii, quam praedecessor ejus inchoaverat, consummavit, et cum ingenti populorum tripudio veneranter dedicavit. Qui non multo post, anno scilicet ab Incarnatione Domini 1125, indictione IV, ut Gislebertus Turonensis archiepiscopus cum Callisto II papa Romae obiit, sub Honorio papa, metropolitanam sedem Turonicae urbis, sancta Ecclesia precibus et jussis cogente, ascendit, ibique laudabilibus studiis et actibus adhuc insistit. |
L'an de l'Incarnation du Seigneur, 1078, 2e de l'indiction, le pape Alexandre II sortit de ce monde après avoir, pendant onze ans, gouverné le siége romain et apostolique. Grégoire VII, qui, au baptême, avait été appelé Hildebrand, lui succéda et siéga dix-sept ans dans la chaire pontificale. Moine depuis son enfance, il avait étudié beaucoup les lois du Seigneur, et plein de ferveur pour l'exécution de la justice, il eut à souffrir de grandes persécutions. Il adressa, dans tout l'univers, ses édits apostoliques; et n'épargnant personne, il fit tonner terriblement les célestes oracles, et tant par les menaces que par les prières, força tout le monde à s'unir de cœur au Seigneur des armées. A la demande du pape, le vénérable Hugues, abbé de Cluni, envoya à Rome avec d'autres moines capables, Odon, prieur du même monastère, et qui était chanoine de l'église de Rheims. Le pape les reçut avec joie et comme des collaborateurs que Dieu lui envoyait. Il choisit pour son premier conseiller Odon, qu'il établit évêque de la ville d'Ostie. Ce siége a pour prérogative de recevoir son évêque du clergé romain et de bénir le pape. Grégoire éleva les autres moines, autant qu'il était raisonnable, et leur confia dignement le gouvernement de diverses autres églises. A la mort d'Ernauld, évêque du Mans, le roi Guillaume dit à Samson de Bayeux, son chapelain: «Le siége de l'évêché du Mans est privé de son pontife, et, avec la permission de Dieu, je veux t'y placer. Le Mans, qui tire son nom de la rage canine40, est une ville ancienne dont le peuple est insolent et sanguinaire pour ses voisins, en même temps qu'il est toujours opposé à ses maîtres, et avide de révoltes. C'est pourquoi je juge à propos de te remettre les rênes pontificales, à toi, que j'ai nourri dès l'enfance, et que j'ai toujours aimé. Je desire maintenant t'élever au rang des plus grands seigneurs de mon royaume.» Samson répondit: «D'après les traditions apostoliques, un évêque doit être irrépréhensible; quant à moi, je suis loin d'être dans ce cas, pour toutes les circonstances de ma vie: à la face de Dieu, mon ame et mon corps sont souillés de crimes, et je ne puis, à cause de ces souillures, recevoir tant d'honneurs, malheureux et méprisable que je suis.» Le roi reprit: «Tu as de l'esprit, et tu vois habilement qu'il convient que tu te confesses pécheur. Je ne m'en arrête pas moins à mon projet, et je ne permettrai pas que vous persistiez à refuser l'évêché, ou que vous ne me désigniez pas quelqu'un pour l'occuper.» A ces mots, Samson, plein de joie, répondit: «Maintenant, seigneur roi, vous avez très-bien parlé, et vous me trouverez, avec l'aide de Dieu, disposé à vous servir. Vous avez, dans votre chapelle, un certain clerc qui est pauvre, mais qui est noble et de bonnes mœurs. Confiez-lui l'évêché du Mans dans la crainte du Seigneur, parce qu'il est, comme je le pense, digne d'un tel honneur.» Le roi ayant demandé quel était ce clerc, Samson ajouta: «On l'appelle Hoël, il est originaire de Bretagne; mais il est humble et véritablement homme de bien.» Le roi donna ordre de mander Hoël, qui ignorait encore pourquoi on l'appelait. Le roi l'ayant trouvé jeune, maigre, et vêtu simplement, concut pour lui du mépris, et, s'étant tourné vers Samson, il lui dit: «Voilà donc l'homme que vous exaltez tant?» Samson reprit: «Oui, seigneur, je le loue en toute fidélité, et sans aucun doute; et c'est avec raison que je le mets avant moi et mes semblables. Il est doux et bienveillant, et par conséquent digne du siége épiscopal. Que sa maigreur ne vous le fasse pas mépriser. Ses vêtemens simples ne le rendent que plus agréable aux sages. Dieu ne s'arrête pas à l'extérieur, mais il considère ce qui est caché intérieurement.» Le roi, qui était prudent, réfléchit au discours du sage, et commença un examen plein de sagacité. Ayant fait un retour sur lui-même, il resserra peu à peu, dans les liens de la raison, ses pensées diffuses, manda aussitôt le clerc dont il s'agit, et lui confia le soin et les droits séculiers de l'évêché du Mans. La décision du roi fut transmise au clergé; et tous ceux qui le connaissaient portèrent bon témoignage de la vie édifiante du clerc. Les fidèles rendirent dévotement grâces à Dieu d'une élection si pure et si sainte, et le pasteur élu fut conduit honorablement au bercail de son troupeau, par les évêques et les autres chrétiens que le roi avait chargés de cette mission. Hoël ne s'étonna pas moins de sa subite promotion à Tépiscopat, que David de son élévation au trône, lorsque Samuel eut écarté ses frères aînés. C'est ainsi que Hoël devint évêque des Manceaux, et s'acquitta saintement des fonctions pontificales pendant quinze ans. Il commença à bâtir la cathédrale dans laquelle repose le corps du confesseur saint Julien, premier évêque du Mans; il entreprit aussi plusieurs autres bons ouvrages nécessaires à l'Eglise de Dieu; il s'appliqua à terminer, autant que le temps put lui permettre, les travaux qui étaient commencés. Quand il fut mort, l'excellent versificateur Hildebert lui succéda; et, pendant près de trente ans, dirigea d'une manière digne d'éloges l'évêché qui lui était confié; il termina la cathédrale que son prédécesseur avait commencée, et en fit la dédicace à la grande satisfaction des peuples. Peu de temps après, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1125, 4e de l'indiction, quand Gislebert, archevêque de Tours, fut mort à Rome ainsi que le pape Calixte II, Hildebert, sous le pape Honorius, monta sur le siége métropolitain de la ville de Tours, forcé par les prières et par les ordres de la sainte Eglise; et, dans ce moment-ci, il s'y distingue encore par les plus louables travaux.
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XVIII. Herbertus Cenomannorum comes. Cenomanniae turbamenta. Sicut mare nunquam tutum certa soliditate quiescit, sed inquietudine jugi turbatum more suo defluit, et quamvis aliquando tranquillum obtutibus spectantium appareat, solita tamen fluctuatione et instabilitate sua navigantes territat; sic praesens saeculum volubilitate sua jugiter vexatur, innumerisque modis tristibus seu laetis evidenter variatur. Inter protervos mundi amatores, quibus ipse mundus non sufficit, immanis altercatio saepe oritur et in immensum crescit. Et dum quisque superior esse, aemulumque suum proterere nititur, aequitatis immemor legem Dei transgreditur, et pro adipiscendo qnod unusquisque ambit, humanus cruor crudeliter effunditur. Hoc historicorum antiqui codices copiose referunt, hoc moderni rumores per vicos et plateas indesinenter asserunt; unde quidam ad praesens laetantur, alii nihilominus flent et contristantur. De casibus hujusmodi quaedam in hoc nostro libello breviter tetigi, et veraciter adhuc addere libet alia, prout a senioribus didici. Herbertus Cenomannorum comes ex prosapia, ut fertur, Caroli Magni originem duxit, et vulgo, sed parum Latine, cognominari Evigilans-Canem pro ingenti probitate promeruit. Nam post mortem Hugonis patris sui, quem Fulco senior sibi violenter subjugarat, in eumdem arma levans nocturnas expeditiones crebro agebat, et Andegavenses homines et canes in ipsa urbe vel in munitioribus oppidis terrebat, et horrendis assultibus pavidos vigilare cogebat. Hugo filius Herberti, postquam Alannus Britannorum comes a Normannis in Normannia impotionatus occubuit, Bertam ipsius relictam, Thedbaldi Blesensium comitis sororem, in conjugium accepit; quae filium nomine Herbertum et tres filias ei peperit. Una earum data est Azsoni marchiso Liguriae. Alia nomine Margarita Rodberto filio Guillelmi ducis Neustriae desponsata est: quae virgo in tutela ejusdem ducis defuncta est. Tertia vero Joanni, domino castri quod Flecchia dicitur, nupsit; quae marito suo tres liberos, Goisbertum, Heliam et Enoch peperit. Defuncto Goisfredo Martello fortissimo Andegavorum comite, successerunt ex sorore duo nepotes ejus filii Alberici comitis Wastinensium, e quibus Goisfredus, qui simplex et tractabilis moribus erat, jure primogeniti obtinuit principatum. Guillelmus autem Normannorum princeps post mortem Herberti juvenis haereditatem ejus obtinuit, et Goisfredus comes Rodberto juveni cum filia Herberti totum honorem concessit, et hominium debitamque fidelitatem ab illo in praesentia patris apud Alencionem recepit. Non multo post Fulco, cognomento Richinus, contra Goisfredum fratrem dominumque suum rebellavit, eumque per proditionem cepit, et plus quam XXX annis in carcere Chinonis castri clausum tenuit. In tanta permutatione res mundanae in Andegavensi provincia et in confiniis ejus turbatae sunt, et proceres patriae ad diversa studia prout quemque propria voluntas agitabat, conversi sunt. Fulcone nimium moesto quod Normanni Cenomannis imperarent, et consulatum sui juris, illo nolente, possiderent, seditiosi cives et oppidani confines, gregariique milites in exteros unanime consilium ineunt, arcem urbis et alia munimina viriliter armati ambiunt, et Turgisum de Traceio, Guillelmumque de Firmitate, aliosque regis municipes expugnant et ejiciunt. Quosdam fortiter sibi resistentes perimunt, aliosque vinculis crudeliter injiciunt, et cum libertate talem de Normannis ultionem triumphantes assumunt. Deinde regio tota perturbatur, et ibidem Normannica vis offuscatur, ac pene ab omnibus quasi generalis lues passim impugnatur. Goisfredus Meduanensis aliique optimates Cenomannorum pari conspiratione contra Normannos insurgunt; aliqui tamen, licet pauci, pro variis eventibus et causis Guillelmo regi favent et obediunt. Magnanimus rex Guillelmus, diris rumoribus de trucidatione suorum auditis, iratus est, ac ad compescendam hostium invasionem, et proditorum rebellionem armis meritam ultionem facere molitus est. Regali jussu Normannos et Anglos celeriter ascivit, et multas armatorum legiones in unum conglomeravit, prudenter ad bellum milites peditesque cum ducibus suis disposuit, et cum eis Cenomannensem pagum terribilis adivit. In primis Fredernaicum castrum cum phalange sua obsedit, ibique Rodberto de Belesmia cingulum militiae praecinxit. Hubertus autem oppidanus pacem cum rege pepigit, castra sua Fredernaicum et Belmontem reddidit, eique aliquanto tempore postmodum servivit. Deinde rex Silleium obsedit, sed castrensis herus regem supplex expetiit et optatam pacem impetravit. Regi nimirum cum nimia virtute properanti nullus audebat resistere, sed omnes oppidani ac pagenses cum clericis et omnibus religiosis pacificum marchionem decreverunt digniter suscipere, ejusque ditioni legitimae gratanter colla submittere. Tandem rex Cenomannis venit, pluribus catervis urbem obsedit, edicta regalia suis opportune intimavit, et urbanis imperiose mandavit ut prudenter sibi consulerent, et urbem ante assultus et caedes atque concremationes sibi cum pace redderent. In crastinum autem, accepto salubri consilio, cives egressi sunt, et supplices regi claves civitatis detulerunt, seseque dedentes, a rege benigniter suscepti sunt. Reliqui vero Cenomannenses territi sunt, ut tantam inundationem immanis exercitus per fines suos diffundi viderunt, jamque suos complices et fautores defecisse ante faciem probatissimi bellatoris noverunt. Ipsi quoque pacis legatos victori destinaverunt, et datis ab utrisque dextris, ipsi regalibus signis sua vexilla gaudentes associaverunt, et exinde in domo sua et sub vite sua morari et ludere, si libet, quiete permissi sunt. Pacatis itaque sine magno discrimine Cenomannensibus, et pacifice sub Guillelmi regis ditione degentibus, Fulco comes noxio livore nequiter infectus est, et contra quosdam Normannis faventes insurgere conatus est. Tunc ei Joannes de Flecchia potentissimus Andegavorum praecipue infensus erat, quia Normannis adhaerebat. Qui, ubi praefatum comitem cum ferratis agminibus festinare super se pro certo comperit, confoederatos sibi affines expetiit, auxiliumque Guillelmi regis requisivit et impetravit. Nam rex impiger Guillelmum de Molinis et Rodbertum de Veteri-Ponte, aliosque fortissimos et multoties probatos bellatores Joanni destinavit; quos ille ad defendenda cum satellitibus suis oppida sua diligenter composuit. Hoc audiens Fulco vehementer doluit, et undecunque contractis viribus castrum Joannis obsedit. Hoellus quoque comes cum multitudine Britonum Fulconi suppetias venit, et cum eo Joannis vim et opes acriter coactare studuit. Guillelmus autem rex, ut tantam multitudinem gyrasse suos agnovit, regali edicto Normannos et Anglos iterum excivit, aliasque sibi subditas gentes ut fortis magister militum conglobavit, ac, ut ferunt, sexaginta millia equitum contra hostiles cuneos secum eduxit. Andegavenses vero et Britones, comperto regis et agminum ejus adventu, non fugerunt, sed potius Ligerim fluvium audacter pertransierunt, et transvecti, ne timidiores spe fugiendi segnius praeliarentur, scaphas suas destruxerunt. Dum utraeque acies ad ambiguum certamen pararentur, horribilesque pro morte et miseriis, quae mortem reproborum sequuntur, timores mentibus multorum ingererentur, quidam Romanae Ecclesiae cardinalis presbyter et religiosi monachi divino nutu adsunt, principes utriusque legionis divinitus animati adeunt, obsecrant et redarguunt. Viritim ex parte Dei bellum prohibent, admonendo et rogando pacem suadent. Gratanter his junguntur Guillelmus Ebroicensis et Rogerius, aliique comites strenuique optimates; qui, sicut erant prompti et audaces ad legitimos agones, sic nimirum perhorrebant per superbiam et injustitiam subire conflictus detestabiles. Veredariis itaque Christi pacis semina serentibus, ambitiosorum tumor conquiescit nimius et formidantium timor paulatim decrescit pallidus. Multa demum consilia fiunt, diversi tractatus aguntur, verba verbis objiciuntur; Deo tamen vincente, legati pacis utrinque suscipiuntur. Rodberto juveni, regis filio, comes Andegavensis Cenomannense jus concedit cum toto honore quem idem a comite Herberto cum Margarita sponsa sua suscepit. Denique Rodbertus Fulconi debitum homagium, ut minor majori, legaliter impendit. Joannes autem aliique Andegavenses, qui hactenus pro rege contra consulem rebellaverant, principi suo reconciliati sunt, et Cenomannenses nihilominus, qui contra regem pro comite insurrexerant, pacificati sunt. Sic, gratia Dei mitigante, corda principum, reatus poenitentium utrobique induiti sunt, et benevolae plebes, serena pace tempestuosam nigredinem tumultuum procul pellente, palam laetatae sunt. Haec nimirum pax, quae inter regem et praefatum comitem in loco, qui vulgo Blancalanda vel Brueria dicitur, facta est, omni vita regis ad profectum utriusque provinciae permansit |
De même que la mer, qui ne se repose jamais avec une certaine solidité, mais toujours plus ou moins agitée se trouble et demeure toujours en mouvement, et, quoiqu'elle paraisse quelquefois tranquille aux yeux de ceux qui la contemplent, n'en épouvante pas moins les navigateurs par ses fluctuations et son instabilité naturelle, de même le siècle présent est constamment tourmenté de son inconstance et varie sans cesse dans ses innombrables alternatives d'infortune et de bonheur. Parmi les insolens amateurs du monde, auxquels ce monde ne suffit pas, il s'élève souvent de cruelles altercations, qui vont croissant à l'infini. Pendant que chacun s'efforce de surpasser et d'écraser ses rivaux, il oublie l'équité, il transgresse les lois divines, et, pour acquérir ce que chacun ambitionne, le sang humain est cruellement répandu. C'est ce que rapportent fort au long les anciens livres des historiens; c'est ce que les écrits modernes nous montrent constamment dans les villes et sur les places. Il en résulte que certaines personnes se réjouissent du temps présent, tandis que d'autres n'ont qu'à pleurer et s'attrister. J'ai touché en peu de mots dans ce livre quelque chose de ces accidens, et je me propose d'en ajouter d'autres encore avec véracité, d'après ce que j'ai appris de nos anciens. Herbert comte du Mans, descendant, comme on le rapporte, de la famille de Charlemagne, mérita, par son grand mérite, d'être appelé vulgairement, mais en mauvais latin, Eveille-chien. Après la mort de Hugues son père, que le vieux Foulques avait soumis par la violence, il prit les armes contre ce prince et fit de fréquentes expéditions nocturnes. Il effrayait, dans les villes et dans les lieux fortifiés de l'Anjou, les hommes et les chiens, et les forçait de veiller, épouvantés par ses vives attaques. Après qu'Alain, comte des Bretons, fut mort en Normandie, empoisonné par les Normands, Hugues, fils d'Herbert, prit en mariage Berthe sa veuve, qui était sœur de Thibault, comte de Blois. Elle lui donna un fils nommé Herbert et trois filles: l'une d'elles fut mariée à Aszon, marquis de Ligurie; une autre nommée Marguerite, fiancée à Robert fils de Guillaume duc de Normandie, mourut vierge pendant qu'elle était sous sa garde; la troisième que l'on appelait Paule, se maria à Jean, seigneur du château de La Flèche. Elle donna à son mari trois enfans, Goisbert, Elie et Enoch. Geoffroi Martel, très-vaillant comte d'Anjou, étant venu à mourir, deux de ses neveux, enfans de sa sœur et d'Alberic comte du Gâtinois, lui succédèrent. L'un d'eux, nommé aussi Geoffroi, homme simple et de mœurs douces, obtint le comté par droit de primogéniture. Après la mort du jeune Herbert, Guillaume, prince des Normands, prit possession de son héritage. Le comte Geoffroi concéda tous les biens de Herbert et donna sa fille au jeune Robert, duquel il recut, en présence de son père à Alençon, l'hommage et la foi qui lui étaient dus. Peu de temps après, Foulques, surnommé le Réchin, se révolta contre Geoffroi son frère et son seigneur, le prit par trahison et le retint plus de trente ans enfermé dans les prisons du château de Chinon. Parmi tant de changemens, les affaires mondaines éprouvèrent de grands troubles dans la province d'Anjou, et dans son voisinage; et les grands de l'Etat prirent diffcrens partis, selon qu'ils y étaient déterminés par leur propre volonté. Pendant que Foulques était profondément affligé de voir le Maine soumis aux Normands qui possédaient malgré lui un comté qui lui appartenait, des citoyens séditieux, des habitans des frontières et quelques chevaliers soldés conspirèrent unanimement contre les étrangers, et, s'armant avec vigueur, assiégèrent la citadelle et les antres fortifications de la ville, combattirent et chassèrent Jurgis de Traci, Guillaume de La Ferté, et les autres officiers du roi. Ceux qui résistèrent avec courage furent tués, d'autres furent jetés cruellement dans les fers, et les vainqueurs, triomphant tout à leur aise, se vengèrent ainsi des Normands. Tout le pays ne tarda pas à être troublé, la puissance normande à s'y éclipser et à se trouver attaquée de toutes parts, comme par une peste générale. Geoffroi de Mayenne et quelques autres seigneurs du Maine prirent part à cette conspiration contre les Normands, tandis que d'autres, mais en petit nombre, au milieu des alternatives des événemens, restèrent favorables ou soumis à la cause du roi Guillaume. Ce monarque magnanime ayant appris, par de cruels rapports, le massacre des siens, s'occupa de réprimer l'attaque de ses ennemis et de tirer par les armes une vengeance légitime de la rébellion des traîtres. Il fit un appel aux Normands et aux Anglais, et donna les ordres nécessaires pour rassembler promptement ses troupes en un corps d'armée. Aidé des principaux chefs, il prépara au combat ses chevaliers et son infanterie; et, terrible, il entra à leur tête sur le territoire du Maine. Il assiégea d'abord le château de Frénai41, et y ceignit l'épée de chevalier à Robert de Bellême. Hubert, châtelain de la place, fit sa paix avec le roi, lui rendit ses châteaux de Frênai et de Beaumont42, et pendant quelque temps resta à son service. Ensuite le roi assiégea Sillé43; mais le châtelain alla trouver le roi en suppliant et demanda à traiter. Le roi marchait avec trop de valeur pour qu'on osât lui résister: tous les habitans des villes et des campagnes, avec les clercs et les religieux, résolurent d'accueillir dignement le prince qui venait rétablir la paix, et de se soumettre de bonne grâce à sa puissance légitime. Enfin le roi arriva devant le Mans, mit le siége devant la ville avec plusieurs corps d'armée, fit connaître à propos sa volonté royale et manda, en maître, aux bourgeois de se consulter prudemment et de se soumettre en paix eux et leurs places avant l'assaut, le massacre et l'incendie. Dès le lendemain les citoyens, cédant à un avis salutaire, sortirent de la ville et vinrent en supplians apporter les clefs de leurs portes au roi qui les accueillit avec bonté. Le reste des habitans du Maine fut effrayé de voir sur son territoire une si grande affluence de troupes cruelles, fis apprirent que leurs complices et leurs fauteurs avaient fait défection, ne pouvant pas même soutenir les regards d'un guerrier éprouvé par tant de victoires. Ils envoyèrent de leur côté aux vainqueurs des délégués pour solliciter la paix, et, chacun s'étant donné la main, ils réunirent gaîment leurs drapeaux aux étendards du roi, puis reçurent la permission de s'en retourner tranquillement pour demeurer et s'ébattre dans leurs maisons et sous leurs vignes. Le Maine ayant été ainsi rendu à la paix sans de grands combats, et restant tranquille sous la puissance du roi Guillaume, le comte Foulques fut attaqué méchamment de coupables sentimens et tenta de nuire aux partisans des Normands. Jean de La Flèche, le plus puissant des Angevins, lui était principalement odieux, parce qu'il leur était attaché. Dès qu'il eut la certitude que le comte marchait sur lui avec une armée, il réclama l'assistance de ses voisins qui étaient ses alliés, demanda et obtint des secours du roi Guillaume. Ce monarque si actif fit marcher au secours de Jean Guillaume de Moulins, Robert de Vieux-Pont et plusieurs autres guerriers vaillans et expérimentés: Jean s'empressa de leur confier, ainsi qu'à leurs troupes, la défense de ses places. Foulques ayant appris ces dispositions, fut vivement affligé; de toutes parts il rassembla des forces, et mit le siége devant le château de Jean. Le comte Hoel, avec un corps de Bretons, vint au secours de Foulques, et, de concert avec lui, s'employa vivement à détruire la puissance de Jean qui fut serré de très-près. Dès que le roi Guillaume connut quelle était la force des ennemis qui attaquaient ses alliés, il rendit un édit pour rappeler aux armes les Normands et les Anglais, et, comme un courageux général, il rassembla aussi les autres peuples qui lui étaient soumis. On rapporte qu'il marcha contre les bataillons ennemis avec soixante mille cavaliers. Les Angevins et les Bretons, ayant appris l'arrivée du roi et de ses troupes, tinrent ferme, passèrent hardiment la Loire, et, pour ôter aux lâches tout espoir de fuite et les forcer à combattre vaillamment, ils détruisirent les bateaux qui les avaient transportés. Pendant que les deux armées se préparaient aux chances du combat, et que les esprits du plus grand nombre étaient agités par la crainte, en présence de la mort et des malheurs qui suivent le trépas des réprouvés, un certain cardinal-prêtre de l'Eglise romaine et quelques moines religieux se trouvèrent là par la permission de Dieu, et, divinement inspirés, allèrent trouver les chefs des deux armées, pour les implorer et les réprimander. De la part de Dieu, ils leur détendirent courageusement de combattre, et, tant par leurs avis que par leurs prières, leur persuadèrent de faire la paix. Guillaume d'Evreux, Roger, quelques autres comtes et plusieurs grands remplis de courage, se joignirent à ces instances: comme ils étaient actifs et braves pour les combats légitimes, de même ils avaient horreur de concourir à des guerres détestables, entreprises injustement et avec orgueil. L'excessive fierté des ambitieux s'apaisa devant les messagers du Christ qui répandaient les semences de la paix, et la pâle crainte de ceux qui étaient effrayés se dissipa peu à peu. Plusieurs délibérations eurent lieu; on prépara divers traités, on échangea des propositions, et le Dieu victorieux permit que les envoyés de paix fussent partout accueillis. Le comte d'Anjou céda ses droits sur le Maine au jeune Robert, fils du roi, ainsi que les fiefs qu'il avait reçus du comte Herbert en épousant Marguerite. Ensuite Robert rendit les hommages dus à foulques, comme doit agir l'inférieur à l'égard du supérieur. Jean et les autres Angevins qui, jusque-là, s'étaient armés en faveur du roi contre le comte, se réconcilièrent avec leurs princes, et la paix fut accordée aux Manceaux qui avaient pris parti pour le comte contre le roi. C'est ainsi que la grâce de Dieu adoucissant les cœurs des princes, pardonna en tous lieux à ceux qui se repentaient de leurs crimes; et le bon peuple voyant la sérénité de la paix dissiper au loin la noire tempête des guerres, se livra publiquement à la joie. Cette paix, qui fut conclue entre le roi et le comte, au lieu que l'on appelle ordinairement Blanche-Lande ou Blanche-Bruyère, dura toute la vie du roi pour l'avantage des deux Etats. |
XIX. Comitum Rogerii Herfordensis et Radulfi Northwicensis rebellio in Guillelmum regem. Supplicium comitis Guallevi. Verum eodem tempore alia tempestas gravissima orta est, quae saeva nimis et damnosa multis in Anglia facta est. Duo potentissimi Anglorum comites, Rogerius Herfordensis et sororius ejus Radulfus Northwicensis pariter decreverunt ut palam rebellarent, et, principatu Angliae Guillelmo regi subrepto, sibi jus, imo tyrannidem assumerent (67) . Castella igitur sua certatim obfirmant, arma praeparant, milites aggregant, vicinis et longinquis, in quibus confidebant, legatos suos frequenter destinant, et in suum adminiculum quoscunque possunt promissis et precibus invitant. Consideratis rerum permutationibus et temporum opportunitatibus, dicunt sibi confoederatis et assentantibus: Cuncti sapientes definiunt congruum tempus praestolandum esse, et dum tempus adest gratum et habile, famosum opus a probis insigniter inchoari debere. Ad regni decus obtinendum tempus nunquam vidimus magis idoneum, quam nunc confertur nobis per ineffabile Dei donum. Degener, utpote nothus, est qui rex nuncupatur, et in propatulo divinitus monstratur quod Deo displicet, dum talis herus regno praesidet. Transmarinis conflictibus undique circumdatur, et non solum ab externis, sed etiam a sua prole impugnatur, et a propriis alumnis inter discrimina deseritur. Hoc ejus nequitiae promeruerunt, quae per totum orbem nimis propalatae sunt. Nam ipse Guillelmum Guarlengum Moritolii comitem pro uno verbo exhaeredavit, et de Neustria penitus effugavit (68) ; Gualterium Pontesii comitem, Eduardi regis nepotem, cum Biota uxore sua, Falesiae hospitavit, et nefaria potione simul ambos una nocte peremit. Conanum quoque strenuissimum consulem veneno infecit, quem mortuum Britannia tota pro ingenti probitate ineffabili luctu deflevit. Haec et alia multa erga cognatos et affines suos scelera Guillelmus peregit, qui super nos et compares nostros adhuc similia perpetrare non desistit. Nobile regnum Angliae temere invasit, genuinos haeredes injuste trucidavit, vel in exsilium crudeliter pepulit. Suos quoque adjutores, per quos super omne genus suum sublimatus est, non ut decuisset honoravit; sed multis, qui sanguinem suum in ejus satellitio fuderunt, ingratus exstitit, et pro frivolis occasionibus ad mortem usque velut hostes puniit. Vulneratis victoribus steriles fundos et hostium depopulatione desolatos donavit, et eisdem postmodum restauratos, avaritia cogente, abstulit seu minoravit. Omnibus igitur est odio, et, si periret, multis esset gaudio. Ecce major pars exercitus trans pontum moratur, assiduisque bellis acriter occupatus detinetur. Angli sua solummodo rura colunt; conviviis et potationibus, non praeliis intendunt; summopere tamen pro suorum exitio parentum ultionem videre concupiscunt. Haec et his similia seditiosi dicentes, et sese ad concupitum nefas omnimodis cohortantes, Guallevum Northamtoniae comitem ad colloquium accersiunt, et multis eum modis tentantes talia promunt: Ecce peroptatum tempus, o strenue vir, modo vides, ut tibi recuperes exemptos honores, et accipias injuriis tibi nuper illatis debitas ultiones. Acquiesce nobis et indesinenter inhaere, et tertiam partem Angliae nobiscum sine dubio poteris habere. Volumus enim ut status regni Albionis redintegretur omnimodis, sicut olim fuit tempore Eduardi piissimi regis. Unus ex nobis sit rex, et duo sint duces; et sic nobis tribus omnes Anglici subjicientur honores. Guillelmus innumeris bellorum ponderibus trans mare praegravatus est, et pro certo scimus quod in Angliam ulterius rediturus non est. Eia, nobilis heros, consultus observa tibi generique tuo commodissimos, omnique genti tuae, quae prostrata est, salutiferos. Guallevus respondit: Maxima in talibus negotiis cautela necessaria est, et integra fides in omnibus gentibus ab omni homine domino suo servanda est. Guillelmus rex fidem meam, ut major a minori, jure recepit, ac ut ei semper fidelis existerem, in matrimonium mihi neptem suam copulavit. Locupletem quoque comitatum mihi donavit, et inter suos familiares convivas connumeravit. Et tanto principi qualiter infidus esse queam, nisi penitus mentiri velim fidem meam? In multis notus sum regionibus, et magnum, quod absit! fiet dedecus, si publice divulger ut proditor sacrilegus. Nusquam de traditore bona cantio cantata est. Omnes gentes apostatam et proditorem sicut lupum maledicunt, et suspendio dignum judicant et opprimunt, et, si fors est, patibulo cum dedecore multisque probris affigunt. Achitophel et Judas traditionis scelus machinati sunt, parique suspensionis supplicio, nec coelo nec terra digni, semetipsos peremerunt. Anglica lex capitis obtruncatione traditorem multat, omnemque progeniem ejus naturali haereditate omnino privat. Absit ut mea nobilitas maculetur proditione nefaria et de me tam turpis per orbem publicetur infamia. Dominus Deus, qui David de manu Goliae et Saulis, Adadezer et Absalom potenter liberavit, me quoque de multis periculis in mari et in arida gratuito eripuit. Ipsi me fideliter commendo, et in ipso fiducialiter spero quod traditionem in vita mea non faciam, nec angelo Satanae similis efficiar per apostasiam. Radulfus igitur Brito atque Rogerius haec audientes valde contristati sunt, eumque conjuratione terribili ne consilium eorum detegeret constrinxerunt. Non multo post conjurata rebellio per regiones Angliae subito erupit, et manifesta contradictio contra regales ministros late processit. Guillelmus itaque de Guarenna et Ricardus de Benefacta, filius Gisleberti comitis, quos rex praecipuos Angliae justitiarios constituerat in regni negotiis, rebellantes convocant ad curiam regis. Illi vero praeceptis eorum obsecundare contemnunt; sed proterviam prosequi conantes, in regios satellites praeliari eligunt. Nec mora, Guillelmus et Ricardus exercitum Angliae coadunant, acriterque contra seditiosos in campo, qui Fagaduna dicitur, dimicant. Obstantes vero Dei virtute superant et, omnibus captis, cujuscunque conditionis sint, dextrum pedem, ut notificentur, amputant. Radulfum Britonem ad castrum suum fugientem persequuntur, sed comprehendere nequeunt. Conglobata deinceps multitudine, Northguicum obsident et impugnant, socios fortitudine et industria militari corroborant, et crebris assultibus variisque machinationibus inclusos hostes circumdant, et per tres menses importune premunt et fatigant. Vindex deforis exercitus quotidie crescit et confortatur, et copia victus, aliarumque rerum eis, ne deficientes abscedant, abunde administratur. Radulfus autem de Guader, ut sese sic inclusione constrictum vidit, et nullum adjutorium a suis complicibus speravit, munitionem suam fidis custodibus caute commisit, et ipse proximum mare ingressus Daciam pro auxiliis navigio adiit. Interea vicarii regis Guillelmus et Richardus municipes oppidi ad deditionem coarctant, et regem cito, missis trans pontum nuntiis, pro supra scriptis motibus accelerant ut velociter redeat ad sui tuitionem regni obsecrant. Impiger igitur rex, ut legationes suorum audivit, Normannicas et Cenomannicas res provide disposuit, et, omnibus optime locatis, in Angliam celeriter transfretavit. Qui, postquam omnes ad curiam suam regni proceres convocavit, legitimos heroes et in fide probatos blandis affatibus laetificavit; rebellionis autem incentores et fautores cur mallent nefas quam justitiam rationabiliter interrogavit. Custodibus regi pacificatis Northguicum redditum est, et Radulfus de Guader comes Northguici de Anglia perpetualiter exhaereditatus est. Expulsus itaque cum uxore sua Britanniam repetiit. Ibi Guader et Monsfortis optima castella ejus ditioni subjacent, quae liberi ejus haereditario jure usque hodie possident. Ipse autem post multos annos, tempore Urbani papae, crucem Domini suscepit, et cum Rodberto secundo Normannorum duce contra Turcos Jerusalem perrexit, et in via Dei poenitens et peregrinus cum uxore sua obiit. Rogerius vero de Britolio comes Herfordensis ad curiam regis vocatus venit, et inquisitus manifestam toti mundo proditionem negare non potuit. Igitur secundum leges Normannorum judicatus est, et, amissa omni haereditate terrena, in carcere regis perpetuo damnatus est. Ibi etiam regi multoties detraxit, et contumacibus actis implacabiliter regem offendit. Nam quondam, dum plebs Dei paschale festum congrue celebraret, et rex structum pretiosarum vestium Rogerio comiti per idoneos satellites in ergastulo mitteret, ille pyram ingentem ante se jussit praeparari, et ibidem regalia ornamenta, chlamidem, sericamque interulam, et renonem de pretiosis pellibus peregrinorum murium subito comburi. Quod audiens rex, iratus dixit: Multum superbus est, qui hoc mihi dedecus fecit, sed per splendorem Dei de carcere meo in omni vita mea non exibit. Sententia regis tam fixa permansit, quod nec etiam post mortem regis ipse nisi mortuus de vinculis exiit. Rainaldus et Rogerius filii ejus, optimi tirones, Henrico regi famulantur, et clementiam ejus, quae tardissima eis visa est, in duris agonibus praestolantur. Vere gloria mundi ut flos foeni decidit et arescit, ac velut fumus deficit et transit. Ubi est Guillelmus Osberni filius Herfordensis comes et regis vicarius, Normanniae dapifer et magister militum bellicosus? Hic nimirum primus et maximus oppressor Anglorum fuit, et enormem causam per temeritatem suam enutrivit, per quam multis millibus ruina miserae mortis incubuit. Verum justus judex omnia videt, et unicuique prout meretur digne redhibet. Proh dolor! ecce Guillelmus corruit, audax athleta recepit quod promeruit. Ut multos ense trucidavit, ipse quoque ferro repente interiit. Denique post ejus occasum antequam lustrum compleretur annorum, spiritus discordiae filium ejus et generum contra dominum suum et cognatum hostiliter excivit, qui Sichimitas contra Abimelech, quem occisis LXX filiis Jerobaal sibi praefecerant, commovit. En veraciter a me descripta est offensa, pro qua Guillelmi progenies eradicata sic est de Anglia, ut nec passum pedis, nisi fallor, jam nanciscatur in illa. Guallevus comes ad regem accersitus est, et per delationem Judith uxoris suae accusatus est, quod praedictae proditionis conscius et fautor fuerit, dominoque suo infidelis exstiterit. Ille autem intrepidus palam recognovit quod proditorum nequissimam voluntatem ab eis audierit; sed eis in tam nefanda re nullum omnino assensum dederit. Super hac confessione judicium indagatum est, et censoribus inter se sentientibus per plures inducias usque in annum protelatum est. Interea praefatus heros apud Guentam in carcere regis erat, et multoties peccata sua deflebat, quae ibidem religiosis episcopis et abbatibus saepe flens enarrabat. Spatio itaque unius anni juxta sacerdotum consilium poenituit, et quotidie centum quinquaginta Psalmos David, quos in infantia didicerat, in oratione Deo cecinit. Erat idem vir corpore magnus et elegans, largitate ac audacia multis millibus praestans, devotus Dei cultor, sacerdotum et omnium religiosorum supplex auditor, Ecclesiae pauperumque benignus amator. Pro his et multis aliis charismatibus, quibus in ordine laicali specialiter fruebatur, a suis et ab exteris, qui Deo placita diligere norunt, multum diligebatur, et ereptio ejus a vinculis in annua procrastinatione omnimodis expetebatur. Denique praevalens concio aemulorum ejus in curia regali coadunata est, eumque post multos tractatus reum esse mortis definitum est, qui sodalibus de morte domini sui tractantibus consenserit, nec eos pro herili exitio perculerit, nec aperta delatione scelerosam factionem detexerit. Nec mora Guallevus a Normannis, qui evasionem ejus valde timebant, sibique praedia ejus et largos honores adipisci cupiebant, extra urbem Guentam, mane, dum adhuc populus dormiret, ductus est in montem, ubi nunc ecclesia Sancti Aegidii abbatis et confessoris constructa est. Ibi vestes suas, quibus ut consul honorifice indutus processit, clericis et pauperibus, qui forte aderant ad hoc spectaculum, devote distribuit, humoque procumbens, cum lacrymis et singultibus Dominum diutius exoravit. Cumque carnifices trepidarent ne cives exciti praeceptum regis impedirent, et tam nobili compatriotae suo suffragantes regios lictores trucidarent: Surge, inquiunt prostrato comiti, ut nostri compleamus jussum domini. Quibus ille ait: Paulisper exspectate propter omnipotentis Dei clementiam, saltem ut dicam pro me et pro vobis Orationem Dominicam. His autem permittentibus surrexit, et flexis tantum genibus, oculisque in coelum fixis et manibus tensis, Pater noster qui es in coelis, palam dicere coepit. Cumque ad extremum capitulum pervenisset, et ne nos inducas in tentationem dixisset, uberes lacrymae cum ejulatu proruperunt, ipsumque preces incoeptas concludere non permiserunt. Carnifex autem ulterius praestolari noluit, sed mox, exempto gladio, fortiter feriens caput comitis amputavit. Porro caput, postquam praesectum fuit, cunctis qui aderant audientibus, clara et articulata voce dixit: Sed libera nos a malo. Amen. Sic Guallevus comes apud Guentam II Kalendas Maii mane decollatus est, ibique in fossa corpus ejus viliter projectum est, et viridi cespite festinanter coopertum est. Expergefacti cives compertis rumoribus valde contristati sunt, virique cum mulieribus ingentem planctum de casu Guallevi comitis egerunt. Post quindecim dies, rogatu Judith et permissu regis, Ulfketelus Crulandensis abbas venit, et cadaver, quod adhuc integrum cum recenti cruore, ac si tunc idem vir obiisset, erat, sustulit, ac in coenobium Crulandense cum magno luctu multorum detulit, et in capitulo monachorum reverenter sepelivit. |
Dans le même temps, il s'éleva une effroyable tempête, qui fut excessivement cruelle et préjudiciable à beaucoup de monde en Angleterre. Deux comtes anglais très-puissans, Roger de Herfort et Radulphe de Norwich son beau-frère se concertèrent pour se révolter ouvertement et s'emparer du trône, ou, pour mieux dire, de la tyrannie, après avoir enlevé le sceptre d'Angleterre au roi Guillaume. A l'envi l'un de l'autre, ils fortifièrent leurs châteaux, préparèrent leurs armes, rassemblèrent des chevaliers, envoyèrent souvent des délégués à ceux des seigneurs voisins ou éloignés en qui ils avaient confiance, et tant par promesses que par prières, engagèrent chacun d'eux à marcher à leur secours. Ayant considéré les révolutions des choses et les avantages du temps, ils disaient à leurs partisans, à leurs alliés: «Tous les hommes sages sont d'avis qu'il faut attendre le moment favorable; et que lorsqu'il se présente agréable et commode, on doit commencer avec courage et persévérance l'ouvrage que l'on entreprend. Nous n'avons jamais vu de circonstances plus avantageuses pour prendre la couronne de ce royaume, que celle qui nous est maintenant accordée par un don ineffable de Dieu. Celui qui prend le titre de roi en est indigne, puis qu'il est bâtard; et il est bien évident qu'il ne plaît pas à Dieu qu'un tel maître gouverne ce royaume. Au delà des mers, il est partout attaqué par la guerre et obligé de se défendre non seulement contre les étrangers, mais encore contre son propre sang; ses créatures elles-mêmes l'abandonnent dans sa détresse. Tel est le juste prix de son iniquité, connue par tout l'univers. Pour une seule parole, il a déshérité et chassé entièrement de la Neustrie Guillaume Warlenge, comte de Mortain; Gaultier, comte de Pontoise, neveu du roi Edouard, et sa femme Biote, accueillis par lui à Falaise et empoisonnés par ses ordres, ont trouvé la mort dans une même nuit. Il a empoisonné aussi le vaillant comte Conan, dont toute la Bretagne pleure la mort, au sein du deuil le plus affligeant que fait naître la perte d'un si grand mérite. Tels sont entre autres crimes ceux dont s'est rendu coupable, envers nous et nos alliés, ce Guillaume, qui ne cesse d'en consommer de semblables sur nous et nos pareils. Il a témérairement envahi le noble royaume d'Angleterre, tué injustement ses héritiers naturels, et cruellement exilé les plus puissans de l'Etat. Il a honoré d'une manière inconvenante tous les partisans qui l'ont élevé au dessus de son rang. Pour les causes les plus frivoles, il s'est montré ingrat envers un grand nombre de ceux qui ont versé leur sang à son service, et les a même punis de mort comme s'ils avaient été ses ennemis. Les blessés de son parti victorieux ont reçu de lui des terres stériles et désolées par le ravage; et, dès qu'elles ont été réparées, son avarice les leur a enlevées en tout ou en partie. Ainsi, il est odieux à tous, et, s'il succombe, sa mort comblera tout le monde de joie. La plus grande partie de son armée est retenue au delà des mers, et s'y trouve occupée par des guerres sanglantes et continuelles. A la vérité, les Anglais ne se livrent qu'à la culture de leurs terres; ils ne pensent qu'aux banquets et à l'ivresse, sans songer aux combats: toutefois ils n'en desirent pas moins vivement voir venger la mort et le désastre de leurs parens.» Les séditieux, tenant ces propos et d'autres semblables, s'exhortaient de toute manière à consommer le crime qui faisait l'objet de leurs vœux; ils appelèrent à leur conciliabule Guallève comte de Worthampton, et lui parlèrent en ces termes, pour le tenter de quelque manière que ce fût: «Le temps que nous desirions tous, homme courageux, est enfin arrivé; vous voyez maintenant que vous pouvez recouvrer les honneurs et les biens que l'on vous a ravis, et vous venger, comme vous le devez, des outrages que vous avez reçus récemment. Réunissez-vous à nous, et restez-nous sans cesse attaché; vous pourrez, sans nul doute, tenir, en vous unissant à nous, le tiers de l'Angleterre. Nous voulons que le royaume d'Albion soit en tout rétabli dans le même état où il était sous le très-pieux roi Edouard. Que l'un de nous soit roi et les deux autres ducs: ainsi nous partagerons entre nous trois tous les honneurs de l'Angleterre. Guillaume est au delà des mers, surchargé du poids accablant d'interminables guerres; et nous sommes bien certains que désormais il ne saurait rentrer en Angleterre. Allons, noble héros, profitez d'un avis et d'une détermination si avantageuse pour vous et votre famille, et en même temps si salutaire à la nation écrasée sous le poids des calamités.» Voici la réponse de Guallève: «Dans de semblables entreprises, la prudence est nécessaire, et tout homme en tout pays doit, avec intégrité, garder la foi à son seigneur. Le roi Guillaume a reçu la mienne comme le supérieur de l'inférieur; et pour que je lui fusse toujours fidèle, il m'a donné en mariage sa propre nièce. J'ai reçu de lui un riche comté, et il m'admet au nombre de ses commensaux les plus intimes. Comment voulez-vous que je puisse devenir infidèle à un tel prince, à moins de vouloir entièrement trahir ma foi? Je suis connu dans beaucoup de pays, j'aurais à subir, ce dont Dieu me garde, un grand déshonneur, si j'étais publiquement cité comme un traître et un sacrilége, et jamais bonne chanson ne fut chantée sur les traîtres. Toutes les nations maudissent comme un loup le traître et l'apostat; elles le poursuivent comme digne d'être pendu; et quand on le peut, on l'attache au gibet avec déshonneur et outrage. Achitophel et Judas consommèrent le crime de la trahison, et périrent tous deux, indignes des cieux et de la terre, par le supplice de la corde. Les lois anglaises font tomber la tête du traître et privent toute sa race de son héritage. Il n'arrivera pas que ma noblesse soit souillée d'une criminelle trahison, et l'univers ne retentira pas du bruit d'une si honteuse infamie. Mon Seigneur, qui délivra si puissamment David des mains de Goliath et de Saiil, d'Adarezer et d'Absalon, m'a moi-même arraché, sans que je le méritasse, à de graves périls sur la terre et sur les flots. Je mets fidèlement en lui ma confiance, et sans crainte j'espère en lui. Il ne permettra pas que ma vie soit souillée par la trahison, ni que je devienne semblable par l'apostasie à l'ange Satan.» En entendant un tel discours, Radulphe le Breton et Roger furent profondément contristés: ils forcèrent Guallève de jurer par les plus terribles sermens qu'il ne découvrirait pas leur complot. Peu de temps après, une révolte soudaine fut par toute l'Angleterre le fruit de la conjuration, et l'opposition contre les officiers du roi se propagea au loin. En conséquence, Guillaume de Varenne et Richard de Bienfaite fils du comte Gislebert, que le roi avait établis ses principaux justiciers pour régler les affaires d'Angleterre, convoquent les rebelles an palais. Ceux-ci ne daignent pas obéir aux ordres qu'ils reçoivent, et, s'efforçant de suivre le cours de leur insolence, préfèrent combattre les partisans du roi. Sans nul retard, Guillaume et Richard réunissent l'armée d'Angleterre, et livrent aux séditieux un combat sanglant dans le camp que l'on appelle Fagadune44. Par la grâce de Dieu, ils triomphent des rebelles, et, les ayant tous pris, quelle que fût leur condition, ils leur font couper le pied droit afin de pouvoir les reconnaître. Ils poursuivent le Breton Radulphe jusqu'à son château, mais ils ne peuvent le prendre. Ayant rassemblé une forte armée, ils mettent le siége devant Norwich, l'attaquent, réunissent la valeur à l'habileté militaire, accroissent ainsi leurs forces, fatiguent les assiégés par de fréquens assauts et diverses attaques, et, durant trois mois, les pressent et les combattent de toute manière. Au dehors, l'armée vengeresse croît journellement, se fortifie et reçoit en abondance les vivres et les autres secours dont elle a besoin, pour ne pas être forcée de se retirer. Cependant Radulphe de Guader, se voyant ainsi renfermé, et n'espérant aucun secours de ses complices, eut soin de confier sa forteresse à des gardes fidèles, et, s'étant embarqué sur la mer, qui était à sa proximité, se rendit en Danemarck pour y solliciter de l'assistance. Pendant ce temps, les lieutenans du roi, Richard et Guillaume, pressèrent les bourgeois de la ville de se rendre: ils envoyèrent en toute hâte, au delà des mers, des délegués pour faire part au roi des troubles qui s'étaient élevés, et le prier de revenir promptement défendre lui-même ses propres Etats. Aussitôt que ce monarque plein d'activité connut le message de ses lieutenans, il mit ordre provisoirement à ses affaires de la Normandie et du Maine; et, ayant parfaitement réglé tout, il passa promptement en Angleterre. Aussitôt il convoqua à sa cour tous les grands du royaume, il réjouit par des paroles caressantes les héros qui avaient fait preuve de fidélité, et demanda, avec juste raison, aux auteurs et aux fauteurs des révoltes, pourquoi ils préféraient le crime à l'équité. Les assiégés ayant fait leur paix, Norwich se rendit au roi, et Radulphe de Guader, comte de Norwich, fut, à perpétuité, déshérité et chassé d'Angleterre. Ainsi banni, il retourna en Bretagne avec sa femme. Là, les excellens châteaux de Guader45 et de Montfort sont en sa puissance; le monarque anglais ne put les lui ravir, et ses enfans les possèdent encore aujourd'hui par droit héréditaire. Beaucoup d'années après, du temps du pape Urbain, Radulphe prit la croix du Seigneur et se rendit à Jérusalem contre les Turcs avec Robert II, duc des Normands; pénitent et pélerin, il mourut dans les voies de Dieu avec sa femme. Roger de Breteuil, comte de Herfort, appelé par le roi, se rendit à la cour; ayant été questionné, il ne put nier sa trahison, évidente aux yeux de tout le monde. En conséquence, il fut jugé selon les lois normandes, privé de tous ses biens, et condamné à passer le reste de ses jours en prison. Là même, il accabla souvent le roi des plus grands outrages, et l'offensa d'une manière implacable par des injures répétées. En effet, un jour que le peuple de Dieu célébrait convenablement la fête de Pâques, le roi envoya au comte dans sa prison, par les gardes du lieu, des vêtemens précieux; le comte fit préparer devant lui un grand feu, et y fit aussitôt brûler les parures dont le roi lui avait fait présent, le manteau, la tunique de soie, et la pelisse de précieuses peaux de rats étrangers. Le roi Guillaume ayant appris cela, entra dans une grande colère, et dit: «C'est un trait d'insolence et d'orgueil que de me faire un tel affront; mais, par la splendeur de Dieu, cet homme ne sortira pas de sa prison tant que je vivrai.» L'arrêt fut si bien observé que, même après la mort du roi, Roger ne sortit de la prison qu'après avoir quitté la vie. Renaud et Roger, fils de ce comte, se montrent fidèles au roi Henri, et, dans une dure détresse, attendent l'effet d'une clémence qui leur paraît bien lente. Il est trop vrai, la gloire de ce monde tombe et se dessèche comme la fleur au milieu du foin; elle se dissipe et passe comme la fumée. Qu'est devenu ce Guillaume, fils d'Osbern, comte d'Herford, lieutenant du roi, sénéchal de la Normandie, et belliqueux chef de ses troupes? Le premier et le plus dur des oppresseurs des Anglais, il commit par sa témérité un forfait énorme, qui attira le désastre d'une mort misérable sur plusieurs milliers d'hommes; mais le juge équitable voit tout et rend dignement à chacun ce qu'il a mérité. Quelles douleurs! Guillaume tombe, et cet athlète audacieux reçoit ce dont il est digne. Comme il avait fait périr beaucoup de monde par l'épée, il tomba aussi tout à coup sous le fer. Enfin, après sa chute, et avant qu'un lustre fût accompli, l'esprit de la discorde arma hostilement son fils et son gendre contre leur seigneur et leur cousin, de même qu'elle avait soulevé les Sichémites contre Abimelech, qu'ils avaient pris pour chef, après avoir tué les soixante-dix fils de Jérobaal. C'est ainsi que j'ai rapporté avec véracité l'attentat par lequel la lignée de Guillaume, fils d'Osbern, disparut tellement de l'Angleterre que, si je ne me trompe, on n'y en peut plus trouver de traces. Le comte Guallève fut appelé par le roi. Il avait été accusé par la délation de Judith, sa femme, d'être coupable et fauteur de la trahison dont nous venons de parler, et de s'être montré infidèle à son seigneur. Comme il était sans crainte, il convint publiquement qu'il avait appris des conjurés leurs projets pervers, mais il soutint n'avoir donné aucune espèce d'assentiment à cette action criminelle. D'après cet aveu, le jugement de l'affaire se prolongea, et, les juges n'étant point d'accord entre eux, les délais s'étendirent jusqu'à une année. Cependant ce héros était retenu dans les prisons du roi à Winchester, où il pleurait amèrement ses fautes dont il entretenait, les larmes aux yeux, les religieux évêques et les abbés qui s'y trouvaient. C'est ainsi que, pendant l'espace d'un an, il fit pénitence d'après l'avis des prêtres, et ne manqua pas de chanter, dans ses prières de tous les jours, les cent cinquante psaumes de David qu'il avait appris dans son enfance. C'était un homme d'une taille élevée et élégante, et qui l'emportait sur des milliers de personnes en générosité comme en bravoure. Dévot adorateur de Dieu, il écoutait humblement les prêtres et les religieux, et chérissait avec tendresse l'Eglise et les pauvres: pour ces mérites et beaucoup d'autres qui le distinguaient parmi les laïques, il était fort aimé des siens et de tons ceux qui accomplissent la volonté de Dieu; aussi sa délivrance était-elle desirée instamment pendant tous ces délais d'une année. Enfin ses rivaux remportèrent et se réunirent à la cour: après beaucoup de discussions, il fut jugé digne de mort comme ayant été d'accord avec les conjurés qui tramaient la perte de leur maître, pour ne s'être pas opposé à leur criminelle entreprise, et ne l'avoir pas découverte par une dénonciation formelle. On ne lui accorda aucun répit. Les Normands qui craignaient beaucoup son évasion, desiraient obtenir pour eux ses grands biens et ses titres considérables. Pendant que le peuple dormait encore, il fut conduit, de grand matin, hors la ville de Winchester, sur la montagne où l'on a bâti l'église de Saint-Gilles, abbé et confesseur. Là, Guallève distribua dévotement aux clercs et aux pauvres, qui se trouvaient par hasard présens à ce spectacle, les vêtemens qu'il avait portés honorablement en sa qualité de comte, et se prosternant jusqu'à terre, il pria long-temps le Seigneur avec des larmes et des sanglots. Comme les bourreaux craignaient que les citoyens éveillés ne vinssent empêcher l'exécution des ordres du roi, et, dans l'accès de leur amour pour un si noble compatriote, n'égorgeassent les officiers du roi, ils dirent au comte qui était encore prosterné: «Levez-vous, afin que nous puissions accomplir les ordres de notre Seigneur.» Guallève répondit: «Par la clémence du Dieu tout-puissant, attendez un moment, afin que je dise au moins pour moi et pour vous l'Oraison dominicale.» Ils accordèrent cette permission: le comte leva la tête, et, ayant fléchi seulement les genoux en même temps qu'il élevait les yeux au Ciel et qu'il étendait les mains, il commença à dire tout haut: Pater noster, qui es in cœlis. Quand il fut parvenu au dernier verset et comme il disait: Et ne, nos inducas in tentationem, ses pleurs qui coulèrent en abondance et ses gémissemens qui éclatèrent vivement ne lui permirent pas de terminer les prières qu'il avait commencées. Le bourreau ne voulut pas attendre davantage: aussitôt ayant tiré son glaive, et frappant fortement, il trancha la tête du comte. Cependant la tête qui venait d'être coupée prononça d'une voix claire et distincte, et qui fut entendue de tous les assistans: Sed libera nos a malo. Amen! Ainsi le comte Guallève fut décollé à Winchester, le 2 des calendes de mai, au matin (3o avril). Là et sans aucune distinction, son corps fut jeté dans une fosse et fort à la hâte recouvert de gazon. A leur réveil, les citoyens, ayant appris cet événement par la rumeur publique, furent profondément affligés, et les hommes comme les femmes jetèrent de grands cris sur la catastrophe du comte Guallève. Quinze jours après, à la prière de Judith, et par la permission du roi, Yisketel, abbé de Croyland, vint enlever le cadavre que l'on trouva encore entier et dont le sang était frais comme s'il venait de mourir: il le porta au milieu du deuil général au monastère de Croyland, et l'ensevelit avec respect dans le chapitre des moines. |
XX. Vita Guthlaci eremitae. Nunc mihi libet huic opusculo nostro quamdam abbreviationem inserere, quam, rogante venerabili Vulfino priore, nuper feci de vita S. Guthlaci eremitae. Felix quidam, Orientalium Anglorum episcopus, natione quidem Burgundus, sed sanctitate venerandus, edidit gesta sanctissimi anachoretae prolixo et aliquantulum obscuro dictatu, quae pro posse meo breviter dilucidavi, fratrum benigno rogatu, cum quibus quinque septimanis Crulandiae commoratus sum, venerabilis Goisfredi abbatis charitativo jussu. Occasio loquendi de beato eremita sese obtulit nostrae narrationi per Guallevum comitem, qui fidus frater et adjutor extitit Crulandensis monasterii, sicut ex relatione seniorum veraciter intimabo in calce hujus epitomii. Indubitanter credo quod non minus proderunt fidelibus Cisalpinis sancta gesta transmarinorum Saxonum vel Anglorum quam Graecorum vel Aegyptiorum, de quibus prolixae, sed delectabiles commodaeque collationes crebro leguntur, congestae sanctorum studio doctorum. Praeterea reor quod quanto res haec minus olim nostratibus patuit, tanto charitatis igne ferventibus, et pro transactis reatibus ex intimo corde dolentibus gratiosius placebit. Tempore Ethelredi regis Anglorum, Guthlacus ex patre Penvaldo ab origine Icles heri Merciorum, matre vero Tetta natus est. Quo nascente coeleste prodigium populis palam ostensum est: manus enim e nubibus ad crucem porrecta est, quae ante ostium domus parientis Tettae stare visa est. Post octo dies infans baptizatur, et Guthlacus, id est belli munus, a tribu, quam Guthlacingas dicunt, appellatur. Post mitem pueritiam, dum adolescentiae calorem sensisset et heroum fortia gesta considerasset, aggregatis satellitum turmis, ad arma se convertit, sibique adversantium villas et munitiones igne ferroque devastat et disperdit, immensisque praedis direptis, tertiam partem sponte his quibus ablatum est, pro amore Dei remittit. Deinde transcursis IX annis, in quibus hostes valde afflixerat caedibus et rapinis, considerata mortalis vitae fragilitate et caducarum rerum instabilitate, territus ad seipsum redit, seque, ac si mortem prae oculis videret, discutit, et emendatioris vitae viam aggredi satagit. Igitur complices suos relinquit, parentes et patriam comitesque adolescentiae suae pro Christo contemnit et XXIV aetatis suae anno abrenuntians saeculi pompis Ripaduun monasterium adiit, ibique sub abbatissa nomine Elfdrid tonsuram habitumque clericalem suscepit. Postea ab ebrietate omnique lascivia toto nisu declinavit, omnique honestati et religioni pro humano posse studuit. Per biennium sacris litteris et monasticis disciplinis imbutus est, sed his tantum contentus non est. Nam eremiticae vitae singulare certamen arripere conatus est, ubi cum hoste cominus luctatus est. Adepta tandem a senioribus licentia, a quodam nomine Tatuvino ad insulam, quae dicitur Crouland, scaphula adductus est piscatoria. Est in mediterraneis Angliae partibus immensae magnitudinis acerrima palus, quae a Grontae fluminis ripis incipit, nunc stagnis, nunc flactris, interdum nigris laticibus et crebris insularum nemoribus et flexuosis rivigarum anfractibus ab austro in aquilonem mari tenus longissimo tractu protenditur. Illic plures inhabitare tentaverant, sed pro incognitis eremi monstris, et diversarum terroribus formarum atram habitationem reliquerant. Guthlacus itaque, aestivis temporibus Crulanda perscrutata, fratres suos et magistros, quos insalutatos dimiserat, revisere profectus est; iterumque post tres menses cum duobus pueris ad electam eremum, VIII Kalendas Septembris, cum jam ipse XXVI annorum esset, regressus est. Tunc S. Bartholomaei apostoli solemnitas celebratur, quem socium sibi et adjutorem in cunctas adversitates summopere precatur. Quindecim annis non laneis vel lineis, sed pelliceis solummodo tegminibus indutus est, et hordeaceo pane ac lutulenta aqua, et ex his parum, post solis occasum, usus est. Innumeris illum modis Satan tentavit, et irretire vel de eremo expellere laboravit. Quondam, cum per tres dies incoepti operis desperatione lassaretur, en Bartholomaeus fidus adjutor matutinis vigiliis instanti palam apparet, et praeceptis spiritualibus trepidantem confortans, auxilium ei in omnibus spondet, et in multis tentationibus promissa sua fideliter complet. Alia die, duo daemones in hominum specie ad eum veniunt, eumque tentantes ut nimium jejunando Moysen et Eliam, aliosque Aegyptios patres imitaretur, incitant. At ille psallens in contemptum illorum hordeacei panis particula vesci coepit. Aliquando dum vir Dei pervigil precibus intempesta nocte insisteret, catervas daemonum undique ingredi cellam suam videt. Quem, ligatis membris, extra cellam suam ducunt et in coenosam paludem immergunt. Deinde per paludis asperrima loca inter densa veprium vimina asportant, et post dilacerationem membrorum de eremo illum discedere imperant. Quo nolente, ferreis eum flagris verberant, ac, post ingentia tormenta, inter nubifera gelidi aeris spatia subvectant, indeque a septentrionali plaga innumeris daemonum turmis adventantibus usque ad Tartari fauces minant. Tunc Guthlacus, visis gehennae poenis, terretur, sed, minis daemonum contemptis, ad Deum medullitus suspirat. Nec mora, S. Bartholomaeus coelesti luce splendidus illi adest, et cum magna quiete ab ipsis hostibus reduci ad propriam sedem jubet. Illi vero gementes apostoli jussis obsecundant, et angeli gaudentes dulciter ei obviam cantant: Ibunt sancti de virtute in virtutem (Psal. LXXXIII, 8) . Multoties et multis modis daemones Guthlacum terrere nitebantur; sed ipse, Domino juvante, illos et cuncta molimina eorum frustrabatur. Imperterritus in virtutum arce stetit, duros labores in agone pertulit, diabolicosque conatus pessumdedit. Tempore Coenred regis Merciorum, Becelmus clericus ad occidendum virum Dei a daemone stimulatus, dum ipsum tonderet, ab eodem increpatus est cur tantum facinus in corde gestaret. At ille mox ut se praeventum vidit, erubescens ad pedes sancti cecidit, scelus fatetur, veniamque precatur, perceptaque indulgentia se socium illius fore pollicetur. Corvus raptam chartulam in medio stagni dimisit, nec illam in arundine pendentem aqua meritis viri Dei laesit, quam idem scriptori moesto salvam reddidit. Duo corvi in insula degentes beato Guthlaco valde infesti erant, ita ut quidquid frangere, mergere, diripere, contaminare potuissent, irreverenter intus forisque damnantes perderent; quos vir Dei pro virtute patientiae benigniter tolerabat. Incultae solitudinis volucres et vagabundi coenosae paludis pisces ad vocem ejus velut ad pastorem ocius natantes volantesque veniebant, et de manu ejus victum, prout uniuscujusque natura indigebat, accipiebant. Praesente venerabili viro Wilfrido, duabus hirundinibus gaudenter illum secundum suam naturam visitantibus, et cum cantu brachiis et genibus, pectorique illius considentibus, festucam in ventinula posuit, et sic avibus nidum in sua cella designavit. Non enim in casa Guthlaci sine licentia ejus nidificare audebant. Quondam dum praefatus Wilfridus exsulem Edelbaldum ad hominem Dei adduxisset, manicasque suas in navi qua advecti fuerant, oblitus fuisset, rapaces corvi rapuerunt. Quod mox vir Dei, in vestibulo domus sedens, in spiritu Dei agnovit, et inter colloquia Wilfrido intimavit, nec multo post virtute fidei et orationis pro damno restauravit. Wehtredus, inclytus juvenis orientalium Anglorum, a daemonio invasus est, et quatuor annis miserabiliter vexatus est. Se et quoscunque poterat ligno, ferro, unguibus et dentibus laniabat. Quondam dum multitudo illum ligare tentaret, arrepta bipenne, tres viros occidit. Post quatuor annos Crulandiam adductus est; quem vir Dei manu arripiens, intra oratorium suum duxit, et illic, continuis tribus diebus jejunans et orans, ab omni inquietudine maligni spiritus curavit. Egga, praefati exsulis Edelbaldi comes, dum ab immundo spiritu pervasus est, ita ut quid esset, vel quo sederet, vel quid ageret omnino nesciret, a sociis suis ad Guthlaci limina perductus est. Deinde mox ut se cingulo viri Dei succinxit, integrum sensum recepit, omnique postmodum vita sua idem cingulum et sanam mentem habuit. Praeterea vir Dei Guthlacus, spiritu prophetiae pollens, futura praedicere et praesentibus absentia narrare solitus est. Cuidam abbati, qui ad eum causa piae locutionis venerat, de duobus clericis, qui ad casam viduae ante horam tertiam pro appetenda ebrietate divertissent, cuncta per ordinem intimat. Alios duos fratres, quod binas flasculas celia impletas sub palustri sablone abscondissent, increpat, eisque pro tanta viri Dei sagacitate stupentibus et ad solum prostratis benigniter indulsit. Fama de beato Guthlaco longe lateque celeriter volante, multi ad eum veniunt diversorum ordinum gradus, abbates, monachi, comites, divites, vexati, pauperesque de proximis Merciorum finibus et de Britanniae partibus, pro salute corporis aut animae. Et quisque id, pro quo fideliter venerat, salubriter obtinebat. Aegrotus enim remedium, tristis gaudium, poenitens consolationem, et quisque anxius percipiebat alleviationem per viri Dei allocutionem et efficacem orationem. Obba, comes inclyti exsulis Edelbaldi, dum per agrestia rura graderetur, spinae latentis sub herbis incultae telluris fixura in pede laesus est, ita ut a planta usque ad lumbos totum corpus ejus tumesceret, nec eum novus dolor sedere, vel stare, vel jacere quiete sineret; unde vix Crulandiam pervenit. Mox ut ad virum Dei perductus est, et causa vexationis ex ordine relata est, Guthlacus luterio melotinae, in quo solebat orare, ipsum circumdedit, statimque dicto citius spinula de pede ejus, velut sagitta ab arcu demissa, resiliit. Eadem itaque hora, omni humore sedato, aeger convaluit, et Deo gratias, cum his qui hoc viderant, laetus retulit. Quondam Headda praesul cum quibusdam clericis et laicis ad Guthlacum venit; inter quos de beato viro varia locutio obiter fuit. Praedictus autem episcopus, comperta in venerabili viro divinae gratiae luculentia, et in exponendis sacris Scripturis sapientiae affluentia, postquam insulae Crulandiae ecclesiam XII Kalendas Septembris dedicavit, eumdem servum Dei suscipere sacerdotii stemma inviolabili obedientiae praecepto coegit. Dein ad prandium pontificis sanctus vir contra morem suum venire coactus est. Ubi, dum Wigfridum librarium videret procul sedere, coepit ab eo inquirere de hesterna promissione, qua sociis in via jactaverat se examinaturum utrum idem vera potiretur an simulata religione. Mox ille erubuit, soloque prostratus veniam petiit et obtinuit, cunctis mirantibus quod illorum in via locutio per Spiritum viro Dei lucide tota patuerit. Reverendissima Egburg abbatissa, Aldulfi regis filia, per legatum suppliciter rogante, Guthlacus sarcophagum plumbeum, et in eo linteum ad involvendum se post obitum suscepit; et sciscitanti qui haeres post se loci illius esset, adhuc paganum esse respondit. Quod ita factum est. Nam Cissa, qui post eum sedem ejus possedit, post aliquot annos in Britannia baptismum percepit. Clito Edelbaldus, quem Ceolredus rex huc et illuc persequebatur, inter dubia pericula exinanitis viribus suis suorumque, ad virum Dei, ut solebat, venit, ut, ubi humanum consilium defecisset, divinum adesset. Quem beatus Guthlacus blande consolatus est, eique per Spiritum Dei promisit dominationem gentis suae et principatum populorum et conculcationem inimicorum; et haec omnia non armorum vi, nec effusione sanguinis, sed de manu Domini habiturum. Eo cuncta ordine completa sunt, quo a viro Dei vaticinata sunt. Nam Ceolredus rex mortuus est, ac Edelbaldus regnum ejus nactus est. |
Je crois qu'il est maintenant à propos d'insérer dans cet opuscule l'abrégé que j'ai fait récemment de la vie de saint Guthlac ermite, à la prière du vénérable prieur Wilfin. Un certain Félix, évêque des Anglais de l'Est46, né en Bourgogne et respectable par sa sainteté, a écrit dans un style prolixe et quelque peu obscur, les gestes de ce très-saint anachorète. Autant qu'il est en mon pouvoir, je les ai éclaircis en peu de mots, d'après la prière gracieuse de mes frères, avec lesquels j'ai passé cinq semaines à Croyland, par l'ordre bienveillant du vénérable abbé Goisfred. L'occasion de parler de ce bienheureux ermite nous est présentée dans ce récit par le comte Guallève, qui fut un frère fidèle et un ami secourable pour le monastère de Croyland, ainsi que je le dirai avec vérité à la fin de cet abrégé, d'après le rapport des vieillards. Sans nul doute, croyez que le récit des saintes actions des Saxons ou des Anglais d'outre-mer ne sera pas moins utile aux fidèles Cisalpins que ne peut l'être l'histoire des Grecs et des Egyptiens, sur lesquels on lit fréquemment des récits, longs à la vérité, mais profitables et avantageux, recueillis par le zèle des saints docteurs. Je pense en outre qu'autant ces choses ont été peu connues jadis de nos compatriotes, autant elles plairont aux hommes embrasés du feu de la charité et qui, au fond du cœur, s'affligent des crimes passés. Du temps d'Elhelred, roi des Anglais, Guthlac eut Tecta pour mère, et pour père Penvald descendant d'icles seigneur des Merciens. A sa naissance, un céleste prodige fut manifesté au peuple. On vit une main qui s'étendait des nuages vers une croix placée en face de la maison où Tecta faisait ses couches. Huit jours après, l'enfant fut baptisé et appelé Guthlac, c'est-à-dire présent de guerre, par la tribu que l'on appelle Guthlasingue. Après l'enfance la plus douce, lorsqu'il sentit la chaleur de l'adolescence et qu'il eut remarqué les vaillantes actions des héros, il rassembla des troupes, ravagea et détruisit par le fer et par le feu les terres et les forteresses de ses adversaires. Ayant ainsi enlevé un immense butin, il en remit spontanément le tiers, pour l'amour de Dieu, à ceux auxquels il l'avait enlevé. Ensuite neuf années s'étant écoulées, pendant lesquelles il avait causé les plus grands maux à ses ennemis tant par le meurtre que par la rapine, il considéra quelle était la fragilité de la vie mortelle et l'instabilité des choses périssables: effrayé, il fit un retour sur lui-même, se détacha de lui comme s'il eût eu la mort présente devant les yeux, et s'efforça d'entrer dans la voie d'une meilleure vie. En conséquence, il abandonna ses complices; dédaigna ses parens, sa patrie et les compagnons de son enfance pour ne plus s'occuper que du Christ; et, dès l'âge de vingt-quatre ans, renonçant aux pompes du siècle, il se rendit au monastère de Ripald47, et là, sous l'autorité d'une abbesse nommée Elfride, il reçut la tonsure et l'habit clérical. Il fit ensuite tous ses efforts pour renoncer à l'ivrognerie ainsi qu'à toute espèce de débauches, et s'attacha, autant que l'humanité en est capable, à la religion et aux choses honnêtes. Il employa deux années à se pénétrer des saintes Ecritures et de la discipline monastique. Il ne se borna pas à ces choses: car il essaya de livrer le combat singulier de la vie d'ermite, dans laquelle on envient aux mains de plus près avec l'ennemi. Enfin, en ayant obtenu la permission des vieillards, il fut conduit dans une barque de pêcheur, par un certain homme nommé Tatwiu, dans l'île que l'on appelle Croyland. On trouve dans le milieu des terres de l'Angleterre un marais d'accès difficile et d'une grandeur immense, qui commence aux rives de la Gronta; il s'étend pendant un long espace du midi jusqu'au nord le long de la mer, semé tantôt d'étangs, tantôt de flaques d'eau, quelquefois de sources noirâtres, d'îles couvertes de bois et de cavités profondes le long de ses rives. Plusieurs personnes avaient tenté d'y habiter; mais ne connaissant pas les monstres qui peuplaient ce désert, et frappées de diverses terreurs, elles avaient quitté cette noire solitude. Dans le cours de l'été, Guthlac visita Croyland, et partit pour aller voir ses frères et ses maîtres, qu'il avait quittés sans prendre congé d'eux: il revint trois mois après avec deux enfans dans l'ermitage qu'il avait choisi. C'était le 8 des calendes de septembre (24 août), et il était alors âgé de vingt-six ans. On célèbre ce jour la fête de saint Barthélemi apôtre48, qu'il pria avec un grand zèle d'être son compagnon et son soutien dans ses adversités. Pendant quinze ans, il ne se couvrit ni de laines ni de lin, mais seulement de vêtemens de peau, et n'usa que de pain d'orge et d'eau bourbeuse: encore n'en prenait-il que très-peu et seulement après le coucher du soleil. Satan le tenta de mille manières et essaya de le prendre dans ses filets ou au moins de le chasser de son ermitage. Une fois, comme il commençait à désespérer de mettre à fin un ouvrage qu'il avait commencé depuis trois jours, tout à coup Barthélemi, qui le secourait avec fidélité, lui apparut clairement dès la première veille du matin, et le fortifiant malgré sa crainte par des préceptes spirituels, il lui promit son assistance en toute chose. L'apôtre accomplit fidèlement sa promesse dans plusieurs tentations que l'ermite éprouva. Un autre jour, deux démons sous forme humaine vinrent à lui, et le tentant l'engagèrent à jeûner excessivement pour imiter Moïse, Elie, et quelques pères de l'Egypte. Il se mit à psalmodier, et, pour leur témoigner son mépris, mangea aussitôt un morceau de pain d'orge. Pendant que l'homme de Dieu veillait et passait la nuit en prières, il vit de toutes parts entrer dans sa cellule des troupes de démons. Après lui avoir lié les membres, ils l'entraînent dehors et le plongent dans un marais bourbeux. Ils le transportent ensuite dans les lieux les plus inaccessibles du marécage à travers les buissons les plus épais, et après lui avoir déchiré le corps lui ordonnent de sortir de son ermitage. Comme il n'y voulait pas consentir, ils le frappent avec des fouets de fer, et après d'affreux tourmens le portent dans les espaces nébuleux de la région glacée. Là, secondés par d'innombrables troupes de démons accourus des contrées septentrionales, ils le mènent jusqu'au gouffre du Tartare. Alors Guthlac ayant vu les tortures de la géhenne fut effrayé; mais ayant méprisé les menaces des démons, il soupira profondément vers Dieu. Sans nul retard, saint Barthélemi, brillant d'une céleste lumière, se présenta à lui, et ordonna à ses ennemis de le reconduire en grande tranquillité jusqu'au sein de son ermitage. Les démons gémissans obéirent aux ordres de l'apôtre, et les anges pleins de joie vinrent au devant de lui en chantant avec douceur: «les saints iront de vertus en vertus.» Fréquemment et de diverses manières les démons s'efforcèrent d'effrayer Guthlac; mais, secondé par le Seigneur, il déjoua toutes leurs entreprises. Intrépide, il se maintint dans la forteresse des vertus, endura dans le combat de rudes épreuves, et rendit vaines toutes les tentatives diaboliques. Du temps de Coenred, roi des Mereiens, le clerc Bécelin fut porté par le démon à tuer l'homme de Dieu. Pendant que le clerc frappait l'ermite, celui-ci lui demanda pourquoi son cœur avait conçu un pareil forfait. Dès qu'il se vit ainsi prévenu, rougissant de honte, il se jeta aux pieds du saint, confessa son crime, demanda pardont et l'ayant obtenu promit de se réunir à lui. Un Corbeau ayant volé un petit papier l'abandonna au milieu d'un étang, où il resta suspendu à un roseau. Par les mérites de l'homme de Dieu, il n'éprouva aucun dommage, et il le rendit en bon état à l'écrivain qui était fort affligé. Deux corbeaux qui habitaient l'île gênaient beaucoup le bienheureux Guthlac, brisant, jetant à l'eau, enlevant et souillant tout ce qu'ils pouvaient atteindre, de manière à le désoler, sans aucun respect pour lui, dans son ermitage comme au dehors; ce que l'homme de Dieu supportait avec bonté, à cause de la vertu de patience dont il était doué. A sa voix, comme à celle d'un pasteur, les oiseaux de cette inculte solitude, et les poissons errans dans ce marais fangeux accouraient envolant ou en nageant et recevaient de sa main leur nourriture, selon que leur nature l'exigeait. En présence du vénérable Wilfrid, deux hirondelles vinrent suivant leur naturel le visiter gaîment, et s'arrêtaient en chantant sur ses bras, ses genoux et sa poitrine: il posa des brins de paille sur son auvent, et désigna ainsi aux oiseaux l'emplacement de leur nid dans sa cellule; car, sans sa permission, ils n'auraient pas osé le faire. Un jour, pendant que Wilfrid conduisait vers l'homme de Dieu l'exilé Ethelbald, il avait oublié sa besace dans le vaisseau qui l'avait apportée: des corbeaux ravisseurs la lui enlevèrent. Aussitôt l'homme de Dieu, assis devant sa porte, reconnut par l'esprit divin et annonça à Wilfrid, pendant son entretien, que l'enlèvement avait été fait par les oiseaux dont il s'agit; et peu de temps après, par la vertu de la foi et de la prière, il fit cesser ses regrets en lui rendant la besace. Wethred, jeune homme illustre de l'Angleterre orientale, fut envahi par le démon et pendant quatre années tourmenté misérablement. Il déchirait tous ceux qu'il pouvait atteindre avec du bois, du fer ou avec les ongles et les dents. Dans un moment où la multitude faisait des efforts pour le lier, il saisit une hache et tua trois hommes. A la fin des quatre années, il fut conduit à Croyland: l'homme de Dieu le prenant par la main le fit entrer dans son oratoire; il y jeûna pendant trois jours entiers, fit ses prières, et fut guéri de toute agitation de l'esprit malin. Egga, compagnon de l'exilé Ethelbald, fut possédé par l'esprit immonde, à tel point qu'il ne savait ni ce qu'il était, ni où il se trouvait, ni ce qu'il devait faire. Ses amis le conduisirent à la porte de l'ermitage de Guthlac. Aussitôt qu'il eut mis la ceinture de l'homme de Dieu il recouvra la tranquillité, et depuis ce moment conserva toute sa vie et la ceinture et sa raison. Guthlac était doué de l'esprit de prophétie: cet homme de Dieu avait coutume de prédire l'avenir, et de raconter aux personnes présentes ce qui se passait en leur absence. Il fit connaître à un certain abbé, qui était venu le voir pour une pieuse conférence, que deux clercs s'étaient rendus dans la maison d'une veuve, avant la troisième heure, pour s'y enivrer. Il réprimanda deux autres frères, parce qu'ils avaient caché dans le sable du marais deux flacons pleins de bière. Comme ils étaient tout étonnés de la grande sagacité de l'homme de Dieu, et qu'ils s'étaient prosternés devant lui, il leur pardonna avec bonté. La réputation du bienheureux Guthlac ayant acquis de la célébrité et se répandant de tous côtés, il fut visité par beaucoup de personnes de divers rangs: abbés, moines, comtes, riches opprimés, pauvres accouraient vers lui des contrées voisines de la Mercie et des cantons de la Bretagne, afin d'obtenir la santé du corps et le salut de l'ame. Et chacun obtenait ces avantages s'il venait avec foi. Grâce aux paroles et aux prières efficaces de l'homme de Dieu, le malade trouvait un remède, l'affligé de la joie, le pénitent des consolations, et l'infortuné du soulagement à ses anxiétés. Obba, autre compagnon de l'illustre exilé Ethelbald, parcourant des champs sans culture, fut grièvement blessé au pied par une épine cachée sous l'herbe de ce terrain inculte. Cette blessure était si grave que tout son corps enfla jusques aux reins, et que cette douleur excessive ne lui permettait aucun repos, soit qu'il se tînt debout, soit qu'il se couchât. Ce fut avec beaucoup de peine qu'il put se traîner jusqu'à Croyland: ayant été conduit devant Guthlac, il lui raconta en détail la cause de ses douleurs. Guthlac l'enveloppa dans la peau de mouton sur laquelle il avait coutume de prier, et aussitôt, plus promptement que ne vole la parole, l'épine jaillit du pied, comme la flèche lancée par l'arc. En même temps toute la douleur s'étant calmée par l'écoulement des humeurs, le malade fut guéri, et, plein de joie, rendit grâces à Dieu avec ceux qui furent témoins du miracle. Une autre fois, l'évêque Headda avec un certain nombre de clercs et de laïques alla trouver Guthlac. Tout en s'entretenant, chemin faisant, de ce qui concernait ce bienheureux, ce prélat ayant découvert dans le vénérable Guthlac toute l'abondance des grâces divines et toute l'éloquence de la sagesse propre à exposer les saintes Ecritures, après avoir dédié l'église de Croyland, le 12 des calendes de septembre (21 août), usa de l'inviolable prétexte de l'obéissance, pour forcer le serviteur de Dieu à prendre l'habit sacerdotal. Le saint homme fut obligé, contre son usage, de prendre part au repas du pontife. Voyant assis à quelque distance le copiste Wigfrid, il l'interrogea sur la promesse qu'il avait faite la veille, pendant qu'il voyageait avec ses compagnons, d'examiner si la religion de l'ermite était sincère ou simulée. Wigfrid se mit à rougir, se prosterna à terre, sollicita sa grâce, et l'obtint. Chacun fut émerveillé de ce qu'un discours tenu en chemin avait été ainsi révélé à l'homme de Dieu, par l'esprit divin. La très-révérende abbesse Egburge, fille du roi Aldulf, ayant fait supplier humblement Guthlac, ce digne homme reçut d'elle un sarcophage de plomb avec un linceul pour l'ensevelir après sa mort; et comme elle lui faisait demander quel serait son successeur dans ce lieu, il répondit qu'il était encore païen. C'est ce qui eut lieu, car Cissa, qui lui succéda, fut, quelques années après, baptisé en Bretagne. Cliton Ethelbald, que le roi Céolred poursuivait en tous lieux, ayant épuisé ses forces et celles des siens en fuyant les périls dont il était menacé, vint, suivant son usage, se retirer auprès de l'homme de Dieu, afin d'implorer le secours divin quand celui des hommes lui manquait. Le bienheureux Guthlac le consola avec douceur, et lui promit, inspiré par l'esprit divin, qu'il aurait la souveraineté de sa nation, la principauté des peuples et le triomphe sur ses ennemis; et que toutes ces choses arriveraient, non par la violence des armes ni l'effusion du sang, mais par la main du Seigneur. Ces événemens s'accomplirent dans leur ordre, et tels que l'homme de Dieu les avait prédits: car le roi Céolred mourut, et Ethelbald monta sur son trône.
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XXI. Mors B. Guthlaci eremitae. Miracula et prodigia super sancti sepulcrum. Aedificatio monasterii Crulandensis. Completis in eremo XV annis, venerabilis Guthlacus ante Pascha quarta feria aegrotare coepit. Die tamen Paschae contra vires exsurgens, missam cantavit. Septima vero die infirmitatis Beccel famulo suo jussit ut post obitum suum Pegam sororem suam illuc advenire faceret, et ab illa corpus ejus sindone in sarcophago, quam Egburg illi miserat, involveretur. Tunc ille coepit virum Dei cum adjuratione rogare ut ante suum funus sibi intimaret quis cum eo mane et vespere loqui quotidie audiebatur. Almus Dei athleta, post modicum intervallum anhelans, ait: Fili mi, de hac re sollicitari noli. Quod vivens ulli hominum indicare nolui, nunc tibi manifestabo. A secundo etenim anno, quo hanc eremum [habitare] coeperam, mane vespereque semper [angelum] consolationis meae ad colloquium meum Dominus mittebat, qui mihi mysteria, quae non licet homini enarrare, monstrabat; qui duritiam laboris mei coelestibus oraculis sublevabat; qui absentia mihi monstrando ut praesentia praesentabat. O fili, haec dicta mea conserva, nullique alii nuntiaveris nisi Pegae aut Egberto anochoretae. His dictis, suavis odor de ore ejus processisse sentiebatur, ita ut totam domum nectareus odor repleret. Nocte vero sequenti, dum praefatus frater nocturnis vigiliis incumberet, a media nocte usque in auroram totam domum igneo splendore circumsplendescere videbat. Oriente vero sole, vir Dei, sublevatis paulisper membris velut exsurgens et manus ad altare extendens, corporis et sanguinis Christi communione se munivit; et elevatis oculis ad coelum, et extensis in altum manibus, anno ab Incarnatione Domini 715 (71) animam ad perenne gaudium emisit. Inter haec Beccel conspicit coelesti splendore domum repleri, turrimque velut igneam e terra in coelum erigi, ad cujus comparationem sol quasi lucerna in die pallescere videbatur. Cantibus quoque angelicis spatium totius aeris detonari audiebatur; insula etiam diversorum aromatum odoriferis spiraminibus, fragrat. Praedictus itaque frater valde tremefactus, eximiam coruscationem sufferre non valens, arrepta navi, virginem Christi Pegam adivit, eique fraterna mandata seriatim retulit. Quibus auditis, illa vehementer ingemuit. Postera vero die cum praedicto fratre Crulandiam venit, et tertia die felicia membra in oratorio, secundum jussionem ejus, sepelivit, ubi Dominus postea propter amici sui merita in sanandis aegrotis plura miracula fecit. Ad anniversarium S. Guthlaci soror ejus Pega presbyteros et alios ecclesiastici ordinis viros aggregavit et sepulcrum ejus aperuit, ut corpus ejus in aliud mausoleum transferret. Tunc totum corpus integrum, quasi adhuc viveret, invenerunt; et vestimenta omnia quibus involutus erat, antiqua novitate et pristino splendore candebant. Mirantibus cunctis et stupentibus ac trementibus prae miraculo quod videbant, Pega spiritualiter commota sacrum corpus reverenter in sindone, quam eo, vivente, Egbert anachoreta in hoc officium miserat, revolvit, et sarcophagum super terram quasi quoddam memoriale posuit, ubi usque hodie honorabiliter requiescit. Illuc praefatus exsul Edelbaldus, audita sancti viri morte, moerens adiit; cui post lacrymas et longam orationem in proxima casula dormienti sanctus vir apparuit, eumque consolatus, sceptrum regni, antequam annus finiatur, promisit. Signum quoque poscenti dedit, quod in crastinum ante horam tertiam habitatoribus Crulandiae insperata victus solatia darentur. Nec mora effectus dicta sequitur. Unde idem Edelbaldus, postquam regnum adeptus est, miris ornamentorum structuris mausoleum venerabilis Guthlaci decoravit. Quidam paterfamilias in provincia Wisa oculorum lumen per annum perdidit, nec illud ullis pigmentorum fomentis recuperare potuit. Tandem cum fide Crulandiam perductus, colloquium virginis Christi Pegae appetiit, cujus permissu intra oratorium ad corpus sanctum recubuit. Illa vero partem glutinam salis a sancto viro ante consecratam in aquam rasit, et inde aquam intra palpebras caeci guttatim stillavit. Ad tactum primae guttae oculis lumen redditum est; unde illuminatus paterfamilias per merita sancti Guthlaci, gratias egit. Multi quoque alii diversis infirmitatibus gravati, auditis rumoribus miraculorum beati Guthlaci, palustrem Crulandiam, ubi sanctum corpus quiescit, adeunt, ejusque meritis sanitatem integram adepti, Deo gratias referunt. Huc usque Felicis episcopi scripta de venerabili Guthlaco breviter secutus sum, et huic opusculo inserui ad laudem Dei et fidelium aedificationem morum. Caetera quae restant de constructione Crulandensis monasterii et habitatione coenobitarum, ex veraci relatione Ansgoti subprioris aliorumque proferam seniorum. |
Après avoir passé quinze ans dans son ermitage, le vénérable Guthlac commença à devenir malade, le mercredi avant Pâques: toutefois, le jour de cette fête, il fit un effort au dessus de ses moyens, se leva et chanta sa messe. Le septième jour de sa maladie, il ordonna à son serviteur Beccel49 de faire venir après sa mort sa sœur Péga, afin qu'elle ensevelît son corps avec le suaire et dans le sarcophage qu'Egburge lui avait envoyé. Beccel pria et conjura l'homme de Dieu de lui faire connaître avant sa mort quel était celui qui journellement s'entretenait avec lui le matin et le soir. Le généreux athlète de Dieu, reprenant haleine, lui dit après quelques instans: «Mon cher fils, ne te mets pas en peine sur ce point. «Ce que pendant mon vivant je ne voulus révéler à personne, je vais maintenant te le manifester. La deuxième année où j'ai commencé à habiter cet ermitage, le Seigneur envoyait, matin et soir, pour s'entretenir avec moi et me consoler, quelqu'un qui me démontrait les mystères qu'il n'est pas permis à l'homme de raconter; qui soulageait, par de célestes avis, toute la peine de mes travaux, et qui me faisait voir les choses absentes comme si elles avaient été présentes. 0 mon cher fils, conserve mes paroles et n'en fais part à qui que ce soit, excepté à Péga, ou à l'anachorète Egbert.» A ces mots il sortit de sa bouche une si suave odeur, qu'on eût cru la maison remplie des parfums du nectar. La nuit suivante, pendant que le frère Beccel veillait, il vit, depuis minuit jusqu'à l'aurore, toute la maison briller des feux d'un vif éclat. Au lever du soleil, l'homme de Dieu s'étant un peu levé et étendant les mains vers l'autel, se munit de la communion du corps et du sang du Christ; et ayant élevé les yeux et les mains au ciel, il rendit l'ame pour aller goûter les joies éternelles, l'an 715 de l'Incarnation du Seigneur. Sur ces entrefaites, Beccel vit la maison se remplir d'une splendeur céleste, et comme une tour de feu s'élever de la terre jusqu'au ciel: en comparaison de tant d'éclat, le soleil semblait pâlir comme une lanterne en plein jour. On entendait retentir dans tout l'espace des airs des concerts angéliques. L'île rendit l'odeur et les émanations de divers aromates. Alors le frère, tout tremblant et ne pouvant supporter un éclat si vif, s'embarqua pour aller trouver Péga, vierge du Christ, et lui dire avec ordre tout ce qu'avait prescrit son frère. A ces mots, elle gémit profondément: le lendemain, elle se rendit avec Beccel à Croyland; le troisième jour elle ensevelit, dans un oratoire, les bienheureux membres de Guthlac, selon l'ordre qu'elle avait reçu de lui. Là le Seigneur opéra de nombreux miracles par la guérison des malades, en faveur des mérites de son ami. Le jour de l'anniversaire de la mort de saint Guthlac, sa sœur Péga réunit des prêtres et quelques autres hommes de l'ordre ecclésiastique, et ouvrit le tombeau pour faire transférer le corps dans un autre mausolée. Le corps fut trouvé tout entier comme s'il eût été encore en vie; les linges qui l'enveloppaient étaient neufs encore, et conservaient la pureté de leur première blancheur. Comme tout le monde s'émerveillait, s'étonnait et restait tout tremblant en voyant ce miracle, Péga, émue par l'esprit divin, enveloppa respectueusement ce saint corps dans un suaire que, du vivant de Gulhlac, l'anachorète Egbert avait envoyé pour cet usage, et fit poser le sarcophage sur la terre, comme un monument de souvenir, et jusqu'à ce jour on l'a conservé honorablement. L'exilé Ethelbald, dont nous avons déjà parlé, ayant appris la mort du saint homme, se rendit à son tombeau. Comme il s'était endormi dans une maison voisine, après avoir pleuré beaucoup et longuement prié, le saint lui apparut, et l'ayant consolé, lui promit qu'il obtiendrait le sceptre avant qu'un an fût écoulé. Il donna pour preuve que, le lendemain avant la troisième heure, les habitans de Croyland recevraient la consolation d'obtenir des vivres qu'ils désespéraient d'avoir. Sans retard, l'effet suivit les paroles. Ensuite Ethelbald ayant obtenu le royaume, décora d'admirables constructions et de divers orneinens le mausolée du vénérable Guthlac. Un certain père de famille, dans la province de Wisa50, perdit la vue pendant un an, et ne put la recouvrer, quoiqu'il employât toutes sortes d'onguens et de remèdes. Enfin, s'étant transporté avec foi à Croyland, il demanda à s'entretenir avec Péga, vierge du Christ, qui lui permit de s'étendre dans l'oratoire sur le saint corps. Cependant elle gratta dans de l'eau consacrée antérieurement par le saint homme un morceau de sel, et en versa quelques gouttes sur les paupières de l'aveugle: dès que la première goutte eut touché les yeux du malade, la vue lui fut rendue. Après l'avoir recouvrée, le père de famille rendit grâces à Dieu par les mérites de saint Guthlac. Plusieurs autres personnes souffrant de diverses infirmités, ayant entendu parler des miracles du bienheureux Guthlac, se transportèrent dans les marais de Croyland, où repose son saint corps; ils y recouvrèrent la santé par ses mérites et en rendirent grâces à Dieu. Jusqu'ici j'ai suivi, en les abrégeant, les écrits de l'évêque Félix, relativement au vénérable Guthlac, et j'en ai fait usage pour la louange de Dieu et l'édification des fidèles. Ce qui reste à dire sur la construction du monastère de Croyland et l'habitation de ses cénobites, je le tirerai de la relation véridique du sous-prieur Ansgo et de quelques autres écrivains.
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XXII. Historia Crulandensis monasterii. Rex Edelbaldus, ut beatum consolatorem suum miraculis coruscare comperit, locum sepulturae ejus gaudens expetiit, et ea quae beato viro jam regnum adeptus donaverat, servientibus ei perenniter concessit. Nam quodam tempore, dum idem rex causa visitandi patronum suum, antequam migraret, Crulandiam veniret, et vir Dei quietam mansionem in eadem insula sibi ab eo concedi postularet, quinque milliaria ad orientem, id est ad fossam quae Asendic dicitur, et tria ad occidentem, duoque ad meridiem, et duo ad aquilonem concessit, et ab omni redditu atque consuetudine saeculari omnibus modis absolvit, et inde chartam sigillo suo signatam in praesentia episcoporum procerumque suorum confirmavit. Et quia palustris humus Crulandiae (ut ipsum nomen intimat; Crulandia enim crudam, id est coenosam terram significat) lapideam molem sustinere non poterat, praefatus rex ingentes ex quercu palos innumerae multitudinis humo infigi fecit, duramque terram novem milliariis per aquam, de Uppalonda, id est superiori terra, scaphis deferri et paludibus commisceri statuit, et sic lapideam, quia sacer Guthlacus oratorio contentus est ligneo, basilicam coepit et consummavit. Deinde religiosos ibi viros aggregavit, coenobium condidit, ornamentis et fundis, aliisque divitiis locum ditavit, ad honorem Dei et sancti anachoretae, quem valde dilexerat, pro dulci consolatione, quam ab eo, dum exsulabat, multoties perceperat. Eumdem itaque omni vita sua dilexit, nec unquam post primam instaurationem, quam idem rex fecit, sedes Crulandiae religiosorum habitatione monachorum usque in hodiernum diem caruit. Kenulfus quidam in diebus illis magnae famae fuit, qui monasterium S. Guthlaci per aliquod tempus rexit, a quo Kenulfestan adhuc dicitur lapis, quem ipse pro limite contra Depingenses posuit. Variis bellorum tempestatibus Anglia postmodum perturbata est, et barbaris sub ducibus Inguar et Halfdene ac Gudrun, aliisque tyrannis supervenientibus a Dacia vel Norregania, Angligenarum regum, qui naturaliter Angliae praefuerant, mutatione facta, Crulandense monasterium depopulatum est, sicut alia plurima; ornamenta sua sibi sunt sublata et villae devastatae, laicisque contra canonicum jus in dominium redactae. Sed divina pietas, quae permittit propter peccata populi hypocritas per aliquot temporis regnare, novit etiam castigatis filiis tempora serena per administrationem legitimorum principum redintegrare. Unde, praefatis tyrannis, qui sanctum Edmundum Estanglorum regem cum multis aliis fidelibus viris occiderunt, et ecclesias sanctorum et habitacula Christianorum igne succenderunt, divino nutu peremptis, vel alio quolibet modo dejectis, Alfredus Adelvulfi regis filius, Deo juvante, praevaluit, et primus omnium regum monarchiam totius Angliae solus obtinuit. Post hunc Eduardus filius ejus, qui Senior cognominabatur, diu utiliter regnavit, moriensque tribus filiis suis Edelstano et Edmundo ac Edredo regnum reliquit. Qui regnum Angliae omnes per ordinem tenuerunt, et quisque tempore suo laudabiliter regnare et subjectis prodesse studuit. Tempore Edredi regis, Turketelus quidam clericus Lundoniensis fuit, qui a praefato rege ut sibi Crulandiam donaret expetiit. Cui rex quod petierat libenter annuit. Erat enim idem clericus de regali progenie, cognatus Osketeli Eboracensis metropolitae, multas habens divitias amplasque possessiones, quas omnes parvipendebat propter aeternas mansiones. Crulandiam quippe, ut diximus, non pro augendis fundis a rege poposcerat; sed, quia religiosos ibi viros, in solitudine scilicet, quae undique paludibus et stagnis circumdabatur, cognoverat, contemptis omnibus hujus saeculi delectamentis, divino cultui se mancipare decreverat. Ordinatis itaque prudenter rebus suis, Crulandiae monachus factus est, et aucta ibidem studio ejus monachorum congregatione, magister eorum et abbas nutu Dei et bonorum electione effectus est. Hic familiarissimus fuit amicus sanctis praesulibus, qui tunc temporis regebant Ecclesiam Dei, Dunstano archiepiscopo Cantuariensi, Adelwoldo Wintoniensi, et Oswaldo Wigornensi et postmodum archiepiscopo Eboracensi, eorumque consiliis summo nisu sategit famulari. Hic, ut diximus, magnae generositatis fuit, et LX maneria de patrimonio parentum suorum possedit, pro quorum animabus sex villas, scilicet Wenliburg et Bebi, Wiritorp et Elmintonam, Cotehham et Oghintonam Crulandensi Ecclesiae dedit, et testamentum inde sigillo strenuissimi regis Edgari filii Edmundi regis signatum confirmavit. Dunstanus etiam archiepiscopus cum suffraganeis suis praedictarum rerum donationem, facto crucis in charta signo corroboravit, et quisquis praefatae Ecclesiae de praenominatis abstulerit, nisi digna satisfactione emendaverit, aeternae maledictionis anathemate excommunicavit. Denique, post multum temporis, Turketelo IV Idus Julii [975] defuncto, Elgericus nepos ejus successit, et completo vitae suae cursu, alii Egelrico, qui de cognatione ejus erat, abbatiam Crulandiae dimisit. Quo defuncto, Osketelus magnae nobilitatis monachus, ejusdem ecclesiae abbas effectus est. Porro Leviova soror ejus Enolfesburiae domina erat, ubi tunc temporis corpus S. Neoti abbatis et confessoris jacebat; sed dignum tanto viro servitium ibi tunc non fiebat. Unde praefata mulier Witheleseiam accessit, et fratrem suum Osketelum abbatem cum quibusdam Crulandensibus monachis illuc accersiit, ibique corpus S. Neoti, quod reverenter secum detulerat, monachis, quos digniores se credebat, tradidit. At illi munus sibi a Deo collatum gratanter susceperunt, et juxta altare sanctae Dei genitricis Mariae, in aquilonali parte, honorabiliter collocaverunt. Ibi usque hodie a fidelibus veneranter excolitur, ejusque festivitas II Kalendas Augusti celebratur. Osketelo autem XII Kalendas Novembris [1005] defuncto, Godricus successit. Quo viam universae carnis XIV Kalendas Februarii [1018] ingrediente, Brihtmerus abbatiam suscepit. Tunc temporis Pegelandae coenobium erat, cui nobilis vir Vulfgeatus abbas praeerat. Illic etenim sancta Pega soror S. Guthlaci diu Domino militaverat. Quae postquam venerandus frater suus defunctus est, austeriori labore vitam suam pro amore Christi examinare satis conata est. Unde Romam adiit, sanctorum Apostolorum limina supplex pro se suisque requisivit, ibique VI Idus Januarii gloriose vitam finivit. In ecclesia, quae ibidem in honore ejus a fidelibus condita est, tumulata quiescit, multisque virtutibus his, qui fideliter eam deposcunt, pie succurrens veneranda nitescit. Postquam Brihtmerus Crulandiae abbas VII Idus Aprilis [1048] obiit, Vulfgeatus Pegelandae pater Eduardum regem, Egelredi filium, petiit ut greges duorum coenobiorum permitteret adunari, Deique ad laudem sub uno abbate et sub una lege unum conventum effici. Quod ille mox benigniter concessit. Vulfgeatus itaque, postquam longo tempore Crulandiae curam gessit, Nonas Julii [1052] obiit; et Ulfketelus, Burgensis Ecclesiae monachus, Crulandiae regimen a rege Eduardo, jubente Leofrico abbate suo, suscepit. Hic XXIV annis Crulandiae praefuit, ecclesiamque novam, quia vetus ruinam minabatur, construere coepit. Ejus ad hoc opus, inspirante Deo Wallevus comes Northamtoniensis, filius Siwardi ducis Northumbrorum, adjutor fuit, et villam, quae Bernecha dicitur, servientibus Deo et S. Guthlaco dedit. Qui non multo post malignitate Normannorum, qui ei nimis invidebant, eumque pro ingenti probitate ejus metuebant, injuste cum luctu multorum pridie Kal. Junii Guintoniae decollatus est, et corpus ejus, Juditha uxore ejus rogante et Guillelmo rege permittente, ab Ulfketelo abbate Crulandiam delatum est. Post non multum temporis praefatus abbas, quoniam Angligena erat et Normannis exosus, ab aemulis accusatus est, et a Lanfranco archiepiscopo depositus et Glestoniae claustro deputatus est. Deinde Ingulfus, Fontinellensis monachus, abbatiam Crulandiae dono Guillelmi regis recepit, et XXIV annis per plurimas adversitates rexit. Hic natione Anglicus erat, scriba regis fuerat, postmodum Jerusalem perrexerat. Unde reversus, Fontinellam expetiit, et a viro eruditissimo Gerberto, ejusdem coenobii abbate, monachilem habitum suscepit, sub quo jam in ordine instructus prioratum administravit. Hunc ab abbate suo rex, quia prius eum noverat, requisivit et Crulandensibus praeposuit. Qui, postquam Crulandiae regimen habuit, praedecessori suo precibus benevolis apud Guillelmum regem subvenire sategit. Ulfketelus itaque, permissu regis, Burgum, ad suam scilicet ecclesiam, rediit, ibique post aliquot annos VII Idus Junii obiit. Porro abbas Ingulfus, prout potuit, suscepto monasterio subvenire studuit; sed adversa nutu Dei quamplurima pertulit. Nam pars ecclesiae, cum officinis et vestibus et libris, multisque aliis rebus necessariis, repentino igne combusta est. Ipse quoque gravi morbo podagrae detentus, diu ante mortem suam languit, sed vivaci animo subditis prodesse non desiit. Hic corpus Guallevi comitis de capitulo jussit in ecclesiam transferri, et aquam, unde ossa lavarentur, calefieri. Sed postquam sarcophagi opertorium revolutum est, corpus sexto decimo dormitionis suae anno integrum sicut in die quo sepultum fuerat, et caput corpori conjunctum repertum est. Filum tantummodo quasi pro signo decollationis rubicundum viderunt monachi et laici quamplures qui adfuerunt. Translato autem in ecclesiam corpore et honorabiliter sepulto prope altare, miracula ibidem facta sunt saepissime. Hoc veraciter aegri experiuntur, qui cum fide petentes optatae sanitatis gaudium crebro adipiscuntur. Tandem Ingulfo abbate XVI Kalendas Decembris [1109] defuncto, Goisfredus successit, et in multis Ecclesiae Crulandensi et habitatoribus ejus studio bonitatis et honestatis profuit. Hic genere fuit Francigena ex urbe Aurelianensi, scholas liberalium artium secutus ab aevo puerili, affatim imbutus peritia litterali, mundum perosus, desiderioque flagrans coelesti, monachile schema in coenobio S Ebrulfi abbatis suscepit, quod idem sanctus tempore Childeberti regis Francorum apud Uticum construxit. Ibi nimirum, quia locus idem magis religione quam divitiis saecularibus abundat, Goisfredus tiro sub Mainerio abbate, qui magni fervoris fama pollebat, monachile jugum suscepit, diuque gessit, et per diversa officia probatus post annos XV conversionis suae ad prioratus ministerium promoveri promeruit. Denique, anno ab Incarnatione Domini 1119, jussu Henrici regis Anglorum, Crulandensis Ecclesiae regimen suscepit, novamque basilicam pulcherrimi operis, et alia bona quamplurima jam inchoavit, et per XV annos quibus abbatis officium gessit, ad salutem sui sibique subjectorum, juvante Deo, consummare studuit. |
Le roi Ethelbald ayant appris que son bienheureux consolateur opérait d'éclatans miracles, se rendit plein de joie au lieu de sa sépulture, et concéda à perpétuité aux serviteurs de Dieu les biens que, monté sur le trône, il avait donnés au saint homme. En effet le roi, voulant visiter son patron, avant son départ, était venu à Croyland. Là, l'homme de Dieu l'avait prié de lui accorder dans cette île une demeure tranquille. Ethelbald lui avait accordé cinq milles d'étendue de terrain vers l'orient, c'est-à-dire jusqu'à la fosse que l'on appelle Asendic, trois milles vers l'occident, deux au midi et deux au nord. Il affranchit ce terrain de toute redevance et coutume séculière, et de toute autre espèce de charge, et confirma, de son sceau, la charte de donation en présence des évêques et des grands. Comme la terre de Croyland est marécageuse, ainsi que l'indique son nom (en effet Croyland signifie une terre crue, c'est-à-dire fangeuse), le fond ne pouvait supporter de construction en pierres. Dans cette circonstance, le roi fit enfoncer en terre une innombrable quantité de grands pieux de chêne; puis il fit transporter en bateau une terre plus ferme à la distance de neuf milles, depuis Uppalonde, c'est-à-dire le sol supérieur, et la fit mêler au sol du marais. C'est ainsi qu'il fit commencer et terminer une église en pierre. Saint Guthlac s'était contenté d'un oratoire en bois. Le roi y réunit des hommes religieux, fonda un monastère, l'enrichit d'ornemens, de fondations et d'autres dons faits en l'honneur de Dieu et du saint anachorète, qu'il avait beaucoup aimé pour les douceurs de la consolation qu'il en avait tant de fois reçue pendant son exil. Il aima ce lieu pendant toute sa vie, et, depuis la première fondation que ce prince avait faite, la maison de Groyland a été jusqu'à ce jour constamment habitée par des moines remplis de religion. Un certain Kevulfe51 eut alors une grande réputation: il gouverna pendant quelque temps le monastère de Saint-Guthlac, et c'est de lui que la limite posée contre les habitans de Deping prit le nom de pierre de Kevulfe52. Peu de temps après, l'Angleterre fut troublée par les orages de la guerre. Le monastère de Groyland ainsi que plusieurs autres furent dévastés, quand les chefs barbares Jugar, Halfdenc, Gudrun et d'autres tyrans vinrent du Danemarck et de la Norwège, et firent descendre du trône les rois anglais, qui naturellement devaient commander à l'Angleterre. Alors ces maisons perdirent leurs ornemens, leurs fermes furent détruites, et, contre le droit canonique, soumises à des laïques; mais la divine bonté qui, à cause des péchés du peuple, laisse quelque temps régner les hypocrites, jugea à propos, après avoir châtié ses enfans, de rendre un temps serein à l'administration des princes légitimes. Par la permission de Dieu, la mort ou l'expulsion délivra l'Angleterre des tyrans dont nous venons de parler, qui avaient mis à mort saint Edmond, roi des Estangles., ainsi que plusieurs autres hommes pieux, et livré aux flammes les églises des saints et les habitations des chrétiens. Alfred, fils du roi Adelvulf, l'emporta avec l'aide de Dieu, et fut le premier qui réunit dans sa main tout le royaume d'Angleterre. Après lui, son fils Edouard, que l'on surnomme le vieux, régna longtemps avec distinction, et après sa mort laissa le trône à ses trois fils Edelstan, Edmond et Edred. Ils régnèrent tous trois dans leur ordre; chacun d'eux mérita des éloges et s'appliqua à faire le bien de ses sujets. Du temps du roi Edred, un certain Turketel, clerc de Londres, alla lui demander l'abbaye de Croyland, et le roi lui accorda volontiers sa demande. Ce clerc était du sang royal, et cousin d'Osketel, métropolitain d'Yorck. Il possédait de grandes richesses et de vastes propriétés, dont il faisait peu de cas en comparaison de l'éternelle demeure. Comme nous l'avons dit, il avait demandé Croyland au roi, non pour augmenter ses revenus, mais parce qu'il savait que des hommes pieux habitaient cette solitude, qui est partout entourée de marais et d'étangs, et parce qu'il était décidé à renoncer à tous les attraits du siècle pour se livrer au culte divin. Après avoir mis sagement ordre à ses affaires, Turketel se fit moine à Croyland; il accrut par son zèle le nombre des religieux, devint leur maître et leur abbé, par la permission de Dieu et l'élection des gens de bien. Il devint l'ami le plus intime des saints prélats qui gouvernaient alors l'Eglise de Dieu, tels que Dunstan, archevêque de Cantorbéry, Adelvold, évêque de Winchester, et Osvald, d'abord évêque de Worcester et ensuite archevêque d'Yorck. Leurs conseils furent toujours la règle de sa conduite. Comme nous l'avons dit, Turketel était un homme très-généreux; il possédait soixante manoirs du patrimoine de ses pères: pour le repos de leurs ames, il donna à l'église de Croyland les six terres de Wenliburg, de Beby, de Wiritorp, d'Elmenton, de Coteham et d'Oghinton. Cette donation fut confirmée par le sceau du grand roi Edgar, fils du roi Edmond. L'archevêque Dunstan, avec ses suffragans, fortifia le don des biens dont nous avons parlé en faisant un signe de croix, sur la charte, et excommunia, sous l'éternelle malédiction, quiconque enleverait à l'église de Croyland tout ou partie des biens désignés, à moins qu'il ne fît une digne satisfaction. Long-temps après, Turketel étant mort le 4 des ides de juillet (12 juillet), Egelric, son neveu, lui succéda, et, ayant terminé le cours de sa vie, il laissa l'abbaye de Croyland à un autre Egelric qui était de sa famille. A sa mort, Osketel, moine d'une grande noblesse, devint abbé de cette église. Sa sœur Leniova possédait la seigneurie d'Enolfsbury, où était alors déposé le corps de saint-Néot, abbé et confesseur; mais on n'y faisait point encore un service digne d'un si grand homme. C'est ce qui détermina cette dame à se rendre à Withelesey, où elle appela son frère Osketel ainsi que quelques moines de Croyland, et remit le corps de saint Néot, qu'elle avait apporté respectueusement avec elle, à des moines qu'elle croyait plus dignes de le conserver. Ils reçurent avec satisfaction ce présent qui leur était fait par Dieu même, et le placèrent honorablement dans la partie septentrionale de leur église, auprès de l'autel de sainte Marie mère de Dieu. C'est là que, jusqu'à ce jour, il a reçu des fidèles un culte de vénération, et sa fête y est célébrée le 2 des calendes d'août (31 juillet). Osketel étant mort le 12 des calendes de novembre (21 octobre), Goderic lui succéda. Quand il fut entré dans la voie de toute chair, le 14 des calendes de février (19 janvier), Brithmer fut mis à la tête de l'abbaye. Alors existait le couvent de Pégeland dont était abbé Wulfgeat, homme noble. La sainte Pega, sœur de saint Guthlac, y avait long-temps combattu pour le Seigneur. Après la mort de son vénérable frère, elle fit tous ses efforts, par amour pour le Christ, pour avancer la fin de sa carrière par l'austérité de ses travaux. Elle se rendit à Rome, pria pour elle et les siens dans l'église des saints apôtres, et y termina glorieusement sa vie le 6 des ides de janvier (8 janvier). Elle repose ensevelie dans l'église qui. fut bâtie en son honneur par les fidèles. Cette vénérable sainte a obtenu beaucoup d'illustration par les pieux secours qu'elle accorde miraculeusement à ceux qui la prient avec foi. Quand Brithmer, abbé de Croyland, fut mort, le 7 des ides d'avril (7 avril), Wulfgeat, abbé de Pégeland, demanda au roi Edouard, fils d'Ethelred, la permission de réunir les troupeaux des deux couvens, et de n'en faire qu'un monastère sous un seul abbé et sous une seule loi, pour la plus grande gloire de Dieu. C'est ce que le prince s'empressa d'accorder avec bonté. Wulfgeat, en conséquence, prit long-temps soin de Croyland, et mourut le jour des nones de juillet (7 juillet). Ulfketel, moine de l'église deBurg, reçut du roi Edouard le gouvernement de Croyland et s'en chargea sur l'ordre de Leofric son abbé. Ce religieux fut à la tête de Croyland pendant vingt-quatre ans, et commença la construction de la nouvelle église, parce que l'ancienne menaçait ruine. Par l'inspiration de Dieu, il fut secondé dans cet ouvrage par Wallève53, comte de Northampton, fils de Siward, duc de Northumbrie, lequel fit don à Saint-Guthlac d'une terre nommée Bernec. Peu de temps après il eut la tête tranchée par le fait de la méchanceté des Normands, qui lui portaient envie à cause de son mérite, et il périt à Winchester, à la grande douleur de beaucoup de personnes, la veille des calendes de juin (31 mai). A la prière de sa femme Judith, et par la permission du roi Guillaume, son corps fut transporté à Croyland par l'abbé Ulfketel. Peu de temps après, cet abbé, qui était anglais et odieux aux Normands, fut accusé par ses rivaux, déposé par l'archevêque Lanfranc et envoyé au couvent. de Glaston. Ensuite Ingulf, moine de Fontanelles, reçut du roi Guillaume l'abbaye de Croyland, et la gouverna pendant vingt-quatre ans, malgré de grandes contrariétés. Il était anglais d'origine, il avait été secrétaire du roi, et avait fait le voyage de Jérusalem. A son retour, il s'était rendu à Fontenelles et y avait reçu l'habit monacal de la main du savant Gerbert, abbé de ce monastère, sous lequel s'étant instruit dans la règle, il avait été nommé prieur. Le roi, qui l'avait connu antérieurement, le demanda à son abbé, et le mit à la tête des moines de Croyland. Lorsqu'il fut chargé de ce soin, il ne négligea pas de s'employer auprès du roi Guillaume, dont il réclama la bonté en faveur de son prédécesseur. En conséquence, Ulfketel, avec la permission du roi, retourna à Burg, c'est-à-dire, à son église. et, quelques années après, y mourut le 7 des ides de juin (7 juin). Cependant l'abbé Ingulf s'appliqua autant qu'il le put à servir le monastère qui lui avait été confié; mais, par la permission de Dieu, il eut beaucoup à souffrir. Une partie de son église ainsi que diverses pièces, le vestiaire, les livres et beaucoup d'autres choses nécessaires furent la proie d'un incendie inattendu. Lui-même, retenu par de graves douleurs de goutte, languit long-temps avant de mourir. Toutefois il ne cessa, par l'activité de son esprit, d'être utile à ses subordonnés. Il fit transférer du chapitre dans l'église le corps du comte Guallève, et fit chauffer de l'eau pour laver ses ossemens; mais, quand on eut levé le couvercle du sarcophage, ou trouva le corps tout entier comme le jour où il avait été inhumé, quoiqu'il y eût seize ans qu'il fût mort, et la tête du comte était réunie au tronc. Les moines et quelques laïques qui étaient présens à cette cérémonie virent comme un fil rouge qui indiquait la décollation. Le corps fut transporté dans l'église et enterré honorablement auprès de l'autel. Il s'y fait souvent des miracles: c'est ce que déclarent avec vérité les malades qui, lorsqu'ils l'invoquent avec loi, recouvrent fréquemment le bonheur de la santé qu'ils desirent. Enfin, le 16 des calendes de décembre (16 novembre), l'abbé Ingulf étant mort, Goisfred fut son successeur, et rendit de grands services, par sa bonté et son honnêteté pleine de zèle, à l'église de Croyland et à ses habitans. Français et né à Orléans, il avait dès l'enfance suivi les écoles des arts libéraux et s'était profondément pénétré de l'instruction de son âge. Ayant pris le monde en aversion, et brûlant de l'amour des cieux, il revêtit l'habit monacal dans le couvent que le saint abbé Evroul avait bâti à Ouche du temps de Childebert roi des Francs. Comme ce lieu offre plus de religion que de richesse séculière, le novice Goisfred préféra s'y soumettre au joug monastique, qu'il porta long-temps sous l'abbé Mainier, qui jouissait de la réputation d'une grande ferveur. Eprouvé dans divers emplois, il mérita, quinze ans après sa profession, d'être promu au ministère du priorat. Enfin, l'an 1109 de l'Incarnation du Seigneur, il prit le gouvernement de l'église de Croyland, d'après les ordres du roi Henri. Il y commença la nouvelle église qui est un très-bel ouvrage, fit plusieurs autres constructions, et durant les quinze années qu'il remplit les fonctions d'abbé, il s'occupa, avec l'aide de Dieu, à consommer l'œuvre de son propre salut et de celui de ses subordonnés. |
XXIII. Miracula ad tumbam Guallevi.
Hujus regiminis anno III ad tumbam Guallevi
comitis miracula demonstrari primitus coeperunt, quorum auditis rumoribus Angli
valde laetati sunt, et Anglicae plebes ad tumulum sui compatriotae, quem a Deo
jam glorificari signis multiplicibus audiunt, tam pro gaudio novae rei quam pro
suis necessitatibus deprecaturi frequenter accurrunt. Quod ut quidam de
Normannis monachus nomine Audinus vidit, vehementer stomachatus advenientes
derisit, et praefato comiti cum irrisione detraxit, dicens quod nequam traditor
fuerit, et pro reatu suo capitis obtruncatione multari meruerit. Hoc ut
Goisfredus abbas audivit, dulciter eum, quia extraneus erat, redarguit, dicens
quod divinis operibus non deberet detrahere, quia Deus pollicitus est usque ad
consummationem saeculi praesentiam suam fidelibus suis exhibere, et promittit ex
intimo corde poenitentibus potum dare de fonte suae infatigabilis misericordiae.
Protinus, dum idem abbas talia dicendo temeritatem insipientis compescere
vellet; et ille magis magisque incongrua verba proferret, in praesentia saepe
dicti Patris subita infirmitate in praecordiis percussus est, et post paucos
dies in ecclesia S. Albani protomartyris Anglorum, ubi monachilem professionem
fecerat, defunctus est. Sequenti vero nocte Goisfredus abbas, dum in lecto
quiesceret, et de supradictis eventibus plura secum subtiliter tractaret, mox in
visu se astare loculo Wallevi comitis videt, sanctosque Dei Bartholomaeum
En tegit iste lapis hominem magnae probitatis! Pro interfectione Guallevi comitis Guillelmus rex a multis reprehensus est, et, multis contra eum insurgentibus, justo Dei judicio multa adversa perpessus est, nec unquam postea diuturna pace potitus est. Ipse quidem contra omnes, quia animosus erat, viriliter restitit, sed prosperis eventibus ad votum ut antea non tripudiavit, nec crebris victoriarum titulis exsultavit. In tredecim annis, quibus postmodum vixit, armatorum aciem de campo non fugavit, nec oppidum obsidens bellica virtute cepit. Omnipotens arbiter omnia juste disponit, nullumque facinus impunitum relinquit, quia hic aut in futuro saeculo omnia punit. |
Ce fut la troisième année de son gouvernement que commencèrent à se manifester les miracles du tombeau du comte Guallève. A la nouvelle de ces miracles, les Anglais éprouvèrent une grande joie. Les peuples d'Angleterre accoururent fréquemment vers la sépulture de leur saint compatriote, dont ils apprenaient que Dieu avait déjà glorifié la vie par de nombreux miracles. Ils venaient le prier tant pour le plaisir de la nouveauté que pour leurs propres besoins. Un certain moine normand, nommé Audin, ayant vu ces choses, en fut très-irrité: il se permit de rire aux dépens des pélerins, insulta avec dérision au comte Guallève, en disant qu'il n'avait été qu'un méchant traître, et qu'il avait mérité par son crime d'avoir la tête tranchée, L'abbé Goisfred, ayant entendu ces propos, réprimanda doucement Audin comme étranger, lui disant qu'il ne devait pas se faire le détracteur des œuvres divines, parce que Dieu a promis d'annoncer sa présence aux fidèles jusqu'à la consommation des siècles, et ne cesse de promettre à ceux qui se repentent du fond du cœur qu'il leur ouvrira, pour s'y désaltérer, la source de son inépuisable miséricorde. Tandis que l'abbé tâchait par ses paroles de mettre un frein à la témérité de l'insensé, qui proférait de plus en plus des injures déplacées, ce clerc fut tout à coup, en présence de l'abbé, frappé d'un grand mal dans les entrailles, et, peu de jours après, il mourut dans l'église de Saint-Alban, premier martyr des Anglais, où il avait fait sa profession monastique. La nuit suivante, comme l'abbé Goisfred reposait dans son lit, et s'occupait à méditer dans son esprit sur les événemens qu'il venait de voir, tout à coup il eut une vision, et se vit debout au tombeau du comte Guallève, entouré des saints de Dieu, Barthélemi l'apôtre et Guthlac l'anachorète, revêtus d'aubes éclatantes. Il paraissait que l'apôtre, tenant la tête du comte remise en sa place, disait: «Il n'est pas décapité.» Guthlac, au contraire, qui se tenait à ses pieds, répondit: «Il fut comte.........» L'apôtre termina ainsi la phrase commencée: «Et maintenant il est roi.» L'abbé ayant entendu ces choses, et les ayant rapportées aux frères, les combla de joie, et glorifia le Seigneur, qui ne cesse en aucun temps de manifester sa bonté à ceux qui croient en lui. Après avoir passé quinze ans dans le gouvernement de Croyland, le vénérable abbé et prêtre Goisfred mourut le jour des nones de juin (5 juin). Son successeur fut Guallève, moine anglais du monastère de Croyland, frère de Gospatric, homme d'une grande noblesse en Angleterre. Les miracles étant devenus plus fréquens à Croyland, les moines en furent comblés de joie, et, autant qu'ils le purent, honorèrent avec satisfaction le corps d'un si grand comte, dont ils ordonnèrent à l'anglais Vital de composer l'épitaphe en vers héroïques. Celui-ci s'empressa de leur obéir, et leur fit part de ce fruit de ses méditations: «La pierre que vous voyez recouvre un homme d'un grand mérite. Fils intrépide de Siward, comte danois, l'excellent comte Guallève repose ici enseveli. Il vécut avec honneur, redoutable sous les armes et par le courage; cependant, au milieu des richesses corruptibles et des honneurs, il aima le Christ, et s'attacha à lui plaire; servit l'Eglise; il aima avec respect le clergé, et principalement les moines de Croyland, fidèles à sa mémoire. Enfin, frappé du glaive par des juges normands, ce fut le dernier jour de mai que ses membres furent confiés à la terre. La marécageuse Croyland se réjouit de posséder le tombeau d'un seigneur qui, tant qu'il vécut, l'aima avec un grand respect. Que le Tout-Puissant donne à son ame l'éternel repos dans la citadelle des cieux!» Le roi Guillaume fut blâmé par beaucoup de monde d'avoir fait périr le comte Guallève. Par un équitable jugement de Dieu, ce monarque eut à souffrir beaucoup de maux par les nombreuses entreprises qui se formèrent contre lui, et depuis ce moment il ne jouit pas d'une longue paix. A la vérité, comme il était plein de courage, il fit courageusement face à tous; mais il n'eut pas la joie, comme auparavant, de voir les événemens réussir au gré de ses vœux, ni la victoire le couronner aussi fréquemment. En effet, pendant les treize années qu'il vécut encore, il ne mit en fuite aucune armée et ne prit de vive force aucune ville. L'arbitre tout-puissant dispose tout justement; il ne laisse aucun forfait impuni: tout crime reçoit sa peine, soit dans le présent, soit dans l'avenir. |
XXIV. Guillelmus rex Britones frustra subjicere conatur. Ainardus, primus abbas Sancti Petri Divensis. Fulco successor ejus. Guillelmus rex, cupiens fines suos dilatare, sibique Britones, ut sibi obsecundarent, sicut olim Rolloni et Willelmo, aliisque ducibus Normannicis servierant, volens subjugare, cum ingenti exercitu Dolense oppidum obsedit, multisque terroribus et minis castrenses terruit, nec se inde discessurum, nisi munitionem obtineret, cum juramento asseruit. Denique nutu Dei regentis omnia res aliter evenit. Nam saepedictus rex, dum in tentoriis suis superbe moraretur, et in divitiis suis ut potens gloriaretur, Alannum Fergannum comitem Britanniae cum multis armatorum agminibus suppetias obsessis properare audivit, territusque, cum castrensibus, qui de auxilio sibi advenienti nihil adhuc noverant, pacem iniit, et confestim non sine magno rerum damno recessit. Tentoria et manticas cum vasis et armis et multimoda supellectili celeriter abeuntes reliquerunt; quarum rerum dispendium ad XV millia librarum sterilensium perdentes cum multis gemitibus aestimaverunt (73) . Deinde prudens rex, ut se vincere virtute Britones non posse prospexit, aliud consilium sibi posterisque suis commodum solerter praecogitavit. Cum Alanno Ferganno foedus amicitiae firmavit, eique Constantiam filiam suam in conjugium Cadomi honorifice copulavit. Quae cum viro suo fere XV annis venerabiliter vixit, et toto affectu subjectis et coessentibus prodesse studuit. Semper enim nectari pacis inhiavit, pauperes amavit omnesque Dei cultores veneranter honoravit, quos nimirum sine liberis moriens contristavit. Amatores aequitatis in Britannia multum exsultarent, si de fortunata progenie laudabiles sibi haeredes imperarent; qui genuina bonitate indomitis Britonibus justitiae libram insinuarent, eosque secundum normam divinae legis et humanae rationis ire cogerent. Fergannus comes, post obitum Constantiae, filiam comitis Andegavorum uxorem duxit, ex qua filium, nomine Conanum, genuit, cui nuper Henricus rex Anglorum filiam suam in matrimonio pro connexione pacis conjunxit. Circa haec tempora reverendus Ainardus, Divensium primus abbas, in lectum decidit, et completis in eo quae servum Dei competunt, XIX Kal. Februarii [1078] obiit. Hic fuit natione Teutonicus, geminaque scientia pleniter imbutus, versificandi et modulandi, cantusque suaves edendi peritissimus. Hoc evidenter probari potest in historiis Kiliani Guirciburgensis episcopi, et Katherinae virginis, aliisque plurimis cantibus quos eleganter idem edidit in laudem Creatoris. In juventute vero studio religionis flagrans, venerabilem Isembertum abbatem expetiit, ejusque disciplinis se gratanter pro amore Dei submisit, et in coenobio S. Trinitatis, quod Goscelinus de Archis in monte Rothomagi ad orientalem plagam construxerat, monachatum suscepit. Inde nutu divino ab Ecclesiae rectoribus, anno Dominicae Incarnationis 1046 pertractus est, ac super candelabrum, ut luceret omnibus qui in domo sunt, positus est. Ordinatus autem, Divensis abbatiae, quam Lezscelina comitissa Guillelmi Aucensis comitis uxor construxerat, curam suscepit, annisque XXXI bene vivens et docens utiliter tenuit; et senex plenusque dierum cursum praesentis vitae complevit. Venerabilis Durandus Troarnensis abbas corpus ejus in basilica Sanctae Mariae sepelivit, et memorabile carmen, quod super laminam mausolei ejus sculperetur edidit, in quo mores et virtutes praefati archimandritae et charismata quae divinitus inserta illi fuerant, luculenter sic patefecit:
Hic jacet Ainardus redolens ut pistica nardus Divensis Ecclesia rectore proprio viduata, Fulconi Uticensium priori ad regendum data est, et ipse a Rodberto, Salariensi episcopo, abbas consecratus est. Praefata domus, ad ipso tempore Guillelmi regis et Rodberti secundi ducis, pluribus annis gubernata est, et magnifice secundum opportunitatem temporis provecta est. Quatuor praedictus heros secum duxit Uticenses monachos, Bernardum cognomento Matthaeum cognatum suum, et Richardum, Guillelmum de Monsterolo et Turchetillum, promptos et utiles librarios, et in divino cultu peritissimos. Hi nimirum pacifici adjutores ei fuerunt, et primi ad jugum Domini ferendum nocte dieque humeros suos avide supposuerunt, aliisque alacriter, Venite nobiscum in Bethel, verbo et indeficienti exemplo coessentibus suis dixerunt. |
Le roi Guillaume desirant étendre ses frontières et voulant soumettre les Bretons à l'obéissance, comme ils avaient autrefois dépendu de Rollon, de Guillaume Longue-Epée et des autres ducs normands, marcha à la tête d'une grande armée, mit le siége devant la ville de Dol. effraya les assiégés par de grandes menaces, et affirma par serment qu'il ne quitterait pas la place sans l'avoir prise. Enfin, par l'ordre de Dieu qui gouverne tout, la chose arriva autrement qu'il ne le présumait. Pendant que le roi se tenait avec orgueil sous ses tentes et se glorifiait de sa puissance et de ses richesses, il apprit qu'Alain Fergant, comte de Bretagne, s'avançait au secours des assiégés, avec de nombreux corps de troupes: effrayé, il fit la paix avec la garnison qui ignorait encore que l'on marchait à son secours, et se retira sans retard, mais non sans une grande perte de bagages. Lors de la retraite faite en toute hâte, on abandonna les tentes, les couvertures, les vases, les armes et toutes sortes d'effets dont la perte, qui causa beaucoup de douleur, fut évaluée à quinze mille livres sterling. Ensuite le prudent monarque, considérant qu'il ne pouvait vaincre les Bretons par les armes, prit adroitement un autre parti, plus avantageux pour lui et pour ses successeurs. Il conclut avec Alain Fergant un traité d'amitié, et lui donna honorablement un mariage, à Caen, sa fille Constance. Elle vécut respectablement avec son mari pendant près de quinze ans, et s'attacha toujours à témoigner beaucoup d'affection à ses sujets et à tous ceux qui vécurent auprès d'elle. Effectivement, elle aspira toujours au nectar de la paix, elle aima les pauvres, elle honora de son respect tous les serviteurs de Dieu, qu'elle affligea toutefois beaucoup en mourant sans enfans. Les amis de l'équité seraient comblés de joie en Bretagne, s'ils avaient pour maîtres de dignes héritiers de cette illustre famille qui, dans leur bonté naturelle, tiendraient les balances de la justice chez les Bretons indomptés, et les forceraient de marcher selon les règles de la raison et de la divine loi. Après la mort de Constance, le comte Fergant épousa la fille du comte des Angevins, de laquelle il eut un fils nomme Conan, auquel depuis peu Henri, roi des Anglais, a donné sa fille en mariage, pour cimenter la paix entre eux. Vers ce temps-là, le révérend Ainard, premier abbé de Saint-Pierre-sur-Dive, fut forcé de garder le lit, et, ayant accompli ce qu'il appartient de faire à un serviteur de Dieu, il mourut le 19 des calendes de février (14 janvier)54. Il était Allemand de nation, pleinement imbu de toutes sortes de sciences et très-habile dans l'art de versifier, de chanter avec modulation, et de composer des chants gracieux. C'est ce que l'on pourrait prouver par l'histoire de Kilian, évêque de Wurtzbourg, et de la vierge Catherine, et par plusieurs autres chants pleins d'élégance qu'il composa à la louange du Créateur. Dès sa jeunesse, brûlant du zèle de la religion, il alla trouver le vénérable abbé Isembert et se soumit avec plaisir et pour l'amour de Dieu au joug de sa discipline: ce fut dans le couvent de la Sainte-Trinité, que Goscelin d'Arques avait bâti sur la montagne de Rouen, vers l'orient, qu'Ainard embrassa la profession monastique. De là, par la permission divine, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1046, il fut tiré de cet asile par les chefs de cette église et placé sur le chandelier, pour éclairer de ses lumières ceux qui étaient dans la maison. Ordonné abbé du couvent de Saint-Pierre-sur-Dive que la comtesse Lesceline, femme de Guillaume comte d'Eu, avait fait bâtir, il lui donna ses soins, et, pendant trente ans d'une bonne vie consacrée à l'instruction, il le gouverna avec succès; devenu vieux et plein de jours, il accomplit le cours de cette vie. Le vénérable Durand, abbé de Troarn, inhuma son corps dans l'église de Sainte-Marie, et composa des vers mémorables pour être gravés sur la pierre de son tombeau. Il y célèbre éloquemment, ainsi qu'il suit, les bonnes mœurs, les vertus et les grâces divines qui brillaient dans cet archimandrite; «Ci-gît Ainard qui répandait le parfum du nard pilé par les fleurs et les mérites de ses vertus. Ce lieu fut fondé par lui, et bâti avec un zèle ardent et à grands frais. Ainard fut un grand homme, doux dans ses mérites comme un agneau, illustre par sa vie, supérieur dans la science, sobre, chaste, prudent, simple, honnête, puissant par le conseil, célèbre par ses travaux. Son ame était pleine de gravité; il avait dépassé la maturité de l'âge; ses cheveux étaient blancs et sa figure maigre. Quand février parvint au dix-neuvième jour des calendes, le sort suprême l'enleva, et une prompte mort le ravit. Vous qui passez en ce lieu, n'oubliez pas de prier pour lui, afin qu'il jouisse suffisamment de la favorable présence de Dieu.» L'église de Saint-Pierre-sur-Dive, devenue veuve de celui qui la gouvernait, reçut pour la conduire Foulques, prieur d'Ouche, qui fut consacré abbé par Robert, évêque de Seès55. Il gouverna la maison et la pourvut magnifiquement de tout ce dont elle avait besoin, dès le temps du roi Guillaume et pendant plusieurs années du duc Robert II. Ce héros amena avec lui quatre moines d'Ouche, Bernard surnommé Matthieu, son cousin Richard, Guillaume de Montreuil et Turchetil, utiles et expéditifs copistes de livres, très-instruits dans le culte divin: ils le secondèrent pacifiquement, et furent les premiers à prêter leurs épaules pour porter jour et nuit le joug du Seigneur. Ils disaient sans cesse et gaîment à leurs confrères, tant par leurs discours que par leur exemple infatigable, «venez avec nous à Béthel.» |
XXV. Dissensiones inter filios Guillelmi regis. Turbulentis tempestatibus, quas a Cenomannensibus et Normannis permotas esse diximus, fomes, ut ferunt, et causa fuit Rodbertus regis filius. Nam Guillelmus princeps, ante Senlacium bellum, et post in quadam sua aegritudine, Rodbertum primogenitam sobolem suam fecerat suum haeredem, et jussit omnes optimates ei facere homagium et fidelitatem. At illi gratanter imperanti acquieverunt. Adolescens autem, post mortem Margaritae sponsae suae, ambitione juvenili noxioque sodalium instinctu, debitos honores requisivit a patre, principatum videlicet Cenomannorum et Neustriae. Porro providus pater hinc inde multa circumspiciens, postulata denegavit, filioque suo, ad nanciscendum quae petierat, tempus opportunum bene praestolari persuasit. Ille vero quod a patre nil consequi poterat aegre tulit, et arroganter contra eum plerumque litigavit. Erat enim loquax et prodigus, audax et in armis probissimus, fortis certusque sagittarius, voce clara et libera, lingua diserta, facie obesa, corpore pingui, brevique statura, unde vulgo Gambaron cognominatus est et Brevis-Ocrea. Quondam dum rex contra Corbonienses expeditionem facere praepararet, et in oppido Richerii quod pro nido aquilae ibidem in quercu reperto, dum castrum a Fulberto fieret, Aquila dicitur, in domo Gunherii hospitaretur, lis inter filios regis oritur daemonica, unde postmodum multae pullulaverunt lites et facinora. Nam duo fratres, Guillelmus Rufus et Henricus, patri favebant, viresque suas fraternis viribus aequas arbitrantes, indignum ducebant quod frater eorum solus habere patrium jus ambiebat, et agmine clientum sibi obsequente par patri aestimari peroptabat. Unde in Aquilensi castro ad hospitium Rodberti, quod in domo Rogerii Calcegii susceperat, venerunt, ibique super solarium, sicut militibus moris est, tesseris ludere coeperunt. Deinde ingentem strepitum fecere, et aquam super Rodbertum et asseclas ejus, qui subtus erant, fudere. Tunc Ivo et Albericus de Grentemaisnilio dixerunt Rodberto: Ut quid tantam pateris injuriam? Ecce fratres tui super caput tuum ascenderunt, et immunditiis in contemptu tuo nos tecum polluunt. Nonne vides quid hoc significat? Lippis etiam liquido patet. Nisi festinanter infectum tibi dedecus punieris, dejectus es nec ultra resurgere vales. His siquidem auditis furibundus surrexit, et in coenaculum contra fratres suos irrepere acceleravit, Mox, orto clamore, de hospitio suo rex accurrit, et regali auctoritate filiorum jurgia suorum ad tempus compescuit. Sequenti vero nocte, Rodbertus cum pedisequis suis equitatum regis deseruit, Rothomagum expetiit, et arcem regiam furtim praeoccupare sategit. Verum Rogerius de Iberico pincerna regis, qui turrim custodiebat, ut conatus insidiantium praecognovit, contra fraudes malignantium diligenter arcem praemunivit, missisque legatis ordinem rei domino suo regi celeriter intimavit. At ille nimis iratus factiosos omnes comprehendi jussit. Illi vero, edictum hujusmodi audientes, admodum territi sunt, et, quibusdam captis, alii extorres fugerunt et extera petentes salvati sunt. Tunc Hugo de Novocastello, nepos et haeres Alberti Ribaldi, primus praedictos exsules suscepit, eisque Novumcastellum, Raimalast atque Sorellum, aliaque municipia sua pro depopulanda Neustria patefecit. Erat enim gener Rogerii comitis, habens in matrimonio Mabiliam sororem Roberti Belesmensis, qui regis filium secutus fuerat cum Radulpho de Conchis, aliisque plurimis. Pravo quippe ausu desertores (detestabile nefas!) exorsi sunt, et oppida divitesque fundos pro inani spe et promissis floccipendendis reliquerunt. Rex autem terras eorum manu propria sibi subegit, et de redditibus eorum stipendiarios dimicantes contra eosdem remuneravit. His motionibus incolae et vicini terribiliter agitati sunt, et arma passim contra regem vel pro rege levaverunt. Galli et Britones, Cenomanni et Andegavenses, aliique populi fluctuabant, et quem merito sequi deberent ignorabant. Bellis itaque passim insurgentibus, cordatus rex exercitum aggregavit, et, in hostes pergens, cum Rotrone Mauritaniensi comite pacem fecit. Hic nimirum, dum terras Carnotensis ecclesiae, quae perpetuae virgini Mariae dedicata est, plerumque praedaretur, et ab episcopo cum clero frequenter ob hoc redargueretur, et incorrigibilis perseverans excommunicaretur, animadversione divina obsurduit, et sic ad mortem usque surdus permansit. Rex Guillelmus hunc pretio conduxit, secumque ad obsidionem, quia Raimalast de feudo ejus erat, minavit. Quatuor castra in gyro firmavit, ibique milites ad arcendos castrenses apte locavit. Interea, dum quadam die Aimericus de Vilereio dapiferum regis Francorum, qui ad eum diverterat, deduxisset, et cum tribus militibus ad castrum suum ubi hostes regis tutabantur remearet, forte de regia phalange quatuor equites exierunt, eique obviantes aditum jam proximae munitionis suae obturaverunt, ipsumque percutientes illico peremerunt. Deinde cadaver infausti praedonis velut occisum suem super equum sustulerunt, et delatum ante mappalia Rogerii comitis, contra quem diu hostiliter saevierat, projecerunt. Gulferius autem filius ejus, tam diro patris infortunio territus, pacem cum rege pepigit, eique postmodum et haeredibus ejus per annos ferme quinquaginta fidelis exstitit. Multa terrigenis imminent infortunia; quae si diligenter scriberentur omnia, ingentia replerent volumina. Nunc hiemali frigore rigens, aliis occupationibus vacabo, praesentemque libellum hic terminare fatigatus decerno. Redeunte vero placidi veris sereno, ea quae minus plene disserui, sive quae restant, in sequentibus replicabo, Deoque juvante, casus guerrae pacisque nostratuum veraci stylo copiose dilucidabo. |
Robert, fils du roi, fut, comme on le rapporte, la cause et le foyer des tempêtes qui agitèrent, ainsi que nous l'avons dit, les Manceaux et les Normands. Avant la bataille de Senlac. et depuis, dans une de ses maladies, le roi Guillaume avait nommé Robert, son fils aîné, pour lui succéder; il lui avait fait rendre hommage et fidélité par tous les grands. Ils s'empressèrent d'obéir à ses ordres. Après la mort de sa femme Marguerite, le jeune prince, animé par l'ambition de son âge et poussé par les conseils préjudiciables de ses amis, réclama de son père ce qu'il lui devait, c'est-à-dire la souveraineté du Maine et de la Neustrie. Le père, plein de prévoyance, d'après diverses considérations, refusa ce qu'on lui demandait et engagea son fils à attendre un temps plus favorable pour obtenir ce qu'il desirait. Robert fut profondément blessé du refus de son père et disputa à ce sujet avec arrogance. Ce jeune prince était causeur et prodigue, hardi, vaillant dans les armes, habile à tirer de l'arc, ayant la voix claire et nette, la langue éloquente, la figure pleine, le corps gras, et la taille petite: ce qui l'avait fait surnommer Gambaron et Courte-Botte56. Un jour que le roi préparait une expédition contre le Corbonnois, et qu'il se trouvait logé chez Gunhier dans la ville de Richer, que l'on appelle L'Aigle à cause d'un nid d'aigle qu'on y trouva dans un chêne, pendant que Fulbert en faisait construire la forteresse, il s'éleva entre les fils du roi une discussion diabolique qui depuis produisit de nombreux différens et beaucoup de crimes. Les deux frères Guillaume-le-Roux et Henri étaient d'accord avec leur père, et, croyant que leur pouvoir devait être égal à celui de Robert, trouvaient qu'il était injuste que leur frère obtînt seul les biens de leur père et se montrât son égal, en s'entourant d'une armée de cliens. En conséquence, ils se rendirent à L'Aigle dans la maison où était descendu Robert chez Roger Calcège. Ils se mirent, suivant l'usage des chevaliers, à jouer aux dés sur une terrasse. Ensuite ils firent un grand bruit et jetèrent de l'eau sur Robert et ses amis qui se trouvaient au dessous d'eux. Alors Yves et Alberic de Grandménil dirent à Robert: «Pourquoi donc souffres-tu cet outrage? Est-ce que tu ne vois pas tes frères qui se sont élevés au dessus de ta tête et qui, par mépris pour toi, nous couvrent d'ordures? Ne vois-tu pas ce que cela signifie? Les moins clairvoyans s'en apercevraient. Si tu ne punis pas promptement l'outrage que l'on te fait, tu es perdu, et tu ne t'en releveras jamais.» A ces propos, Robert furieux se leva, et courut à la chambre où étaient ses frères. Au bruit qui s'éleva, le roi accourut de son appartement, et, par son autorité royale, calma pour un temps la fureur de ses fils. La nuit suivante, Robert avec sa suite quitta la cavalerie du roi, gagna Rouen et tenta de s'emparer furtivement du château. Mais Roger d'Ivri, échanson de Guillaume, et qui gardait la tour, ayant vu quel était le dessein de ceux qui lui tendaient un piége, la fortifia en toute diligence pour la mettre à l'abri de l'attaque des méchans, et fit partir sur-le-champ des dépêches pour annoncer promptement au roi leur entreprise. Dans l'excessive colère qui l'anima, Guillaume ordonna de saisir tous les factieux. Dès qu'ils eurent connaissance de cet ordre, ils éprouvèrent une grande terreur; quelques-uns furent pris; les autres s'enfuirent, et gagnant les pays étrangers, s'y mirent en sûreté. Alors Hugues de Château-Neuf57, neveu et héritier d'Albert Ribault, reçut le premier les exilés, et, pour dépeupler la Neustrie, leur ouvrit Château-Neuf, Rémalard58, Sorel et quelques autres places. Il était gendre du comte Roger, ayant épousé Mabille, sœur de Robert de Bellême, qui avait suivi le fils du roi avec Raoul de Conches et plusieurs autres. Leur mauvaise entreprise les ayant forcés à fuir, ils commencèrent l'exécution de leur trame détestable. Ils abandonnèrent leurs places et leurs riches propriétés, pour un vain espoir et de frivoles promesses. Le roi s'empara de leurs biens et se servit de leurs revenus pour récompenser les hommes qu'il arma contre eux. Ces troubles agitèrent cruellement les habitans du pays et du voisinage, qui tous prirent les armes soit contre le roi, soit en sa faveur. Français et Bretons, Manceaux, Angevins et autres peuples flottaient dans l'incertitude et ignoraient quel parti la justice leur prescrivait de suivre. Comme la guerre menaçait de toutes parts, le roi, plein de courage, rassembla son armée, et marchant à l'ennemi, fit la paix avec Rotrou, comte de Mortagne. Ce comte ayant souvent pillé les terres de l'église de Chartres, qui est dédiée à la Vierge Marie, avait souvent été réprimandé à ce sujet, par l'évêque et par son clergé, et même excommunié comme incorrigible. Par punition divine, il perdit l'ouïe, et resta sourd jusqu'à sa mort. Le roi Guillaume le gagna à prix d'argent, et le mena avec lui au siége de Rémalard qui était dans sa mouvance. Il fortifia quatre châteaux des environs, et y plaça des troupes pour tenir en bride les assiégés. Cependant, un certain jour, Aimeric de Villerei conduisait le maître d'hôtel du roi des Français, qui retournait vers son maître et se rendait avec trois chevaliers à son château, où les ennemis du roi s'étaient mis en sûreté; par hasard, quatre chevaliers des troupes du roi étant venus à sortir, marchèrent à sa rencontre et lui fermèrent l'accès de son château. Ils le frappèrent et le tuèrent. Ils placèrent ensuite sur un cheval le cadavre de cet infortuné partisan, comme celui d'un porc qu'ils auraient égorgé, et le jetèrent devant les chaumières du comte Roger contre lequel il avait long-temps fait la guerre. Goulfier, fils d'Aimeric, effrayé de la catastrophe de son père, fit la paix avec le roi, et lui resta fidèle ainsi qu'à ses héritiers pendant environ cinquante ans. De nombreuses infortunes menacent les enfans de la terre: si on les racontait toutes avec soin, on en remplirait de grands volumes. Comme je souffre beaucoup du froid de l'hiver, je vais me livrer à d'autres occupations, et, fatigué de mon travail, je crois convenable de terminer ici ce présent livre. Au retour de la sérénité du doux printemps, je reprendrai dans les livres suivans le récit des faits sur lesquels je ne me suis pas suffisamment étendu ou dont il me reste à parler et j'éclaircirai complétement, avec l'aide de Dieu et dans un style véridique, les causes de la guerre et de la paix entre nos concitoyens. |
(38) Qui depuis prit le nom de Saint-Wandrille. (39) Providi nautœ et spirituales aurigœ. (40) Cœnomanis a canina rabie dicta. Etymologie ridicule. (41) Frénai-le-Vicomte, ou Frénai sur Sarthe. (42) Beaumont-le-Vicomte, sur la Sarthe. (43) Sillé-le-Guillaume. (44)Ou Fagadon. (45) Gaël. (46) Les Est-Angles. (47) Ripalduum monasterium. (48) La Saint-Barthélemi est portée au 25 août par le bréviaire romain. (49) Plus haut il est appelé Bécelin. (50) In provincia Wisa, peut-être Wessex. (51) On lit dans quelques manuscrits Revulsus. (52) Kevulfestan lapis. (53) Ou Guallève: c'est toujours Waltheof, fils de Siward. (54) En 1077. (55) Salariensis episcopus. (56) Gambarom et Brevis ocrea: Courte-Botte et Courte-Heuse. (57) Château-Neuf en Thymerais. (58) Raimolast. On a depuis écrit Regmalard; et aujourd'hui Rémalard. |