Chapitre XLIII
Oeuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer
THOMAS DE SPLIT
XLIII. De bello quod emersit inter Spalatenses et TraguriensesItaque temporibus istis inter Spalatenses et Tragurienses bellum ex ea causa emersit quod Tragurienses occasione cuiusdam priuilegii, quod Bela Tragurii positus super quibusdam regalibus terris eis concessit, uolebant manus extendere ad quasdam patrimoniales terras Spalatensium, que includebantur intra metas eodem priuilegio comprehensas. Itaque Bernardus potestas armatis lignis a Spalato exiuit cepitque ex Traguriensibus quasi homines quinquaginta, quos Spaletum adductos ergastulis mancipauit. His diebus superuenit quidam relligiosus uir de ordine minorum, nomine Gyrardus, origine Mutinensis, homo ualde famosus et magne sanctitatis titulo reuerendus, per quem Deus multa dicebatur iam miracula ostendisse. Hic uidens inter has ciuitates crudele odium agitari ualde condoluit. Et uerens, ne forte instigatione dyabolica intestini et nefarii belli succrescens incendium, inter consanguineos et uicinos sanguinis effusionem induceret, cepit benigna partes allocutione demulcens eas ad concordiam multifarie inuitare. Unde factum est, ut ob tanti uiri reuerentiam utraque ciuitas de facili ad concordiam declinaret. Resignantes itaque Tragurienses quicquid ex bonis Spalatensium iure priuilegii uendicabant suos recepere captiuos. Sed antequam relaxatio ad integrum fieret captiuorum, ceperunt Spalatenses penitere crebris mussitationibus ad inuicem sussurrantes, quod huiusmodi compositio in derogationem honoris et iuris urgeret ciuitatis. Quod cum audiret Gyrardus, multum moleste ferebat, nec tamen cessabat obsecrando et monendo eorum animos allicere ad amorem dicens, quod per quam partem pacis huius uiolabitur bonum, non erit super sed subter. Verum quia iuramenti relligione interueniente compositio extitit celebrata, omnes captiui relaxati sunt et discordie procella parum perquieuit. Sed non quiescebat soccordia popularis, quin pro reformatione concordie obtrectarent maioribus, relligiosos derisionibus et oblocutionibus insectantes. Recedente uero predicto uiro sancto modica temporis intercapedine mediante, uulnus in antiquum rediit malesana cicatrix. Nam quibusdam modicis offensionum interuenientibus causis, obtectum odium ex fictis cordibus cepit in propatulum ebullire. Natura enim feralis odii solet esse huiusmodi, ut nisi proprio pondere collidatur, nisi dampnis et doloribus atteratur, nesciat habere quietem ad instar maris procellosis fluctibus concitati, quod non prius ad tranquillitatem reducitur, nisi missis desuper imbribus quadam uiolentia comprimatur. Sed Spalatenses peccatum peccato addentes grauamen sue parti non modicum ex subsequenti facinore induxerunt.
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XLIII.SUR LA GUERRE QUI ÉCLATA ENTRE SPALATINS ET TRОGIRAINS.[1]Entretemps[2] éclata une guerre entre Spalatins et Trogirains[3] car ces derniers, se fondant sur un privilège que le roi Béla, séjournant à Trogir, leur avait accordé sur certaines terres royales, voulurent prendre possessions de certaines terres patrimoniales de Split, mais qui faisaient partie des limites établies par ce privilège. De sorte que le podestat Bernard, équipa des navires, sortit de Split et fit cinquante Trogirains prisonniers qui, conduits à Split, furent conduits en prison. Ces jours-là arriva un certain moine de l'ordre des Mineurs nommé Girard, natif de Modène. C’était un homme très connu et respecté pour sa grande réputation de sainteté, et on disait que Dieu avait accompli plusieurs miracles grâce à lui.[4] Voyant qu'entre ces deux villes s'allumait une hostilité cruelle, il en fut profondément attristé. S'inquiétant qu’à l'instigation du diable, cette maudite guerre civile entre parents et voisins fasse de plus en plus rage et mène par hasard au carnage, il essaya de concilier les parties en mauvais termes avec des paroles apaisantes, en les persuadant de différentes manières d’arriver à un accord. Au bout du compte les deux cités se laissèrent facilement convaincre grâce au respect qu’elles avaient pour une personne aussi révérée. De sorte que les Trogirains abandonnèrent les biens saisis en vertu des privilèges aux Spalatins, et reçurent en retour les prisonniers.[5] Mais avant que les prisonniers aient été tous libérés, les Spalatins commencèrent à exprimer un mécontentement. De fréquents commérages et grommellements s’élevèrent pour dire qu’une telle réconciliation aurait pour conséquence une baisse de la dignité et des droits de la ville. Quand Girard entendit cela, il en fut très contrarié, mais il ne cessa pas de les conjurer et de les exhorter à incliner leurs cœurs vers l'amour, disant que celle des parties qui briserait la paix, ne gagnerait pas mais perdrait. Et comme l'accord entretemps fut confirmé par un serment sacré, il entra en vigueur solennellement, tous les prisonniers furent libérés, et la tempête de la discorde se calma pour lors. Cependant la bêtise des gens ne se calma pas ; ils reprochaient aux anciens d’avoir conclu la paix, poursuivant les moines de moqueries et d’injures. Mais quand le saint homme susnommé s'éloigna pendant un court laps de temps, « la cicatrice de la blessure mal guérie se rouvrit à nouveau[6] ». Le fait est qu'à cause de certains prétextes insignifiants, la haine cachée grandit dans les cœurs hypocrites et se donna à nouveau libre cours. Est-ce vraiment la nature ordinaire de la haine mortelle ? tant qu’elle n'est pas écrasée de façon caractéristique, elle n'épuise ni le chagrin ni la tristesse, elle ne connaît pas le repos et, comme la mer provoquée par les ondes pluvieuses, elle ne cesse pas, tant qu’elle n’est pas arrêtée par la violence des orages. Mais les Spalatins, multipliant les péchés, aggravèrent de beaucoup, par leur crime suivant, la position de leur partie. |
[1] Dissensions au sujet de terres appartenant à Split ou à Trogir selon les lois, novelles, récentes ou anciennes, etc. etc. [2] En 1243. Le comte de Trogir était alors Stjepko Šubić († 1274) [3] J’ai déjà utilisé ce mot pour désigner les citoyens de Trogir, je continue donc comme cela ; c’est tout à fait arbitraire ; le texte latin dit Tragurienses. Le même souci se pose d’ailleurs chaque fois que l’on parle des citoyens d’une ville: Zadar, ... [4] Gérard est surtout connu par le témoignage de Salimbene; originaire de Modène, il appartenait à la puissante famille aristocratique des Boccabadati qui avait fourni de nombreux consuls et podestats à sa cité. Il fut l'un des premiers compagnons de s. François, sans appartenir toutefois au groupe des douze disciples primitifs. C'était un grand prédicateur et son influence devait être considérable à Modène puisque la chronique locale mentionne son action pacificatrice en 1233. Avec lui, nous avons affaire à un personnage important de l'ordre franciscain en même temps qu'à un notable bien connu dans la région, du fait de son origine familiale. Sans doute se trouvait-il à Parme au moment de l'Alleluia puisque c'est à lui que les habitants de cette ville — alliée de Modène sur le plan politique — confièrent le pouvoir de rétablir la paix et de réformer les statuts communaux. Sur ce personnage, voir aussi G. Cantini, O.F.M., L'apostolato dei Beati Gherardo Boccabadati e Leone Valvassori da Perego, e la devozione del’Alleluia, Studi Francescani, IIIe sér. 9, 1937, p. 335-353. (www.persee.fr) [5] L'accord, signé le 11 septembre 1243, prévoyait une compensation mutuelle des dommages et une rétrocession de toutes les terres patrimoniales aux propriétaires. Treguan, évêque de Trogir, et Thomas furent les premiers signataires de ce traité. [6] Ovide, Le remède d’amour, v. 623 : Vulnus in antiquum rediit male firma cicatrix « Mal cicatrisée, son ancienne blessure s'est rouverte, et mon art est demeuré pour lui sans effet. » Thomas remplace le mot firma par le mot malesana.
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