Ménandre traduit par Mr. Cousin

THEOPHILACTE SIMOCATTE

 

HISTOIRE DE L'EMPEREUR MAURICE

LIVRE VIII

 

Traduction française : Mr. COUSIN

 

 

 

 

 

HISTOIRE

 

DE L'EMPEREUR

 

MAURICE

 

Ecrite par Théophilacte Simocatte.

 

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LIVRE HUITIEME.

 

CHAPITRE I.

 

1. Les incursions des Sarrasins portent Cosroès à prendre les armes. 2. Maurice lui envoie un Ambassadeur, & obtient de lui la paix. 3. Imprudence de l'Ambassadeur. 4.. Cornentiole est accusé, mais au lieu de poursuivre l'accusation, on l'honore du commandement.

1. Cosroès Roi de Perse rompit en ce temps-là la paix. Voici le sujet qu'il en eut. Entre les peuples qui habitent l'Arabie, & qui sont compris sous le nom de Sarrasins, il y eut quelques alliés des Romains qui firent irruption en Perse, & qui ravagèrent des terres aux environs de Babylone.

2. Maurice lui envoya pour ce sujet George, Receveur des revenus d'Orient, que les Romains appellent Préfet du Prétoire. Comme Cosroès prétendait avoir été traité indignement, il fit une réception peu favorable à l'Ambassadeur, & le laissa longtemps sans lui donner audience. Il la lui donna, néanmoins, après, lorsqu'il eut considéré que dans le désordre des affaires, il ne lui était pas avantageux de prendre les armes. L'Ambassadeur prit si bien longtemps, & se servit si adroitement de l'occasion, qu'il persuada Cosroès de lui accorder la paix, fait comme dit un Poète,

Que ce fût librement, ou bien sans liberté.

3. Quand il fut de retour, il fit à Maurice un ample récit de fa négociation, dont le succès ne lui fut pas à lui-même  fort heureux ; car on dit qu'il fut si indiscret, que de se vanter que Cosroès avait avoué au milieu de sa Cour, que c'était principalement à son mérite qu'il avait donné la paix. Une parole aussi téméraire que celle-là, suffit pour attirer sur son auteur les plus funestes disgrâces.

4. Retournons en Europe, & disons, qu'aprés que le Gagan (Khan) eut traversé le Danube, & qu'il s'en fut retourné en son pays, l'armée de Thrace accusa Comentiole de trahison. Mais l'accusation excita de si grands troubles à Constantinople, que l'Empereur ne trouva point d'autre moyen de les apaiser, qu'en imposant silence aux Juges, & en rétablissant l'accusé. Dèss qu'il fut rétabli, il amassa ses troupes, joindre Priscus à Singidone.

 

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CHAPITRE II.

 

1. Déclaration de la guerre. 2. Maladie de Comentiote. . Dégât fait par le Gagan (Khan), 4. Victoire des Romains. 5. Excuse de Comentiole. 6. Grande défaite des Avares.

1. Les deux armées étant jointes, quatre jours après la guerre fut déclarée aux Avares par la bouche de Priscus.

2. Les Romains allèrent à l'heure-même à l'île de Biminacion, qui est une île du Danube, où Comentiole demeura malade.

3. Quelques Romains étant passés de l'île en terre ferme, le Gagan (Khan) amassa ses troupes, pilla nos terres, & donna ordre à ses quatre fils de garder les passages du Danube.

4. Mais quelque soin qu'ils prissent de s'acquitter de ce devoir, les Romains ne laissèrent pas de le traverser, d'en venir aux mains, & de remporter l'avantage.

5. Comentiole demeura à Biminacion, où il se fit saigner, afin d'avoir un prétexte pour couvrir sa lâcheté.

6. Priscus, qui ne désirait pas donner bataille en son absence, demeura dans l'île, bien que les troupes en fussent parties, mais ses troupes lui ayant mandé qu'elles étaient vivement pressées par les Avares, il se vit obligé de courir seul le hasard de cette rencontre, & vint au camp dans cette résolution. Le jour suivant, il renvoya les vaisseaux dans l'île, de peur que les soldats n'eussent le moyen d'y passer, & qu'ils n'en défendent le camp avec moins de vigueur. Le quatrième jour, ne pouvant plus éviter d'en venir aux mains, il commanda à ses gens de prendre les armes, il divisa ses troupes en trois bandes, & il commença le combat. Les Romains n'ayant point d'arcs, combattirent d'abord avec la lance. Ils étaient disposés en carré, & ne faisaient qu'un bataillon, au lieu que les Barbares en faisaient quinze. Le combat fut opiniâtre, & ne finit qu'avec le jour. Les Romains remportèrent un grand avantage, car ils ne perdirent que trois cents hommes, au lieu qu'ils en tuèrent quatre mille. Le soir ils s'en retournèrent en leur camp.

 

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CHAPITRE III.

 

1. Second combat. 2. Troisième combat. 3. Quatrième combat. 4. Massacre des Gépides. 5. Cinquième combat.

1.  Les Barbares ayant envie, trois jours après, de donner un second combat, Priscus disposa son armée le mieux qu'il lui fut possible, la divisa en trois corps, & commanda aux deux ailes de s'étendre, pour envelopper les Avares, comme ils les enveloppèrent en effet, & les taillèrent en pièces, jusqu'au nombre de neuf mille. Quand le soleil fut couché, les vainqueurs s'en retournèrent en leur camp.

2. Le Général ayant eu avis, dix jours après, que les Barbares se préparaient encore au combat, il fit prendre les armes à ses gens, au lieu que les autres ne composaient qu'une phalange, & prenant l'avantage de l'assiette, & du vent, il les poussa dans un marais, où quinze mille périrent misérablement, & où quatre fils du Gagan (Khan), furent noyés avec les autres.

3. Ce père infortuné se retira après de si grands malheurs, proche du fleuve Tissus, & un mois après, il amassa de nouvelles troupes, pour tenter un nouveau combat. Priscus en ayant été averti, s'approcha aussi de ce fleuve, & convint du lieu, & du jour. Quand ce jour fut arrivé, il changea la disposition de son armée, mit l'aile gauche à la droite, & le corps d'armée à la gauche. Les Barbares étaient disposés en douze bataillons. Les Romains commencèrent le combat avec un courage héroïque, défirent leurs ennemis, en tuèrent un grand nombre, & remportèrent une signalée victoire.

4. Priscus en choisît quatre mille, à qui il commanda de passer le Tissus, & d'aller découvrir la contenance des Barbares. L'ayant passé, ils trouvèrent trois bourgades de Gépides, qui ne sachant rien de ce qui était arrivé le jour précèdent, avaient célébré une fête, & noyé leur soin dans le vin, & qui dormaient, alors, d'un profond sommeil. Les Romains les ayant surpris dans l'obscurité de la nuit, & dans l'assoupissement de la débauche, en firent un si furieux carnage, que trente mille demeurèrent sur la place, puis ils se chargèrent d'un riche butin, qu'ils portèrent à Priscus.

5. Vingt jours après, les Barbares s'assemblèrent sur le bord du fleuve, & se préparèrent à un nouveau combat, où la mêlée fut terrible, mais le succès leur en fut funeste. Plusieurs furent taillés en pièces, & plusieurs autres furent noyés. Trois mille Avares, huit mille Slavons, & six mille deux cents autres Barbares furent pris, chargés de chaînes, & menés à la ville de Tomée.

 

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CHAPITRE IV.

 

1. Le Gagan (Khan) retire par surprise les prisonniers. 2. Comentiole va à Noba, & demande la voie de Trajan. 3. Il consulte un vieillard, qui la lui enseigne. 4. Il s'y engage, & arrive à Philippopole, avec des peines incroyables. 5.  Il est encore déclaré Général. 6. Pierre frère de l'Empereur reçoit une seconde fois le commandement des troupes d'Europe. 7. Mariage de Théodose fils de Maurice. 8. Disette de vivres & sédition à Constantinople.

1. Avant que l'Empereur eût été informé de avantageux succès de tous les combats que je viens de raconter, le Gagan (Khan) lui envoya redemander ses prisonniers, & l'épouvanta si fort par ses menaces, qu'il manda a Priscus de les rendre, en quoi il fut obéi.

2. Pour Comentiole, quand il fut éveillé du sommeil de fa maladie, il alla à Noba, & y ayant assemblé quelques habitants, il leur demanda un guide pour le mener à la voie de Trajan, & sur le refus qu'ils en firent, il coupa la tête à deux.

3. Alors, les autres lui dirent, qu'il n'y avait personne parmi-eux qui pût le mener à cette voie ; mais qu'à douze milles de là, il y avait un vieillard de cent douze ans, qui en pouvait avoir connaissance. Comentiole l'étant allé trouver, le vieillard lui représenta de grandes difficultés, pour lui faire voir combien l'entreprise était périlleuse, soit pour la rigueur de la saison, ou pour l'incommodité des chemins, & il ajouta, qu'il y avait quatre-vingt-dix ans que personne n'y avait été.

4. Mais Comentiole résista à toutes ces raisons, & comme le plus mauvais avis devait l'emporter dans son esprit, & dans sa conduite, il s'engagea avec ses troupes dans l'exécution de ce dessein. Mais durant son voyage il survint un froid si piquant, & il s'éleva un vent si furieux, que plusieurs soldats, & même  plusieurs bêtes de charge en moururent. Il arriva, toutefois, avec des peines incroyables, à Philippopole, où il passa le reste de l'hiver.

5.. Au commencement du printemps, il alla à Constantinople, & l'été suivant, il fut encore nommé Général, quoi qu'en la dix-neuvième année du règne de Maurice, il ne se soit rien passé de remarquable entre les Romains, & les Barbares.

6. L'année suivante, ce Prince déclara son frère, une seconde fois, Général de l'armée d'Europe.

7. Il célébra, un peu auparavant avec pompe & une magnificence extraordinaire, les noces de son fils Théodose, & de la fille de Germain, un des plus grands de l'Empire.

8. Peu de jours après ce mariage, & durant les rigueurs de l'hiver, la ville de Constantinople fut affligée par la disette des vivres. Comme le quarantième jour, auquel on célèbre le fête de la naissance du Dieu Jésus, que tous les peuples reconnaissent pour leur Sauveur, était proche, on excita une sédition, contre l'Empereur, & l'insolence des séditieux monta à un tel excès, qu'ils lui dirent des injures, & qu'ils lui jetèrent des pierres, pendant qu'il était en prières. Maurice commanda à ses Gardes de présenter leurs masses aux séditieux, pour leur faire peur. Et Germain couvrit Théodose d'une partie de son habit, & l'emmena par un endroit nommé Ilaras.

 

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CHAPITRE V.

 

1. Piété de Maurice. 2. Légère punition des séditieux. 3. Petites expéditions de Pierre. 4. Ses préparatifs. 5. Exploits de Gudois son Lieutenant. 6. Dessein du Gagan (Khan) contre les Artes.

1.  Le danger que courut l'Empereur ne l'empêcha pas de continuer ses prières dans l'Eglise de Blaquernes, qui est fréquentée par un merveilleux concours de peuple, & où l'on dit que le voile de la sainte Vierge mère de Dieu, est gardé dans un coffre enrichi d'or, & de pierreries.

2. Le jour suivant, il fit châtier légèrement les séditieux, & les envoya en exil ; mais cet exil ne fut pas long; car il oublia bientôt sa colère, & leur permit de revenir.

3. Pierre ayant amassé ses troupes, les mena vers le Danube, puis à Plastole où il campa, & où il passa l'été. Au commencement de l'automne, il alla dans un coin de la Dardanie, où les Barbares s'assemblaient, & conféra avec Apsic touchant les Cataractes que ce Lieutenant des Avares prétendait leur appartenir. Le Gagan (Khan) se retira alors à Constantinople, & les Romains en Thrace.

4. L'Empereur voyant que l'été approchait, & ayant appris que le Gagan (Khan) ne différait la guerre qu'à dessein défaire irruption vers Constantinople, lorsque l'armée Romaine serait occupée ailleurs, il ordonna à Pierre de partir d'Andrinople, & de parler le Danube. Ce Général, qui faisait alors des préparatifs contre les Slavons, pria Bonose, un des Gardes que les Romains appellent Dribons, de prendre le soin des bateaux dont on avait besoin pour cet effet.

5. Il nomma, en même temps, Gudoïs son Lieutenant, qui ayant fait passer le Danube aux troupes, mit un grand nombre de Barbares au fil de l'épée, remporta sur eux un riche butin, & une éclatante gloire. Les soldats victorieux voulaient s'en retourner par eau en leur pays ; mais ce Lieutenant les en empêcha.

6. Le Gagan (Khan) ayant appris ces expéditions des Romains, envoya  Apsic, avec des forces suffisantes, pour défaire les Artes, qui font des peuples de notre alliance.

 

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CHAPITRE VI.

 

1. Déserteurs de l'armée au Gagan (Khan). 2. Sédition dans l'armée Romaine. 3. Lettre reçue en songe par le Général. 4. Prière des soldats.

1.  Pendant que ces choses se passaient, une grande multitude d'Avares désrtèrent de leur parti, & prirent celui des Romains, dont le Gagan (Khan) étant fort inquiété, usa de tous les moyens possibles pour les ramener.

2. L'Automne étant déjà commencé, l'Empereur envoya un ordre au Général, de tenir les troupes, durant l'hiver, dans le pays des Slavons, ce qui excita une furieuse sédition parmi les gens de guerre, qui refusèrent ouvertement d'y demeurer pour le peu de butin qu'ils y trouvaient, & pour le peu de cavalerie qu'ils avaient, pour résister à un nombre innombrable d'Avares qui couvraient un des bords du Danube. Pierre, qui avait des ordres précis, en pressait chaudement l'exécution ; les soldats refusaient impudemment d'y obéir, & leur impudence alla si avant, que de quitter leur Général, & de se retirer à Plastole.

3. Trois jours après, il conta à Gudoïs un songe qu'il avait fait, où. il lui semblait avoir reçu une lettre conçue en ces termes. Notre Seigneur JESUS-CHRIST, qui est le vrai Dieu, & qui gouverne l'Eglise par sa grâce, établit, pour le bien public, celui-ci Seigneur de la nouvelle Rome. Pierre avait de grandes inquiétudes touchant l'accomplissement de ce songe, & Gudoïs en était si fort interdit, qu'il ne pouvait prononcer une parole. L'armée décampa le jour suivant, & passant le long du fort d'Aséma, elle arriva à Carisque, d'où elle devait faire irruption sur les Barbares.

4. Cependant, on bâtissait des vaisseaux ; mais le froid & les pluies qui survinrent, empêchèrent de les achever, & empêchèrent aussi l'armée d'aller trouver son Général. Ils se contentèrent donc de lui envoyer des députés, entre lesquels était le cruel tyran Phocas, & de lui demander permission de s'en retourner en leurs maisons, quoi que l'Empereur, qui ne leur voulait rien fourni mandât de les faire subsister aux dépens de l'ennemi.

 

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CHAPITRE VII.

 

1. Le Général promet de licencier les soldats. 2. Il s entretient avec Gudoïs. 3. Il montre aux Commandants les ordres de l'Empereur, & en presse l'exécution. 4.. Les séditieux élisent Phocas pour leur Chef. 4. L'Empereur fait semblant de ne se point étonner. 6. Il demande le dénombrement du peuple. 7. Fureur des bleus, & et des verts.

1.  Le Général promit aux députés d'aller le lendemain à l'armée, & de la licencier.

2. Ayant, depuis, mandé Gudoïs, il lui dit ces paroles pleines de désespoir : Je suis de tous côtés environné de périls. J'ai un ordre auquel il est impossible de résister, & difficile d'obéir. L'avarice est la source de tous les maux, l'Empereur en est frappé, & s'il est permis d'emprunter un vers de la Tragéde d'Homère

Peut-être que ce coup lui causera la mort.

Je suis très-persuadé que ce jour sera funeste aux Romains. En disant ces paroles, qu'il entrecoupent de ses soupirs, il s'approcha du camp.

3. Le lendemain, il assembla les gens de commandement, & leur montra les lettres qu'il avait de l'Empereur. Ils assurèrent que les soldats n'obéiraient point, & comme Pierre s'opposait à la multitude avec une invincible fermeté, il s'éleva une furieuse tempête. Les séditieux sortirent en foule du camp, & les Officiers suivirent le Général.

4. Ces séditieux s'assemblèrent le jour suivant, ils élurent pour leur Chef un Centenier nommé Phocas, relevèrent sur leurs boucliers, & le proclamèrent avec de grands cris de joie. Pierre se retira à l'heure-même, & manda à l'Empereur tout ce qui était arrivé.

5. Maurice fit entrer dans l'endroit le plus secret de son Palais celui qui lui apporta cette fâcheuse nouvelle, & l'interrogea sur les circonstances. Bien qu'il fût rongé par des soins très-cuisants, & qu'il ne vît point de remède aux maux dont il était menacé, néanmoins, il dissimula sa crainte, & pour faire croire qu'il méprisait les efforts des séditieux, il assista plus souvent que de coutume aux jeux, & aux combats, & il fit avertir le peuple par un Héraut, de ne se point étonner des bruits qui couraient. La faction des bleus le chargeait de bénédictions, & de louanges. Que Dieu, disaient-ils, de qui vous tenez l'Empire, soumette les rebelles à votre puissance. Si ces rebelles sont Romains, gagnez-les plutôt en leur faisant du bien, que de répandre leur sang,

6. Quatre jours après, il manda les Tribuns, dont l'un se nommait Serge, & l'autre Cosme, & leur demanda la liste du peuple. Serge lui donna par écrit les noms de quinze cents personnes de la faction des verts, & Cosme les noms de neuf cents de la faction des bleus.

7. Ces deux couleurs, qui partageaient le peuple, causèrent d'horribles désordres, & la fureur de ces partis monta à un tel excès, que peu s'en fallut qu'elle ne ruinât tout l'Empire.

 

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CHAPITRE VIII.

 

1.  L'Ambassade de Maurice à Phocas. 2. Garde aux murailles. 3. Théodose sort de la ville. 4. Il reçoit une lettre de l'armée. 4.. Soupçons de l'Empereur contre Germain. 6. Il se réfugie dans l'Egypte. 7. Etienne envoie pour l'en tirer, en est chassé lui-même . 8. Théodose est outragé par l'Empereur son père.

1.  Quand Maurice apprit que le tyran approchait, il lui envoya des Ambassadeurs, comme pour détourner l'orage ; mais enflé de cet honneur, & devenu comme insensé de sa nouvelle fortune, il les renvoya sans rien faire.

2.. Maurice commanda au peuple de garder les murailles, que l'on dit avoir été bâties par Théodose fils d'Arcadius.

3. Quelques jours auparavant, Germain beau-père de Théodose, l'envoya se divertir à la chasse, à Callicrate, qui est le plus bel endroit qui fait aux environs de Constantinople.

4. Comme il ne songeait qu'à s'y réjouir, sans que sa joie fût troublée par la moindre inquiétude, il arriva un courrier, qui lui présenta une lettre de la part de l'armée, par laquelle elle le suppliait ou d'accepter l'Empire, ou de le céder à Germain, avec protestation de n'obéir jamais à Maurice. Dès que l'Empereur eut appris cette nouvelle, il le rappela, & le jour suivant, il donna ordre à Comentiole de veiller incessamment à la garde des murailles.

5. Il manda ensuite Germain, & fondant en larmes, il l'accusa de tous les malheurs qui lui étaient arrivés. Cette accusation était fondée sur deux conjectures, l'une, que l'armée lui avait déféré l'Empire ; l'autre, que lorsqu'elle avait enlevé les chevaux qui paissaient aux environs de la ville, elle avait épargné les siens. Comme il alléguait plusieurs raisons pour sa justification ; on prêtent que l'Empereur lui dit : Germain, il ne faut point tant de paroles, il n'y a rien de si doux que de mourir de l'épée. En achevant le dernier mot, il le quitta, & hâta le pas. Théodose, qui suivait l'Empereur son père, se détourna un peu, pour dire à Germain son beau-père, de qui il déplorait le malheur, qu'il s'enfuît, s'il ne voulait être massacré.

6. Germain s'en retourna en son Palais, par le grand chemin, que le peuple appelé le chemin du milieu. Sur le soir, ayant ramassé ses Gardes, il se réfugia dans l'Eglise de la Vierge, que l'on croit avec raison avait été bâtie par Cyrus, sous le règne de Théodose. Germain était alors Consul. On dit que c'était un fort homme de bien. Sa passion pour les belles lettres était si extrême, qu'elle passait pour une sage folie.

7. Maurice, ayant appris sur le soir, que Germain s'était saisi du coin de l'autel, envoya un Eunuque nommé Etienne, qui avait été Précepteur de ses enfants, pour le persuader de le quitter. Mais dès que les gens de Germain le virent, ils le chassèrent lui-même, avec des injures atroces. La nuit, Germain alla dans la grande Eglise, que Justinien bâtit autrefois avec une dépense & une magnificence royale.

8. L'Empereur accusa son fils Théodose d'avoir trahi son secret, & de l'avoir découvert à Germain son beau-père, & en haine de cela, il lui donna des coups de bâton.

 

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CHAPITRE IX.

 

1. Germain demeure dans la grande Eglise. 2. Le peuple se soulève, & met le feu à une maison. 3. L'Empereur s'enfuit.  4. Réflexion sur l'humeur du peuple. 5.. Maurice est attaqué de la goutte. 6. Il demande du secours à Cosroès. 7. Germain aspire à la couronne & ne la pouvant obtenir, il se joint à Phocas.

1.  Pendant que cela se passait, les gens de guerre s'approchaient de Constantinople, avec une ardeur extrême, & avec une impatience incroyable. Germain entouré de les Gardes, se tenait comme attaché au pied de l'autel. Des soldats envoyés par Maurice pour l'en arracher, excitèrent un grand tumulte. Il avait lu-même envie de sortir, lorsqu'un homme nommé André, qui avait accoutumé de passer plusieurs heures en prières, lui cria : Rentrez dans l'Eglise et sauvez votre vie, on vous conseille la mort. Germain suivit cet avis, & rentra.

3. Le peuple accourant en foule, vomissait des injures sanglantes contre l'Empereur,& l'appelait Marcionite, du nom d'une secte qui fait profession d'une piété extravagante, & d'une simplicité ridicule. Le tumulte s'échauffant, ceux qui gardaient les murailles les abandonnèrent, & se mêlèrent avec les séditieux. Le désordre s'accrut ensuite avec une telle fureur, que les rebelles mirent le feu à la maison de Constantin, surnommé Lardi, Sénateur, & Patrice, honoré de l'amitié de Maurice, & autrefois Receveur des impositions d'Orient.

3. En ce déplorable état des affaires, l'Empereur se dépouilla des habits royaux, & s'enfuit sur un petit vaisseau, avec sa femme, ses enfants, & Constantin. Le peuple parla toute la nuit à faire des déclamations insolentes, contre le gouvernement. Il déchira même, par de piquantes railleries, l'Evêque, ou le Patriarche, comme les Romains l'appellent.

4. En effet, le peuple n'a que l'ignorance & l'aveuglement en partage. Dans les changements soudains, il se porte au mal avec une brutalité furieuse, sans pouvoir juger de lui-même ce qui lui est utile, ni sans pouvoir suivre les judicieuses remontrances des sages.

5. Les vents ayant excité une violente tempête, à peine Maurice se put-il sauver dans l'Eglise de saint Autonome Martyr, bien qu'elle ne soit qu'à cent cinquante stades de la ville. Là, il fut tourmenté par les douleurs de la sciatique, maladie à laquelle les habitants de Constantinople sont fort sujets. Je n'en rapporterai pas les raisons, de peur de faire une dissertation, au lieu d'écrire une histoire.

6. Ce Prince envoie son fils Théodose à Cosroès, pour rappeler dans sa mémoire les bons offices qu'il lui avait rendus dans sa disgrâce, & pour le supplier de les reconnaître, en le secourant dans son extrême besoin. En l'envoyant il lui montra son cachet, & lui défendit de revenir, si l'on ne le lui faisait voir. La même nuit qu'il partit, un des plus considérables du peuple, nommé Ebdomite, ouvrit une des portes, & alla se rendre au tyran, avec une troupe de la faction des verts.

7. Au reste, Germain brûlant du désir de régner, envoya Théodore, qui avait été élevé par l'armée à la charge de Silenciaire, à Serge Tribun de la faction des verts, pour le prier de faire en sorte que le peuple le proclamât Empereur, à certaines conditions qu'il lui envoya par écrit. Serge proposa dès le point du jour, la demande de Germain, mais elle fut rejetée de toutes les voix, & les verts témoignèrent hautement qu'ils ne pouvaient espérer qu'il se détachât de l'intérêt des bleus, avec lesquels il avait toujours paru si étroitement uni. Ainsi, voyant ses espérances ruinées de ce côté-là, il se tourna vers le tyran, & il adora sa fortune.

 

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CHAPITRE X.

 

1. Le Peuple se déclare pour le tyran. 2. Sa proclamation. 3. Son entrée. 4. Couronnement de Leontia. 5.. Contention entre les bleus, & les verts.

1.  Les verts étant allez à Région, chargèrent le tyran de bénédictions, & de louanges, & lui conseillèrent de venir à l'Ebdome, qui n'est qu'à sept milles de la ville. Le même  jour, il envoya Théodore Secrétaire d'Etat, pour faire savoir qu'il désirait que l'Evêque, & le Sénat le vinssent trouver. Théodore étant entré dans la grande Eglise, qui fut autrefois bâtie par Justinien, monta au lieu le plus élevé, que le peuple appelé pupitre, & publia cet édit. A l'heure-même  ils courent en foule vers ce tyran de Calydoine, vers cet impudent Centaure, qui faisant le modéré, dans la pourpre, feignait de vouloir proclamer Germain Empereur.

2. Le peuple, qui souhaite toujours le changement, s'écrie en faveur du tyran, & met le sceptre dans cette main malheureuse, qui triomphera bientôt de la félicité publique, & qui répandra sur l'Empire un déluge de disgrâces. Ce scélérat fut couronné dans l'Eglise du Prophète saint Jean Baptiste.

3. Le jour suivant, il fit une pompeuse, & magnifique entrée, sur un char tiré par quatre chevaux blancs, d'où il faisait tomber comme du haut d'un nuage, une pluie d'or, au milieu des acclamations, & des applaudissements d'une multitude insensée. Quand il fut dans le Palais, il donna des combats, & le jour suivant, il distribua de l'argent aux gens de guerre, pour son heureux avènement à l'Empire.

4. Il fit aussi couronner sa femme Leontia, avec une pompe extraordinaire, selon la coutume des Empereurs.

5. Dans cette cérémonie, il y eut contestation pour les rangs, les verts prétendant se mettre en haïe dans la place qui est devant le Palais, & recevoir l'Impératrice ; & les bleus paraissant résolus de ne pas souffrir cette nouveauté. Le tyran envoya un des Chefs de la révolte, nommé Alexandre, pour apaiser le tumulte. Mais Cosme, Tribun des bleus, le repoussa rudement d'un coup qu'il lui donna dans l'estomac, & quelques-uns de ce parti élevant leur voix, lui dirent en propres termes : Arrêtez-vous, considérez l'état présent des affaires,& souvenez-vous que Maurice n'est pas mort.

 

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CHAPITRE XI.

 

1. Le tyran termine le différent des deux factions. 2. Maurice rappelle son fils Théodose. 3. Il est tué avec ses enfants. 4. Il empêche la supposition qu'une femme voulait faire, 5. Sa piété. 6. Son testament. 7.Eloge de Domitien.

1. Le tyran termina ce différent des deux factions ; puis, transporté de rage il résolut de massacrer l'Empereur.

2.  Ce Prince, considérant la grandeur du danger dont il était menacé, changea de sentiment, & envoya son cachet à son fils Théodose, avec ordre de revenir. Il revint ; mais ce ne fut que pour être massacré.

3. Le tyran envoya des soldats au continent, qui est à l'opposite de Constantinople, pour tuer Maurice, dans le port d'Eutrope. Ils tuèrent auparavant ses enfants mâles. L'amour paternel reçut autant de coups dans le cœur, que ces bourreaux leur en donnèrent dans le corps. Il souffrit, néanmoins, ce supplice avec une merveilleuse confiance, et ne cessa de dire : Vous êtes juste, Seigneur, & vos jugements sont équitables. Il eut ensuite la tête tranchée.

4. On dit qu'une nourrice ayant détourne un des fils de ce Prince, & ayant présenté son nourrisson pour être égorgé en sa place, il découvrit aux meurtriers la supposition qu'elle voulait faire, & l'empêcha, disant, que c'était une espèce d'adultère.

5. Il mourut de la sorte, & s'éleva en mourant au dessus de la nature. Il avait envoyé un peu devant des billets aux plus célèbres Eglises du monde, pour prier Dieu de le punir durant cette vie.

6. Il ne faut pas oublier de donner place dans notre histoire à ce qu'on publie de son testament. On trouva au commencement du règne d'Héraclius, un papier cacheté, que Maurice avait écrit pendant une dangereuse maladie qu'il eut quinze ans après son avènement à la couronne, & par lequel il partageait son Royaume entre ses enfants II donnait Constantinople, & l'Orient à Théodose son fils aîné ; Rome, l'Italie, & les îles de la mer Tyrrene, à Tibère, & les autres Provinces aux autres enfants, qu'il laissa, pour leur bas-âge sous la tutelle de Domitien Evêque de Meliténe, son parent.

7. C'était un homme adroit dans la conduite des affaires, éclairé dans le conseil, & sur qui Maurice se déchargeait d'une partie de ses soins. Ce n'est pas ici le lieu de parler amplement de ses excellentes qualités. Ce serait une digression qui nous éloignerait trop de nôtre sujet.

 

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CHAPITRE XII.

 

1. Les corps des Princes sont jetés dans la mer. 2. Discours de l'Auteur sur leur mort. 3. Leurs têtes font exposées. 4.. Châtiment de Dieu sur l'armée. 5. Revue faite sous le règne d'Héraclès.

1.  Les corps des morts furent jetés dans la mer, pour servir de jouet aux vagues. C'était un triste spectacle de voir que tantôt les flots les rejetaient au bord, tantôt ils les ensevelissaient au milieu d'eux-mêmes. Cette image lamentable de la ruine de la maison royale, ou plutôt de la ruine de l'Empire, demeura longtemps exposée aux yeux du peuple. Les rivages de Calcédoine étaient couverts d'un nombre innombrable de personnes qui considéraient dans la mer, comme dans un miroir fidèle, le tableau funeste de la fureur populaire. L'Auteur de cette histoire en ayant récité publiquement cet endroit, l'assemblée fut si sensiblement couchée de cette peinture de la misère des Princes, qu'elle fondit en larmes. Ce sentiment de compassion l'obligea d'interrompre fa lecture, & de composer sur le champ un discours pour exprimer ses regrets.

Discours de l'Auteur.

2. Il faut qu'en cette triste journée, les acteurs & les spectateurs, les gransd, & le peuple pleurent tous également avec moi. La fête que nous célébrons est une fête tragique, où les larmes & les gémissements ont la principale part. On n'y entendra point d'applaudissements, ni de cris de joie. Les muses y seront muettes de douleur, & elles ne seront point parées de ces superbes habits sous lesquels elles brillent à Athènes. Les vertus y paraîtront désolées, elles chercheront en vain leur guide & leur appui, & elles verront leur char rompu par les efforts de l'envie. Plût à Dieu que vous n'eussiez point été témoins de tant de malheurs : l'argument de notre pièce est une Iliade de maux. Les furies en feront le chœur, & la scène sera un tombeau.

3. Lilius, qui avait eu la charge de cette sanglante exécution, apporta au tyran les têtes des morts, puis il les exposa à la vue de l'armée, dans le champ de l'Ebdome. Les soldats devaient devenir complices, au moins par les yeux, de ce détestable parricide, comme ils en devaient être punis.

4. Cette armée criminelle périt misérablement en différentes manières. Les uns furent frappés par la foudre, les autres moururent de faim, les autres furent emmenez prisonniers ; Enfin, les Perses ne cessèrent de vaincre, jusqu'à ce que cette troupe exécrable, qui avait appuyé la tyrannie, fut entièrement dissipée.

5. Ce que je vais dire en est une preuve convaincante, car je veux bien interrompre un peu la suite de mon histoire, pour établir la vérité de ce que j'avance. Lorsque l'Empereur Héraclius entreprit la guerre contre Raxate, il fit une revue générale, où il ne trouva que deux soldats de tous ceux qui avaient porté les armes sous le tyran. Mais quand ces vieilles troupes furent défaites, & qu'on en eut levé de nouvelles, la prospérité abandonna les Perses, le Dragon de Babylone, ou Cosroès fils d'Ormisdas, fut écrasé, & la guerre fut éteinte. Mais pour ne pas faire une seconde digression, voyons la suite des malheurs qui accablèrent l'Empire depuis l'établissement de la tyrannie.

 

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CHAPITRE XIII.

 

1. Divers meurtres commis par Phocas. 2. Fausse histoire touchant Théodose. 3. Présage de la mort de Maurice. 4. Son éloge.

1.  Le tyran plein de rage, commit plusieurs autres meurtres. Il fit couper la tête à Pierre frère de Maurice, à Comentiole Général des troupes d'Europe, à George Lieutenant de Philippicus, & à Présentin domestique de Pierre. Théodose fils de Maurice fut tué par Alexandre, dans l'Eglise de saint Autonome Martyr, où il s'était réfugié, & Constantin, surnommé Lardi ,dans un lieu appelé le cours.

2. Il a couru un bruit qu'Alexandre avait sauvé Théodose, en reconnaissance d'un avis qu'il avait autrefois reçu de Germain, & qu'au lieu de le tuer il en avait tué un autre qui lui ressemblait : que Théodose s'étant échappé par cette merveilleuse rencontre, avait couru divers pays d'Orient, &  était mort de maladie dans une affreuse solitude. Bien que ce bruit se soit répandu par toutes les Provinces de l'Empire, il n'avait point d'autre auteur qu'un paysan. Pour moi, après avoir recherché très-exactement la vérité de ce fait, j'ai trouvé qu'il avait été tué. Ceux qui veulent faire croire qu'il s'est sauvé n'en apportent que des arguments frivoles, & tout ce qu'ils disent de considérable, c'est que sa tête ne s'est pas trouvée parmi les morts.

3. Je n'oublierai pas une histoire merveilleuse qui arriva à Alexandrie, le jour même  que Théodose fut massacré. Un homme que j'ai connu, qui excellait dans l'art de former les caractères des lettres, & que pour ce sujet on appelait Calligraphe, étant demeuré jusqu'à la quatrième heure de la nuit, dans la boutique d'un Marchand, qui célébrait, selon la coutume du pays, le septième jour de la naissance d'un fils dont fa femme était accouchée, étant forci, après que la fête fut achevée, & passant par un des plus célèbres quartiers de la ville, nommé Tichée, il y vit des statues hors de leurs bases, qui l'appelèrent distinctement par son nom, & lui dirent en trois paroles ce qui devait arrivera l'Empereur. Il s'en retourna épouvanté de cette prédiction , & le jour suivant, il la raconta dès le matin au Magistrat. Quand le bruit en fut venu aux oreilles de Pierre, Gouverneur d'Egypte , mon proche parent, il manda ce Calligraphe, en apprit de sa bouche le détail, & lui commanda de n'en plus parler. La nouvelle de la mort de l'Empereur ayant été apportée, neuf jours après, par un courrier, le Gouverneur publia la prédiction qui avait été faite par les statues, ou plutôt par les démons, & produisit le témoin. Je ne saurais jamais avoir assez de temps, ni de loisir, pour rapporter toutes les prédictions qui ont été faites touchant les changements de l'Empire.

4. On dit que Maurice avait une inclination particulière pour l'éloquence, & qu'il a rendu de grands honneurs à ceux qui ont excellé dans l'étude des belles lettres. Il a élevé à Tarse une superbe Eglise, en l'honneur de Paul de Cilicie cet incomparable Prédicateur de l'Evangile du Fils unique de Dieu, dans toutes les parties du monde. Il a remis pour le soulagement de ses sujets, le tiers des impôts qu'il avait accoutumé de lever, & il a employé trente talents à faire un Aqueduc à Constantinople.

 

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CHAPITRE XIV.

 

1. Utilité des histoires miraculeuses. 2. Miracle du corps de sainte Euphémîe. 3. Incrédulité de l'Empereur Maurice confondue.

1.  Ceux qui ont de la curiosité pour l'histoire ne doivent pas ignorer les miracles qui arrivèrent en ce temps-là, dans l'Eglise de sainte Euphémie Martyre. Nous nous étendrons un peu à les raconter, parce que ces sortes de narrations, qui portent une lumière céleste dans l'esprit, sont extrêmement utiles.

2. La ville de Calcédoine est assise à l'embouchure de la mer de Pont, vis-à-vis de Constantinople. Il y a dans cette ville-là une Eglise bâtie en l'honneur de sainte Euphémie Martyre, dont le saint corps y repose. Chaque année, au jour de son martyre, la toute puissance divine y opère un miracle surprenant, & qui peut paraître incroyable à ceux qui ne l'ont pas vu. Bien qu'il y ait quatre cents ans que ce sacré corps est enfermé dans le tombeau, l'Evêque en tire avec des éponges, en présence de tout le peuple, un sang mêlé d'un baume que l'art des hommes ne peut égaler, & le distribue aux fidèles dans des fioles de verre.

3. Maurice, par je ne sais quel soupçon, & par je ne sais quelle indifférence pour les choses de la Religion, commença, en la douzième année de son règne, à faire moins d'état de ce miracle, qu'auparavant, & à l'attribuer à l'artifice criminel de quelques imposteurs intéressés. Et son incrédulité alla si avant, que d'enlever du tombeau tous les ornements de prix, & de le sceller du sceau de ses armes. Quand le jour de la fête fut arrivé , on examina la vérité du miracle, &, s'il est permis de parler de la sorte, on mit le Mystère à l'épreuve. Mais la Sainte donna un témoignage irréprochable, & une preuve invincible de son pouvoir, en faisant couler de son monument précieux, comme d'une source inépuisable de bénédictions, & de grâces, une plus grande abondance de fang & de baume qu'on n'en avait jamais vu couler par le passé. Voila comme Dieu révèle ses secrets aux hommes, lors même  qu'ils font infidèles. Voila comme la bienheureuse Euphémie instruisît l'incrédulité de l'Empereur, & lui fit reconnaître que Dieu est véritablement admirable dans ses saints.

Après avoir fait cette digression, qui ne paraîtra pas injudicieuse.,il est temps d'achever nôtre histoire, par le récit des choses arrivées sous la tyrannie.

 

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CHAPITRE XV.

 

1. Phocas met Constantine en prison. 2. Donne avis de son exaltation à Cosroès. 3. Lilius est magnifiquement reçu à Dara par Germain. 4. Germain est bleffé par un soldat. 5. Cosroès déclare la guerre aux Romains. 6. II traite Lilius avec dureté. 7. Faux bruit touchant Théodose. 8. Alexandre est tué par Phocas.

1.  Phocas enferma dans une maison particulière, qu'on appelait la maison de Léon, Constantine fille de l'Empereur Tibère, avec trois de ses filles.

2. Cinq mois après, il donna avis de sa proclamation à Cosroès, par une lettre dont Lilius fut le porteur, selon l'usage inviolablement observé entre les Empereurs de Rome, & les Rois de Perse.

3. Lilius fut magnifiquement reçu à Dara, par Germain , personnage Consulaire, à qui Maurice en avait donné le gouvernement, lorsqu'il l'avait ôté à Narsés, par complaisance pour le Roi de Perse.

4, Trois jours après un soldat donna un coup d'épée à Germain, comme il était à cheval avec Lilius ; mais le coup ne fut pas mortel. Lilius étant parti de Dara, continua son voyage vers Cosroès, qui prit du massacre de Maurice, & de l'usurpation de Phocas, un prétexte de déclarer cette guerre , qui a été si funeste aux deux nations.

6. Il traita aussi Lilius fort inhumainement, afin de faire croire qu'il avait dessein de venger la mort de l'Empereur.

7. En ce temps-là, le bruit que Théodose s'était sauvé, courut par le monde, & y causa de grands désordres.

8. Cette fable s'étant glissée dans le Palais, imprima une telle terreur au tyran, qu'il massacra Alexandre. Comme il n'y a point de fidélité dans les amitiés qui ne sont fondées que sur le crime, il fallait qu'il ôtât la vie aux ministres de son injuste domination.