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table des matières dE PROCOPE

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

texte grec

 

 

DE JUSTINIEN,

Ecrit par Procope de Césarée.

 

CHAPITRE I.

1. Rois d’Arménie    2. Partage du Royaume   3. Officiers établis en Arménie par Justinien.

 

1. J’ai représenté dans le livre précédent de quelle manière les frontières d'Orient ont été fortifiées par Justinien. Après avoir commencé à décrire les fortifications qu’il a fait faire du côté de Perse, il faut parler de celles qu'il a fait faire du côté d'Arménie, c’est à dire depuis Amide jusqu'à Théodosiopole. Mais avant que de parler de l'Arménie, je crois devoir parler des Arméniens & décrire les forts qu'il a élevés pour assurer leur pays, avant que de rapporter les soins qu'il a pris de régler leurs mœurs. Je reprendrai pour cet effet les choses d'un peu plus haut. Les Arméniens étaient autrefois gouvernés par un Roi de leur nation comme le témoignent les anciens Historiens.

2. Après qu'Alexandre eut vaincu les Perses, les vaincus se soumirent à l'obéissance du vainqueur. Mais les Parthes se soulevèrent, défirent les Macédoniens, les chassèrent du pays, & étendirent leur domination jusques sur le bord du Tigre. Ils commandèrent ensuite aux Perses l’espace de cinq cents ans, jusqu'au temps auquel Alexandre fils de Mammée parvint à l'Empire Romain. Ce fut en ce même temps qu'un Roi des Parthes fit Arsace son frère Roi des Arméniens, comme nous l'apprenons de l’Histoire d'Arménie. Car il ne faut pas se persuader, comme sont quelques-uns, que les Arsacides soient Arméniens. Les Rois des deux nations entretinrent ensemble la paix l'espace de cinq cents ans, comme la parenté les y obligeait. Le Roi des Arméniens avait le siège de son Royaume en l'Arménie majeure, & relevait des Romains. Par la suite du temps un Roi d'Arménie, nommé Arsace, eut deux fils Tigrane & Arsace.

3. Quand il fut proche de sa fin il fit un testament, par lequel il nomma ses deux fils héritiers de ses Etats, mais non pas pour portion égale, celle de Tigrane étant quatre fois plus grande que celle d'Arsace. Après avoir fait ce testament, il mourut. Arsace indigné de l’inégalité du partage eut recours aux Romains, dans l’espérance de casser le testament de son père, & d'obtenir justice contre son frère. Théodose fils d'Arcadius était alors Empereur, quoi qu'il ne fût qu'en bas âge. Tigrane appréhendant sa puissance se réfugia chez les Perses, & leur livra ses Etats, aimant mieux mener parmi eux une vie privée, que de régner conjointement avec son frère, & avec un pouvoir égal. De même, Arsace craignant quelque trahison de la part tant des Perses que de son frère, céda son Royaume à Théodose par un traité dont j'ai rapporté les articles dans les livres des guerres. Les Perses, & les Romains ont disputé longtemps pour la possession de l'Arménie. Mais enfin ils sont demeurés d'accord que les Perses jouiraient de la part de Tigrane, & les Romains de celle d'Arsace.

4. Depuis ce temps-là, l'Empereur a toujours donné aux Arméniens un Gouverneur, que l’on nomme Comte. Mais comme ce Gouverneur ne pouvait s'opposer sans troupes aux irruptions des ennemis, Justinien le déposa, & mit en sa place un Général, avec un nombre suffisant de soldats. Voila ce qu'il fit dans la grande Arménie. Pour ce qui est de l'autre partie de l'Arménie qui est enfermée dans l'Euphrate, & qui s'étend jusqu'a la ville d'Amide, elle est gouvernée par cinq Satrapes, qui parviennent à ces dignités par le droit de la naissance, & qui les possèdent jusqu'à la mort. Ils n'en recevaient autrefois les marques que de la main de l'Empereur. Mais comme elles ne seront plus exposées, à l'avenir, à la vue des hommes, il est a propos que j'en fasse ici la description.

5. C’est une veste faite de la laine d'un poisson de mer, qu'on appelle un Pinne. Elle était teinte en pourpre & brodée d'or à l'endroit par où elle s'attache avec une boucle d'or massif à une pierre précieuse, d'où pendent trois hyacinthes avec trois chaînettes d'or. Il y avait aussi une tunique de soie enrichie d'ornements d'or, qu'on a accoutumé d'appeler, des plumes ; enfin il y avait des brodequins de pourpre qui allaient jusqu'au genou, & qu'il n'est permis qu'à l'Empereur Romain, & au Roi de Perse de porter. Le Roi & les Satrapes d'Arménie faisaient autrefois la guerre sans le secours des troupes Humaines.

6. Mais depuis que quelques Satrapes eurent suivi le parti d'Ille & de Léonce, qui avaient usurpé l'autorité souveraine contre Zénon, cet Empereur ayant pris ces deux chefs de révolte, ne laissa qu'un Satrape dans le moindre gouvernement, qui était celui de la Bélobitine, déposa les autres, priva leurs enfants de l'espérance de leur succéder, & ordonna que leurs places seraient remplies par ceux qu'il plairait à l'Empereur d'y nommer, de même qu'il nomme au gouvernement des Provinces. Les Magistrats qui étaient de la sorte n'avaient pas sous eux des soldats Romains, mais des soldats Arméniens, qui ne suffisaient pas pour repousser les ennemis. Quand Justinien fut informé de toutes ces choses, il supprima les Satrapes & mit en leurs places deux Capitaines avec de bonnes troupes & il leur bâtit les forts dont je vais parler.

 

CHAPITRE II.

1. La ville de Martiropole prise par Cavade.     2. Réparée par Justinien.

 

1. Je commencerai par la Mésopotamie, afin que ce qui va suivre ait plus de rapport avec ce qui a précédé. Un de ces deux Gouverneurs de l'Arménie, qu’on appelle Ducs, a été établi par Justinien à Martiropole & l’autre au fort de Citharison. Il est à propos de marquer précisément l'endroit où ces deux places sont assises. Martiropole est en la partie de l'Arménie qui a été nommée Sophanène, sur le bord du fleuve Nymphius, proche de la frontière des Perses. Ce fleuve sépare la frontière des deux nations. La contrée nommée Arxane, qui a toujours été soumise aux Perses, s'étend sur l'un de ses bords. Comme la Ville de Martiropole avait été négligée par les Romains lorsque Cavade entra, sous le règne d'Anastase, sur les terres de l'Empire, il y mena son armée, & la prit comme en partant, par la seule terreur de ses armes, sans dresser de batterie, ni sans livrer d'assaut. Aussitôt que les habitants virent les Perses, auxquels ils savaient bien qu'ils n'étaient pas capables de résister, ils allèrent au devant de Cavade avec Théodore, Satrape de la Sophanène, revêtu des ornements convenables à sa dignité, ils lui présentèrent le tribut de deux années, & lui livrèrent leur ville, dont il fut si satisfait, que la considérant & la chérissant à l'heure même, comme une ville de son obéissance, il la préserva du pillage, & emmena son armée. Comme Théodore lui parut intelligent, & capable de maintenir le pays dans la fidélité & dans l'affection à son service, il le fit Satrape, & lui donna les marques de cette charge. Ayant ensuite mené Tses troupes plus loin, il assiégea Amide, la prit, & s'en retourna r comme je l'ai raconté dans un autre ouvrage. L'Empereur Anastase, qui savait bien que la ville de Martiropole n'avait pu être défendue puisqu'elle n’était pas fortifiée, loua Théodore, & les habitants de l'avoir rendue, bien loin de leur en savoir mauvais gré.

2. En effet la muraille n'était large que de quatre pieds, & haute de vingt, de sorte qu'il était aisé de monter par dessus, sans être obligé d'user de machines pour la saper. Justinien fit creuser au dehors à quatre pieds de distance & jeter le fondement d'une autre muraille, large aussi de quatre pieds, & haute de vingt. Il fit remplir ensuite avec des pierres & de la chaux l’espace qui était demeuré vide entre deux. Enfin il fit élever de la hauteur de vingt autres pieds, sur la largeur de tout l'ouvrage. De plus il fit bâtir une autre muraille en dehors, avec toutes les autres fortifications dont on a accoutumé de munir les places.

 

CHAPITRE III.

 

Diverses fortifications bâties par Justinien.

 

1. Il y a dans la partie de l'Arménie qui s'appuie Sophanène, un lieu nommé Phison à un peu moins d'une journée de Martiropole, en tirant vers l'Occident. A huit milles de là des montagnes entrecoupées, & inaccessibles, venant comme à se joindre, forment deux Pas fort étroits, Qu'on appelé clisures ou clefs. Ceux qui vont de Persarménie, en Sophanène ; soit qu'ils viennent des frontières de Perse, ou du fort de Citharison, n'ont point d'autre chemin par où ils puissent paner. Il y en a un, que les gens au pays appelait Illyrise, & l'autre Safcas. Il n'y avait point de garnison par le passé, bien qu'il y en dût avoir. Justinien fit extrêmement fortifier tant Phison, que ces deux Pas & il y établit une si puissante garnison, que les Barbares n'espérèrent plus de les forcer. Voila ce qu'il fit dans la Sophanène.

2. Il fit bâtir un fort imprenable sur une hauteur dans la ville de Citharison, qui est une ville de l'Astianène. Il y fit conduire de l'eau, & toutes sortes de provisions : y mit une bonne garnison avec un Commandant, & établit par ce moyen le repos de l'Arménie.

3. Il y a une contrée nommée la Corsane, qui s'étend l'espace de trois journées, depuis Citharison vers Théodosiopole & vers la seconde Arménie. Il n'y a ni étang, ni rivière ni montagne, ni embouchure qui la sépare de la Perse. Les frontières n'étant presque pas connues, ceux qui les habitent vivent ensemble sans crainte d'hostilité, cultivent leurs terres, entretiennent le commerce, contractent mariage. Quand un Capitaine d'une des Nations, pour satisfaire aux ordres de son Prince, marche à la tête de ses troupes, il trouve toujours cet endroit-là hors de défense. Comme il n'y avait ni troupes ni places sortes, les Perses y entraient quand il leur plaisait, & venaient sur nos terres. Voici comment Justinien leur en ferma le passage. Il y avait au milieu un bourg nommé Artalése, qu'il entoura de murailles & où il éleva une Citadelle, & laissa une garnison sous un Commandant, que les Romains appellent Duc, c'est-à-dire Capitaine,

 

CHAPITRE IV.

 

Réparations de plusieurs petites places.

 

1. Apres avoir rapporté ce que Justinien a fait faire dans le pays dont je viens de parler, il faut que je décrive ce qu'il a fait faire dans l'autre partie de l’Arménie. La ville de Satale était autrefois dans une appréhension continuelle, parce qu'étant voisine des ennemis, elle était encore entourée de hauteurs qui la commandaient de tous côtés. Mais si son assiette était désavantageuse, ses murailles étaient encore plus mauvaises. Car outre qu'elles n'avaient jamais été solides, elles étaient presque ruinées par le temps. Justinien en fit faire de neuves d'une hauteur qui surpassait toutes les éminences d'alentour, & d'une épaisseur suffisante pour porter une telle charge. Il fit élever en dehors une seconde muraille qui donna de l'étonnement aux ennemis. Et de plus il fit bâtir assez proche une forteresse dans l'Osroène.

2. Il y avait dans cette Province un fort sur le haut d'une roche très escarpée, que Pompée avait autrefois pris, fortifié, & nommé Colonie. Comme la longueur du temps l'avait fait presque tomber en ruine, Justinien le fit réparer, & distribua de grandes sommes d'argent aux paysans d'alentour, tant pour construire de nouveaux forts, que pour réparer ceux qui étaient déjà construits. Ainsi toutes les fortifications qui sont dans ce pays, doivent être considérées comme des ouvrages de cet Empereur. Il a fait bâtir dans le même pays les forts de Béberdon, & d'Aréon, & réparer ceux de Lysiorme, & de Lytararise. Il a fait construire de neuf un fort dans un lieu nommé le fossé de Germain. Il a réparé les murailles de Sébaste, & de Nicopole, villes d'Arménie, qui menaçaient de ruine. Il y a même fondé des Eglises & des Monastères. Il a fait élever une Eglise à Théodosiopole en l'honneur.de la sainte Vierge. Il a fait réparer un Monastère dans un lieu nomme Pétrios & un autre dans un autre lieu nommé Cucarise. Il a fondé dans la ville de Nicopole le Monastère des quarante-cinq Saints & dans celle de Bizane l'Eglise de saint Georges martyr. Il a encore fait réparer le Monastère de quarante Martyrs, proche de Théodosiopole.

2. Il y avait dans l'Arménie mineure, assez proche de l'Euphrate, un lieu appelé Mélitène, où une Légion. Romaine était en garnison : les anciens Romains y avaient bâti un fort d'une figure carrée, dans une nue campagne, pour mettre les soldats à couvert, & pour serrer les Etendards. Trajan en avait fait depuis une ville, qui est devenue la Métropole du pays. Comme le peuple était accru de telle sorte, qu'il ne pouvait plus loger dans le fort, il avait bâti des maisons alentour, des Palais, des Eglises, des marchés, des places publiques, des galeries, des bains, des théâtres, & les autres édifices, qui peuvent relever la splendeur d'une ville. L'Empereur Anastase eut dessein depuis, de l'enfermer de murailles, mais étant mort sans exécuter ce qu'il avait projeté, il réserva cette gloire à Justinien, qui la mit en état de servir en même temps & d'ornement & de défense à l'Arménie.

 

CHAPITRE V.

 

1. Théodosiopole fondée par Théodose, & réparée par Justinien

2. Justinienne fondé par ce même Prince.

 

1. Voila ce que l'Empereur a fait faire dans la partie de l'Arménie qui est au côté droit de l’Euphrate. Voyons maintenant ce qu'il a fait faire dans la grande Arménie. Lorsque Théodose devint maître au Royaume d'Arsace, il bâtit sur une colline un fort, qu'il nomma de son nom. Comme ce fort était aisé à prendre, Cavade le prit en passant, & en allant à Amide.

2. Anastase fonda depuis une ville dans laquelle il renferma la colline & le fort. Quoi qu'il fit pour lui donner son nom, il ne put lui ôter celui de son premier fondateur. Car quelque changement qu'on apporte aux choses, on ne change pas aisément les noms auxquels les hommes sont accoutumez. La muraille de cette ville était allez large, mais la hauteur notant que de trente pieds, ne répondait pas à la largeur, & ainsi la muraille n’était pas en état de soutenir un siège, sur tout s'il était mis par les Perses. De plus, elle n'avait au dehors ni muraille, ni fossé, & elle était commandée par une hauteur voisine. Justinien s'avisa donc premièrement d'y faire creuser un fossé fort profond, & semblable à ceux que creuse la chute d'un torrent entre deux montagnes. Depuis, il fit couper des rochers, & tailler des précipices, & des abîmes. Et afin que la muraille fût d'une hauteur extraordinaire & tout à fait imprenable, il y fit faire des fortifications semblables à celles de la ville de Dara. Il fit boucher les créneaux de la muraille, & n'y laissa que l'ouverture nécessaire pour tirer. Outre cela il fit élever une galerie alentour, & mettre d'autres créneaux par dessus. Enfin il fit tirer par dehors une seconde muraille, il y ajouta tant d'autres fortifications, que chaque Tour pouvait passer pour une petite forteresse. Enfin il y établit une garnison, & un chef pour la commander, de telle sorte que les Arméniens ne peuvent plus appréhender que les Perses les attaquent de ce côté-là.

3. Que s'il n'a point fait de fortifications dans la Bizane, c'est que le pays est trop plat, qu'il est perpétuellement détrempé par une eau croupissante, & marécageuse malsain aux habitants, & ouvert aux étrangers. Justinien méprisant donc le lieu dont je parle, fonda dans un autre nommé Tzumine, dont l’air était fort pur, & fort tempéré, à trois milles de Bizane, une; autre ville à laquelle il donna son nom.

 

CHAPITRE VI.

 

1. Mœurs des Tzaniens. 2. Edifices élevés par Justinien dans leur pays.

 

1. Apres la description des Edifices que Justinien a élevés en Arménie, il est à propos de faire paraître ceux dont il a embelli le pays des Tzaniens, puisqu'ils en sont voisins. Ces peuples étaient autrefois indépendants r menaient une vie fort farouche, & adoraient des bois, des oiseaux, & d'autres bêtes. Ils n'habitaient qu'en des montagnes couvertes de forêts épaisses & sombres. Ils volaient au lieu de travailler, & ils ne vivaient que de larcin. Ils ne sont point accoutumés à l'agriculture. Aux endroits où leur pays n'est pas couvert de montagnes fort hautes, il l'est au moins d'une chaîne de collines pierreuses & stériles, qui ne pourraient porter aucun fruit quelque peine que l’on prît de les cultiver. La terre ne peut être labourée, & ne produit jamais de blé. On n'y voit ni prairies, ni pâturages. Les arbres qui y croissent sont des arbres inutiles & sauvages. Il n'y a point aussi de changement de saisons. Le terroir n'y est pas, tantôt humecté, & rafraîchi par les pluies, & tantôt essuyé & échauffé par le soleil. Mais il est toujours couvert de neiges, & comme condamné à un hiver éternel. Voila la raison pour laquelle les Tzaniens vivaient autrefois dans une entière liberté. Mais ils la perdirent sous le règne de Justinien, & comme ils virent qu'ils ne pouvaient résister à Tzita, capitaine de ses troupes, ils se rendirent volontairement. Ils changèrent à l'heure même de sentiment, & firent profession du Christianisme. En embrassant notre Religion ils quittèrent leur ancienne manière de vivre & ils renoncèrent aux brigandages pour servir les Romains dans leurs armées. Comme Justinien appréhendait qu'ils n’eussent envie de retourner à leurs premières coutumes, voici ce qu'il fît pour les retenir.

2. Leur pays était de difficile accès, & surtout à la Cavalerie, parce qu'il était entrecoupé de forêts, & de précipices, comme nous l'avons vu. Cette assiette était cause qu'ils n'avaient point de commerce avec leurs voisins, & qu'ils menaient une vie farouche & semblable à celle des bêtes. Justinien fit donc abattre les arbres qui en bouchaient les chemins, fit couper les hauteurs, & remplir les vallées. Il fît ensuite bâtir une Eglise dans un lieu nommé Scamalinique, pour faire leurs prières & il eut soin qu'ils y célébrassent les saints mystères. Il fit aussi bâtir divers forts, pour donner moyen aux Tzaniens d'entretenir correspondance avec les autres nations. Il est à propos de marquer précisément les endroits où ces forts ont été bâtis.

3. Il y a trois chemins qui par leur rencontre sont le commencement des limites de trois peuples ; des Romains, des Persarméniens, & des Tzaniens. Justinien fit bâtir en cet endroit un Château extrêmement fort, nommé Oronon, duquel en jetant les fondements il jeta en même temps ceux de la paix. Car ce fut par là que les Romains entrèrent la première fois dans le pays des Tzaniens. Il y établit aussi un Commandant, que les Romains appellent Duc, c'est à dire, Capitaine. Il y avait à deux journées d'Oronon, auprès des limites des Tzaniens surnommés Océnites, car ces peuples sont divisés en plusieurs cantons, un fort nommé Carton, qui par une longue négligence de ceux du pays était presque tombé en ruine. Justinien le fit réparer, & y établit une garnison pour la défense du pays d'alentour. Quand de là on avance vers l'Orient on rencontre une vallée fort profonde, qui s'étend du côté de Septentrion, où il fit bâtir un autre fort qu'il nomma Barcon; un peu au-delà, au pied d'une montagne, il y a quantité d'étables où les Tzaniens Océnites nourrissent des bœufs & des vaches, non pour s'en servir à labourer la terre, parce que, comme j'ai dit ci-devant, ils ne labourent point, mais pour se nourrir de leur lait, & de leurs chairs. Justinien fit encore réparer un autre fort nommé Sisilisse, que le temps avait ruiné, dans un lieu nommé Céna, qui est au milieu d'une rase campagne en tirant vers l'Occident, & y mit une bonne garnison. Il fit encore bâtir à gauche vers le Septentrion un autre fort, qu'il appela le bourg de Noë, dans un endroit qui a été sommé le fossé de Longin, à cause que ce Capitaine, qui était Isaurien, y campa autrefois avec les Romains qu'il commandait, lorsqu'il faisait la guerre aux Tzaniens. Enfin ce même Prince a fait construire sur la frontière des Tzaniens Coxyliniens, deux autres forts, dont l'un s'appelle Scimalinique, & l'autre Tzanzaque, & il y mit un Gouverneur.

 

CHAPITRE VII.

 

Édifices ou faits, ou réparés par Justinien, depuis Trébizonde jusqu'à Bosphore, & depuis Bosphore jusqu’à Anchiale.

 

1. Voila les ouvrages que l'Empereur a fait faire, dans le pays Tzaniens. Voyons maintenant, ceux qu'il a fait faire au-delà, & sur les bords du Pont-Euxin. Comme les habitants de Trébizonde étaient fort incommodés par la disette d'eau, il leur a fait construire un bel Aqueduc, qu'il nomma du nom de saint Eugène, martyr. Il a fait réparer tant en la même ville qu'en celle d'Amasée, plusieurs Eglises qui tombaient en ruine. Il a fait fortifier avec une telle dépense au pais nommé Risée, qui est au de-là des limites de Trébizonde, & y a fait bâtir un fort si considérable, qu'il n'y a point de fortifications semblables dans les villes voisines des Perses. Il a fait bâtir dans la Lazique un fort, nommé Lozorion, & il a tellement fortifié les Pas des montagnes qu'il n'est plus possible aux ennemis de les forcer. Il a fait rebâtir dans le même lieu une Eglise dont on appréhendait la chute. Il y a fait entièrement édifier la ville de Pétrée, qui est une fort belle ville, que les Laziens ont depuis livrée indiscrètement aux Perses, lorsqu'ils y ont mené l'armée de Chosroès & que les Romains ont enfin rasée, après avoir vaincu les Perses, & après en avoir tué & en avoir pris un grand nombre, comme je l'ai rapporté fort au long dans les livres de la guerre des Perses. J’ai raconté dans le même endroit comment les Romains démolirent deux forts en la terre ferme, à l'opposite par où l’on va de la Lazique aux Palus-Méotide, sur le bruit que Chosroès y envoyait des troupes: pour s'en emparer. Un de ces forts s’appelait Sébastopole, & l'autre Pitionte. Justinien a fait du fort de Sébastopole une grande ville, l’a entourée de murailles, & l’a embellie de magnifiques bâtiments.

2. De plus ayant appris que les murailles de Bosphore, & de Cherson, qui sont deux villes assises sur le bord de la mer, au-delà des Palus-Méotide, & au-delà des petits Tartares & des Tauroscythes, aux frontières de l'Empire, tombaient en ruine, il en fit faire de neuves. Il fit construire au même endroit deux forts, dont l'un se nomme Abuste, & l'autre Gorzubite. Surtout il prit un soin particulier des fortifications de la ville de Bosphore qu'il avait ôtée aux Huns, & réunie à l'Empire. Il y a en ce pays le long de la mer un endroit nommé Dory, qui est habité depuis longtemps par les Goths qui ne suivirent pas Théodoric lorsqu'il alla en Italie, & qui sont alliés des Romains, & qui les servent dans leurs armées. Leur nombre est de trois mille. Ce sont de vaillants soldats, de bons laboureurs, & les plus civils envers les étrangers qu'il y ait au reste du monde. Bien que leur pays soit sur une hauteur il ne laisse pas d'être fertile. L'Empereur n'y a jamais fait bâtir de ville, ni de fort, parce que les habitants aiment la liberté de la campagne. Il y a néanmoins fait construire de longues murailles pour les assurer contre les incursions des ennemis.

3. Il y a sur le bord du Pont-Euxin, une ville habitée par les Thraces, nommée Anchiale & dont il serait peut-être plus à propos de parler lorsque je ferai la description de la Thrace, qu'en cet endroit, mais puisque j'ai commencé à représenter les Edifices que l'Empereur a élevés sur le bord de cette mer, je dirai ici ce qui concerne cette ville. La nature produit là des sources d'eaux chaudes, qui fournirent aux habitants des bains très commodes. Les Empereurs précèdent avaient tellement négligé de fortifier ce pays-là, que les malades ne pouvaient chercher dans ces eaux le remède a leurs maladies, sans se mettre en danger de perdre la vie ou la liberté. Il n'y a eu que Justinien qui en l'enfermant de murailles a rendu ce bain aussi sûr qu’il était salutaire. Voila les fortifications qu’il a fait faire en Orient, en Arménie, en Tzanique, & sur les bords du Pont-Euxin. Voyons maintenant les Edifices qu'il a élevés dans le reste de l'Europe.