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POLYBE

Histoire générale

LIVRE XXXVII (fragments)

texte grec

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la numérotation des chapitres et des livres étant différente, j'ai mis au-dessus du texte le livre et le chapitre de l'édition de la pléiade.

 

 


 

LIVRE XXXVII.

SOMMAIRE.

I, II. Guerre contre Andriscus. Diverses opinions des Grecs sur cette guerre et sur celle que Rome faisait à Carthage. Polybe envoyé à Lilybée par les Achéens. Il s'arrête à Corcyre et revient dans le Péloponnèse. Courte digression. Statues de Lycortas rétablies. Guerre en Asie entre Prusias et son fils Nicomède. Les Romains interviennent. - Il-IV. Portraits de Prusias et de Massinissa. - V. Digression sur l'intervention de la fortune dans les choses humaines. Quand faut-il, à propos de certains phénomènes, interroger les dieux? Quand, la raison?

(Pendant que les Romains attaquaient Carthage, la Macédoine se soulevait. - Un aventurier, du nom d'Andriscus, se donne comme fils de Persée, et entre en armes en Macédoine. - Polybe racontait ici une partie de cette lutte, connue l'indiquent 1° ce fragment.)

37. 1.

I. Le Musée situé près du mont Olympe, en Macédoine ;

(2° Un autre passage que nous citerons plus tard, et où il est question de victoires remportées par l'usurpateur.)
(Considérations sur cette guerre et sur celle de Carthage.)

36. 9.

I a (01). Aussitôt que les Romains eurent déclaré la guerre aux Carthaginois et au pseudo-Philippe, mille commentaires différents circulèrent à ce sujet dans la Grèce; avant tout on parlait de Carthage, ensuite venait Andriscus. La guerre de Carthage provoqua les opinions et les jugements les plus opposés. Les uns approuvaient les Romains et vantaient la sage politique de leurs conseils pour la conquête de l'empire. Détruire cet objet de crainte toujours menaçant, une ville qui avait longtemps disputé la puissance à l'Italie et qui ne manquerait pas de prendre les armes à la première occasion, et affermir par ce grand coup l'autorité de Rome, était l'œuvre d'hommes prudents et qui voyaient loin dans l'avenir.
1 b. D'autres répondaient à ces panégyristes que ce n'était pas dans de telles vues que les Romains faisaient ces conquêtes; que peu à peu ils se laissaient aller à l'ambition inquiète de Sparte et d'Athènes; qu'ils marchaient dans cette voie plus lentement que ces deux républiques, mais qu'ils arriveraient évidemment à la même fin ; qu'ils s'étaient d'abord bornés à faire la guerre jusqu'à la victoire, jusqu'au moment où l'ennemi reconnaîtrait lui-même qu'il devait obéir et se soumettre aux ordres de Rome; qu'ils avaient préludé à leur politique nouvelle par leur conduite à l'égard de Persée, par la destruction totale du royaume de Macédoine, et qu'ils l'achevaient aujourd'hui par leur rigueur à l'égard de Carthage sans qu'elle eût rien fait d'impardonnable; ils avaient pris contre elle des mesures de la dernière sévérité, et cependant elle avait accepté toutes leurs conditions, consenti à toutes leurs exigences.
I c. Quelques-uns disaient encore qu'en général les Romains étaient des politiques fort habiles, et qu'ils avaient cette maxime particulière, maxime dont ils tiraient surtout vanité, de faire la guerre d'une manière ouverte et franche, sans avoir recours aux attaques et aux embuscades de nuit; de tenir pour infâme tout ce qui était dol ou ruse, de regarder comme seulement dignes d'eux les périls bravés au grand jour et en face ; mais que dans leur querelle avec Carthage ils avaient agi avec fourberie et perfidie, par des promesses et par des réticences employées tour à tour en peu de temps, jusqu'à ce qu'ils eussent enlevé à leurs rivaux tout espoir d'être secourus de leurs alliés; que de tels procédés étaient plutôt ceux d'un roi que d'une république, de Rome surtout, et qu'ils ressemblaient fort, à proprement parler, à de la déloyauté et à un sacrilège. On répliquait que si , avant le jour où les Carthaginois s'étaient livrés à Rome, les Romains avaient, comme on le disait, fait telle ou telle ouverture positive, ou laissé entrevoir telle ou telle intention, ils mériteraient en effet les reproches qu'on leur adressait; mais que si, après avoir vu les Carthaginois leur donner pleine licence de les traiter suivant leur bon plaisir, ils avaient seulement profité de cette liberté pour faire entendre leurs ordres, il n'y avait rien en cela qui ressemblât à un sacrilège, ou comme on le prétendait encore, à une perfidie (02). Qu'entendait-on par un sacrilège? un crime envers les dieux, envers un père ou une mère, envers les morts ; par perfidie? une infraction à des conventions rédigées d'après les usages sacramentels et sous la foi du serment. Or, les Romains n'étaient coupables d'aucune faute semblable; ils n'avaient manqué en rien au respect dû aux dieux, aux parents et aux morts : ils n'avaient pas davantage violé leurs serments et les traités : tout au contraire, ils reprochaient aux Carthaginois de les avoir foulés aux pieds, tandis qu'ils avaient religieusement observé les lois et les usages de leurs ancêtres, et qu'ils étaient demeurés fidèles à cette loyauté que rien jusqu'alors n'avait ternie. C'était parce que ces mêmes Carthaginois, qui leur avaient abandonné le soin de faire d'eux ce qu'ils voulaient, n'obéissaient pas à leurs ordres qu'ils étaient contraints d'agir ainsi.

36. 10.

I d. Tels étaient les propos tenus sur les Romains et les Carthaginois. Quant au pseudo-Philippe, le bruit de son apparition en Macédoine parut d'abord inadmissible : tout à coup tombait des nues un Philippe, au mépris des Romains et des Macédoniens à la fois, et sans aucune chance probable pour le succès d'une telle imposture : il n'était personne qui ne connût bien le véritable Philippe, mort vers dix-huit ans en Italie, à Albe, deux années après Persée ! Lorsque, deux ou trois mois plus tard, se répandit la nouvelle qu'il avait vaincu les Macédoniens au delà du Strymon, dans le pays des Odomantiques, quelques-uns commencèrent à ajouter foi à la rumeur publique, mais le plus grand nombre refusa encore d'y croire. Enfin, quand on apprit qu'il avait une seconde fuis battu les Macédoniens, qu'il était le maitre de tout le pays qu'arrose le Strymon et de la Macédoine entier , quand on vit les Thessaliens, et par des lettres et par des députés, demander aux Achéens de les secourir, ce fut un étonnement universel, une surprise générale : il n'y avait dans tout ce qui passait ni probabilité ni vraisemblance. Telles étaient les dispositions des esprits à ce sujet.

(Déjà en Achaïe le parti de la guerre préparait cette lutte fatale où Corinthe devait succomber. - Cependant les Achéens fournirent rentre Andriscus des secours aux Romains, et nous les voyons, sur la seule prière du consul, se hâter d'envoyer Polybe à Lilybée.)

36. 11.

I e. Bientôt arriva dans le Péloponnèse une lettre adressée aux Achéens par Manilius : il leur écrivait qu'il leur saurait gré d'envoyer au plus vite Polybe à Lilybée, parce que sa présence importait à la république. Les Achéens décidèrent, suivant la prière du consul, de le faire partir, et moi, pensant qu'il m'était utile pour plus d'une raison d'obéir aux Romains, je laissai aussitôt tout de côté et m'embarquai au commencement de l'été. Mais parvenu à Corcyre, j'y reçus une nouvelle lettre, envoyée par les consuls aux Corcyréens, qui leur annonçait que les Carthaginois avaient remis les otages et étaient disposés à recevoir les ordres de Rome. Je crus que la guerre était achevée et que par là même il n'était plus besoin de moi à Lilybée. Je revins dans le Péloponnèse.

36. 12.

I f. Qu'on ne s'étonne pas, si nous nous désignons tantôt par notre propre nom, tantôt par ces formules générales sur mon avis, avec notre assentiment. Comme nous nous sommes trouvé souvent mêlé aux événements que nous avons à décrire, il est nécessaire de varier ainsi les tournures, de peur qu'en employant sans cesse le mot Polybe, nous n'encourions le reproche d'uniformité, et que, d'autre part, en répétant je, sur mon conseil, nous ne rebutions nos lecteurs. Nous voulons, par l'emploi simultané de ces formes et par notre soin à les alterner autant qu'il est nécessaire, éviter au public l'ennui attaché au retour continuel du moi dans le récit : ce retour a je ne sais quoi de déplaisant par nature, et cependant il est quelquefois inévitable : il est des circonstances où on ne peut raconter autrement un fait. Du reste, par un heureux hasard, j'ai en cela l'avantage que personne jusqu'ici n'a, si je ne m'abuse, porté le même nom que moi.

(Dans ce Péloponnèse où Polybe rentrait, tout était bouleversé. - Sparte se révolte contre l'Achaïe, et malgré le sénat les Achéens ravagent le territoire de la ville rebelle. - Les statues de Callicrate sont renversées, celles de Lycortas rétablies (03). )

36. 13.

I g. Quand on vit, par un retour de fortune, les statues de Callicrate plongées dans l'obscurité, et celles de Lycortas publiquement rétablies à leur ancienne place au grand jour, ce curieux spectacle força tout le monde à proclamer cette vérité : c'est qu'il ne faut jamais être orgueilleux à l'égard d'autrui dans la prospérité, et qu'on doit toujours penser qu'un des traits les plus ordinaires de la fortune est de rendre victimes de leurs rigueurs et de leurs propres machinations ceux même qui les avaient imaginées contre autrui.

(Sans parler de toutes les autres causes qui peuvent inviter les hommes à tenter des révolutions,)

36. 13 (suite)

l'amour que les hommes ont pour la nouveauté est déjà un assez puissant mobile.

(Pendant que l'Achaïe remuait, l'Asie n'était pas plus tranquille. - Prusias soutenait une guerre contre sont fils Nicomède, qu'il avait voulu faire périr durant un voyage à Rome, et qui était aussi agréable au peuple que Prusias lui était odieux. - Portrait de ce prince. - Les Romains interviennent. )

36. 15.

Il. Prusias était laid et il ne valait pas mieux par l'esprit que par le corps. Petit de stature, il n'avait ni énergie, ni valeur guerrière. Il était, je ne dirai pas seulement timide, mais encore incapable de supporter toute fatigue. Durant sa vie entière, il se montra efféminé au physique comme au moral; or, les peuples en général, et surtout les Bithyniens, s'accommodent mal de cette mollesse dans un roi. II avait de plus je ne sais quelle fougue criminelle qui l'emportait aux plaisirs sensuels. Il demeura constamment étranger aux lettres, à la philosophie et aux nobles études qui s'y rattachent : enfin, le sentiment du beau était chez lui aussi nul que possible ; il menait nuit et jour la vie d'un Sardanapale. Aussi, à la première espérance que purent concevoir ses sujets, ils se déclarèrent contre lui avec la plus vive ardeur, et même ne songèrent plus qu'à tirer vengeance.

36. 14.

Il a. Les Romains envoyèrent des députés pour arrêter la marche de Nicomède et empêcher Attale de faire la guerre à Prusias. Ces députés étaient Marcus Licinius, qui était goutteux et paralytique des pieds ; Aulus Mancinus, qui avait été frappé d'une tuile à la tête , et si fort maltraité que c'était merveille qu'il s'en fût sauvé; enfin Lucius Malléolus, qui passait pour le plus inintelligent des Romains. L'affaire en question demandant activité et audace, de tels députés étaient incontestablement les moins propres à remplir cette mission. On rapporte que Caton dit à ce propos, en plein sénat, qu'avec de tels commissaires, non seulement Prusias resterait enfermé dans la citadelle de Nicée, mais encore que Nicomède vieillirait sur le trône. En effet, comment pourraient-ils se hâter, et en se hâlant même, réussir, eux qui n'avaient ni pieds, ni tête, ni cœur (04).

(Vers cette même époque mourut Massinissa.)

36. 16.

III. Ce prince (05) fut le plus heureux et le meilleur des rois de notre temps : il régna plus de soixante ans, toujours florissant de santé, et sa longue existence fut de quatre-vingt-dix années : il l'emporta sur tous ses contemporains en vigueur. Fallait-il être debout, il s'y tenait tout un jour sans remuer; rester assis, il ne se levait pas : il supportait la fatigue d'être à cheval nuit et jour sans en être incommodé. Une preuve de sa force physique, c'est que, âgé de quatre-vingt-dix-ans, à l'époque où il mourut, il laissa un fils de quatre années, Stembales, que Micipsa adopta plus tard , et avec Stembales quatre autres fils. Grâce à la bonne intelligence qui régnait entre eux, il vit pendant toute sa vie son palais fermé aux manœuvres et aux intrigues domestiques. Mais voici le fait le plus éclatant et le plus beau de son règne. La Numidie avait été jusqu'alors stérile et regardée comme incapable de produire des fruits mangeables; il montra le premier qu'elle pouvait aussi bien qu'aucune autre terre en porter, en fécondant des terrains immenses qu'il réserva de distance en distance à telle ou telle production. On ne saurait payer trop justement à sa mémoire un tribut d'éloges. Scipion se transporta à Cirta trois jours après la mort de ce prince, et régla tout avec une grande sagesse.
Massinissa, peu avant de mourir, avait vaincu les Carthaginois; on le vit le lendemain, devant sa tente, manger du pain grossier; et comme les officiers s'en étonnaient, il leur en dit la raison....

(Peut-être Polybe revenait-il à l'histoire des succès d'Andriscus, et s'étonnant de ces victoires il faisait la digression suivante : )

36. 17.

IV. Je veux dire quelques mots sur cette intervention de la fortune dans les événements d'ici-bas, autant que le permet la nature d'une histoire consacrée aux faits. Pour les phénomènes dont il est impossible, ou difficile du moins à l'intelligence humaine de trouver les causes, peut-être est-il juste, en un tel embarras, de les attribuer simplement à la fortune ou aux dieux, tels que par exemple le règne constant des pluies torrentielles, le froid ou les chaleurs extrêmes qui tuent les moissons, les maladies pestilentielles ou quelques-uns de ces incidents dont il est malaisé de pénétrer les motifs. C'est alors sagesse à nous, ce me semble, de nous conformer aux idées du vulgaire, et en présence de telles difficultés, d'adresser à la divinité nos prières et nos sacrifices, et d'envoyer demander aux oracles par quelle conduite, par quelles paroles, nous pourrions revenir à un état meilleur et obtenir quelque relâche à nos maux. Mais lorsqu'il est question de choses dont il est facile de reconnaître la raison, de s'expliquer l'origine et le développement, il ne faut plus se contenter de les attribuer à la divinité. Citons, entre autres faits, ce décroissement de population, cette pénurie d'hommes qui, de nos jours, se fait sentir dans toute la Grèce, et qui rend nos villes désertes, nos campagnes incultes, sans que cependant des guerres continuelles ou des fléaux tels que la peste aient épuisé nos forces. Si on s'imaginait d'envoyer consulter les dieux à ce sujet, et de leur demander par quelles paroles et par quels actes la Grèce pourrait être peuplée davantage, et les villes plus heureuses, ne serait-ce pas folie de le faire quand la cause en est évidente, et les moyens d'y remédier en nous-mêmes? Au milieu d'une population livrée tout entière à l'orgueil, à l'avarice, à la paresse; qui ne veut ni se marier, ni nourrir les enfants nés en dehors du mariage, ou du moins n'en nourrir qu'un ou deux, afin de leur laisser de plus grandes richesses et de les élever au sein de l'abondance, le mal a secrètement grandi avec rapidité. Sur ces deux enfants, la guerre ou la maladie en détruisent souvent un; par là, les maisons sont devenues nécessairement peu à peu solitaires, et, de même que parmi les essaims d'abeilles, les villes ont perdu, avec leur population, leur puissance. A quoi bon, encore une fois, aller demander aux dieux les moyens de réparer un tel dommage? le premier homme venu nous dira que nous n'avons, pour y remédier, qu'à corriger nos mœurs, ou du moins à obliger, par une loi, les pères à élever tous leurs enfants : il n'est plus besoin ici de devins et d'augures. Or, on peut appliquer cette vérité à chaque fait isolé de cette nature. Il n'y a donc que les événements dont les causes sont introuvables, ou difficiles à trouver, sur quoi il faille s'abstenir de prononcer, et parmi ces événements exceptionnels on peut compter ce qui se passait en Macédoine. Les Macédoniens avaient été en commun comblés de bienfaits par Rome; ils avaient vu la royauté abolie et l'esclavage se changer pour eux en liberté: au contraire, ils avaient en particulier souffert mille dommages de la part du faux Philippe, et cependant ils s'unissent à lui contre les Romains! De plus, sous Démétrius, sous Persée, ils se laissent vaincre, tandis que, combattant pour un tyran, ils soutiennent son empire avec un courage incroyable et sont souvent vainqueurs. Qui ne serait embarrassé d'expliquer un fait si étrange? Il est bien difficile d'en donner la cause. Il faut dire que de tels sentiments, pour Andriscus, sont chez les Macédoniens un effet de la colère céleste, et que sur eux s'abat ainsi le courroux des dieux : vérité que la suite éclaircira.



(01)  Quatrième année de la CLVIIe olympiade.
(02) Le texte est fort altéré en cet endroit; mais le sens général subsiste encore au milieu de ces fragments de phrases et de mots.
(03) Histoire romaine de M. Poirson.
(04) Tite Live, épit. 50.
(05) Voir Appien, histoire de Carthage, § 106.