Jean Catholicos

PATRIARCHE D'ARMÉNIE JEAN VI, DIT JEAN CATHOLICOS.

 

HISTOIRE D'ARMENIE : chapitres CXXI à CLX

chapitres CI à CXX - chapitres CLXI à fin

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

HISTOIRE D'ARMÉNIE.

 

CHAPITRE CXXI.

Lorsque le sbarabied Aschod arriva, il trouva tout son pays dans l'agitation. Il vit ses sujets vendus dans les marchés ou couchés comme morts et abandonnés de côté et d'autre, ou dispersés par les nations étrangères ; son habitation chérie avait été dévastée, pillée et ravagée par le fils de roi Aschod et par les troupes romaines, ainsi que toutes ses autres maisons de plaisance et tous ses bourgs. Les deux Aschod se conduisirent l'un envers l'autre comme des ennemis étrangers, et se livrèrent un grand nombre de combats ; dans ces combats et dans tous les engagements, ils se comportaient avec une grande valeur. Comme ils se voyaient tous les deux revêtus du titre de roi, ils étaient animés d'une violente haine en combattant l'un contre l'autre. C'était pour la même raison que, dans leurs demandes réciproques, ils se conduisaient très mal et avec arrogance. Dans ce temps, le grand ischkhan de Siounie, Sempad, se rendit du pays de Vasbouragan auprès d'Aschod, fils de roi, qui, après l'avoir reçu avec beaucoup de marques d'honneurs et avec une amitié sincère, l'éleva au plus haut degré d'honneur et de gloire. Le grand prince arménien, Vasag, frère cadet de l'ischkhan Grégoire, s’y rendit aussi, fut reçu avec les mêmes distinctions, avec les mêmes honneurs, et fut élevé au même degré de gloire. Sur ces entrefaites, l'inimitié subsistante entre les deux princes du nom d'Aschod, qui portaient l'un et l'autre le titre de roi, devint encore plus violente qu'elle ne l’était déjà.

CHAPITRE CXXII.

Cependant, après tous ces événements, je saisis un moment favorable pour me mettre en route, et m'étant rapproché de ces deux princes, après avoir quitté le lieu éloigné où la persécution m'avait jeté, je m'efforçai d'arranger les affaires, de mettre la paix entre eux et de les réunir par des liens de fraternité. Tous les deux, par obéissance, s'étant rendus auprès de moi dans un esprit de soumission, un traité fut conclu, et je parvins à rétablir entre eux l'union, la paix et la tranquillité.

CHAPITRE CXXIII.

Après cela le roi Aschod, fils de roi, se mit en marche, s'avança vers la province de Gougarg, auprès d'un grand fort qui est nommé, en langue géorgienne, Schamschoulde (Schamschoulté),[1] c'est-à-dire les trois Flèches, parce que le peuple qui habitait autour de ce fort avait été soumis à la domination du roi Sempad, père d'Aschod, qui avait placé, comme commandants et gardiens de la forteresse de cette contrée, deux frères, Vasag et Aschod, de la race des Genthouniens. Le roi Aschod exigeait d'eux qu'ils fissent acte d'obéissance, et qu'ils vinssent auprès de lui pour remplir avec fidélité leur devoir de sujets. Mais comme il remarqua que les provisions de ses troupes avaient beaucoup diminué et n'étaient plus de bonne qualité, il fut obligé d'envoyer son armée dans la province voisine pour qu'elle s'y procurât les subsistances qui lui étaient nécessaires, et lui-même dut revenir sur ses pas. Il partit emmenant avec son frère Abas (Apas), distingué par sa beauté, deux cent soixante hommes, et il alla s'établir avec tout son monde auprès d'un fort nommé Sagoureth.

CHAPITRE CXXIV.

Quand Vasag et Aschod virent qu'on rassemblait des forces contre eux, que tout leur manquait, que personne ne venait les secourir et que tout était dans le trouble et dans la confusion, ils réunirent avec célérité leurs troupes, et demandèrent secrètement des recours aux cantons qui leur étaient soumis, à leurs alliés, aux garnisons de Tiflis et des gorges du Caucase. Ils formèrent un corps d'à peu près quatre mille hommes armés d'épées, de boucliers, de lances et de javelots, et s'étant avancés contre les troupes royales, ils fondirent inopinément sur elles et les mirent en déroute. Celles-ci, se voyant entourées par une forte cavalerie et une multitude de troupes à pied, levèrent leurs bras au ciel, avec beaucoup de gémissements et de pleurs, pour implorer le secours du seigneur Dieu, qui seul pouvait mettre en fuite ces milliers d'hommes. Après avoir fait le signe de la croix, elles montrèrent une terrible agitation, et s'élançant courageusement contre l'ennemi, en un clin d'œil elles jetèrent le désordre dans les rangs de cette troupe de guerriers. Une multitude de paysans se leva pour se joindre à elles, et avec leur assistance, les quatre mille guerriers qui les avaient attaquées furent défaits, enfoncés et mis en déroute : les uns furent massacrés ou déchirés ; ils périrent par le tranchant du glaive, la pointe des flèches ou le fer des lances ; on fit les autres prisonniers. Parmi ceux qui étaient Sarrasins, les uns furent mis à mort, les autres eurent le nez et les oreilles coupés. Les chrétiens furent épargnés, et après qu'on les eut pillés et dépouillés, on les laissa partir et aller au loin. Enfin il n'échappa presque personne d'entre les attaquants, à l'exception cependant de Vasag, qui s'enfuit avec quelques hommes et se jeta dans le fort de Schamschoulde.

CHAPITRE CXXV.

Quand cette affaire fut terminée, le roi Aschod, tel qu'un nouveau Gédéon, revint sur ses pas, fondit sur le camp des étrangers et en fit un grand carnage ; puis, son frère et lui, après avoir remporté des victoires éclatantes et ramassé un riche butin, retournèrent pleins de joie, par le pays des Ibériens, vers leur cher ami l'ischkhan Gourgen.

CHAPITRE CXXVI.

Le doux et patient ischkhan de Siounie, marchant, par le mont Aragadz, sur les pas d'Aschod, fils de roi, alla au-devant de ses trois frères, Isaac (Sahak), seigneur de Siounie, Papgen et Vasag. Quand ils furent arrivés, ils passèrent dans le pays soumis à leur souveraineté. Ils s'étaient soustraits par la fuite à leur persécuteur Youssouf. Ce qui est admirable, c'est qu'ils étaient unis par une étroite amitié et par une communauté d'opinions. Ils gouvernèrent leurs propres principautés, s'occupant beaucoup de rebâtir ou de restaurer dans le pays de leurs pères ce qui avait été renversé et détruit par les ennemis. Les femmes et chacun des frères furent rachetés de captivité, et arrachés des mains des ravisseurs après l'espace d'un an. Depuis ils restèrent tranquilles sur leurs trônes et dans les palais de leurs principautés.

CHAPITRE CXXVII.

Les deux frères arméniens, Isaac (Sahak) et Vasag, qui en vertu des droits de leur race, étaient possesseurs des provinces situées autour de la petite mer de Gegham, revinrent, à cette époque, des contrées lointaines où ils s'étaient réfugiés, et gouvernèrent les pays héréditaires qui leur étaient soumis.

CHAPITRE CXXVIII.

Le roi Aschod dont je vais maintenant parler, apprit que l'autre roi de son nom, fils du frère de son père, cessant d'être fidèle à l'engagement qu'ils avaient réciproquement contracté, tâchait d'agrandir sa domination, en soumettant les bourgs et le territoire qui sont autour de la ville de Vagharschabad. Il s'ensuivit une inimitié entre eux, et ils préparèrent, chacun de leur côté, une grande quantité de troupes à pied et à cheval. Aschod, fils de roi, se tenait alors, plein de courage, dans un bourg nommé Vaghavern, où il s'était fixé. Il était occupé, au lever de l'aurore, à reconnaître l'ennemi, lorsqu'il se décida à fondre inopinément sur ses adversaire ; il mit en déroute leur corps et leurs bataillons, en conduisant ses troupes contre eux. Dans un seul instant et par un mouvement spontané, le chef et toute l'armée attaquée prirent la fuite. Aschod ramassa un butin et des dépouilles immenses, avec une grande quantité de vêtements, d'armes, de chevaux et de mulets. Après cela, il retourna sur ses pas et revint à la ville de Vagharschabad, dans laquelle il fit pendant quelque temps sa résidence. L'autre Aschod se mit aussi en marche de son côté et s'arrêta dans la ville de Tovin.

CHAPITRE CXXIX.

Je me rendis auprès d'eux et m'efforçai, par mes ardentes prières et mes larmes, de faire disparaître l'animadversion et la vite et violente haine que, par de mortelles perfidies, on avait été amené à concevoir contre Aschod, fils de roi. En élevant mes clameurs, je tâchai de détruire au milieu d'eux la méchante semence de la zizanie, afin qu'il ne leur restât aucun levain d'animosité. Aussitôt ils firent entendre des paroles d'obéissance pour montrer le désir qu'ils avaient de vivre en paix ; mais cela ne dura pas longtemps ; ils n'en restèrent pas aux bons procédés, et bientôt ils s'attaquèrent en montrant l'un contre l'autre une méchante haine. Ainsi, de nouveau, ils s'accusaient réciproquement de crime et de perfidie ; et tous deux, ils se poursuivaient. Avec leurs troupes, ils employaient leurs efforts à tout bouleverser, renverser, piller, troubler et détruire dans les contrées soumises à leur propre domination ; ils semblaient prendre à tâche d'anéantir leur grandeur et leur gloire ; ils donnaient aux nations étrangères la richesse du pays, et ils répandaient sur leur chemin les marques de leur pauvreté. C'est ainsi que, pendant l'espace de deux ans, ils se tourmentèrent mutuellement par les incursions qu'ils faisaient l'un chez l'autre. Quant à moi, j'étais triste et digne de compassion ; mon âme était tourmentée ; plusieurs jours j'habitai auprès de ceux qui détestent le salut. J'employai tous mes efforts pour rétablir la paix ; je parlais toujours ; mais eux me résistaient.

CHAPITRE CXXX.

Le roi Aschod, fils de roi, ayant fait un voyage, prit pour femme la fille du grand ischkhan Isaac (Sahak), surnommé Sévata. Ensuite il alla en Perse et rétablit les affaires. Alors l'osdigan Youssouf lui envoya une couronne royale, des robes et des joyaux superbes, marques éclatantes d'honneur ; des chevaux couverts de caparaçons et de toutes sortes d'ornements magnifiques en or, et, outre cela, le secours

d'une armée arabe composée de cavalerie. Aschod fut couronné avec le diadème que lui avait donné l'osdigan, qui lui envoya de nouveau beaucoup de robes d'honneur et des sommes considérables d'argent. Comme il avait avec lui les troupes de l'ischkhan Isaac (Sahak), son beau-père, il se mit en marche, et s'approcha des portes de la ville de Tovin, parce que l'autre roi de son nom s'était fixé dans cette ville et s'y trouvait. Ils déployèrent et rangèrent leur armée pour combattre l'un contre l'autre. Alors, moi, je pariai encore de paix à chacun d'eux, comme je l'avais déjà fait une fois, deux fois et trois fois ; mais Aschod, fils de roi, se reposant sur la grande quantité de ses troupes et espérant beaucoup de leur valeur, s'enfla d'orgueil et d'arrogance, ce qui vraisemblablement déplut au Seigneur. Lorsque les deux partis se livrèrent bataille, Grégoire, beau-père d'Aschod, fils de roi, et le fils de l'ischkhan Sévata, se troublèrent, et firent de faux mouvements qui furent cause que les troupes d'Aschod, fils de roi, prirent la fuite devant leurs adversaires. Beaucoup de ses soldats furent donnés pour pâture à l'épée, conformément à ce que dit le sage, que le Seigneur est l'ennemi des arrogants.

CHAPITRE CXXXI.

Après cela, le fils de roi s'étant mis en marche, arriva auprès du grand ischkhan des Ibériens, Gourgen ; et après avoir reçu de lui beaucoup de troupes, il rebroussa chemin de nouveau, et se porta vers la ville de Vagharschabad. Quand j'appris cela, je ne donnai pas aux deux Aschod le temps de profiter de ma faiblesse pour combattre encore l'un contre l'autre. J'allai à leur rencontre, et, leurs conseillers m'ayant secondé, nous donnâmes de sages et excellents avis à ces deux princes, et nous parvînmes à rétablir l'amitié entre eux.

CHAPITRE CXXXII.

Vers ce temps-là, l'ischkhan de Siounie, Isaac (Sahak), qui possédait en propre une province sur le bord de la petite mer de Gegham, sortit de la vie et mourut, laissant pour successeur un fils qui était encore dans l'enfance. On plaça son corps dans un tombeau auprès de la porte de l'église de son palais, dans le bourg de Nöradounk'h.

CHAPITRE CXXXIII.[2]

Cependant le roi Aschod, fils de roi, se mit en marche et se rendit auprès du grand ischkhan. Isaac (Sahak), son beau-père ; ensuite, avec toutes les troupes qu'il réunit autour de lui, il alla dans la province d'Oudie pour réduire à l'obéissance le rebelle et le révolté Môsès, que lui-même il avait établi ischkhan et chargé d'exécuter les ordres qu’il donnait à toutes les populations pacifiques de cette province.

CHAPITRE CXXXIV.

Peu après, le grand chorévèque, qui gouvernait une partie du pays de Gougarg, non loin de la porte des Alains, se mit en marche avec beaucoup de troupes pour aller renforcer l'armée du roi. Lorsque Môsès vit les forces considérables auxquelles on avait donné ordre de marcher contre lui, il fit un grand armement, et rassembla une immense quantité de troupes ; elles étaient comme des gouffres, ou comme des torrents qui inondent de chaque côté. Tous ces guerriers s'avancèrent promptement et avec arrogance pour repousser et chasser de leur territoire le roi Aschod.

CHAPITRE CXXXV.

Toutefois le roi envoya à Môsès un message pour rallumer le feu de la fidélité, qui s'était éteint, et pour obtenir que ce rebelle revînt à l'obéissance et vécût en paix et dans la tranquillité. Mais celui-ci répondit par des lettres qui respiraient la plus fière et la plus grande arrogance. Alors le prudent et ingénieux roi et l'ischkhan Isaac (Sahak) animèrent leurs troupes, composées d'hommes célèbres et choisis, armés de flèches, d'épées et de lances affilées ; ils les disposèrent en avant et sur les côtés, et elles brillaient comme un incendie. On s'approcha rapidement du bord de la vallée dans laquelle s'était fortifié Môsès, avec les forces qu'il avait réunies. Une grande et violente commotion se fit entendre ; la terreur et la crainte se répandirent parmi les troupes de Môsès, qui, voyant la supériorité de l'ennemi, prirent promptement la fuite, se débandèrent de tous les côtés, s'éloignèrent, se dispersèrent et laissèrent Môsès seul. Celui-ci se hâta de gagner une petite vallée située du côté de l'occident, d'où il prit précipitamment la fuite et se rendit dans la province de Siounie, auprès de l'ischkhan Sempad, espérant trouver le moyen de l'émouvoir par le récit de ses craintes. Pendant que le roi était dans la province d'Oudie, occupé à concilier et à soumettre tous les rebelles et les brigands du pays, Môsès fit rapidement un mouvement en avant et se dirigea vers la province de Sisagan : il avait l'intention d'aller trouver le grand chorévèque de Dzanark'h, et pensait que, par les bons offices et l'alliance de ce dernier, il parviendrait à se faire rétablir dans ses fonctions d'ischkhan d'Oudie. Cette entreprise eut une mauvaise issue : on en donna aussitôt avis au roi, qui résolut de se mettre promptement à la poursuite de Môsès. Il monta à cheval, l'atteignit, livra un violent combat aux guerriers qui l'accompagnaient, s'approcha de Môsès lui-même, qui était couvert d'an casque de fer, fondit sur lui, le frappa sur la tête avec son glaive, partagea son casque en deux et le renversa par terre. Il revint ensuite sur ses pas, conduisant avec lui le rebelle, qui était devenu son prisonnier ; puis il lui fit brûler les yeux jusqu’à le rendre aveugle. Môsès subit ainsi le même traitement qu'il réservait au roi, et depuis ce temps il ne put jamais recouvrer la santé.

CHAPITRE CXXXVI.

Quand cette affaire eut été arrangée au gré des désirs du roi, ce prince se mit en marche, entra dans la province de Schirag, et appela auprès de lui le cher ami de son cœur, son frère Abas (Apas), qu'il avait créé ischkhan des ischkhans ; l'ischkhan des Ibériens, Gourgen, et, enfin, son beau-père. Il ignorait encore la perfidie, la trahison et le méchant complot qu'il avait à redouter de leur part. Tous trois, de leur côté, se rendirent au bourg où était le roi, qui, selon la coutume des souverains, les reçut avec de grandes marques de distinction et d'honneur, et avec beaucoup de bonté. Mais ce lieu n'était pas convenablement disposé pour leur ouvrir la porte de la perdition du roi, et, par un effet de la faveur céleste, Aschod s'éloigna d'eux, se mit en marche et s'arrêta, sans avoir éprouvé le moindre mal, dans la ville d'Érazgavors.

CHAPITRE CXXXVII.

Cependant, eux qui, sous le voile de l'amitié, songeaient à tromper le roi et machinaient leurs ruses et leurs pièges, fondirent à l'improviste sur sa nouvelle résidence, pour le faire périr. Mais Aschod, ayant été averti de leur dessein un peu auparavant, prit promptement la fuite, emmenant avec lui le fils de son frère Abas, en conséquence de cet avis, et se délivra ainsi des filets de ces chasseurs. Il marcha en avant et se rendit dans la province d'Oudie. Quand les autres arrivèrent (à Érazgavors), et ne purent y trouver ce qu'ils cherchaient ni ce qu'ils voulaient, ils furent extrêmement honteux, et après avoir resté quelque temps dans ce lieu abandonné, ils le pillèrent et repartirent. Bientôt une violente haine éclata entre eux, ainsi qu'il advient ordinairement entre gens qui se regardent comme très habiles en méchanceté. Vasag ; qui gouvernait en propre la principauté de Geghark'houni, eut, d'après mon opinion, l'esprit vivement frappé de la crainte que devait lui inspirer le ressentiment du roi ; car il adressa une demande à Aschod, pour obtenir qu'après s'être mutuellement fait un serment il eût un libre accès auprès de sa royale personne. Je reçus alors une lettre du roi et je la donnai à Vasag, qui se mit en route et arriva auprès d'Aschod. Ce prince le reçut sur l'ancien pied, comme un serviteur fidèle, et comme un frère chéri qui s'était confié à sa foi ; il le traita avec de grandes marques d'honneur. Mais ensuite, trompé par ceux qui disaient que Vasag avait reçu, par le moyen d'un cavalier rempli de toutes sortes de ruses, des lettres de l'autre roi Aschod, de Gourgen et du beau-père de notre Aschod, le roi le fit arrêter, charger de chaînes de fer et enfermer dans un fort nommé Gaien (Kaïean). J'adressai au roi de vives représentations à ce sujet ; je ne cessai de blâmer sévèrement la violation de son serment, la captivité de Vasag et l'occupation du territoire de ce dernier. Le roi ayant alors examiné lui-même le crime dont il croyait Vasag coupable, se décida, après l'avoir retenu prisonnier quelques jours, à le délivrer de sa prison et à le rétablir dans sa principauté. En conséquence, je donnai aussitôt mon absolution à Vasag, parce qu'il avait plutôt les défauts d'un enfant que ceux de la méchanceté, et parce qu'il n'avait réellement machiné aucune perfidie ; et ce fut ainsi qu'on le laissa libre d'aller en d'autres lieux jouir de la protection de la miséricorde céleste.

CHAPITRE CXXXVIII.

Dans ce temps, un Arabe nommé P'harkini, qui était osdigan en Arménie, fut envoyé au roi Gagig par l’amirabied ; il apportait une couronne qu'il posa sur la tête de ce prince, qui fut ainsi couronné, pour la troisième fois, roi des Arméniens, et il le revêtit en outre d'ornements magnifiques. Le roi, de son côté, le gratifia libéralement d'une grande quantité de présents et de marques d'honneur. Il avait aussi reçu de l'amirabied des sommes considérables en or et en argent, plusieurs choses d'une magnificence vraiment royale, et beaucoup d'autres dons.

CHAPITRE CXXXIX.

L'osdigan Youssouf en fut encore plus irrité ; il grinçait des dents avec fureur contre le roi Gagig, et le menaçait par des paroles méchantes et barbares.

CHAPITRE CXL.

L'illustre et grand ischkhan Isaac (Sahak), qui regardait son gendre, le roi Aschod, comme un fils adoptif, fut trompé par les discours perfides de quelques méchants, dont les mauvais conseils parvinrent à tromper sa profonde sagesse. Bientôt, tel qu'un ennemi étranger, il machina une méchanceté contre le roi, et sous prétexte de l'extrême rigueur de l'hiver, il se retira au loin. Ensuite chacun d'eux s'étant mis à rassembler des troupes pour se faire la guerre, ils s'avancèrent dans une plaine où était situé un bourg nommé Akhaéank’h, devant lequel ils se disposèrent à livrer de rudes combats. Mais, en fidèles et dévoués sujets, les grands et les nobles s'opposèrent tous ensemble à ce dessein, et commencèrent par montrer leur magnanimité et leur vaillance. Pour rétablir la concorde entre le grand ischkhan et le roi, ils réglèrent des conditions de paix, qui furent scellées par plusieurs serments écrits qu'ils firent dans les bâtiments consacrés au culte de Jésus-Christ, et par l'intervention du saint signe de la croix. Ensuite le roi s'avança de nouveau et marcha promptement vers les portes de la ville de Tovin ; là il versa en abondance et par torrents le sang de ses ennemis ; les dépouilla totalement, ramena les rebelles à l'obéissance, et imposa le joug de l'esclavage à leur audacieuse révolte.

CHAPITRE CXLI.

Une autre fois le grand ischkhan de la famille de Sisagan, nommé Sempad, et ses trois frères, se brouillèrent, dans un mouvement de colère, avec l'Arabe qui, à cette époque, gouvernait et tyrannisait la province de Goghthan : ils lui avaient demandé la restitution d'un fort nommé Érendchag (Erndchak), qui leur appartenait en propre. Ce fort était situé sur les limites de leur pays ; il avait été pris par l'osdigan Youssouf et livré au pouvoir du tyran du pays de Goghthan. L'Arabe ayant ainsi été mis en possession d'Érendchag, comme par un don royal, ne voulut pas abandonner ses droits. Alors chacun des frères rassembla des troupes de son côté ; ils les réunirent en plusieurs corps d'armée, qui étaient dans un état de désordre semblable à celui qu'aurait présenté une troupe d'incendiaires, et ils se disposèrent au combat. Lorsque ces corps de paysans armés furent rassemblés et qu'ils eurent pris position dans diverses directions, les Arabes se mirent en mouvement, s'avancèrent par le flanc, et s'approchèrent pour combattre. Tandis que l'armée entière de l’ischkhan Sempad se trouvait engagée, les soldats qui étaient sous le commandement de son frère Vasag, à l'aile gauche, furent subitement séduits par de mauvais conseils : tous ceux que l'on avait placés derrière le cheval de Vasag se levèrent, et fondant sur lui, ils renversèrent ce vaillant et courageux prince, qui faisait un grand carnage des ennemis. Après cela ces guerriers se mirent en marche en tournant les épaules, se retirèrent, et allèrent dans la ville de Nakhidchévan. Les autres frères de Vasag enlevèrent du champ de bataille le corps de ce beau et charmant jeune homme ; on l'emporta, et on le déposa dans le tombeau de ses pères.

CHAPITRE CXLII.

Cependant le roi Aschod, comme s'il eut achevé au gré de ses désirs tout ce qu'il avait à faire vers la ville de Tovin, revint sur ses pas, et s’étant dirigé vers le pays des Ibériens, il y fit sa jonction avec le roi d'Ibérie, Adernersèh. Leur dessein était de marcher ensemble contre l'ischkhan Gourgen, pour tirer chacun vengeance de la perfidie et des atroces méchancetés dont il s'était rendu coupable, comme des dévastations et des affreux ravages qu'il avait commis. L'autre roi Aschod et Abas, frère du fils du roi, ayant envoyé un message à Gourgen, se réunirent ; mais comme ils ne purent trouver un moment favorable pour livrer bataille dans une vallée très profonde, ils se fortifièrent dans une gorge couverte de bois. La vallée était tellement resserrée, qu'il leur était absolument impossible d'étendre au loin leurs courses. L'armée ennemie comptait dans ses rangs une telle multitude de troupes munies de boucliers, qu'elle semblait être un seul bouclier tourné contre eux. Une grande quantité des leurs tombèrent frappés par la flèche ou par l'épée. Alors on leur parla de soumission et de paix, et ceux qui avaient porté dans le pays le trouble et la dévastation allaient réparer tous les maux qu'ils avaient faits. Tandis qu'ils se préparaient à conclure la paix, il parvint au roi Aschod un avis qui arrivait de la province d'Oudie, et qui portait que son beau-père, l’ischkhan Isaac (Sahak), se disposait à entrer dans cette province, avec l'intention de la ravager cruellement et entièrement, de piller tous les endroits fortifiés de la contrée, de porter le butin dans le Dsoraph'or (Dsörötsp’hor) et dans les forts de sa principauté, de gagner ensuite lui-même le haut pays, et d'aller se fixer dans la province, du côté des montagnes.

CHAPITRE CXLIII.

Lorsque le prudent et puissant roi des Ibériens, Adernersèh, apprit cette nouvelle, il était si fatigué, qu'il laissa là tout ce qui était commencé, c'est-à-dire l'affaire de Gourgen, fils de sa sœur, parce qu'il pouvait toujours la reprendre et la terminer : en conséquence il la remit à un autre temps. Puis s'étant préparé promptement, il se porta de sa personne vers le roi des Arméniens, Aschod, pour s'occuper de l'affaire de l’ischkhan Isaac (Sahak). Au reste, il laissa derrière lui son armée, choisit seulement trois cents hommes qui se mirent rapidement en marche et s'avancèrent dans le pays de Dsorap'hor, et arrivèrent d'abord devant le fort nommé Gaïen (Kaïean) qu'ils enlevèrent à l'ischkhan Isaac. Vasag, prince de Siounie, qu'on l'avait engagé à enlever du palais de son père, était gardé prisonnier dans ce fort, et y avait été enfermé avec des femmes nobles dont on s'était emparé dans d'autres endroits. On laissa une garnison dans Gaïen ; puis on se mit en marche vers un autre fort du voisinage, qui fut pris avec beaucoup de peine, et dont on donna les défenseurs pour pâture à l'épée. Lorsqu'on s'avança, tous les habitants du pays se retirèrent en foule dans les autres forts de la principauté de l'ischkhan. On fit consumer par le feu tout ce qui était dans les champs, qu'on allait moissonner avec la faucille, parce qu'on était près du temps de la moisson ; et ce fut ainsi que se résolut d'elle-même négativement la question de savoir si le roi s'établirait dans cette province.

CHAPITRE CXLIV.

Aschod voyait les horribles malheurs et les troubles affreux qui s'étaient répandus sur le pays soumis à sa domination et qui le couvraient. Sans connaître la supériorité numérique de l'armée de l'ischkhan, sans considérer la faiblesse de ses propres troupes, il se mit en marche et alla au-devant des ennemis, qui étaient campés et avaient pris position dans une gorge fermée par une petite montagne, du côté occidental de la vallée de Daschir. Indécis sur le moyen de les attaquer avec succès et de leur dresser des pièges, le roi trouva une colline qu'il environna d'une fortification en pierres, et là il campa un jour entier et toute la nuit. Puis il envoya, par l'un des évêques (qui étaient avec lui), un message à l’ischkhan Isaac (Sahak), et il lui disait dans ce message : Comment ! méchant, tu veux opiniâtrement me faire du mal ? Au lieu de te conduire ainsi, pourquoi ne fais-tu pas ce qui est digne de toi ? Pourquoi te rends-tu coupable des mauvaises actions et des désordres que je te vois commettre ? Pourquoi, après le serment que tu as fait, me causes-tu du chagrin ? Pourquoi enfin veux-tu aujourd'hui t'efforcer en vain de verser mon sang sans aucun motif raisonnable ? Laisse-là ta colère, reviens à de meilleurs sentiments, abandonne tes inutiles projets de perfidie et de méchanceté ; remets-moi seulement les deux forts que tu as enlevés, et retourne tranquillement dans ton pays. Alors la paix et l'union subsisteront entre nous comme entre un père affectionné et un fils bien aimé.

CHAPITRE CXLV.

Lorsque l'ischkhan connut la teneur du message, il ne le jugea pas digne d'une réponse, mais il murmura en lui-même et se dit : Sa place est là, dans ma tente ; je m'avancerai vers lui avec mon épée, et j'irai promptement lui porter ma réponse à ses messages. Après qu'il eut dit cela, il rassembla une grande quantité de troupes, qui se montaient à plus de huit mille hommes, et il se porta en avant. Il fit ses dispositions devant la petite colline sur laquelle était placé le roi. Il ordonna à tous les fantassins de son armée de se couvrir de leurs boucliers, pour que cette vue produisît sur l'esprit de l'ennemi l'effet d'un rempart inexpugnable. Sur leurs derrières il plaça toute sa cavalerie. Ces troupes étaient parées de leurs armes et de leurs habillements. L'avant-garde, composée d'hommes qui se couvraient de leurs bouchers. et de cavaliers armés d'épées, s'avança et se porta du côté de la petite colline. L'aurore paraissait alors ; ses rayons éclatants se répandaient partout ; la multitude des hommes armés d'épées s'agitait, et on voyait briller les casques et les armures de bronze qui couvraient le dos, la poitrine, les épaules et les bras des combattants.

CHAPITRE CXLVI.

Quand le roi vit ces dispositions, il se mit en mouvement avec beaucoup de troupes, qui étaient animées et enflammées d'une grande ardeur ; et il laissa seulement cent hommes sur ses derrières, pour occuper toute la longueur de la route, et deux cents sur la petite colline, pour résister aux ennemis. Ayant ainsi divisé ses forces, il pensa au redoutable serment qu'il avait prononcé avec l’ischkhan en présence de Dieu, et il dit : Si je meurs ou si je viole ce serment, que le Seigneur Dieu fasse retomber sur ma tête la punition de mon mensonge ! Si l'ischkhan transgresse ce serment, fais retomber sur lui la punition de ce parjure, et sauve-moi, mon Dieu, de la cruelle mort que le perfide voudrait me faire souffrir ! Après cet acte redoutable, le roi et ses troupes se lièrent-plus fortement par (le signe de) la sainte croix, selon l'usage ordinairement suivi auprès de ce prince. Deux cents hommes, s'étant alors promptement armés et disposés à combattre, poussèrent un grand cri et se portèrent à cheval sur les derrières de l'ennemi. Le roi lui-même s'avança hardiment sur le champ de bataille ; et, en un clin d'œil, tel qu'un ouragan terrible, il dispersa ses ennemis, de telle sorte qu'il ne resta personne sur le lieu de l'action, et qu'on ne pouvait trouver deux hommes réunis dans un même endroit. Les vaincus s'étaient dispersés sur le sommet des montagnes, dans les défilés, dans les profondes vallées, dans les fertiles et vastes plaines, de manière qu'il ne fut plus possible de découvrir un seul ennemi, petit ou grand, à l'exception cependant des deux ischkhans Isaac (Sahak) et son fils Grégoire, qu'on fit prisonniers et qu'on amena au roi. Ce prince s'empara ensuite du fort de Gartman ; la totalité de la principauté de l’ischkhan se soumit à ses lois et obéit à son nom. Après cela la crainte de la mort remplit l'esprit du roi d'une fâcheuse terreur : Si je laisse, se disait-il, la vie à l'ischkhan et à son fils, c'est pour moi l'avertissement de ma mort ; si je mets ces hommes distingués en prison, d'autres les rendront à la liberté, comme Vasag ; et certainement je me place alors aussi sur la porte de la mort. Ainsi troublé par une terreur inconsidérée, il dit : Je les ferai aveugler tous deux ; mon esprit ne se laissera pas toucher par la miséricorde de Dieu, qui les sauverait à cause de cette action ; le Seigneur lui-même, qui peut tout, ne devrait pas leur pardonner de nouveau leur perfidie. qui est pour moi un sujet de crainte. Son cœur sans courage fit là une chose honteuse ; mais elle lui servit du moins à bannir de sa pensée toute appréhension.

CHAPITRE CXLVII.

Un peu de temps avant cela, l'osdigan Youssouf, au mépris de tous ses devoirs, se révolta avec beaucoup d'arrogance contre l'amirabied des Arabes. Ce dernier envoya contre lui un de ses nakharars avec une nombreuse armée, et comme l'osdigan ne fit pas sa soumission, on en vint aux mains. Dans ce conflit les troupes royales elles-mêmes éprouvèrent quelque perte ; mais Youssouf, ne pouvant continuer à résister, fut fait prisonnier, et conduit chargé de fers auprès de l'amirabied. Ainsi, par la miséricorde et la faveur de Dieu, le roi Gagig fut sauvé des fureurs de ce méchant.

CHAPITRE CXLVIII.[3]

Tandis que Youssouf était amené de force prisonnier auprès de l'amirabied, un des serviteurs les plus distingués de celui-ci, qui se nommait Serpouk'h et qui était ischkhan et hramanadar du palais de l'amirabied, gouvernait militairement le pays soumis à la domina-nation de Youssouf. Quelques jours après, l'amirabied le créa osdigan à la place de ce dernier. Serpouk'h fit alors avec Aschod une alliance bien plus solide que celle qu'avait faite Youssouf ; il conclut un traité de paix avec ce prince, et lui donna le titre de schahanschah (rois des rois). Cependant il gardait dans son cœur la haine et les perfides poisons que l'on comptait toujours répandre sur le roi Gagig. Peu de temps après il réunit ses troupes et les envoya du côté de la province de Djovasch. Quoique les habitants du pays connussent d'avance ses mauvais desseins, ils ne purent se retirer dans les forts ; mais, comme frappés par la foudre, ils se dispersèrent sur la surface du territoire ; alors les ennemis pillèrent la province et firent un butin considérable. Les hommes distingués, les femmes, les enfants en bas âge, n'ayant pu se jeter assez promptement dans les forts des plaines pour assurer leur indépendance, furent emmenés en captivité.

CHAPITRE CXLIX.

Quand le roi Gagig vit ce malheur, il considéra, avec une louable prudence et une très grande sagesse, qu'il ne pouvait s'opposer ni aller livrer bataille à Serpouk'h, et il résolut alors de lui jurer obéissance. C'est pourquoi il envoya à cet osdigan un certain George Havnouni, religieux, qui fut chargé de lui offrir beaucoup de présents et de lui demander la paix. Serpouk'h reçut ces présents et fit le serment de ne jamais causer de chagrin au roi et de n'avoir jamais de différend avec lui. Ainsi cessèrent la destruction et le ravage ; la retraite des dévastateurs étrangers rendit le repos et la tranquillité au pays sur lequel régnait le roi Gagig.

CHAPITRE CL.

Quelque temps après se manifesta ouvertement la révolte du k'hananid Vasag Genthounien, à qui avait été confiée la garde du grand fort de Schamschoulde : il sortit de ce lieu pour penser à sa trahison, et cessant d'être fidèle à Aschod, qu'on appelait schahanschah, il se donna à Gourgen, ischkhan d'Ibérie. Il offrit de lui livrer Schamschoulde, et il ne lui livra cependant que le territoire qui en dépendait. Il voulait garder pour lui le fort ; mais Gourgen en réclama la possession, et l'affaire fut promptement terminée, car Vasag fit ensuite à l’ischkhan le serment de lui remettre la place. Quand la fidèle parole du serment eut été prononcée, il sortit du fort, se mit en marche et alla vers l'ischkhan Gourgen. Avant ce temps, Aschod, frère de Vasag, avait été tué par les troupes du pays de Vouri. Comme Gourgen avait élevé les deux frères dès leur enfance, Vasag ne fit pas difficulté de lui livrer Schamschoulde et d'aller auprès de lui. Après qu'il eut joint l'ischkhan, celui-ci retourna avec lui sur ses pas et le conduisit à la porte du fort qu'il avait demandé que Vasag lui remît La garnison ne voulut pas livrer Schamschoulde avant que Vasag n'y fut rentré ; alors l'ischkhan fit ses dispositions pour attaquer les guerriers de la forteresse. Ceux-ci en donnèrent promptement avis au schahanschah, qui se mit avec célérité en marche et s'occupa sérieusement de cette affaire. Lorsque ce prince arriva auprès de Schamschoulde, Gourgen fut repoussé bien loin des portes du fort ; mais les soldats qui étaient dans la place ne voulurent pas la remettre à Aschod tant qu'ils n'auraient pas Vasag avec eux. Alors le roi entoura et assiégea cette forteresse. Tandis qu'il attendait une occasion favorable pour la prendre Gourgen, à force de serments, étant parvenu à persuader aux guerriers de la garnison qu'il leur donnerait Vasag, ceux-ci prièrent l'ischkhan de leur envoyer son armée et promirent de lui livrer le fort. L'ischkhan, en conséquence, fit partir trois cents hommes vaillants, armés de flèches, d'épées et de boucliers. Lorsqu'ils s'approchèrent de Schamschoulde, ceux qui étaient en bas leur ayant ouvert secrètement la porte du fort, ils y entrèrent tous ensemble. Mais les guerriers de la garnison, pensant que c'était une trahison horrible, une perfidie, ou un lâche stratagème, tuèrent ceux qui s'avancèrent et remplirent de leurs cadavres le fort inférieur ; après quoi ils se rassemblèrent dans le fort supérieur en un seul corps, livrèrent un violent combat aux troupes de Gourgen, et parvinrent à les chasser de la place.

CHAPITRE CLI.

Quoiqu'Aschod n'eût pas été informé de cette aventure, il pensait bien cependant qu'elle devait arriver et que le guerrière de la forteresse et ceux qui venaient du dehors se battraient le uns contre les autres. Il attaqua lui-même à l'extérieur ceux qui, dans l'intérieur, se battaient contre les hommes renfermés dans la partie supérieure du fort Alors ceux-ci, élevant très-haut la voix, apprirent au roi Aschod tout le détail de l'affaire et comment, à cause de lui, ils étaient obligés de combattre et de lutter contre les troupes de Gourgen. Aschod leur répondit : Pourquoi combattez-vous ainsi contre moi avec des flèches ? Pourquoi ne m'ouvrez-vous pas les portes du fort, pour que je puisse y entrer et finir facilement toute cette affaire, et pour qu'en même temps je puisse vous donner beaucoup de présents et de nouvelles marques de ma bienveillance ? A ces paroles on lui ouvrit les portes de la forteresse ; le roi y entra, et on fit prisonniers tous les soldats de Gourgen. Quelques jours après on les priva de leurs yeux, de leurs biens et de leurs oreilles. Les résultats de cette expédition furent que toutes les nations septentrionales se soumirent à la domination du roi et lui prêtèrent obéissance, et que, par l'heureuse miséricorde de Dieu, tout alla bien et s'affermit.

CHAPITRE CLII.[4]

Après que ces arrangements eurent été terminés et que les événements se trouvèrent accomplis, le schahanschah se mit en marche de nouveau et s'avança vers la province d'Oudie. Il la soumit à son autorité et s'en concilia les habitants par sa bonté, de sorte qu'ils l'aimèrent en voyant qu'il repoussait les conseils de la méchanceté ; ils prévoyaient qu'il tiendrait d'une manière ferme les rênes du gouvernement, et que par ses exhortations il rétablirait les bonnes mœurs ; ils remarquaient enfin qu'il se laissait conduire par de sages conseils. Il leva des troupes parmi eux, repartit et dirigea ses pas vers la province de Godaïk'h ; puis il envoya en hâte un rescrit royal à l'autre roi Aschod, qui était fils du frère de son père. Par un mouvement naturel pour le bien, que tous nos princes tiennent de leurs pères, il s'empressa de faire ce qui était beau et utile. La paix et l'amitié furent rétablies entre les deux Aschod ; personne ne perdit la vie à cause de ses maîtres ; les deux pays ne furent pas dévastés, et on ne fut pas obligé de fuir de tous côtés pour se cacher dans des trous, dans des forêts épaisses, ou dans des cavernes.

Le second Aschod se rendit auprès de moi et me donna sa parole qu'il était résolu à se mettre en route, à aplanir les difficultés, à rétablir entre lui et son cousin une paix solide et durable, et à ne laisser secrètement aucun piège caché pour perpétuer de méchantes divisions et empêcher la réconciliation. Le schahanschah Aschod, dont le caractère était facile, accueillit (son cousin) avec des paroles et une amitié de cœur ; il quitta promptement sa résidence, et chacun de nous se porta à la rencontre du schahanschah. Après cela, par mon ordre et mon conseil, on s'avança pour tranquilliser tous les auditeurs et pour enlever le nuage de stupeur qu'avait répandu sur les esprits la conduite des méchants. Toutes les affaires ayant été arrangées par les deux Aschod, on conclut un traité de paix dont les stipulations furent garanties par un serment religieux. Puis, chacun s'étant mis en marche et s'étant approché de la porte de la métropole Tovin, les infidèles qui occupaient la ville reconnurent leur erreur et se soumirent. Beaucoup de renégats et d'infidèles partagèrent la joie qu'éprouva le schahanschah. Celui-ci retourna sur ses pas et se dirigea de nouveau vers son ami dans la province d'Oudie. Tandis qu'il était en route et qu'il marchait, une voix forte, qui vint mettre le trouble dans son esprit, se fit entendre el lui apprit que celui qui se nommait Amramnaïn, à cause de la légèreté de son âme, et qui, appelé Tslik par beaucoup de personnes, avait été placé par le schahanschah à la tête des affaires du pays avec le titre de hramanadar, avait suivi de méchants conseils, et, agissant dans les ténèbres, s'était écarté de l'obéissance qu'il devait au schahanschah. En effet il avait fait fléchir ses devoirs, et, après avoir abandonné la province confiée à son administration, il s'était mis en route pour se rapprocher de Gourgen, ischkhan des ischkhans du pays de Gougarg, et faire acte de soumission envers lui, quoique ce prince ne fût pas son souverain naturel. Plusieurs nakharars de ces contrées s'étant joints à Amramnaïn, ils organisèrent ensemble leur révolte ; après quoi ce dernier fit mettre en état de défense le fort de Davousch (?) et y établit une garnison composée d'hommes de sa race. Alors lui et les siens, se trouvant ans occupation, se portèrent en avant pour enlever tout ce qui serait à leur convenance, et en cachant les ruses qu'ils se proposaient d'employer pour parvenir facilement à leurs fins. Sur ce Aschod se mit en marche, avança, et s'approcha de la province d'Oudie. Quand les révoltés en furent instruits, ils disparurent de tous côtés, s'en allèrent et tournèrent le dos ; personne ne leur porta secours, à l'exception cependant de quelques hommes méprisables. On vit alors le rebelle frappé d'une terreur manifeste, el ses affaires dans le plus grand embarras. Il partit, dirigea ses pas vers le roi de Colchide, et lui donna son cœur sans défiance, comptant beaucoup sur les anciens serments d'amitié qu'il lui avait faits, et pensant qu'à cause de cela il obtiendrait de lui un accueil agréable.

CHAPITRE CLIII.

Le roi de Colchide qui répandait abondamment ses libéralités et qui aimait de cœur, reçut très bien tous ceux qui se joignirent à lui et les soutint de tous ses moyens. Il donna de grands secours à Amramnaïn ; et ayant rassemblé un nombre considérable de rapides cavaliers, qui étaient couverts de cuirasses de fer, qui inspiraient la terreur et qui avaient des cottes de mailles, de belles armures de fer, de forte boucliers, des armes ; des ornements magnifiques et des lances bien effilées, il mit ces troupes à la disposition du rebelle, afin qu'avec leur aide ce dernier pût tirer vengeance de ses adversaires. Amramnaïn organisa promptement son armée, puis courageusement se mit en route et s'avança comme un homme animé, qui, avec beaucoup de troupes, pense pouvoir rétablir bientôt toutes les affaires et arracher enfin, par la force, les armes des mains de l'ennemi. Mais cet Amramnaïn, qu'on appelait encore Tslik, et les guerriers qui s'étaient révoltés avec lui, après avoir réuni des forces et des secours de tous les côtés, s'arrêtèrent subitement et se fortifièrent dans des plaines couvertes de bois, du côté du fleuve Kour.

CHAPITRE CLIV.

La fortune ne fut pas favorable à Aschod. Après avoir fait toutes ses dispositions pour combattre l'ennemi, il donna lui-même à ses troupes l'ordre d'attaquer ; mais, s'étant inconsidérément jeté dans des défilés étroits et embarrassés, qui conduisaient à un fort, aucun des siens ne put trouver le moyen de sortir de ces défilés : il fut enveloppé et cerné dans la vallée étroite, difficile et remplie de cavernes, qui n'avait d'autre issue que celle par laquelle il y était entré. On se trouva pris là comme dans une prison ; et s'il était impossible de se retirer d'un pareil lieu, on ne pouvait non plus y manger les provisions ou y boire de l'eau, à cause du froid, ni y nourrir la cavalerie. Par un défaut de prudence, l'armée tout entière, ainsi resserrée, se trouva dans l'embarras, le péril et la douleur. Comme les soldats étaient plongés dans le plus grand abattement, ils firent parvenir secrètement des propositions aux ennemis, leur promettant de prendre Aschod, de le charger de fers et de le leur livrer, à condition qu'on ne leur ferait aucun mal et qu'ils pourraient se mettre en route et s'en retourner chacun chez eux. Aschod, instruit de cette démarche, fut saisi d'une grande crainte, et en secret lia à son sort par un serment ceux qui l'approchaient et ses conseillers ; puis il fit préparer de beaux et rapides chevaux, et inopinément, au milieu de la nuit, il s'avança au milieu de l'armée, la traversa, sortit de la vallée, et alla se jeter dans un fort nommé Kak'havak'har, où il arriva sans accident. Quand les ennemis apprirent cela, ils entrèrent dans les défilés qui conduisent à cet endroit pour l'entourer ; ils pillèrent, dévastèrent le pays, et voulaient empêcher qu'aucun des assiégés pût se sauver ; mate plus tard, écoutant la voix de l'humanité, comme il convient à des chrétiens, ils résolurent de né faire périr aucune des personnes qui se trouvaient dans le fort ? Après ce jour, ceux qui le suivirent né furent pas heureux pour les courses d'Aschod, comme le lendemain et le surlendemain. Il me paraît que celé arriva ainsi parce qu'après avoir été pieux on avait laissé l'impureté remplacer la piété : comme le Pharisiens, on eut des désirs superbes, et, en conséquence, on fut condamné et l'on ne vit pas arriver l'heure du salut.

CHAPITRE CLV.

On informa alors le roi Gagig de tout ce qui s'était passé, pour connaître son avis et l'engager à rapprocher tout le monde et à donner des conseils salutaires. Mais les ennemis du schahanschah conservaient toujours dans leur cœur une méchanceté implacable, qui les empêchait de donner les mains à aucun arrangement, et les faisait rester sourds aux vertueuses paroles qui disent : Employez tous vos efforts pour avoir la paix avec tous les hommes Alors, avec sa sagesse accoutumée, il plut à Gagig d'employer tous ses efforts pour réunir son voisin et ses proches ; il joignit à son amitié la sincérité, la douceur d'âme, la prudence, la soumission, et il promit enfin au ennemis des dons considérables. On offrit des présents à son cher frère Gourgen, aux nobles de sa principauté et à ceux qui lui étaient égaux en honneur, et on les engagea à traiter de la paix Mais quelques barbares et féroces ennemis du bien livrèrent plusieurs combats ou batailles aux peuples qu'ils voulaient placer sous leurs pieds. Cependant, à cause de la crainte et de la terreur qu'on avait de l'amirabied, et qui n'étaient pas légères, il punit convenable de s'arranger à l'amiable avec lui, parée qu'on était menacé par ce tyran et qu'on était instruit qu'il se préparait encore à nous foire souffrir des tribulations : la tranquillité de l'âme pouvait seule nous apporter des secours. La négociation fut entièrement terminée dans l'espace d'une année ; les fondements de la Sainte église ne furent pas ébranlés, et restèrent intacts. La paix, la tranquillité, l'édification et la piété se rétablirent tout naturellement dans notre pays. L'abondance et la fertilité s'y répandirent par la faveur divine, et chacun trouvait dans sa paisible demeure autant de sécurité que dans un port tranquille. A cause de la prudence que Gagig avait montrée dans ces arrangements, on célébra sa sagesse, tes courses et ses voyages, aussi bien que l'abondance et l'éloquence de ses discours.

CHAPITRE CLVI.

A cette époque il s'éleva un violent orage qui fondit sur le tyran des Arabes, qu'on nommait l'amirabied. Cet orage fut suscité par tes adversaires et par les ennemis qu'il avait en Egypte et en Arabie. Dans cette guerre du Turkestan (Thourk'hasdan), des troupes de cavalerie, des guerriers armés d'épées et de glaives se réunirent pour entrer en campagne ; ils étaient avides de sang et s'efforçaient de tirer vengeance du tyran pour les vexations qu'il leur avait fait éprouver. Ils entourèrent sa résidence royale de Babylone, commirent beaucoup de violences dans les pays qui dépendent de sa souveraineté, livrèrent des combats acharnés, et tuèrent tant de monde que la terre iut arrosée par des torrents de sang. Ils emportèrent un butin très considérable, avec beaucoup de dépouilles, et rendirent déserts tous les bâtiments et toutes les habitations des territoires et des bourgs.

CHAPITRE CLVII.

Cependant les grands et les conseillers de la cour du roi, voyant les malheurs qui étaient arrivés, se hâtèrent de rechercher eux-mêmes les causes de tous les dommages qui avaient affligé leur pays, et demandèrent des secours de tous les côtés pour donner une paye aux séditieux, et, par ce moyen, terminer les troubles qui agitaient l'état. Après cela, ces mêmes hommes, qui avaient triomphé avec l'épée, versèrent encore des torrents de sang en combattant les uns contre les autres ; leur méchanceté les fit tomber dans un véritable abrutissement ; c'était le fruit de l'amertume cueilli dans les moissons de Sodome.

CHAPITRE CLVIII.

Un des conseillers de la cour du roi, qu'on appelait dans leur langue Monos (Mouenoues), tint conseil avec l'amirabied, et défendit avec beaucoup d'adresse Youssouf, osdigan des Persans, des Arméniens, des Ibériens et des Albaniens, qui avait été fait prisonnier. Il engageait l'amirabied à délivrer cet osdigan de la prison et de la captivité où il était pour le rétablir dans son premier gouvernement, parce que, disait-il, c'est un homme actif, vaillant, prudent, et terrible pour ceux qui l'entendent et l'écoutent ; son instruction le rend supérieur à tout le monde pour vous donner des conseils ; quoiqu'il ait péché, il ne se révoltera pas de nouveau,[5] et par lui vous pourrez plus facilement arrêter les mouvements et les rébellions des ennemis dans les pays placés sous son administration. Lorsque l'amirabied fut apaisé, il donna l'ordre de délivrer l'osdigan et de l'envoyer avec une armée dans son premier gouvernement. C'est ainsi que Monos fit choisir Youssouf, parce qu'ils étaient tous deux du même sentiment, du même avis, et qu'ils avaient les mêmes desseins ; l'osdigan l'aidait d'ailleurs à répandre sur ses ennemis le poison de l'amertume de ses vengeances.

CHAPITRE CLIX.

Youssouf, tel qu'un ouragan ou une trombe effrayante, et déchaîné comme un vent violent qui porte la dévastation, se mit alors en marche vers la Mésopotamie de Syrie, traversa beaucoup de contrées, et, continuant sa route, parvint promptement dans le pays des Kurdes.

CHAPITRE CLX.

Le roi Gagig fut averti avec la plus grande promptitude de cet événement et de l'arrivée de Youssouf. Aussitôt il mit tout en ordre dans le pays sur lequel il régnait ; il prit la fuite, emportant avec lui le choses les plus précieuses et emmenant ceux qui lui étaient attachés ; il alla se fortifier dans les gorges des montagnes de Gogovid (Kokovid) et de Dsaghgodn, et il tâchait de se consoler des maux qu'il avait soufferts : Que nous soyons, disait-il, délivrés de terreurs et des craintes ; que le peuple de Jésus-Christ ne tombe pas dans les mains des oppresseurs ; qu'on ne le donne point pour pâture au fer des Arabes, qui sont semblables aux bêtes féroces ; que la croyance des chrétiens ne soit pas abandonnée à la fausse doctrine de la race d'Agar ! Il se tenait caché dans des endroits d'un accès difficile, avec son frère Gourgen, avec sa milice noble, ses troupes de cavalerie, ses armes, ses ornements, ses lances acérées, et l'on ne cessait pas un instant de faire bonne garde.


 

[1] Dans ses Mémoires sur l'Arménie, Saint-Martin écrit tantôt Schamschoulde, comme ici, tantôt Schamschouïldé. Cette forteresse, qui s'appelait anciennement Orpeth, était située dans la Géorgie méridionale. Son nom appartient à la langue géorgienne.

[2] Le texte arménien de ces trois chapitres est rapporté dans les Mémoires de Saint-Martin sur l'Arménie (I, 229-231, note 1). Il y est accompagné (ibid. 227-229) d'un préambule utile et d'une traduction française qui, comparée à celle-ci, présente quelques légères différences, quant à la rédaction seulement.

[3] Les événements rapportés dans ces trente-neuf chapitres (cxlviii à clxxxvi) embrassent les années 922, 923, 924, et peut-être le commencement de l’année 925, qui fut celle de la mort de l'auteur. Aschod II, surnommé Schahanschah ou Schahinschah (roi des rois), et Ergathi (de fer), occupait encore le trône d'Arménie. Il ne cessa de régner et de vivre qu'en 928. — Au chapitre clxxxiii, j'ai dû laisser subsister la date fautive de 335 (883) de l'ère de Thorgoma, que porte le manuscrit autographe de la traduction française. Mais il est évident qu'on doit lui substituer celle de 372 (923). En effet, la prise du fort de Piourakan eut lieu pendant que Nesr, dit Serpouk'h, administrait l'Arménie sous les ordres d'Youssouf, après la réintégration de ce dernier, par le khalife Moktader-Billah, dans les fonctions de grand osdigan de la Perse, de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie, de l'Albanie et de l'Ibérie. Youssouf, primitivement nommé à ce poste l'année 901 de notre ère, et destitué en 922, fut réintégré peu de temps après cette dernière époque. La prise du fort de Piourakan doit donc être placée en l'année 372 de l'ère de Thorgoma, qui correspond à l'an 923 de la nôtre ; et l’on voit effectivement que dans les chapitres qui précèdent ceux où Jean Catholicos raconte les événements relatifs à sa fuite et aux deux sièges que le fort eut à soutenir, il est question de faits propres au règne du roi des rois Aschod, qui n'ont pu arriver que pendant to cours des années 920, 921 et 922, selon l'ordre chronologique établi par le traducteur lui-même dans ses Mémoires sur l'Arménie (I, 359-362).

[4] Saint-Martin, dans l'ouvrage cité (I, 230 et 231), a éclairci et résumé le récit de Jean Catholicos, qui occupe ici trois chapitres (clii à cliv). Il donne le nom d'Amram au personnage appelé Amramnaïm par le patriarche. Le titre de hramanadar, que portait cet officier, signifie commandant, et dérive du même verbe que le mot firman.

[5] La révolte de l'osdigan Youssouf contre le khalife Moktader-Billah éclata en 922.