FOULCHER DE CHARTRES.
HISTOIRE DES CROISADES : Chapitres XLVI à LX
chapitre XXXI à XLV - chapitres LXI à fin
Oeuvre mise en page par Patrick Hoffman
Le texte latin provient de Migne
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle
AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;
Par M. GUIZOT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.
A PARIS,
CHEZ J.-L.-J. BRIÈRE, LIBRAIRE,
RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS, N°. 68.
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE.
HISTOIRE DES CROISADES, PAR FOULCHER DE CHARTRES.
HISTOIRE DE LA CROISADE DE LOUIS VII, PAR ODON DE DEUIL.
FOULCHER DE CHARTRES
CAPUT LXII. De morte regis Balduini primi. Anno a partu Virginis 1118, cum in exitu Martii mensis urbem, quam Pharamiam nominant, Balduinus rex aggressus, hostiliter vastando diripuisset, die quadam, cum deambularet fluvium, quem Graeci dicunt Nilum, Hebraei autem Geon, oppido memorato proximum, cum aliquantis de suis laetus adiisset, et de piscihus illic inventis equestres lanceis suis caute cepissent, et ad hospitia sua ad urbem praefatam detulissent, et ex eis comedissent, sensit rex intrinsecus se angore plagae suae veteris gravissime renovato debilitari. Quo suis confestim intimato, pro infirmitate illius audita cuncti proinde compatientes contristati et conturbati sunt. Reditu autem statuto, cum non posset rex equitare, de papilionum perticis lecticam ei apparaverunt, in qua eum collocaverunt. Et praecone signum cornu dante, remeare Hierusalem edictum est. Cumque usque villam, quae dicitur Laris, pervenissent, infirmitate ingruente, et illum penitus consumente, defungitur. Et locatis ejus intestinis et salitis, atque in loculo conditis, Hierosolymam properaverunt. Die siquidem, quo palmarum rami ex more deferri solent, ordinatione Dei, et eventu inopinabili, ad processionem, quae de monte Oliveti in vallem Josaphat tunc descendebat, caterva lugubris, et dolendi funeris latrix advenit. Quo viso, et sicut erat cognito, pro cantu luctum, pro laetitia gemitum, cuncti qui aderant dederunt. Plorant Franci, lugent Syri, et qui hoc videbant Sarraceni. Quis enim se continere posset, qui non ibi pie fleret? Igitur tunc ad urbem redeuntes, tam clerus quam populus, fecerunt quod dolori convenit et consuetudini. Et sepelierunt cum in Golgotha juxta Godefridum ducem, germanum suum.
Cum rex iste ruit, Francorum gens pia flevit; INCIPIT LIBER TERTIUS DE GESTIS BALDUINI SECUNDI. CAPUT PRIMUM. Quod die Paschae Balduinus II sit in regem consecratus. Igitur defuncto rege Balduino, inito statim Hierosolymitani consilio, ne, rege carentes, aestimarentur debiliores, creaverunt sibi regem Balduinum comitem videlicet Edessenum, regis defuncti cognatum. Qui, transito Euphrate fluvio, Hierusalem fortuitu advenerat, cum praedecessore locuturus. Communiter electus, die Paschae est consecratus. CAPUT II. De exercitu Babylonico congregato. Ipso anno, cum tempus subsequeretur aestivum, congregaverunt Babylonii exercitum valde grandem; millia quorum aestimabantur 15 equitum, et 20 peditum, arbitrantes Hierosolymitanum destruere Christianismum. Quibus, cum usque Ascalonem pervenissent, rex Damascenorum Tuldequinus cum gente sua in adjutorium processit, Jordanem transgressus. Praeterea tunc classis non modica per mare illuc usque nocitura nihilominus venit. Exin tam bellicae quam mercibus onustae naves Tyrum adierunt. Qui autem per terram venerunt, ante Ascalonem bellum exspectantes remanserunt. Tunc rex Balduinus cum Antiochenis et Tripolitanis, quos ad hoc certamen venire per legatos mandaverat, adversus hostilem exercitum bellaturus properavit, et Azoto quondam civitate Philisthaea transita, tentoria de sagmariis deponi, et defigi disposuit haud longe a Babyloniis, ita ut exercitus uterque quotidie alterutro aspectu cerni posset. Sed quia alii alios valde aggredi formidabant, et vivere quam mori malebant, cum per tres fere menses differri tali argumento utrinque calluissent, taedio affecti Sarraceni bellare recusarunt, et Antiocheni ad sua remeaverunt, trecentis militibus de suis regi commissis, qui si opus esset regem ad pugnam roborarent, si Egyptii litem iterare pertentarent. |
CHAPITRE XLVI.
L'année 1118 depuis l'enfantement de la Vierge, et à la fin du mois de mars, le roi Baudouin attaqua de vive force, prit et ravagea la ville appelée Pharamie. Après cette expédition ce prince, se promenant un certain jour avec les siens, arriva, plein de gaîté, jusqu'au fleuve que les Grecs nomment Nil, et les Hébreux Géon, voisin de la place dont il vient d'être parlé. Là, des cavaliers percèrent adroitement de leurs lances quelques jeunes poissons, les portèrent à leur logement dans la susdite ville, et se mirent à les manger; tout à coup le roi sentit au dedans de soi qu'il se trouvait mal, par suite des douleurs d'une ancienne blessure, qui se renouvelèrent avec grande violence. Cette nouvelle fut aussitôt communiquée aux siens; ils eurent à peine appris sa maladie, que, saisis tous d'une pieuse compassion, ils se troublèrent et s'attristèrent grandement. On arrêta de revenir à Jérusalem; mais le roi ne pouvant monter à cheval, les siens lui préparèrent, avec les pieux des tentes, une litière, et l'y placèrent; puis, au premier signal que le héraut fit entendre avec son cor, on ordonna de se mettre en route pour retourner à la Cité sainte. Lorsqu'on fut parvenu à la ville qu'on nomme Laris, Baudouin, que son mal toujours croissant avait entièrement consumé, rendit le dernier soupir. Les siens lavèrent alors et salèrent ses entrailles, puis placèrent son corps dans une bière, et le rapportant avec eux, ils arrivèrent à Jérusalem. Par l'ordre exprès de Dieu, et un hasard inconcevable, le jour même où, selon les règles de l'Église, on a coutume de porter processionnellement des rameaux de palmier, cette troupe lugubre et chargée des tristes dépouilles du roi, se rencontra avec la procession, au moment où celle-ci descendait du mont des Oliviers vers la vallée de Josaphat. A cette vue, et dès que l'événement fut connu, tous les assistans, au lieu de chants de triomphe et de joie, poussèrent des gémissemens; les Francs pleuraient, les Syriens versaient des larmes, les Sarrasins même, témoins de ce spectacle, faisaient de même: qui aurait pu en effet se défendre de se livrer à une pieuse douleur? Peuple et cierge, tous rentrant alors dans la ville, firent ce que commandaient le chagrin et l'usage, et ensevelirent Baudouin dans Golgotha, près de son frère le duc Godefroi. Quand ce roi tomba, il fut pleuré de la pieuse nation des Francs, dont il était le bouclier, la force et l'appui. Semblable à Josué, ce vaillant chef du royaume fut en effet l'arme des siens, la terreur des ennemis et leur plus redoutable adversaire. Il enleva Césarée, Accon, Béryte et Sidon aux indignes et cruels ennemis. Ensuite il joignit au royaume, et soumit au joug les terres des Arabes, ou au moins celles qui touchent à la mer Rouge. Il prit Tripoli, et emporta Arsuth avec non moins de vigueur, fit en outre beaucoup d'autres choses honorables, et occupa le trône dix-huit ans et trois mois. Le soleil avait visité seize fois le signe du Belier, quand mourut le grand roi Baudouin. Comptez dix-huit fois douze mois, et vous aurez le nombre des années pendant lesquelles ce prince gouverna glorieusement la patrie.
On tint promptement un grand conseil; et pour que les ennemis ne nous crussent pas trop faibles, par cela seul que nous n'avions plus de monarque à notre tête, on créa roi Baudouin comte d'Edesse, cousin du prince défunt: ayant traversé le fleuve de l'Euphrate, il menait d'arriver par hasard à Jérusalem, pour conférer avec son prédécesseur60. Elu à l'unanimité, on le sacra le jour de Pâques.
Cette même année, quand l'été fut venu, les Babyloniens se flattant de pouvoir détruire entièrement par la guerre les Chrétiens de Jérusalem, rassemblèrent une immense armée, qu'on évaluait à quinze mille cavaliers, et vingt mille hommes de pied. Lorsqu'ils furent arrivés à Ascalon, Toldequin, roi de Damas, traversa le Jourdain, et vint se joindre à eux avec les siens; de plus une flotte qui n'était pas peu nombreuse, et destinée à nous nuire par mer, arriva jusqu'à la même hauteur. De là les navires, tant ceux de guerre que ceux qui étaient chargés d'approvisionnemens, allèrent à Tyr; quant aux Grecs arrivés par terre, ils demeurèrent devant Ascalon à attendre le combat. Notre roi Baudouin partit alors avec ceux d'Antioche et de Tripoli, auxquels il avait mandé par des messagers de venir prendre part à cette guerre, et marcha en toute hâte pour livrer bataille à l'armée ennemie. Une fois qu'il eut passé Azot, ancienne cité des Philistins, il ordonna de décharger les tentes de dessus les bêtes de somme, et de les planter non loin des Babyloniens. Les deux armées se trouvaient ainsi tellement près, qu'elles pouvaient chaque jour se voir et s'observer mutuellement; mais les uns et les autres craignaient d'attaquer, et aimaient mieux vivre que mourir. Quand donc les deux partis eurent ainsi passé environ trois mois à ruser et à différer, par suite de cette crainte, d'en venir aux mains, les Sarrasins fatigués d'une si longue attente, refusèrent de continuer la guerre, et se retirèrent. De leur côté, ceux d'Antioche retournèrent alors chez eux, laissant au roi trois cents de leurs hommes d'armes pour l'aider, en cas de besoin, à combattre, si les Egyptiens tentaient de renouveler une seconde fois la querelle.
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CAPUT III. De praelio et occisione Antiochenorum cum Turcis pugnantium. Anno 1119 ab Incarnatione Domini, Gelasius papa successor Paschalis obiit IV Kalend. Februarii, et sepultus est in Cluniaco. Post quem substitutus est Calixtus, qui Viennae urbis archiepiscopus extiterat. Prolixitatem historiae fastidiemus, si cuncta enarrare velimus, quae hoc anno in Antiochena regione miserabiliter evenerunt. Quomodo Rogerus Antiochiae princeps cum proceribus suis et gente sua contra Turcos pugnaturus exierit, et prope Arthasium oppidum interemptus ceciderit, ubi de Antiochenis septem millia sunt occisi, de Turcis vero nec etiam viginti. Nec mirandum si permiserit eos Deus confundi, cum in divitiis multimodis maxime abundantes, nec Deum timebant, nec hominem in peccando reverebantur. Nam juxta uxorem suam ipse princeps cum pluribus aliis adulterium impudenter committebat. Dominum suum Boamundi filium in Apulia cum matre sua morantem exhaeredabat, et multa alia tam ipse quam proceres sui vivendo superbe et luxuriose agebant. Quibus competit versus iste Davidicus dici: Prodiit quasi ex adipe iniquitas eorum (Psal. LXXII, 7) . Vix enim inter delicias affluentes modus servabatur. |
L'an de l'Incarnation du Sauveur 1119, le pape Gélase, successeur de Pascal, mourut le vingt-neuvième jour de janvier, fut enterré à Cluni, et eut pour successeur Calixte qui avait été archevêque de Vienne. Nous ennuierions par la prolixité de cette histoire, si nous voulions raconter en détail tous les malheureux événemens qui arrivèrent cette année dans le pays d'Antioche; comment Roger, prince de cette cité, en sortit avec ses grands et son peuple pour combattre les Turcs, et tomba massacré près du fort d'Artasie, où périrent aussi sept mille de ceux d'Antioche, tandis que les Infidèles ne perdirent pas même vingt hommes. Il ne faut pas, au reste, s'étonner si Dieu permit que Roger et les siens fussent ainsi confondus; vivant en effet dans une grande abondance de richesses de tout genre, ils ne redoutaient pas le Seigneur, et ne craignaient pas davantage d'outrager les hommes par leurs péchés. Roger lui-même se livrait à l'adultère avec plusieurs femmes, jusque sous les yeux de sa propre épouse, et privait de son héritage son véritable seigneur, le fils de Boémond61, qui demeurait avec sa mère dans la Pouille; lui et ses grands, s'abandonnant à la superbe et à la luxure, commettaient encore beaucoup d'autres crimes; aussi est-ce à eux que s'applique ce verset d'un psaume de David: «Leur iniquité est venue de trop d'embonpoint.» A peine, en effet, le monde pourra-t-il se conserver au milieu des délices qui y abondent de toutes parts.
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CAPUT IV. Quod rex Balduinus, sumpta cruce Dominica, ad auxiliandum properavit. Post hanc Antiochenorum occisionem secuta est secunda satis victoria, quae, propitiante Deo, Hierosolymitano populo mirifice successit. Nam cum praedictus Rogerus regi Hierosolymitano per nuntios notificasset, ut sibi ad succurrendum festinaret, quia Turci cum gente multa eum impetebant, relicto rex negotio, ad quod cum suis non longe a Jordane Damascenos expugnaturus iverat, ducto secum patriarcha cum cruce Dominica, cum de campis stationum suarum eos ejecisset violenter, continuo Antiochenis auxiliaturus recurrit, ducens secum Caesariensem episcopum, qui crucem Dominicam in bello postea contra hostes optime portavit. Comitem vero Tripolitanum rex illuc secum duxit, fueruntque simul milites ducenti quinquaginta. Et cum Antiochiam pervenissent, misit rex ad Edessenos legationem, praecipiens eis, ut ad bellum, quod contra Turcos facere satagebant, cito itinere festinarent. Quibus cum rege et Antiochenis, qui de primo bello fugerant, vel mortem aliquo eventu evaserant, aggregatis, commissum est praelium prope oppidum, quod Sardanium vocant, ab Antiochia 24 millibus distans. Fueruntque milites nostri septingenti, Turci vero 20 millia. Gazi vocabatur major eorum. Non puto silendum quod Turcus quidam advertens unum de militibus nostris linguam noscere Persicam, allocutus est eum, dicens: « Tibi dico, France, cur nos despicitis? cur in vanum laboratis? Contra nos equidem nullo modo valebitis; pauci enim estis, nos multi. Imo Deus vester vos dereliquit, videns vos nec legem vestram, ut solebatis, tenere, nec fidem nec veritatem invicem servare. Hoc scimus, hoc didicimus, hoc advertimus. Cras procul dubio vos vincemus et superabimus. » O quantum dedecus Christianis, cum perfidi de fide nos reprehendebant! Unde deberemus vehementer erubescere, et peccata nostra plorando poenitentes emendare. CAPUT V. De bello et victoria virtute sanctissimae crucis adepta, et de ejus receptione in Antiochiam. Committitur ergo bellum die sequenti, ut dictum est, gravissimum, de quo victoria diu anceps utrinque fuit, quoad usque Omnipotens Turcos fugere compulit, et contra eos Christianos magnifice vegetavit. Quos tamen impugnantes adeo catervatim disperserunt, ut, usque Antiochiam non cessantes, non valuerint ultra collegis suis in bello congregari. Nihilominus autem Turcos dispersit Deus, cum alii in Persidem fugitivi repatriarent, alii vero in Halapiam urbem salvandi se gratia introirent. Rex autem Hierosolymitanus et comes Tripolitanus cum suis, sicut socii gloriosae crucis exstiterant, et qui eam sicut servi dominam ad bellum perduxerant, circa eam semper honorifice pugnantes, nec eam deserentes, in campo bellico fortiter steterunt. Quos omnipotens Deus per virtutem ejusdem sanctissimae et pretiosissimae crucis de manu nefandae gentis potenter eripuit, et ad aliud suum negotium quandoque futurum reservavit. Cumque per duos dies campum illum rex custodisset, et de Turcis nullus illuc bellaturus rediisset, sumpta cruce Dominica perrexit Antiochiam. Et exiit patriarcha Antiochenus obviam sanctissimae cruci, regi quoque et archipraesuli, qui eam deferebant, et reddiderunt omnes Deo gratias, et exsolverunt dulcissimas laudes omnipotenti Deo, qui per virtutem gloriosissimae crucis suae victoriam Christianis dederat, et ipsam crucem ad Christianismum salve reduxerat. Pietate plorabant, laetitia cantabant, adorantes repetitis vicibus ante crucem venerandam se inclinabant, resurgentesque militibus erectis gratias agebant.
Praebuerat biduo sol lumen Virginis astro, CAPUT VI. De receptione sancta crucis in Hierosolymis. Cumque in Antiochia requie non longa se recreassent Franci, statuerunt Hierosolymam cum benedicta cruce Domini, ut decebat, reverti. Et sumptis militibus quot oportuit, remisit eam rex Hierusalem, et die quo Exaltationis ejus festivitatem celebrant, sicut Heracleus imperator de Perside victor eam reportavit, cum ea urbem sanctam laetantes introierunt, et cum gaudio ineffabili cuncti qui aderant susceperunt. CAPUT VII. Quod rex principatum Antiochiae obtinuit. Rex autem in Antiochia remansit, quia necessitas hoc poscebat, quatenus mortuorum procerum terras vivis sub ratiocinio daturus locaret, et viduas quas invenit illic multas maritis pio affectu conjungeret et multa alia restauratione necessaria reformaret. Sicut enim huc usque Hierosolymorum rex singulariter exstiterat, ita mortuo principe Antiocheno Rogerio, Antiochenorum rex addito altero regno efficitur. Moneo ergo regem, et quaeso, ut Deum ex toto corde diligat, et ex tota anima, et omnibus viribus suis, cum gratiarum actionibus se illi penitus ut fidelis servus subdat, ejusque se humilem fateatur servum, qui talem Dominum invenit sibi amicum. Quem ergo antecessorem suum tam sublimavit, quantum et illum? Alios unius, hunc autem duorum regnorum possessorem fecit, quae sine fraude, sine effusione sanguinis, sine litium tribulatione, sed divina ordinatione pacifica acquisivit. Ab Aegypto siquidem usque Mesopotamiam tradidit ei Deus longe lateque terram. Manum erga eum habuit largam. Caveat ne erga eum arctam habeat, qui abundanter dat, et non improperat. Si rex esse desiderat, studeat ut regat recte. Cum autem post negotia pleraque perpetrata rex ab Antiochia regressus esset Hierusalem, cum uxore sua diademate regio die Nativitatis Dominicae coronatus est in Bethlehem. |
Ce massacre des gens d'Antioche fut suivi d'une assez grande victoire, que le Seigneur dans sa bonté accorda miraculeusement à ceux de Jérusalem. Le susdit Roger avait, en effet, envoyé des députés presser le roi de Jérusalem de venir en toute hâte à son aide contre les Turcs qui l'attaquaient avec des forces nombreuses. Celui-ci, accompagné du patriarche qui portait la croix faite du bois de celle du Sauveur, était allé avec les siens, non loin du Jourdain, attaquer les gens de Damas. Se contentant de les avoir chassés courageusement des terres de ses Etats, il abandonna cette expédition, et courut au secours de ceux d'Antioche; il se fit suivre de l'évêque de Césarée, qui porta bravement contre l'ennemi, au milieu même de la bataille, la susdite sainte croix, et emmena avec lui le comte de Tripoli. Ses forces réunies montaient à deux cent cinquante chevaliers. Quand on fut parvenu à Antioche, le roi envoya des messagers ordonner en son nom à ceux d'Edesse de venir, à marches forcées, prendre part au combat qu'on se préparait à livrer contre les Turcs. Dès que ceux-ci se furent joints au roi, et à ceux des gens d'Antioche qui avaient fui de la précédente bataille, ou échappé à la mort par un hasard quelconque, on en vint aux mains avec les Païens, près du fort qu'on appelle Sardanium, distant d'Antioche de vingt-quatre milles. Cette bataille se donna le quatorzième jour d'août. Nos troupes se montaient en tout à sept cents hommes d'armes; les Turcs en comptaient vingt mille, et Ghazi était le nom de leur chef. Je ne crois pas devoir omettre de rapporter qu'un certain turc, s'apercevant que l'un des nôtres connaissait la langue persanne, lui parla en ces termes: «Je te le dis, Franc, pourquoi prendre plaisir à vous abuser? pourquoi vous fatiguer en vain? Vous n'êtes, certes, nullement de force à vous mesurer avec nous; vous êtes peu, et nous sommes beaucoup; de plus, votre Dieu vous abandonne, parce qu'il voit que vous ne vous montrez plus, ainsi que vous aviez coutume de le faire, exacts à garder votre loi, et à observer entre vous-mêmes les règles de la foi et de la vérité. Cela nous le savons; on nous l'a raconté; nous le voyons de nos propres yeux. Demain, sans aucun doute, nous vous vaincrons, nous vous écraserons, nous vous anéantirons.» O quelle honte pour des Chrétiens que des Infidèles nous reprennent sur notre manque de foi! Certes, nous devrions en rougir grandement, et songer à pleurer sur nos péchés, et à nous en corriger radicalement.
Le jour suivant s'engagea donc, comme on l'a dit plus haut, ce terrible combat. Longtemps la victoire flotta incertaine entre les deux partis; mais enfin le Tout-Puissant contraignit les Turcs à fuir, et prêta contre eux aux Chrétiens une force vraiment miraculeuse. Ceux-ci dispersèrent si bien en petits corps séparés les Infidèles, qui les avaient attaqués, et les poursuivirent si vivement jusque sous les murs d'Antioche, que les Turcs ne purent se réunir à leurs compagnons. Mais plutôt ce fut Dieu qui dissipa ainsi ces mécréans, dont les uns regagnèrent, en fuyant, la Perse leur patrie, et dont les autres se jetèrent dans la ville d'Alep pour sauver leur vie. Le roi de Jérusalem et le comte de Tripoli, qui, avec leurs gens, s'étaient montrés de vrais enfans de la croix, l'avaient apportée à cette guerre avec tout le respect de serviteurs pour leur maîtresse, et avaient toujours combattu autour d'elle en gens d'honneur, et sans jamais l'abandonner, demeurèrent courageusement sur le champ de bataille. Le Seigneur tout-puissant les arracha miraculeusement, par la vertu de cette même croix, des mains de la race criminelle des Turcs, et les réserva pour accomplir encore dans l'avenir d'autres travaux en l'honneur de son nom. Après donc que le roi Baudouin eut gardé deux jours entiers ce champ de bataille, sans voir aucun des Infidèles y revenir pour recommencer le combat, il prit avec lui la croix du Sauveur, dont il a été parlé ci-dessus, et se mit en route pour Antioche. Le patriarche de cette cité vint au devant de cette sainte croix, ainsi que du roi et de l'archevêque qui la portaient. Tous ensuite rendirent des actions de grâces, et payèrent un juste tribut de douces louanges au Dieu maître de toutes choses, qui par la puissance de sa glorieuse croix avait donné la victoire aux Chrétiens, et permis qu'ils retrouvassent intacte cette précieuse croix. Tous versaient de pieuses larmes, chantaient des hymnes de joie, s'inclinaient avec des génuflexions sans cesse répétées devant cette croix pour l'adorer; puis, se relevant la tête haute, et d'un air de triomphe, ils rendaient grâces au Seigneur. Deux fois le soleil avait éclairé de sa lumière le signe de la Vierge, lorsque se donna ce combat dans lequel les Turcs furent si complétement défaits; alors aussi brillait le croissant de la lune, dont on comptait le dixième jour.
Après qu'on eut goûté quelques instans de repos dans Antioche, il fut arrêté qu'on retournerait à Jérusalem, en remportant avec le respect convenable la sainte croix. Le roi la renvoya donc dans cette ville, en la faisant accompagner du nombre d'hommes d'armes nécessaires pour la protéger dans sa route. Le jour même où se célébrait la fête de son exaltation, ceux-ci entrèrent dans la Cité sainte, avec autant de joie qu'on en vit au victorieux empereur Héraclius, lorsqu'il reprit cette même croix sur la Perse; et tous ceux qui étaient dans la ville les accueillirent avec un plaisir ineffable.
Quant à Baudouin il prolongea son séjour à Antioche, comme l'exigeait la nécessité, jusqu'à ce qu'il eût placé utilement les terres de ceux des grands qui étaient morts, en les donnant à des vivans62 moyennant un prix convenu, uni avec un soin pieux à de nouveaux maris les veuves qu'il trouva dans cette ville en grand nombre, et réformé beaucoup d'autres maux en rétablissant les choses comme elles devaient être. Jusqu'alors il avait été simplement roi de Jérusalem; mais le comte Roger étant mort, Baudouin fut également roi d'Antioche, et vit un nouveau royaume ajouté à celui qu'il possédait déjà. Je recommande à ce prince, et je le supplie d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son ame, de toutes ses forces, de lui être entièrement soumis, comme un serviteur fidèle, de lui rendre des actions de grâces, et de se reconnaître l'humble esclave de ce maître qu'il a trouvé si plein de bontés. Quel est, en effet, celui de ses prédécesseurs que le Seigneur ait élevé aussi haut que lui? Aux autres, il n'a donné qu'un royaume; lui, il l'a rendu possesseur de deux; et ces deux royaumes il les a obtenus paisiblement, sans fraude, sans effusion de sang, sans même avoir à éprouver le chagrin de la moindre contestation, par la seule volonté divine. Le Seigneur, en effet, lui a concédé toute la terre comprise, tant en longueur qu'en largeur, depuis l'Egypte jusqu'à la Mésopotamie. Dieu a eu pour lui la main largement ouverte; qu'il prenne donc garde de l'avoir trop serrée envers celui qui donne abondamment, et ne reproche jamais ses dons. S'il veut être vraiment roi, qu'il s'étudie à gouverner justement. Après que ce prince eut ainsi terminé une foule d'affaires, et fut revenu à Jérusalem, on le ceignit ainsi que son épouse du bandeau royal, dans Bethléem, le jour même de la nativité du Sauveur.
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CAPUT VIII. De remissione exactionum. Anno Incarnationis Dominicae post millesimum centesimum vicesimo, absolvit rex Balduinus II ab omni exactione omnes qui per portas Hierusalem frumentum atque hordeum, sive legumina, inferre voluerint, ut absque molestia tam Christiani quam Sarraceni habeant liberam facultatem ingrediendi et egrediendi, atque vendendi, ubi et quibuscunque voluerint. Remisit insuper mercedem modii consuetudinariam. CAPUT IX. De Turcis congregatis, et expeditione regis contra eos. Cum autem sex hujus anni menses in Hierusalem evolvissemus, venerunt nuntii ab Antiochia, dicente rege, et nobis omnibus qui aderamus, Turcos Euphratem transisse et Syriam ingressos fuisse ad nocumentum Christianismi, sicut in praeterito consueverant. Unde accepto consilio, sicut necessitas urgebat, petivit rex a patriarcha et clero humillime victoriosam Domini crucem sibi contradi, dicens ab ea se et suos ad praeliandum debere muniri, quia sine gravi praelio credit Turcos praetaxatos de patria, quam jam devastabant, non posse expelli, et quia non confidit in virtute sua, nec in gente quam habebat multa, cruce ipsa, Domino vegetante et propitiante, pro multis millibus potietur. Alioquin sine ipsa nec ipse nec alii audent ad bellum proficisci. Unde ibi ratio bipartita inter euntes ad bellum et remanentes in Hierusalem satis decens habita est, sive debeat pro tanta necessitate Christianitatis Antiochiam crux deferri, sive Hierosolymitana Ecclesia de tanto thesauro suo tunc privari. Dicebamusque: « Heu miseri! quid faciemus, si permittente Deo perdiderimus in bello crucem, sicut perdiderunt Israelitae olim arcam foederis? » Quid plura referam? Necessitas monuit, ratio edocuit; fecimus quod noluimus, et quod nolebamus voluimus. Et cum, multis lacrymis pie pro ea profusis et canticis in laude illius decantatis, extra urbem nudis pedibus rex, patriarcha, plebs quoque omnis eam conviassent, rex cum ea flendo discessit, et populus ad urbem sanctam rediit. Mensis erat Junius. Antiochiam ergo abierunt, quam Turci adeo jam coarctabant, ut extra muri ambitum inhabitantes vix uno milliario procedere auderent. Sed, audito regis adventu, inde statim se removentes, versus Halapiam urbem, ubi tutius esse possent, abierunt; quibus tria militum Damascenorum millia tunc aggregata sunt. Cumque rex bellandi causa motu audaci ad eos accessisset, et utrinque sagittis jactatis plures sauciati vel interfecti occidissent, et bellare tamen Turci recusassent, post triduum litis hujus, nullo certo fine concluso, et Antiochiam nostri remeaverunt, et in Persidem pars Turcorum major repatriaverunt. De caetero crucem sanctam rex honorifice Hierusalem remisit, et ipse in Antiochiae regione terram protecturus remansit. Tertio decimo Kalendarum Novembrium ipsam gloriosam Domini crucem in Hierusalem cum gaudio magno suscepimus. |
En l'année 1120, depuis l'Incarnation de Jésus(Christ, le roi Baudouin II exempta de toutes gênes ceux qui voudraient faire entrer par les portes de Jérusalem du froment, de l'orge ou des légumes; et ordonna que, Chrétiens ou Sarrasins, ils auraient la libre faculté d'entrer et de sortir, de vendre leurs denrées où et à qui il leur plairait, sans être molestés, et leur fit en outre remise du droit d'un boisseau qu'ils étaient d'ordinaire tenus de payer.
Après que nous eûmes passé dans Jérusalem les six premiers mois de cette année, des messagers arrivèrent d'Antioche, et annoncèrent, tant au roi qu'à tous ceux de nous qui se trouvaient présens, que les Turcs avaient passé l'Euphrate et étaient entrés en Syrie pour nuire aux Chrétiens, comme ils l'avaient déjà fait par le passé. Le roi ayant donc pris conseil, comme l'exigeait l'urgente nécessité des circonstances, demanda en toute humilité au patriarche et au clergé de lui confier, pour l'emporter avec lui, la croix du Sauveur; et il disait que les siens avaient d'autant plus besoin d'être fortifiés par ce signe du salut dans les combats qu'ils auraient à livrer, qu'il était persuadé qu'on ne pourrait pas, à moins de braver de graves dangers, chasser lesdits Turcs de notre territoire, que déjà ils dévastaient; qu'il ne se confiait ni dans sa valeur, ni dans le grand nombre de ses troupes, et préférait à beaucoup de milliers d'hommes cette croix, qui lui assurerait le puissant secours et la faveur de Dieu; qu'enfin sans cette croix, ni lui-même ni les autres n'oseraient partir pour cette guerre. Alors s'éleva entre ceux qui allaient partir pour cette expédition et ceux qui devaient rester dans Jérusalem une discussion, certes bien convenable dans cette occasion, pour savoir si, dans une crise si importante pour la Chrétienté, il fallait porter la sainte croix à Antioche, ou si l'église de Jérusalem devait ne pas se priver d'un si précieux trésor. «Hélas! malheureux, disions-nous, que deviendrions-nous si Dieu permettait que nous perdissions sa croix dans cette guerre, comme autrefois les Israélites ont perdu l'arche d'alliance!» Mais pourquoi m'étendrais-je davantage sur ces détails? Ce que nous ne voulions pas, nous finîmes par le vouloir malgré notre propre volonté; la nécessité commandait, la raison parlait, nous fîmes ce qui était demandé; le roi, le patriarche, tout le peuple accompagnèrent la sainte croix hors de la ville, nu-pieds, en versant sur cette relique un torrent de pieuses larmes, et en chantant en son honneur des cantiques de louanges; le monarque partit avec elle en pleurant, et le peuple rentra sans elle, en pleurant, dans la Cité sainte. On était alors dans le mois de juin. Les nôtres marchèrent droit à Antioche, que déjà les Turcs serraient de si près qu'à peine les habitans osaient-ils s'avancer à un mille hors de l'enceinte du mont. Mais les Infidèles ayant appris que le roi arrivait, se retirèrent sur-le-champ de devant cette ville, et se dirigèrent sur Alep, où ils croyaient pouvoir être plus en sûreté, et où trois mille soldats de Damas se réunirent à eux. Cependant Baudouin, par une marche pleine d'audace, approcha l'ennemi de plus près, dans le dessein de livrer bataille. Déjà les flèches volaient de part et d'autre, et quelques hommes étaient tombés ou blessés ou morts; mais les Turcs refusaient toujours le combat. Après trois jours passés à se harceler ainsi, sans que cette lutte se terminât d'une manière positive, les nôtres regagnèrent Antioche, et les Infidèles, pour la plus grande partie, retournèrent dans la Perse leur patrie. Au surplus, le roi renvoya honorablement escortée la sainte croix à Jérusalem, et resta dans la contrée d'Antioche, afin de pourvoir à la sûreté de ce pays. Le vingtième jour d'octobre, nous reçûmes avec grande joie dans la Cité sainte la très-glorieuse croix du Sauveur.
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CAPUT X. De expeditione regis contra Damascenos. Anno ab Incarnatione Domini 1121, congregavit rex gentem suam a Sidone usque Joppem, et III Nonas Julii transgressus Jordanem, adiit regem Damascenorum, qui cum Arabibus sibi foederatis et adunatis terras nostras Tiberiadi proximas nullo ei resistente vastabat. Qui cum persensisset regem nostrum cum exercitu suo adversum se appropinquantem, collectis illico tabernaculis suis, bellum evitans refugus in sua recessit. Quem cum per duos dies rex insecutus fuisset, nec bellare cum eo gens illa auderet, reversus est ad castellum quoddam, quod ad nocumentum nostrum anno praeterito Tuldequinus, rex Damasci, construi fecerat, quod a Jordane aestimamus discrepare 16 milliariis. Id rex obsedit, machinis coercuit, vi expugnavit, redditum recepit. Cujus custodes et protectores, 40 videlicet Turcos, sub statuta conditione vivos abire permisit, et oppidum deinde ad solum usque prostravit. Jarras nominant hoc castrum regionis incolae, quod juxta civitatem quamdam mirabiliter et gloriose situ forti antiquitus fundatum, lapidibus magnis et quadris illuc erectum erat. Ubi autem comperit rex non sine gravitate magna obtineri, nec sinc difficultate gente et alimentis ut oporteret posse muniri, jussit illud dirui, et omnes ad sua regredi. Haec olim urbs insignis fuit in Arabia, Gesara nominata, monti Galaath adjuncta, in tribu Manassae instituta.
Explicit hic annus in cunctis fine secundus, |
L'année 1121 de l'Incarnation du Seigneur, le roi réunit tout ce qu'il avait de troupes depuis Sidon jusqu'à Joppé; il traversa le Jourdain le 5 du mois de juillet, et marcha contre le roi de Damas. Ce prince avec les Arabes ses alliés, qui étaient venus le joindre en foule, ravageait, sans rencontrer la moindre résistance, la partie de notre territoire la plus voisine de Tibériade; mais aussitôt qu'il soupçonna que notre roi s'avançait avec son armée contre lui, rassemblant ses tentes, et évitant le combat, il se retira en fugitif dans son pays. Baudouin l'ayant poursuivi pendant deux jours, sans que cette race ennemie osât accepter la bataille, tourna ses pas vers un certain château, que Toldequin, roi de Damas, avait fait construire l'année précédente pour nous nuire, et que nous estimons être éloigné du Jourdain d'environ seize milles. Le roi y mit le siége, le pressa vivement à l'aide de machines, l'attaqua de vive force, le contraignit de se rendre, et le prit. Il permit à quarante Turcs qui en formaient la garnison, et le défendaient, de se retirer la vie sauve, puis détruisit, et rasa le château. Les habitans du pays nommaient Jarras cette forteresse construite de grandes pierres carrées, au centre même d'une glorieuse cité bâtie très-anciennement dans une situation aussi forte qu'admirable. Baudouin reconnaissant qu'on ne pourrait occuper ce fort sans une grande dépense, et qu'il serait difficile d'y maintenir constamment autant d'hommes et d'approvisionnemens qu'il le faudrait, il commanda qu'on le détruisît, et que tous63 ensuite retournassent chez eux. La ville dont il s'agit ici, nommée Gérasa, qui touchait au mont Galaad, et faisait partie du territoire de la tribu de Manassé, était autrefois célèbre dans l'Arabie. Ici se termine ce que nous avions à dire de cette année prospère presqu'en toutes choses, heureuse par la paix et abondante en productions de tout genre.
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CAPUT XI. De alia expeditione regis contra Tripolitanii comitem; dehinc iterum contra Turcos. Anno Dominicae Incarnationis 1122, praeficitur in Hierusalem Ecclesiae Tyriae archiepiscopus, Odo nomine, primus de gente Latina. Deinde abiit rex Ptolemaidam. Unde gente sua congregata videlicet et equite, movens exercitum suum, et Dominicam crucem secum deferens, profectus est Tripolim, injuriam ulturus et contemptum, quem regionis illius comes Pontius nomine incutiebat, recusans ei obsequi, uti Bertrannus pater ejus fecerat. Sed Deo volente, et optimatum praesentium utrinque laudatione, amici facti sunt ad invicem, comite rationi assentiente. Quibus siquidem pacificatis, astitit illico archiepiscopus quidam ab Antiohenis illuc missus, regem cohortans, ut Antiochiam quantocius properaret, contra Turcos opem laturus. Jam enim terram illam devastabant, nullo principe eis resistente. Quo audito, rex continuo properavit, habens secum trecentos milites lectissimos et 400 clientes adventitios probissimos. Caeteri vero vel ad Hierusalem, vel ad sua remeaverunt. Cum autem pervenisset rex ubi Turcos audierat esse congregatos, circa scilicet castrum quoddam, quod Sardanaium vocatur, quod jam obsidione cohibebant, removerunt se inde volentes regem exspectare. Quo comperto, secessit rex Antiochiam. Turci vero ad inceptum denuo recurrunt. Cumque rex hoc auditu percepit, versus eos prompte equitavit. Sed quia gens illa Parthica in procinctu vel apparatu bellico moraliter nunquam in eodem statu permanentes (nunc enim visum, nunc dorsum obsistentibus opinione celerius vertunt, et praeter spem simulate fugiunt, et recursu repentino impetunt), non se ad bellandum cito aptaverunt, sed congressum penitus vitaverunt, et taliter ceu victi abscesserunt. Benedictum ergo sit sansanctissimae et Dominicae crucis vexillum, et ubique omnibus orthodoxis praesens subsidium, sub cujus protectione et consolatione fideles muniti, sine detrimento aliquo Christianos nostros ad sua concessit regredi! Illi equidem 10 millia aestimati sunt militum, nostri vero 1200, absque globo peditum. Et cum usque Tripolim una cum cruce Dominica remeasset rex, orto negotio, cum aliquantis reversus est Antiochiam. Et sic Dominica crux in Hierusalem delata, cum gaudio magno in loco suo XVII Kal. Octobris honorifice est reposita.
Tempus erat quo Libra pares exterminat horas. CAPUT XII. De comite Edesseno capto. Interea captus est Goscelinus comes Edessenus, Galerannusque cum eo cognatus ejus, interemptis quidem de suis non minus quam centum. Quos quidem Balac admiraldus quidam tam astutia quam insidiis molitus intercepit.
Finit et hic annus quam qui praecessit opimus |
L'an 1122, à dater de l'Incarnation du Sauveur, l'archevêque de l'église de Tyr, appelé Odon, fut élevé au siége de Jérusalem: ce fut le premier de race latine qui obtint ce patriarchat; mais il mourut dans la même année, et fut enterré à Ptolémaïs. Ensuite le roi se rendit dans cette dernière ville, et y rassembla toutes ses troupes, tant gens de pied que chevaliers; puis faisant connaître à son armée le but de son expédition, et portant avec lui la sainte croix du Seigneur, il marcha sur Tripoli, pour venger l'injure et l'acte de mépris dont s'était rendu coupable envers lui le comte de cette ville. Celui-ci, nommé Pons, refusait en effet d'obéir au roi comme l'avait fait Bertrand son père; mais par la volonté de Dieu, et à la louange des grands des deux partis, le comte entendit raison, et le roi et lui redevinrent mutuellement amis. La paix venait d'être rétablie entre eux, quand arriva dans ce lieu un certain archevêque, envoyé par les gens d'Antioche, avec mission de presser le roi de venir en toute hâte secourir cette ville contre les Turcs. Déjà ces Infidèles ravageaient le pays, sans qu'il se trouvât aucun chef pour leur résister. A cette nouvelle Baudouin marcha sur-le-champ contre eux, n'ayant avec lui que trois cents hommes d'armes bien choisis, et quatre cents hommes de pied d'un courage éprouvé, qu'il avait pris à sa solde; quant aux autres troupes elles retournèrent ou à Jérusalem ou chez elles. Lorsque le roi fut parvenu près de l'endroit où les Turcs étaient rassemblés, autour d'un certain château nommé Sardanium, qu'ils assiégeaient et serraient vivement, ceux-ci, n'osant pas l'attendre, s'éloignèrent de cette place. Baudouin l'ayant appris, se retira de son côté dans Antioche; les Turcs alors vinrent de nouveau reprendre le siége qu'ils avaient commencé. Dès que le roi en fut instruit, il monta à cheval, et courut à eux; mais cette race, vraiment Parthe par sa manière de se préparer à la guerre et de la faire, ne sait jamais demeurer un seul instant64 dans la même position; plus prompte que la pensée, elle tourne tantôt le visage, tantôt le dos, à ceux qui l'attaquent, s'éloigne par une fuite simulée au moment où on l'espère le moins, et revient tout à coup fondre sur vous à toute course. Dans cette occasion, ces Infidèles refusèrent tout-à-fait d'en venir aux mains, et s'en allèrent comme gens complétement vaincus. C'est ainsi que l'étendard béni de la très-sainte croix du Seigneur, ce secours toujours et partout présent à tous les orthodoxes, qui protège, console et fortifie les fidèles, permit à nos Chrétiens de retourner chez eux sans avoir éprouvé le moindre échec. On estimait en effet la force des Turcs à dix mille hommes d'armes, tandis que nous n'en avions que douze cents, sans compter le corps des gens de pied. Le roi revint jusqu'à Tripoli avec la sainte croix du Sauveur; puis, accompagné seulement de quelques hommes, reprit la route d'Antioche. La croix du Seigneur fut alors rapportée avec grande joie à Jérusalem, et remise honorablement à sa place accoutumée, le 20 septembre.
Pendant que ces choses se passaient, Josselin, comte d'Edesse, tomba dans une embuscade que lui avait dressée un certain émir Balak, renommé par ses ruses; il y perdit non moins de cent des siens, qui y laissèrent la vie, et fut fait prisonnier avec son cousin Galeran. Cette année ne fut pas moins riche que la précédente en toutes sortes de fruits de la terre; on récolta dans les champs des productions de tout genre, et le boisseau de froment se vendait une pièce d'argent, ou quarante pièces de petite monnaie, si l'on veut calculer par le poids. Alors ni les Parthes, ni les Babyloniens ne songeaient à entreprendre de nouvelles guerres.
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CAPUT XIII. De pace inter papam et imperatorem. Anno ab ortu Domini 1123, indictione I, rex Alemanniae Henricus cum papa Calixto pacificatur. Deo gratias, quia regnum et sacerdotium in dilectione confoederantur. CAPUT XIV. De Veneticis Hierusalem properare disponentibus. Eodem anno Venetici cum navigio magno in Syriam navigare commoti sunt, ut Hierusalem et regionem ei adjacentem Christianismi utilitati et exaltationi, opitulante Deo, amplificarent. Qui anno praecedenti de terra sua egressi, in insula, quae Curpho nuncupatur, tempus exspectantes opportunum navigandi hiemaverunt. Classis quippe eorum 120 navium fuit, exceptis carinis vel carabis, quarum aliae quidem rostratae, aliae oneratae, aliae vero triremes fuerunt. Triformi quidem fabrica compactae sunt. In quibus materies lignorum magnae proceritatis imposita non defuit: unde compositis ab artificibus sapienter machinis, muros urbium sublimes ascendere et comprehendere posset. CAPUT XV. Quo tempore iter arripuerunt. Igitur postquam verno tempore patescunt viae ratibus, quod Deo diu devoverant explere non torpuerunt. Et viatico navali abunde sibi praeparato, cum tuguria, in quibus hieme conquiverant, communiter succendissent, concrepantibus tubis quamplurimis, carbasa, Dei invocato auxilio, gaudenter displicantur et elevantur. Naves autem, quae coloribus variis picturatae erant, splendore nimio prospectantes satis delectabant, quibus ter quina hominum armatorum millia tam de Veneticis quam peregrinis sibi adjunctis inerant. Porro equos secum 300 conveniebant. Itaque Borea tunc leniter aspirante, pontum decentissime sulcantes, cursum suum versus Mothonem dirigunt Rodum. Et quia necesse erat ut simul nec sparsim incederent, flabris etiam interdum alternantibus, ne si provide iter suum modificarent, alii ab aliis cito discreparent, propterea diebus brevibus die non nocte velificantes, portibus frequenter inventis necessario quotidie applicabant, ne regentis aquae penuriam patientes, tam ipsi quam eorum equi siti gravarentur. CAPUT XVI. Quod rex Balduinus sit captus, et Eustachius quidam pro eo constitutus. Eodem tempore contigit Balduinum regem Hierosolymorum capi. Balac enim, qui antea Goscelinum Galerannumque ceperat, hunc etiam non in hoc bene providum, sed imparatum comprehendit; quo nihil paganis jucundius, nihil Christianis horribilius. Postquam rumor iste usque ad nos in Hierusalem diffusus est, venerunt omnes in concionem in urbem Ptolemaidam, consilium capturi quid facto opus esset. Et elegerunt et constituerunt terrae fore custodem et praeceptorem Eustachium quemdam, hominem probum et moribus honestum, qui tunc Caesaream possidebat et Sidonem. Hoc siquidem patriarcha Hierosolymitanus una cum optimatibus terrae illius dictavit et teneri decrevit: quotenus de rege capto rei exitum certum audirent. Ita Maio mense mediante, cum jam audivissemus Babylonios Ascalonem usque pervenisse, bipartito exercitu, terrestri videlicet itinere atque marino, praeparata liburna statim agillima, statuerunt legationem ad Veneticorum classem mittendam, exhortando precantes ut negotium incoeptum accelerato navigio nobis adjuturi succurrerent. CAPUT XVII Quod iterum Joppitae a Babyloniis sunt obsessi, et valde afflicti. Babylonii autem navigio suo Joppem irruentes, et de navibus pompatice cum ingenti sonitu aerearum tubarum exsilientes, urbem obsidione circumdederunt. Et machinamentis suis et instrumentis, quae in navibus majoribus attulerant, continuo erectis, urbem undique assilierunt, et pro valitudine nescia lapides torquendo cohibebant. Erant enim tormenta vehementiora, quibus ultra jactum sagittae saxa torquebant. Pedites nempe Arabes, vel Aethiopes, quos secum adduxerunt, cum militum manu assultum grandem civibus dabant. Alii tela, alii lapides vel sagittas utrobique jaciebant. Interim autem externos crebris ictibus saepissime trucidabant; pro se enim viriliter pugnabant. Aethiopes quidem ancilia tenentes in manibus, se inde tegebant et protegebant. Mulieres vero civibus valde laborantibus gratuito semper praesto fuerunt adjumento. Aliae lapides subministrabant, aliae vero aquam potui praebebant. Cumque murum Sarraceni per quinque dies jam aliquantulum laesissent, et minas desuper dilapidando plures diruissent, audito adventu nostrorum qui eis approximabant, significante buccina certamen dimiserunt, et machinamenta sua frustratim in naves reportaverunt. Quod si diutius ibi morari auderent, procul dubio civitatem comprehenderent. Pauci autem erant, qui tuebantur eam. Jamjamque locatim murum circumfoderant, ut spe velocius eum penetrarent. Classis quippe eorum 80 navium fuit. CAPUT XVIII. De bello et victoria Christianorum auxilio sanctae crucis. Cum igitur damnum imminere gens nostra per rumigeros didicisset, in unum corpus undique congregati, ante castellum quoddam, quod Chacho incolae regionis nominant, de Tiberiade videlicet et Ptolemaida, Caesarea quoque et Hierosolyma, cum cruce Dominica ad illum conventum jam delata, contra hostes dimicaturi usque Ramatha urbem, quae est juxta Duspolim, properaverunt. Nos autem, qui Hierusalem remansimus, pro fratribus nostris in tribulatione sic positis orare, et eleemosynas egenis impertire, per universas civitatis sanctae ecclesias processiones pie facere, tam Latini quam Graeci atque Syri, interim nudipedes non cessavimus. Proceres autem nostri mane summo de Ramatha consurgentes, cum gentem nostram per cohortes procedere, ut decebat, ordinassent, benedictione et absolutione a patriarcha populo data, bellum committitur apud Azotum urbem quondam quintam Philisthinorum, nunc autem Ibenium dictam. Quae in viculum parvulum redacta est. Porro pugna ista non longa hora protrahitur. Nam cum perspicerent nostros probissime armatos eos impetere, continuo milites illi tanquam aliquo onere fascinati in fugam moti sunt, et fuga pro consilio usi sunt. Pedites vero detruncati sunt. Tentoria eorum cuncta cum rebus multiformibus in campo remanserunt. Tria nempe vexilla pretiosissima, quae Standarz nominamus, ab eis excusserunt. Utensilia etiam multiformia, culcitras et pulvinaria. Carram quoque multam cum sarcinis secum nostri reduxerunt. Camelos videlicet 400, asinos quingentos. Sedecim millia ex eis praeliatum venerunt, quorum sex millia interfecti sunt. De nostris autem pauci. Gens equidem nostra octo millia aestimati sunt, sed audaces probissimi, et ad pugnandum valde animati, et amore Dei freti, et confidentia ejus penitus corroborati.
Sub Geminis Phoebo jam tunc bis sexies orto, CAPUT XIX. De receptione sanctae crucis. Bello autem per Dei potentiam sic superato, et ad gloriam ipsius et exaltationem Christianismi, ut dictum est, facto, cum Dominica cruce remeavit in Hierusalem patriarcha. Qua extra portam Davidicam cum gloriosa processione suscepta, et usque ad basilicam Dominici sepulcri honorifice deducta, Te Deum laudamus cantantes, Omnipotenti de beneficiis suis universi laudes reddidimus. CAPUT XX. De adventu Venetorum, et navali praelio eorum contra Sarracenos. Post triduum autem prospero successu ita potiti, secundi rumores subsecuti sunt. De Venetorum enim classe in Palaestina per plerosque portus applicata cum audivimus, jucundati sumus. Hoc equidem diu fama promiserat. Cumque dux Veneticorum, qui navigio huic principabatur, Ptolemaidae applicuisset, intimatum est ei statim, prout gestum fuerat apud Joppem, terra scilicet et mari, et quomodo Babylonii, prout valuerant, negotio suo expleto jam illinc abierant. Quod si celerato cursu vellet eos prosequi, Deo juvante, procul dubio eos assequi posset. Qui, consilio navitarum statim adhibito, bifaria navigatione adhibita, unam navigii sui partem, in qua ipse dux erat, versus Joppem emisit. Alteram vero partem in altius pelagus prudentissime misit, ut ignaris Sarracenis peregrini esse Hierusalem adeuntes a parte Cypri putarentur. Et cum Sarraceni 18 naves de classe Venetica perspicerent ad se appropiare, tanquam de emolumento jam acquisito coeperunt exsultare, et contra Veneticos aptaverunt se navigare et ad pugnam eos audacter suscipere. Nostri autem tanquam ad certamen bellicum verecundari simulantes, et astute aliam navigii partem potiorem et postremam, in qua praedictus dux erat, paulatim exspectantes, nec fugere disposuerunt, nec pugnare cum eis praesumpserunt, quotenus jamdictum navigium postremum tam velis quam remis exsurgere Sarraceni cernerent. Igitur Veneticis crevit spiritus, et indicibiliter in eos irruerunt, et undique ita eos accinxerunt ut locum fugae uspiam reperire non possent. Tunc mirum in modum Sarracenis coercitis, neque naves neque nautae aliquorsum evadere potuerunt, sed naves eorum Venetici ingressi, detruncaverunt omnes. Fide caret quod ultra humanum auditum in navibus bases occidentium sanguine fluido tingerentur. Itaque naves multis onustae opibus capiuntur. Corporibus quidem extra naves tunc jactatis, usque ad quatuor millia passuum salum rubescere circumquaque videretis. Deinde cum ultra Ascalonem exploraturi aliquid proficui navigarent, obvias sibi repererunt 10 naves alias diversis alimentis confertas, quibus inerant ligna proceritate magna, et directa, ad componendas machinas spectabilia. Illas quoque cum munimentis plurimis, etiamque auro et argento, numismatibusque multis; piper quoque et ciminum, et diversas species odoramentorum diripiunt. Naves quoque aliquantas ad terram fugitivas in littore ipso combusserunt igni, sed et plures integras Ptolemaidam adduxerunt. Laetificavit itaque Dominus clientes suos, et donativis plurimis multipliciter locupletavit. CAPUT XXI. Quod populus Hierosolymitanus adeo non sit despectus, quamvis rex ejus esset captivus. O quam bonum et gloriosum hominibus semper Deum habere in adjutorium suum! O quam beata gens, cujus est Dominus Deus ejus! Dicebant ergo: « Eamus, et gentem Christianam omnino confundamus, et memoriam eorum de terra deleamus. Regem enim modo non habent, membra capite carent. » Verum dicebant, quia Deum nos habere non credebant. Balduinum perdideramus, sed regem omnium Deum assumpsimus. Illum in necessitate nostra invocavimus, et per illum mirabiliter triumphavimus. Forsitan non erat rex, quem forte fortuitu perdideramus. Sed hic, qui nuper vicit, non solum est rex in Hierusalem, sed et in omni terra. Vere fateri nos oportuit quod regem in praelio habuimus, cum in negotiis nostris prae omnibus illum anticipaverimus. Hic enim praesto est semper, et praesens omnibus qui invocant illum in veritate (Psal. CXLIV, 18) . Viderat enim nos in humilitate nostra valde afflictos, et respiciens pie humilitatem nostram, liberavit nos. Hic pro nobis pugnavit, hic ad nihilum inimicos nostros reduxit. Hic semper vincere consuevit, qui nunquam vincitur. Superat, nec superatur. Non fallit, nec fallitur. Rex equidem est, recte enim egit. Quomodo ergo rex erit, qui semper vitiis vincitur? Nunquid promeretur dici rex qui semper habeatur exlex? Quia legem Dei nec tenet, nec tuetur. Et quia non timet Deum, timebit quidem hominem inimicum suum. Adulter est, vel perjurus, sive sacrilegus; hic talis nomen regis perdit, mendax et fraudulentus. Quis confidit in eo? Aequus est impiis. Quomodo exaudiet illum Deus? Si ecclesiarum dissipator, si pauperum oppressor, tunc non regit, sed confundit. Adhaereamus Regi superno, et spem nostram ponamus in eo, et non confundemur in aeternum. CAPUT XXII. De morte Eustachii, et successione Willelmi Tempore isto taliter aegro decessit Eustachius, in custodem terrae nostrae electus, XVII Kal. Julii. Cui succedere Guillelmum de Buris statuerunt, qui Tiberiadem tunc possidebat. |
L'année 1123, depuis la naissance du Sauveur, Henri, roi d'Allemagne, fit la paix avec le pape Calixte. Grâces en soient rendues au Seigneur, qui voulut ainsi réunir par les liens de l'amitié le trône et le sacerdoce.
Cette même année, les Vénitiens se déterminèrent à naviguer vers la Syrie avec une grande flotte, afin d'étendre, avec le secours de Dieu, pour l'avantage et la plus grande gloire de la foi chrétienne, l'empire et le territoire de Jérusalem. Partis de leur pays l'année précédente, ils passèrent l'hiver dans une île qu'on appelle Chypre, et y attendirent la saison favorable pour se remettre en mer. Leur flotte se composait de cent vingt navires, sans compter les canots et les barques; ces vaisseaux étaient les uns garnis d'éperons, les autres des hâtimens de transports, et d'autres enfin à trois rangs de rames. Ces derniers, construits à trois étages, renfermaient beaucoup de matériaux d'une grande longueur, dont d'habiles ouvriers construisaient des machines, à l'aide desquelles on pouvait prendre ou brûler les plus hautes murailles des places fortes.
Aussitôt donc que le printemps ouvrit aux vaisseaux le chemin des mers, les Vénitiens ne différèrent pas d'accomplir le vœu qu'ils avaient fait à Dieu depuis long-temps. Après avoir réuni en abondance les vivres nécessaires pour la traversée, ils mirent le feu aux baraques dans lesquelles ils s'étaient reposés pendant l'hiver, invoquèrent le secours du Seigneur, dressèrent et déployèrent leurs voiles au son d'un grand nombre de clairons. Les vaisseaux peints à l'avance de diverses couleurs réjouissaient, par leur doux éclat, les yeux de ceux qui les voyaient de loin. Ils étaient montés par quinze mille hommes armés, tant Vénitiens que pélerins d'autres pays, qui s'étaient joints à cette entreprise, et portaient en outre trois cents chevaux; un vent léger seconde leur marche; ils fendent en bon ordre le sein des ondes, et dirigent leur course d'abord vers Modon, ensuite sur Rhodes. Comme il importe que tous marchent ensemble et de conserve, et point séparément, même lorsque parfois les vents viennent à changer, les uns modèrent leur course pour ne pas se trouver souvent éloignés des autres; dans ce but encore, ils marchent à petites journées, ne font voile que le jour et point la nuit, entrent fréquemment dans les ports qu'ils trouvent sur leur route, et pourvoient chaque jour aux besoins indispensables, de peur que le manque d'eau fraîche ne fasse souffrir de la soif et les hommes et les chevaux.
Dans ce même temps, il arriva que Baudouin roi de Jérusalem fut fait prisonnier. Ce Balak, en effet, qui, quelque temps auparavant, avait pris Josselin comte d'Edesse et Galeran, réussit encore à s'emparer de Baudouin, qui dans cette occasion, faute d'assez de prévoyance, fut contraint de se rendre65. Rien assurément ne pouvait être plus agréable aux Païens, et plus horrible pour les Chrétiens. Aussitôt que le bruit de ce malheur fut parvenu jusqu'à nous, et répandu dans Jérusalem, tous s'empressèrent de se réunir en assemblée générale dans la cité de Ptolémaïs, et de tenir conseil pour aviser à ce qu'il fallait faire. On élut et l'on établit gardien et gouverneur du royaume un certain Eustache, homme d'une grande vertu et de mœurs très pures, qui possédait alors les villes de Sidon et de Césarée. Le patriarche de Jérusalem, d'accord avec les grands du pays, le régla ainsi, et ordonna qu'on eût à s'y conformer jusqu'à ce qu'on apprît quelque chose de positif sur la fin de la captivité du roi. Vers le milieu du mois de mai, nous fûmes instruits que les Babyloniens étaient arrivés à Ascalon, après avoir partagé leur armée en deux parties, dont l'une suivait la route de terre, et l'autre allait par mer. Préparant donc sur-le-champ une felouque très-bonne voilière, nous envoyâmes des députés vers la flotte des Vénitiens, avec mission de les prier instamment d'accélérer leur marche, et de venir nous prêter secours dans la guerre qui commençait.
Cependant les Babyloniens fondant par mer sur Joppé, sautent hors de leurs vaisseaux avec grand appareil, et au bruit effrayant de trompettes d'airain, cernent cette ville, et en forment le siége. Sans perdre un moment ils dressent les machines et les engins qu'ils ont apportés dans leurs plus gros bâtimens, assaillent la place sur tous les points, et l'accablent de pierres qu'ils lancent de toutes leurs forces: c'étaient en effet de terribles machines que celles à l'aide desquelles ces pierres portaient plus fort et plus loin que la flèche décochée par l'arc des Parthes. Les gens de pied, tant Arabes qu'Ethiopiens, que ceux de Babylone ont amenés avec eux, livrent, conjointement avec un petit corps d'hommes d'armes, un terrible assaut aux habitans de la ville; et de part et d'autre on fait pleuvoir ceux-là des traits, ceux-ci des pierres, et d'autres des flèches: ceux du dedans, en effet, portent des coups pressés à ceux du dehors, en font tomber un grand nombre, et combattent avec un mâle courage pour leur propre salut. D'une part, les Ethiopiens, tenant dans leurs mains des boucliers, s'en couvrent et se garantissent; de l'autre, les femmes se montrent toujours empressées de prêter aux citoyens, accablés de fatigue, un secours qui leur est cher: les unes leur fournissent des pierres; les autres leur apportent de l'eau à boire. Cependant les Sarrasins, qui, depuis cinq jours, battaient les murs, les avaient un peu endommagés, et étaient parvenus à en faire sauter plusieurs créneaux à force d'y jeter des pierres; mais aussitôt qu'ils apprennent l'arrivée des nôtres qui approchaient, la trompette leur donna le signal de la retraite, ils abandonnèrent l'attaque de Joppé, démontèrent leurs machines, et en reportèrent en hâte les pièces dans leurs navires. S'ils eussent osé demeurer plus long-temps sous les murs de cette ville, nul doute qu'ils l'auraient prise: d'une part, ceux qui la défendaient étaient peu nombreux; de l'autre, les Infidèles avaient déjà creusé et miné tout autour des remparts de manière à pénétrer dans l'intérieur plus tôt qu'ils ne s'y attendaient, et de plus leur flotte se composait au moins de quatre-vingt-dix bâtimens.
Mais lorsque les nôtres furent informés par les colporteurs de nouvelles du péril imminent qu'ils couraient de perdre Joppé, ils se rassemblèrent de tous les points en un seul corps d'armée, accoururent de Tibériade, Ptolémaïs, Césarée, Jérusalem, devant un certain château que les habitans du pays appellent Chaco, portèrent avec eux, au rendez-vous général, la croix du Sauveur, et s'avancèrent en hâte jusqu'à Ramatha, près de Diospolis, pour chercher et combattre l'ennemi. Quant à nous, tant Latins que Grecs et Syriens, qui étions demeurés à Jérusalem, nous ne cessâmes, pendant le temps que dura cette expédition, de prier constamment pour nos frères exposés à de si cruelles tribulations, de répandre des aumônes sur les pauvres, et de visiter processionnellement, et nu-pieds, toutes les églises de la Cité sainte. Cependant nos grands se lèvent dès la petite pointe du jour, sortent de Ramatha, et ordonnent que notre armée, rangée en cohortes suivant les règles de l'art, se mette aussitôt en marche. Le patriarche donne à tous sa bénédiction et l'absolution de leurs péchés; et les nôtres ayant le Seigneur Dieu pour garde, pour étendard, et pour auxiliaire, engagent le combat. Cette bataille eut lieu près des ruines d'Azot ou d'Eldot, autrefois la cinquième cité des Philistins, mais depuis longtemps réduite à l'état d'un misérable bourg qu'on appelle maintenant Jabue. La lutte au surplus ne fut pas de longue durée; à peine, en effet, les Infidèles eurent-ils vu de loin nos guerriers s'avancer contre eux avec grand courage, que sur-le-champ leurs cavaliers, comme si leurs yeux étaient fascinés par quelque présage, se mirent à prendre la fuite. Quant à leurs gens de pied, tous furent massacrés; et leurs tentes, avec une foule de richesses de toute espèce, restèrent sur le champ de bataille. On y prit, entre autres choses, trois drapeaux, de ceux qu'on nomme vulgairement étendards; les nôtres emportèrent encore des ustensiles de mille formes diverses, des matelas, des coussins, et ils emmenèrent avec eux quatre cents chameaux, ainsi que cinq cents ânes chargés d'une immense quantité de bagage. Les Sarrasins venus de Babylone pour combattre étaient au nombre de trente mille; douze mille furent tués tant sur mer que sur terre. Les nôtres, au contraire, ne perdirent que peu des leurs, à savoir, dix hommes: on assure que leur nombre s'élevait seulement à huit mille combattans; mais tous étaient pleins d'audace, d'une valeur éprouvée, très-animés à bien faire, soutenus par leur amour, pour le Seigneur, et fortifiés par leur entière confiance en lui. Douze fois déjà le soleil s'était levé sous le signe des Gémeaux quand, la race criminelle des Babyloniens fut domptée par la force toute-puissante de Dieu. Alors les cadavres de ces étrangers couvrirent les champs, devinrent la proie des loups, et servirent de pâture aux hyènes.
Dès que, grâces à la puissance et à la volonté du Seigneur, cette guerre fut terminée, comme on vient de le raconter, à la gloire du saint nom de Dieu et au triomphe de la foi Chrétienne, le patriarche, revint à Jérusalem avec la croix du Sauveur. Nous allâmes processionnellement la recevoir hors des portes avec tous les honneurs qui lui étaient dus; et puis nous la reconduisîmes pompeusement jusqu'à la basilique du sépulcre du Sauveur, en chantant le Te Deum laudamus, et nous payâmes un juste tribut de louanges au Tout-Puissant, en reconnaissance de ses bienfaits. Le lendemain du jour où nous obtînmes cet heureux avantage contre les Infidèles, des nouvelles favorables nous arrivèrent encore. Nous apprîmes, en effet, que la flotte vénitienne était entrée dans plusieurs ports de la Palestine, et nous en ressentîmes d'autant plus de joie, que depuis long-temps déjà la renommée nous promettait ce secours. Aussitôt donc que le duc des Vénitiens, qui commandait lui-même cette expédition maritime, eut touché Ptolémaïs, on lui fit connaître ce qui s'était passé, tant par terre que par mer, à Joppé; comment les Babyloniens, après avoir tenté tout ce qu'ils avaient pu contre cette place, s'en étaient éloignés; et comment enfin, s'il voulait les poursuivre avec célérité, Dieu aidant, il parviendrait certainement à les atteindre. Ce duc alors réunit sur-le-champ les chefs de sa flotte en conseil, la divisa en deux parties, se dirigea lui-même avec celle où il était sur Joppé, et prescrivit à l'autre de tenir la haute mer. Son but était que les Sarrasins, ignorant où se trouvaient les vaisseaux montés par les pélerins qui se rendaient à Jérusalem, les crussent, encore du côté de Chypre. Les Infidèles qui ne voient en effet s'approcher d'eux que seize navires de la flotte vénitienne, les regardent comme une proie déjà toute acquise; s'abandonnant donc à la joie, ils se préparent à courir sur les Vénitiens, et à accepter audacieusement le combat. Cependant nos alliés font mine de craindre d'engager la bataille, et attendant avec adresse l'arrivée de la partie la plus considérable de leur flotte, qu'ils avaient laissée en arrière, ils ne se disposent point à fuir. mais ne manifestent non plus aucune envie d'en venir aux mains avec les Sarrasins, jusqu'au moment où ceux-ci aperçoivent le reste de la flotte des Vénitiens, qui cinglait à toutes voiles et en forçant de rames. Les nôtres alors sentant croître leur audace, fondent avec une inexprimable rapidité sur les Infidèles, et les cernent de toutes parts si étroitement qu'il leur soit impossible de trouver aucun moyen de s'échapper. Bientôt les Sarrasins sont vivement et merveilleusement serrés de tous côtés; ni leurs navires, ni leurs matelots ne peuvent fuir en quelque endroit que ce soit. Les nôtres alors abordent les bâtimens de l'ennemi, s'y précipitent, et tuent tout ce qu'ils rencontrent. Chose inouie parmi les hommes et qui semble passer toute vraisemblance, les pieds des vainqueurs nagent dans des torrens de sang, et les cadavres, jetés hors des vaisseaux, rougissent tout à l'entour les flots amers jusqu'à quatre mille pas de distance. Tous les bâtimens ennemis, chargés de grandes richesses, deviennent la proie des Vénitiens. Ceux-ci poursuivent ensuite leur route au delà d'Ascalon, cherchant quelque autre prise à faire; bientôt ils rencontrent sur leur chemin dix autres bâtimens babyloniens remplis de vivres de toute espèce, et chargés de bois d'une grande longueur, parfaitement propres à construire des machines; ils s'en emparent ainsi que de tout ce qu'ils contiennent en munitions diverses, or et argent en lingots, espèces monnoyées en grande quantité, poivre, cumin et parfums de tout genre. Enfin ils brûlent sur le rivage même quelques bâtimens, qui, dans leur fuite, s'efforçaient de regagner la terre, et en ramènent à Ptolémaïs quelques autres en bon état. C'est ainsi que Dieu combla de joie ses serviteurs, et les enrichit de dons abondans et divers.
Qu'il est bon et glorieux aux hommes d'avoir toujours le Seigneur pour auxiliaire! Qu'heureux est le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu66! Ces Infidèles disaient: «Allons, confondons entièrement la nation chrétienne, effaçons jusqu'au souvenir de leur nom de dessus la terre, car ils n'ont plus de roi pour le moment; ce sont des membres qui manquent de chef.» Ils disaient vrai quand, par ces paroles, ils entendaient Baudouin; mais ils disaient faux, ne croyant pas que nous eussions Dieu pour roi. Nous avions perdu Baudouin; mais nous avions pris pour chef Dieu, le roi de toutes choses; c'est lui que nous invoquions dans notre détresse, et c'est lui qui nous fit triompher. Peut-être n'était-il plus roi, celui qui nous avait été enlevé par un malheureux hasard; mais celui qui venait de vaincre les Païens est le roi non seulement de Jérusalem, mais encore de toute la terre. Véritablement il faut avouer que nous eûmes un roi dans ces combats, comme nous l'avons, et l'aurons toujours, lorsque, dans nos affaires, nous saurons le préférer à tout autre appui. Constamment en effet il accourt se ranger avec ceux qui l'invoquent dans la sincérité de leur cœur; il nous vit nous humilier profondément dans notre affliction; et regardant avec commisération du haut de son trône notre humilité, il nous délivra. Il combattit pour nous, et fit rentrer dans le néant nos ennemis. Celui qui a coutume de toujours vaincre, et n'est jamais vaincu, qui dompte, et n'est point dompté, qui ne trompe, ni n'est trompé, lui seul est certes vraiment roi; car il régit tout avec justice. Comment serait-il roi, celui qui se laisse vaincre sans cesse par ses vices? En quoi méritera-t-il d'être appelé roi, si constamment il est hors de la loi? Parce qu'il ne garde pas la loi du Seigneur, il n'y aura point de sûreté pour lui. Parce qu'il ne craint pas Dieu, il lui faudra redouter l'homme qui sera son ennemi. C'est un adultère, un parjure, un sacrilége; et certes un tel homme a perdu le titre de roi. Il est menteur et fourbe67; qui donc pourrait se fier à lui? Il se montre favorable aux impies; comment donc Dieu l'exaucerait-il? S'il pille les églises, s'il opprime les pauvres; alors, certes, il ne gouverne rien, il détruit. Attachons-nous donc uniquement au roi du ciel; ne mettons qu'en lui seul toute notre espérance, et nous ne serons pas confondus dans l'éternité.
Dans ce temps-là Eustache, qu'on avait choisi pour régent de notre royaume, mourut de maladie le quinzième jour de juin, et l'on arrêta de lui donner pour successeur Guillaume de Bures, alors seigneur de Tibériade.
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CAPUT XXIII. Qualiter rex Balduinus de vinculis exiit Mense Augusto deinde mediante, superna clementia providente, rex Balduinus exivit de carcere, et de vinculis Balac, quibus vinctus tenebatur in oppido quodam situ fortissimo, et celsitudine nimis arduo, et difficili comprehendendo. Cum quo simul inclusi erant Goscelinus, comes Edessenus, cum aliquantis aliis captis. Hujus rei narratio satis est longa, sed dono coelesti praedita et miraculis bene ornata. Nam cum in castro illo nullo freti adjumento jam diu angerentur occultati, consilio et ingenio multimodo apud se tractare coeperunt, si aliquatenus inde possent egredi. Unde per fideles internuntios ubicunque amicos habebant auxilium petere non cessaverunt, et cum Armeniis circa eos conversantibus omnimode machinare studuerunt, ut si quando ab externis amicis suis auxilium adipisci possent, illi adjutores esse veri non desisterent. Et cum post aliqua dona et promissa plurima hoc fidei nexu utrinque confirmatum esset, de Edessena urbe sagacissime quinquaginta ferme clientes illuc ob id missi sunt, et quasi pauperrimi merces ferentes atque vendentes usque ad portas interioris castri, occasione quadam oblata, se paulatim intromiserunt. Quod cum portariorum magister juxta portam cum quodam fideli nostro improvidus scaccis luderet, clientes nostri astutissime attentius appropiaverunt, querimoniam injuriae sibi factae ad eum facturi. Et deposita omni ignavia et pavore, e vaginis extractis cultellis illum sic quantocius necaverunt. Et arripientes lanceas illic inventas, ferire et occidere viriliter non pigruerunt. Clamor ingens illico attollitur, et intus et foris omnes perturbantur. Sed qui ad tumultum hunc festini accurrerunt, festinantius mox perempti sunt. Fuerunt equidem centum fere Turcorum. Et confestim clausi de carcere rex et alii tunc ejiciuntur. Adhuc erant aliquanti compediti, quando jam per scalas muri fastigium inscendebant. Et elevato in arcis apice Christianorum vexillo, rei veritas patefacta est. In eadem vero arce uxor erat Balac, caeteris quas habebat sibi charior. Castro autem a Turcis mox undique cincto, ingressus et egressus internis et externis est prohibitus. Portae etiam clauduntur vectibus obditis. CAPUT XXIV. Qualiter etiam comes Edessenus evasit de carcere. Hoc autem non puto silendum quod Balac quoddam infortunium per visionem est revelatum. Vidit enim (quod ipse postea retulit) a Goscelino sibi oculos erui. Quo indilate sacerdotibus manifestato, interpretationem somniis ab eis sciscitatur: « Vere, aiunt, hoc tibi continget, aut tale aliquid huic aequipollens, si in manus ejus incideris. » Hoc autem audito, citissime legationem misit ut occideretur, ne posset ab eo occidi, sicut jam illi praesagiebant. Sed antequam ad eum pervenissent lictores, Deo gratias, jam de captione tali modo evaserat. Rex ergo et sui omnes sapienti et communi consilio usi, ut salvari quolibet modo possent, cum tempus considerarent ad hoc magis aptum, posuit dominus Goscelinus in periculo mortis animam suam, Conditori universorum se commendans cum tribus famulis suis, tam pavidus quam audax, extra castrum per medios hostes, radiante luna, se eripuit. Qui continuo unum ex eis regi remisit reportantem annulum suum, ut taliter significaret se ab hostibus obsessoribus extorsisse; sic enim fieri invicem decreverant. Postea fugitando et latitando, plus nocte quam die pergens, disruptis calceis fere nudipes, usque ad fluvium Euphratem pervenit. Et quoniam navis abfuit, quod pavor optabat facere non distulit. Quid igitur? Duo utres, quos secum detulerat, vento inflavit: super eos se collocavit, et sic in flumen se impegit. Quem collegae sui ignarum nandi commode juvantes sustentare studuerunt, et ad littus, Domino ducente, sanum deduxerunt. Et cum inde itinere insolito valde fatigatus esset, famelicusque et sitibundus anxius anhelaret, nec erat ei qui manum pie porrigeret, sub nuce quadam illic inventa sopore tactus, membra labore fessa itineri attribuit, obumbrans se vepribus et fructetis, ne visus agnosceretur. Interim autem praecepit uni ex famulis suis, ut exploraret et imploraret aliquem indigenam, qui ei panem vel daret, vel utcunque venderet. Inedia enim vexabatur valde. Cliens autem ille rusticum quemdam Armenium in campo prope inventum, et consulte allocutum, adduxit ad dominum suum, caricas et racemos apud se habentem. Hoc enim fames desiderabat. Is autem cum dominum Goscelinum appropians agnosceret, procidit ad pedes ejus, dicens: « Vale Gosceline! » Qui audiens quod nolebat, territus respondit: « Non sum illo quem dicis, sed Deus illum adjuvet ubicunque sit. » Rusticus ait: « Noli, quaeso, notitiam tuam celare; quoniam te procul dubio bene agnosco. Sed revela mihi quid et quomodo in his partibus tibi accidit, nec expaveas moneo. » Cui rursum comes: « Miserere, inquit, mei, quicunque es, nec miseriam meam inimicis meis innotescas obsecro; sed ad salvationis locum deduc me, ut unum pro mercede numisma merearis accipere. Ego enim de captione Balac, Deo propitiante, egressus, aufugio; de castro scilicet, quod Cartapeta nuncupatur, quod in Mesopotamia cis Euphratem est. Bene enim operaberis, si mihi in hac necessitate subveneris, ne amplius in manus Balac incidam, et infortunatus peream. Quod si usque Turbezel castrum meum te mecum venire placuerit, omnibus diebus vitae tuae bene tibi erit. Dic mihi igitur quae et quanta in his locis possessio tua, ut majora si vis apud me tibi diligenter restituam. » Et ille: « Non quaero, inquit, a te quidquam, sed quo vis salvum te perducam. Olim enim, ut reminiscor, me ante fecisti comedere benigne panem. Quamobrem praesto sum tibi reddere talionem. Uxorem, Domine, habeo, unicamque parvulam filiam, simulque unam asellam, duos etiam germanos, duosque boves. Committo autem me tibi, quia vir sapientissimus es et prudens. Jamque cum meis omnibus tecum vado. Porcellum unum insuper habeo. Hunc ego coquam et huc tibi afferam. Sine frater, inquit, unum enim porcum non es assuetus uno prandio mandere, nec expedit te aliqua suspicione vicinos tuos commovere. » Tunc ille ivit, et cum suis omnibus sicut decreverat rediit. Ascendit ergo comes rustici asellam, qui quondam solitus erat equitare mulam peroptimam, bajulans ante se infantem, feminam videlicet, et non marem. Et quam non licuit generare, ac si genitorem licuit gestare. Non ut sibi ex progenie haberet contiguam, sed ut spem filiationis nescientibus monstraret esse certam. Sed cum coepisset infans plorando et vociferando comitem assidue molestare, nec posset eam ullo modo pacare, nec aderat altrix quae lactaret, aut quae fescenninis mulceret, meditatus est collegium ob id ei forte nociturum timidus deserere, et segregatim tutius incedere. Sed cum hoc advertit rustico displicere, noluit eum conturbare, sed perseveravit in coepto labore. Et cum pervenisset Turbezel, talium hospitum laeta fuit valde susceptio. Gaudet quippe uxor, exsultat familia. Nec ambigit nostra conscientia quanta gloriati sint omnes laetitia, et quantae lacrymae prae gaudio funduntur et affluunt suspiria. Fit etiam rustico indilate de humilitate digna remuneratio. Pro uno boum jugo continuo recepit duo. Sed quia non oportuit in his diu morari, comes indilate ivit Antiochiam, deinde Hierusalem. Et redditis illic debitis Deo gratiarum actionibus, obtulit geminas compedes secum allatas, quas devote in monte obtulit Calvariae, ad memoriam captionis, et ad gloriam suae liberationis. Unae quidem fuerunt ferreae, alterae vero argenteae. Post triduum autem exiit de Hierusalem, Dominicam sequens crucem, quae usque Tripolim jam delata erat. Iturus enim erat cum ea Hierosolymitanus exercitus usque Cartapetam castrum Balac, ubi rex et quamplures alii non in carcere, sed in castri firmitate tenebantur. Benedictus autem sit universalis Dominus, qui voluntatem suam et potestatem ita modificat ut potentem de excelso, cum vult, praecipitet, et de pulvere pauperem sublimet! Mane itaque Balduinus rex imperavit, sero autem servus servivit. Goscelinus quoque nihilominus. Liquet utique in hoc saeculo nihil esse certum, nihil stabile, nec etiam diu gratum: ideo terrenis inhiare non est bonum, sed cor habere ad Deum semper intentum, nec confidamus in caducis, nec alienemur aeternis.
Jam nunc terdecimum complens, prout aestimo,
lustrum, CAPUT XXV. De expeditione Hierosolymitanorum, et quod rex Balduinus denuo sit captus. Euntibus ergo Hierosolymitanis quorsum ire fuerat statutum, glomerantur eis apud Antiochiam Tripolitani atque Antiocheni. Sed cum Turbezel pervenissent, intimatur eis regem denuo esse captum, et oppidum in quo clausus erat Carram nominatum. Hoc autem audito, mutatur consilium, et jubetur illico edici reditus. Et cupientes sibi aliquid prodesse, cornicine significante, diverterunt ad urbem Caliptum; et vastaverunt et dissipaverunt omnia quae intrinsecus repererunt, cum primitus intra moenia ferociter contra eos omnes qui exierant impulissent. Sed cum per quatuor dies ibi morantes nil amplius fecissent, ad sua remeare statuerunt, jam alimoniorum penuria vexati. Goscelinus vero comes in territorio Antiocheno tunc remansit. Et cum usque Ptolemaidam regressi fuissent, antequam affines Sarraceni hoc advertissent, Jordanem subito itinere transierunt. Et cum per regionem illam, quae monti Galaad et Arabiae contigua est, percucurrissent, et de Sarracenorum utroque sexu bestiisque plurimis greges diripuissent, cum ingenti carra camelorum atque ovium, infantum quoque ac puberum, Tiberiadem eis proximam redierunt, et dispertito pro more invicem elemento, Hierusalem undique convenerunt, et crucem Domini allatam in loco suo reposuerunt. Nunc autem reverti decet ad id quod aliquantulum praetermiseram, CAPUT XXVI. Quomodo Balac regem obsedit, et eum denuo in custodiam misit. Cum audisset Balac quod apud Cartapetam contigerat, et quemadmodum comes Goscelinus de captione evaserat, quantocius potuit illuc ire non distulit. Et regem blande tunc allocutus, flagitavit ut redderet ei castellum suum tali pactione, ut, datis obsidibus electis, eum quietum abire permitteret, et usque Edessam vel Antiochiam fideliter duci faceret. Alioquin vel uni eorum, vel ambobus in de terius fortuna prodiret. Sed cum rex hoc concedere nollet, diro efferatus animo, Balac minatus est et regem et castrum violenter comprehendere, et de inimicis suis vindictam procul dubio facere. Qui jussit illico rupem, super quam situm erat castrum, subfodi, et per cumulum sudibus dispositis opera suspendi, illataque silva ignem immitti. Succensis autem fulcimentis, cavea repente subsedit, et turris quaedam huic incendio proxima cum magno sonitu decidit. Primo quidem cum pulvere fumus excitatus est, cum ignem ruina concluderet. Sed postea materia, quae premebatur, flamma jam clarior apparere coepit, et repentini facti regem occupat stupor, qui hanc molitionem aegre ferebat, et ita spes eum cassa refrixit, quem tantus casus terruit. Itaque tota virtute sua cum sensu perdita, rex et sui clementiae Balac supplices addicti sunt; nihil nisi supplicium secundum merita exspectantes. Regi tamen indulta vita pepercit, et cuidam nepoti suo, simul etiam et Gualeranno. Armenios autem, qui adjumento regi contra Balac exstiterant, alios quidem suspendit, alios vero excoriavit, quosdam nempe per medium ense cecidit. Regem autem cum tribus de suis e castro ejecit, et ad Carram civitatem adduci fecit. Et quia procul a nobis facta haec aberant, vix certitudinem rei addiscere poteramus. Verumtamen, quam verius potui, a relatoribus mihi intimatum chartae commendavi.µ
Sic pluviis artus sitibundus desinit annus. |
Vers le milieu du mois d'août, grâces à la bonté de la divine providence, le roi de Jérusalem, Baudouin, sortit de prison, et fut délivré des fers où Balak le retenait dans un certain château, très-fort par sa situation, inaccessible en raison de sa hauteur, difficile à prendre, et où était également enfermé Josselin, comte d'Edesse, avec quelques autres captifs. L'histoire de la délivrance de ce prince est assez longue, mais remarquable par l'intervention des faveurs du Ciel, et toute brillante de miracles. Après avoir langui long-temps, ensevelis dans ce château, privés de tout appui, et en proie à de cruelles douleurs, ces malheureux commencèrent à former mille projets, et à chercher si, par quelque moyen adroit, ils ne pourraient pas parvenir à s'échapper. Ils ne cessèrent donc d'employer l'intermédiaire de messagers fidèles pour solliciter des secours dans tous les lieux où ils avaient des amis. Quelques Arméniens habitaient autour de leur prison; ils s'efforcèrent de gagner ces gens, et de les amener à seconder loyalement leur évasion, dans le cas où eux-mêmes réussiraient à obtenir l'aide de leurs amis du dehors. Au moyen de quelques présens et de beaucoup de promesses, un traité fut conclu, et juré de part et d'autre sous la foi du serment. Alors on envoie de la ville d'Edesse vers le château environ cinquante soldats obscurs pour travailler à la délivrance des prisonniers. Ces soldats se déguisent en pauvres, chargent sur leur dos des marchandises, et, tout en les vendant, profitent d'une occasion favorable, et s'introduisent jusqu'aux portes intérieures du château. Dans un moment où le chef des gardiens des portes jouait imprudemment aux échecs avec un des hommes dévoués à nos prisonniers, les soldats s'approchent adroitement plus près, comme pour lui porter plainte de quelque insulte qu'ils disent leur avoir été faite; puis, déposant tout à coup toute crainte et toute hésitation, ils tirent leurs couteaux de leurs gaines, égorgent cet homme en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, s'emparent de lances qu'ils trouvent là sous leurs mains, et se hâtent de frapper et tuer tout ce qu'ils rencontrent. De grands cris s'élèvent; au dedans, au dehors, tous se troublent; ceux qui sont les plus prompts à courir au lieu du tumulte sont les plus promptement massacrés; et cent Turcs environ périssent dans ce désordre. Sur-le-champ les portes se ferment; le roi ainsi que les autres captifs sont tirés de prison; quelques-uns d'entre eux, ayant encore les fers aux pieds, montent, à l'aide d'échelles, sur le faîte de la muraille, arborent, sur le sommet de la citadelle, l'étendard des Chrétiens, et rendent ainsi manifeste à tous les yeux la vérité de ce qui vient d'arriver. Dans cette même citadelle se trouvait celle des femmes de Balak que celui-ci préférait à toutes les autres. Bientôt cependant les Turcs cernent de toutes parts le château, empêchent qu'on n'y entre, ou qu'on n'en sorte, soit du dehors, soit du dedans, et entassent des charrettes contre les portes pour intercepter tout passage.
Je ne crois pas au surplus devoir passer sous silence comment Balak eut alors, par un songe, révélation d'un certain malheur qui le menaçait. Il crut voir en effet Josselin lui arracher les yeux, ainsi que lui-même le raconta dans la suite aux siens. Ses prêtres, auxquels il fit sur-le-champ connaître ce songe, et en demanda l'interprétation, lui dirent «que ce malheur ou quelqu'autre équivalent lui arriverait certainement, si le hasard voulait qu'il tombât quelque jour entre les mains de ce Josselin.» Sur cette réponse, il envoya sans délai au château un exprès chargé d'égorger Josselin, afin d'éviter que celui-ci pût le faire périr lui-même, comme on le lui présageait. Mais, grâces à Dieu, avant que ce bourreau parvînt jusqu'à Josselin, celui-ci était sorti de captivité. Cependant le roi Baudouin et les siens avisèrent sagement et en commun aux moyens d'être secourus d'une manière quelconque; comme le moment leur parut opportun pour faire à cet égard quelque tentative, le seigneur Josselin ne craignit point de s'exposer aux dangers d'une mort presque certaine; se recommandant donc au Créateur de l'univers, il sortit du château, suivi de trois de ses serviteurs, et, avec non moins d'effroi que d'audace, réussit, à l'aide de la clarté de la lune, à passer au milieu des ennemis. Une fois hors de danger, il renvoya sur-le-champ au roi un de ses serviteurs, chargé de remettre son anneau à Baudouin pour lui faire connaître par là, ainsi que la chose était d'avance convenue entre eux, qu'il avait complétement échappé aux Turcs qui assiégeaient le château. Ensuite, fuyant ou se cachant tour à tour, et marchant plus de nuit que de jour, il arrive, sa chaussure toute déchirée et presque nu-pieds, au fleuve de l'Euphrate; n'y trouvant pas de navire, il n'hésite pas un instant à faire ce que lui commande la crainte d'être poursuivi. Quel parti prend-il donc? A force de souffler dans deux outres qu'il avait apportées avec lui, il parvient à les enfler, se place dessus, et se lance ainsi dans le fleuve. Comme il ne savait pas nager, ses compagnons l'aident habilement, et, Dieu les conduisant, l'amènent sain et sauf jusqu'au rivage. Ecrasé par la fatigue d'une marche extraordinaire, épuisé de faim et de soif, et en proie à de vives souffrances, il ne respirait plus qu'avec peine; personne cependant ne s'offre pour lui tendre une main secourable. Accablé de sommeil, il se décide à donner quelque repos à ses membres accablés de si rudes travaux, se couvre de branches et de broussailles pour n'être pas aperçu, et se couche sous un noyer qu'il trouve sur le rivage. Cependant il avait ordonné à l'un de ses serviteurs de chercher à découvrir quelque habitant du pays, et d'obtenir à force de prières qu'il lui donnât ou lui vendît, à quelque prix que ce fût, un morceau de pain, pour apaiser la faim dont il était dévoré. Ce serviteur rencontre bientôt dans les champs un certain paysan Arménien, chargé de figues sauvages et de grappes de raisin, lui parle, mais avec grande réserve, et le conduit vers son maître. C'était bien ce que pouvait desirer le comte affamé; mais à peine ce paysan s'est-il approché, que, reconnaissant Josselin, il tombe à ses pieds, et lui dit: «Salut, seigneur Josselin.» A ces mots, que le comte aurait fort voulu ne pas entendre, il répond, tout effrayé. mais pourtant avec douceur: «Je ne suis point celui que tu viens de nommer, mais que le Très-Haut le secoure en quelque lieu qu'il soit!» Le paysan reprend alors: «Ne cherche pas, je t'en conjure, à me celer qui tu es; très-certainementje te reconnais à merveille; révèle-moi bien plutôt quel malheur t'est survenu dans ces pays, et comment il est arrivé: ne crains rien, je t'en supplie.» Le comte réplique: «Qui que tu sois, aie pitié de moi; ne fais pas, je te le demande en grâce, connaître mon infortune à mes ennemis; conduis«moi dans un lieu où je puisse être en sûreté; tu mériteras alors de recevoir cette pièce de monnaie pour récompense; je viens, avec la faveur de Dieu, de m'échapper de la prison où me retenait Balak, dans un château qu'on appelle Kartapète, situé en Mésopotamie, au delà de l'Euphrate. Maintenant je suis errant et fugitif; si tu m'assistes en cette extrémité, tu feras une bonne œuvre, et empêcheras que je ne retombe de nouveau entre les mains de Balak, et ne périsse misérablement. Que si tu veux venir avec moi dans mon château de Turbessel, tu y passeras heureusement tous les jours qui te restent à vivre. Dis-moi quelle petite propriété tu possèdes en ces lieux, et quelle est sa valeur; et, si tu le desires, j'aurai soin de t'en rendre une plus considérable dans mes domaines. — Je n'exige rien de toi, seigneur, dit le paysan, et je te conduirai sain et sauf où tu voudras; autrefois, je m'en souviens, tu t'es, avec bonté, privé de pain pour m'en faire manger; c'est pourquoi je suis prêt à te rendre la pareille. J'ai, ajoute-t-il, une femme, une fille unique encore en bas âge, une ânesse, deux frères et deux bœufs; je me confie entièrement en toi, qui es homme prudent et de grande sagesse; je pars avec toi, et j'emmène tout ce qui m'appartient; j'ai de plus un cochon, je vais te l'apporter ici même de manière ou d'autre.—N'en fais rien, frère, répond le comte, tu n'as pas l'habitude de manger un porc en un seul repas, et il ne faut pas éveiller les soupçons de tes voisins par quoi que ce «soit d'extraordinaire.» Ce paysan s'en va donc et revient bientôt, comme il était convenu, avec sa famille et ses animaux. Le comte, accoutumé à ne monter autrefois qu'une mule superbe, monte l'ânesse du paysan, et porte devant lui l'enfant, qui était une fille et non un garçon; celle qu'il ne lui a pas été donné d'engendrer, il lui est donné de la porter dans ses bras, comme s'il était son père; celle qui ne lui appartient pas comme fille née de son sang, il la porte avec autant de soin qu'il ferait l'espoir certain de sa race future. Cependant l'enfant se met bientôt à tourmenter le comte de ses pleurs et de ses cris; celui-ci ne savait comment le calmer; le sein de la nourrice manquait de lait, et Josselin n'avait pas appris l'art d'adoucir l'enfant par les caresses; il songe donc à quitter une compagne de voyage qui peut autant lui nuire, et à marcher seul et plus sûrement; mais s'apercevant que ce projet déplaît au paysan, il craint de l'affliger, et continue à supporter le nouvel ennui qu'il s'est imposé, lorsqu'enfin tous arrivent à Turbessel. C'est une joyeuse réception que celle d'un tel hôte; l'épouse se félicite de retrouver l'illustre compagnon de sa vie; les serviteurs triomphent du retour d'un maître si puissant: notre cœur ne met certes nullement en doute, ni le plaisir auquel tous s'honorent de se livrer, ni les torrens de larmes, ni les pieux soupirs qu'excite en eux leur joie. Quant au paysan, il reçoit sans délai la juste récompense de son humble dévouement, et au lieu d'un seul attelage de bœufs qu'il avait, on lui en donne deux. Cependant le comte, ne pouvant s'arrêter long-temps dans son château, se rend à Antioche, et de cette ville à Jérusalem. Là il paie au Seigneur un juste tribut de louanges et d'actions de grâces, lui offre deux chaînes, de celles qu'on attache aux pieds, l'une en fer, l'autre en argent, qu'il avait apportées avec lui, et les suspend pieusement sur la montagne du Calvaire, en mémoire de sa captivité, ainsi qu'en reconnaissance de sa glorieuse délivrance. Après trois jours passés dans la Cité sainte, il la quitte, et suit jusqu'à Tripoli la croix du Sauveur, qu'on avait déjà portée dans cette ville. L'armée de Jérusalem s'était en effet mise en marche avec cette croix sainte, pour aller à Kartapète, château de Balak, où le roi ainsi que plusieurs autres se trouvaient encore retenus, non plus en prison, mais dans l'enceinte des remparts. Que béni soit le Seigneur Dieu de l'univers, qui règle tellement sa toute-puissante volonté que, quand il lui plaît, il précipite le fort du haut de sa gloire, et élève le faible du sein de son humble poussière! Le roi Baudouin commandait le matin, et le soir il était esclave: il n'en arriva pas moins du comte Josselin. Il est donc certes bien évident que dans ce monde rien n'est certain, stable et long-temps prospère. Il est bon par conséquent de ne pas soupirer après les biens terrestres, et de tenir toujours son cœur tendu vers le Seigneur; ainsi ne nous confions pas aux jouissances périssables, de peur de perdre celles qui nous attendent dans l'éternité. Déjà je termine, selon mon calcul, mon treizième lustre, et jamais je n'ai vu de roi retenu dans les fers, comme le roi Baudouin. Si cela présage quelque malheur, je l'ignore, Dieu seul le sait.
Cependant ceux de Jérusalem, s'étant dirigés vers le lieu où ils avaient arrêté de se rendre, furent rejoints à Antioche par les gens de cette ville, et par ceux de Tripoli. Mais quand ils furent arrivés à Turbessel, on leur apprit que le roi et le château où il était enfermé venaient de tomber une seconde fois aux mains de l'ennemi. A cette nouvelle, les nôtres changèrent de projet, et l'ordre fut donné de songer sur-le-champ au retour. Desirant toutefois tirer quelque avantage de leur expédition, aussitôt que le cor eut donné le signal, ils marchèrent sur la cité d'Alep, ravagèrent et détruisirent tout ce qu'ils trouvèrent hors des murs, après avoir d'abord forcé durement d'y rentrer tous ceux qui en étaient sortis pour les combattre. Mais quand ils eurent demeuré quatre jours devant cette place, ils reconnurent qu'ils ne pourraient avancer à rien de plus, et résolurent de retourner chez eux, d'autant plus vite que déjà ils souffraient du manque de vivres. Pour le comte Josselin, il resta sur les terres d'Antioche. Les nôtres étant parvenus jusqu'à Ptolémaïs, avant que les Sarrasins d'alentour en fussent instruits, traversèrent le Jourdain, parcourant en tous sens la contrée qui confine au mont Galaad et à l'Arabie, enlevèrent de nombreuses troupes de Sarrasins des deux sexes, ainsi que de bestiaux de tout genre, rentrèrent à Tibériade, celle de nos villes qui se trouvait la plus proche, avec un immense convoi de chameaux, de brebis, de jeunes garçons et de petits enfans, partagèrent entre eux ces bêtes conformément à l'usage, puis se réunirent de toutes parts à Jérusalem, où ils remirent dans sa place ordinaire, et avec tous les bonneurs convenables, la croix du Sauveur qu'ils avaient emportée. Il sera bon de reprendre maintenant le récit que j'ai abandonné.
Lorsque Balak eut appris ce qui s'était passé à Kartapète, et comment le comte Josselin avait réussi à s'échapper de prison, plein de colère il marcha le plus vite qu'il put vers ce château; une fois là, il pressa le roi avec de douces paroles de lui restituer son château, afin d'éviter qu'il n'arrivât, soit à l'un d'eux, soit à tous deux à la fois, de pires malheurs; il promit à Baudouin de le laisser s'en aller tranquillement, de le faire même reconduire sain et sauf jusqu'à Edesse ou Antioche, et de lui donner les otages qu'il voudrait pour sûreté de cet engagement; mais il déclara qu'autrement les choses iraient de mal en pis, pour l'un d'eux, ou pour tous deux à la fois. Le roi ayant refusé d'accéder à ces propositions, Balak transporté de rage, jura de reprendre de vive force et le roi et le château, et de tirer, sans aucun doute, une éclatante vengeance de ses ennemis. Il ordonna donc incontinent de creuser la roche sur laquelle était bâti le château, de disposer çà et là des étais dans la mine, pour soutenir ainsi les bâtimens comme suspendus en l'air, puis d'apporter du bois et d'y mettre le feu. A peine les étais se furent-ils enflammés, que la mine s'affaissa, et que la tour la plus proche du point où avait éclaté l'incendie s'écroula avec un horrible fracas; des tourbillons de poussière et de fumée s'élevèrent d'abord, quand les décombres couvrirent le feu dans leur chute; mais bientôt la flamme consuma tous les matériaux qui l'étouffaient, et se remontra plus claire et plus vive. A la vue d'un accident si subit, la stupeur saisit le roi, qui ne soutenait qu'avec peine son entreprise; et le désespoir acheva de glacer l'esprit de ce prince, déjà grandement effrayé par le terrible écroulement de la tour. Ainsi donc, perdant tout courage et toute raison, le roi et ses compagnons s'en remirent, en supplians, à la clémence de Balak, sans en pouvoir attendre autre chose qu'un supplice tel qu'ils l'avaient mérité. Le Païen fit cependant grâce de la vie à Baudouin, et à un certain Galeran, neveu de ce prince. Quant aux Arméniens qui avaient aidé le roi contre lui, il fit pendre les uns, écorcher les autres, et éventrer le reste par le tranchant du glaive. Pour le roi, il le tira de ce château, avec trois des siens, et ordonna de les conduire dans la ville de Carrhes. Comme ces choses se passaient fort loin de nous, à peine pouvions-nous en avoir une connaissance certaine; j'ai toutefois consigné dans cet écrit, avec toute l'exactitude qui dépendait de moi, ce que j'ai recueilli sur ce sujet des récits qu'on m'en a faits. Alors finit cette année, pendant laquelle la rareté des pluies nous fit souffrir d'une soif qui excita de tristes plaintes et de fréquens murmures parmi les habitans de Jérusalem.
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CAPUT XXVII. De Tyri obsidione praeparata.
Anno a Domino Jesu nato 1124, cum Natale Salvatoris tam in Bethlehem quam in Hierusalem, ut decuit, celebrassemus, cui celebritati dux Veneticorum cum suis devote interfuit, confirmatum est communi et gratuita voluntate sub jurejurando, obsidionem circa Tyrum vel Ascalonem post Epiphaniam agere. Sed quia nos pecuniae inopia universos tunc arcebat, colligitur multa viritim militiae et clientelae conductivae impertienda. Non enim poterant tantum negotium sive donativis expedire. Quamobrem oportuit nos etiam pretiosiora Ecclesiae Hierosolymitanae ornamenta colligendo numismate creditoribus oppignerari. Igitur sicut interminatum est, et ubi nominatum est, undique convenerunt omnes.
Cum ter fusor aquae valido reparatur ab igne, CAPUT XXVIII. Quomodo Tyrus a patriarcha et a Veneticis obsessa sit. Itaque Achon profecti disposuerunt una cum Veneticis Tyrum adire et obsidere. Patriarcha igitur cum suis subditis, dux vero cum nautis et navibus suis urbem Tyrum obsidere XV Kalend. Martii accinxerunt, introeunte tunc Pisces sole gemellos. Hoc autem audito, Ascalonitae, qui solita protervia nunquam mansuefieri potuerunt, nobis facere damnum pro posse non distulerunt. Quadam quippe die, tripartito exercitu suo, majorem cohortium suarum partem Hierusalem adduxerunt, qui exemplo octo homines extra urbem, qui vineas putabant, truciter peremerunt. Quorum adventu comperto, super arcem Davidis tuba mox intonuit, hoc nobis significans. Et procedentes adversus eos Franci nostri atque Syri, audacter obstiterunt. Et cum tribus diei horis alterutro conspectu ad taedium se fatigassent, effectis quamplurimis sauciatis, moesti abierunt, nostri siquidem paulatim eos insecuti sunt. Et quia militibus carebant, insidias eorum veriti, non praesumpserunt eos diu sequi. Ad extremum tamen de capitibus eorum amputatis septem et decem retenta sunt, totidemque equi. Tres equites vivi, alii vero ex eis sunt occisi. Quod si milites haberemus, pauci ex eis evasissent. Equitatus enim noster in exercitu erat. Tunc Deus laudatur, cui semper laus debetur. CAPUT XXIX. De Tyro, et ejus nobilitate. Interea loci coangustantur Tyrii in urbe sua proxime inclusi, nec pacem quaerentes, nec capi cedentes. Divitiis enim opulenti, et maris praesidio circumfulti, consueverunt semper esse ingrati. Haec est quidem cunctis urbibus, quae in terra sunt promissionis, ditior et nobilior, praeter Azor, quam antiquitus Jabin rex Chananaeorum possedit, quam Josue postea cum plurimis destruxit. Quae quidem, ut legimus, nongentis turribus munita gloriabatur (Jud. IV, 2, 3) . Josephus autem tria millia curruum falcatorum fuisse narrat. Armatorum vero trecenta millia, et decem millia equitum habebat; cujus militiae Sisara dux exstitit. Hae urbes Tyrus et Azor in terra Phoenicum fuerunt institutae. Haec institoribus et negotiationibus munitissima; illa vero infinita gente populosa. Haec in marino littore sita; illa vero in campestribus est collocata. Quando Gedeon vindicabat Israel, tunc temporis Tyrus condita fuit paulo ante Herculem a Phoenicibus. Urbs enim in terra Phoenicum est. Haec est, ad quam Isaias loquitur, minans eam propter superbiam suam (Isa. XXIII) , in qua optima purpura tingitur; unde et de Tyria dicitur nobilis purpura. Tyrus interpretatur angustia, quae Seor Hebraice dicitur. Rex autem Assyriorum Salmanasar pugnans contra Syriam et Phoenicem expugnavit eam, cum in ea regnaret Eliseus. Nolebant enim regi Assyriorum Tyrii esse subjecti. Hoc equidem per quinquennium actum est. De hoc Menander scribit, Josephus quoque latius. Tunc temporis pelagus transfretantes Tyrii, duce Didone, Beli filia, Carthaginem in Africa condiderunt. Cujus situs triginta millia passuum muro amplexantur, et pene tota mari cincta ab Orosio historico fuisse describitur absque faucibus, quae tribus millibus passuum aperiebantur. Is locus murum 30 pedes latum habuit, saxo quadrato ad altitudinem cubitorum 40. Arx, cui Bisse [ in edit. Birse] nomen fuit, pauco amplius quam duo millia passuum tenebat; quae septingentesimo anno post conditionem ejus omni lapide diminuto confunditur. Quae ante urbem Romam duos et septuaginta annos ab Helyssa condita invenitur. Hanc Publius Scipio superioris anni consul suprema sorte molitus est; quae continuis decem et septem diebus miserabiliter arsit. CAPUT XXX. De Tyri captivitate antiqua, et a quibus antiquitus fuit expugnata. Tyrus autem superius memorata 70 annis, juxta Isaiam, depopulata elanguit. A qua recedentibus Cetheis, reduxit eos Eliseus rex. Contra quos Salmanasar rex Assyriorum denuo insurgit. Recessit a Tyro tunc civitas Sidon, et Arce, et antiqua Tyrus, et multae aliae simul urbes; quae semetipsas regi Assyriorum tradiderunt. Quapropter Tyriis non subjectis, iterum adversus eos egressus est, Phoenicibus ei naves 70 exhibentibus, et remiges 800. Contra quos Tyrii navigantes in 12 navibus, dispersis hostium navibus, ceperunt captivos viros quingentos. Unde honor Tyriorum propter hoc crevit quammaxime. Revertens autem Assyriorum rex, disposuit custodias super flumen, et aquae ductu circuivit, ut Tyrios haurire pocula prohiberent. Et cum hoc quinque annis factum esset, toleraverunt, de effossis puteis bibentes aquam. Haec itaque in archivis Tyri de Salmanasar rege Assyriorum conscripta sunt. Hic est, qui Samariam obsedit, et cepit eam anno regis Ezechiae sexto, et transtulit Israel in Assyrios. Ante quem venerat etiam Phul rex Assyriorum, et post eum Tegladphalassar rex Assur, qui cepit Cedes et Azor in Nephtalim, et prope Paneas, et Jaloe, et Galaad, et universam Galilaeam, et transtulit eos in Assyrios. Venit quoque Sargon rex Assyriorum, qui misit Tartham pugnare contra Azotum, et cepit eam. Itaque propter peccata populi vastata est terra promissionis, et in captivitatem ducta, prius Assyriis, deinde Chaldaeis. Nabuchodonosor enim tam Chaldaeus quam Babylonius rex obsedit et cepit Hierusalem. Unde Sedecias rex fugiens captus est juxta Jericho, et ductus ad regem Babylonis in regionem, quae Reblata dicitur, in terra Emath. Hieronymus dicit Emath magnam esse Antiochiam, minorem vero Epiphaniam. Ibi fecit Nabuchodonosor oculos Sedeciae erui, et filios ejus coram se jugulari. Tunc venit Nabuzardam princeps militiae ejus, et incendit domum Domini et domum regis, et totum murum destruxit per circuitum. Post temporum autem intervalla venit Alexander, qui Tyrum obsedit, et cepit, subjugata Sidone, prius autem Damasco. Gaza quoque ab eo capta per duum mensium spatia; qui circa Tyrum septem mensibus fuerat, ad civitatem Hierosolymam festinavit. Honorifice susceptus, principem sacerdotum nomine Jaddim plurimis honoribus prosequitur, habentem thydarim super caput ejus, et stolam auream hiacincthinam, et super laminam auream, in qua nomen Dei scriptum erat, solus adiens diligenter adoravit. Et disposita Hierosolyma, ad reliquas civitates exercitum suum convertit. Post annorum plurium spatia, peccatis Judaeorum exigentibus, Antiochus Epiphanes legem eorum impugnans, Machabeos valde coarctavit. Post hunc venit Pompeius, qui Hierusalem infeliciter dissipavit. Ad ultimum vero Vespasianus cum Tito filio suo venit, qui penitus eam destruxit. Itaque per varios rerum eventus usque ad tempora nostra, et civitas sancta, et patria ei subdita praecipitanter exstitit vexata. Plerumque Palaestina, interdum Phoenicea, quae a Phoenice Cadmi fratre nomen accepit, est vastata. Tum Samaria, tum Galilaea, quae tamen bipartita determinatione distinguitur. Nam altera superior, altera quidem inferior appellatur; quas ambifariam Phoenice et Syria cingunt. Illa nempe, quae est trans Jordanem, a Macheronta in Pellam capit longitudinem, et a Philadelphia usque Jordanem habet latitudinem. Pella quippe septentrionalis ejus est tractus, Jordanis vero occiduus; meridianus autem Moabitide terminatur regione; ab oriente Arabia et Philadelphia, itemque Gerasidis clauditur. Samariensis autem regio inter Judaeam et Galilaeam sita est. At Judaeae latitudo a Jordane usque Joppem explicatur; media vero civitas ejus est Hierusalem, quasi umbilicus ejus terrae sit. Porro inferior Galilaea, quae ex Tiberiade usque Zabulon, et usque Ptolemaidam tenditur, et Carmelum montem Tyriorum, continet intra se Nazareth, et Sephorum civitatem validissimam, Thabor etiam, et Cana, cum pluribus aliis. Haec siquidem Libano accingitur, et fontibus Jordanis, ubi nunc est Paneas, sive Dan alio nomine, sive Caesarea Philippi, circa quam Turconitidis [ in edit. Traconitïdis] est regio, et Nabatea. A meridie est Samaria, et Scitopolis, hoc est Bethsan. Judaeae autem Bersabee civitas dat Iimitem, intra quam sunt Tamna et Lidda, Joppe et Jamnia, Thecue et Hebron, Astaol et Saraa, et multae aliae.
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L'année 1124 depuis la naissance du Seigneur Jésus-Christ, nous célébrâmes avec toute la pompe convenable, tant à Bethléem qu'à Jérusalem, la fête de la nativité du Sauveur; le duc des Vénitiens assista avec les siens à ces pieuses cérémonies; puis on convint, d'un commun accord, sans aucune condition onéreuse, et sous la foi du serment, d'assiéger, après l'Epiphanie, Tyr ou Ascalon. Mais comme nous nous trouvions tous pressés par le manque d'argent, on en leva par tête autant qu'il fut possible, afin de le distribuer aux chevaliers et aux mercenaires soldés. Il ne fallait pas songer en effet à mettre à fin une si grande entreprise sans faire quelques largesses aux chevaliers. Nous fûmes donc contraints de ramasser les plus précieux ornemens de l'église de Jérusalem, d'en frapper des espèces, et de les donner en nantissement à ceux qui avançaient des fonds. Tous ensuite se réunirent de toutes parts dès qu'on l'ordonna, et au lieu qu'on désigna. Lorsque le Verseau eut été séché trois fois par les feux du soleil, le peuple partit en masse de Jérusalem pour aller combattre l'ennemi: ceci eut lieu le premier jour de la nouvelle lune.
Arrivés à Ascalon, les nôtres convinrent avec les Vénitiens qu'on se dirigerait sur Tyr pour en former le siége, le patriarche par terre avec tous ceux qu'il avait sous lui, et le duc par mer avec ses matelots et ses navires. C'est en effet ce qui s'exécuta le 16 février. Dès que les Ascalonites en furent instruits, ces Infidèles, qui, par l'effet d'une malice innée, n'apprirent jamais à s'adoucir, ne tardèrent pas à nous faire tout le mal qu'ils purent. Un certain jour donc, ayant partagé leur armée en trois corps, ils conduisirent la plus grande partie de leurs cohortes contre Jérusalem, et massacrèrent sur-le-champ, avec une barbare férocité, huit hommes occupés à tailler les vignes hors de la ville. Aussitôt qu'on s'aperçut de l'arrivée de ces Infidèles, la trompette sonna du haut du fort de David pour nous en avertir. Alors nos Francs et les Syriens, marchant contre eux, leur résistèrent vaillamment. Après que les deux partis eurent passé trois heures du jour en présence l'un de l'autre, les Païens, épuisés de fatigue et d'ennui, reconnurent que leurs efforts seraient vains, se retirèrent tout tristes, et emportèrent plusieurs des leurs qui avaient été blessés. Les nôtres les harcelèrent quelque peu; mais n'ayant pas d'hommes d'armes avec eux, ils craignirent quelque embuscade, et n'osèrent poursuivre ces Païens plus long-temps. En résultat, nos gens rapportèrent dix-huit têtes ennemies coupées, ramenèrent autant de chevaux, prirent vivans trois cavaliers, et en tuèrent quarante-cinq. Que si les hommes d'armes ne nous avaient pas manqué, peu de ces Infidèles nous fussent échappés; mais nos chevaliers se trouvaient tous à notre armée. Après ce succès, nous payâmes au Seigneur le tribut de louanges qui lui est dû en toutes circonstances.
Cependant les Tyriens, qui ne voulaient ni se rendre ou être pris, ni demander là paix, se voyaient chaque jour resserrés, et renfermés plus étroitement dans leur ville. Nageant dans l'abondance de toutes espèces de richesses, et trouvant d'ailleurs un puissant appui dans les secours qu'ils tirent de la mer, ils ont toujours eu coutume de se montrer insolens. Tyr est en effet la plus opulente et la plus illustre de toutes les villes de la Terre promise, si l'on en excepte Asor, que Jabin, roi des Chananéens, possédait plus anciennement encore, et que par la suite Josué détruisit ainsi que beaucoup d'autres cités. Asor, comme nous le lisons dans l'Ecriture, se glorifiait d'avoir neuf cents chars armés de faulx; et Josephe en porte même le nombre jusqu'à trois mille. Elle entretenait en outre trois cent mille fantassins armés et dix mille cavaliers, qui composaient une milice dont Sisara était le chef. Ces deux grandes cités faisaient partie du territoire des Phéniciens: la première regorgeait de courtiers, et tirait sa richesse de ses affaires de commerce; la seconde renfermait une immense population: celle-là était située sur le rivage de la mer; on avait bâti celle-ci dans l'intérieur des terres. Lorsque Gédéon commandait à Israël en qualité de juge, les Phéniciens fondèrent Tyr, un peu avant le temps où vivait Hercule. Tyr se trouve en effet sur les terres des Phéniciens; c'est cette cité à laquelle s'adresse Isaïe en lui reprochant son orgueil. Chez elle se teint la plus belle pourpre; et de là vient le nom de Tyrienne donné à la pourpre la plus recherchée. Le mot de Tyr signifie détroit, ce qui s'exprime en hébreu par le terme Soor. Quand le roi des Assyriens fit la guerre à la Syrie et à la Phénicie, il assiégea cette cité, où régnait alors Elysée, et dont les habitans refusaient de se reconnaître sujets de l'empire d'Assyrie. Ce siége, qui dura cinq ans, est rapporté par Ménandre, et décrit plus au long par Josephe. Vers ce temps-là, des Tyriens traversant la mer sous la conduite de Didon, fille de Bélus, fondèrent Carthage en Afrique. Suivant l'historien Orose, qui a donné le plan de cette ville, elle est entourée presque entièrement par la mer, et ceinte d'un mur de trente mille pas: dans ce calcul n'est pas compris le port dont l'ouverture est de trois raille pas, et qu'environne un mur de trente pieds de largeur, de quarante coudées de hauteur, et construit en pierres parfaitement carrées. Sa citadelle, qu'on appelle Byrsa, occupait un espace d'un peu plus de deux mille pas. Cette cité, bâtie par Elise soixante douze ans avant que Rome existât, fut complétement détruite et eut toutes les pierres de ses murailles brisées dans la sept centième année qui suivit l'époque de sa fondation. Publius Scipion, qui avait été consul l'année précédente, employa tous ses efforts à anéantir pour jamais cette puissante ville, qui brûla misérablement pendant dix-sept jours entiers.
Quant à Tyr, dont il a été parlé plus haut, elle languit, selon Isaïe, dans un véritable état de dévastation pendant soixante-dix ans. Lorsqu'ensuite les Scythes s'en furent retirés, le roi Elysée y ramena par mer les Tyriens, contre lesquels s'éleva de nouveau Salmanazar, roi des Assyriens. A cette époque Sidon, Arce, l'ancienne Tyr, et plusieurs autres cités se séparèrent de la nouvelle Tyr, et se donnèrent d'elles-mêmes au roi des Assyriens, qui voyant que les Tyriens persistaient à refuser de se soumettre, marcha contre eux. Dans cette guerre, les Phéniciens lui fournirent soixante navires et neuf cents rameurs; mais les Tyriens attaquant ceux-ci par mer, dispersèrent douze de leurs vaisseaux, et y firent cinq cents hommes prisonniers. Ce succès rehaussa grandement la glaire des Tyriens; mais le monarque d'Assyrie, revenant encore contre eux, plaça des postes de soldats sur le fleuve, et se rendit maître de l'aqueduc, afin d'ôter à ceux de Tyr tout moyen de satisfaire leur soif. Toutefois, pendant cinq ans que dura ce siége, les Tyriens supportèrent ce mal, creusèrent des puits et en burent les eaux. Tous ces faits touchant le roi Salmanazar furent consignés dans les archives de Tyr; c'est ce même prince qui assiégea Samarie, s'en empara la sixième année du règne d'Ezéchias, et transporta le peuple d'Israël en Assyrie. Avant lui, avait paru Phul, roi des Assyriens, et après lui régna sur ces peuples Teglatphalassar, qui prit Cèdes et Asor dans le territoire de la tribu de Nephtali, Janoe, Galaad, toute la Galilée, et transféra les habitans en Assyrie; vint ensuite Sargon, autre roi des Assyriens, qui envoya Tarchan attaquer Azot, dont celui-ci se rendit maître. Ainsi donc, en punition des péchés du peuple, toute la Terre promise fut dévastée et réduite en captivité, d'abord par les Assyriens, ensuite par les Chaldéens. Cependant Nabuchodonosor, roi de Babylone et de Chaldée, assiégea et prit Jérusalem. Comme le roi Sédécias fuyait de cette cité, il fut arrêté près de Jéricho, et conduit dans la contrée qu'on nomme Reblata, sur le territoire d'Emath. Selon Jérôme, la grande Emath est Antioche, et la petite est Epifaa. Là Nabuchodonosor fit arracher les yeux au roi Sédécias, et égorger en sa présence les fils de ce prince. Alors survint le général des troupes de Nabuchodonosor, Nabuzzadan, qui brûla le temple du Seigneur et le palais des rois, puis détruisit toute l'enceinte des murs de Jérusalem. Après un certain intervalle de temps, parut le roi Alexandre, qui ayant subjugué d'abord Damas, puis Sidon et Gaza, dans l'espace de deux mois, mit le siége devant Tyr, et s'en empara, après avoir passé sept mois sous ses murs. Ce prince se rendit ensuite en toute hâte à Jérusalem. Accueilli dans cette ville avec de grands honneurs, lui-même combla d'une foule de distinctions le grand-prêtre nommé Jaddus, qui avait sur sa tête la tiare, portait la robe couleur de jacinthe, brodée d'or, et par dessus, la lame d'or sur laquelle était gravé le nom de Dieu; puis Alexandre allant seul le trouver, l'adora, régla tout ce qui regardait Jérusalem, et dirigea son armée vers d'autres cités. Après un espace de beaucoup d'années, Antiochus Epiphane envoyé pour punir les péchés des Juifs attaqua leur loi, et accabla durement les Macchabées. Ensuite arriva Pompée, qui dévasta misérablement Jérusalem. Enfin parurent Vespasien et Titus son fils, qui détruisirent de fond en comble cette ville puissante. C'est ainsi que, par une succession d'événemens divers, la Cité sainte et le pays qui lui était soumis furent, jusqu'à nos jours, précipités dans une foule de cruels malheurs. La dévastation désola fréquemment la Palestine, et quelquefois la Phénicie, qui tire son nom de Phénix, frère de Cadmus. Il en fut de même tantôt du pays de Samarie, et tantôt de la Galilée, qui se distingue en deux parties connues sous des désignations différentes: l'une est la Galilée supérieure, et l'autre la Galilée inférieure; toutes deux sont environnées par la Phënicie et la Syrie. La première, qui est au delà du Jourdain, s'étend en longueur de Macheron à Pella, et en largeur de Philadelphie au Jourdain. Son point septentrional est Pella; le Jourdain la borne au couchant; au midi elle a pour limite la contrée des Moabites; enfin l'Arabie, Philadelphie et Gérasa la terminent à l'orient. Entre la Judée et la Galilée se trouve le pays de Samarie. La Judée s'étend en largeur depuis le Jourdain jusqu'à Joppé, et a pour point central Jérusalem, qui forme, pour ainsi dire, le nombril de cette contrée. Quant à la Galilée inférieure, qui va de Tibériade à Zabulon, et s'étend jusqu'à Ptolémaïs, le mont Carmel et la montagne des Tyriens, elle renferme Nazareth, la forte cité de Séphorim, le mont Thabor, Cana et plusieurs autres villes, atteint même jusqu'au mont Liban, et aux sources du Jourdain, où se trouve Panéas ou Dan, appelée encore Césarée de Philippe, et est entourée par la Traconite et la Nabatane. La Judée enfin a pour limite la cité deBersabée, et contient Jamna, Lydda, Joppé, Jamnia, Tecus, Ebron, Astaol, Saraam, ainsi que beaucoup d'autres villes.
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CAPUT XXXI. De bello et victoria Antiochenorum et de morte Balac. Nunc ad callem redeo, qui diversas semitas diu discurri. Cum igitur circa Tyrum in obsidione ad machinas praeparandas laboraremus, nihilominus Balac contra nos cornu suum cum complicibus suis extollere non cessabant. Qui ex urbe Calipto egressus, quae vulgo Halapia nuncupatur, mense Maio intrante, cum quinque millibus equitum septemque millibus peditum perrexit Hierapolim, quam urbem Mombech vulgus vocitat. Et cum possessor ejus eam illi reddere nollet, extra urbem eum ad se tunc evocatum nefariam decollavit. Qua urbe Balac protinus obsessa, non latuit Goscelinum Antiochiae tunc morantem, et habita inde legatione, acceleravit illuc ire cum Antiochenis. Licet enim paucissima gens esset Christicolarum, non pavitavit Goscelinus aggredi multitudinem perfidorum. Nec mora diu protracta, commissa est ferociter pugna. Deo autem suffragante, postquam Turci ter sunt confusi, ter ad pugnam audaciter regregati, Balac in ea pressura sauciatus ad mortem, pro posse divertit moribundus in partem. Quod cum extemplo sui comperissent, qui potuerunt fugere non torpuerunt. Potuerunt quidem plerique fugere, sed nequaquam effugere. Referuntur enim tria millia ex eis fuisse interemptorum, qui equites erant. De peditibus autem ignoratur numerus. De nostris vero 30 milites ibi perempti occubuerunt; de pedestri autem clientela 60 fere. Volens autem certitudinem rei scire Goscelinus, an Balac esset mortuus, an aliquatenus esset vivus, cum sollicite perscrutarentur qui hoc inter necatos exquirebant, armorum indiciis cognitorum a cognitis cognitus est. Cujus caput qui amputavit, Goscelino gratulabundus detulit; a quo numismata, sicut se illi daturum spoponderat, lucratus accepit. Caput siquidem continuo Antiochiam ad declamationem rei gestae Goscelinus deferri fecit. Quod ipse, qui in starcia sua detulit usque Tyrum, itemque Hierusalem, nobis universis et enarravit et declaravit, qui etiam in praelio memorato cum praeliantibus praesens fuit. Armiger quoque Goscelini erat ipse. Et quia nuntium attulit desiderantissimum in exercitu nostro ante Tyrum assistentem, acceptis armis ab armigero in militem provectus est. Comes nempe Tripolitanus ad hunc gradum eum sublimavit. Et laudavimus et benediximus omnes Dominum, quia suffocatus est ille draco saevissimus, qui Christianismum diu tribulaverat et pessumdederat. Sol decies novies lustrarat lumine Taurum; Quando Balac cecidit, vel eum fortuna fefellit. Ecce sic interpretatio somnii superius memorati declarata est, quod quasi vaticinans ipse Balac de seipso dixerat tempore illo, quo Goscelinus de captione mirabiliter evasit. Videbat enim in visu a Goscelino sibi oculos erui. Vere penitus eruit, quoniam caput et membra illi penitus abstulit.
Nec videt, aut audit, nec fatur, nec sedet, aut
it: CAPUT XXXII. De his quae in obsidione Tyri gerebantur. Quadam vero die, dum in obsidione memorata securi quiescerent qui circumsedebant, opportunitate considerata, egressi sunt de civitate Tyrii tam Turci quam Sarraceni, patefactis portis, et ad machinam nostram inter coeteras fortiorem occurrentes, nudatis frameis unanimiter accurrerunt, et antequam arma nostri caperent, quos in machina custodes invenerunt foras sauciando pepulerunt. Et incenderunt eam igni, qua solebant turres antea jactis lapidibus conquassari et vehementissime perforari. In qua impugnatione 30 homines perdidimus. Illi autem duplex repererunt damnum. Cives quippe per muri minas nostros tam sagittis quam lapidibus sive spiculis crebro valde laedebant et vulnerabant. Interim autem Venetici nostri secunda usi fortuna satis, carabum suum ingressi, qui non erant nisi quinque tantum, domunculam unam, quam juxta murum urbis repererunt, diripuerunt, duobus ibi capitibus amputatis. Qui tunc sine cunctatione cum lucello suo gratulabundi foras remeaverunt. Actum est hoc XI Kal. Julii. Sed minus valuit, cum paulo ante Tyrii liburnam unam noctu clepserint, et intra urbem per portum traxerint. In hujusmodi enim certaminibus talia fieri saepe contingit. Hic cadit, hic surgit; hic plorat, gaudet et ille. |
Après m'être égaré dans des sentiers détournés, je rentre dans ma route, et reviens à mon sujet. Pendant qu'au siége de Tyr nous nous épuisions en travaux pour construire des machines, Balak ne cessait d'exciter les siens, déjà si mal disposés pour nous, et de presser le rassemblement de son armée. Sorti, au commencement du mois de mai, de la ville d'Alep avec cinq mille hommes d'armes et sept mille gens de pied, il se dirigea sur Hiérapolis, que l'on appelle vulgairement Malbek. Le possesseur de cette cité n'ayant pas voulu la lui livrer, Balak l'engagea à venir le trouver hors de la place, lui coupa la tête par une infâme perfidie, et mit sur-le-champ le siège devant la ville. Josselin, qui alors habitait Antioche, l'apprit bientôt, et, sur un message que lui envoyèrent les assiégés, s'empressa de marcher à leur secours avec ceux d'Antioche. Quoique Josselin n'eût avec lui qu'un très-petit nombre d'adorateurs du Christ, il ne craignit pas d'attaquer la multitude des Infidèles. Un combat féroce s'engage donc sans le moindre délai; trois fois, grâces à l'appui du Seigneur, les ennemis sont repoussés en désordre, trois fois ils se rallient, et reviennent à la charge. Enfin Balak, mortellement blessé dans la mêlée, s'éloigne autant qu'il est en son pouvoir, pour aller mourir hors du champ de bataille; les siens s'en apercoivent, et dès lors tous ceux qui le peuvent se hâtent de fuir: la plupart purent bien fuir, mais ne purent par la fuite éviter la mort. On rapporte en effet qu'ils eurent trois mille tués, tous hommes d'armes; et quant à ce qu'ils perdirent de gens de pied, on en ignore le nombre. Josselin cependant voulant savoir avec certitude si Balak était mort, ou avait réussi à s'échapper vivant, le fit chercher soigneusement parmi les tués; on le reconnut aux ornemens qui couvraient ses armes; et celui qui lui coupa la tête la porta tout joyeux à Josselin, dont il recut en récompense les quarante pièces d'argent que celui-ci avait promis de donner. Cette tête, Josselin commanda de la porter sur-le-champ à Antioche comme témoignage de la victoire qu'il venait de remporter; le même messager apporta ensuite dans son sac ce trophée jusqu'à Tyr et Jérusalem, nous donna à tous les détails de cette affaire, et nous les confirma d'autant plus sûrement que lui-même se trouvait au milieu des combattans. Cet homme était en effet le propre écuyer de Josselin. Comme il apportait à notre armée, campée devant Tyr, la nouvelle que les nôtres souhaitaient le plus d'apprendre, d'écuyer on le fit chevalier, et ce fut le comte de Tripoli qui l'éleva jusqu'à ce haut rang. Tous, au surplus, nous louâmes et bénîmes le Seigneur, qui avait étouffé le féroce et méchant dragon qui si long-temps accabla de tribulations les Chrétiens, et les dévora sans pitié68. Dix-neuf fois le soleil avait éclairé de sa lumière le signe du Taureau, quand Balak tomba, et fut trahi par la fortune. C'est ainsi que s'accomplit le songe rapporté ci-dessus, et que Balak, triste prophète de son propre sort, avait raconté dans le temps où Josselin s'évada si miraculeusement de sa prison: alors, en effet, il vit en songe celui-ci lui arracher les yeux; et certes Josselin les lui arracha bien, puisqu'il lui ravit et sa tête et l'usage de tous ses membres. Balak ne voit ni n'entend, ne parle pas, ne s'asseoit ni ne marche, et il n'y a de place pour lui ni dans le ciel, ni sur la terre, ni dans les eaux69.
Cependant un certain jour que ceux qui formaient le siége de Tyr se reposaient en pleine sécurité dans leurs lignes, ceux de la ville, tant Turcs que Sarrasins, jugeant l'occasion favorable, ouvrent les portes, sortent, et se précipitent, d'un commun accord et en courant, sur la plus forte de nos machines de guerre: ces Infidèles blessent et chassent les hommes chargés de la garder, y mettent le feu, et la réduisent en flammes avant que les nôtres puissent prendre les armes. Nous perdîmes ainsi la machine dont nous nous servions d'ordinaire pour écraser les tours ennemies à coups de pierres, et y faire de larges brèches. Trente des nôtres périrent en outre dans cette affaire; les citoyens en effet lançaient à travers les fentes des murs une grêle de flèches, de traits et de pierres qui blessaient ou tuaient nos gens; mais les Païens éprouvèrent une perte double. Vers ce temps, cinq Vénitiens, emportés par une rare valeur, et secondés par la fortune, se jetèrent dans leur canot, pillèrent une maison, coupèrent la tête à deux Païens, et revinrent promptement et pleins de joie avec quelque butin. Cet événement eut lieu le 22 mai; mais il ne nous profita guère. Peu auparavant, en effet, les Tyriens enlevèrent pendant la nuit une félouque aux Vénitiens, la firent entrer dans le port, et la traînèrent sur la rive dans l'intérieur de leur ville. De telles choses arrivent au surplus fréquemment dans ces sortes de guerre. Celui-là tombe, celui-ci triomphe; l'un se réjouit, et l'autre pleure.
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CAPUT XXXIII. De pessima inquietudine Ascalonitarum.
Scientes autem Ascalonitae gentis nostrae paucitatem, ubi magis aestimaverunt nos debilitare, vel damnum inferre, non pigruerunt molestare. Nam prope Hierusalem viculum quemdam Birrum nominatum vastaverunt et concremaverunt, et asportatis omnibus reculis illic inventis, cum aliquantis mortuis et pluribus vulneratis abierunt. Mulierculae enim et infantes in turri quadam tempore nostro illic aedificata se intromiserunt, et sic salvati sunt. Itaque per terram excurrentes, diripiebant, necabant, captivabant; quodcunque malum poterant faciebant, nec erat qui eis resisteret. Intenti enim eramus omnes ad obsidionem, misericordiam exspectantes supernam, quatenus laborem nostrum Deo factore et adjutore valeremus consummare. Erat enim impatibile et nocte lucubrare, et die laborare. CAPUT XXXIV. De redditione urbis Tyriae Videns autem rex Damasci Turcos suos et Sarracenos, qui erant in urbe circumclusi, nullo modo posse de manibus nostris evadere, maluit cum aliquo dedecore vivos eos redimere quam mortuos plorare. Quaesivit ergo per interlocutores sagaci consilio, quatenus homines suos cum rebus eorum omnibus foras exciperet, et urbem vacuatam nobis relinqueret. In quo cum utrinque diu luctaremur, obsidibus ambifariam datis, illi de urbe sunt egressi, et Christiani pacifice introgressi. Quicunque autem ex Sarracenis in urbe remanere voluerunt, sub conditionis ratiocinio in pace remanserunt.
Sub Cancro Phoebus fuerat sex decies ortus, Non est cessandum, non est etiam tardandum quaerere Dominum nostrum adjutorem in tribulationibus, pium, benignum, et precibus pulsare eum, ut nobis pulsantibus pium praebeat auditum. Hoc equidem in Hierusalem feceramus, persaepe ecclesias visitando, lacrymas fundendo, eleemosynas impertiendo, corpora jejuniis afficiendo. Quod Deus, ut credo, de supernis aspectans, non reliquit post se benedictionem, sed exaudivit deprecationem nostram. Quod cum aliquem addiscere rumusculum auribus apertis exspectabamus, ecce legati tres festinantissime venerunt nobis nuntiantes et litteras a patriarcha nostro deferentes, et urbem captam esse innotescentes. Quo audito, clamor jucundissimus attollitur, Te Deum laudamus illico vocibus altisonis decantatur. Signa pulsantur, processio ad Deum deducitur, vexilla in muris et turribus elevantur, per omnes vicos ornamenta multicoloria extenduntur, gratiarum actiones depromuntur, nuntii pro meritis digne remunerantur, pusilli et magni pariter congratulantur, puellae in cantilenis, in choreis delectantur. Recte mater Hierusalem gaudet de Tyro filia, cujus a dextera sedit amodo coronata. Luget et Babylon, consolatione ejus perdita, cujus adminiculo dudum exstiterat suffulta, cujus classem quotannis nobis hostilem excipiebat. Haec vero etsi minoratur pompa, augmentatur divina gratia. Nam quae apud Ethnicos civitas habuerat in magisterio primiflaminem, vel archiflaminem, secundum Patrum institutionem habebit primatem vel patriarcham in lege Christiana. Ubi enim archiflamines erant, archiepiscopi in lege Christianorum sunt instituti, qui singulis provinciis praesint. Ubi metropolis erat, quae interpretatur mater civitas, metropolitani erant, qui de tribus aut quatuor civitatibus intra aliquam provinciam matri et majori aliarum civitati praesidebant. Ubi autem minores civitates habuerunt solummodo flamines vel comites, episcopi sunt constituti. Porro tribuni plebis non absurde intelliguntur presbyteri, sive reliqui inferioris ordinis clerici. Sic omnis mundana potestas his gradibus dignitatum a se invicem distat, id est ut primus sit Augustus, vel imperator. Deinde Caesares, deinde reges, duces, comites. Sic dicit Clemens papa, Anacletus, Anicius, et plures alii. Demus ergo laudes Deo altissimo, quia non hominum virtute, sed sua beneplacita voluntate, sine sanguinis effusione nobis Tyrum reddidit, urbem inclytam, urbem fortissimam et ad capiendum difficillimam, nisi Deus manum apponeret dexteram. In hoc quidem Antiocheni deliquerunt, qui nullum auxilium nobis praebuerunt, nec labori huic adesse voluerunt. Benedicatur autem Pontius Tripolitanus, quoniam adjutor nobis fidelissimus. Pacificet Deus Antiochenam Ecclesiam cum Hierosolymitana Ecclesia, quae duae dissident de Tyria tertia. Illa dicit hanc sibi fuisse subditam sub Graecorum tempore. Haec dicit se esse communitam privilegiis a Romano pontifice. Nam in concilio Arvernensi tam authentico et nominatissimo constitutum unanimi assensu fuit, ut, quaecunque civitas mari magno transito a paganorum posset excuti jugo, sine contradictione perenniter obtineretur. Hoc etiam in Antiocheno concilio episcopo Podiensi magistrante replicatum et concessum ab omnibus est. In Hierusalem quoque dux Godefridus et domnus Boamundus acceperunt terram suam a patriarcha Daiberto propter amorem Dei. Identidem Paschalis papa privilegiis suis corroboravit, et ea Ecclesiae Hierosolymae transmisit, quibus Ecclesia Romana sic auctorisante jure perpetuo communietur. In quibus privilegiis haec inscripta continentur: CAPUT XXXV. Privilegium Paschalis papae. « PASCHALIS, servus servorum Dei, reverentissimo fratri Hierosolymitano patriarchae GIBELINO et successoribus ejus canonice promovendis. Secundum mutationes temporum transferuntur etiam regna terrarum. Unde etiam ecclesiasticarum parochiarum fines in plerisque provinciis mutari expedit et transferri. Asianarum siquidem Ecclesiarum fines antiquis fuerunt diffinitionibus distributi. Quas distributiones diversarum diversae fidei gentium confudit irruptio. Gratias autem Deo, quod nostris temporibus et Antiochiae et Hierosolymae civitates cum suburbanis suis et adjacentibus provinciis in Christianorum principum redactae sunt potestatem. Unde oportet nos divinae mutationi et translationi manum apponere, et secundum tempus quae sunt disponenda disponere, ut Hierosolymitanae Ecclesiae urbes illas et provincias concedamus, quae per gloriosi regis Balduini prudentiam, ac exercituum eum sequentium sanguine per Dei gratiam acquisitae sunt. Praesentis decreti pagina tibi, frater charissime et coepiscope Gibeline, tuisque successoribus, et per vos sanctae Hierosolymitanae Ecclesiae patriarchali metropolitano, jure regendas disponendasque sancimus civitates omnes, atque provincias, quas sub praedicti regis ditione aut jam restituit, aut in futurum restituere divina gratia dignabitur. Dignum est enim ut sepulcri Dominici Ecclesia secundum fidelium militum desideria competentem honorem obtineat, et Turcorum vel Sarracenorum jugo libera, in Christianorum manu abundantius exaltetur. » CAPUT XXXVI. De portionibus circa Tyrum constitutis. Expletis autem apud Tyrum, prout oportuit, negotiis, et tripartita divisione dispositis, et aequiparatione congrua duabus portionibus regiae scilicet dignitati, et tertia haereditario jure Veneticis tam in urbe quam in portu singillatim contraditis, recesserunt omnes ad sua. Revertente autem Hierosolymitano patriarcha Hierusalem cum Hierosolymitanis, crucem Domini sacrosanctam digna cum veneratione suscepit clerus et populus. ( Huc usque editio I Bongarsii. Quae sequuntur addita sunt ex ms. codice. ) |
Cependant ceux d'Ascalon sachant combien nous avions peu de monde dans nos villes, depuis le départ de notre armée70, ne tardèrent pas à venir nous attaquer sur les points où ils crurent pouvoir nous affaiblir davantage, et nous faire le plus de mal. Ils dévastèrent en effet, et brûlèrent un certain bourg voisin de Jérusalem, nommé Birium, y enlevèrent tout ce qu'ils trouvèrent et s'en allèrent, emportant avec eux quelques morts et quelques blessés: heureusement les femmes et les enfans parvinrent à s'enfermer dans une certaine tour bâtie de notre temps en ce lieu, et sauvèrent ainsi leur vie. Ces Infidèles parcourant donc tout le pays, dévastaient, tuaient, prenaient tout sur leur passage, et faisaient autant de mal qu'ils pouvaient, sans que personne se présentât pour leur résister: tous en effet nous tournions exclusivement nos efforts vers le siége de Tyr, espérant que la divine miséricorde du Très-Haut nous accorderait de voir enfin, grâce à l'appui et au secours du Seigneur, le succès couronner nos travaux.
Cependant le roi de Damas, reconnaissant que les Turcs et les Sarrasins renfermés dans la place assiégée ne pouvaient en aucune manière échapper de nos mains, aima mieux racheter, quoiqu'avec quelque honte, les siens encore vivans, que d'avoir ales pleurer morts. Prenant en conséquence un parti sage et avisé, il fit demander par des négociateurs que ses hommes eussent la faculté de s'en aller avec tout ce qui leur appartenait, et promit à cette condition de nous livrer la ville ainsi évacuée. Après que les deux partis eurent long-temps discuté ce traité, ils se livrèrent réciproquement des otages; les Infidèles sortirent de la place, et les Chrétiens y entrèrent paisiblement. Toutefois ceux des Sarrasins qui voulurent rester dans la ville y demeurèrent en paix sous les seules conditions d'usage. Le soleil s'était levé vingt et une fois dans le signe du Cancer, quand Tyr fut prise, rendue et soumise. Ce grand événement eut lieu en effet le jour des nones de juillet. Certes nous ne devons ni cesser, ni tarder de recourir à Dieu notre Seigneur, dont la bonté nous secourt dans nos tribulations; toujours nous devons l'importuner de nos prières, afin d'obtenir qu'il prête à nos supplications une oreille favorable. Ce devoir nous l'avions rempli assidûment à Jérusalem; sans cesse nous visitions les églises, répandions des larmes, distribuions des aumônes, et mortifiions nos corps par les jeûnes: aussi Dieu voyant, comme je le crois, notre perte, du haut des cieux, loin de nous priver de sa bénédiction, daigna exaucer notre prière; et au moment même où nous étions impatiens d'apprendre quelque nouvelle de notre armée, des messagers vinrent en toute hâte nous annoncer la prise de la cité de Tyr, et apporter au patriarche des lettres qui lui faisaient connaître ce grand succès. A peine en est-on instruit, que des cris de joie s'élèvent jusqu'au ciel; tous nous chantons à haute voix le Te Deum laudamus; les cloches sonnent, une procession se dirige vers le temple du Seigneur, des drapeaux s'élèvent sur les murs et sur les tours, dans tous les carrefours on étend des tapisseries de mille couleurs diverses, on s'empresse de rendre à Dieu d'humbles actions de grâces, les messagers reçoivent, comme ils le méritent, d'honorables récompenses, petits et grands tous se félicitent, et les jeunes filles réunies en chœur font entendre de doux cantiques. Jérusalem se glorifie à bon droit, et avec une affection vraiment maternelle, d'avoir Tyr pour fille; et couronnée par l'univers71 comme sa reine, elle subsistera éternellement à la droite de cette cité. Babylone au contraire pleure la perte de cette ville qui faisait son bonheur, dont l'appui l'avait si long-temps rendue puissante, et qui chaque année lui fournissait une flotte pour nous combattre. Que si l'on rappelle à sa mémoire l'ancienne pompe de Tyr, on verra que sa grandeur est encore augmentée72 par la grâce du Très-Haut. Comme cette ville eut en effet, tant qu'elle fut soumise aux Gentils73, un grand flamine ou archiflamine pour la régir, maintenant qu'elle reconnaît la loi chrétienne, elle aura, conformément aux institutions des Pères de l'Eglise, un primat ou un patriarche. Partout, en effet, où étaient autrefois des archiflamines, on a établi des archevêques Chrétiens; où existait une métropole, ce qui veut dire une cité mère, sont aujourd'hui des métropolitains, qui, sur trois ou quatre cités qui se trouvent dans l'enceinte d'une province, gouvernent la plus grande, celle qui est la mère des autres. Dans les villes moins importantes, et qui n'avaient que des flammes ou des comtes, sont placés des évêques. Enfin, ce n'est pas sans raison qu'on assimile aux tribuns du peuple, les prêtres et les autres clercs d'un rang inférieur. De la même manière la puissance séculière se distingue, et marque les distances par les divers degrés des dignités; le premier est le titre d'auguste ou d'empereur, ensuite viennent les césars, puis les rois, et enfin les ducs et les comtes. Ainsi l'ont écrit le pape Clément, Anaclet, Anicius, et plusieurs autres. Au surplus, payons un juste tribut de louanges au Très-Haut, qui, non à l'aide de la valeur des hommes, mais par le seul effet de son bon plaisir et de sa volonté, nous a livré sans effusion de sang Tyr, cette cité si fameuse, si forte et si impossible à prendre, à moins que Dieu n'appesantît sur elle sa droite toute puissante. Dans cette entreprise, en effet, ceux d'Antioche nous abandonnèrent, refusèrent de nous prêter le moindre secours, et ne voulurent prendre aucune part à ce grand œuvre. Quant à Pons, comte de Tripoli, qui nous fut alors un allié très-fidèle, puisse la bénédiction du Ciel se répandre sur lui! puisse aussi le Seigneur pacifier l'église d'Antioche et celle de Jérusalem, divisées entre elles au sujet de celle de Tyr, la troisième en rang! Celle-là prétend que Tyr lui était subordonnée du temps des empereurs Grecs; mais celle-ci soutient qu'elle a reçu de l'évêque de Rome des priviléges particuliers. Au fait, dans le concile d'Auvergne, si authentique et si justement célèbre, il fut établi, d'un consentement universel, qu'une fois qu'on aurait traversé la grande mer, toute église qu'on parviendrait à délivrer du joug des Païens serait à toujours, et sans contradiction aucune, sous la puissance et la direction de la sainte cité de Jérusalem. Cela fut encore répété d'un commun accord dans le concile d'Antioche, auquel présidait l'évêque du Puy. De plus, c'est dans Jérusalem que le duc Godefroi et le seigneur Boémond reçurent, par amour de Dieu, l'investiture de leurs domaines des mains du patriarche Daimbert. De temps à autre le pape Pascal confirma les priviléges de ladite église de Jérusalem, et les lui concéda pour en jouir, comme d'un droit perpétuel, sous l'autorisation de l'Eglise romaine. Dans la charte de ces priviléges est écrit ce qui suit:
«Pascal serviteur des serviteurs de Dieu, au révérendissime frère Gibelin, patriarche de Jérusalem, et à ses successeurs élus canoniquement. Les royaumes de la terre passent dans des mains différentes suivant que les temps changent; il convient donc aussi que, dans la plupart des contrées, les limites des diocèses ecclésiastiques soient changées et transférées d'un lieu à un autre. Le territoire des Eglises d'Asie fut dans les temps anciens réglé par des démarcations fixes: cette répartition, les invasions de différentes nations, professant une foi diverse, l'ont bouleversée. Mais grâces en soient rendues au Seigneur, de notre temps les cités de Jérusalem et d'Antioche, ainsi que les provinces qui touchent à ces villes, sont enfin retombées sous la puissance de princes chrétiens. Il nous faut donc mettre de notre côté la main au grand œuvre de ce changement, et de cette translation de pouvoir ordonnée de Dieu; il nous faut arranger tout ce qui est à régler conformément au temps présent, et placer à cette fin, sous la direction de l'église de Jérusalem, les villes et les contrées conquises, grâces au secours du Très-Haut, par la sagesse du glorieux roi Baudouin, et au prix du sang des armées qui l'ont suivi. Nous confions en conséquence, par le présent décret, à toi, Gibelin, notre frère très-cher et notre co-évêque, ainsi qu'à tes successeurs dans la sainte Eglise de Jérusalem, le soin de régir et gouverner, en vertu du droit patriarchal ou métropolitain, toutes les villes et les provinces que la bonté divine a déjà replacées sous la puissance du susdit roi, ou qu'elle daignera y faire rentrer par la suite. Il est juste, en effet, que l'église du sépulcre du Sauveur obtienne, comme le desirent les fidèles, les distinctions honorables qui lui sont dues, et que, délivrée du joug des Turcs ou Sarrasins, et rendue aux mains des Chrétiens, elle jouisse du plus grand éclat.» Dès qu'à Tyr, tant dans le port que dans la ville, tout eut été, comme il convenait, arrangé, réglé et divisé en trois parts, dont deux, par une juste répartition, furent remises en la puissance du roi, et la troisième abandonnée aux Vénitiens pour en jouir comme d'un bien propre, et au même titre que d'un héritage, les nôtres se retirèrent chacun chez soi. Le patriarche de Jérusalem revint dans la Cité sainte avec tous ceux de cette ville, et le peuple ainsi que le clergé reçurent la très-sainte croix du Seigneur avec toute la vénération qui lui était due.
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CAPUT XXXVII. De signo tunc apparente. Deinde apparuit nobis sol per unam fere horam fulgore colorifero, in novam vel jactivam formam commutatus, et in specie lunae tanquam eclipsi quadam biformis transmutatus. Hoc accidit quippe III Idus Augusti, hora diei jam praetereunte nona. Noli ergo mirari cum vides signa in coelis, quia nihilominus operatur Deus in terris. Sicut enim in coelestibus, ita et in terrenis transformat et componit quaecunque et quomodo vult. Quod si mira sunt quae fecerit, mirabilior est quia ea fecit. Considera et mente recogita quomodo tempore in nostro transvertit Deus Occidentem in Oriente. Nam qui fuimus occidentales, nunc facti sumus orientales. Qui fuit Romanus aut Francus, hac in terra factus est Galilaeus, aut Palaestinus. Qui fuit Remensis aut Carnotensis, nunc efficitur Tyrius aut Antiochenus. Jam obliti sumus nativitatis nostrae loca, jam nobis pluribus vel sunt ignota, vel etiam inaudita. Hic jam possedit domos proprias et familias quasi jure haereditario et paterno, ille vero jam duxit uxorem non tamen compatriotam, sed et Syram aut Armenam, et interdum Sarracenam, baptismi autem gratiam adeptam. Alius habet apud se tam socerum quam nurum, seu generum suum, sive privignum, necne vitricum. Nec deest huic nepos, seu pronepos. Hic potitur vineis, ille culturis. Diversarum linguarum coutuntur alternatim eloquio et obsequio alterutri. Lingua diversa jam communis facta utrique nationi fit nota, et jungit fides quibus est ignota progenies. Scriptum quippe est: Leo et bos comedit paleas (Isa. XI, 7) . Qui erat alienigena, nunc est quasi indigena, et qui inquilinus est, utique quasi incola factus. Nos nostri sequuntur de die in diem propinqui et parentes, quaecunque possederant omnino relinquentes, nec etiam volentes. Qui enim illic erant inopes, hic facit eos Deus locupletes. Qui habuerant nummos paucos, hic possident bysantios innumeros, et qui non habuerant villam, hic, Deo donante, jam possident urbem. Quare ergo reverteretur in Occidentem, qui hic invenit taliter Orientem? Nec vult eos penuria Deus affici, qui cum crucibus suis devoverunt eum sequi, imo denique assequi. Percipitis igitur esse hoc miraculum immensum, in universo mundo valde stupendum. Quis audivit hactenus tale? Vult ergo nos Deus omnes lucrifacere, et ut amicos charissimos ad se attrahere. Et quia vult, nos quoque voluntarie velimus, et quod illi placet benigno corde et humili faciamus, ut cum eo feliciter regnemus. |
Le soleil nous apparut ensuite pendant presque une heure avec un éclat coloré; il avait pris une forme nouvelle et oblongue, et paraissait avoir deux pointes, comme la lune dans une éclipse. Cela arriva le 11 août, vers la fin de la neuvième heure du jour. Qu'on ne s'étonne pas de voir des prodiges paraître dans le ciel, puisque Dieu en opère également sur la terre; comme dans les choses célestes, de même dans les choses terrestres, il transforme et arrange tout comme il lui plaît; que si les choses qu'il fait sont admirables, bien plus admirable est celui qui les fait. Considérez et réfléchissez en vous-même de quelle manière en notre temps Dieu a transformé l'Occident en Orient; nous qui avons été des Occidentaux, nous sommes devenus des Orientaux; celui qui était Romain ou Franc est devenu ici Galiléen ou habitant de la Palestine; celui qui habitait Rheims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié les lieux de notre naissance; déjà ils sont inconnus à plusieurs de nous, ou du moins ils n'en entendent plus parler. Tels d'entre nous possèdent déjà en ce pays des maisons et des serviteurs qui lui appartiennent comme par droit héréditaire; tel autre a épousé une femme qui n'est point sa compatriote, une Syrienne ou Arménienne, ou même une Sarrasine qui a reçu la grâce du baptême; tel autre a chez lui ou son gendre, ou sa bru, ou son beau-père, ou son beau-fils: celui-ci est entouré de ses neveux ou même de ses petits-neveux; l'un cultive des vignes, l'autre des champs; ils parlent diverses langues, et sont déjà tous parvenus à s'entendre. Les idiomes les plus différens sont maintenant communs à l'une et à l'autre nation, et la confiance rapproche les races les plus éloignées. Il a été écrit en effet, «le lion et le bœuf mangent au même râtelier.» Celui qui était étranger est maintenant indigène, le pélerin est devenu habitant; de jour en jour nos parens et nos proches nous viennent rejoindre ici, abandonnant les biens qu'ils possédaient en Occident. Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches; ceux qui n'avaient que peu d'écus possèdent ici un nombre infini de byzantins; ceux qui n'avaient qu'une métairie, Dieu leur donne ici une ville. Pourquoi retournerait-il en Occident celui qui trouve l'Orient si favorable? Dieu ne veut pas que ceux qui, portant leur croix, se sont dévoués à le suivre tombent ici dans l'indigence. C'est là, vous le voyez bien, un miracle immense, et que le monde entier doit admirer. Qui a jamais entendu dire rien de pareil? Dieu veut nous enrichir tous et nous attirer à lui comme des amis chers à son cœur; puisqu'il le veut, que notre volonté se conforme à la sienne, et faisons d'un cœur doux et humble ce qui lui plaît, pour régner heureusement avec lui.
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CAPUT XXXVIII. De regis a vinculis liberatione, et obsidione urbis Halapia. Omnipotente Deo favente, de Turcorum custodia Hierosolymorum rex IV Kal. Septembris exiit, cum mensibus 12 pauloque magis sub eorum vinculis detentus esset. Sed quia pro redemptione sui obsides eis electos primitus contradere oportuit, non omnino liber exiit, cum se et illos incerta et pendula spe anxius obligaverit. Unde consilio necessitati postmodum adhibito, urbem Caliptum obsidere acceleravit, quatenus ipsa cohibita, vel obsides suos a civibus extorqueret, vel forte fame vexatam comprehendere posset. Didicerat enim panis inopia eam valde angustari. Ab Antiochia magna 40 millibus civitas haec discrepat; quo in loco ab Abraham, quando de Carram in terra peregrinabatur Chanaam, pecora sua tam fetentia quam fetata in pascuis illis uberrimis faciebat opiliones suos pascere, insuper lac eorum in mulctris faciebat mulgeri, deinde coagulari, coagulatumque in fiscinis exprimi, et formagia confici. Dives enim erat valde omnigenum rerum possessione. Calixtus papa obiit XII Kalend. Januarii. |
Avec l'aide de Dieu tout-puissant, le roi de Jérusalem sortit le 29 août de la captivité où l'avaient retenu les Turcs pendant un peu plus de douze mois. Mais comme pour se racheter il fut obligé de donner de précieux otages, il ne sortit pas tout-à-fait libre, et demeura encore en proie aux agitations de la crainte et de l'espérance. Ayant enfin pris conseil de la nécessité, il se hâta d'assiéger la ville d'Alep, dans l'espoir qu'en la bloquant il contraindrait les citoyens à lui rendre ses otages, ou les ferait tomber à tel point dans les horreurs de la famine, que la ville finirait peut-être par se livrer à lui. Il avait appris, en effet, qu'elle était déjà fort tourmentée de la disette. Cette cité est éloignée d'Antioche d'environ quarante milles. C'est là qu'Abraham, lorsqu'il passait de Carrhes dans le pays de Chanaan, envoyait ses bergers paître ses troupeaux dans de fertiles pâturages; c'est là aussi qu'il faisait fermenter leur lait, lequel étant ensuite coagulé et déposé dans des formes, se changeait en fromage. Abraham était riche en toutes sortes de possessions. Le pape Calixte mourut le 21 décembre.
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CAPUT XXXIX. De congregato exercitu Turcorum ad dispergendam obsidionem. Anno a Salvatore mundi nato 1125, indictione III, cum mensibus 5. Hierosolymitanus una cum suis Halapiam urbem rex cohibuisset, nec quidquam profecisset, Turci, ut solent, non torpidi, transgresso flumine paradisiaco Euphrate magno, itinere citissimo properaverunt ad urbem praedictam, ad disperdendam obsidionem, quam gens nostra jam diu apposuerat circa illam. Verebantur enim, nisi citissime subvenirent, in proximo eam fore capiendam. Fuerunt autem septem millia equitum, camelorum quoque annona et alimentis onustorum, ad quatuor fere millia. Sed quoniam adversus eos praevalere nostri non potuerunt, necessario cesserunt, et ad oppidum eis proximum Careph nominatum die sequenti diverterunt. Erat enim illud nostrum. Turcorum enim pars una nostros aliquantisper cum insequerentur, duos de suis probioribus equis dejectos atque peremptos illic amiserunt. Nos vero clientem unum, sex quoque tentoria. Accidit adventus eorum III Kalend. Februarii. Sed quia noctu repentini advenerunt, propterea imparatos nos facilius invenerunt et confuderunt. Vilissimum ergo dictu, inhonestum scitu, taedium relatu, pudor auditu. Sed qui hoc narro, a veritate non devio. Quid ergo? voluntati Dei quis resistit? Verum est autem proverbium, quod quidam Sapiens dixit: « Futura non pugnant, nec se superari sinunt. » Erat hoc verum futurum, sed nemini praescitum. Si enim fuisset praescitum, nunquam posset fore futurum, quia de meditatione veniret ad nihilum sine voluntate. Nam cassaret qui praesciret, ne ad factum res exiret. Rex autem deinde secessit Antiochiam, Goscelinusque cum eo. Obsides vero, quos posuit pro se rex quando de vinculis exiit, neque sunt redditi, neque redempti. Itaque tam Hierosolymitani quam Tripolitani omnes ad sua remeaverunt. Obviat autem divina dispensatio ei, quem prosperiorem facit humana probitas, ne cui convenit ampliari patiatur. Quis enim alius vel bonorum dator, malorumve depulsor, quam rector aut medicator mentium Deus, qui ex summa coeli specula universa conspicit et discernit? Qui Tyrum urbem fortissimam et gloriosissimam nobis Christianis suis paulo ante benigne tradidit, et possessoribus ejus abstulit, nunc ei manum retrahere libuit. Fortassis liberioribus agricolis vineam suam excolere reservavit, qui fructum ei ubertim reddere velint vel valeant opportuno in tempore. Quidam quidem cum plus habent minus valent, nec largitori bonorum gratias quantas debent exhibent; verum etiam Deo in his, quae votis illi promittunt, sese fallentes, item itemque mentiendo fallunt |
L'an 1125 depuis la naissance du Sauveur du monde, comme le roi de Jérusalem à la tête des siens pressait depuis cinq mois la ville d'Alep, sans pouvoir obtenir aucun avantage, les Turcs, alertes selon leur coutume, passèrent un des grands fleuves du Paradis, l'Euphrate, et marchèrent vers Alep avec la plus grande promptitude pour faire lever le siège que nos gens avaient depuis long-temps mis devant cette ville. Ils craignaient, en effet, que s'ils ne la secouraient en grande hâte, elle ne tombât bientôt au pouvoir des ennemis. Leur troupe se composait de sept mille cavaliers, et ils avaient avec eux près de quatre mille chameaux chargés de froment et de vivres. Les nôtres n'étant pas en état de l'emporter sur eux furent obligés de se retirer, et se rendirent le jour suivant vers une ville voisine, appelée Careph, qui nous appartenait. Les Turcs ayant poursuivi les nôtres pendant quelque temps, perdirent deux des plus braves de leur troupe, qui furent renversés de cheval et tués. De notre côté il ne périt qu'un homme; mais nous perdîmes six tentes. Cette attaque des Turcs eut lieu le trentième jour de janvier. Comme ils arrivèrent tout à coup pendant la nuit, ils n'eurent pas de peine à jeter la confusion parmi les nôtres, qui ne se tenaient pas sur leurs gardes. De tels faits sont vils à dire, déshonorans à savoir, ennuyeux à rapporter, et honteux à entendre; mais dans ce récit je ne veux pas m'écarter de la vérité. Quoi donc? Qui pourrait résister à la volonté de Dieu? Il y a un proverbe bien juste d'un certain sage: «Les choses qui doivent arriver ne combattent pas, et ne se laissent pas vaincre.» C'était bien là ce qui devait arriver; mais ce n'était connu de personne; car si quelqu'un l'eût connu, le fait n'aurait jamais pu arriver, puisque le concours de la volonté des hommes aurait été nécessaire pour son accomplissement, et ceux qui l'auraient prévu auraient pris leurs mesures pour l'empêcher. Le roi se retira ensuite à Antioche, et Josselin avec lui; les otages que le roi avait donnés lorsqu'il était sorti de prison ne furent ni rendus ni rachetés. Les gens de Jérusalem aussi bien que ceux de Tripoli retournèrent chacun chez soi. La sagesse divine arrête souvent le cours des prospérités humaines, et ne le laisse pas s'étendre autant qu'il nous plairait. Quel est celui qui dispense les biens ou dissipe les maux, si ce n'est Dieu, le souverain maître et médecin des esprits, qui du haut des cieux voit et discerne toutes choses? Peu auparavant, et dans sa bonté, il nous avait livré, à nous ses Chrétiens, la forte et glorieuse ville de Tyr, et l'avait ravie à ses anciens possesseurs; maintenant il lui plut de retirer de nous sa main. Peut-être s'est-il réservé de donner sa vigne à cultiver à de plus généreux agriculteurs, qui voudront et pourront lui en payer largement le revenu. Il est des gens, en effet, qui donnent d'autant moins qu'ils possèdent davantage, et ne savent pas rendre au dispensateur de tout bien toutes les actions de grâces qu'ils lui doivent; mais ils se font tort à eux-mêmes lorsqu'ils manquent à Dieu dans les promesses qu'ils lui adressent.
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CAPUT XL. Quod rex Hierosolymis cum gaudio sit receptus. Cum autem duobus fere annis tentus, et vinculis compeditus a paganis atrocissime rex fuisset, Hierosolymam suam reversus rediit; quem III Non. Aprilis universi processione celebri suscepimus. Qui, parum apud nos commoratus, Antiochiam festinanter rediit. Turcis terram illam jam vastantibus, quorum potentior Borsequinus erat nominatus, junctis sibi sex millibus militum. |
Le roi, après avoir été cruellement retenu enchaîné par les Païens pendant près de deux ans74, retourna dans sa ville de Jérusalem. Le 3 avril nous allâmes tous le recevoir en procession solennelle. Il resta peu parmi nous, et se hâta de se rendre à Antioche, dont les Turcs, ayant à leur tête Borsequin, ravageaient déjà le territoire, et Borsequin était accompagné de six mille chevaliers. |
(60) Le texte porte cum de predecessore loquuturus. De semble de trop pour le sens. (61) Le texte porte alium Banemondi; il faut filium: Roger, était neveu de Boémond, et n'avait comme Tancrède que la régence. (62) Le texte porte vinis sub ratiocinio daturus; c'est vivis qu'il faut, ce semble, pour le sens. Guillaume de Tyr justifie cette correction. (63) Le texte porte omnia ad sua regredi; il faut, ce semble, omnes. Ce qui est dit plus haut, que Baudouin rassembla tout ce qu'il avait d'hommes de Sidon à Joppé, explique et justifie cette correction. (64) Le texte porte moraliter: l'auteur paraît faire venir ce mot de mora, retard; autrement il n'aurait aucun sens. (65) Le texte porte: non bene providum, sed Imparatum. Les détails donnés par Guillaume de Tyr confirment le sens que nous avons adopté. (66) Psaume 143, v. 15. (67) Le texte porte fundulentus; il est évident qu'il faut fraudulentus. (68) Le texte porte deerat, il faut devoraverat, (69) Le texte porte, nec cœlo, nec huma, nec aqua lacus ejus habetur: lacus ne fait pas de sens, il faut locus. (70) Dans nos villes, depuis le départ de notre armée, n'est pas dans le texte, et a paru nécessaire pour la clarté. (71) Le texte porte à modo coronata; il faut, ce semble, à mundo. (72) Le texte porte augmentantur; il faut, ce semble, augmentatur, (73) Le texte porte Hennicos; lisez Ethnicos. (74) au Chapitre LVIII, il est dit un peu plus de douze mois. |