ÉGINHARD
Des faits et gestes de Charles le Grand, roi des Francs et empereur, par un moine de Saint-Gall
livre second
texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Des faits et gestes de Charles le Grand, roi des Francs et empereur, par un moine de Saint-GallPRÉFACE DU LIVRE SECOND.DANS la préface de ce petit ouvrage, j’ai déclaré que je ne suivrais que trois auteurs. Mais comme le principal d’entre eux, Wernbert, est mort depuis sept jours[17], et que nous, ses enfants et ses disciples, nous devons célébrer aujourd’hui, 3 des calendes de juin [30 mai 884], la commémoration de sa perte, ici se terminera le livre qui traite de la piété et de l’administration ecclésiastique du roi Charles, et qui a été recueilli de la bouche même de ce prêtre. Le livre suivant, qui comprend les actions guerrières de ce vaillant empereur, est tiré du récit d’Adalbert, père de ce même Wernbert. Il avait suivi son seigneur Gérold dans les guerres contre les Huns, les Saxons et les Esclavons ; et déjà vieux il m’éleva quand j’étais encore très petit, et souvent, malgré ma résistance et mes efforts pour lui échapper, il me ramenait presque de force, et me racontait les faits dont il s’agit ici. LIVRE SECOND.Des actions guerrières de Charles le Grand.APPELÉ à écrire d’après les récits d’un séculier peu instruit dans les lettres, je ne crois pas hors de propos de rappeler quelques faits anciens sur la foi d’autres auteurs. Après que Julien, si odieux au Très-Haut, eut péri, par la volonté du ciel, dans une guerre contre les Perses, non seulement les provinces au-delà des mers, mais encore les provinces plus voisines, le Norique, la Rhétie ou Germanie , et les Francs ou Gaulois secouèrent le joug des Romains. Bientôt les rois des Francs ou Gaulois commencèrent eux-mêmes à déchoir de leur puissance en punition du meurtre de saint Didier, évêque de Vienne, et de l’expulsion des saints étrangers Colomban et Gall. Alors les Huns, accoutumés anciennement à désoler de leurs brigandages la France et l’Aquitaine, c’est-à-dire, la Gaule et l’Espagne, sortirent tous en masse de leur pays, dévastant tout comme un vaste incendie, et transportèrent dans leurs profonds repaires les restes des nations qui n’avaient pas disparu. Ces repaires étaient tels que je vais le rapporter, d’après ce qu’Adalbert m’a raconté souvent. Le pays des Huns, disait-il, était entouré de neuf cercles. Pour moi qui ne pouvais en imaginer d’autres que des cercles d’osier, je lui demandai : Quel était donc ce miracle, Seigneur ? Il était entouré, me répondit-il, de neuf haies[18]. Ne sachant pas davantage ce qu’étaient ces haies d’une autre espèce, et ne connaissant que celles dont on entoure les moissons, je le questionnai de nouveau, et il me dit : Un de ces cercles avait une telle étendue qu’il renfermait un espace aussi grand que la distance de Tours à Constance[19] ; il était de plus tellement construit en troncs de chênes, de hêtres et de sapins, que d’un bord à l’autre cette palissade avait vingt pieds de largeur et autant de hauteur. L’intervalle était rempli de pierres très dures et d’une craie fort compacte, et la surface supérieure de ce rempart était couverte de buissons non taillés ; entre les divers cercles étaient plantés des arbustes, qui, comme nous le vîmes souvent, quoique coupés et abattus, poussaient des branches et des feuilles ; là aussi étaient placés les bourgs et les villes, tellement rapprochés qu’on pouvait s’entendre de l’un à l’autre. En face de ces bâtiments et dans ces murs inexpugnables étaient ouvertes des portes étroites par lesquelles les Huns, non seulement du cercle extérieur, mais de tous les autres, sortaient pour piller. Il en était de même du second cercle, construit comme le premier ; vingt milles d’Allemagne, qui en font quarante d’Italie, le séparaient du troisième, et ainsi de suite jusqu’au neuvième, quoique ces cercles fussent beaucoup plus étroits les uns que les autres. D’un cercle à l’autre, les propriétés et les habitations étaient partout disposées de telle manière que, de chacune d’elles, on pouvait entendre les signaux donnés par le son des trompettes. Tandis que les Goths et les Vandales portaient partout la terreur, les Huns entassèrent, durant deux cents ans et plus, dans leurs asiles ainsi fortifiés, toutes les richesses de l’Occident, et abandonnèrent cette contrée presque entièrement dévastée. Mais l’invincible Charles écrasa si complètement cette nation en huit années, qu’à peine en laissa-t-il subsister quelques misérables vestiges. Quant aux Bulgares, il cessa d’appesantir sa main sur eux, les regardant comme incapables de nuire à l’empire des Francs, après la destruction des Huns. Pour le butin fait en Pannonie, ce monarque le partagea libéralement entre les évêchés et les monastères. Dans la guerre contre les Saxons, que ce prince fit quelquefois par lui-même, des hommes d’une condition privée, que je nommerais bien si je ne craignais d’être accusé d’orgueil[20], formèrent la tortue et renversèrent vaillamment les murs d’une ville défendue par d’excellents remparts. L’équitable Charles, témoin de cette action, institua, de l’aveu de leur seigneur Gérold , le premier d’entre eux préfet du pays entre le Rhin et les Alpes italiennes. Dans cette même guerre, deux fils de ducs chargés de monter la garde aux tentes du roi, s’étaient tellement gorgés de vin qu’ils gisaient comme morts sur la terre. Le monarque, dont l’habitude était de s’éveiller souvent, et de faire la ronde du camp, rentra doucement dans sa tente, et sans être aperçu de personne. Quand le jour parut, il convoqua tous les grands du royaume, et leur demanda quelle peine mériterait l’homme qui aurait livré l’ennemi le chef des Francs. Les dues dont il s’agit, ignorant complètement ce qui s’était passé, opinèrent à la mort d’un homme capable d’un tel crime ; mais Charles, sans faire aux coupables aucun mal, se contenta de les renvoyer avec une dure réprimande. Là étaient aussi deux bâtards nés dans une maison de prostitution ; ils combattirent avec une grande bravoure. L’empereur demanda d’où ils sortaient. L’avant appris, il les fit appeler dans sa tente vers l’heure de midi, et leur dit : Braves jeunes gens, je veux désormais que vous ne serviez que moi et aucun autre. Ceux-ci déclarèrent qu’ils n’étaient pas venus avec d’autre projet que d’être les derniers de ses sujets. Eh bien, reprit le roi, vous serez attachés au service de ma chambre. Ces jeunes gens, dissimulant leur chagrin, parurent disposés à obéir ; mais, saisissant l’instant où le monarque commençait à s’endormir, ils allèrent au camp des ennemis, y mirent le trouble, et lavèrent dans leur propre sang et dans celui des Saxons la tache de leur naissance servile. Au milieu de ces occupations guerrières, le magnanime empereur ne négligeait pas d’adresser, aux divers souverains des pays les plus éloignés, des messagers chargés de lettres et de présents, et qui lui rapportaient d’honorables hommages de toutes les parties de l’univers. Pendant la guerre contre les Saxons, il envoya donc des députés à l’empereur de Constantinople. Celui-ci demanda si les États de son fils Charles étaient en paix ou troublés par les nations voisines. Le chef de l’ambassade répondit que tout était en paix, à l’exception d’un certain peuple appelé les Saxons, qui infestait de ses brigandages les frontières de France. Hélas ! répliqua ce prince qui croupissait dans le repos et n’était nullement propre à la guerre, pourquoi mon cher fils se fatigue-t-il à combattre des ennemis si peu nombreux, sans renom ni courage ? je te donne à toi cette nation et tout ce qui lui appartient. A son retour, l’autre raconta ce propos à Charles. Cet empereur, répondit le roi guerrier, aurait fait beaucoup plus pour toi s’il t’eût donné un bon haut-de-chausses pour faire une route si longue. Je ne dois pas taire la sagesse que ce même envoyé fit voir à la savante Grèce. Il arriva pendant l’automne, dans une certaine ville impériale, avec ses compagnons. Tous logèrent séparément ; quant à lui, on le plaça chez un certain évêque. Celui-ci, sans cesse en oraison et en jeûne, laissa presque mourir de faim son hôte. Quand le printemps eut commencé de sourire à la terre, le prélat présenta notre député à l’empereur qui lui demanda que lui semblait de l’évêque : Il est, répondit l’autre en soupirant profondément, aussi parfaitement saint, qu’on peut l’être sans connaître Dieu. — Comment donc, reprit le monarque étonné, quelqu’un peut-il être saint sans le secours de Dieu ? — Il est écrit, répliqua cet ambassadeur : Dieu est charité, et ce prélat n’en a aucune. L’empereur l’invita pour lors à dîner avec lui, et le plaça au milieu de tous les grands de sa cour. C’était une loi établie parmi eux qu’à la table du prince, nul ne devait retourner le corps d’aucun des animaux qu’on y servait ; il fallait manger la partie supérieure, telle qu’elle était placée. Un poisson de rivière, garni de divers assaisonnements, fut apporté dans un plat. L’envoyé, qui ne savait rien de l’usage du pays, retourna ce poisson sur le côté inférieur. Tous les courtisans, se levant à cette vue, dirent à leur maître : Ainsi donc, seigneur, on vous traite aujourd’hui avec une irrévérence qu’on n’a jamais montrée à aucun de vos ancêtres. Le monarque dit alors en gémissant à l’ambassadeur : Je ne puis refuser à mes grands de te livrer sur-le-champ à la mort ; mais demande-moi autre chose, et je le ferai. L’autre réfléchit un moment, et tout le monde prêtant une oreille attentive, il répondit. Je vous conjure, seigneur, de m’accorder, suivant votre promesse, une légère faveur. — Demande, répliqua le prince, ce que tu voudras, et tu l’obtiendras, à l’exception cependant de la vie, que je ne puis te donner contre la loi formelle des Grecs. — Prêt à mourir, reprit l’envoyé, je ne requiers qu’une seule grâce, c’est que tous ceux qui m’ont vu retourner le poisson soient privés de la vue. L’empereur, frappé d’étonnement à cette prière, jura par le Christ qu’il n’avait pas vu le fait, et avait prononcé d’après le rapport des autres. La reine, à son tour, attesta la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, qu’elle non plus n’avait rien vu ; ensuite les grands, les uns après les autres, s’efforçant de se soustraire au péril qui les menaçait, prirent à témoin, celui-ci le porte-clefs du ciel, celui-là le docteur des nations les autres toutes les puissances angéliques et la foule des Saints, et firent la même déclaration avec les plus terribles serments. Le sage Franc ayant ainsi humilié l’orgueilleuse Grèce sur son propre terrain, revint dans sa patrie sain et sauf et triomphant. Quelques années après [en 811] l’infatigable Charles envoya dans le même pays un évêque, homme excellent de corps et d’esprit, et lui adjoignit un duc d’une haute naissance. Après avoir été longtemps remis de jour en jour, ils obtinrent enfin de paraître en présence de l’empereur, furent mal reçus et placés dans des lieux différents. Renvoyés ensuite un beau jour, ils revinrent après avoir fait une grande dépense pour leur traversée et usé tous leurs effets de voyage. Peu après l’empereur grec à son tour adressa des ambassadeurs au glorieux Charles. Le hasard voulut alors que ce même évêque et le duc dont on a parlé fussent auprès du roi. Ceux-ci, quand on annonça la venue de ces députés, conseillèrent au sage monarque de les faire conduire à travers les Alpes par des chemins impraticables jusqu’à ce que tout ce qu’ils avaient emporté avec eux fût usé et consommé complètement, et de les forcer ensuite à paraître devant lui quand ils seraient ainsi réduits à un dénuement absolu. A leur arrivée ce même évêque et son compagnon firent asseoir le connétable au milieu de tous ses subalternes et sur un trône élevé. De cette manière on ne pouvait manquer de prendre cet officier pour l’empereur ; aussi les ambassadeurs, dès qu’ils le virent, se prosternèrent-ils à terre pour l’adorer ; mais les serviteurs de Charles les repoussèrent et les contraignirent de passer dans des appartements plus reculés. Quand ils y furent, ils aperçurent le comte du palais qui parlait aux grands réunis autour de lui, ils crurent que c’était le monarque et se précipitèrent à terre de nouveau. Chassés plus loin et souffletés par les assistants qui leur disaient : Celui-ci n’est pas l’empereur, ils allèrent encore plus avant et trouvèrent le surintendant de la table royale entouré de tous les gens de son service, couverts de magnifiques habits ; ne doutant pas que ce ne fût le roi, les voilà derechef à terre. Repoussés encore de ce lieu, ils virent dans une grande salle les hommes du service de la chambre royale autour de leur chef, et ne mirent pas en doute que, pour le coup, celui-ci ne fût réellement le premier des mortels. Mais cet officier s’en défendit et leur promit d’unir ses efforts à ceux des premiers du palais pour leur obtenir, s’il y avait possibilité, la faveur de paraître en présence de l’auguste empereur. Quelques uns de ceux qui se trouvaient près de ce prince furent alors chargés de les introduire honorablement. Charles, le plus illustre des rois, radieux comme le soleil à son lever, et tout brillant d’or et de pierreries, était assis auprès d’une fenêtre qui répandait un grand jour, et appuyé sur Hetton ; ainsi se nommait l’évêque envoyé autrefois à Constantinople ; autour de l’empereur étaient rangés en cercle, à l’instar de la milice céleste, ses trois fils déjà associés au pouvoir, ses filles et leur mère, non moins resplendissantes de sagesse et de beauté que de parure ; des prélats d’une tournure et d’une vertu sans égales ; des abbés aussi distingués par leur noblesse que par leur sainteté ; des ducs tels que ne parut pas autrefois Josué dans le camp de Galgala. Cette troupe, ainsi que le fit celle qui chassa loin des murs de Samarie Cyrus et ses Assyriens, comme si elle eût eu David au milieu d’elle, aurait pu justement chanter : Que les rois de la terre et tous les peuples, que les princes et tous les juges de la terre, que les jeunes hommes et les jeunes filles, les vieillards et les enfant louent le nom du Seigneur [Ps., 148, 11-12]. Les ambassadeurs grecs, frappés de stupeur, se sentirent défaillir, perdirent la tête et tombèrent muets et évanouis sur le carreau. L’empereur, plein de bonté, les fit relever et s’efforça de leur rendre quelque courage par des paroles de consolation. Mais quand enfin ils virent comblé de tant d’honneurs cet Hetton, traité par les Grecs avec tant de haine et de mépris, saisis d’un nouvel effroi ils retombèrent à terre jusqu’à ce que le monarque leur eût juré par le roi des cieux qu’il ne leur serait fait aucun mal. Rassurés par cette promesse, ils commencèrent à montrer plus de confiance ; mais, une fois de retour dans leur patrie, ils ne mirent plus le pied dans notre pays. C’est ici le lieu de dire combien l’illustre Charles eut autour de lui d’hommes savants dans tous les genres Après la célébration des Matines devant l’empereur, ces Grecs, le jour de l’octave de Noël, chantèrent en secret et dans leur langue des psaumes en l’honneur de Dieu ; le roi, caché dans une chambre voisine, fut ravi de la douceur de leur poésie, et défendit à ses clercs de goûter d’aucune nourriture avant de lui avoir apporté ces antiennes traduites en latin ; de là vient que toutes sont du même style et que dans l’une d’elles on trouve écrit contervit au lieu de contrivit. Ces mêmes ambassadeurs avaient apporté avec eux des instruments de toute espèce ; les ouvriers de l’habile Charles les virent à la dérobée ainsi que les autres choses rares qu’avaient ces Grecs, et les imitèrent avec un soin intelligent. Ils excellèrent principalement à faire un orgue, cet admirable instrument qui, à l’aide de cuves d’airain et de soufflets de peaux de taureau, chassant l’air comme par enchantement dans des tuyaux aussi d’airain, égale par ses rugissements le bruit du tonnerre, et par sa douceur les sons légers de la lyre et de la cymbale. Où fut placé cet orgue, combien il dura, et comment il périt, ainsi qu’une foule d’autres choses précieuses que perdit l’État, ce n’est ni le lieu ni le temps de le raconter. Vers la même époque des ambassadeurs furent envoyés de Perse à l’empereur ; ignorant la position de la France, ils crurent faire beaucoup que d’atteindre les côtes d’Italie, en raison de la célébrité de Rome qu’ils savaient soumise à l’empire de Charles. Mais les évêques de la Campanie et de la Toscane, de la Romagne et de la Ligurie, de la Bourgogne et de la Gaule, ainsi que les abbés et les comtes auxquels ils firent connaître le motif de leur voyage, les reçurent avec défiance et même les repoussèrent ; enfin, après une année révolue, ces malheureux, fatigués et affaiblis par leur immense voyage, joignirent à Aix-la-Chapelle cet empereur si fameux par ses vertus. Mais, comme ils arrivèrent et furent annoncés à ce prince dans la semaine la plus solennelle du carême, on différa de les admettre en sa présence jusqu’à la veille de Pâques. Comme dans cette fête, la plus grande de l’année, ce monarque incomparable était revêtu d’ornements qui n’avaient rien d’égal, il fit introduire devant lui les députés de cette nation autrefois la terreur de l’univers. Le très grand Charles leur parut tellement plus imposant que tout autre mortel, qu’ils crurent n’avoir vu avant lui ni roi ni empereur. Il les accueillit avec douceur et leur accorda la faveur insigne de pouvoir, comme un de ses propres fils, aller partout où ils voudraient, voir toutes choses, faire des questions et prendre des renseignements sur quoi que ce fût. Transportés et sautant de plaisir ils préférèrent, à toutes les richesses de l’Orient, le bonheur de ne pas quitter l’empereur, de le contempler et de l’admirer sans cesse. Montant donc dans la tribune qui règne autour de la basilique, regardant de là soit le clergé, soit les troupes, mais reportant à chaque instant les yeux sur le monarque, et ne pouvant, dans l’excès de leur joie, retenir leurs éclats de rire, ils frappaient dans leurs mains et s’écriaient : Jusqu’à présent nous n’avions vu que des hommes de terre, mais aujourd’hui nous en voyons d’or. S’approchant ensuite de chacun des grands ils admiraient la nouveauté de leurs vêtements ou de leurs armes et en revenaient encore à l’empereur, comme plus digne de leur hommage. Après avoir ainsi passé la nuit du samedi saint et le dimanche suivant à tout voir dans l’église, ils furent invités, dans ce très saint jour, au somptueux dîner de l’opulent Charles avec les grands de la France et de l’Europe ; mais, saisis d’étonnement, de tout ce qu’ils voyaient, ils se levèrent de table presque à jeun. Le lendemain au moment où l’aurore, quittant le lit de Titon, répandait sur la terre la lumière du soleil, voilà que Charles, impatient d’un oisif repos, va dans la forêt chasser le buffle et l’aurochs, et emmène avec lui ces envoyés ; mais, à la vue de ces immenses animaux, les Persans, saisis d’une horrible frayeur, prennent la fuite. Cependant le héros Charles, qui ne connaît pas la crainte et monte un cheval plein de vitesse, joint une de ces bêtes sauvages, tire son épée et s’efforce de lui abattre la tête ; le coup manqué, le féroce animal brise la chaussure du roi avec les bandelettes qui l’attachent, froisse, mais seulement de l’extrémité de ses cornes, la partie antérieure de la jambe de ce prince de manière à le faire boiter un peu, et rendu furieux par sa profonde blessure, s’enfuit dans un fourré très épais de bois et de rochers. Tous les chasseurs, empressés de servir leur seigneur, veulent se dépouiller de leur chaussure; mais lui le leur défend en disant : Il faut que je me montre en cet état à Hildegarde. Cependant Isambart, fils de Warin, le persécuteur de votre patron Otmar, avait poursuivi l’animal ; n’osant l’approcher de trop près, il lui lança son javelot, l’atteignit au cœur entre la jointure de l’épaule et la gorge, et le présenta encore palpitant à l’empereur. Le monarque, sans avoir l’air de s’en apercevoir et laissant à ses compagnons de chasse le corps de l’animal, retourna dans son palais, fit appeler la reine et lui montra ses bottines déchirées : Que mérite, dit-il, celui qui m’a délivré de l’ennemi dont j’ai reçu cette blessure ? — Toutes sortes de bienfaits, répondit la princesse. L’empereur alors lui raconta comment les choses s’étaient passées, fit apporter en preuve les terribles cornes de l’animal, et on vit la reine fondre en larmes, pousser de profonds soupirs et se meurtrir la poitrine de ses poings. Quand elle eut appris qu’Isambart, alors dans la disgrâce et dépouillé de tous ses honneurs, était celui dont le bras avait délivré l’empereur d’un si redoutable adversaire, elle se précipita aux pieds de son mari et en obtint de rendre à Isambart tout ce qu’on lui avait ôté ; ne s’en tenant pas là, elle-même lui prodigua les présents. Les Persans au surplus offrirent à l’empereur un éléphant, des singes, du baume, du nard, des essences diverses, des épices, des parfums, et des drogues médicinales de toute espèce ; il semblait qu’ils en eussent épuisé l’Orient pour en remplir l’Occident. Commençant à se trouver fort à l’aise avec l’empereur, un certain jour qu’ils étaient plus gais que d’ordinaire et échauffés par un vin généreux, ils adressèrent en plaisantant ces paroles à Charles, toujours fort de sa tempérance et de sa sérénité : Certes, empereur, votre puissance est grande, mais elle est bien moindre rependant que ce que la renommée en a publié dans les royaumes d’Orient. A ce propos, Charles, dissimulant sa profonde indignation, leur dit en riant : Pourquoi, mes enfants, parlez-vous ainsi ? D’où vous vient une pareille pensée ? Eux alors, remontant aux premiers temps de leur voyage, lui racontèrent dans le plus grand détail tout ce qui leur était arrivé dans les contrées d’en deçà des mers, disant : Nous autres Persans, Mèdes, Arméniens, Indiens et Élamites, nous vous craignons plus que notre propre maître Haroun. Que dirons-nous des Macédoniens et des Grecs qui redoutent votre grandeur comme plus capable de les accabler que les flots de la mer d’Ionie ? Quant à tous les insulaires chez lesquels nous avons passé, ils se montrent tellement empressés et dévoués pour votre service qu’on les croirait nourris dans votre palais et comblés de vos plus magnifiques et plus honorables bienfaits. Mais les grands de ce pays ne nous semblent pas assez soigneux de vous plaire, si ce n’est en votre présence ; et en effet quand, comme voyageurs, nous les avons suppliés de daigner faire quelque chose en notre faveur par respect pour vous que nous venions chercher de si loin, ils nous ont renvoyés sans nous écouter et les mains vides. L’empereur alors priva de toutes leurs charges et honneurs les comtes et les abbés auxquels les ambassadeurs s’étaient présentés ; quant aux évêques, il les condamna à de fortes amendes, et ordonna ensuite que les députés fussent reconduits avec les plus grands honneurs et les soins les plus attentifs jusqu’aux frontières de leur propre pays. Il vint aussi des envoyés du roi d’Afrique qui offrirent en présent un lion de Libye, un ours de Numidie, du fer d’Ibérie, de la pourpre de Tyr, et d’autres productions rares de ces contrées. Le généreux Charles, non seulement alors, mais pendant tout le temps de sa vie, fit don, à son tour, aux Libyens très pauvres en terres labourables, des richesses que fournit l’Europe, le blé, le vin et l’huile ; il les nourrit ainsi d’une main libérale, se les conserva éternellement soumis et fidèles, et n’eut pas besoin de les assujettir à de vils tributs. Lui-même cependant envoya au roi de Perse des ambassadeurs qui lui présentèrent des chevaux et des mulets d’Espagne, des draps de Frise blancs, unis ou travaillés, et bleu saphir, les plus rares et les plus chers qu’on pût trouver dans ce pays ; on y joignit des chiens remarquables par leur agilité et leur courage, et tels que le monarque persan les avait demandés précédemment pour chasser et prendre les lions et les tigres. Ce prince, donnant à peine un coup d’œil aux autres présents, demanda aux envoyés quelles bêtes fauves ces chiens étaient dressés à combattre. Les députés ayant répondu qu’ils mettraient en pièces sur-le-champ tous les animaux contre lesquels on les lâcherait, C’est, répliqua le roi, ce que prouvera l’événement. Voilà que le lendemain des bergers, fuyant devant un lion, poussent de grands cris ; on les entendit du palais du roi, et celui-ci dit aux ambassadeurs : Amis Francs, montez vos chevaux, et suivez-moi. Ceux-ci, comme s’ils n’eussent éprouvé ni fatigue ni lassitude, marchèrent gaîment à la suite du monarque. Quand on fût arrivé en vue du lion, quoique encore loin, le chef des satrapes dit à nos gens : Lancez vos chiens contre le lion. Obéissant à cet ordre, et courant avec la plus grande vitesse, les Francs égorgèrent avec leurs épées d’un acier du Nord, et encore endurcies par le sang des Saxons, le lion saisi par les chiens de Germanie. A cette vue, Haroun, le héros le plus brave des princes de son nom, frappé de la supériorité de Charles, même dans les plus petites choses, lui prodigua les plus grands éloges en ces termes : Je reconnais maintenant combien est vrai tout ce que j’entends raconter de mon frère Charles ; je le vois par son assiduité à la chasse, et par son soin infatigable d’exercer sans cesse son corps et son esprit ; il s’est accoutumé à vaincre tout ce qui existe sous le ciel. Que puis-je donc faire qui soit digne de ce roi qui m’a comblé de si honorables soins ? Quand je lui donnerais la terre promise à Abraham et qu’a vue Josué, il ne pourrait, à cause de l’éloignement, la défendre des attaques des barbares ; ou si son magnanime courage le portait à la protéger contre eux, je craindrais que les pays qui confinent à celui des Francs ne tâchassent de se soustraire à sa domination. Je chercherai cependant les moyens de lui faire ce présent ; je lui céderai la suprême puissance sur ce pays, et je le gouvernerai comme son lieutenant. Que toutes les fois qu’il le voudra ou le jugera convenable, il m’envoie des commissaires, et il me trouvera administrateur fidèle des revenus de cette contrée. La chose se fit ainsi. Ce que le poète représentait comme impossible, en disant : Alors le Parthe boira dans l’Arar, ou le Germain dans le Tigre [Virgile, Egl., I], parut non seulement possible, mais très facile, aux jeunes gens, aux enfants et aux vieillards, par l’habileté du victorieux Charles, ainsi que par l’aller et le retour de ses envoyés et de ceux d’Haroun de la Parthie dans la Germanie et de la Germanie dans la Parthie ; et il importe peu que les commentateurs veuillent entendre par Arar celui des fleuves de ce nom qui se précipite dans le Rhin[21], ou celui qui se jette dans le Rhône, car on les a souvent confondus par ignorance des lieux. La témoignage de ce fait, j’appellerai toute la Germanie qui, du temps de votre glorieux père Louis[22], fut contrainte de payer un denier par chaque tête de bœuf, et par chaque manoir dépendant du domaine royal, pour le rachat des Chrétiens qui habitaient la Terre Sainte, et, dans leur misère, imploraient leur délivrance de votre père, comme anciens! sujets de votre bisaïeul Charles et de votre aïeul Louis. Puisqu’il s’offre une occasion de faire une honorable mention de votre père, dont on ne peut dire trop de bien, qu’il me soit permis de rapporter le pronostic qu’il est certain que le sage Charles porta de lui. Né et élevé avec le plus grand soin, pendant les six premières années, dans la maison de son père[23], déjà il passait à juste titre pour plus sage que les hommes sexagénaires. Son père, plein de tendresse, n’avait attendu qu’à grand’peine jusque-là, pour le présenter à son aïeul ; prenant donc des bras de sa mère cet enfant qu’elle entourait des attentions les plus délicates, il se mit à lui apprendre quel maintien sérieux et timide il devait avoir devant l’empereur ; comment, si par hasard ce prince l’interrogeait, il fallait répondre, et de quelle manière encore il avait à se conduire avec lui-même. Après ces instructions, il le mena au palais. Le premier ou le second jour, Charles l’ayant remarqué parmi la foule des spectateurs, et considéré d’un œil curieux, demande à son fils : A qui appartient cet enfant ? — A moi et à vous, répond celui-ci, si vous daignez y consentir. — Apportez-le-moi donc, répondit le roi. Cet ordre s’exécute ; le sérénissime Auguste embrasse le petit garçon, et le remet à la place où il était d’abord. Celui-ci, connaissant sur-le-champ la grandeur de son rang, et ne voulant pas souffrir que qui que ce fût le précédât à la suite de l’empereur, rassemble ses forces, compose sa figure et sa démarche, et vient se placer auprès de son père et sur la même ligne. Le sage Charles s’en étant aperçu, appela son fils, et lui dit de demander à son enfant pourquoi il en agissait ainsi, et quelle audace lui donnait la présomption de s’égaler à son père. Le petit garçon eut cette réponse fondée en raison : Quand j’étais votre vassal, je me tenais, comme il convenait, derrière vous, et au milieu de mes compagnons d’armes ; mais maintenant que je suis votre compagnon, votre camarade d’armes, ce n’est pas à tort que je m’égale à vous. Louis rapporta ces paroles à l’empereur qui prononça cet oracle : Si cet enfant vit, il aura quelque chose de grand. Ces mots, nous les avons empruntés de la vie d’Ambroise. Ceux dont se servit Charles peuvent se traduire exactement en latin ; et certes c’est à bien juste titre que j’ai appliqué au grand Louis la prophétie faite à l’égard de saint Ambroise. Si en effet on excepte les liens et les choses sans lesquelles les empires terrestres ne peuvent subsister, c’est-à-dire, le mariage et l’usage des armes, dans tout le reste, ce prince égala Ambroise, et même, s’il est permis de le dire, le surpassa, en quelque manière, autant par son amour pour la religion qu’il le faisait par la puissance de son royaume. Vrai catholique par sa foi, très pieux adorateur de Dieu, il se montra toujours l’ami, le protecteur et le défenseur infatigable des serviteurs du Christ. Cela est si vrai que quand son fidèle, notre abbé Hartmut, maintenant simple religieux sous vos ordres[24], lui eut exposé que les minces possessions de Saint-Gall, provenant non de libéralités royales, mais de petites donations particulières, ne jouissaient d’aucun des privilèges accordés aux autres monastères, ni même du bénéfice des lois communes à tous les sujets, et ne pouvaient par conséquent trouver ni défenseur, ni avocat, ce prince, s’opposant lui-même à tous nos adversaires, ne rougit pas de se déclarer, en présence de tous ses grands, le protecteur de notre pauvreté. Dans ce temps aussi, il recourut à votre bonté par une lettre, afin que, par votre autorité, et après vous avoir prêté serment, nous pussions librement chercher à nous procurer tout ce dont nous aurions besoin. Mais, hélas ! que je suis insensé ! Me laissant entraîner au plaisir personnel de parler de la bienveillance spéciale qu’il nous a témoignée, je néglige à tort de dire combien sa bienfaisance, sa grandeur et sa magnanimité ont été générales et au-dessus de tout éloge. Cet aimable roi ou empereur de toute la Germanie, de la Rhétie, de l’ancienne France, de la Saxe, de la Thuringe, du Norique, de la Pannonie, et de toutes les nations septentrionales, était d’une haute stature et parfaitement bien fait ; ses yeux étincelaient comme les astres ; il avait la voix sonore et tout à fait mâle ; doué d’une sagesse remarquable et d’un esprit très pénétrant il ne cessait de les fortifier et de les enrichir par une étude assidue des Écritures. Aussi déployait-il une énergique et incomparable vivacité pour prévenir et surmonter toutes les embûches que lui tendaient ses ennemis, terminer les querelles de ses sujets, et assurer à ses fidèles toutes sortes d’avantages. Dans la suite des temps, il se montra de plus en plus redoutable à toutes les nations abattues par ses ancêtres, et ce fut à bon droit. puisque jamais il ne souilla sa langue par la condamnation des chrétiens, ni sa main par l’effusion de leur sang, à moins d’y être contraint par la nécessité la plus absolue. En quelle occasion il le fit[25], je ne veux pas le raconter avant d’avoir vu près de vous un jeune Louis, ou un petit Charles. Mais, après le meurtre dont il s’agit, rien au monde ne put le déterminer à condamner à mort qui que ce fût. Cependant les hommes accusés de trahison ou d’infidélité, il les comprimait et les empêchait de nuire en les dépouillant de leurs honneurs, ne se laissant jamais fléchir à leur égard, ni par aucune circonstance, ni par le laps du temps, et ne souffrant pas qu’ils remontassent à leur ancien rang ; il surpassait si fort tous les autres hommes par son zèle pour la prière, sa rigoureuse observance des jeûnes, et ses soins pour le service divin, qu’à l’exemple de saint Martin, quelque étranger que fût à la religion ce qu’il faisait, il semblait toujours avoir le Seigneur devant les yeux et le prier. Il s’abstenait, aux jours fixés, de viande et de tous mets recherchés. Au temps des Rogations, s’il se trouvait à Ratisbonne, il allait pieds nus du palais à l’église épiscopale, ou au monastère de Saint-Emmeram, et suivait ainsi la croix. Dans les autres villes il se conformait aux usages des habitants. Il construisit à Francfort et à Ratisbonne, des oratoires, chapelles et églises neuves et d’un admirable travail. Les pierres qu’on avait amassées ne suffisant pas en raison de l’immensité des bâtiments, il fit abattre les murs de ces villes, et trouva dans leurs cavités, autour des cadavres des anciens, une si grande quantité d’or que non seulement il en orna les basiliques de ces cités, mais qu’il enferma des livres écrits dans des coffres de même métal de l’épaisseur d’un doigt. Aucun clerc, s’il n’était habile dans la lecture ou le chant, n’avait la présomption, je ne dis pas de rester auprès de lui, mais de se présenter à ses yeux. Autant il méprisa les moines qui violaient leurs vœux, autant il combla de toute son affection ceux qui les gardaient fidèlement. Il se montrait toujours si rempli de douceur et de gaieté que, si l’on arrivait triste auprès de lui , sa seule vue ou quelques mots suffisaient pour vous renvoyer tout réjoui. Si quelque chose de mauvais ou d’inepte échappait en sa présence, ou s’il en était informé d’ailleurs, le seul mécontentement de ses regards en punissait si bien que ce qui est écrit du juge éternel du for intérieur de l’homme : Le roi, assis sur le trône de son empire, dissipe tout mal par la seule vue de sa face, se trouvait vérifié sans aucun doute en lui, et par-delà ce que le destin accorde aux mortels. Je ne dis tout ceci que bien en raccourci et par digression ; mais si ma vie me le permet, et que Dieu me soit favorable, je fais vœu d’en écrire bien davantage sur ce prince. Maintenant il faut revenir à mon sujet. Comme le grand concours de gens arrivant de toutes parts, les dévastations des Saxons, les plus indomptés des hommes, les brigandages et les pirateries des Normands et des Sarrasins avaient forcé l’empereur Charles de prolonger un peu trop son séjour à Aix-la-Chapelle, et que, dans le même temps, son fils Pépin dirigeait la guerre contre les Huns, des nations barbares sorties du Nord ravagèrent le Norique, et une grande partie de la France orientale. Charles l’ayant appris marcha lui-même contre ces peuples, et les écrasa tous, à tel point qu’il ordonna de toiser les jeunes garçons et les enfants même avec les épées, et de décapiter tous ceux qui excéderaient en hauteur cette mesure. De ce fait en naquit un autre beaucoup plus grand et plus fameux. Quand votre très saint aïeul eut quitté ce monde, certains géants, tels que ceux dont l’Écriture raconte qu’ils vinrent des fils de Seth et des filles de Caïn [Gen., 6, 4], par un effet de la colère de Dieu, enflés de l’esprit d’orgueil et tout à fait semblables à ceux qui dirent : Qu’avons-nous de commun avec David ? Quel héritage avons-nous à espérer du fils de David ? [III Rois, 12, 164] méprisant la race de Charles quoique d’une bonne nature, s’efforcèrent de se partager l’autorité dans le royaume et de ceindre le diadème. Alors quelques gens de condition moyenne, inspirés de Dieu, protestèrent que, puisque le célèbre Charles avait autrefois mesuré à son épée les ennemis des chrétiens, tant qu’il se trouverait quelqu’un de sa famille aussi haut qu’une épée, celui-là seul commanderait aux Francs et même aux Germains : cette faction diabolique, frappée de ces paroles comme d’un coup de foudre, fut partout détruite. Vainqueur des étrangers, Charles se vit enveloppé, par les siens mêmes, dans un piége étonnant, mais grossier. Comme en effet il revenait de l’Esclavonie dans son royaume, un fils qu’il avait eu d’une concubine, et que sa mère, pour lui présager sa grandeur, avait honoré du nom du glorieux Pépin, s’empara presque de lui, et le dévoua à la mort, autant du moins qu’il fut en son pouvoir de le faire. Voici de quelle manière la chose se découvrit. Quelques grands s’étant réunis dans l’église de Saint-Pierre, on délibéra sur la mort de l’empereur. Le parti une fois arrêté, Pépin, qui craignait qu’on eût pu les entendre de quelque endroit secret, ordonna de chercher si quelqu’un ne se serait pas caché dans les coins de l’église ou sous les autels. Voilà que, comme ces hommes le redoutaient , ils trouvent un clerc tapi sous un autel ; ils le prennent, et le contraignent à jurer qu’il ne trahira pas leur projet. L’autre, pour sauver sa vie, fait le serment qu’on lui dicte, mais à peine les conjurés sont-ils retirés, que, tenant peu de compté de ce serment sacrilège, il court au palais. Ce n’est qu’avec une extrême difficulté qu’il franchit sept passages et autant de portes, et parvient jusqu’à la chambre à coucher de l’empereur. Il frappe. Charles, toujours alerte, s’éveille, tout étonné que quelqu’un ose venir le troubler à une pareille heure ; il ordonne cependant aux femmes qui se tenaient d’ordinaire près de lui pour le service de la reine et de ses filles, d’aller voir qui était à la porte, et ce qu’on demandait. Celles-ci sortent donc, et voyant un homme de la condition la plus inférieure, referment la porte, se cachent dans les coins de la chambre, et pressent leur robe sur leur bouche pour étouffer les éclats de leur rire moqueur. Mais l’empereur, à la sagacité duquel rien sous le ciel ne pouvait échapper, demande à ces femmes ce qu’elles ont, et qui frappait à la porte. Comme on lui répondit que c’était un misérable marchand sans barbe, sot et insensé, n’avant pour tout vêtement qu’une chemise de toile et des haut-de-chausses, et qui sollicitait la permission de lui parler sur-le-champ, le monarque ordonna de l’introduire. Le clerc, courant se jeter à ses pieds, lui dévoila dans le plus grand détail tout le complot. Avant la troisième heure du jour, tous les conjurés, ne soupçonnant rien du sort qui les menaçait très justement, furent ou exilés ou punis d’autres peines. Quant au nain et bossu Pépin, battu sans pitié et tondu, il fut envoyé pour un certain temps, et par correction, au monastère de Saint-Gall, regardé comme l’endroit le plus pauvre, et le plus mesquin séjour de ce vaste Empire. Peu de temps après, quelques-uns des principaux d’entre les Francs formèrent le projet de mettre la main sur leur roi. Ce prince en fut complètement instruit ; mais, répugnant à perdre ces hommes qui, s’ils eussent voulu le bien, auraient pu être d’un grand secours aux Chrétiens, il envoya des messagers demander à ce même Pépin ce qu’il fallait faire des coupables. Les députés le trouvèrent dans le jardin avec les moines les plus âgés, occupé, pendant que les plus jeunes vaquaient à des travaux plus rudes, à arracher avec une bêche les orties et les mauvaises herbes, afin que les plantes utiles pussent croître avec plus de force. Ils lui exposèrent le sujet de leur arrivée ; mais lui, poussant de profonds soupirs , à la manière des gens infirmes, toujours plus rancuneux que les hommes bien portants, répondit : Si Charles attachait le moindre prix à mes avis, il ne me tiendrait pas ici pour être si indignement traité ; je ne lui demande rien, dites-lui seulement ce que vous m’avez vu faire. Mais ceux-ci, craignant de retourner vers le formidable empereur sans réponse positive, pressèrent Pépin à plusieurs reprises de leur dire ce qu’ils devaient rapporter à leur maître. L’autre leur répliqua tout en colère : Je n’ai rien à lui mander, sinon ce que je fais ; je nettoie les ordures pour que les bons légumes puissent croître plus librement. Les envoyés se retirèrent donc tout affligés, et comme des hommes qui ne rapportaient aucune réponse raisonnable. De retour auprès de Charles, et interrogés sur le résultat de leur mission, ils se plaignirent de s’être fatigués à faire un si long chemin, et d’avoir pris tant de peine sans pouvoir lui rapporter même une réponse précise. Le monarque, plein de sagacité, leur demanda de point en point où ils avaient trouvé Pépin, ce qu’il faisait et leur avait dit. Nous l’avons vu, répondirent-ils, assis sur un escabeau rustique, nettoyant avec une bêche une planche de légumes ; lui ayant expliqué la cause de notre voyage, nous n’avons pu tirer de lui, après force instances, que ces seuls mots. Je n’ai rien à mander à l’empereur, sinon ce que je fais, je nettoie les ordures pour que les bons légumes puissent croître plus librement. A ces paroles, l’empereur, qui ne manquait pas de finesse et était plein de sagesse, se frottant les oreilles et enflant ses narines, leur dit : Fidèles vassaux, vous me rapportez une réponse remplie de sens. Pendant que tous les conspirateurs tremblaient pour leurs jours, lui, passant de la menace à l’effet, les fit tous disparaître du milieu des vivants, et, pour étendre et fortifier sa puissance, gratifia ses fidèles des terres occupées par ces hommes inutiles à son service. Un de ces conjurés s’était mis en possession de la colline la plus élevée de France, pour voir de là tout ce qui l’entourait. Le roi le fit attacher à une très haute potence sur cette même colline. Quant à Pépin, son bâtard, il lui permit de choisir le lieu ou il désirait passer sa vie. D’après l’option qu’on lui laissait, celui-ci se décida pour un monastère alors fort célèbre, actuellement détruit. On sait avec certitude le motif de sa ruine ; mais je ne le dirai que quand je verrai le flanc de votre petit Bernard ceint d’une épée. Le magnanime Charles s’indignait cependant de se voir contraint de marcher en personne contre ces nations barbares, tandis que le premier venu de ses ducs eût pu suffire pour de telles expéditions ; qu’il en fût ainsi, je vais le prouver par un fait particulier à l’un de mes compatriotes. Il était un certain guerrier, appelé Cisher[26], et qui valait à lui seul une grande et terrible partie de l’armée ; il avait une taille si haute qu’on eût pu le croire sorti de la race d’Énachim, s’il n’y eût pas eu entre elle et lui un si grand intervalle de temps et de lieu. Chaque fois qu’il se trouvait près du fleuve de la Doire enflé et débordé par les torrents des Alpes, et qu’il ne pouvait forcer son énorme cheval à entrer, je ne dirai pas dans les flots agités, mais même dans les eaux tranquilles de cette rivière, prenant alors les rênes il le traînait flottant derrière lui en disant : Par mon seigneur Gall, que tu le veuilles ou non, tu me suivras. Ce guerrier donc avait, à la suite de l’empereur, abattu des Bohémiens, des Wiltzes et des Avares comme on ferait l’herbe d’une prairie, et les avait tenus suspendus au bois de sa lance ainsi qu’on porte des oisons. Quand il fut revenu vainqueur dans ses foyers, et que ses voisins, qui avaient croupi dans un honteux repos, lui demandaient s’il s’était plu dans le pays des Wénèdes : Que m’importent, répondait-il, ces petites grenouilles ? J’en portais çà et là sept, huit, et même neuf enfilés sur ma lance et murmurant je ne sais quoi ; c’est bien à tort que notre seigneur roi et nous nous fatiguons contre de pareils vermisseaux. Vers le même temps comme l’empereur venait de mettre la dernière main à la guerre contre les Huns et de réduire les nations dont il a été parlé, une irruption des Normands causa de vives inquiétudes aux Francs et aux Gaulois. L’invincible Charles, revenant dans ses États par la route de terre, quoique fort étroite et impraticable, forma le projet de les attaquer dans leur propre pays. Mais, soit que la providence divine ne fût pas pour nous, afin d’éprouver Israël par le bras de ces hommes, suivant l’expression de l’Écriture [Juges, 2, 22], soit que nos péchés s’élevassent contre nous, toutes les tentatives de Charles demeurèrent sans succès ; et ce qui suffit pour prouver combien toute l’armée eut à souffrir, on compta, dans les troupes d’un seul abbé, cinquante paires de bœufs enlevées en une seule nuit par la peste. Charles, le plus sage des hommes, ne voulant pas désobéir à l’Écriture et lutter contre le cours du fleuve [Ecclés., 4, 32], abandonna son entreprise. Mais tandis qu’il employait un long temps à parcourir son vaste empire, encouragé par son éloignement, Godefroi, roi des Normands, attaqua les frontières des Francs et fixa son séjour à Mussel-Gau ; mais un jour qu’il voulait détourner son faucon d’une cigogne, un de ses fils dont il venait tout récemment de quitter la mère pour prendre une autre femme, le suivit et le fendit en deux d’un coup d’épée. Alors, comme autrefois quand Holopherne fut tué [Judith, 15, 1], aucun des Normands n’osa se confier à son courage et à ses armes, et tous cherchèrent leur sûreté dans la faite. C’est ainsi que la France, de peur qu’à l’exemple de l’ingrat Israël elle ne se glorifiât contre Dieu, fut délivrée sans qu’elle eût fait le moindre effort. Mais Charles, qui n’avait jamais été vaincu et ne devait jamais l’être, tout en rendant gloire au Seigneur de ce bienfait, se plaignit souvent que son absence eût permis qu’il échappât un seul de ces Normands : Hélas ! ô douleur ! disait-il ; pourquoi n’ai-je pas mérité de voir comment mon bras chrétien aurait joué sur ces singes ? Charles, qui toujours était en course, arriva par hasard et inopinément dans une certaine ville maritime de la Gaule narbonnaise. Pendant qu’il dînait et n’était encore connu de personne, des corsaires normands vinrent pour exercer leurs pirateries jusque dans le port. Quand on aperçut les vaisseaux on prétendit que c’étaient des marchanda juifs selon ceux-ci, africains suivant ceux-là, bretons au sentiment d’autres ; mais l’habile monarque, reconnaissant, à la construction et à l’agilité des bâtiments, qu’ils portaient, non des marchands, mais des ennemis, dit aux siens : Ces vaisseaux ne sont point chargés de marchandises, mais remplis de cruels ennemis. A ces mots, tous ses Francs à l’envi les uns des autres, courent à leurs navires, mais inutilement. Les Normands, en effet, apprenant que là était celui qu’ils avaient coutume d’appeler Charles le Marteau, craignirent que toute leur flotte ne fût prise dans ce port, ou ne pérît réduite en débris, et ils évitèrent par une fuite d’une inconcevable rapidité, non seulement les glaives, mais même les yeux de ceux qui les poursuivaient. Le religieux Charles cependant, saisi d’une juste crainte, se levant de table, se mit à la fenêtre qui regardait l’Orient, et demeura très longtemps le visage inondé de pleurs. Personne n’osant l’interroger, ce prince belliqueux, expliquant aux grands qui l’entouraient la cause de son action et de ses larmes, leur dit : Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure si amèrement ? Certes, je ne crains pas que ces hommes réussissent à me nuire par leurs misérables pirateries ; mais je m’afflige profondément que, moi vivant, ils aient été près de toucher ce rivage, et je suis tourmenté d’une violente douleur quand je prévois de quels maux ils écraseront mes neveux et leurs peuples. Que la bonté tutélaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ empêche qu’un tel malheur arrive, et: que votre épée trempée dans le sang des Normands nous en préserve et se joigne à celle de votre frère Carloman teinte du sang de ces mêmes hommes ! Dans ce moment, il est vrai, votre glaive est couvert de rouille, non par lâcheté, mais à cause de la pauvreté et du peu d’étendue des propriétés d’Arnoul, si distingué parmi vos fidèles ; ordonnez, et votre puissante volonté rendra facilement à ce glaive son tranchant et son éclat. Et en effet, ce seul petit rameau est, avec le faible rejeton de Bennolin, tout ce qui, par votre protection spéciale, a pullulé de la féconde souche de Louis ; il convient donc d’insérer dans l’histoire du prince de même nom que vous, et sur votre grand aïeul Pépin [le Bref], quelque chose qu’avec le secours de la clémence divine votre petit Charles à venir et votre jeune Louis puissent imiter. Les Romains tourmentés par les dévastations des Lombards ou d’autres peuples, envoyèrent des députés à ce même Pépin le supplier de daigner, pour l’amour de saint Pierre, venir au plus vite à leur secours. Ce prince ayant subjugué rapidement les ennemis, entra vainqueur à Rome, mais uniquement pour y rendre grâces à Dieu, et fut accueilli des Romains avec ce chant de louanges : Les compagnons des apôtres et les serviteurs du Seigneur sont arrivés aujourd’hui portant la paix et éclairant la patrie ; et ils ont donné la paix aux nations et délivré le peuple de Dieu. De là certains hommes ignorant la force et l’origine de ces paroles, ont pris l’habitude de les chanter le jour de la nativité des saints apôtres. Quant à Pépin, craignant d’exciter l’inquiétude de Rome, et surtout, pour parler plus vrai, de Constantinople, il revint bientôt en France. Instruit que les principaux de son armée ne manquaient aucune occasion de le déchirer en secret avec mépris, il ordonna d’amener un taureau d’une grandeur à inspirer l’effroi, et d’un courage indomptable, et de lâcher contre lui un lion d’une extrême férocité. Celui-ci, fondant sur le taureau avec la plus violente rapidité, le saisit au cou, et le jeta par terre. Allez, dit le roi, à ceux qui l’entouraient, allez arracher le lion de dessus le taureau, ou tuez-le sur le corps de son adversaire. Ceux-ci se regardant les uns les autres, et le cœur glacé de frayeur, purent à peine articuler en sanglotant ce peu de mots : Seigneur, il n’est point d’homme sous le ciel qui ose tenter une telle entreprise. Le roi plus hardi se lève alors de son trône, tire son épée, sépare des épaules la tête du lion et celle du taureau, remet son glaive dans le fourreau, et se rassoit en disant : Vous semble-t-il que je puisse être votre seigneur ? M’avez-vous donc jamais entendu dire comment David enfant a vaincu le géant Goliath , et comment Alexandre, malgré sa petite taille, a traité ses généraux de la plus haute stature ? Tous alors tombèrent à terre comme frappés de la foudre, en s’écriant : Qui, à moins d’être fou, refuserait de reconnaître que vous êtes fait pour commander aux mortels ? Ce n’est pas seulement contre les bêtes féroces et les hommes que Pépin se montrait si courageux ; il livra encore, aux iniquités du démon, un combat jusqu’alors inouï. Des thermes avaient été construits tout récemment à Aix-la-Chapelle, et on voyait bouillir des eaux chaudes et très salutaires ; le roi enjoignit à son camérier de pourvoir à ce que les sources fussent bien nettoyées, et qu’on n’y admît personne d’inconnu. Cet ordre exécuté, Pépin prend son épée, et se rend au bain pieds nus et couvert d’une simple toile. L’antique ennemi du genre humain l’attaque tout à coup, et se met en devoir de le tuer. Le monarque se fortifie par le signe de la croix, tire son glaive, et prenant une ombre pour un être humain, enfonce en terre son invincible fer, si profondément qu’il ne put le retirer qu’après de longs et pénibles efforts. Cette ombre était cependant d’une telle épaisseur que toutes les fontaines furent souillées de pus, de sang et d’une horrible graisse. Mais inaccessible à toute crainte, Pépin dit à son serviteur : Ne prends aucun souci de tout cela, et fais écouler cette eau infecte, afin que je puisse me laver dans celle qui restera pure. Je m’étais proposé, auguste empereur, de vous retracer en peu de mots l’histoire de votre bisaïeul Charles, dont toutes les actions vous sont si bien connues, mais de même que l’occasion s’est offerte à moi de parler de votre très glorieux père Louis, surnommé Illustre ; de même aussi j’aurais regardé comme un crime de ne rien dire de tout ce qu’a fait votre religieux ancêtre Pépin le Jeune, sur lequel les modernes gardent par incurie un silence absolu. Car, pour Pépin l’ancien, le savant Bède, dans son Histoire ecclésiastique, lui a consacré un livre presque entier. Ayant donc rapporté ces choses par une digression de mon sujet, il est temps qu’après m’être amusé comme fait le cygne qui s’ébat dans l’eau, je revienne à Charles, cet illustre prince de même nom que vous. Mais si nous n’omettions rien de tout ce qu’il fit dans la guerre, jamais nous n’arriverions à pouvoir parler de sa vie journalière et privée. Je vais donc raconter aussi brièvement que je le pourrai ce qui se rapporte à mon sujet actuel. Après la mort du victorieux Pépin, les Lombards inquiétèrent Rome de nouveau. L’invincible Charles, quoique fort occupé dans les pays en deçà des Alpes, prit rapidement la route d’Italie, et asservit les Lombards humiliés, soit en leur livrant de sanglants combats, soit en les contraignant à se rendre d’eux-mêmes à discrétion ; et pour s’assurer que jamais ils ne secoueraient le joug des Francs, et ne se permettraient de nouvelles attaques contre le domaine de saint Pierre, il épousa la fille de Didier, leur prince. Peu de temps après, et par l’avis des plus saints prêtres, il abandonna, comme si elle fût déjà morte, cette princesse toujours malade et inhabile à lui donner des enfants. Le père irrité, liant à sa cause ses compatriotes sous la foi du serment, s’enferma dans les murs de Pavie, et leva l’étendard de la révolte contre l’invincible Charles. Ce prince l’ayant su d’une manière certaine, marcha en toute hâte vers l’Italie. Quelques années auparavant un des grands du royaume, nommé Ogger, ayant encouru la colère du terrible Charles, s’était réfugié près de ce même Didier. Quand tous deux apprirent que le redoutable monarque venait, ils montèrent sur une tour très élevée, d’où ils pouvaient le voir arriver de loin et de tous côtés. Ils aperçurent d’abord des machines de guerre, telles qu’il en aurait fallu aux armées de Darius ou de Jules[27] ; Charles, demanda Didier à Ogger, n’est-il pas avec cette grande armée ? Non, répondit celui-ci. Le Lombard voyant ensuite une troupe immense de simples soldats assemblés de tous les points de notre vaste empire, finit par dire à Ogger : Certes, Charles s’avance triomphant au milieu de cette foule. — Non, pas encore, et il ne paraîtra pas de sitôt, répliqua l’autre. Que pourrons-nous donc faire, reprit Didier, qui commençait à s’inquiéter, s’il vient accompagné d’un plus grand nombre de guerriers ? — Vous le verrez tel qu’il est quand il arrivera, répondit Ogger ; mais, pour ce qui sera de nous, je l’ignore. Pendant qu’ils discouraient ainsi parut le corps des gardes qui jamais ne connaît de repos. A cette vue, le Lombard, saisi d’effroi, s’écrie : Pour le coup c’est Charles. — Non, reprit Ogger, pas encore. A la suite viennent les évêques, les abbés, les clercs de la chapelle royale et les comtes ; alors Didier ne pouvant plus supporter la lumière du jour ni braver la mort, crie en sanglotant : Descendons et cachons nous dans les entrailles de la terre, loin de la face et de la fureur d’un si terrible ennemi. Ogger tout tremblant, qui savait par expérience ce qu’étaient la puissance et les forces de Charles, et l’avait appris par une longue habitude dans un meilleur temps, dit alors : Quand vous verrez les moissons s’agiter d’horreur dans les champs, le sombre Pô et le Tésin inonder les murs de la ville de leurs flots noircis par le fer, alors vous pourrez croire à l’arrivée de Charles. Il n’avait pas fini ces paroles qu’on commença de voir au couchant comme un nuage ténébreux soulevé par le vent de nord ouest ou Borée, qui convertit le jour le plus clair en ombres horribles. Mais l’empereur approchant un peu plus, l’éclat des armes fit luire pour les gens enfermés dans la ville un jour plus sombre que toute espèce de nuit. Alors parut Charles lui-même, cet homme de fer, la tête couverte d’un casque de fer, les mains garnies de gantelets de fer, sa poitrine de fer et ses épaules de marbre défendues par une cuirasse de fer, la main gauche armée d’une lance de fer qu’il soutenait élevée en l’air, car sa main droite, il la tenait toujours étendue sur son invincible épée. L’extérieur des cuisses que les autres, pour avoir plus de facilité à monter à cheval, dégarnissaient même de courroies, il l’avait entouré de lames de fer. Que dirai-je de ses bottines ? toute l’armée était accoutumée à les porter constamment de fer ; sur son bouclier on ne voyait que du fer. Son cheval avait la couleur et la force du fer. Tous ceux qui précédaient le monarque, tous ceux qui marchaient à ses côtés, tous ceux qui le suivaient, tout le gros même de l’armée, avaient des armures semblables, autant que les moyens de chacun le permettaient. Le fer couvrait les champs et les grands chemins. Les pointes du fer réfléchissaient les rayons du soleil. Ce fer si dur était porté par un peuple d’un cœur plus dur encore. L’éclat du fer répandit la terreur dans les rues de la cité : Que de fer ! hélas, que de fer ! tels furent les cris confus que poussèrent les citoyens. La fermeté des murs et des jeunes gens s’ébranla de frayeur à la vue du fer, et le fer paralysa la sagesse des vieillards. Ce que, moi pauvre écrivain bégayant et édenté, j’ai tenté de peindre dans une traînante description, Ogger l’aperçut d’un coup d’œil rapide, et dit à Didier : Voici celui que vous cherchez avec tant de peine, et en proférant ces paroles, il tomba presque sans vie. Comme ce même jour les citoyens, soit par folie, soit par quelque espérance de pouvoir résister, ne voulurent pas recevoir Charles dans leur ville, ce prince fertile en artifices dit aux siens : Faisons aujourd’hui quelque chose de mémorable pour qu’on ne nous accuse pas d’avoir passé ce jour dans l’oisiveté. Hâtons-nous de construire une chapelle où, si l’on ne nous ouvre bientôt les portes, nous puissions assister au service divin. A peine eut-il achevé ces mots que ses ouvriers qui, toujours l’accompagnaient, courant les uns d’un côté, les autres d’un autre, amassèrent et apportèrent , ceux-ci de la chaux et des pierres, ceux-là du bois et d’autres approvisionnements. Depuis la quatrième heure du jour, et avant que la douzième fût terminée, ils construisirent, avec l’aide des apprentis et des soldats, une église dont les murs, les toits, les lambris et les peintures étaient tels que quiconque l’eût vue aurait pensé qu’elle n’avait pu être achevée en moins d’une année tout entière. Dès le lendemain, quelques-uns des citoyens voulaient se rendre, tandis que d’autres persistaient, quoiqu’en vain, à se défendre, ou, pour parler plus vrai, à se tenir enfermés dans leurs murs ; mais Charles soumit et prit la ville sans effusion de sang, et par sa seule adresse ; je laisse ce fait à raconter à ceux qui suivent votre Grandeur, non par un sentiment d’amour, mais dans la vue de faire quelque profit. Marchant ensuite vers d’autres lieux , le pieux Charles arriva dans la ville du Frioul [Aquilée], que ceux qui se croient savants appellent forum Julii. Dans ce même temps, l’évêque, ou, pour me servir du langage nouveau, le patriarche de cette cité touchait par hasard au terme de sa vie ; le religieux empereur s’étant hâté de venir le voir, afin qu’il pût lui désigner le nom de son successeur, le prélat soupira profondément et avec une grande piété, disant : Seigneur, cet évêché que j’ai occupé longtemps sans en retirer aucun avantage ou profit spirituel, je l’abandonne à la volonté de Dieu et à votre disposition, dans la crainte d’être accusé devant l’inévitable et incorruptible juge d’avoir, même après ma mort, ajouté quelque chose à l’immense mesure de mes péchés que je n’ai que trop grossie pendant ma vie. Le sage monarque fut si charmé de ces paroles qu’il jugea cet évêque comparable, à juste titre, aux anciens Pères de l’Église. Charles, le plus actif de tous les Francs les plus infatigables, s’arrêta quelque temps dans ce pays, afin de donner un successeur au digne prélat mourant. Un certain jour de fête, après la célébration de la messe, il dit aux siens : Ne nous laissons pas engourdir dans un repos qui nous mènerait à la paresse ; allons chasser jusqu’à ce que nous ayons pris quelque animal, et partons tous vêtus comme nous le sommes. La journée était froide et pluvieuse. Charles portait un habit de peau de brebis qui n’avait pas plus de valeur que le rochet dont la sagesse divine approuva que saint Martin se couvrît la poitrine pour offrir, les bras nus, le saint sacrifice. Les autres Grands, arrivant de Pavie, où les Vénitiens avaient apporté tout récemment, des contrées au-delà de la mer, toutes les richesses de l’Orient, étaient vêtus, comme dans les jours fériés, d’habits surchargés de peaux d’oiseaux de Phénicie entourées de soie, de plumes naissantes du cou, du dos et de la queue des paons enrichies de pourpre de Tyr et de franges d’écorce de cèdre. Sur quelques-uns brillaient des étoffes piquées ; sur quelques autres, des fourrures de loir. C’est dans cet équipage qu’ils parcoururent les bois ; aussi revinrent-ils déchirés par les branches d’arbres, les épines et les ronces, percés par la pluie, et tachés par le sang des bêtes fauves ou les ordures de leurs peaux. Qu’aucun de nous, dit alors le malin Charles, ne change d’habits jusqu’à l’heure où on ira se coucher ; nos vêtements se sécheront mieux sur nous. A cet ordre, chacun, plus occupé de son corps que de sa parure, se mit à chercher partout du feu pour se réchauffer. A peine de retour, et après être demeurés à la suite du roi jusqu’à la nuit noire, ils furent renvoyés à leurs demeures. Quand ils se mirent à ôter ces minces fourrures et ces fines étoffes qui s’étaient plissées et retirées au feu, elles se rompirent, et firent entendre un bruit pareil à celui de baguettes sèches qui se brisent. Ces pauvres gens gémissaient, soupiraient, et se plaignaient d’avoir perdu tant d’argent dans une seule journée. Il leur avait auparavant été enjoint par l’empereur de se présenter le lendemain avec les mêmes vêtements. Ils obéirent, mais tous alors, loin de briller dans de beaux habits neufs, faisaient horreur avec leurs chiffons infects et sans couleur. Charles, plein de finesse, dit au serviteur de sa chambre : Frotte un peu notre habit dans tes mains, et rapporte-nous-le. Prenant ensuite dans ses mains et montrant à tous les assistants ce vêtement qu’on lui avait rendu bien entier et bien propre, il s’écria : Ô les plus fous des hommes ! quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits ? Est-ce le mien que je n’ai acheté qu’un sou, ou les vôtres qui vous ont coûté non seulement des livres pesant d’argent, mais plusieurs talents ? Se précipitant la face contre terre, ils ne purent soutenir sa terrible colère. Cet exemple, votre religieux père l’a imité si bien, non pas une fois seulement, mais pendant tout le cours de sa vie, qu’aucun de ceux qu’il jugea dignes d’être admis à le connaître et à recevoir ses instructions, n’osa jamais porter à l’armée et contre l’ennemi autre chose que ses armes, des vêtements de laine et du linge. Si quelqu’un d’un rang inférieur, et ignorant cette règle, se présentait à ses yeux avec des habits de soie, ou enrichis d’or et d’argent, il le gourmandait fortement, et le renvoyait corrigé et rendu même plus sage par ces paroles : Ô toi, homme tout d’or ! ô toi, homme tout d’argent ! ô toi tout vêtu d’écarlate ! pauvre infortuné, ne te suffit-il pas de périr seul par le sort des batailles ? Ces richesses dont il eût mieux valu racheter ton âme, veux-tu les livrer aux mains des ennemis pour qu’ils en parent les idoles des Gentils ? Mais combien l’invincible Louis aima le fer depuis son plus jeune âge jusqu’à sa soixante-dixième année, et comment, avec le fer, il donna un étonnant spectacle aux députés des Normands, je le redirai, quoique vous le sachiez mieux que moi. Chacun des rois des Normands lui avait envoyé de l’or et de l’argent comme témoignage de leur dévouement, et leurs épées en signe de leur éternelle soumission et obéissance. Le roi ordonna que l’argent fût jeté sur le pavé, que nul n’y portât les yeux sans indignation, et que tous le foulassent aux pieds comme de la boue. Quant aux glaives, assis sur son trône élevé, il commanda qu’on les lui apportât pour les essayer. Les envoyés, craignant que quelque soupçon fâcheux ne pût s’élever contre eux, présentèrent à l’empereur, et à leur propre péril, les épées par la pointe, comme les serviteurs ont coutume de donner les couteaux à leur maître. Ce prince, en ayant pris une par la garde, s’efforça de la ployer de la pointe jusqu’en haut ; mais elle se rompit entre ses mains plus fortes que le fer même. Alors un des députés, tirant la sienne du fourreau, et la lui offrant avec respect, comme font les serviteurs, lui dit : Seigneur, vous trouverez celle-ci, j’espère, aussi forte et aussi flexible qu’il convient à votre bras invincible. » César la prit, et vraiment César selon la prophétie d’Isaïe : Rappelez dans votre esprit cette roche dont vous avez été taillé [Isaïe, 51, 1], ce prince, chef-d’œuvre de Dieu, qui surpassait en force de corps et en courage les hommes qui peuplaient autrefois la Germanie, plia ce glaive de la pointe à la poignée, comme il aurait fait de l’osier, et lui permit ensuite de revenir peu à peu à son premier état. Les ambassadeurs, saisis d’étonnement, et se regardant l’un l’autre, s’écrièrent : Plût à Dieu que l’or parût aussi vil à nos princes, et que le fer leur fût aussi précieux ! Puisque l’occasion se présente de parler des Normands, je montrerai en peu de mots, par le récit de choses qui se sont passées du temps de votre aïeul Charles, quel prix ils attachaient à la foi et au baptême. Longtemps après la mort du belliqueux David, les nations voisines, soumises à son empire par la force de son bras, acquittèrent les tributs au pacifique Salomon son fils ; de même, par suite de sa crainte pour le très auguste empereur Charles et des impôts qu’elle lui payait, la féroce nation des Normands continua d’honorer du même respect son fils Louis. Un jour l’empereur, touché de compassion pour ces peuples, demanda à leurs envoyés s’ils voulaient recevoir la religion chrétienne. Ceux-ci ayant répondu qu’ils étaient prêts à lui obéir en tous lieux et en toutes choses, il ordonna qu’on les baptisât au nom de celui dont saint Augustin a dit : S’il n’y avait pas de Trinité, celui qui est toute vérité n’aurait pas dit : Allez, et instruisez toutes les nations en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Traités par les principaux officiers du palais comme des enfants d’adoption, ces Normands reçurent par les mains de leurs parrains, et de la garde-robe même de César, en habits précieux et autres ornements, un costume de Franc entièrement blanc. Cela se répéta souvent et pendant longtemps ; des Normands en très grand nombre, et par amour, non de Jésus-Christ, mais des biens terrestres, se hâtèrent de venir, d’année en année, offrir leurs respects à l’empereur, le saint jour de Pâques, non plus comme députés, mais comme vassaux très dévoués. Un certain jour plusieurs arrivèrent par hasard jusqu’à Louis ; l’empereur leur demanda s’ils désiraient être baptisés, et, sur leur déclaration affirmative, il enjoignit de répandre sur eux l’eau sainte sans tarder davantage. Comme on n’avait pas assez d’habits de lin tout prêts, il prescrivit de couper des surplis et de les coudre en forme de linceul ou de les arranger par bandes. Un de ces vêtements fut mis tout à coup à un des vieillards normands ; il le considéra quelque temps d’un œil curieux ; puis, saisi d’une violente colère, il dit à l’empereur: J’ai déjà été lavé ici vingt fois ; toujours on a m’a revêtu d’excellents habits très blancs ; le sac que voici ne convient pas à des guerriers mais à des gardeurs de cochons ; dépouillé de mes vêtements et point couvert avec ceux que tu me donnes, si je ne rougissais de ma nudité, je te laisserais ton manteau et ton Christ. Voilà comme les ennemis du Christ apprécient ce que dit l’apôtre : Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ [Galates, 3, 27] ; et ceci : Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort [Romains, 6, 3] ; et ce qui surtout s’élève contre les contempteurs de la foi et les violateurs des sacrements : Autant qu’il est en eux, ils crucifient de nouveau le fils de Dieu et l’exposent à l’ignominie [Hébreux, 6, 6] ; et cela, plût à Dieu qu’on ne le vit que chez les Gentils et non pas plus souvent encore parmi ceux qui sont appelés du nom de chrétiens ! Il convient de parler aussi de la bonté du premier Louis et d’en revenir ainsi à Charles. Le très pacifique empereur Louis, délivré de toute incursion des nations ennemies, s’appliquait sans relâche aux œuvres pieuses ; la prière, l’aumône, le soin d’entendre discuter les procès et de les terminer avec la plus grande équité. En ce genre son esprit et l’habitude lui avaient donné une telle perspicacité qu’un certain homme, que tout le monde regardait comme un ange, avait, à l’exemple d’Achitophel, tenté de le tromper ; le monarque, l’esprit un peu ému, mais d’un air affable et d’un ton de voix fort doux, le paya de cette réponse : Très Sage Anselme, si la justice le permettait, j’oserais dire que vous ne marchez pas dans le droit chemin. De ce moment cet homme, qui passait pour si juste, ne fut plus compté pour rien par personne. Le
charitable Louis se livrait avec un tel zèle à l’aumône qu’il ne
se contentait pas qu’on la distribuât en sa présence, et préférait
la faire de ses propres mains. De plus, et se trouvant absent, il voulut
que les procès des pauvres fussent réglés de manière que l’un
d’eux qui, quoique totalement infirme, paraissait doué de plus d’énergie
et d’intelligence que les autres, connût de leurs délits, prescrivit
les restitutions de vols, la peine du talion pour les injures et les
voies de fait, et prononçât même, dans les cas plus graves,
l’amputation des membres, la perte de la tête, et jusqu’au supplice
de la potence. Cet homme établit des ducs, des tribuns et des
centurions, leur donna des vicaires, et remplit avec fermeté la tâche
qui lui était confiée. Quant au clément empereur, respectant le
Seigneur Christ dans tous les pauvres, jamais il ne cessait de leur
distribuer des aliments et des habits pour se couvrir ; il le
faisait principalement le jour où le Christ, dépouillant sa robe
mortelle, se prépara a en revêtir une incorruptible. Ce jour-là Louis
répandait ses dons, suivant la qualité de chacun, sur tous ceux qui
occupaient quelque charge dans le palais où servaient dans la maison
royale. Aux plus nobles il faisait donner des baudriers, des
bandelettes, et des vêtements précieux apportés de tous les coins de
son très vaste empire ; aux hommes d’un rang inférieur, on
distribuait des draps de Frise de toutes couleurs ; les gardiens
des chevaux, les boulangers et les cuisiniers recevaient des vêtements
de toile, de laine et des couteaux de chasse. Comme il n’y avait plus
de pauvres parmi eux, pour se servir des paroles des Actes des Apôtres [1,
34], tous étaient pénétrés de reconnaissante, et les pauvres
même, venus couverts de haillons, et charmés d’être vêtus
d’habits propres, chantaient dans la grande cour du palais
d’Aix-la-Chapelle et sous les arcades que les Latins appellent communément
portiques, Seigneur, faites miséricorde au
bienheureux Louis ! et élevaient leurs voix jusqu’au ciel.
Pendant que ceux des soldats qui le pouvaient baisaient les pieds de
l’empereur, et que les autres l’adoraient de loin, un certain
bouffon dit en plaisantant à César qui se rendait à l’église : Ô
bienheureux Louis qui, dans un seul jour, a pu habiller tant de gens,
par le Christ, nul en Europe n’en a vêtu davantage, si ce n’est
Atton. Le monarque demandant comment celui-ci avait pu donner des
vêtements à un plus grand nombre d’hommes, le mime, enchanté
d’avoir excité l’étonnement de l’empereur, répondit en riant : Aujourd’hui
il a fourni beaucoup d’habits neufs[28].
Cette innocente plaisanterie, le prince la prenant doucement et comme un
jeu, et s’apercevant au visage de cet homme qu’il était fou, entra
dans l’église avec une humble dévotion, et s’y montra si pénétré
d’une pieuse crainte qu’il paraissait avoir le Seigneur Jésus-Christ
lui-même devant les yeux de son corps. En tout temps, non par nécessité,
mais peur avoir une occasion de faire une largesse, Louis avait coutume
de se baigner le samedi et d’abandonner aux gens de sa suite tous les
vêtements qu’il avait quittés, à l’exception de son épée et de
son baudrier. Sa générosité s’étendait à un tel point sur les
hommes même du plus bas étage, qu’il enjoignit de donner tous les
habits qu’il portait à un certain Stracholt, serf, vitrier de
Saint-Gall, qui le servait dans ce temps-là. Quelques vassaux, vrais
vagabonds, l’ayant appris, dressèrent des embûches à ce pauvre
homme sur sa route, dans le dessein de le dépouiller, et comme il leur
dit : A quoi pensez-vous de faire
violence au vitrier de César ? ils lui répondirent : Nous
te permettons de garder ton office ………………… (Ici s’arrête le manuscrit ; on ignore quelle était l’étendue du fragment perdu ; mais, il est peu probable qu’il fut très long)[17]
Wernbert ou Werembert, moine de Saint-Gall, où il acquit une si
grande réputation qu’on lui donnait, de son temps, les noms
de philosophe, de poète, de théologien, d’historiographe et
d’homme versé en toutes sortes de connaissances ; il était
né à Coire, et avait étudié à Fulde, sous le célèbre Raban. Il
paraît qu’il s’était occupé des lettres profanes avec autant de
zèle que des lettres sacrées, et il avait écrit un grand nombre
d’ouvrages, parmi lesquels figuraient des poésies ; il mourut dans
l’abbaye de Saint-Gall, le 24 mai 884.
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