ŒUVRES D'AUSONE
texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
APPENDICES
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APPENDICESI — L'EMPEREUR CONSTANTIN AUGUSTE, À VOLUSIANUS[i].NOUS ordonnons que les médecins, les grammairiens et les autres professeurs ès lettres, soient, ainsi que les biens qu'ils possèdent dans leurs cités, exempts de toutes charges, et qu'ils puissent exercer les honneurs. Nous défendons qu'on les cite en justice, ou qu'ils supportent aucun dommage. Si quelqu'un les tourmente, il payera cent mille nummes au trésor, et il sera poursuivi par les magistrats et les quinquennaux, afin qu'eux-mêmes ne se donnent pas cette peine. Si un esclave leur fait injure, il devra être frappé de verges par son maître, en présence de celui qu'il aura offensé ; et si le maître a consenti à l'outrage, il payera vingt mille nummes au fisc, et l'esclave restera en gage jusqu'à l'acquit de cette somme. Nous ordonnons aussi de rendre aux médecins et aux professeurs leurs traitements et leurs salaires. Enfin, comme ils ne doivent pas être, ainsi que les pères, les maîtres et les tuteurs, chargés de dignités onéreuses, nous leur permettons d'exercer les honneurs s'ils le veulent, nous ne les forçons point s'ils refusent. — Donné, le jour des calendes d'août, à Sirmium, sous le consulat de Crispus et de Constantin, Césars [1er août 321.] II. — L'EMPEREUR CONSTANTIN AUGUSTE, AU PEUPLE[ii].CONFIRMANT les bienfaits des princes nos divins prédécesseurs, nous ordonnons que les médecins et les professeurs ès lettres, que leurs femmes mêmes et leurs enfants, soient exempts de toute fonction et de toutes charges publiques ; ils ne seront pas compris dans la milice, ils n'auront point d'hôtes à recevoir, ils n'exerceront aucune charge, afin qu'ils puissent ainsi plus facilement instruire beaucoup d'élèves dans les éludes libérales et les arts dont nous avons parlé. — Donné le 5 des calendes d'octobre, à Constantinople, sous le consulat de Dalmatius et de Zenophilus. [27 septembre 333]. III. — LES EMPEREURS VALENTINIEN, VALENS ET GRATIEN, AUGUSTES, À PRINCIPIUS, PRÉFET DE LA VILLE[iii].QUE tout le monde cache qu'aux médecins et aux professeurs de la ville de Rome l'immunité est accordée, de sorte que leurs femmes mêmes doivent rester exemptes de toute inquiétude. Ils seront libres de toutes autres charges publiques, on ne pourra les comprendre dans la milice, ils n'auront point d'hôtes militaires à recevoir. — Donné le 3 des calendes de mai, sous le troisième consulat de Valentinien et de Valens, Augustes [29 avril 370]. IV. — LES EMPEREURS VALENTINIEN, VALENS ET GRATIEN, AUGUSTES, À OLIBRIUS, PRÉFET DE ROME[iv].TOUS ceux qui viennent à la Ville dans le désir de s'instruire, devront, premièrement, présenter au maître du Cens une lettre des juges provinciaux chargés de donner la permission d'y venir. Cette lettre contiendra mention du pays, de la naissance et de la qualité des individus. Ensuite, dès leur première entrée dans la Ville, ils déclareront à quelles études ils se proposent d'appliquer spécialement leurs travaux. Troisièmement, l'Office des Censuales s'inquiètera de connaître leurs demeures, pour s'assurer qu'ils dirigent tous leurs soins vers le but qu'ils ont affirmé vouloir atteindre. Les Censuales veilleront encore à ce que chacun d'eux se montre dans les conférences tel que doivent être ceux qui ont à cœur d'éviter une renommée honteuse et déshonorante, et ces associations qui, à nos yeux, touchent de si près au crime ; à ce qu'ils ne fréquentent pas trop souvent les spectacles, ou ne recherchent point communément les festins désordonnés. Bien plus, si quelqu'un d'entre eux ne se conduisait pas dans la Ville comme l'exige la dignité des études libérales, nous donnons le pouvoir de le frapper de verges en public, de le placer aussitôt sur un navire, afin qu'il soit expulsé de la Ville et retourne chez lui. A ceux, au contraire, qui s'appliquent avec un zèle attentif à leurs études, il sera permis ale demeurer jusqu'à leur vingtième année dans Rome ; mais, après ce temps, celui qui aura négligé de se retirer volontairement, sera, à la diligence du préfet, renvoyé, malgré son ignorance, dans sa patrie. Et pour qu'on ne puisse apporter de négligence dans l'exécution de ces mesures, ta haute Sincérité recommandera à l'Office des Censuales de prendre en note chaque mois le nom des nouveaux venus, le lieu d'où ils viennent, et les noms de ceux qui, en raison de leur séjour à Rome, devront être renvoyés en Afrique ou dans les autres provinces : seront seuls exceptés les étudiants attachés aux corporations. Pareilles notes seront adressées tous les ans aux archives de notre Mansuétude, afin que nous puissions connaître les mérites et l'aptitude de chacun, et juger comment et quand ils nous seront utiles. — Donné le 4 des ides de mars, à Trèves, sous le troisième consulat de Valentinien et de Valens, Augustes (12 mars 370). V. — VENANTIUS HONORIUS CLEMENTIANUS FORTUNATUS. POÈMES SUR LA MOSELLE[v].I. A Nicetius, évêque de Trèves. Son château sur la Moselle.UNE montagne surgit, penchant sa masse sur l'abîme : la rive rocheuse lève une haute tête. Sur ces rocs découverts se dresse un cime chevelue, et sur leur front escarpé règne une crête inaccessible. Les terres remontent du fond des vallées et profitent à la colline : partout le sol abaissé s'incline, et la côte s'élève. La Moselle bouillonnante et le petit Rhodanus aussi (la Dhron) l'environnent, et de leurs poissons à l'envi nourrissent la contrée. Ces fleuves vagabonds ravissent ailleurs cette proie, qui te crée ainsi, Mediolanus, un doux aliment. Plus l'onde grossit, plus le poisson abonde ; et s'approche ; et la rapacité des flots fournit une facile nourriture. L'habitant de ces lieux contemple avec joie de fertiles sillons, et fait des vœux pour que la moisson soit lourde et féconde. Le laboureur repaît ses yeux de la récolte qu'il espère : son regard moissonne les trésors avant que la saison ne les produise. Le champ s'égaye et rit, couvert de verdoyants herbages, et les prés veloutés charment l'esprit qui les parcourt. Nicetius, homme apostolique, visita ces campagnes ; et le pasteur y construisit à son troupeau la bergerie désirée. Il entoura partout la colline d'une enceinte de trente tours, et montra un monument où s'élevait auparavant une forêt. Du sommet de la colline descendent les bras d'une muraille dont les eaux de la Moselle sont la limite. Cependant le palais brille, bâti sur la cime du roc, et, sur le mont où il repose, parait lui-même une montagne. Nicetius se plut à enfermer d'un rempart ces vastes espaces, et seule cette demeure forme presque un château. Des colonnes de marbre soutiennent le faîte de ce palais, du haut duquel on voit les navires courir l'été sur le fleuve. Un triple rang d'arcades accroît encore l'étendue de l'édifice, et, monté sur le comble, on dirait que le toit recouvre des arpents. Debout devant nous, une tour domine le versant qui fait face : c'est le lieu consacré aux saints : c'est là que les guerriers se tiennent en armes. Là se trouve aussi la baliste à double charge, qui laisse après soi la mort et revient en arrière. L'onde, chassée dans les détours des conduits qui la retiennent, agite une meule qui donne au peuple sa nourriture. Sur des coteaux stériles, Nicetius apporta les raisins au jus savoureux : la vigne cultivée verdoie aux lieux où fut la ronce. Çà et là s'élèvent des vergers que la greffe féconde, et les parfums variés de leurs fleurs embaument la campagne. A toi la gloire de tous ces travaux dont nous chantons l'éloge, pasteur généreux, qui répands tant de bienfaits sur ton troupeau ! II. Sa navigation sur la Moselle.JE rencontre les rois aux lieux où s'élèvent les remparts de Mettis (Metz) ; je suis vu des maîtres et retenu à cheval. Je reçois l'ordre ensuite de parcourir en navigateur la Moselle, aidé de la rame pour hâter ma course et glisser sur l'onde frémissante. Le navigateur monte aussitôt sur un navire, il s'élance sur un frêle esquif ; et la proue, sans être poussée par les vents, volait sur les flots. Cependant, il est un endroit où des récifs cachés près de la rive resserrent le lit du fleuve dont les vagues se soulèvent. Entraînée par un élan rapide, la nef se jette contre cet écueil, et peu s'en fallut qu'elle ne bût à plein ventre l'onde bouillonnante. Arraché du péril, je revois en liberté la plaine et l'espace, et, fuyant cet abîme, je vogue à travers de riants paysages. J'arrive à ce gouffre où les flots de l'Orna (l'Ornes) tombent dans la Moselle, et, doublant la force du courant, secondent notre marche. Sur les eaux refoulées du fleuve, je dirige ma nef avec prudence pour ne pas m'exposer à me faire repêcher dans la nasse comme un poisson. Voguant au milieu des villas dont les toits fument sur la rive, je parviens à l'embouchure où se jette la Sura (la Saur). Puis, passant entre des collines qui dominent la grève et de creuses vallées, nous glissons jusqu'à la Sara (la Sarre) sur la pente du fleuve, qui nous porte ainsi aux lieux où se découvrent les hautes murailles de Treviri (Trèves), noble reine des plus nobles cités. Le fleuve nous conduit ensuite, en côtoyant l'antique palais du sénat, à la place où cette ruine apparaît tout entière, puissante encore par ses débris. De tous côtés nous apercevons des montagnes aux crêtes menaçantes, dont les rocs aigus surgissent et percent la nue. Partout des pics escarpés projettent leurs cimes superbes, et le granit barbu grandit avec la montagne et s'élève vers les astres. Et ces durs cailloux n'ont pas la liberté d'être stériles : la roche même est féconde et le vin en découle. On aperçoit partout des collines vêtues de bourgeons : leur chevelure de pampre frissonne sous la brise qui passe. Entre les pierres se pressent les rangs de vignes, et leur ligne régulière et bigarrée attire le regard. Parmi des roches hideuses le laboureur fait briller la culture, et sur la blancheur de la pierre rougit le doux reflet de la vigne. D'âpres rochers enfantent les mielleux raisins, et sur un tuf stérile se plait la grappe féconde. La chauve montagne couronne la vigne de sa crête, et les verts ombrages du pampre couvrent les arides métaux de la montagne. Bientôt le vigneron cueille les grappes colorées, et le vendangeur semble suspendu lui-même à ces rochers qui pendent. Je trouvai du plaisir pour mes yeux et des aliments pour ma bouche dans chacun de ces agréables royaumes que j'occupais à mesure que mon navire suivait sa route. Les eaux me conduisent ensuite aux lieux où Contrua (le Cond ou Gondorf) se remplit de vaisseaux, où brilla jadis une illustre tête. Puis j'arrive au point où les affluents des deux fleuves se réunissent, d'un côté le Rhin écumant, de l'autre la fertile Moselle. Tout le long de cette route, les eaux nous apportaient leur tribut de poissons : pour les rois et les maîtres les trésors pullulent dans le fleuve. Et pour que nul plaisir ne fît faute au voyageur, je me repaissais des chants des muses et mon oreille s'abreuvait de mélodies. De leurs bruyants accords les instruments frappaient les montagnes, et les rocs suspendus nous rendaient leurs accents. La toile d'airain exhalait mollement de paisibles murmures, et l'arbre de la colline répondait à la voix du roseau. Tantôt frémissante et saccadée, tantôt calmé et unie, la musique résonne telle aux flancs des rochers, qu'elle s'échappe de l'airain. Les chants, par leur douceur, rapprochent les rives opposées : collines et fleuve n'ont qu'une voix, grâce à ces mélodies. Tels sont les plaisirs que recherche pour le peuple la bonté des rois, et toujours elle trouve quand sa sollicitude commande. J'approche rapidement des remparts du château d'Antonnacum (Andernach), en suivant ma route sur le vaisseau qui me porte. Là, quoique sur de vastes espaces la vigne garnisse les collines, d'un autre côté la plaine a des guérets fertiles. Cependant cette belle contrée abonde de richesses préférables encore : ses habitants recueillent d'autres trésors au sein des eaux. Et quand les rois de leur présence embellissent le séjour de ce palais, et que les tables en leur honneur se parent de banquets de fête, on visite les filets et ces rets d'osier d'où l'on retire le saumon. Assis sur le rempart, le roi compte les poissons, il applaudit chaque fois qu'un poisson sort du fleuve immense, il encourage le pêcheur en voyant son butin venir. Ici, témoin d'une pèche heureuse, là, rendant le palais joyeux, il repaît ses yeux d'abord de ces délices que sa bouche savoure ensuite. A sa table aussi se présente le citoyen étranger du Rhin, et la troupe des convives fait son éloge en le croquant. Que longtemps le Seigneur, seigneurs, nous offre de tels spectacles ! donnez aux peuples de beaux jours : que la sérénité de votre front répande la joie dans tous les cœurs, et que votre grandeur trouve le bonheur dans celui de vos sujets ! VI. — Q. AURELIUS SYMMAQUE. LETTRES A AUSONE[vi].I. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 14)TU me demandes de longues lettres : c'est là envers nous mie preuve de véritable amitié. Mais moi qui connais la pauvreté de mon esprit, j'aime mieux, m'astreindre à une laconique brièveté que d'étaler sur une file de plusieurs pages la maigreur d'un style sans verve. Il n'est pas étonnant que la veine de mon élocution se soit amoindrie, depuis le temps qu'elle ne s'est nourrie de la lecture de tes volumes de prose ou de poésie. Pourquoi donc demander de longs intérêts à mon éloquence, toi qui n'as placé sur elle aucun prêt littéraire ? Ta Moselle vole dans bien des mains et dans les plis de bien des toges, grâce à tes vers divins qui l'immortalisent ; mais elle n'a fait que passer sous nos yeux. Pourquoi, je te le demande, voulais-tu me priver de cet ouvrage ? Tu me regardais, ou comme un ignorant qui ne pouvait le juger, ou comme un malveillant qui ne savait pas le louer. Et tu faisais ainsi grandement injure ou à mon esprit ou à mon caractère. Moi, cependant, malgré ton interdit, j'ai su bientôt pénétrer jusqu'à cette œuvre mystérieuse : et je voudrais taire ce que j'en pense, je voudrais me venger de toi par un juste silence ; mais l'admiration pour le livre dissipe le ressentiment de l'outrage. Autrefois, quand je suivis les étendards des princes éternels, je connus ce fleuve, comparable à plusieurs, mais qui n'est pas comparable à beaucoup d'autres. Et maintenant tes vers, par leur éclat et leur surprenante majesté, l'ont rendu plus grand que le Mélo d'Égypte, plus frais que le Tanaïs des Scythes, plus limpide que le Fucin, notre compatriote. Je ne croirais jamais les merveilles que tu racontes de l'origine et du cours de la Moselle, si je ne savais eu toute assurance que tu ne mens pas, même en vers. Où as-tu découvert ces essaims de poissons dont les noms sont aussi variés que les couleurs, dont la grosseur diffère autant que le goût, et que tu as parés, au delà des dons de la nature, du vernis de cette poésie ? A ta table, où tu m'invitais souvent, j'ai admiré la plupart des autres mets rares qui étaient alors au prétoire ; mais je n'y ai jamais vu cette espèce de poissons. Quand donc sont-ils nés dans ton livre, ces poissons qui n'ont jamais été sur tes plats ? Tu crois que je plaisante et que je veux rire. Puissent les dieux me donner le bonheur de plaire à mes maîtres, comme il est vrai que je place ton poème au rang des livres de Virgile ! Mais je veux cesser d'oublier ma douleur et d'insister sur ton éloge, de peur que ce ne soit encore ajouter à ta gloire que de t'admirer quand je suis l'offensé. Répands donc à ton gré les volumes, et excepte-moi toujours : je n'en jouirai pas moins de tes œuvres, mais par la complaisance d'autrui. Adieu. II. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 16)SOUVENT ton amitié m'engage avec instance à t'écrire aussitôt que je reçois les lettres qu'une tendre inclination te porte à m'adresser, et toujours aussi je me suis fait un devoir de répondre sur l'heure à chacune au moment où elle m'était remise, parce que le but de ma réponse et les mutuelles obligations de notre amour ne me permettaient pas un plus long retard. Aujourd'hui encore je m'empresse de te déclarer que je t'offre et te rends des actions de grâces pour l'heureuse nouvelle que tu n'as pas voulu me laisser ignorer. Je t'ai déjà parlé de cela et d'autres choses dans une lettre précédente ; mais, si les messagers t'ont fait tenir exactement cet écrit, ce n’est qu'un surcroît de lettres, qui ne peut t'être à charge. J'aime mieux d'ailleurs te rompre les oreilles par mes redites, que te rien faire perdre par mon silence. Ainsi les honneurs d'Hesperius, mon frère, me font tressaillir de joie ; mais sa taciturnité me blesse. Car, si l'expérience lui a prouvé tout l'amour que j'ai pour lui, il convenait qu'il m'écrivit pour devancer la renommée, dont les bruits longtemps incertains ne me donnaient qu'une vague confiance en ma félicité. Il devait donc m'annoncer lui-même notre commun bonheur, afin que les assurances de sa lettre ne laissassent aucun doute en ma pensée. Mais, dis-tu, sa modestie l'a retenu : il a craint de se vanter de ses succès. A-t-on jamais rougi de parler de soi à soi-même ? D'où vient qu'il a différé de m'apprendre une chose qu'il savait nous intéresser justement l'un et l'autre ? Du reste, si j'ai eu tant à cœur d'exhaler ces plaintes, j'y mets aussi volontiers des bornes ; parce qu'il ne convient à l'amour que j'ai pour vous ni de taire mon chagrin, ni de vous reprocher outre mesure la douloureuse atteinte portée à mon amitié. Adieu. III. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 18)JE pourrais célébrer ta gloire dans des lettres continuelles ; mais je ne croirais pas encore, vu l'exigence du sujet, m'acquitter suffisamment de mon devoir : tant s'en faut que je te reproche ma peine et mon exactitude. Mais, s'il est convenable que j'agisse avec cette déférence, il est de ton humanité aussi de soutenir notre zèle par une égale condescendance. Tu vas voir où tend ce langage. Depuis longtemps tu ne nous envoies rien à lire. Je suis tout entier, diras-tu, sous la dépendance des travaux du prétoire. Cela est vrai. Tu es le digne chef de la justice suprême. Mais, pour les forces supérieures de ton esprit, une haute fortune n'est pas un fardeau : applique-toi donc aussi à des. travaux qui, loin d'apporter quelque fatigue aux hommes occupés, les soulagent souvent, au contraire, de la fatigue elle-même. Adieu. IV. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 21)CE fut une bonne et sage pensée de nos ancêtres, entre autres du même temps, d'avoir rapproché, en les construisant, les deux temples de l'Honneur et de la Vertu : ils avaient deviné ce que nous voyons en toi, que les récompenses de l'honneur ne vont pas sans les mérites de la vertu. Près de ces monuments on trouve aussi le temple et la fontaine consacrés aux Muses, parce que c'est souvent par l'étude des lettres qu'on se fraie un chemin aux magistratures. Ces institutions de nos pères sont des arguments en faveur de ton consulat ; car c'est à la gravité de tes mœurs et à l'éclat de ton enseignement que tu dois les honneurs de la chaise curule. Beaucoup, à l'avenir, dirigeront leurs efforts vers les beaux-arts, vers la vraie gloire, vers la saine littérature ; mais lequel rencontrera un aussi heureux disciple ou un débiteur de si bonne mémoire ? Nous n'ignorons pas que le grand Alexandre, dont la fortune dépassa les vœux, ne fit rien pour honorer son Stagirite ; et cette chlamyde, prise parmi les dépouilles des Étoliens, et qui fut le seul présent donné à Quintus Ennius, est une tache pour Fulvius. Le second Africain n'a point payé le prix de son éducation libérale à Panétius, ni Rutilius à Opilius, ni Pyrrhus à Cynéas, ni Mithridate de Pont à son Métrodore. Mais aujourd'hui notre empereur très érudit, prodigue de richesses et d'honneurs, te décerne les récompenses avec usure, et te rend au delà même du taux des intérêts. Quand ma joie est si grande, comment me justifier de ne pouvoir être auprès de toi ? Je crains bien qu'interprétant mal mes excuses, tu croies peu à la sincérité de mes compliments. Je voulais accourir et me présenter à ta vue ; mais, privé de forces, longtemps épuisé par la maladie, j'ai dû éviter les longs trajets, les gîtes incommodes, les approches de l'hiver, le déclin des jours, toutes les occasions d'une rechute funeste. Si mon cœur t'est connu, je te conjure d'être indulgent pour moi, et d'admettre avec bonté cette justification. C'est au hasard à décider si je conserverai tes bonnes grâces ; il me suffit aujourd'hui d'échapper au péril de t'offenser. V. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 23)
APRÈS
ton long silence, je ne désirais pas moins que je n'espérais de toi de
longues lettres : car c'est là un des retours ordinaires de
l'instabilité des choses humaines, que l'abondance succède à la
disette. Je le croyais, et je me suis trompé : car une courte page,
qu'on vient de remettre entre mes mains, est tout ce que j'ai reçu de
toi. Elle était, il est vrai, semée de sel attique et parfumée de
thym, mais en si faible dose qu'elle était plutôt faite pour amuser
mes ennuis que pour assouvir ma faim. Eh quoi ! si je te demandais des
mets de prince, un repas de Saliens, des viscérations, un festin
public, tu me présenterais donc un second service, une maigre chère
sur des plats étroits ? Rappelle à ton souvenir ce que disent les
Grecs à ce sujet : « De faibles aliments suffisent pour préserver de
la mort, mais non pour nous procurer une robuste santé. » Penses-tu
que je ne te parlerai pas de tes occupations ? Tu es questeur ; je ne
l'ai pas oublié ; tu participes au conseil royal, je le sais ; tu juges
les suppliques, tu rédiges les lois, je le reconnais : ajoute à cela
mille autres choses encore ; et jamais il n'arrive que le travail
affaiblisse ton esprit, que les soucis altèrent ta bienveillance, qu'un
long usage épuise ta veine. Si tu ne coupes jamais, par un intervalle
de repos, tes affaires de la journée, tu n'es pas homme à interrompre
ton sommeil avant le jour pour donner quelques instants à l'amitié. Le
Comique, cependant, ne te semble-t-il pas un bon modèle, quand il dit : VI. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 25)QUOIQUE souvent il y ait de la sincérité dans l'éloge qu'on fait d'un fils à son père, je ne sais comment il arrive que cet éloge perd de son mérite, parce qu'on y voit un désir de plaire au personnage. Je cherche donc avec embarras comment je dois m'y prendre pour te parler aujourd'hui d'un homme honorable, de Thalassius, ton gendre. Si je île loue qu'avec réserve son beau caractère, je passerai pour un envieux ; si je le vante comme il le mérite, je serai bien près de la flatterie. J'imiterai donc la concision des jugements de Salluste. Ta as là un homme digne de toi, et, grâce à toi, d'une famille consulaire ; la fortune de son glorieux beau-père l'a trouvé plus grand que ses bienfaits, la pureté et la sainteté de son âme l'ont élevé à la hauteur de ses dignités. Adieu. VII. Symmaque à Ausone (Lettres, I, 31)J'AI ressenti une véritable joie à la lecture de ta savante lettre que j'ai reçue à Capoue, où je réside. Car il y avait dans cet écrit un mélange d'enjouement et de miel cicéronien, et un éloge plus flatteur que vrai de mon langage. Aussi mon esprit indécis se demande ce qu'il doit admirer le plus des qualités de ton style ou de celles de ton cœur. Car ton élocution est si supérieure à toute autre, qu'on tremble de te répondre ; et tu applaudis avec tant de bonté à nos efforts, qu'on voudrait ne point se taire. Mais si je continuais à te louer ainsi, j'aurais l'air d'un mulet qui. en gratte un autre ; on dirait que j'imite ton langage au lieu de l'apprécier. En même temps, comme tu ne fais rien par ostentation, il faut prendre garde de louer comme des mérites affectés des qualités qui te sont naturelles. Apprends donc seulement de nous cette vérité indubitable : c'est qu'il n'y a pas un mortel que je chérisse plus que toi, tant a de force l'honorable amitié qui m'engage sous ta loi. Mais tu me parais beaucoup trop modeste quand tu me reproches d'avoir trahi le secret de ton livre ; car il est plus facile de tenir dans sa bouche des charbons ardents, que de garder le silence sur un chef-d'œuvre. Une fois ces vers sortis de tes mains, tu n'avais plus aucun droit sur eux : un discours publié est chose libre. Crains-tu donc pour ton livre le venin d'un lecteur jaloux, ou la brûlante morsure d'une dent sans pitié ? En pareille circonstance, tu es le seul qui n'aies rien à gagner avec l'indulgence, rien à perdre avec l'envie. Bon gré, mal gré, justes ou méchants te doivent des louanges. Ainsi, éloigne à l'avenir des craintes mal fondées, et donne carrière à ton style pour être souvent trahi de même. Ne manque pas surtout d'envoyer à notre adresse quelque poème didascalique ou protreptique. Mets ma discrétion à l'épreuve ; je désire qu'elle te soit acquise, mais je n'ose pourtant te la promettre. Je connais trop cette démangeaison qu'on ressent de produire au jour une œuvre qu'on approuve. Car on s'associe en quelque sorte au partage de l'éloge, en répétant le premier ce qu'un autre a si bien dit. Au théâtre, les auteurs de la comédie ont recueilli la première gloire : à Roscius pourtant, à Ambivius et aux autres acteurs la renommée n'a pas fait faute. Ainsi, dépense à de tels travaux tes loisirs, et assouvis notre appétit par de nouveaux volumes. Que si, fuyant 3a jactance, tu redoutes mon indiscret bavardage, garde-moi aussi le silence, et je pourrai en toute sûreté avancer que tes écrits sont de moi. Adieu. VII — PONTIUS MEROPIUS PAULINUS. LETTRES A AUSONE[vii].I. A Ausone, Paulinus.
Voici
quatre fois déjà que l'été reparaît pour les durs moissonneurs,
autant de fois l’hiver a tout glacé de ses blanches gelées, depuis
que de ta bouche aucune parole ne m'est venue. Je n'ai pas vu un seul écrit
tracé de ta main, avant le jour où un heureux papier, chargé de la
formule du salut, m'apporta enfin en plusieurs parties ces dons si
longtemps refusés ; car c'était trois lettres fleuries, écrites à
diverses reprises, mais ces pages nombreuses étaient un triple poème.
Ta tendresse inquiète y mêlait la plainte au reproche et un peu
d'amertume à beaucoup de douceur ; mais la bonté du père m'a plus
touché que la rudesse du censeur, et, pour mon cœur, les caresses
compensent les duretés. Cependant nous relèverons ce blâme en son
lieu, et nous le poursuivrons des accents plus graves de l'hexamètre
vengeur. En attendant, l'ïambe plus léger le devance un instant, et
son pied te reporte séparément quelques mots de réponse. En ce
moment, le vers élégiaque te salue, et, après t'avoir salué, à présent
qu'il a commencé la marche, il cède le pas à l'autre, et se tait. II. A Ausone, Paulinus.
TU
te plains que ma bouche s'obstine à garder le silence, quoique la
tienne ne soit jamais muette ; tu me reproches d'aimer la retraite et
l'oisiveté ; tu m'accuses, en outre, de négliger l'amitié ; tu
ajoutes que je tremble devant ma compagne, et tu me jettes dans le cœur
un vers cruel. Cesse, je t'en conjure, de déchirer ton Paulinus, et de
mêler, comme l'absinthe au miel, des traits amers à un langage
paternel. J'ai toujours aimé, et j'aime encore à t'entourer de tous
les hommages d'un culte dévoué, à te conserver une affection fidèle.
Jamais la moindre tache n'est venue souiller la pureté de mon
attachement. Je craignais toujours de te blesser, même par l'aspect de
mon visage, ou que mon œil distrait ne t'offensât par mégarde. Et
quand je m'approchais avec vénération devant toi, j'avais soin de
composer mes traits, j'éclairais mon front d'un sourire, afin d'effacer
toute trace des nuages qui avaient pu se former dans le secret de mon cœur,
et d'épargner un soupçon injuste à un père adoré. Ma maison
t'honorait, et t'honore encore à mon exemple, et il y a le même accord
entre nous pour te chérir, que pour adorer le Christ dans l'union de
nos cœurs.
[i] Voir la sixième note de l'Idylle II. [ii] Ibid. [iii] Ibid. [iv] Voir la quatrième note de l’Idylle IV. [v] Voir la douzième note de l'Idylle X. [vi] Voir la première note de l'Idylle XI. [vii] Voir la première note de la Lettre XXIII. sommaires pour l'Iliade et l'Odyssée retour à la table des matières
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