HISTOIRE DES GUERRES CIVILES DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE.
Préface
HISTOIRE
DES GUERRES CIVILES
DE LA
RÉPUBLIQUE ROMAINE.
TOME PREMIER.
Cet Ouvrage se vend à Paris,
A la Librairie stéréotype, chez H. NICOLLE, rue des Petits - Augnstins, n° 151
Et chez LE NORMANT, Imprimeur - Libraire, rue des Prêtres -Saint- Germain -l'Auxerrois, n° 17.
On trouve aux mêmes adresses les Dissertations de Maxime-de-Tyr, philosophe platonicien, traduites par le même auteur.
HISTOIRE
DES GUERRES CIVILES
DE LA
RÉPUBLIQUE ROMAINE,
TRADUITE
DU TEXTE GREC D'APPIEN D'ALEXANDRIE
PAR J. J. COMBES-DOUNOUS,
Ex-législateur, et membre de quelques sociétés littéraires.
Haec et apud seras gentes,
populosque nepotum,
Sive sud tantum venient in saecula fama,
Sive aliquid magnis nostri quoque cura laboris
Nominibus prodesse potest : cum bella legentur,
Spesque, metusque simul, perituraque vota, movebunt.
LUCAN. Lib. VII, v. 207 et seq.
TOME PREMIER.
PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DES FRÈRES MAME,
rue du Pot-de-Fer, n° 14.
Εἰ γὰρ ἡ τῶν ἐν ᾅδου μυθολογία τὴν ὑπόθεσιν πεπλασμένην ἔχουσα πολλὰ συμβάλλεται τοῖς ἀνθρώποις πρὸς εὐσέβειαν καὶ δικαιοσύνην, πόσῳ μᾶλλον ὑποληπτέον τὴν προφῆτιν τῆς ἀληθείας ἱστορίαν, τῆς ὅλης φιλοσοφίας οἱονεὶ μητρόπολιν οὖσαν, ἐπισκευάσαι δύνασθαι τὰ ἤθη μᾶλλον πρὸς καλοκἀγαθίαν;
Diodor.. Sicul. lib. I, pag. 2, B.
Si enim Fabula de inferis, argumenta ficto constant, multum ad pietatem et justitiam hominibus confert; quanta magis Historiam veritatis antistitam et vatem, atque totius quasi philosophiœ metropolim, mores ad honestatem informare passe judicemus.
«Car si ce que la Mythologie raconte des enfers, quoique ce ne soient que des fictions, a une grande efficace pour inspirer aux hommes l'amour de la piété et de la justice; à combien plus forte raison devons-nous regarder l'Histoire, cet oracle de la vérité, cette métropole, si l'on peut s'exprimer ainsi, de toute la philosophie, comme plus capable encore de leur faire aimer la sagesse et la vertu. »
PRÉFACE.
« Lisez l'histoire, disait Démétrius de Phalère à l'un des Ptolémées, roi d'Egypte, lisez l'histoire, c'est- à-dire les ouvrages qui contiennent le tableau des vertus et des vices des hommes, le tableau de l'origine des États, et de la naissance des Empires, le tableau des causes de leur formation, de leurs progrès, de leur maintien, de leurs vicissitudes, de leur décadence, de leurs révolutions, de leur ruine. Vous y verrez, vous y apprendrez ce que les flatteurs, ce que les courtisans, dont les chefs de gouvernement sont perpétuellement entourés, ne vous permettraient jamais de voir et d'apprendre (1). » Lisez donc l'histoire, vous, dépositaires des pouvoirs des nations, qui êtes jaloux d'obtenir le suffrage de vos contemporains et les hommages de la postérité. Quelque habiles qu'un génie naturel, secondé par les leçons de l'expérience, ait pu vous rendre dans la science de gouverner, l'histoire vous apprendra toujours quelque chose. C'est surtout par la lecture de l'histoire qu'on acquiert le sentiment de la vérité de ce sage mot de Solon : « J'apprends toujours en vieillissant (2). » Lisez donc l'histoire, vous aussi, hommes d'État, vi vous qui êtes appelés auprès des chefs de gouvernement, pour être les ministres de leurs ordres et les oracles de leurs conseils. Vous y trouverez toujours de quoi agrandir vos idées, étendre vos vues, améliorer vos principes sur cette importante science des hommes, des choses, des temps, des lieux, dont se compose la grande science de gouverner. Vous aussi, peuples, lisez l'histoire. Heureux, vous y verrez de quoi mieux sentir le bonheur de votre condition, de quoi mieux apprécier les douceurs de votre situation présente, en la comparant à ces tristes, à ces déplorables tableaux du malheur des nations qu'elle vous mettra sous les yeux : car, à la honte des chefs de gouvernement, ils sont rares, très rares, dans la chaîne des siècles, ces périodes sur lesquels les regards du philosophe puissent s'arrêter avec intérêt, et lui faire dire avec attendrissement : « Que n'ai-je vécu à cette époque, chez un peuple et sous un gouvernement semblable? » Malheureux, vous y trouverez d'amples, de fréquents motifs de consolation. Vous y verrez le tableau d'une servitude pire que celle sous laquelle vous gémirez, d'actes de despotisme plus révoltants que ceux qui exciteront votre indignation. Vous y rencontrerez des horreurs plus fortes que celles qui vous paraissaient inouïes, des atrocités qui surpasseront celles que vous croyiez sans exemple. L'histoire vous offrira des désordres, des maux de tout vii genre, plus grands en intensité, plus étendus que» ceux qui vous semblaient en être le comble. Vous recueillerez de cette lecture cette grande vérité, que le bonheur des hommes en société tient moins à telle ou telle forme de gouvernement, à telle ou telle distribution de pouvoirs publics, que certains docteurs politiques ne se l'imaginent ; qu'il dépend essentiellement de la moralité, des passions bien ordonnées, de l'amour bien entendu des lois et de la justice dans la personne de ceux qui tiennent les rênes ; et que, selon qu'ils possèdent plus ou moins ces qualités, les peuples ont à bénir une autorité paternelle, ou à gémir sous la verge des tyrans. L'histoire vous apprendra surtout que le fléau le plus cruel des corps politiques, c'est une révolution. Elle vous dira qu'entreprendre de renverser un gouvernement dont on se plaint, pour lui en substituer un autre, c'est mettre le feu aux quatre coins de sa maison, pour donner la chasse à quelques animaux malfaisants qui l'infestent ; c'est ouvrir les quatre veines à un malade pour le guérir de quelque accès de fièvre, de quelques paroxysmes de fureur ; c'est, en un mot, chercher le remède de la maladie dans la mort. Elle vous dira de regarder comme des perturbateurs, comme des factieux, comme des pestes publiques, les novateurs en matière de gouvernement, qui, en déclamant contre les abus de l'autorité, ne viii songent qu'à s'ouvrir le chemin du pouvoir et de la fortune ; qui, en vociférant contre les attentats de la tyrannie, ne visent qu'à devenir des tyrans. Elle vous dira qu'à très peu d'exceptions près, il n'y a point de révolution politique à laquelle on ne pût appliquer, dans un sens plus ou moins exact, cette douloureuse exclamation de l'orateur romain, dans le premier livre de ses Offices : « Plût aux Dieux que la chose publique eût continué d'exister comme elle existait auparavant, et qu'elle ne fût pas tombée entre les mains d'hommes moins zélés pour y améliorer l'état des choses par des changements, qu'avides de la bouleverser de fond en comble ! » O utinam respublica quo cœperat statu stetisset, nec in hommes non tam commutandarum quam evertendarum rerum cupidos incidisset. C'est, du moins, la leçon que donnera l'histoire des guerres civiles de la république romaine, que je viens de traduire de nouveau, sur le texte grec d'Appien d'Alexandrie. On y verra combien fut pénible, combien fut laborieuse, combien de fois et de combien de manières fut ensanglantée la longue agonie qui conduisit cette république à la monarchie et au despotisme des Césars. On y verra les Gracques, sous les prétextes les plus spécieux, et peut-être avec les intentions les plus pures, préparer le germe de ces troubles, de ces dissensions intestines, qui, par un enchaînement ix de résultats successifs, amenèrent la guerre sociale, les proscriptions de Marius et de Sylla, la guerre entre César et Pompée, la bataille de Pharsale, l'assassinat de César, le déchirement de la république, le fameux siège de Modène, l'épouvantable triumvirat d'Antoine, de Lépidus et d'Octave, les deux batailles de Philippes, le fameux siège de Péruse, la catastrophe du jeune Pompée et la bataille d'Actium. A l'aspect de cette grande tragédie, la plus imposante, la plus féconde en résultats politiques et moraux, la plus digne des regards des lecteurs de toutes les classes qui ait été jouée sur le théâtre du monde, il est impossible que la nation dans la langue de laquelle ce monument d'un des premiers historiens de l'antiquité va recevoir encore une fois le jour, ne sente pas mieux, n'apprécie pas davantage le bonheur de sa destinée, qui, tandis qu'elle était la proie des factions et le jouet des tempêtes, de manière à avoir à craindre de rester longtemps dans cet état de convulsion et de crise, lui a fait trouver un port dans la seule forme de gouvernement qui pouvait la sauver du naufrage. Après avoir ainsi exposé les motifs de mon entreprise, je vais donner sur le compte d'Appien d'Alexandrie, mon auteur, le peu de documents biographiques qui sont parvenus jusqu'à nous. J'entrerai ensuite dans le long détail des nombreuses éditions qui en ont été faites, soit dans son texte, soit dans les différentes versions x en latin. Je parlerai des traductions diverses de cet ouvrage dans les langues vulgaires, et notamment des deux traductions françaises, l'une par Claude de Seyssel, et l'autre par Odet-Philippe, sieur Desmares. Je terminerai par quelques réflexions sur le fond de mon travail, et sur les notes que j'ai cru devoir y joindre. Appien, ainsi que l'indique le surnom topologique qui le distingue, était originaire de cette célèbre ville d'Egypte dont Alexandre avait été le fondateur, et qui jeta un si grand éclat sous les Ptolémées qui lui succédèrent dans ce royaume. C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans les dernières lignes de la préface, ou discours préliminaire qu'il a mis à la tête de tous ses ouvrages. Il vint à Rome ; il s'y livra à la profession du barreau, où il paraît qu'il eut occasion de se distinguer, en plaidant devant les tribunaux du premier rang, puisque l'un des empereurs sous lesquels il vécut l'éleva à la dignité de procurateur, et lui confia l'Egypte même, sa patrie, pour la gouverner à ce titre (3). Il résulte de divers endroits de ses écrits, du paragraphe VII de son discours préliminaire (4), de la section XXXVIII de son histoire d'Ibérie (5), de la section L de son histoire de Syrie (6), de la section XXXVIII du premier livre, de la section LXXXVI et XC du second livre des guerres civiles, qu'il vécut sous le règne de Trajan, et sous celui (7) d'Adrien (8). C'est grand dommage que les mémoires historiques xi qu'il paraît qu'Appien avait composés sur sa propre histoire (9) aient été' la proie du temps ; nous y aurions probablement trouvé de quoi satisfaire amplement notre curiosité sur son compte, et de quoi le venger surtout d'un reproche qu'on lui a fait, et dont nous aurons bientôt occasion de parler. Mais au défaut de ce précieux monument, il faut nous borner au petit nombre de faits dont nous trouvons les vestiges dans son discours préliminaire. Au reste, il paraît que cet ouvrage d'Appien était déjà perdu du vivant de Photius et de Suidas ; car ces deux auteurs ne nous apprennent rien de plus que ce qu'on vient de voir, dans ce qu'ils ont dit l'un et l'autre du personnel de cet historien. Le premier de ces deux écrivains, Photius, nous a laissé sur les ouvrages d'Appien des détails beaucoup plus précis, beaucoup plus exacts que ceux que nous a laissés l'autre. Les lecteurs curieux de les connaître les trouveront dans sa Bibliothèque, cod. LVII. Nous remarquerons, à ce sujet, deux difficultés que présente le récit de Photius. La première consiste en ce qu'après avoir donné les différents titres des douze premiers livres du grand ouvrage d'Appien, il arrive à ceux qui contenaient les guerres civiles, et qu'il en porte le nombre à neuf, depuis le treizième jusqu'au vingt-unième inclusivement. La seconde, en ce qu'entrant dans le détail des principaux événements rap- xii portés dans les livres de la guerre civile, sans énumérer une seconde fois le nombre de ces livres, il annonce que les derniers comprenaient l'histoire de la querelle d'Antoine et d'Octave, de la guerre qu'ils s'étaient faite l'un à l'autre, et de l'effusion de sang qui avait eu lieu à cette occasion (10). On sent, en effet, que les cinq livres des guerres civiles, tels qu'ils existent aujourd'hui dans toutes les éditions, s'arrêtant à la catastrophe du jeune Pompée, sans aller jusqu'à la bataille d'Actium et à la mort d'Antoine en Egypte, laissent une lacune considérable dans le plan de l'historien. Il semble donc que l'histoire des guerres civiles devrait contenir plus de cinq livres. Mais ce qui fait l'embarras sur ce point, c'est que le second des deux anonymes dont Schweiglhaeuser rapporte l'extrait parmi ses Testimonia veterum, tom. 3, p. 12, ne mentionne nommément que cinq livres des guerres civiles, ἐπὶ δὲ τούτοις εἰσὶν οἱ ἐπιγραφόμενοι Ῥωμαϊκῶν Ἐμφυλίων πέντε. On ne peut concilier cette discordance, qu'en supposant que Photius comprenait, parmi les livres de la guerre civile, des livres que l'anonyme a classés sous un autre titre. Quoi qu'il en soit, nous ne nous étendrons pas davantage sur ce point de critique', dont la discussion ne présente pas, dans le fond, un intérêt bien considérable. Au surplus, on peut voir avec quel succès le docte Schweighaeuser a débrouillé cette fusée. (11) xiii Avant que d'aller plus loin, il importe de venger Appien d'un grave reproche dont Henri Etienne a été le premier auteur, et qui, trop légèrement accrédité par Joseph Scaliger, s'est propagé, sous l'autorité de ce dictateur de la république des lettres, de manière à acquérir, pendant quelque temps, le poids d'une vérité constante. « Si je pouvais, disait Fontenelle, persuader à six personnes à mon gré qu'il fait nuit en plein midi, je le persuaderais à toute la terre. » II fut un temps où Scaliger n'avait besoin que d'énoncer ses opinions pour les faire admettre comme des oracles. Dans le vaste plan d'histoire romaine qu'Appien s'était tracé, il avait traité les guerres des Romains contre les Parthes. Celte partie de son travail se perdit de bonne heure, ainsi que beaucoup d'autres. Un ancien ami des lettres, en lisant dans les vies de Crassus et d'Antoine, écrites par Plutarque, d'assez amples détails sur les guerres des Romains avec les Parthes, s'imagina d'extraire, dans ce dernier historien de la vie de Crassus et de la vie d'Antoine, ce qui regardait la guerre contre les Parthes, et de faire de cet extrait un corps unique, qui, sous le titre de Ῥωμαϊκῶν Παρθική, Histoire des Romains contre les Parthes, remplirait la lacune existante dans Appien. Ces lambeaux de Plutarque, cousus ensemble, entrèrent depuis dans les manuscrits qui furent faits d'Appien, comme s'ils xiv étaient réellement sortis de sa plume. A la longue, ils se naturalisèrent dans cette famille ; et, à l'époque de la renaissance des lettres, ils se montrèrent investis de tous les droits d'une légitime filiation. Lorsqu'on 1472, Petrus Candidus December entreprit la première version (12) latine d'Appien, il trouva les lambeaux de Plutarque dans le manuscrit de son historien, et il les traduisit, comme lui appartenant, sans aucune défiance. Lorsqu'en 1551, Charles Etienne en donna la première édition en grec, le livre de la guerre des Romains contre les Parthes fut traité avec la même faveur. Lorsqu'en 1554, Cœlius Secundus Curio fit paraître la nouvelle version latine dont Sigismundus Gelenius, déjà mort, était l'auteur, le même traité de la guerre des Romains contre les Parthes se trouva compris dans son travail, sans que le nouveau traducteur se fût aperçu que Plutarque y eût quelque chose à revendiquer. Le premier qui ouvrit les yeux là-dessus fut Guillaume Xylander, le traducteur latin de Dion Cassius, dont la traduction parut en 1557. A l'occasion des détails de la guerre des Romains contre les Parthes, renfermés dans ce dernier historien, Xylander consulta ce que disait Appien sur les mêmes faits ; et ce ne fut pas sans étonnement qu'il remarqua que le texte d'Appien était presque mot à mot le texte de Plutarque dans la vie de Crassus. Il s'en expliqua dans la 129e de ses anno- xv tations. Mais Xylander n'eut garde de porter à ce sujet un jugement téméraire contre Appien, en l'accusant d'avoir mis Plutarque à contribution, et d'avoir été son plagiaire. Xylander devina ce qui était réellement arrivé, que pour réparer la perte du livre d'Appien sur l'histoire des Parthes, quelqu'un avait imaginé d'emprunter de Plutarque de quoi y suppléer autant que possible ; que cet individu avait, à cet effet, réuni deux fragments de ce dernier historien, le premier pris dans la vie de Crassus, le second dans la vie d'Antoine, et que rien ne prouvait mieux la vérité de cette conjecture que la lacune qui avait été laissée dans cette prétendue histoire des Parthes ; car elle ne contient pas les événements qui eurent lieu depuis la mort de Crassus jusqu'à l'époque où les Parthes combattirent contre Ventidius, sous les ordres de Labiénus ; événements dont Appien n'avait certainement pas omis les détails dans ce qu'il avait écrit sur cette guerre (13). Xylander regardait donc comme pseudonyme, et par conséquent comme étrangère à Appien, cette partie de son ouvrage qu'on faisait figurer dans son manuscrit, sous le titre de Ῥωμαϊκῶν Παρθική, Histoire des Parthes contre les Romains. Par on ne sait quelle fatalité, Henri Etienne en jugea tout autrement. Quoiqu'il eût connaissance de l'opinion de Xylander à cet égard, il ne laissa pas de penser qu'Appien n'avait fait que copier Plutarque xvi dans son Histoire Parthique, et, s'il prit à tâche de répandre sur cette partie de l'ouvrage d'Appien un plus grand nombre d'annotations, ce ne fut que dans la vue de rendre plus saillants les plagiats de cet historien (14). Henri Etienne sentit néanmoins que, pour donner de la consistance à ce titre de plagiaire, qu'il voulait imprimer sur le front d'Appien, les plagiats qu'il lui reprochait au sujet de son histoire de la guerre des Parthes n'étaient pas suffisants. Il poussa donc les choses plus loin ; et, appelant les présomptions à son secours, il supposa que si les ouvrages de quelques autres historiens étaient parvenus jusqu'à nous, ainsi que ceux de Plutarque, on y verrait qu'Appien s'était emparé de leur travail, comme il avait fait de celui de l'historien de la vie de Crassus et d'Antoine (15). Ce qu'il y a de fort singulier, c'est qu'après avoir ainsi accusé Appien d'être un plagiaire, il tâche défaire sortir de ce reproche un titre de recommandation en faveur de cet historien, à qui nous avons, dit-il, cette obligation de nous avoir conservé des documents historiques qui, sans lui, auraient été perdus pour nous (16), et à qui nous devons l'avantage de lire plusieurs historiens dans un seul. N'en déplaise à Henri Etienne, Appien ne mérite point d'être traité de plagiaire, sous prétexte qu'il a pris dans les écrivains qui l'ont précédé les matériaux dont il a composé son histoire. Si cela était ainsi, le xvii même reproche pèserait sur la tête de tous les historiens qui ont entrepris d'écrire l'histoire des temps qui les précédèrent. Hérodote, Thucydide, Xénophon, Denys d'Halicarnasse, Polybe, Tilt-Live, Suétone, Dion Cassius seraient également des plagiaires, parce qu'il est évident que ces écrivains ont puisé dans les documents historiques des historiens leurs prédécesseurs tout ce qu'ils nous ont raconté des temps très antérieurs à l'époque où ils écrivirent ; et s'il était défendu d'en user ainsi, sous peine de se voir accuser de plagiat, il faudrait se résoudre À ne composer que . des romans, ou à n'écrire que l'histoire de ce dont on aurait été le témoin. D'un autre côté, si Appien n'était en effet qu'un misérable compilateur, dont l'ouvrage ne fût qu'un tissu de fragments historiques pillés d'un côté et d'autre, la difformité que ce défaut répandrait sur son ouvrage, par la différence de style, de manière, de ton, de couleur, par les fréquentes lacunes qu'on devrait y rencontrer, par la nuance des transitions qui seraient alors de son crû ; cette différence, dis-je, aurait un caractère si sensible, si saillant, qu'elle frapperait tous les yeux. Mais si, au contraire, dans un ouvrage d'aussi longue haleine, tout paraît fondu du même jet, tout paraît être sorti de la même plume, si l'on y remarque d'un bout à l'autre ce style simple, ce ton naturel que Photius a signalés xviii comme le type caractéristique de cet historien (17) ; si tout y marche sur le pied d'une narration uniforme, sans lacune, sans disparate, ce sont autant de preuves qu'Appien a composé de son chef, et qu'il n'a copié personne. Serait-ce, d'ailleurs, parce qu'il a rapporté quelquefois les mêmes, faits que Plutarque, qu'il devrait être regardé comme le plagiaire de ce dernier? Mais, pour donner de la consistance à ce reproche, il faudrait, avant tout œuvre, constater en point de fait, non seulement que Plutarque avait écrit avant Appien, mais encore que ses ouvrages étaient publiés à Rome à l'époque où Appien mit la main à la plume, question chronologique sur laquelle on n'a pas pris la peine de se fixer, ce qui serait peut-être assez difficile. D'un autre côté, lorsqu'Appien raconte les mêmes détails, narre les mêmes faits que Plutarque, c'est, de l'aveu même de Henri Etienne, dans des termes tout-à-fait différents, et néanmoins avec une élégance tellement digne de rivaliser avec celle de Plutarque, que le plus exquis discernement suffit à peine pour choisir entre les deux versions (18). Or, est-il concevable qu'un écrivain qui a dû avoir le sentiment de sus forces, et se juger capable d'avoir un style et une manière à lui (19), se soit dégradé au point de n'être que le copiste de celui dont il ne pouvait se dissimuler qu'il dépendait de lui d'être le rival ? xix Malgré ces considérations péremptoires, Henri Etienne eut d'Appien l'opinion que nous venons de combattre; et sur la foi de son autorité, cet historien fut regardé comme convaincu. Le moyen d'imaginer, en effet, que son docte éditeur l'eût chargé sans bonnes raisons d'une accusation aussi grave, lorsqu'il avait tant d'intérêt à l'en défendre, et que d'ailleurs il avait cherché, avec tant d'adresse, à faire valoir ce qui pouvait le rendre excusable. En conséquence, cette accusation de Henri Etienne fit écho dans la république des lettres, et Appien fut traité pendant quelque temps, sans examen ultérieur, comme un compilateur dont on pouvait signaler les plagiats à chaque page. Joseph Scaliger, ce dictateur littéraire dont les jugements étaient érigés en articles de foi, dont les opinions étaient admises comme des oracles, fut le premier qui, sur la foi de Henri Etienne, répéta ce que ce dernier avait dit d'Appien (20) ; et tous les érudits le répétèrent après lui. Témoin Vossius, dans ses Commentaires sur les Historiens grecs, liv. 2, chap. 13, et dans son Art d'écrire l'histoire, ch. 22. Témoin Fabricius, dans sa Bibliothèque grecque, tome 3, p. 398. Cependant, comme il est de la nature de l'erreur de n'avoir qu'un temps, et de faire place tôt ou tard à la vérité, des érudits plus circonspects, re- xx virent les pièces de ce procès avec une nouvelle attention. Ils lurent, ils examinèrent, ils virent de leurs propres yeux; et regardant l'opinion de Henri Etienne comme un jugement téméraire contre un écrivain qui ne méritait pas la flétrissure qu'il lui avait imprimée, ils lui rendirent la même justice que Xylander lui avait rendue. Le premier qui en donna l'exemple fut le savant Freinshémius, dans une de ses annotations sur le chapitre X du liv. IV de Florus, qui traite de la guerre d'Antoine contre les Parthes. En citant le ch. LV de la Vie d'Antoine par Plutarque, Freinshémius cite en même temps l'histoire de la guerre des Romains contre les Parthes, faussement attribuée à Appien, et il s'en explique en ces termes : Plutarchus tamen Antonio, cap. LV, et exscriptor ejus, qui Appiani nomine circumfertur (cum Appianus Plutarchi cocetaneus, ne si voluisset quidem furta tant insignia potuisset impune facere), etc. François Baudoin, dans son ouvrage de Institutions historiœ, lib. I, p. 87, a rendu à Appien la même justice que Freinshémius. Le gendre de Fabricius, Herm. Samuel Reimarus, dans la belle édition du Dion Cassius que nous lui devons, a combattu lui-même l'erreur de son beau-père, au lieu de la propager. Il a eu occasion, dans sa préface, de venger aussi Dion Cassius du même reproche de plagiat que certains écrivains ont dirigé contre lui; et cette controverse xxi l'ayant amené à faire usage du passage de Xylander touchant Appien, « Rien n'est plus judicieux, a-t-il dit, que ces réflexions; et quant à moi, je ne doute point que ce ne soit un copiste qui ait imaginé de faire disparaître la mutilation d'Appien en ce qui concernait la guerre des Parthes, aux dépens du propre texte de Plutarque, dans la vue de vendre plus cher son Appien plus entier, à la faveur d'une lucrative supercherie (21). » Harles, le savant éditeur de la dernière édition de la Bibliothèque grecque de Fabricius, a embrassé le même sentiment. Voyez sa dernière note sur Appien, Biblioth. grœc. Fabric. tom. V p. 254. Struvius, dans sa Bibliotheca historica, t. IV, édit. de 1788, s'est également rangé à cette opinion. Erant olim, dit-il, qui Appianum tanquam plagiarium, jucumque alienorum laborum (c'était l'expression de Scaliger) vituperarent, potissimum hanc ob causam quia Parthica, a Plutarcho mutuatus fuerit. Sed recentissimus ejus editor Schweighœuserus, demonstrat Parthica, ista opusculum esse futile ab Appiano minime elaboratum, sed illi suppositum, p. 179. On s'attend bien que le nouvel éditeur d'Appien, le docte Schweighaeuser, à qui je suis redevable des matériaux que je viens de mettre en œuvre, est entré vigoureusement en lice à cet égard, et qu'il a rompu des lances en faveur de son historien. Afin d'abréger, xxii je n'entrerai pas dans le détail des arguments, ions également péremptoires, avec lesquels il a battu en ruine l'indiscrète accusation de Henri Etienne. Je me contenterai de renvoyer le lecteur, aux yeux duquel cette discussion pourrait avoir quelque intérêt, au fragment ex professo, dont Schweighœuser a enrichi son édition, à la fin du troisième volume, p. 305 et suiv., sous ce titre : Ad historiam Parthicam Appiano temere trïbutam adnotatio; ainsi qu'à la première de ses dissertations sur cet historien, sect. VI, §. V, p. 58 et suiv. ; et j'espère qu'entraîné par l'évidence de la démonstration qui en résulte, on regardera comme constant ce que Xylander n'avait présenté que sous l'aspect d'une simple conjecture. Passons actuellement à l'historique des versions latines, et des diverses éditions de notre auteur. A l'époque de la renaissance des lettres, Appien eut l'honneur d'être un des premiers auteurs grecs dont on entreprit la traduction (22). Il eut de commun avec Maxime de Tyr, philosophe platonicien, dont j'ai publié il y a cinq ans une traduction nouvelle, de paraitre dans une version latine longtemps avant que de voir le jour en original (23). Ce fut, en effet, en 1472 que Petrus Candidus December en publia à Venise la première traduction dans cette langue. Elle parut en deux parties, dont la première contenait la préface ou le discours préliminaire d'Appien, xxiii ses livres de l'Histoire des guerres des Romains en Libye, en Syrie, celui des guerres contre Mithridate, et, avant ce dernier le livre, pseudonyme de la guerre contre les Parthes. La seconde renfermait les cinq livres des guerres civiles, celui des guerres en Illyrie, et un abrégé de celui des guerres contre les Gaulois. La première partie de cette traduction, qui, par on ne sait quel événement, ne parut qu'après l'autre, était dédiée au souverain pontife Nicolas V (24), ce qui suppose que le traducteur l'avait achevée avant 1455. La seconde était dédiée à Alphonse, roi d'Aragon et des Deux-Siciles, ce qui est une preuve qu'elle était terminée avant l'an 1458 (25). Soit que Candidus ne fût pas grandement versé dans l'intelligence de la langue grecque, à une époque où les lettres sortaient à peine du long sommeil où le barbare concours de plusieurs circonstances les a voit plongées ; soit que le manuscrit sur lequel il travailla se ressentît, comme de raison, de la rouille des siècles d'ignorance au travers desquels il avait passé, sa version se ressentit beaucoup elle-même de l'influence de ces deux causes d'inexactitude et d'imperfection. Henri Etienne reproche à cette traduction, non seulement d'être difforme et grossière, mais encore d'être tellement infidèle, (ita infidelem) ut multa non vertere, sed pervertere dicenda sit (26). Schweigliœuser en porte le même jugement à peu près. C'est en vain xxiv qu'un passage qu'il rapporte de l'épître dédicatoire de Candidus à Alphonse semble promettre quelque mérite dans sa traduction ; « non seulement, dit-il, Candidus est tombé dans un nombre infini de contre-sens, et s'est souvent perdu dans un galimatias inintelligible ; mais encore il paraît évidement qu'en beaucoup d'endroits il n'a su, ni ce qu'il disait, ni ce qu'il avait à dire, pour rendre le sens d'Appien (27). » A la vérité, ce dernier éditeur d'Appien excuse Candidus à la faveur des deux considérations que je viens de présenter, fondées, l'une sur l'enfance de l'étude de la langue grecque, et l'autre sur la rouille des manuscrits. Schweighaeuser place ici un fait qu'il dit tenir de Jacques Morel, bibliothécaire de la bibliothèque de Saint-Marc à Venise : c'est que François Philelphe, honteux de voir un des premiers historiographes de l'antiquité si horriblement traduit en latin, avait entrepris une nouvelle traduction de ses ouvrages ; ce qui résulte d'une lettre adressée par ce Philelphe à Frédéric, comte d'Urbin; et que ce même Philelphe, dans une autre lettre adressée à François Aretin., le 30 novembre 1470 annonçait à son ami. qu'il était sur le point de terminer ce travail. Il l'acheva en effet, s'il faut en croire ce qu'en rapporte N. Ange Venusinus, qui, dans la Vie de Philelphe, mentionnant les ouvrages qu'il avait laissés, s'exprime ainsi : xxv « Nous avons chaque jour entre les mains les auteurs grecs qu'il a traduits en latin ; car il a fait de fort bonnes traductions d'Appien, de Dion Cassius de Nicée, et de Diodore de Sicile (28).» Mais, par on ne sait quelle fatalité, cette traduction que l'on croit, avec grande apparence, avoir été très supérieure à celle de Candidus, ne vit pas le jour. On ignore même si le manuscrit qui la renfermait existe aujourd'hui quelque part : tandis que celle de Candidus obtint d'abord tant de succès, que des copistes, la plume à la main, s'empressèrent d'en multiplier les exemplaires (29); car, à cette époque, l'imprimerie n'était pas encore inventée. Livrée ensuite, pour la première fois, à l'impression (30), en 1472, on en fit une édition magnifique à Venise, en 1477 ; et depuis, elle fut réimprimée au moins neuf ibis, soit en Italie, soit en France, soit en Allemagne (31). On ne demandera pas, sans doute, comment Philelphe, avant 1470, car c'est la date de ses lettres où il parle de sa version d'Appien, eut connaissance de celle de Candidus, qui ne fut imprimée que deux ans après, en 1472. On a déjà vu, par la date de ses épîtres dédicatoires, que sa traduction fut achevée avant l'an 1458 ; et nous venons de dire, tout à l'heure, que plusieurs années avant sa première édition, elle avait circulé, dans des exemplaires manuscrits. Or il est apparent que Philelphe s'était xxvi procuré quelqu'un de ces exemplaires. Quelque défectueuse, quelque infidèle que soit la version de Candidus, elle ne laisse pas d'avoir quelque prix, sous un certain point de vue, que Schweighaeuser a très judicieusement aperçu. Les incorrections, les infidélités dont elle fourmille, offrent quelquefois l'avantage de présenter des vestiges du matériel de la phrase grecque que Candidus a voulu traduire ; fit plus d'une fois ces vestiges mettent sur la voie de la véritable leçon du texte du manuscrit sur lequel Candidus a travaillé ; leçon souvent préférable à celle des manuscrits postérieurement découverts. Ce ne fut que vers le milieu du seizième siècle, en 1551, qu'Appien fut pour la première fois imprimé en grec. Quoiqu'il paraisse, par le frontispice de cette édition, qu'elle était l'ouvrage de Charles Etienne seul, Robert son frère y eut autant de part que lui, du moins s'il faut en croire le témoignage de Henri Etienne, fils de Robert, qui revendiqua les droits de son père à cet égard, dans la préface qu'il mit à la tête de la nouvelle édition qu'il donna lui-même de cet historien. Schweighaeuser entre dans beaucoup de détails au. sujet de cette édition. Il a remarqué que les Etienne ( en supposant que les deux frères aient coopéré à ce travail ) se servirent, pour faire le texte grec d'Appien, de deux manuscrits de la bi- xxvii bliothèque du roi, qu'il distingue, le premier par le titre de manuscrit de Fontainebleau, n° 1681, et le second par le titre de manuscrit de Colbert, n° 1682. Selon lui, ces manuscrits sont d'une date très récente. Ils ne paraissent pas remonter au-dessus du seizième siècle. L'un est l'ouvrage d'une assez bonne main, et le copiste paraît s'être piqué de quelque attention et de quelque soin, mais avoir travaillé sur un manuscrit singulièrement altéré. Dans l'autre on remarque une main sans grâce, et des négligences qui attestent la rapidité de son allure. Il en résulte que ces deux manuscrits fourmillent de fautes et de lacunes, d'où il paraît qu'ils sont émanés l'un et l'autre d'un même exemplaire, qui n'était recommandable, ni sous le rapport de l'ancienneté, ni sous celui de la fidélité et de l'exactitude. Les défectuosités de ces manuscrits, elles circonstances critiques où se trouvaient personnellement placés les deux Etienne (3a) à l'époque où ils travaillaient à cette- édition, contribuèrent également à la rendre moins digne de la réputation de ses auteurs. Ils eurent beau mettre ces deux manuscrits alternativement à contribution ; en vain même, lorsqu'ils furent mécontents de la leçon qu'ils leur présentaient, ils cherchèrent à s'aider de la version latine de Candidus ; vainement encore ils s'effor- xxviii cèrent quelquefois de suppléer aux vices qu'ils rencontraient, par les conjectures plus ou moins heureuses que leur suggérait leur profonde connaissance de la langue grecque; leur travail, malgré tant d'efforts, ne laissa pas de demeurer très imparfait; et ce qu'il y a de remarquable, c'est que depuis cette édition, aucun des éditeurs subséquents, jusqu'à Schweighœuser, ne s'avisa de songer à améliorer le texte d'Appien à l'aide de nouveaux manuscrits. Cette édition, du reste, ne contenoit à peu près des ouvrages d'Appien que ce qui en était contenu dans celle de Candidus. Appien ne faisait que de paraître en grec, lorsqu'un homme de lettres également versé dans la langue grecque et dans la langue latine, non moins habile critique que profond dans la connaissance de l'histoire romaine, Sigismond Geslen, en entreprit une nouvelle traduction latine. Ce ne fut pas la tâche d'un interprète servile que Geslen se proposa de remplir et qu'il remplit en effet. Guidé par le flambeau de la critique, il attaqua souvent les vices dont le texte lui paraissait infecté, et leur appliquant assez communément d'heureuses corrections, il fit disparaître un grand nombre de ces difformités par lesquelles l'édition des Etienne était déparée. Les nombreux contre-sens où le premier traducteur était tombé firent place à l'expression claire et fi- xxiv dèle- de la pensée de l'historien. Celte traduction de Geslen ne parut qu'après sa mort, à Baie, en 1554, petit in-folio. Cœlius Secundus Curio en fut l'éditeur. Il y joignit une version de sa façon, de l'Histoire d'Appien des guerres des Romains en Ibérie, qui paraissait pour la première fois. Il y fit entrer également la traduction de l'Histoire des guerres des Romains en Illyrie, qu'il emprunta de la traduction de Candidus. Henri Etienne, à son retour d'un voyage qu'il avait fait en Italie, s'arrêta à Genève en 1557, et y donna une édition en grec de quelques Excerpta de Ctésias, d'Agatharchide et de Memnon, auxquels il joignit deux ouvrages inédits d'Appien, l'Histoire des guerres des Romains en Ibérie, et l'Histoire des guerres contre Annibal. Ces deux morceaux de notre auteur, qui n'existaient point dans l'édition de Paris faite par son père et par son oncle, il les avait trouvés dans un manuscrit qu'il avait apporté d'Italie (33). Mais ce manuscrit était tellement mutilé, tellement fautif, que dans une de ses castigations, p. 235, Henri Etienne remarque qu'il semble que le misérable copiste dont il est l'ouvrage ait pris à lâche de défigurer le texte de dessein prémédité. Bientôt de nouveaux suppléments vinrent grossir la collection des ouvrages d'Appien. L'empereur Constantin Porphyrogénète avait fait extraire des xxx fragments de Polybe, et des autres historiens romains, sous le titre de ἐκλόγαι περὶ πρεσβείων. Fulvius Ursinus voulut donner une édition de cet ouvrage, à Anvers, chez Chr. Plantin. Ursinus ayant remarqué dans son manuscrit que les fragments de cette collection qui appartenaient à Appien étaient pris de ses neuf premiers livres, il se contenta d'imprimer ceux de ces fragments empruntés à des livres d'Appien qui n'avoient point et qui n'ont point encore vu le jour. Ursinus ajouta beaucoup de notes, destinées, les unes à comparer le récit d'Appien avec celui des autres historiens, les autres à corriger et à épurer le texte. Mais comme Ursinus n'avait point bougé de Rome où il était établi, tandis qu'on imprimait son livre à une si grande distance, à Anvers, il en résulta que le prote de l'imprimerie de Plantin se permit d'insérer dans le texte des leçons différentes de celles du manuscrit envoyé par l'éditeur, ce qui produit en quelques endroits de singulières disparates entre le texte et les notes. Cette édition fut publiée in-4° en 1580. II y avait déjà près de quarante ans que la première édition grecque d'Appien avait paru à Paris, par les soins communs de Robert et de Charles Etienne, lorsque l'illustre héritier de leurs talents et de leur gloire, Henri Etienne, en donna à Genève une nouvelle édition en grec et en latin ; plus complète que la pré- xxxi cédente. Elle vit le jour en 1592. Aux ouvrages d'Appien, contenus dans l'édition de Paris, Henri Etienne ajouta les deux livres qu'il avait imprimés séparément à Genève en 1557 ; savoir l'Histoire des guerres des Romains en Ibérie, et celle des guerres contre Annibal. Avec le grec il imprima la version latine de Geslen, dont nous avons déjà fait l'éloge. Il ne voulut point de celle que Cœlius Secundus Curio avait faite du livre de l'Histoire des guerres des Romains en Ibérie. Il la jugea trop infidèle en beaucoup d'endroits. Il chargea donc François Bérauld [ Franciscum Beraldum (34) ] de lui faire une nouvelle version latine de ce livre, et de lui traduire en même temps le livre des guerres des Romains contre Annibal, dont il n'existait point encore de version. Au fragment des guerres des Romains en Illyrie, il appliqua la version que Candidus en avait faite, de manière que la version latine de cette édition appartenait à trois différents traducteurs. Henri Etienne ne fit point entrer dans son travail le recueil des variae lectiones, qui avait fait partie de celui de son père et de son oncle. Il n'en fit même aucune mention. Mais il y suppléa très amplement par de nombreuses annotations de son crû, sous le litre de Henrici Stephani Annotationes in Appiani lïbrum de rebus a Romanis in Hispania gestis, in lïbrum de bellis Annibalicis, in lïbrum de bellis à Romanis adversus Parthos gestis, in concione per Appiani libros spar xxxii sas. Ce n'est pas que Henri Étienne eût découvert quelque nouveau manuscrit, à l'aide duquel il lui fût possible de purger l'édition de Paris, et la sienne de Genève, des fautes qui y abondaient. C'était par des corrections, des émendations, des conjectures de sa façon, qu'il a voit entrepris cette grande tâche ; et certes la profondeur avec laquelle il était versé dans la langue grecque lui servit avec tant de succès, que ce ne fut pas sans juste raison, qu'il annonça dans sa préface qu'Appien sortait de ses presses beaucoup plus pur qu'il n'avait paru jusqu'alors. Néanmoins cette édition ne contenait d'Appien rien qui n'eût déjà vu le jour. Sept ans après, en 1599, David Hoeschélius publia, pour la première fois, le livre des guerres des Romains en lllyrie, dont jusqu'alors on n'avait possédé que des fragments. Il le trouva dans un manuscrit de la bibliothèque d'Augsbourg : manuscrit précieux dont nous aurons occasion, un peu. plus bas, de parler plus amplement. Schweighseuser nous apprend qu'il a eu à sa disposition le même manuscrit dont Hœschélius s'était servi pour donner au public cette édition, et qu'en le parcourant avec une soigneuse attention, il est parvenu à corriger, dans le texte de cet éditeur, quelques unes de ces fautes qui échappent toujours en pareil cas, avec quelque soin qu'on se tienne sur ses gardes (35). Dans le dix-septième siècle, en 1634, Henri de xxxiii Valois, un des érudits de cette époque, publia à Paris, sur la recommandation de Peiresc, son ami, de nouveaux fragments d'Appien, qui se trouvèrent dans un manuscrit ayant pour titre : Ἐκλόγαι περὶ ἀρετῆς καὶ κακίας. Au fonds de l'ouvrage près, c'était le second volume de celui dont nous avons parlé ci-dessus, qui avait été exécuté par les ordres de Constantin Porphyrogénète. On y avait compilé les traits les plus mémorables sous le rapport de la vertu et du vice, épars dans les écrits de Polybe, et dans ceux des autres historiens romains. Henri de Valois ne donna au public, comme de raison, que les morceaux d'Appien encore inédits (36).Il y joignit une traduction latine et des notes de sa façon. Ce fut le dernier accessoire qui vint grossir le volume de notre historien. Les libraires Waesberg et Someren donnèrent une nouvelle édition d'Appien, grec et latin, in-8°., à Amsterdam, en 1670. Cette édition entre dans la collection des Variorum. Elle n'est guère qu'une copie de celle de Henri Etienne. Quoiqu'on lise sur le frontispice qu'Alexandre Tollius a corrigé et épuré l'un et l'autre texte ( utrumque textum multis in locis.emendavit et correxit ), cela ne doit être entendu, suivant Schweighaeuser, que dans ce sens, c'est que les libraires chargèrent Tollius de voir et de corriger las épreuves pendant l'impression. Ce qui démontre que ce fut en effet à cette médiocre fonction que se borna, xxxiv la tâche de Tollius, c'est que, fidèle au plan des libraires, qui était de ne faire que copier l'édition de Henri Etienne, Tollius a conservé avec une sorte de respect religieux les fautes même qui existent dans celte dernière, sans compter celles qui lui sont échappées pour son propre compte. Tollius a déclaré, sur le frontispice, qu'il avait enrichi son édition des annotations de Henri Etienne, et de celles de quelques autres érudits, Henrici Stephani ac doctorum quorumdam virorum selectas adnotationes adjecit. En le louant d'avoir placé ces annotations chacune au-dessous du passage sur lequel elle est destinée à répandre de la lumière, Schweighaeuser l'a blâmé, avec raison, de n'avoir pas eu le soin de marquer le nom de celui auquel l'annotation appartenait. Mais il a eu tort peut-être de l'accuser, comme il le fait, d'avoir eu pour but de s'approprier, par cette adroite réticence, l'honneur de plusieurs de ces monuments d'érudition, et d'à voir eu l'ambition, à l'exemple du geai de la fable, gloriari alienis bonis. C'est pousser la sévérité un peu loin. C'était bien assez de lui faire un grave reproche d'inexactitude ; et s'il est en effet arrivé à Schweighaeuser de rencontrer des annotations de cette édition. d'Appien attribuées à Tolhus, tandis qu'il les reconnaissait pour appartenir à Jac. Palmerius, à Janus Rutgersius, à Jos. Scaliger, à Sam. Bochart, ou à d'autres, Tollius n'en est peut-être pas responsable (37). xxxv Quoi qu'il en soit, ces éditeurs, faute d'avoir eu connaissance du livre des guerres des Romains en Illyrie, publié en entier soixante-dix ans auparavant par David Hœschélius, ne donnèrent en grec que le fragment de ce livre, tel qu'il avait été imprimé dans l'édition de Henri Etienne. On ne trouve pas non plus dans leur édition les fragments sur les ambassades, excerpta de legationibus, donnés au public, à Anvers, chez Plantin, en 1582, par les soins de Fulvius Ursinus, Elle ne contient de plus que celle de Henri Etienne, nulle autre chose que les fragments mis au jour par Henri de Valois et ses annotations; sans néanmoins que Tollius ait indiqué la source dans laquelle il avait puisé cet accessoire. Ce qui sert à prouver du moins que ces défauts d'indication n'étaient de sa part que de simples inadvertances. On eût dit qu'après l'édition de Tollius il ne restait plus rien à faire sur Appien. Personne en effet, pendant un siècle entier, ne parut songer à un nouveau travail sur cet historien. Cependant Samuel Musgrave, ce savant helléniste anglais, qui s'est immortalisé par ses doctes élucubrations sur Euripide, forma le projet de donner une nouvelle édition d'Appien. Il communiqua ce projet à Brunck, célèbre helléniste de Strasbourg, vers 1780, et le pria de lui procurer, par tous les moyens possibles, la collection des Variae Iectiones d'Appien, par la collation du texte xxxvi imprimé avec le texte du manuscrit dont Hœschélius s'était servi pour publier l'Histoire des guerres des Romains en Illyrie. Il fut impossible à Brunck de se charger de ce travail : mais il le proposa à Schweighaeuser qui l'entreprit volontiers. Le manuscrit en question fut confié à Schweighseuser par les magistrats de la ville d'Augsbourg, avec des procédés qui attestaient leur zèle pour les intérêts de la république des lettres. Schweighseuser mit la main à l'œuvre avec d'autant plus d'activité et d'ardeur, qu'il comptait rendre un service signalé au savant Musgrave. Il collationna donc le texte grec de l'édition de Henri Etienne à celui de ce manuscrit, et il ne tarda pas à s'apercevoir du mérite et de la supériorité de cet exemplaire sur ceux qui avoient déjà été mis à contribution. Schweighœuser s'empressa de rendre compte de cette importante découverte à Musgrave. Il lui marqua que ce manuscrit seul lui fournirait une ample moisson de leçons heureuses qui amélioreraient singulièrement le texte de son historien. Schweighœuser reçut, contre son attente, une réponse du savant Anglais, dont voici la substance, telle qu'il l'a consignée dans sa préface, page 18. « Ce n'était que dans le lointain que j'avais jeté le projet de donner une nouvelle édition d'Appien. Je n'avais encore rien recueilli à cet égard dans d'autres manuscrits. Je n'avais que quelques correc- xxxvii tions de conjectures imaginées au courant de la lecture de cet écrivain. Depuis quelques mois mes forces physiques se sont tellement affaiblies, que je me vois forcé de renoncer à cette entreprise. Mais vous, puisque vous avez entre les mains ce manuscrit que vous regardez comme si propre à épurer le texte de cet historien, et que d'ailleurs votre goût pour un travail de ce genre paraît concourir avec votre capacité et votre intelligence, je vous exhorte, je vous invite à l'entreprendre vous-même. Si vous ne dédaignez pas l'offre que j'ai l'honneur de vous en faire, je vous transmettrai avec le plus grand plaisir toutes les émendations dont l'idée m'était passée par la tête, en lisant cet historien ; et vous en ferez tel usage que bon vous semblera. » Schweighœuser regretta beaucoup qu'Appien fût abandonné par un éditeur aussi recommandable que Musgrave. Docile à son invitation, et comptant d'ailleurs sur les secours de tout genre que pouvait lui donner, dans une entreprise de cette importance, un homme qui avait déjà fait de si grandes preuves de sagacité dans la correction des auteurs grecs, et de profondeur dans l'intelligence de cette langue, Schweighaeuser se décida en effet à le remplacer. Mais il eut le malheur de se voir bientôt enlever la meilleure partie des ressources qu'il s'était flatté de trouver dans les lumières de cet illustre helléniste. Il écrivit à Mus- xxxviii grave, que, plein de confiance dans ses bons offices et dans ses secours, il se chargeront de l'entreprise. Une main étrangère répondit à Schweighaeuser que la mort venoit d'enlever à la république des lettres un de ses membres les plus distingués. Au regret de cette perte se joignit bientôt une alarme d'un autre genre. Schweighœuser s'adressa à Tyrwith, ami de Musgrave, et savant helléniste lui-même, pour lui demander les émendations manuscrites de Musgrave sur Appien, que l'auteur lui avait promises de son vivant. Tyrwith lui répondit qu'en exécution du testament du défunt on avait brûlé tous ses papiers manuscrits, hors ceux qu'il avait spécialement exceptés, parmi lesquels il n'existait pas la moindre chose qui eût Irait à Appien, et que dans sa bibliothèque on n'avait trouvé aucun exemplaire d'Appien à la marge duquel il eût écrit des émendations. Mais deux ans après la mort de Musgrave, une main qui ne se fit pas connaître, et que Schweighœuser suppose avec grande apparence de raison avoir été celle de Tyrwith, lui adressa de Londres un exemplaire d'Appien, édition de Charles Etienne, avec les notes marginales de Musgrave. Sur des feuilles détachées étaient les émendations du même critique sur ceux des ouvrages de cet historien qui n'étaient pas compris dans l'édition de Charles Etienne; et ces feuilles étaient accompagnées du brouillon d'une lettre adressée à xxxix Schweighseuser, que Musgrave avait couchée sur le papier, le 26 juin 1780, quelques jours avant sa mort, dans laquelle il lui marquait qu'il lui faisait cadeau de ce fruit de ses veilles. En promettant à Musgrave de donner à sa place une nouvelle édition d'Appien, Schweighseuser s'était mis en mesure de se procurer beaucoup de matériaux destinés à ce travail. Les grandes ressources qu'il attendait de cet illustre helléniste lui manquaient. Il se flatta d'y suppléer autant que possible, à force de soins, d'attention, de zèle et de recherches. Il s'aida d'ailleurs des secours de quelques autres hellénistes. Ce n'est pas encore ici le lieu de dire avec quel succès Sclnveighseuser a rempli sou but, et bien mérité en même temps de la république des lettres. Il sentit d'abord que le premier soin, l'objet fondamental du nouvel éditeur d'Appien, devait être de purger le texte d'une multitude de lacunes et de leçons vicieuses qui le déparaient ; et qu'à cet effet, c'était dans des manuscrits meilleurs que ceux qui a voient servi jusqu'alors, qu'il fallait puiser. En conséquence il se livra avec un nouveau zèle à la collation du texte imprimé de son auteur, sur le texte de ce manuscrit de la bibliothèque d'Augsbourg, dont il avait déjà reconnu le mérite. Je dois laisser Schweighseuser faire ici lui-même la description de ce précieux manuscrit. Est autem hic codex spissum volumen majoris fori- xl mae : charta bombycina, nitidissima. Scriptura perspicua, elegans, raris utens scribendi compendiis. Ceterum nec antiquitas maxime hunc codicem commendat, quippe cujus aetas non videtur ultra XV sœculum adscendere, nec eruditio librarii qui haud obscura imperitiae suae documenta passim prodidit. Sed exprobato admodum exemplari magna fide ac diligentia fuisse descriptum, ostendit probarum lectionum multitude, quarum ope infinita Appiani loca, vulgo depravata, integritati suœ restituere, et plurituas lacunas, ubi vel singula verba, vel plura etiam desiderabantur, explere nobis licuit : quo accedit singularis quœdam in distinguendis membres orationis ἀκρίβεια., quac una saepe nos adjuvit, ut obscurissima vulgo loca et prope desperata, ne ullam quidem verbis mutationem adferendo clara in luce ponere potuerimus. Praef. Edit. p. 21. Ce manuscrit contient, d'ailleurs, les mêmes ouvrages d'Appien que renfermait celui sur lequel Candidus fit sa traduction, à l'exception seulement de l'épitomé des guerres des Romains contre les Gaulois. Le nouvel éditeur de cet historien ne sait donner assez d'éloges aux chefs de la bibliothèque d'Augsbourg, et notamment à celui d'entre eux qu'il nomme, le savant Mertensius, qui non seulement ont daigné le lui confier, mais encore l'ont laissé entre ses mains jusqu'à ce que la nouvelle édition d'Appien ait xli été achevée. Il en est résulté pour Schweighacuser cet avantage considérable, qu'ayant été à portée de consulter et de reconsulter ce manuscrit toutes les fois qu'il en a eu besoin, il y a continuellement puisé de bonnes leçons qui lui étaient échappées dans les précédentes lectures. Schweighseuser vint consulter à Paris les deux manuscrits de la bibliothèque du roi, à l'aide desquels Charles Etienne avait publié la première édition du texte grec. Il désigne ces deux manuscrits, l'un par Reg. A, et l'autre par Reg. B. Il y en trouva un troisième qu'il désigne par Reg. C. Mais ce dernier ne contenait que des fragments des livres des guerres civiles. On peut voir ce qu'il en dit dans une préface à la tête du second volume de son édition. Il n'avait trouvé ni dans le manuscrit d'Augsbourg, ni dans ceux de la bibliothèque du roi, les deux ouvrages d'Appien, l'histoire des guerres des Romains en Ibérie, et celle des guerres des Romains contre Annibal, que Henri Etienne avoit imprimés à Genève sur l'informe manuscrit qu'Arlénius lui avait donné. Le savant Bandini lui avait appris, dans son catalogue des manuscrits grecs de la bibliothèque de Florence, que ces deux ouvrages d'Appien existaient dans un manuscrit de cette bibliothèque, très net, et parfaitement conservé. Schweighœuser s'adressa donc à ce docte bibliothécaire, qui lui offrit ses services de la meil- xlii leure grâce du monde. Il fit agir en même temps, pour le même objet, l'intendant de sa province, M. de Gérard, qui, par le canal du comte de Vegennes, fit recommander au comte de Pacolomini, ministre du grand-duc, la commission de Schweighœuser auprès de Bandini, bibliothécaire de son altesse royale. Bandini s'en acquitta avec un zèle et une exactitude vraiment louable ; et il marqua très exactement à la marge de l'exemplaire de l'édition de Henri Etienne, que Schweighceuser lui avait envoyé à Florence, les variantes que lui présenta le manuscrit en question. Sur son invitation, il compulsa en même temps deux autres manuscrits du même historien, mentionnés dans son catalogue ; mais il n'y recueillit rien de neuf. A cette époque, un des célèbres hellénistes dont la France regrette aujourd'hui la perte, Villoison, étoit à Venise pour y faire sa cour aux muses grecques. Il transmit à Schweighœuser une notice des deux manuscrits d'Appien qui existaient dans cette ville. L'un était dans la bibliothèque des Dominicains ; il avait été copié sur la fin du quinzième siècle, par César Strategus. Schweighseuser reconnut que c'était le même dont le savant Montfaucon avait parlé dans sa Palaiographie grecque, p. 8, coll. p. 96. L'autre, qui appartenait à la bibliothèque de Saint-Marc, lui parut de la même famille que celui d'Augsbourg, et que xliii celui sur lequel Candidus avait travaillé : car il contenait identiquement les mêmes livres d'Appien, et ils y étaient disposés dans le même ordre. Ce ne fut pas seulement par les bons offices de Villoison que Schweighœuser mil à contribution les manuscrits de Venise. Il paye, à cet égard, un nouveau tribut de reconnaissance à Joseph Paul Blessing, citoyen d'Ulm, qui, établi pour quelques années à Venise, voulut bien, sur la recommandation de Schnurrer, son ancien professeur à l'université de Tubingen, et ami de Schweighœuser, consacrer une partie de son temps à collationner le texte grec de Tollius au manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc ; et à cette occasion Schweighœuser s'acquitte également envers Jacques Morel, bibliothécaire de Saint-Marc, qui daigna aider Blessing avec beaucoup d'intérêt dans les commencements de son travail. A l'époque où Schweighœuser était entré en correspondance avec Bandini, au sujet des manuscrits de la bibliothèque de Florence, ce dernier était allé faire un voyage à Rome. Il en profita pour adresser à Schweighœuser un index des manuscrits de la bibliothèque du Vatican, concernant son historien. Cet index, Schweighœuser en était redevable aux bons offices de Joseph Spalletti, érudit du premier ordre, qui s'est fait un nom dans la république des lettres, par la magnifique édition qu'il a donnée d'Anacréon, xliv d'après les manuscrits de la bibliothèque du Vatican. Schweighoeuser apprit par cet index qu'il existait dans la bibliothèque du Vatican un manuscrit en parchemin, num. CXII, ayant l'air d'avoir été fait dans le courant du treizième siècle, et contenant, outre la préface d'Appien, ses trois livres des guerres des Romains en Ibérie, des guerres contre Annibal et des guerres Puniques. Ce manuscrit paraissait être le plus ancien de tous ceux que Schweighoeuser connaissait. Il contenait les deux livres d'Appien les plus rares, l'histoire des guerres des Romains en Ibérie et des guerres des Romains contre Annibal. Il eut donc le désir le plus vif de le faire collationner, et d'en extraire les variae lectiones. Le manuscrit de la même bibliothèque, tracé sur papier de soie, sous n° CXXXIV, qui contenait les mêmes livres d'Appien que le manuscrit d'Augsbourg et de la bibliothèque de Saint-Marc, et dans le même ordre, contenait également dans son entier le livre des guerres des Romains en Illyrie. Spalletti pensait que ce manuscrit étoit du quatorzième siècle. Le nouvel éditeur d'Appien désirait donc également de faire collationner à ce manuscrit l'édition de ce livre donnée par Hœschélius. Il crut pouvoir profiter d'une heureuse commodité qui se présenta sans qu'il s'y attendît. André Birchius, de Copenhague, s'était rendu de Goettingue à Rome, pour y mettre à contribution les manuscrits du Nouveau Testament. Le savant Heyne, ami de Schweig- xlv haeuser, avait prié Birchius de prêter ses bons offices à Schweighseuser. Birchius se chargea clé la commission avec plaisir ; mais il arriva quelque chose de fort singulier, c'est qu'en lui permettant l'usage le plus ample de tous les manuscrits de cette célèbre bibliothèque, on refusa de lui permettre de compulser aucun des manuscrits d'Appien (38). Pour faire lever cet obstacle, Schweighseuser sentit qu'il fallait avoir recours aux puissances. Il s'adressa donc de nouveau à l'intendant de sa province, qui, par l'intermédiaire du comte de Vergennes, fit agir à Rome l'illustre cardinal de Bernis, l'Anacréon de la France. Spalletti écrivit alors directement à Schweighaeuser, pour lui dire qu'à l'exception du manuscrit num. CXXXIV, sur lequel il avait personnellement entrepris un travail important, il mettait tous les autres à sa disposition. Il commença par lui transmettre une notice des manuscrits d'Appien existants dans la bibliothèque du Vatican, plus étendue que celle du premier index. Il prit ensuite lui-même la peine de collationner l'édition de l'Appien de Henri Etienne, au manuscrit en parchemin ci-dessus mentionné, de marquer avec soin toutes les variantes relatives aux livres concernant les guerres des Romains en Ibérie, les guerres contre Annibal, les guerres Puniques, et même l'épitomé du livre des guerres contre les Gaulois ; et, sur le manuscrit xlvi même qu'il s'était réservé, il collationna le livre des guerres des Romains contre Mithridate. Pendant que Spalletli s'occupait de ce travail, Birchius travaillait de son côté à collationner à un autre manuscrit les livres des guerres en Ibérie et des guerres contre Annibal. Mais les résultats n'en furent pas bien importants. Sur un manuscrit de Photius, Birchius collationna en même temps le passage de ce philologue, que Schweighseuser a placé à la tête de son troisième volume ; et Spallelti lui procura d'un autre côté le témoignage d'un auteur anonyme sur Appien, que le nouvel éditeur a fait imprimer à la suite du passage de Photius. Avide de donner à son Appien toute la perfection possible, Schweighœuser mit à contribution le docte Wyttembach, un des plus savants hellénistes que possède aujourd'hui la Hollande. Wyttembach collationna pour lui le passage de Photius sur le manuscrit de cet auteur qui existe dans la bibliothèque d'Amsterdam. Il copia pour lui également sur le manuscrit de Vossius, déposé a la bibliothèque de Leyde, l'entier livre des guerres des Romains en Illyrie, ce qui était pour Schweighœuser d'un prix d'autant plus considérable, que Spalletti n'avait voulu laisser rien prendre de ce livre dans les manuscrits de la bibliothèque du Vatican. Schweighseuser fut également redevable à Wyttembach d'obtenir une plus ample certitude sur l'authen- xlvii ticité des fragments d'Appien, fournis par un grammairien grec, dont le manuscrit existait dans la bibliothèque de Saint-Germain à Paris, et d'obtenir en même temps une copie de ces mêmes fragments de la main du célèbre Ruhnkenius, qui, depuis longtemps, les avait recueillis pour lui. La bibliothèque impériale de Vienne, en Autriche, pouvait offrir des secours à Schweighœuser. Il songea à la mettre aussi à contribution, et il s'adressa, à cet effet, à M. de Locella, amateur distingué de la langue grecque. Mais on ne trouva dans cette bibliothèque que deux manuscrits, et encore ne contenaient-ils d'Appien que des excerpta que Pléthon eu avait pris dans le livre des guerres des Romains en Syrie. M. de Locella prit néanmoins la peine de collationner le texte d'Appien, de l'édition de Tollius, sur ce manuscrit. Wytternbach, d'un autre côté, collationna le texte d'Appien, dans l'édition de Henri Etienne, sur un autre manuscrit de la bibliothèque de Leyde, qui lui a été donné par le savant Perizonius, et qui contient les excerpta de Pléthon. Il ne restait plus à Schweighœuser que de se procurer le moyen d'épurer le texte des fragments de son historien, imprimés par les soins de Fulvius Ursinus. Il se flatta, nous dit-il, de trouver les secours nécessaires à cet effet dans un manuscrit de la bibliothèque du duc de Bavière, qu'il avait vu mentionné dans le xlviii catalogue des manuscrits grecs de cette bibliothèque, en ces termes : De legationibus variarum gentium ad Romanos, ex diversis historicis, Arriano, Appiano, Malchio rhetore Philadelphiorum, et aliis, chart, fol. e. En conséquence, il fit demander ce manuscrit au duc de Bavière en personne, et ce prince,, avec une bonne grâce admirable, daigna mettre ce manuscrit à la disposition de Schweighœuser, et permettre qu'on le lui envoyât. Schweighseuser y trouva à glaner beaucoup plus qu'il ne s'y était attendu. D'abord il y trouva de quoi améliorer le texte des fragments publiés par Ursinus. Il y trouva encore de quoi ajouter aux ressources que lui avoient fournies les manuscrits du Vatican, et celui d'Augsbourg, pour épurer le texte des deux livres des guerres des Romains en Ibérie, et des guerres Puniques. Il y trouva enfin de quoi remplir la grande lacune qui tronquait ce dernier livre dans tous les manuscrits et dans toutes les éditions. Ce n'est pas que le manuscrit en question soit plus ancien que les autres ; car il ne paraît pas être d'un style supérieur à celui du quinzième siècle. Mais il paraît être d'une bien meilleure famille, et avoir été immédiatement copié sur le manuscrit qui était, au dixième siècle, dans la bibliothèque de Constantin Porphyrogénète, et duquel les fragments en question avaient été extraits par son ordre. L'impression du second volume de la nouvelle édi- xlix tion d'Appien s'achevait, lorsque, par l'intermédiaire de Jérôme Scholtz, les magistrats de Breslaw voulurent bien communiquer à Schweighaeuser le manuscrit d'Appien, que possède cette ville, dans la bibliothèque du Lycée d'Elisabeth, ll avait eu, depuis peu, connaissance de ce manuscrit, et il s'était hâté de le demander. Ce manuscrit, en parchemin, petit in-folio, très purement écrit, ne contient, après la préface de l'historien, que les mêmes ouvrages qui sont contenus dans les manuscrits de Paris, et dans ceux de la même origine. Il a même cela de particulier, qu'il ne pousse pas au-delà du second livre des guerres civiles, au bout duquel on lit quelques caractères de la main du copiste, qui annoncent qu'il acheva ce travail à Rome, le 25 septembre 1453. Schweighaeuser ne nous dit pas d'ailleurs que ce manuscrit lui ait été d'aucun secours. A peu près à la même époque, Schweighaeuser fit une découverte qu'il crut d'une grande importance. Reiske, ce célèbre helléniste allemand, qu'on pourrait appeler peut-être le moderne Varron de la littérature grecque, venait de mourir ; et son épouse, femme recommandable, qui avait hérité d'une grande partie des talents de son mari, venait de publier sa vie. Cet ouvrage apprit à Schweighaeuser que parmi les manuscrits que Reiske avait laissés, et qui étaient passés entre les mains de Suhmius, conseiller privé de sa majesté danoise, se trouvaient des Animadver- l siones ad Appianum. Il présuma assez honorablement de ce Danois, pour penser qu'il ne refuserait pas à l'intérêt commun de la république des Lettres, de communiquer les précieuses reliques dont il était devenu le dépositaire. Schweighaeuser fit agir, à cet effet, son ami Heyne, un des plus beaux ornements des Lettres anciennes en Allemagne. Suhmius laissa extraire toutes les annotations de Reiske sur Appien, et se fit un plaisir de les transmettre à Schweighaeuser. Ces annotations, toutes d'une brièveté singulière, ne portent que sur quelques ouvrages d'Appien, sur l'histoire des guerres Puniques, sur l'histoire des guerres en Syrie, sur l'histoire des guerres contre les Parthes, sur l'histoire des guerres contre Mithridate et sur celle des guerres en Ibérie. Voilà tout. Mais Schweighaeuser n'ayant reçu ces Animadversions qu'après l'impression de son premier volume, il n'a pu en faire usage que dans les annotations étendues dont il a rempli le troisième. Je ne me suis engagé dans les longs détails que je viens de parcourir, et dans lesquels je n'ai fait à peu de chose près que traduire le latin de la préface de Schweighaeuser (39), que pour donner une juste idée des soins de tout genre, et du travail prodigieux auquel a dû se livrer ce nouvel éditeur d'Appien, et que pour faire sentir les grandes obligations que lui li dans la république des Lettres ceux qui se plaisent à cultiver la langue grecque. Ce judicieux, cet infatigable, ce savant helléniste n'a rien négligé, comme on vient de le voir, pour mettre au jour un des plus précieux monuments de l'histoire ancienne, en le purgeant d'un nombre infini de défectuosités qui déparaient toutes les éditions antérieures. Quant à moi, je me fais un devoir de déclarer que je lui dois personnellement une reconnaissance toute particulière. Car ayant entrepris la traduction de l'histoire des guerres civiles, sur l'édition de Tollius, la seule que je connusse alors, j'étais presque décidé à renoncer à cette entreprise, lorsque, arrivé au milieu du second livre, l'édition de Schweighaeuser me tomba entre les mains. Autant mon travail avait été lent et pénible sur le texte grec de Tollius, autant il devient coulant et facile sur celui de Schweighaeuser ; et si j'ai achevé avec courage, c'est à lui que je m'en reconnais redevable. Je passe maintenant aux diverses traductions d'Appien dans les langues vulgaires. La première est celle qui fut faite en italien par Alexandre Braccio, secrétaire de la république de Florence. L'histoire des guerres Puniques, celle des guerres en Syrie, celle des guerres contre les Parthes, celle des guerres contre Mithridate, parurent pour la première fois dans cette langue,, en 1502, à Rome, lii in-fol. chez Siber, autrement nommé Frank. La traduction des Guerres civiles fut publiée à Florence, apud Juntam, en 1519, in-8°, et en 1526, même format. On est étonné de lire dans Fabricius le nombre prodigieux d'éditions qui ont eu lieu de celte traduction italienne depuis 1502 jusqu'à 1792, tout imparfaite qu'elle est. Car j'en ai en mon pouvoir un exemplaire de l'édition in-8° de Barthélemi Césano, imprimée à Venise en 1550, et je me suis convaincu par mes propres yeux que Braccio n'avait travaillé que sur la version latine de Candidus, et que la sienne par conséquent n'était ni plus fidèle, ni plus exacte que celle qui lui avait servi d'original. Je remarquerai, un passant, que Fabricius lui a fait le même reproche (40). Alexandre Braccio n'est pas le seul qui ait entrepris de faire lire Appien dans la langue italienne. Les Aldes imprimèrent à Venise, en 1545 et 1551, une version du livre des guerres des Romains en Ibérie, qu'on attribue à Paul Manuce. Louis Dolce, frappé des imperfections de la version de Braccio, en donna une édition corrigée en 1554, in-12, à Venise, deux volumes. Cinq ans après, en 1559, il en donna une édition nouvelle, où il publia le livre des guerres des Romains en Illyrie, en Ibérie, et contre Annibal, traduites de sa façon. Un autre littérateur italien, nommé Ruscelli, publia à Venise, en 1563, une autre liii traduction italienne des ouvrages d'Appien, à l'exception de l'histoire des .guerres civiles traduites par Braccio. Quoique cette version de Ruscelli ait eu les honneurs de plusieurs éditions, elle doit avoir été jugée inférieure à celle de Louis Dolce, puisque celle de ce dernier a été préférée dans l'édition de 1792, pour accompagner celle des guerres civiles par Braccio. En 1522,les Guerres civiles, traduites en espagnol, furent imprimées à Valence. On en donna une nouvelle édition in-fol. en 1536, à Alcala (41) Claude de Seyssel, évêque de Marseille, sons le règne de Louis XII, en entreprit une traduction en français, sur le latin de Candidus. Pour cet effet, il s'était procuré un exemplaire imprimé de cette traduction, où il ne trouva que les cinq livres des Guerres civiles, et les fragments de l'Ilyrique et du celtique. Les autres ouvrages d'Appien, traduits également par Candidus, il les trouva en manuscrit dans la bibliothèque du roi (42). Seyssel nous apprend lui-même combien ce premier travail lui coûta. Voici comme il s'en exprime dans son épître dédicatoire à Louis XII. « A la translation desquels j'ai eu moult grand peine, à cause de ce qu'iceluy translateur, lequel n'avoit pas bien entière cognoissance et intelligence de la langue grecque, et par ce moyen n'eutendoit pas en plusieurs passages la signification des paroles, ne la substance des sentences, ha couché son langage liv en termes si obscurs et si impertinents en beauconp de lieux, que l'on n'en peut tirer bon sens ; tellement qu'il m'a été force, du commencement, en deviner une partie, chose dangereuse et mal seure en translation. » . Le traducteur français ne faisait que d'achever ce travail pénible, lorsque la république de Florence fil présent, à Louis XII de quelques manuscrits grecs, dans le nombre desquels s'en trouva un d'Appien qui contenait onze livres de son histoire (43). Soyssel revit et corrigea sa traduction sur le texte grec de son historien. Il s'aida, dans ce travail, à ce qu'il paraît, des lumières de ce Jean Lascaris, littérateur distingué de Constantinople, qui s'exila de cette capitale de l'empire d'occident, après qu'elle eut été prise par les Ottomans, et qui trouva un asile dans le palais île Laurent de Médicis, le père des Lettres, à Florence. Cette révision fit découvrir à Seyssel tant de fautes dans son premier travail, qu'il avoue lui-même s'y être donné autant de peine que s'il avait traduit une seconde fois. Malgré tous les soins de Seyssel pour que sa traduction française fût très supérieure à la traduction latine de Candidus, ambition qu'il ne ne lui fut pas malaisé de satisfaire par les secours de Lascaris, la sienne ne laissa pas de se ressentir beaucoup, comme de raison, des imperfections du manuscrit grec venu lv de Florence. Pour avoir une juste idée de ces défectuosités, il suffit de jeter un coup-d'oeil sur les nombreuses animadversions que les Etienne ont jointes aux éditions qu'ils ont données du texte grec d'Appien ; éditions dans lesquelles ils ont suivi le manuscrit en question. D'un autre côlé, quoique Seyssel eût peut-être fait, à l'aide de Lascaris, plus de progrès que Candidus dans la langue grecque, il paraît qu'il ne la possédait point encore autant que semblait l'exiger l'importance de son entreprise. Quoi qu'il en soit, son travail doit être jugé eu égard à l'époque qui le vit éclore, et sous ce rapport, Seyssel a des droits à notre reconnaissance, pour avoir songé, dans l'enfance de la littérature française, à l'enrichir d'un des beaux monuments historiques de l'antiquité. Il a fait deux choses, qui m'ont paru bien, et dans lesquelles je me suis piqué de suivre son exemple. Il a remarqué qu'en se terminant à la catastrophe et à la mort du jeune Pompée, le cinquième livre ne complétait pas le tableau des guerres civiles. Il est probable que dans l'ordonnance générale des vingt quatre livres dont était composé le grand ouvrage d'Appien, celui qui venait après le cinquième livre en question contenait la suite des événements dans l'ordre chronologique, jusqu'à ce qu'on arrivât à celui qui renfermait les détails de la bataille d'Actium ; de là vient probablement que Photius, dans ce qu'il dit lvi de notre historien, porte jusqu'à neuf le nombre des livres qui traitaient des guerres civiles, ainsi que j'ai eu occasion de le faire observer plus haut, page XI, parce qu'il y comprenait les livres interposés entre ces deux événements. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, il est constant que le détail des dernières dissensions d'Antoine et d'Octave, ceux de la bataille d'Actium, et de la mort du premier de ces deux chefs en Egypte, appartiennent à l'histoire des guerres civiles ; et Claude de Seyssel a fait preuve de bon sens et de sagacité, lorsqu'il a songé à remplir le cadre, à la faveur d'une partie considérable de la vie d'Antoine, qu'il a empruntée de Plutarque. En second lieu, « afin, dit-il, que l'histoire fut plus aisée, et plus agréable à lire, il a divisé et distribué par chapitres la narration d'Appien, qui ne présente pas la même commodité dans l'original. « Cette méthode de partager ainsi en plusieurs petits tableaux les divers détails d'une grande, d'une longue scène, paraît avoir l'avantage de ménager plus particulièrement l'attention et l'intérêt du lecteur. La fin de chaque chapitre est comme un point de repos, où l'esprit peut s'arrêter pour prendre du relâche, ou pour méditer, selon.que l'un ou l'autre lui convient. Cette variété de cadre offre de plus la facilité de trouver sans peine telle ou telle partie de la narration de l'historien, qu'on a besoin de consulter, ou sur lvii laquelle on est bien aise de revenir : elle n'est d'ailleurs d'aucun inconvénient pour ceux qui aiment à embrasser un grand ensemble, et à contempler des masses. La première édition de cette version française d'Appien, par Seyssel, parut à Lyon, in-folio, eu 1544, longtemps après son décès, car il mourut le 31 mai 1544. On en publia une seconde à Paris, huit ans après, en 1520. Fabricius prétend qu'elle était in-fol. comme la première ; c'est une erreur de sa part. Je ne peux rien dire de la première ; parce que je n'en ai point vu d'exemplaire, même dans la bibliothèque impériale. Quant à la seconde, je ne la connais qu'en petit in-8° ou en grand in-12, de 447 feuillets, sans compter ceux de l'épître dédicatoire, et de la table des chapitres, imprimée par René Avril, en 1552. Mais il en fut fait une troisième, imprimée à Paris, in-folio, en 1069, chez Pierre Dupré, imprimeur de l'université. Dans celle-ci l'on publia, à la suite des ouvrages d'Appien traduits par Seyssel, la version de deux morceaux de cet historien, dont Seyssel n'avait point en connaissance, savoir l'Histoire des guerres des Romains en Ibérie, et celle des guerres des Romains contre Annibal. Philippe des Avennolles, auteur de cette traduction, nous apprend dans son épître dédicatoire à d'Andelot, que ces deux morceaux, qui sont ceux que Henri Etienne publia à lviii Genève, en 1557, n'étaient connus que depuis deux ans. Nous ferons remarquer, en passant, une faute énorme de typographie, dans le premier mot de cette traduction. Au lieu de ces mots conformes au texte grec : le Pyrénée est une montagne, etc., on a imprimé le Prinée est une montagne, etc. A moins que du temps de ce traducteur, il ne fût reçu de dire Prinée au lieu de Pyrénée, de quoi je doute ; car dans le style de Seyssel, liv. Ier, chap. XIV, on lit : « Au commencement de la primevère sortirent Métellus et Pompée des monts Pyrénées. » Sorel, dans sa Bibliothèque française, imprimée à Paris, en 1667, chap. XI, parle de cette traduction de Claude de Seyssel, et de celles des autres historiens grecs sur lesquels il travailla. Il ne dissimule pas que plusieurs critiques reprochaient à Seyssel beaucoup d'inexactitudes, beaucoup d'obscurités dans ses traductions. Mais il s'efforce de l'excuser par la considération de l'état d'enfance où était encore la langue française à l'époque où Seyssel écrivait. Il ajoute que Seyssel étant d'ailleurs un homme de cour, il a dû faire le mieux possible pour ce temps-là. Sorel nous apprend en effet que Seyssel avait été fait maître des requêtes dans un temps où le nombre de ces officiers était fort petit. De là il fut employé dans les ambassades. Il devint ensuite évêque de Marseille, et depuis archevêque de Turin. lix Baillet l'a traité avec moins d'indulgence, dans le troisième volume de ses Jugements des savants, chapitre des traducteurs français, p. 107. Il lui reproche de n'avoir fait ses traductions d'auteurs grecs que sur de mauvaises versions latines ; de manière, dit-il, « qu'au lieu de rectifier ces écrivains, il a multiplié leurs fautes, et rendu les auteurs plus obscurs et plus malades qu'ils n'étaient auparavant, de sorte qu'on ne peut point retirer beaucoup d'utilité de son travail. » Ce jugement, dans lequel Baillet paraît n'avoir fait que répéter celui de Huet, dans son livre de Claris interpretibus, est exagéré ; et certes on ne peut trop raisonnablement imputer à Seyssel d'avoir écrit avec moins de pureté et d'élégance qu'on ne le faisait du temps de Baillet, et d'avoir laissé dans ses versions des historiens grecs qu'il a traduits, beaucoup de taches qui étaient l'effet nécessaire de la défectuosité des manuscrits. Fabricius fait mention d'une traduction française du livre des Guerres des Romains contre Annibal, qu'il attribue à un homme de Lettres assez obscur, contemporain à peu près de Seyssel et de Philippe des Avennelles, nommé Louis Tagaut, qui la fit imprimer à Lyon, en 1559, in-12. Quelques soins que j'aie pu me donner pour découvrir cette traduction, j'avoue que je n'y ai pu réussir. Qui sait d'ailleurs si ce n'est point ici une erreur de Fabricius, qui a con- lx fondu le nom de Tagaut avec celui de Philippe des Avennelles. Un siècle entier s'était écoulé sans qu'il eût été fait en français d'autres versions d'Appien que celles dont nous venons de donner une légère notice, lorsqu'un libraire de Paris, Antoine de Sommaville, instruit du mérite de cet historien par le grand nombre d'éditions qui en avoient été déjà faites, s'avisa de le faire traduire à neuf, et d'en donner une édition nouvelle. Il s'adressa pour exécuter la nouvelle traduction à un homme de Lettres que Fabricius nomme en latin Meresius, et que l'on sait être Odet Philippe, sieur Desmares. Cette nouvelle traduction fut publiée à Paris, en 1659, in-folio, cent ans tout juste après la dernière édition de la traduction de Seyssel. S'il faut en croire ce qu'on lit dans le privilège du roi, imprimé à la fin du volume, cet ouvrage fut pour Desmares un travail de commande, témoin ces mots : « Antoine de Sommaville, marchand libraire, nous a fait remonstrer qu'il a fait traduire en français l'Appien Alexandrin par le sieur Besmares. » En jetant les yeux sur cette traduction, j'ai soupçonné, en effet, que Desmares traduisit comme on prétend que le faisait Du Ryer, un de nos plus féconds traducteurs ; et j'ai regardé comme constant que, sans avoir sous les yeux le texte grec d'Appien, imprimé par les Etienne, il n'avait fait que ravauder, si je peux m'exprimer ainsi, lji la version française de Seyssel, à l'aide de la version latine de Geslen (44) II est de la justice de remarquer que, dans son avis au lecteur, Desmares donne un démenti formel au libraire Sommaville, qui s'annonce dans le privilège comme ayant fait traduire Appien par Desmares. Le traducteur déclare, au contraire, que c'est de son pur mouvement qu'il a entrepris ce travail : « qu'il a toujours eu du respect pour ceux qui ont écrit l'histoire, escole, où sans contention de voix et sans préceptes, on apprend la morale et la politique. Or, comme il n'y a point de doute qu'Appien ne soit un des grands docteurs de cette université muette, et qu'il ne mérite d'être mis au nombre de ceux qu'on appelle de la première classe, soit pour le sujet, soit pour l'ordre, soit pour le style, c'est ce qui l'a obligé « d'en entreprendre la traduction. » Il est singulier qu'après ce langage du traducteur, dans l'avis au lecteur à la tête du livre, on trouve, dans le privilège placé à la fin, le langage du libraire qui dit avoir fait faire la nouvelle traduction d'Appien, comme s'il eût pris le traducteur à ses gages. Quoi qu'il en soit de cette singularité, il suffit de lire les premières ligues de la traduction de Desmares, pour juger, à son style, combien la langue française était encore, à l'époque où il écrivait, éloignée de la pureté, de la grâce, de l'élégance, où les écrivains lxii qui ont immortalisé le siècle de Louis XIV, la portèrent peu d'années après. D'un autre côté, pour peu qu'on prenne la peine de comparer sa version, soit avec le texte grec de l'édition de Schweighaeuser, soit avec le texte de la version latine que ce savant éditeur a singulièrement perfectionnée, on verra combien Desmares laisse à désirer, soit sous le rapport de la fidélité du texte, soit sous le rapport de l'exactitude de l'interprétation. Un défaut que je regarde comme capital dans la version de Desmares, ainsi que dans celle de Seyssel, c'est l'absence totale de notes. Quand ou lit l'histoire, à une époque si éloignée de celle des événements, il est une infinité de faits qui ne peuvent être clairement entendus qu'à l'aide de quelques légers commentaires, de quelques rapprochements historiques. C'est un besoin que le commun des lecteurs éprouve dans une mesure proportionnée à celle de ses connaissances et de ses lumières. C'est souvent aussi un besoin pour le traducteur lui-même, qui ne peut pénétrer le vrai sens d'un passage de son auteur, qu'en appelant à son secours des éclaircissements puisés dans une autre source. Voyez, entre autres exemples que je pourrais citer, la note du cinquième livre, chap. VIII, n. 29, qui commence par ces mots, « ni Seyssel, ni Desmares. D'un autre côté, comment ne pas sentir qu'un ouvrage aussi étendu que celui d'Appien, aussi plein de lxiii faits, où tant d'illustres personnages jouent un rôle plus ou moins long, plus ou moins varié, ne saurait se passer d'une table de matières? Comment s'y prendre, par exemple, pour trouver dans la traduction de Seyssel, le nom d'un lieu, celui d'un des acteurs de l'histoire, les détails d'un fait quelconque, sur lesquels on est bien aise de recueillir quelque particularité ? Les petits sommaires qu'il a placés à la tête de chacun de ses chapitres ne peuvent que très imparfaitement suppléer à l'absence d'une table de matières, parce qu'il s'en faut bien qu'ils présentent la notice de tout ce que le chapitre peut contenir d'important (44b). J'aurais été bien aise de faire connaître un peu plus particulièrement le second traducteur d'Appien, Odet-Philippe Desmares. Mais je suis réduit à dire que j'ai vainement consulté, à son sujet, ceux de nos auteurs biographes qui ont le plus de réputation. Je ne l'ai trouvé, ni dans le nombre des traducteurs français d'ouvrages grecs, mentionnés par Sorel dans sa lxiv Bibliothèque française (45), ni parmi les traducteurs du même ordre que Baillet passe en revue dans ses Jugements des Savants, ni dans les suppléments de la Bibliothèque de Lacroix du Maine, et de du Verdier, par Rigoley de Juvigny, ni dans l'Histoire de la Littérature française, de l'abbé Goujet, ni dans le Dictionnaire historique des hommes illustres. Je ne peux donc dire de lui rien de plus que ce que m'a appris le frontispice de l'exemplaire de sa traduction, qui existe dans la bibliothèque du conseil d'état, c'est qu'il était conseiller du roi au siège de Falaise ; que d'ailleurs il dédia son Appien à Pierre Séguier, prévôt de Paris, et que son épître dédicatoire est, par exemple, un de ces monuments de cette époque digne d'être distingué par la profusion avec laquelle il prodigue les éloges à son Mécène, tout en lui disant qu'il n'ignore pas que sa modestie lui fait refuser l'encens. Au reste, Desmares n'a pas traduit les deux livres d'Appien, publiés eu français, par Philippe des Avennelles, dans la dernière édition de Seyssel,, celle de 1569, et l'on ne sait pour quelle raison il les a laissés de côté. Il est probable qu'il n'a pas eu connaissance de ces deux morceaux. Voilà ce que j'avais à dire sur les deux traductions françaises d'Appien, que notre littérature possède jusqu'à ce moment. Pendant que je traduisais cet historien, j'eus occa - lxv slon de parler de lui en présence d'une Anglaise passablement versée dans les Lettres anciennes; cette dame m'assura qu'il existait une traduction d'Appien, en anglais. Je la priai de tâcher, dès son retour à Londres, de me procurer un exemplaire de cette traduction. Elle prit, en effet, la peine de la faire chercher dans l'immense librairie de Lackington, qui déclara connaître cette traduction, et ajouta qu'elle avait été publiée sous le nom du célèbre Dryden, qui n'y avait pris dans le fait aucune part, mais qui avait souffert que l'auteur obscur de cette version se servît de son nom pour donner à son travail quelque recommandation et quelque lustre. Lackington avait promis de procurer un exemplaire de cette traduction : mais la guerre qui est survenue m'a empêché de recueillir le fruit de cette promesse. Il faut, au surplus, que cet ouvrage soit assez rare, même en Angleterre, puisque Fabricius ni Harles n'eu ont point eu connaissance. Ce dernier, dans la nouvelle édition de la bibliothèque grecque de Fabricius, a annoncé une traduction allemande d'Appien, en ces termes : Germanice vertit notisque illustravit, Fr, W. Jonath. Dillenius, Francof. ad Mœnum, 1793. Cette annonce n'était pas exacte. Il n'y avait alors de publié que le premier volume. On en va trouver la preuve dans l'annonce suivante que j'ai extraite du Journal général de la Littérature étrangère, troisième année, cinquième cahier, lxvi tom. 5. « Appians Roemische geschichte : Histoire romaine d'Appien, traduite pour la première fois ( en « allemand s'entend) du grec, et accompagnée de notes explicatives et comparatives, par G. W. G. Dillenius, tom. II, 312 pag. in-8°, Francfort, Hermann. « Ce volume forme, en même temps, la seconde partie du huitième tome de la collection des auteurs prosaïques grecs publiés par M. Seybold. Le premier volume d'Appien avait paru en 1793 et depuis, la continuation a été empêchée par la guerre. Le second, qui vient de paraître, contient le huitième livre d'Appien, ou les cent trente-six chapitres de l'Histoire Punique, les extraits de l'Histoire de la Numidie et de l'Histoire de la Macédoine. » L'auteur de cet article ajoute, par conjecture, que le tout formera à peu près six volumes jet jugeant delà pièce par l'échantillon, il déclare que la traduction n'est pas toujours correcte. Je ne peux rien dire de ce jugement, pour deux bonnes raisons. La première, parce que je n'ai point l'ouvrage de Dillenius sous la main ; la seconde plus péremptoire encore que l'autre, parce que, l'eussé-je en mon pouvoir, je n'entends pas l'allemand. Il résulte de tous les détails bibliographiques que je viens de parcourir, que les ouvrages d'Appien ont joué un très beau rôle dans la république des Lettres. Il est peu, sans doute, de ces précieux monuments de l'antiquité échappés aux vicissitudes du temps lxvii qui aient joui d'une plus haute recommandation aux yeux des amateurs de l'histoire, et qui aient été l'objet des élucubrations d'un plus grand nombre de littérateurs et d'érudits. Je n'ai pas besoin, comme on voit, de m'aider ici de cet échafaudage de lieux communs, sur lequel on n'a que trop souvent vu les traducteurs obligés de se guinder pour rendre recommandable l'auteur qu'ils ont entrepris de traduire. Appien avait une réputation déjà faite, et une réputation brillante, avant que je songeasse à le traduire encore une fois en français. Je viens de mettre ses titres sous les yeux du lecteur. Il ne me reste plus qu'à dire un mot de mon travail. Je l'ai déjà dit : Appien avait tracé son ouvrage sur un plan unique. Au lieu de suivre rigoureusement l'ordre chronologique dans sa marche, à l'exemple de Tite-Live, et de Denys d'Halicarnasse, et d'entremêler par conséquent dans sa narration les événements divers qui composent la série des Annales de l'Histoire romaine, il aima mieux renfermer dans des cadres séparés les parties de ces événements, selon qu'ils avaient eu lieu relativement à telle ou telle contrée, à tel ou tel peuple, à telle ou telle suite d'opérations militaires. Ce plan présentait cet avantage, que l'on parcourait rapidement, et comme d'un coup d'œil, ce que l'histoire de tel pays, de tel peuple avait eu de commun avec l'histoire du peuple romain. Mais lxviii il avait aussi cet inconvénient notable, que ces cadres, à part, isolés, hors de leur ensemble, perdaient une partie de leur intérêt et de leur prix. Parmi les vingt-quatre livres dont se composa l'ouvrage total de notre historien, chacun, ayant sur ce pied-là son plan et son objet particulier, n'avait, à très peu de chose près, rien de commun avec son voisin, et pouvait en être facilement séparé. Telle était, en effet, la condition de chacun de ces vingt-quatre livres, à l'exception seulement de ceux qui traitaient de l'histoire des Guerres civiles de la république. Ils étaient au nombre de cinq. Ils se suivaient immédiatement dans l'ordre numérique réglé par Appien, et ils avaient un titre commun περὶ ἐμφυλίων, πέντε ; et à cet égard j'aime mieux suivre l'opinion de l'anonyme dont Schweighaeuser a imprimé le fragment, dans les premières pages de son troisième volume, que celle de Photius, qui prétend que les livres des Guerres civiles se suivaient au nombre de neuf depuis le treizième jusqu'au vingt-unième inclusivement. Ces cinq livres des Guerres civiles formaient à eux seuls un tout complet, entier et indivisible. Les gens de Lettres durent en avoir la même opinion, depuis que l'ouvrage de notre historien eut vu le jour, puisque c'est la partie de son travail qui s'est le mieux conservée, et qui nous est parvenue dans toute son intégrité. Je peux ajouter que ces cinq livres en sont la par- lxix tie la plus précieuse. Fabricius a judicieusement conjecturé qu'il fallait attribuer la perte de plusieurs des livres qui formaient l'ensemble de l'Histoire d'Appien à cette circonstance, savoir que Denys d'Halicarnasse et Dion Cassius étaient entrés sur certaines parties de l'Histoire romaine dans des détails, dans des développements plus amples que ceux d'Appien, et que d'après cela l'on avait attaché moins de prix aux livres de cet historien, relatifs à cette partie de l'Histoire (46). Or, c'est la même raison qui a fait conserver avec tant de soin les cinq livres des Guerres civiles. Denys d'Halicarnasse n'avait point poussé son travail jusque-là. Il est douteux que Tite-Live eût traité cette partie de l'Histoire romaine d'une manière plus étendue et plus détaillée que ne l'a fait Appien. Dion Cassius n'est pas, à beaucoup près, comparable à notre historien, sous ce rapport. Je ne parle pas de Velléius Paterculus, ni de Florus, qui n'ont fait guère que des extraits. Par une suite donc de la conjecture de Fabricius, il faut penser que si les cinq livres des Guerres civiles de la république romaine nous sont parvenus en entier, c'est qu'ils ont été de tout temps considérés comme le monument le plus précieux de cette partie de l'Histoire romaine ; considération qui en avait fait multiplier les copies en plus grand nombre que celles des autres ouvrages du même auteur. lxx On ne s'attend pas sans doute que j'entre ici dans un long exposé des objets relatifs à cette importante période de l'Histoire romaine, dont on ne trouve des vestiges que dans Appien. Je ne ferai mention que du plus remarquable de tous ; je veux parler du préambule des fameuses tables de proscription, sous le triumvirat d'Antoine, de Lépidus et d'Octave. Ces trois monstres ne se contentèrent pas de faire inscrire sur de grands tableaux les noms de leurs ennemis personnels qu'ils dévouaient à la mort; ils crurent devoir colorer de quelques prétextes hypocrites cette épouvantable mesure, et c'est ce qu'ils firent dans une espèce de prologue placé à la tête des tables de proscription, et dont Appien est le seul des historiens romains qui nous ait transmis le propre texte. Appien a pris d'ailleurs la précaution nécessaire, afin que dans les siècles à venir on ne révoquât pas en doute l'authenticité de ce morceau : après l'avoir copié en entier, il a en effet ajouté ces paroles : « Tel était le préambule des tables de proscription, autant que la langue grecque peut rendre la langue latine (47). » C'est donc la considération de l'importance de cette Histoire des Guerres civiles d'Appien qui m'a engagé d'en entreprendre une nouvelle traduction. Si Appien nous était parvenu dans sa totalité, je me serais bien gardé de le tronquer ainsi. Mais dans l'état de mutilation où nous l'avons aujourd'hui, j'ai cru pouvoir, sans lxxi inconvénient quelconque, me borner à cette partie de son ouvrage, qui forme d'ailleurs, ainsi que je l'ai déjà dit, un tout complet en elle-même, et la séparer du reste de ses ouvrages qui peuvent n'être considérés que comme de véritables fragments. Je suis bien aise, d'un autre côté, de pressentir ainsi le goût du public. Si l'Histoire des Guerres civiles réussit, il est possible que j'entreprenne alors de compléter la traduction de tout ce que nous avons de cet historien. Mais ces cinq livres des Guerres civiles se terminant à la fin tragique de Sextus Pompée à Milet, laissent à désirer les détails et les résultats de la bataille d'Actium qui furent le dernier acte et le dénouement de ce drame. C'était vraiment une lacune qu'il importait de fermer. Je l'ai senti comme Seyssel, et je me suis aidé comme lui, de la dernière partie de la vie d'Antoine par Plutarque, que j'ai regardée comme le morceau de l'antiquité le plus authentique elle plus détaillé. A cet égard, j'aurais pu tout bonnement mettre à contribution la version de Plutarque par Amyot. Mais, outre que je ne professe pas pour la traduction, de cet évêque d'Auxerre la superstitieuse opinion de beaucoup de gens du monde, et même de quelques gens de Lettres, sans manquer néanmoins d'avoir pour elle beaucoup d'estime, je n'ai pas cru devoir présenter la disparate du style de nos jours avec le style de deux siècles. Je suis sûr que ce contraste aurait choqué même les partisans de la lxxii traduction d'Amyot. D'un autre côté, je n'ai pas été fâché d'avoir cette occasion de m'exercer sur le texte de l'immortel auteur des Vies des Hommes illustres, et de lui rendre par-cet essai un faible hommage de la vénération profonde dont je fais profession pour sa mémoire (48). Schweighaeuser a suivi, dans son édition, la sage méthode introduite depuis quelque temps par les littérateurs spécialement dévoués à la culture des Lettres anciennes. Il a coupé le texte d'Appien en assez petites sections, ce qui joint à l'avantage de soulager la contention d'esprit pendant l'étude ou la lecture, celui de rendre les passages très faciles à trouver. J'ai donc suivi moi-même cette méthode de Schweighaeuser. Mais pour la plus grande commodité du lecteur, j'ai distribué ces sections elles-mêmes par chapitres, selon le plan adopté par Claude de Seyssel. J'ai déjà fait remarquer le mérite de cette idée de mon prédécesseur ; et comme lui, à la tête de chaque chapitre, j'ai placé un sommaire qui avertit le lecteur de ce que chaque chapitre contient. Quant au genre de style auquel je me suis attaché, j'ai fait de mon mieux pour saisir et pour exprimer le caractère de l'historien que j'avais à faire parler en français. Photius, beaucoup meilleur juge que moi, sans comparaison, du genre de style d'Appien, m'avait fixé sur ce point. Il m'avait appris que la dic- lxxiii tlion de cet historien était marquée au coin de cette noble simplicité, de ce naturel, de cette modération qui est le vrai ton de l'histoire. J'ai tâché de copier mon modèle. Mais dans les discours directs qu'Appien fait prononcer aux divers personnages qu'il met en scène, j'ai senti qu'il s'élevait un peu quelquefois, et alors je me suis fait un devoir de m'élever avec lui. J'ai déjà eu occasion de remarquer que je regardais comme un défaut du premier ordre dans les traductions de mes deux prédécesseurs, de n'y trouver aucun genre de notes. Cette omission, de leur part, est d'autant plus répréhensible, qu'en un certain nombre d'endroits Appien a besoin de redressement ou de commentaire pour le fonds des faits. D'un autre côté, dans les détails historiques, la scène passe tour à tour dans les divers pays soumis à la domination du peuple romain : de là une nombreuse nomenclature géographique dans laquelle le lecteur désire souvent, et presque toujours est bien aise qu'on lui épargne des recherches dans les géographes de l'antiquité qu'il n'a pas toujours sous la main. Quoiqu'on doive laisser aux lecteurs le champ libre pour tirer des récits de l'historien les conséquences politiques et morales qui en découlent, il en est dans le nombre qui ne sont pas fâchés que de temps en temps on les mette un peu sur la voie. Enfin, lorsqu'on traduit sur le texte grec, on rencontre de fréquentes occasions de faire des observa- lxxiv tions critiques, soit sur le texte grec lui-même, soit sur les versions en latin, ou en langue vulgaire, qui en ont été faites, ne fût-ce que pour rendre raison de la différence du sens qu'on a donnée à une expression ou. à une phrase. Tels sont les motifs, je ne dirai pas qui m'ont engagé, je dirai qui m'ont obligé à répandre un assez grand nombre de notes historiques, géographiques et critiques dans ma traduction. Pour les notes historiques, j'ai mis à contribution tous les auteurs de l'antiquité où j'ai cru pouvoir trouver des matériaux propres à remplir mon but. Ce sont principalement les lettres et les Philippiques de Cicéron, Tite-Live, et son Épitomé, les Commentaires de César sur la guerre civile, Velléius Paterculus, Florus, Valère Maxime, Dion Cassius, Suétone, et Plutarque dans ses Vies des Hommes illustres. J'espère que l'on sera content du soin que j'ai pris, et de la peine que je me suis donnée pour extraire de ces divers auteurs tout ce qui pouvait rendre la narration de mon historien plus exacte, plus détaillée ou plus piquante. Pour les notes géographiques, j'ai consulté habituellement Strabon, Etienne de Byzance, et quelquefois Pomponius Méla, Pline l'ancien et Ptolémée. J'ai eu pour guide dans cette matière les deux ouvrages modernes les plus étendus et les plus estimés que je connaisse; la Geographia antiqua, de Cellarius, et l'Italia et Sicilia antiqua, de Cluvérius. lxxv Quant aux notes critiques, j'en dois une partie au savant Schweighaeuser. Toutes les fois qu'il m'a fourni quelques matériaux à cet égard, j'ai eu soin de lui en faire honneur en le nommant. Si, contre mon intention, il m'était échappé quelque omission sur ce point, j'espère que ni lui, ni les lecteurs équitables, n'en prendront occasion de me reprocher d'avoir voulu m'enrichir de ses dépouilles. Car si je n'ai point fait entrer dans mes notes critiques toutes celles dont ce docte helléniste a orné son troisième volume, je ne m'en suis abstenu que pour ne rien ôter à cet illustre éditeur, et à son édition, du mérite et du prix de son travail. Les autres, celles spécialement qui ont pour objet les deux versions françaises qui ont précédé la mienne, sont de mon crû. Je ne les ai pas multipliées autant que j'aurais pu le faire, si j'avais entrepris de relever Seyssel et Desmares dans tous les endroits où ils m'ont paru inexacts et infidèles ; je me serais imposé une trop longue tâche. J'ai donc été singulièrement sobre sur ce point. C'aurait été d'ailleurs blesser, jusqu'à certains égards, les bienséances, que de paraître trop avide de faire valoir mon travail aux dépens du leur. La plupart de leurs inexactitudes et de leurs infidélités, je dois le répéter ici, ne sont point de leur fait. La cause tient à l'état de défectuosité où était encore le texte d'Appien lorsqu'ils ont entrepris de le traduire. Je leur rends à l'un et à l'autre cette justice, d'autant plus lxxvi volontiers, que, je dois l'avouer franchement, par cela même qu'ils avoient bronché, ils m'ont quelquefois empêché de broncher moi-même. Je me flatte enfin que les lecteurs qui se piquent d'impartialité daigneront me savoir quelque gré de mon travail. Je compte sur l'indulgence de tout le monde. Au surplus, je n'ai eu d'autre ambition que de faire un peu mieux que les deux traducteurs qui m'ont précédé. Je ne prétends pas, à Dieu ne plaise, qu'on ne puisse mieux faire que je n'ai fait. Les traducteurs d'Appien, qui me succéderont, instruits par mes fautes, feront un pas de plus vers la perfection. En attendant, j'adresse à tous mes lecteurs ces judicieuses paroles d'Horace, dont on a si souvent fait en pareil cas une heureuse application.
... Si quid novisti rectius istis,
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xllvii NOTES. (1) PLUTARQUE, Des dits notables des anciens rois, princes, et grands capitaines. (2) Γηράσκω δ' αἰεὶ πολλὰ διδασκόμενος. (3) Ἁρμόζει δὲ ἀπὸ τοῦ γένους ἄρξασθαι τὸν περὶ τῆς ἀρετῆς αὐτῶν συνφράφοντα. Τίσ δὲ ἂν ταῦτα συνέγραψα, πολλοὶ μὲν ἴσασι, καὶ αὐτὸς προέφηνα. Σαφέστερον δ' εἰπεῖν. Αππιανὸς Ἀλεξανδρεὺς, ἐς τὰ πρῶτα ἥκων ἐν τῇ πατρίδι, καὶ δίκαις ἐν Ῥώμῃ συναγορεύσας ἐπὶ τῶν βασιλέων μέχρι με σφῶν ἐπιτροπεύειν ἠξίωσαν. (4) Καὶ ἔστι καὶ τοῖδε τοῖς αὐτοκράτορσιν ἐς τὸν παρόντα χρόνον, ἐγγυτάτω διακοσίων ἐτῶν ἄλλων. (5) . . . Συνῴκισε τοὺς τραυματίας ἐς πόλιν ἣν ἀπὸ τῆς Ἰταλίας ἰταλικὴν ἐκάλεσε· καὶ πατρίσ ἔστι Τραιανοῦ τὲ καὶ Ἀνδριανοῦ, τῶν ὕστερον Ῥωμαίοις ἀρξάντων τὴν αὐτοκράτερα ἀρχὴν. (6) Appien passe en revue les Romains qui ont pris et saccagé la ville de Jérusalem, et il nomme le dernier, l'empereur Adrien, dont il se fait le contemporain, καὶ Ἀδριανὸς αὖθις ἐπ' ἐμοῦ. (7) Voyez ces passages dans ma traduction. (8) Schweighaeuser lui fait pousser sa carrière jusque sous le règne de l'empereur Antoninus Pius, sans nous dire sur quel fondement. Il prétend même que ce fut sous ce dernier règne qu'il publia son ouvrage, Antonini Pii aetate, et imperante hoc Antonino has historias edidisse. Praef, init. Cet éditeur paraît n'avoir fait en cela qu'adopter l'opinion de Fabricius, dans sa Bibliothèque grecque, article Appien, §. I. Historiam vero suam edidisse demum videtur sub Antanino Pio, qui anno Christi 138, urbis 891, Adriano successit; testatur enim. in praefatione Appianus, tempore quo scripsit nondum quidem per ducentos annos locum fuisse imperatoribus, at urbem per nongentos stetisse..Le passage de la préface d' Appien, sur lequel Fabricius s'appuie, est celui que nous avons lxxviii cité note 5. Si ce passage n'est pas altéré, et qu'il faille croire qu'Appien a vécu très près de deux cents ans après Jules César, le premier des empereurs, il faut croire qu'il a. vécu à l'époque du règne d'Antonin le Pieux. Quoi qu'il en soit, Vossius, Hanckius et Tillemont ont eu la même opinion. Voyez les Tables chronologiques de Chantreau, qui ne font que de paraître. (9) Καὶ εἲ τῷ σποθδὴ καὶ τὰ λοιπὰ μαθεῖν, ἔστι μοι καὶ περὶ τούτου συγγραφή ... Ce sont les derniers mots de sa Préface. (10) Τελευταῖον δὲ ἃ ἐς ἀλλήλους συνέπεσον Ἀντώνιόν τέ φημι καὶ Αὔγουστον, οἱ πολέμοις κρατεροῖς ἀλλήλους διεπολέμησαν, καὶ πολλῶν στρατοπέδων φθορὰν ἐνειργάσαντο. (11) Tom. III, p. 892 et suiv. (12) Harles, le dernier éditeur de la Bibliothèque grecque de Fabricius, parle d'une traduction latine faite par Basile Chalcondyle, fils de Démétrius Chalcondyle. Basilii Chalcedonensis ( Chalcondylii) translationem librorum Appiani ineditam memorat Gaddius de scriptoribus non ecclesiast. tom. I, p. 8. Cette version, si elle a réellement été faite, doit avoir été postérieure à celle de Candidus ; car le père de ce traducteur, grec d'origine, ne passa en Italie qu'après la prise de Constantinople par Mahomet II, en 1i453 ; il mourut à Rome en 1513. ( Voy. le Dict. des hom. ill. ) II était donc encore assez jeune à l'époque de son arrivée en Italie. Il n'est donc guère probable que son fils ait pu traduire Appien avant Candidus. (13) Quod cum demirarer, animadversum a me utriusque lectione, in eam veni cogitationem primam ac majorem partent ejus libri qui fuit de Rebus Parthicis ab Appiano conditus, intercidisse, ac a quodam alio ex Plutarcho, quantum ejus potuit fieri, suppletum fuisse. Nam profecto etiam hœc quœ post finem verborum Plutarchi Appiano intertextorum sequuntur, minime cum prioribus cohœrent; deest enim omnis Parthica historia a morte Crassi usque ad lxxix Ventidii contra Labienum bellum, quam haud dubie diligenter Appianus persecutus fuerat, sed cum antecedentibus periit. (14) Ut ostenderet qualis foret ista quae Appiano peculiaris esse existimatur alienorum scriptorum usurpatio. (15)Fortasse autem si, ut historica Plutarchi scripta ad nos pervenerunt, ita et quorumdam aliorum historiae ad nos pervenissent, Appianum non in Plutarchi tantum, verum et alia quaedam scripta, in aliis suis historiis, id sibi permisisse videremus. (16) Hoc quo magis suspicabuntur, eo magis et cœteras ejus historias in pretio habere debebunt, tanquam varios historicos sub nomine unius legentes. (17) Ἔστι δὲ τὴν φράσιν ἀπέριπτος, καὶ ἰσχνός. Et certes Photius s'y connaissait. (18) Quid de tot dicam locis, in quibus, alia Appiani, alia Plutarchi, verba sunt, eodem interim sensu manente ? Et quidem interdum verba ita diversa, id est, ita diversam elegantiam habentia, ut magno ad deligendum elegantiora judicio sit opus. (19) « Le siècle d'Arrien fut celui des imitateurs, et un petit nombre d'écrivains seulement, tels que Plutarque, Lucien, Appien et Galien eurent un style caractéristique, et qu'on peut dire à eux. » Telle est la justice que rend à Appien un des critiques les plus éclairés et les plus sages de la république des Lettres, M. de Sainte-Croix, que la France a le droit de compter parmi les érudits dont elle peut s'honorer. Voyez son Examen critique des historiens d'Alexandre, p. 91, lig. 18. (20) In animadversionibus ad Eusebium, n. 2021, p. 177. Il appelait Appien, alienorum laborum fucum. (21) Vere omnina hœc Xylander : nec dubito illum alium qui hœc Plutarchi mutila Appiani Parthico infersit fuisse lxxx librarium, qui, ut vendere magis integrum Appianum posset carius, ex furto lucrum captarit. Prcef. p. 22, §. 14. (22) Voyez ci-dessus, note 12. (23) Voy. la préface de la dernière traduction de Maxime de Tyr, p. 24. (24) II paraît que ce fut par son ordre que Candidus, un de ses secrétaires, se livra à ce travail. Latine Appianum vertit Petrus Candidus December e codice graeco parum emendato, jussu Nicolai V, pontificis maximi cujus tum, fuit minister ab epistolis. Fabr. Biblioth. Gr. tom. V, p. 261. (25) Ce prince mourut en effet cette année-là. Dans la Bibliothèque grecque de Fabricius, on fait mourir Alphonse en. 1558, ce qui n'est qu'une erreur de typographie, au lieu de 1458. Au reste, cet Alphonse est celui auquel la postérité . toujours juste, a donné le surnom de magnanime, en considération de ces grandes qualités. On aurait dû lui donner également le titre de père des lettres, car il fut le premier qui ouvrit un asile aux muses fugitives de Constantinople, après l'événement qui fit tomber cette métropole de l'Empire grec au pouvoir de Mahomet II. On cite un trait bien remarquable de la part de cet Alphonse. Il aimait à aller seul et à pied dans les rues de sa capitale. Quelques courtisans lui représentèrent les dangers de cette familiarité vraiment populaire. Alphonse répondit à ses courtisans : « Un père qui se promène au milieu de ses enfants n'a rien à craindre. » Heureux le prince qui sent dans son cœur qu'il peut tenir ce langage avec confiance ! (26) In prœfatione, ad editionem suam Appiani, p. 2. (27) Scilicet tametsi ex eis quae in epistola ad Alphonsum his verbis Candidus de Appiano scripsit : « Ego, Médius fîdius, haec legon non audire Romanorum gesta dum, ut hactenus consueveram, verum intelligere, nec intelligere tantum sed adesse mihi videor, ita suo ordine singula apposita et descripta sunt », tametsi, inquam, ex his Candidi verbis lxxxi longe meliora de interpretations ejus augurareris, tamen infinitis in locis, non solum toto caelo ab auctoris sententia aberrantem, sed et per se ita obscuram, et mire contortam hanc versionem deprehendes, ut nihil aliud nisi hoc planum esse videatur, interpretent ipsum saepe, cum quid dixerit, tam quid dicere ex mente Appiani débitent, juxta nescivisse. Praef. edit. p. 3. (28) Si fides est N. Angelo Venusino, qui, in vita Philelphi, opera hujus viri recensens, ita scribit : « Libri quos e grœcis latinos fecit quotidie nostris versantur in manibus; a nam Appianus historicus, Dion Nicensis, Diodorus Siculus, per ipsum Philelphum in latinum egregie sunt conversi. » Schw. praef. p. 4. Il est singulier que les auteurs du Dictionnaire des hommes illustres n'aient rien dit de ces ouvrages de Philelphe, dans la notice qu'ils ont donnée de ses travaux littéraires. (29) Cum Candidi versio tantam celebritatem sit consecuta, ut, postquam calamo primum studiosè multiplicata essent ejus exemplaria, etc. Schweig. praef. p. 4. Il existe même encore dans certaines bibliothèques, de ces exemplaires manuscrits de la version latine de Candidus : Quod ea voluî monere, dit Schweighœuser à ce sujet, ne quis in catalogo manuscriptorum aliquod ex illis exemplaribus memoratiim legens, persuadeat sibi fortasse graecum Appiani codicem indicari. (30) Ce fut à Venise, ainsi que je l'ai déjà dit, que parut cette première édition, et non à Rome, ainsi que Fabricius l'a écrit par erreur dans sa Bibliothèque grecque. (31) Tandem magnifico adparatu typis excuderetnr, et novies ad minimum, quoad equidem sciam, in Italia, in Gallia, in Germania, repetita fuerit ejusdem versionis editio. Schweigh. ibid. On trouvera dans la Bibliothèque grecque de Fabricius, tom. V, p. 251, les détails les plus amples sur ces diverses éditions. (32) lxxxii C'était le temps où les opinions de la Réforme, introduites par Luthier et Calvin, faisaient en France le plus de. progrès. Robert Etienne embrassa ces nouvelles opinions, et poussé par ce zèle peu circonspect qui anime souvent les néophytes, il donna une édition de la Bible, avec des notes favorables à ce qu'on appelait l'hérésie. La Sorbonne prit la chose au tragique, et par un décret solennel frappa l'édition de Robert Etienne d'anathème. Alarmé sur les suites de cette affaire, Robert Etienne prit le bon parti de sortir de France, et de se retirer à Genève, où il mourut peu d'années après. (33) Librum sextum et septimum, sive Iberica et Hannibalica primus ex Italia secum attulit, et cum Ctesiae, Agatharchidis, Memnonisque eclogis grœce edidit, ex Arnoldi Arlenii Codice, Biblioth. graec. Fabric. tom. V, p. 247. (34) Ce François Berauld était d'Orléans. C'est Fabricius. qui me l'apprend, Bib. Gr. tom. 5,p. 247. (35) Fabricius nous apprend que ce livre d'Appien avait été depuis traduit en latin par Stephanus Gradius, patricien de Raguse, et bibliothécaire du Vatican, sur un des manuscrits de cette bibliothèque. Harles, son dernier éditeur, nous apprend également que Joseph Spalletti avait. fait sur ce livre des commentaires, e 'tracé des cartes géographiques que la mort l'empêcha de publier. (36) Mais il compara le texte des fragments déjà imprimés avec celui du manuscrit de Peiresc, et il en marqua les différentes leçons. Voyez Fabric. Bibl. Gr. tom V p. 253. (37) II paraît que Fabricius ne faisait pas grand cas de cette édition de Tollius. Parum laudis, dit-il, tulit Tollius apud posteras, quanquam hodie incipit ejus editio rarescere. (38) C'était tout simple ; Joseph Spalletti, dont nous venons de parler, travaillait sur le livre d'Appien qui contenait les guerres des Romains en Illyrie. Il était en train d'illustrer cet ouvrage par des commentaires et des cartes géographiques. lxxxiii II n'était donc pas bien aise que l'on vint chasser sur ses terres. (39) Je fais cette déclaration afin de prévenir le reproche qu'on a fait à Tollius, d'avoir voulu gloriari alienis bonis, en dissimulant les sources dans lesquelles il avait puisé, et les noms des écrivains dont il avait mis les matériaux en œuvre. (40) Versiones Italicœ, prœcipue ejus, quam e latina versione Candidi Braccius confecit, editiones sunt satis numerosœ. Bibl. Graec. Fabr, tom. V, p. 253. (41) Elle est intitulée Historia de todas las Guerras civiles que huro entre los Romanos, per Appiano Alexandrino. Alcala, de Henares, 1536. Voy. la Bibliothèque curieuse, historique et critique de David Clément. (42) On se rappelle ce que nous avons dit ci-dessus, qu'à l'époque où la version latine de Candidus fut publiée, l'imprimerie n'existait pas encore, et que cette version se répandit en manuscrits. (43) Ce manuscrit est celui dont Schweighœuser fait mention et qu'il appelle Codex Fonteblandensis. Voyez sa préface, pag. 6 et 9, ainsi que la note prior codex, etc. (44) C'est sous le nom latin de Geslenius que ce traducteur est connu dans la république des Lettres. J'ignore sur quel fondement Desmares le nomme Gallenius dans son Avis au lecteur. (44b) Ce second défaut n'existe pas dans la traduction de Desmares. Elle a une table des matières, peut-être un peu trop succincte, mais qui ne laisse pas d'être très utile, surtout dans un in-folio. On y a joint de plus une carte géographique qui embrasse tout l'empire romain, et à la suite de cette carte, l'imprimeur a placé un parallèle, de la géographie ancienne et nouvelle pour la carte de l'empire romain, dressée sur Appien d'Alexandrie, par Duval d'Abbeville, géographe ordinaire du roi. Ce parallèle est commode pour ceux qui désirent, en lisant l'histoire, d'appliquer les dénominations de la géographie des ancien» aux dénominations de la géographie des modernes. . (45) Desmares devait néanmoins être connu à cette époque, puisque ce fut en 1667 que l'ouvrage de Sorel fut imprimé, et que la traduction d'Appien par Desmares fut imprimée huit ans auparavant, en 1640., sans compter que Desmares nous apprend lui-même, à la fin de son. avis au lecteur, qu'à cette époque, en 1659, il était déjà connu dans la république des Lettres par des ouvrages de cette nature qu'il avait donnés au public, et qui avaient reçu plus d'applaudissements qu'il n'eût osé l'espérer. (46) lxxxiv Ex his libris quod plures interciderint ratio est quia pleraque videbatur exactius tradidisse Dionysius Halicarnassœus, et qui post Appianum scripsit, Dio Cassius. Bibl. Graec. tom. V, p. 246. (47) Voyez liv. IV, sect. XI. (48) Claude de Seyssel annonce dans le préambule de ce qu'il appelle son sixième livre, feuillet 431 de l'édition in-8° de 1552, qu'il a mis aussi Suétone à contribution pour les faits relatifs à Octave. Quant à moi, j'ai cru devoir me borner à prendre pour supplément le fragment de Plutarque par lequel j'ai complété le tableau des Guerres civiles. |