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Plutarque,

 

 

Vie de Cimon

 

Relu et corrigé

(texte grec)

abbé Dominique RICARD, Les Vies des Hommes illustres par Plutarque, t. ΙI, Paris, Firmin-Didot, 1883.

 

 

 

 

 

[1] Le devin Péripoltas, qui amena de Thessalie en Béotie le roi Opheltas avec les peuples de son obéissance, laissa dans ce pays une postérité qui fut très florissante pendant plusieurs siècles, et dont une grande partie s'établit à Chéronée; ce fut la première ville qu'ils habitèrent, après en avoir chassé les Barbares. La plupart de ses descendants, tous belliqueux et pleins de valeur, périrent dans les guerres des Mèdes et des Gaulois, où ils exposaient sans ménagement leur vie. Il ne resta de toute cette famille qu'un fils orphelin, nommé Damon, qui porta le surnom de Péripoltas. Il effaçait par sa beauté et par l'élévation de son âme tous les enfants de son âge, mais il avait des mœurs rudes et sauvages. Quand il fut hors de l'enfance, le capitaine d'une cohorte romaine, en quartier d'hiver à Chéronée, conçut pour ce jeune homme une passion criminelle; et n'ayant pu le séduire ni par ses prières ni par ses présents, il paraissait résolu d'employer la force, d'autant qu'alors Chéronée, sa patrie, était dans un état de faiblesse et de pauvreté qui la rendait méprisable. Damon, craignant la violence de cet homme, irrité d'ailleurs de ses sollicitations, conspira contre lui avec quelques-uns de ses camarades. Il ne s'en associa pas un grand nombre, afin de mieux cacher son complot : ils n'étaient en tout que seize. Après une nuit passée dans la débauche, ils se barbouillent le visage de suie, et le matin au point du jour ils vont sur la place, où le capitaine romain faisait un sacrifice, se jettent sur lui, le tuent avec plusieurs de ceux qui l'entouraient, et s'enfuient de la ville. Ce meurtre jeta le trouble dans Chéronée : le sénat s'assembla, et pour justifier la ville envers les Romains, condamna les assassins à mort. Le soir même, pendant que les magistrats soupaient ensemble, selon l'usage, Damon et ses complices entrèrent dans la salle, les égorgèrent tous, et prirent encore la fuite. II. Peu de jours après, Lucius Lucullus, en allant à une expédition, passa par Chéronée avec ses troupes. Informé du crime qui venait de se commettre, il suspendit sa marche, et, après avoir pris les informations les plus exactes, il se convainquit que la ville, loin de pouvoir être soupçonnée de quelque complicité, avait été elle-même victime de ces violences; il prit donc la garnison, et l'emmena avec lui. Damon cependant faisait des courses dans le pays, le désolait par ses brigandages, et menaçait toujours la ville. Les habitants de Chéronée lui envoyèrent plusieurs députations, et rendirent des décrets honorables pour lui, qui le déterminèrent enfin à retourner dans sa patrie. Dès qu'il y fut rentré, ils le nommèrent gymnasiarque ; et un jour qu'il se faisait étuver dans le bain, ils le tuèrent. Pendant longtemps il parut dans ce lieu, à ce qu'assurent nos pères, des spectres effrayants, et l'on y entendit des gémissements lugubres ; on mura donc les portes de l'étuve. Cependant, de nos jours encore, les voisins de ce lieu prétendent y voir toujours des spectres et entendre des voix lamentables. Les descendants de Damon (car il en reste encore, surtout dans la ville de Styris en Phocide) sont appelés, en dialecte éolique, les barbouillés de suie, en mémoire de Damon, qui, pour tuer le capitaine romain, s'en était noirci le visage.

[2] Quelque temps après, les habitants d'Orchomène, voisins et ennemis de ceux de Chéronée, corrompirent un délateur romain, qui intenta une accusation à la ville, comme il aurait pu faire à un simple particulier, et la poursuivit en justice pour complicité des meurtres commis par Damon. Les Romains n'envoyaient pas encore alors des préteurs dans la Grèce pour y rendre la justice. L'affaire fut donc portée devant le gouverneur de Macédoine, et les orateurs qui plaidèrent pour la ville ayant invoqué le témoignage de Lucullus, le gouverneur lui écrivit. Lucullus attesta la vérité du fait, et la ville gagna ce procès, dont la perte pouvait entraîner sa ruine. Les habitants de Chéronée, délivrés d'un si grand péril, élevèrent dans la place publique, à Lucullus, une statue de marbre auprès de celle de Bacchus. III. Quoique éloignés d'eux de plusieurs générations, nous n'en regardons pas moins le bienfait de Lucullus comme nous étant personnel; et, persuadés qu'un portrait qui ne rend que la forme du corps et les traits du visage n'a pas la même beauté qu'une image qui représente les mœurs et le caractère, nous tracerons dans ces Vies parallèles le tableau fidèle et vrai de ses actions. Il suffit, pour acquitter notre reconnaissance, de conserver le souvenir de ce qu'il a fait; et lui-même il ne voudrait pas qu'un récit faux et altéré fût le prix du témoignage véritable qu'il nous rendit en cette occasion. Quand nous faisons faire le portrait d'une belle personne, dont la figure, remplie de grâce, a quelques taches légères, nous ne voulons ni que le peintre les supprime entièrement, ni qu'il les rende avec trop de fidélité; l'un nuirait à la beauté du portait, l'autre à la ressemblance : de même, la difficulté, ou plutôt l'impossibilité de trouver une vie qui soit irrépréhensible et pure, nous fait une loi d'en exprimer fidèlement toutes les beautés : cette fidélité est comme la ressemblance du portrait. Mais ces fautes et ces taches dont les passions ou la nécessité des affaires parsèment la plus belle vie, nous devons les regarder moins comme de véritables vices que comme des imperfections de la vertu; au lieu de les rendre avec trop d'exactitude et de détail dans l'histoire, contentons-nous de les marquer légèrement, et ménageons avec une sorte de respect la faiblesse de la nature humaine, qui ne saurait produire rien de parfait, rien qu'on puisse proposer comme un modèle irréprochable de sagesse et de vertu.

[3] Il m'a paru que c'était Lucullus et Cimon que je devais comparer ensemble; ils ont été tous deux des guerriers distingués, et se sont immortalisés par leurs exploits contre les Barbares : tous deux ont gouverné avec beaucoup de douceur, et ont fait respirer leur patrie des discordes intestines qui l'avaient longtemps agitée; tous deux ont consacré, par des trophées, les victoires glorieuses qu'ils avaient remportées. Aucun général avant Cimon parmi les Grecs, et avant Lucullus chez les Romains, n'avait porté si loin ses conquêtes ; si l'on excepte les exploits d'Hercule et de Bacchus, les combats de Persée contre les Éthiopiens, les Mèdes et les Arméniens, enfin le voyage de Jason dans la Colchide, événements au reste qui sont d'une si haute antiquité, qu'on n'a pu nous rien transmettre de ces héros qui soit digne de foi. Cimon et Lucullus ont encore cela de commun qu'ils ont laissé l'un et l'autre leurs expéditions imparfaites; qu'ils ont considérablement affaibli leurs ennemis, mais qu'ils n'ont pu les détruire. On voit surtout entre eux une grande conformité pour la politesse et la générosité avec lesquelles ils accueillaient les étrangers, pour la magnificence et le luxe de leur vie journalière. Nous oublions peut-être ici quelques autres traits de ressemblance qu'il sera facile de saisir et de rassembler, d'après le récit de leurs actions.

[4] IV. Cimon était fils de Miltiade et d'Hégésipyle, Thracienne de nation, et fille du roi Olorus; c'est ce qu'on lit dans les poèmes qu'Archélaüs et Mélanthius ont faits en l'honneur de Cimon. Thucydide l'historien, qui était parent de Cimon, dit que son père s'appelait Olorus, comme le roi de ce nom son aïeul, et qu'il possédait des mines d'or dans la Thrace, où l'on prétend même qu'il mourut; il fut tué dans un petit endroit appelé Scapté-Hylé. On rapporta ses cendres dans l'Attique, et l'on montre encore son monument parmi les sépultures de la famille de Cimon, près du tombeau d'Elpinice, sœur de ce dernier. Mais Thucydide était du bourg d'Alimusium, et Miltiade de celui de Lacis. Miltiade, condamné à une amende de cinquante talents, fut mis en prison; et n'ayant pu la payer, il y mourut, laissant son fils dans sa première jeunesse, et Elpinice, sa sœur, qui n'était pas encore nubile. Cimon, dans ses premières années, eut une mauvaise réputation; il était connu dans Athènes pour un débauché et un grand buveur, parfaitement semblable à Cimon son aïeul, que sa stupidité avait fait surnommer Coalemos. Stésimbrote de Thasos, qui vivait à peu près du temps de Cimon, assure qu'il n'apprit ni la musique, ni aucune des sciences qu'on enseigne aux enfants de condition libre; qu'il n'avait rien de cette noblesse, de cette grâce du langage si ordinaire aux Athéniens; mais qu'il était d'un naturel franc et généreux, et que la trempe de son âme tenait plus d'un homme du Péloponnèse que d'un Athénien. Il était, comme l'Hercule d'Euripide,

« Grossier, sans agrément, mais rempli de vertus ».

C'est à peu près le portrait qu'en fait Stésimbrote.

V. Dans sa jeunesse, il fut accusé d'un commerce criminel avec sa sœur Elpinice, qui n'avait pas d'ailleurs une conduite trop réglée, et qui passait pour avoir vécu avec le peintre Polygnote. Ce fut même, dit-on, à cause de cette liaison que cet artiste, en peignant les captives troyennes dans le portique appelé alors Plésianactium, et aujourd'hui Pécile, y représenta Laodice sous les traits d'Elpinice. Au reste, ce Polygnote n'était pas un peintre mercenaire; il ne peignit pas ce portique pour de l'argent, et il le donna gratuitement à sa patrie. C'est du moins ce que disent tous les historiens, et le poète Mélanthius le confirme dans ces vers :

« Polygnote, à ses frais, voulut orner Athènes; Il n'en exigea rien pour le prix de ses peines : Nos temples, embellis par ses savants pinceaux, Offrent des demi-dieux les célèbres travaux ».

Quelques auteurs disent que la liaison d'Elpinice avec Cimon n'était ni criminelle ni secrète, mais qu'elle l'avait épousé publiquement, parce que sa pauvreté l'empêchait de faire un mariage digne de sa naissance. Dans la suite, Callias, un des plus riches Athéniens, qui en était devenu amoureux, ayant offert de payer l'amende à laquelle son père avait été condamné, Elpinice consentit à l'épouser, et Cimon la lui céda. Il paraît pourtant certain que Cimon fut très  porté à l'amour des femmes ; le poète Mélanthius, en le plaisantant à ce sujet dans ses élégies, fait mention d'une Astéria de Salamine, et d'une certaine Mnestra, que Cimon avait aimées. Il n'est pas moins constant qu'il eut pour sa femme légitime Isodicé, fille d'Euryptolème, fils de Mégaclès, une passion beaucoup trop vive, et qu'il fut inconsolable de sa perte, comme on peut en juger par les élégies qui lui furent adressées pour calmer sa douleur, et dont le philosophe Panétius croit qu'Archélaüs le physicien fut l'auteur : sa conjecture, qu'il fonde sur le rapport des temps, est assez vraisemblable.

[5] VI. Dans tout le reste de sa conduite, Cimon fit paraître une grandeur d'âme admirable. Égal à Miltiade en courage et à Thémistocle en prudence, il les surpassa l'un et l'autre en justice, de l'aveu de tout le monde. Sans leur être inférieur par les qualités guerrières, il fut dès sa jeunesse, et lorsqu'il n'avait encore aucune expérience dans les armes, bien au-dessus d'eux par les vertus civiles. Lorsqu'à l'invasion des Mèdes, Thémistocle proposa aux Athéniens de quitter la ville, d'abandonner le pays, de s'embarquer pour se rendre devant Salamine et y combattre sur mer, dans la consternation générale que causa un conseil si hardi, Cimon fut le premier qui, suivi de plusieurs de ses camarades, monta, d'un air gai, le long du Céramique à la citadelle, portant dans sa main un mors de bride qu'il allait consacrer à Minerve. Il voulait insinuer par là à ses concitoyens que, dans la conjoncture présente, Athènes n'avait plus besoin de gens de cheval, mais de bons hommes de mer. Après avoir fait son offrande, il prit un des boucliers qui étaient suspendus aux parois du temple, fit sa prière à la Déesse, descendit ensuite au rivage, et donna le premier, à la plupart de ses concitoyens, l'exemple de la confiance. Il était, suivant le poète Ion, assez bien de figure, d'une grande et belle taille; il avait de beaux cheveux qui frisaient naturellement, et qu'il entretenait avec soin. Les preuves signalées qu'il donna de sa valeur à la bataille de Salamine lui acquirent l'estime et l'affection de ses concitoyens, qui, s'attachant à lui en grand nombre, l'accompagnaient partout, et l'exhortaient à se rendre, par ses sentiments et par ses actions, l'héritier de la gloire que son père s'était acquise à Marathon. VII. A son entrée dans le gouvernement, il fut reçu du peuple avec les plus vifs témoignages de satisfaction. Les Athéniens, déjà dégoûtés de Thémistocle, charmés d'ailleurs de la douceur et de la bonté de Cimon, l'élevèrent aux premiers honneurs et aux plus grandes charges de la république. Mais personne ne contribua plus à son avancement qu'Aristide, fils de Lysimachus, qui voyait en lui un heureux naturel, et qui d'ailleurs voulut l'opposer comme un contrepoids aux talents et à l'audace de Thémistocle.

[6] Après que les Mèdes eurent été chassés de la Grèce, il fut nommé général de la flotte des Athéniens, qui, n'ayant pas encore la prééminence sur la Grèce, recevaient les ordres de Pausanias et des Lacédémoniens. Dans ses expéditions, il entretint toujours parmi ses troupes un ordre admirable, et leur inspira surtout une ardeur qui les distinguait de tous les autres alliés. Mais quand Pausanias eut formé des intelligences avec les Barbares, afin de trahir la Grèce; que même, dans cette vue, il eut lié des correspondances avec le roi; qu'ébloui de la grande autorité qu'il exerçait, et plein d'une folle arrogance, il se mit à traiter les alliés avec une dureté et un orgueil insupportables, Cimon alors eut soin de recevoir avec beaucoup de douceur et d'amitié ceux qui avaient a se plaindre des injustices de Pausanias; et par là il enleva insensiblement aux Lacédémoniens l'empire de la Grèce, sans employer la force des armes, et par le seul ascendant de son caractère et de ses discours. Le plus grand nombre des alliés ne pouvant plus souffrir les manières dures et hautaines de Pausanias, s'attachèrent à Cimon et à Aristide, qui, en même temps qu'ils les gagnaient par leurs bons procédés, firent avertir les éphores de rappeler Pausanias, parce qu'il déshonorait Sparte et jetait le trouble dans toute la Grèce. VIII. On raconte que Pausanias, étant à Byzance, envoya chercher, dans des vues criminelles, une jeune fille d'une famille distinguée, nommée Cléonice, et que ses parents, cédant à la crainte que leur inspirait le pouvoir de Pausanias, laissèrent emmener leur fille. Avant d'entrer dans la chambre, elle pria qu'on éteignît la lampe; et s'étant approchée, dans les ténèbres et en silence, du lit de Pausanias, qui était déjà endormi, elle donna par hasard contre la lampe, et la renversa. Pausanias, réveillé en sursaut par le bruit que la lampe fit en tombant, et croyant que c'était quelqu'un de ses ennemis qui venait l'assassiner, tire un poignard qu'il avait sous le chevet de son lit, et en frappe Cléonice, qu'il étend à ses pieds sur le carreau. Elle mourut de cette blessure; et depuis elle ne laissa plus goûter à Pausanias un seul instant de repos; son image venait toutes les nuits se présenter à lui pendant son sommeil, et lui répétait d'un ton de colère ce vers héroïque :

« Va, cours au châtiment que les forfaits méritent ».

Les alliés, dans l'indignation que leur causa cette action atroce, se joignirent à Cimon, et assiégèrent Pausanias dans Byzance; mais il trouva le moyen de s'échapper; et, toujours troublé par cette image, il se réfugia dans le temple d'Héraclée, où l'on évoque les âmes des morts. Là, après avoir appelé celle de Cléonice, il la conjura d'apaiser enfin sa colère. Elle lui apparut, et lui dit que, dès qu'il serait arrivé à Sparte, il verrait la fin de ses maux. Elle lui désignait, par ces mots énigmatiques, la mort qui l'y attendait. Tel est le récit de la plupart des historiens.

[7] IX. Cimon, à qui tous les alliés s'étaient réunis, s'embarqua avec toutes ses troupes pour aller dans la Thrace, d'où on lui avait mandé que quelques seigneurs persans, parents du roi, s'étaient emparés d'Éione, ville située sur les bords du Strymon, et que de là ils inquiétaient les Grecs des pays voisins. A peine arrivé, il remporta sur eux une grande victoire, et les obligea de se renfermer dans la ville. Ayant ensuite chassé les Thraces qui habitaient au-dessus du Strymon, et qui fournissaient des vivres aux ennemis, il se rendit maître de tout le pays; et, le gardant avec soin, il réduisit les assiégés à une telle disette, que Butes, général du roi, se voyant dans une situation désespérée, mit le feu à la ville, et s'y brûla avec ses amis et ses richesses. Cimon prit la ville, et n'y fit pas un grand butin, parce que les Barbares avaient tout brûlé; mais voyant que le pays d'alentour était aussi beau que fertile, il le donna à habiter aux Athéniens, qui, par reconnaissance, lui permirent de dresser dans la ville trois Hermès de marbre, avec les inscriptions suivantes. On lisait sur le premier :

« Gloire aux valeureux Grecs qu'on vit dans Éione,
Sur les bords du Strymon, à ces Perses fameux
Faire éprouver jadis les fureurs de Bellone,
Et dompter par la faim ces peuples orgueilleux ».

Le second portait ces mots :

« Tel est le prix flatteur d'une illustre victoire :
Athènes, pour payer ses dignes généraux,
De leurs brillants exploits consacre la mémoire,
Afin qu'à l'avenir de généreux rivaux,
En voyant sous leurs yeux ces monuments durables,
A marcher sur leurs pas se sentent destinés;
Et, signalant leurs bras par des faits mémorables,
Soient de mêmes honneurs à leur tour couronnés ».

Il y avait sur le troisième :

« C'est du sein de ces murs que le brave Mnesthée
Guidait aux champs troyens nos soldats belliqueux,
Pour suivre les destins des vaillants fils d'Atrée.
Homère a dit de lui, dans ses vers si fameux,
Que de tous les héros que possédait la Grèce,
Et qui se distinguaient par leurs divers talents,
Nul ne sut égaler sa merveilleuse adresse
Pour placer à propos de nombreux combattants.
Les enfants de Cécrops, héritiers de sa gloire,
Ont transmis d'âge en âge à tous leurs successeurs
Ce talent, qui pour eux a fixé la victoire,
Et les a fait jouir des plus brillants honneurs ».

[8] X. Quoique le nom de Cimon ne paraisse dans aucune de ces inscriptions, cependant elles passèrent alors pour le plus haut degré d'honneur où un citoyen pût parvenir : ni Thémistocle ni Miltiade n'en obtinrent jamais de semblable; ce dernier même ayant demandé qu'on lui permît de porter une couronne d'olivier, Socharès, du bourg de Décélie, se leva du milieu de l'assemblée, s'opposa à la demande de Miltiade, et lui dit ces mots pleins d'ingratitude, mais qui furent alors très agréables au peuple :

« Miltiade, quand vous aurez combattu seul contre les Barbares, et que vous les aurez vaincus, demandez alors des honneurs pour vous seul.»

 Pourquoi donc cette distinction singulière dont on récompensa les exploits de Cimon? Ne serait-ce pas que, sous les autres généraux, les Athéniens avaient combattu pour sauver leur patrie; et que Cimon, ayant porté la guerre dans le pays même des ennemis, s'était emparé d'une portion de leur territoire, avait fait la conquête des villes d'Éione et d'Amphipolis, où Athènes envoya des colonies, ainsi que dans l'île de Scyros, dont Cimon se rendit aussi maître ? Elle était habitée par des Dolopes, qui, peu entendus à la culture des terres, avaient de tout temps infesté les mers par leurs pirateries. Ils allèrent même jusqu'à dépouiller ceux qui venaient dans leur île pour commercer. Un jour, quelques marchands thessaliens ayant abordé à leur port de Ctésium, ils les pillèrent et les jetèrent en prison mais ceux-ci ayant trouvé moyen de se sauver, dénoncèrent cette violation du droit des gens aux amphictyons, qui condamnèrent toute la ville à dédommager les marchands de la perte qu'ils avaient faite. Le peuple refusa de contribuer à cette indemnité, et soutint qu'elle ne devait tomber que sur ceux qui avaient pillé les marchands. Les corsaires, craignant d'y être forcés, écrivirent à Cimon, et le pressèrent de venir avec sa flotte prendre possession de leur île, qu'ils étaient disposés à lui livrer. Cimon y alla; et s'étant rendu maître de l'île, il en chassa les Dolopes, et rendit libre la mer Égée. XI. Là, ayant appris que Thésée, fils d'Égée, obligé de fuir d'Athènes, s'était retiré à Scyros, dont le roi Lycomède, par la crainte des Athéniens, l'avait tué en trahison, il ne négligea rien pour découvrir son tombeau; car un oracle avait ordonné aux Athéniens de rapporter à Athènes les ossements de Thésée, et de l'honorer comme un héros. Mais ils ignoraient le lieu de sa sépulture; et les habitants de Scyros ne voulaient ni convenir qu'elle fut dans leur île, ni souffrir qu'on y fît des recherches. Cimon y mit tant de zèle et tant de soin, qu'enfin il découvrit son tombeau; il chargea les ossements de Thésée sur sa galère, qu'il fit magnifiquement orner, et les rapporta dans sa patrie, près de quatre cents ans après que Thésée en était parti. Le peuple lui en sut toujours depuis beaucoup de gré; et, pour perpétuer la mémoire de cet événement, on institua, entre les poètes tragiques, des combats qui eurent la plus grande célébrité. Sophocle, encore jeune, y fit jouer sa première pièce; et l'archonte Aphepsion, qui vit dans les spectateurs beaucoup de partialité et de brigues, ne voulut pas tirer au sort les juges du combat. Mais Cimon et les autres généraux étant entrés au théâtre pour y faire les libations d'usage au dieu à l'honneur duquel ces jeux étaient célébrés, l'archonte ne leur permit pas de sortir; et après leur avoir fait prêter serment, il les obligea de s'asseoir et de faire les fonctions de juges : ils étaient dix, un de chaque tribu. La dignité des juges donna la plus vive émulation aux acteurs ; Sophocle remporta le prix; et le poète Eschyle en fut tellement affligé, qu'il ne fit pas depuis un long séjour à Athènes. Il se retira de dépit en Sicile, où il mourut, et fut enterré près de la ville de Géla.

[9] XII. Le poète Ion raconte qu'étant allé, dans sa jeunesse, de Chio à Athènes, chez Laomédon, il soupa un soir avec Cimon, qui, après les libations, étant prié de chanter, s'en acquitta avec tant de grâce, que tous les convives le louèrent à l'envi, et le trouvèrent d'une société plus agréable que Thémistocle, qui disait que jamais il n'avait appris à chanter ni à jouer de la lyre; mais qu'il savait agrandir et enrichir une ville petite et pauvre. Après que Cimon eut fini de chanter, la conversation tomba naturellement sur ses actions; et chacun ayant rappelé celles qui lui paraissaient les plus belles, Cimon raconta une ruse dont il s'était servi, et qu'il regardait comme ce qu'il avait jamais fait de plus sage. Les alliés ayant fait, dans les villes de Sestos et de Byzance, un très grand nombre de prisonniers sur les Barbares, ils prièrent Cimon de faire le partage de tout le butin : Cimon mit d'un côté les Barbares tout nus, et de l'autre les ornements qu'ils portaient sur leurs personnes. Les alliés se plaignirent d'un partage qu'ils trouvaient trop inégal. Cimon leur offrit de choisir la part qu'ils voudraient, et leur dit que les Athéniens se contenteraient de celle qu'ils auraient laissée. Alors, d'après le conseil qu'Hérophyte de Samos leur donna de choisir les dépouilles des Perses plutôt que les Perses eux-mêmes, ils prirent les ornements des captifs, et laissèrent leurs personnes aux Athéniens. Cimon s'en alla, et l'on dit de lui qu'il faisait ridiculement les partages; car les alliés emportaient des chaînes, des colliers et des bracelets d'or, avec une grande quantité de vêtements et de manteaux de pourpre; au lieu que les Athéniens n'avaient que des corps nus, très peu propres au travail : mais bientôt les parents et les amis des prisonniers arrivèrent de Lydie et de Phrygie, avec de grandes sommes d'argent pour les racheter. Cette rançon fournit à Cimon de quoi entretenir sa flotte pendant quatre mois; et il resta encore beaucoup d'argent, qu'il fit verser dans le trésor public.

[10] XIII. Cimon, s'étant par là fort enrichi, fit le meilleur usage de la fortune qu'il avait honorablement acquise sur les Barbares; il l'employa plus honorablement encore au soulagement de ses concitoyens. Il fit enlever les clôtures de ses héritages, afin que les étrangers et ceux des Athéniens qui en auraient besoin allassent sans crainte en cueillir les fruits. Il avait tous les jours chez lui un souper simple, mais suffisant pour un grand nombre de convives; tous les pauvres qui s'y présentaient étaient reçus, et y trouvaient leur nourriture, sans être obligés de travailler, afin de n'avoir à s'occuper que des affaires publiques. Suivant Aristote, ce souper n'était pas pour tous les Athéniens pauvres sans distinction, mais seulement pour tous les pauvres de son bourg de Lacis. Dans les rues d'Athènes, il était suivi de plusieurs domestiques très bien habillés; et lorsqu'il rencontrait quelque vieillard mal vêtu, il lui faisait donner l'habit d'un de ses gens; et ces citoyens pauvres se trouvaient honorés de cette libéralité : ces mêmes domestiques portaient sur eux beaucoup d'argent, et lorsqu'ils voyaient dans la place quelqu'un de ces honnêtes indigents, ils s'approchaient, et lui mettaient secrètement dans la main quelque pièce d'argent. C'est à quoi le poète comique Cratinus semble faire allusion dans sa pièce intitulée « les Archiloques », où il dit :

« Simple et pauvre greffier, j'avais eu l'espérance
De passer mes vieux jours dans une douce aisance,
Auprès du bon Cimon, ce vieillard généreux,
Cet homme hospitalier, digne émule des dieux,
Et qui par ses bienfaits, sa vertu, sa sagesse,
Doit être le premier des héros de la Grèce :
Mais du destin cruel ô rigoureuse loi!
Pauvre Métrobius, il est mort avant toi ».

Gorgias le Léontin disait aussi que Cimon ramassait des richesses pour en user, et qu'il en usait pour se faire estimer. Critias lui-même, l'un des trente tyrans, souhaite, dans ses élégies,

« Des enfants de Scopas l'étonnante opulence,
Du généreux Cimon l'illustre bienfaisance,
Et les brillants exploits du brave Agésilas ».

XIV. Le nom du Spartiate Lichas est devenu célèbre parmi les Grecs, uniquement parce qu'il recevait chez lui les étrangers qui venaient aux gymnopédies ; mais la libéralité de Cimon surpassait de beaucoup l'hospitalité et l'humanité des anciens Athéniens. Ceux-ci se glorifient avec raison d'avoir répandu parmi les hommes la semence de leur nourriture, de leur avoir découvert les sources d'eau, et enseigné l'usage du feu pour subvenir à leurs besoins. Mais Cimon, qui faisait de sa maison une sorte de prytanée commun à tous ses concitoyens, qui laissait même aux étrangers la liberté de cueillir les prémices des fruits de ses terres et de tout ce que chaque saison lui apportait de meilleur, pour en user à leur gré, semblait avoir ramené sur la terre cette communauté de biens, si vantée au siècle de Saturne. On a calomnié cette bienfaisance, en la représentant comme un moyen dont se servait Cimon pour flatter et gagner la multitude; mais il ne faut, pour confondre ces détracteurs, que considérer le reste de la conduite de Cimon : il tenait le parti de la noblesse, et penchait pour le gouvernement des Lacédémoniens Il fit voir ses sentiments à cet égard lorsqu'il se joignit à Aristide contre Thémistocle, qui élevait beaucoup trop haut la démocratie; et depuis encore, quand il se déclara ouvertement contre Éphialte, qui, pour complaire au peuple, voulait abolir l'aréopage. Quoiqu'il vît tous ceux qui gouvernaient de son temps, excepté Aristide et Éphialte, s'enrichir aux dépens du trésor publie, il se conserva toujours pur et incorruptible dans son administration; et ne reçut jamais de présent; il persévéra toute sa vie à dire et à faire gratuitement, et sans ternir la pureté de sa conduite, tout ce qu'il croyait utile à sa patrie. On raconte qu'un Barbare, nommé Résacès ayant quitté le roi de Perse, vint à Athènes avec de grandes richesses; comme il y était sans cesse tourmenté par les délateurs, il se réfugia chez Cimon, et en entrant il mit à la porte de la salle deux coupes pleines, l'une de dariques d'argent, l'autre de dariques d'or. Cimon lui demanda, en souriant, lequel il aimait le mieux, d'avoir Cimon pour mercenaire ou pour ami.

« Pour ami, lui répondit le Barbare. — Eh bien! repartit Cimon, remportez avec vous votre or et votre argent : devenu votre ami, je m'en servirai quand j'en aurai besoin ».

[11] XV. Dans ce temps-là les alliés, se bornant à payer les taxes qu'on leur avait imposées, n'envoyaient plus ni les hommes ni les vaisseaux qu'ils s'étaient engagés de fournir. Fatigués de tant d'expéditions, et la guerre étant devenue inutile depuis que les Barbares s'étaient retirés et ne venaient plus les troubler, ils n'avaient d'autre désir que de cultiver en paix leurs héritages, et se refusaient à ces dernières contributions. Les autres généraux des Athéniens voulaient les y contraindre; ils traînaient devant les tribunaux ceux qui ne les payaient pas, les faisaient condamner à des amendes, et par ces voies de rigueur ils leur rendaient odieux et insupportable le gouvernement des Athéniens. Quand Cimon fut revêtu du commandement, il suivit une route tout opposée: il n'employa la violence contre aucun des alliés; il recevait, de ceux qui ne voulaient pas faire le service militaire, de l'argent et des galères vides; il souffrait qu'amorcés par les charmes du repos, ils restassent tranquilles dans leurs foyers, et que, de bons soldats qu'ils étaient, ils devinssent, par leur imprudence et par leur luxe, des laboureurs et des commerçants timides; au contraire, il faisait monter tour à tour les Athéniens sur les galères des alliés, et les ayant aguerris par des expéditions fréquentes, il arriva qu'en peu de temps, par le moyen de ces contributions et de la solde que payaient les alliés, les Athéniens devinrent les maîtres de ceux qui les soudoyaient. Comme ils étaient continuellement sur mer, qu'ils avaient toujours les armes à la main, qu'ils étaient nourris et exercés dans ces expéditions si fréquentes, leurs alliés, qui s'étaient accoutumés à les craindre et à les flatter, se trouvèrent bientôt, sans s'en apercevoir, les tributaires et les esclaves de ceux dont ils avaient été d'abord les alliés.

[12] XVI. Jamais aucun autre général grec ne rabaissa, ne réprima autant que Cimon la fierté du grand roi : non content de l'avoir chassé de la Grèce, il s'attacha à le suivre pied à pied, sans donner à ses troupes le temps de respirer et de réparer leurs pertes; il ravagea les États du roi, s'empara de plusieurs de ses villes, en fit révolter d'autres qui embrassèrent le parti des Grecs, et bientôt dans toute l'Asie Mineure, depuis l'Ionie jusqu'à la Pamphylie, on ne vit plus paraître les armes des Perses. Informé que les généraux de ce prince occupaient, avec des forces considérables de terre et de mer, les côtes de la Pamphylie, et voulant jeter parmi eux une telle frayeur qu'ils n'osassent plus se montrer dans toute la mer qui est en deçà des îles Chélidoniennes, il partit des ports de Cnide et de Triopium avec deux cents galères que Thémistocle avait fait construire; elles étaient légères, et propres à faire avec agilité toutes les évolutions; mais Cimon y fit ajouter des planches qui, débordant de chaque côté, formaient un pont capable de contenir un grand nombre de combattants, et les rendaient par là plus redoutables aux ennemis. Il fit d'abord voile vers la ville des Phasélites : quoique Grecs de nation, ils ne voulurent ni recevoir sa flotte ni se détacher du parti du roi. Il fit donc le dégât dans leur pays, et s'approcha de la ville pour en faire le siège; mais ceux de Chio, qui servaient dans l'armée de Cimon, et qui de tout temps étaient amis des Phasélites, ayant adouci sa colère, en donnèrent avis aux assiégés par des lettres attachées à des flèches qu'ils lançaient par-dessus les murailles; enfin ils négocièrent pour eux la paix, à condition qu'ils paieraient dix talents, et qu'ils accompagneraient Cimon dans son expédition contre les Barbares. XVII. L'historien Éphore dit que Tithraustes commandait la flotte du roi, et Phérendates son armée de terre; suivant Callisthène, Ariamandes, fils de Gobryas, était généralissime de toutes les troupes, et résolu de ne pas combattre contre les Grecs avant l'arrivée de quatre-vingts vaisseaux phéniciens qui lui arrivaient de Chypre, il se tenait à l'ancre avec toute sa flotte à l'embouchure du fleuve Eurymédon. Cimon, qui de son côté voulait prévenir l'arrivée de ces vaisseaux, s'avance contre les Barbares, déterminé, s'ils ne voulaient pas combattre de leur plein gré, de les y contraindre par la force. Les Perses, qui, pour n'y être pas obligés malgré eux, étaient entrés dans le fleuve, s'y voyant poursuivis par les Athéniens, vinrent sur eux avec six cents voiles, selon Phanodème, et seulement avec trois cent cinquante, suivant Éphore; mais ils ne firent rien qui répondît à des forces si considérables : ils tournèrent promptement leurs proues vers le rivage, et les premiers qui purent y aborder s'enfuirent vers l'armée de terre, qui était rangée en bataille sur la côte. Les Grecs firent main basse sur tous ceux qui tombèrent entre leurs mains, et s'emparèrent de leurs vaisseaux. On ne peut douter que la flotte des Barbares ne fût très nombreuse, car, outre qu'il s'en sauva plusieurs, comme cela devait être, et qu'il y en eût beaucoup de brisés ou de coulés à fond, les Athéniens en prirent plus de deux cents.

[13] XVIII. Cependant leur armée de terre s'étant approchée du rivage, Cimon vit trop de danger à tenter une descente si près de l'ennemi, et à mener ses Grecs, fatigués d'un premier combat, contre des troupes fraîches et beaucoup plus nombreuses. Mais voyant que la victoire avait relevé le courage de ses soldats, et que, se sentant pleins de force, ils ne demandaient qu'à aller contre les Barbares, il débarqua son infanterie, qui, tout échauffée du combat qu'elle venait de livrer sur mer, s'élança sur le rivage en jetant de grands cris, et fondit avec impétuosité sur les Perses. Ceux-ci les attendirent de pied ferme, et soutinrent ce premier choc avec tant de valeur, que le combat fut très rude. Les plus braves et les plus considérables d'entre les Athéniens y périrent; mais enfin les Grecs, redoublant d'efforts, mirent en fuite les Barbares, et en firent un grand carnage. Tous ceux qui échappèrent au fer de l'ennemi furent faits prisonniers, et leurs tentes, qui étaient remplies de richesses de toute espèce, tombèrent au pouvoir des Grecs. Cimon, tel qu'un athlète infatigable, après avoir remporté en un seul jour deux grandes victoires, et effacé par son combat de terre l'exploit de Salamine, et par sa bataille navale celle de Platée, releva ces deux grands avantages par un nouveau triomphe. Averti que les quatre-vingts galères phéniciennes, qui n'avaient pu se trouver à la bataille, étaient au port d'Hydra, il cingla de ce côté en toute diligence. Les généraux qui les commandaient n'avaient rien de certain sur le sort de la grande flotte, et ne pouvant croire au bruit de sa défaite, ils restaient en suspens; mais, à la vue des vaisseaux ennemis, ils furent tellement glacés de terreur, qu'ils ne firent presque pas de résistance : tous leurs vaisseaux furent pris, et la plus grande partie de leurs troupes taillées en pièces. XIX. Ces grands exploits rabaissèrent si fort l'orgueil du roi, qu'il conclut ce traité de paix si célèbre, par lequel il s'engageait à tenir ses armées de terre éloignées des mers de la Grèce de la course d'un cheval, et ne jamais naviguer avec des galères ou d'autres vaisseaux de guerre entre les îles Chélidoniennes et les roches Cyanées. Callisthène prétend que ces conditions ne furent point stipulées dans le traité, et que le roi les exécuta de lui-même, par l'effet de la terreur dont l'avaient frappé les défaites qu'il avait essuyées; que depuis il se tint toujours si loin de la Grèce, que dans la suite Périclès avec cinquante galères, et Éphialte seulement avec trente, allèrent au delà des îles Chélidoniennes sans avoir rencontré un seul vaisseau des Barbares. Mais l'existence de ce traité est prouvée par la copie qui s'en trouve dans le recueil des décrets publié par Cratère. On dit même que ce fut à cette occasion que les Athéniens élevèrent l'autel de la Paix, et décernèrent de grands honneurs à Callias, qu'ils avaient envoyé auprès du roi pour la ratification du traité. Les dépouilles des vaincus furent vendues à l'encan; et de l'argent qu'on en retira, après avoir fourni à toutes les dépenses ordinaires, on bâtit encore la muraille de la citadelle qui regarde le midi. On ajoute que les grandes murailles, qu'on appelle les jambes, ne furent élevées qu'après la mort de Cimon; mais que ce fut lui qui en jeta les premiers fondements; et comme le terrain sur lequel il fallut les asseoir était marécageux et rempli d'eaux stagnantes, il en fit dessécher et consolider à ses frais tout le fond, en y jetant une grande quantité de cailloux et de pierres de taille. Cimon fut aussi le premier qui embellit la ville de ces lieux publics destinés à des exercices et des jeux honnêtes, qui bientôt après furent si recherchés. Il entoura la place publique de belles allées de platanes; de l'emplacement de l'Académie, qui était nu et aride, il en fit un beau parc, arrosé de plusieurs fontaines, planté de grandes allées pour la promenade, et de lices pour les courses.

[14] XX. Cimon, informé que quelques Perses ne voulaient pas abandonner la Chersonèse, et qu'ils appelaient à leur secours les habitants de la haute Thrace, partit d'Athènes avec quatre galères : un si faible armement excita le mépris des Barbares; mais Cimon ne laissa pas de fondre sur eux; et avec ses quatre vaisseaux il leur en prit treize, les chassa du pays, subjugua les Thraces, et mit toute la Chersonèse sous la domination des Athéniens. De là, marchant contre les Thasiens qui s'étaient révoltés, il gagne sur eux une bataille navale, leur prend trente-trois vaisseaux, assiège leur ville qu'il emporte d'assaut, acquiert aux Athéniens les mines d'or que ce peuple possédait dans le continent voisin, et s'empare de tous les pays qui étaient de leur dépendance. Il lui était facile de passer de là dans la Macédoine, et d'enlever aux Macédoniens une grande étendue de pays : une si belle occasion manquée le fit soupçonner de s'être laissé gagner par les présents du roi Alexandre. Ses ennemis se liguèrent contre lui, et l'appelèrent en justice : dans sa défense, il dit qu'il n'avait jamais formé de liaison avec des peuples riches, tels que les Ioniens et les Thessaliens, comme l'avaient fait les autres généraux, qui cherchaient dans ces alliances des honneurs et des richesses; qu'il ne s'était lié qu'avec les Lacédémoniens, parce qu'il estimait leur vie frugale, qu'il préférait à toutes les richesses du monde, et qu'il s'était proposé d'imiter : qu'au reste, il se faisait un plaisir d'enrichir sa patrie des dépouilles des ennemis. Stésimbrote, en parlant de ce procès, rapporte qu'Elpinice alla chez Périclès pour le solliciter en faveur de son frère, dont il était le plus ardent accusateur, et que Périclès lui dit en riant :

« Elpinice, vous êtes bien âgée pour terminer de si grandes affaires. »

Cependant, le jour du jugement, il fut beaucoup plus doux que les autres accusateurs; il ne se leva qu'une seule fois pour parler contre lui, parce qu'il ne pouvait s'en dispenser.

[15] Cimon fut absous. XXI. Au reste, tant qu'il gouverna dans Athènes, il sut réprimer et contenir le peuple, qui s'efforçait d'envahir l'autorité des nobles, et d'attirer à soi tout le pouvoir du gouvernement; mais il eut à peine repris le commandement de la flotte, que le peuple, n'ayant plus de frein dans la ville, changea tout l'ancien ordre du gouvernement, renversa les lois et les coutumes antiques, poussé par Éphialte, qui était à la tête de ce parti. Cet orateur, soutenu par Périclès qui commençait à avoir du crédit, et qui s'était déclaré pour la multitude, ôta au sénat de l'aréopage la plus grande partie des causes dont la connaissance lui était attribuée, se rendit maître de tous les tribunaux, et jeta la ville dans une pure et absolue démocratie. Cimon, à son retour, ne put retenir son indignation de voir ainsi la dignité du sénat avilie; il fit tous ses efforts pour le remettre en possession des jugements, et rétablir le gouvernement aristocratique, tel que Clisthène l'avait institué : mais ses ennemis s'étant ligués, soulevèrent le peuple contre lui, et pour le décrier ils renouvelèrent les bruits qui avaient couru autrefois, de son commerce avec Elpinice, et lui reprochèrent son attachement pour les Lacédémoniens. Eupolis fit à cette occasion des vers qui coururent partout, et où il disait :

« Il n'était pas méchant; mais il aimait la table,
Du public quelquefois négligeait l'intérêt,
Et souvent, de sa sœur s'échappant en secret,
Allait passer à Sparte une nuit agréable ».

XXII. Mais si avec cette négligence et cet amour pour le vin, qu'on lui reproche, il prit tant de villes et remporta tant de victoires, qu'eût-il donc fait s'il eût été vigilant et sobre? il n'y aurait eu certainement, ni avant ni après lui, aucun général grec qui eût surpassé ses exploits.

[16] Il est vrai que de très bonne heure il eut du penchant pour les Lacédémoniens : de deux enfants jumeaux qu'il eut, selon Stésimbrote, d'une femme de Cleitor, il nomma l'un Lacédémonius, et l'autre Eléus. Aussi Périclès reprocha-t-il souvent à ces enfants leur origine maternelle : mais, suivant Diodore le géographe, ces deux enfants, et un troisième qu'il nomma Thessalus, eurent pour mère Isodicé, fille d'Euryptolème, fils de Mégaclès. Cependant son crédit s'était beaucoup accru par la faveur des Lacédémoniens, qui s'étant déjà déclarés les ennemis de Thémistocle, voulaient que Cimon, quoique encore jeune, eût plus de pouvoir et d'autorité que lui dans Athènes. Les Athéniens virent d'abord avec plaisir cette bienveillance des Spartiates pour Cimon, qui leur procurait à eux-mêmes de grands avantages. Dans les premiers progrès de leur puissance, où ils se mêlaient beaucoup des affaires des alliés, ils n'étaient pas fâchés de la considération et du pouvoir dont jouissait Cimon, qui, fort aimé des Lacédémoniens, traitant les alliés avec beaucoup de douceur, décidait presque seul des affaires de la Grèce : mais quand ils furent devenus plus puissants, cet attachement extrême de Cimon pour les Spartiates leur déplut; il ne manquait pas une occasion de vanter Lacédémone devant les Athéniens, surtout, suivant Stésimbrote, quand il leur faisait des reproches, ou qu'il voulait les piquer; il avait alors coutume de dire :

« Ce n'est pas ainsi que se conduisent les Lacédémoniens. »

Cette partialité pour les Spartiates lui attira l'envie et la malveillance de ses concitoyens. XXIII. Mais ce qui fortifia le plus ces dispositions du peuple, ce fut une calomnie dont on le chargea, et dont voici l'occasion. La quatrième année du règne d'Archidamus, fils de Zeuxidamus, Sparte éprouva le plus grand tremblement de terre dont on eût encore entendu parler. La terre s'entrouvrit et s'abîma en plusieurs endroits; le mont Taygète en fut tellement agité, que plusieurs de ses sommets s'écroulèrent; la ville se trouva dans la confusion la plus horrible, et, excepté cinq maisons, toutes les autres furent fortement ébranlées. Quelques instants avant cet événement funeste, un certain nombre de jeunes hommes et de jeunes garçons s'exerçaient nus dans un portique, lorsqu'ils virent un lièvre passer devant eux; les jeunes garçons, tout frottés d'huile qu'ils étaient, se mirent à courir et à le poursuivre; ils furent à peine sortis, que le portique tomba sur les jeunes gens qui étaient restés, et les écrasa. Leur tombeau subsiste encore, et s'appelle Sismatia. Archidamus, à qui le danger présent fit conjecturer sur-le- champ celui qu'on avait à craindre, et qui voyait les citoyens uniquement occupés à sauver de leurs maisons les effets les plus précieux, fit sonner l'alarme, comme si l'ennemi eût été aux portes de la ville, afin qu'ils accourussent au plus tôt se ranger autour de lui avec leurs armes. Cette présence d'esprit sauva seule la ville dans cette affreuse conjoncture; car les Ilotes accoururent de tous côtés de la campagne pour massacrer tous les Spartiates qui auraient échappé au tremblement de terre : mais quand ils les virent armés et rangés en bataille, ils se retirèrent dans les villes voisines, dont la plupart embrassèrent leur parti; soutenus d'ailleurs par les Messéniens, qui de leur côté attaquèrent les Spartiates, ils commencèrent contre Lacédémone une guerre ouverte : les Lacédémoniens donc envoyèrent Périclidas à Athènes pour demander du secours. C'est de lui que le poète Aristophane dit en plaisantant :

« De pourpre revêtu, pâle et défiguré,
Embrassant un autel du peuple révéré,
Il venait chaque jour demander une armée ».

Éphialte s'y opposait, en protestant qu'on ne devait pas les secourir, et relever une ville rivale d'Athènes; qu'il fallait la laisser ensevelie sous ses ruines, et fouler aux pieds l'orgueil de Sparte. XXIV. Critias dit que Cimon, préférant l'intérêt des Lacédémoniens à l'agrandissement de sa patrie, amena le peuple à son sentiment, et marcha au secours de Sparte avec un corps nombreux de troupes. Ion même rapporte l'endroit de son discours qui fit plus d'impression sur les Athéniens; il les exhorta à ne pas laisser la Grèce boiteuse, et à ne pas ôter à Athènes un contrepoids nécessaire.

[17] Après avoir secouru les Lacédémoniens, il s'en retourna par Corinthe avec son armée. Lachartus, qui commandait dans cette ville, se plaignit à lui de ce qu'il y avait fait entrer ses troupes sans en prévenir les Corinthiens.

« Lorsqu'on frappe à une porte, ajouta-t-il, on n'entre pas que le maître ne l'ait ordonné. — Mais vous-même, Lachartus, lui répondit Cimon, au lieu de frapper aux portes de Cléone et de Mégare, vous les avez brisées, et vous êtes entré dans ces villes les armes à la main, en disant que les plus forts avaient droit d'entrer partout. »

Ce ton de fermeté en imposa à propos au général corinthien, et Cimon poursuivit sa marche. Les Lacédémoniens appelèrent une seconde fois les Athéniens à leur secours contre les Messéniens et les Ilotes, qui s'étaient rendus maîtres d'Ithome. Mais quand les Athéniens furent arrivés, les Spartiates craignirent leur audace et leur ardeur; et sous prétexte qu'ils tramaient quelque nouveauté, ils les renvoyèrent seuls entre tous les alliés. Cet affront outra de colère les Athéniens, qui, étant repartis sur-le-champ, se déclarèrent dès ce moment les ennemis de ceux qui favorisaient les Lacédémoniens ; et, saisissant le plus léger prétexte, ils bannirent Cimon par l'ostracisme, genre d'exil qui devait durer dix ans. XXV. Dans cet intervalle, les Lacédémoniens, en revenant de Delphes qu'ils avaient délivrée du joug des Phocéens, campèrent dans les plaines de Tanagre. Les Athéniens sortirent au-devant d'eux pour leur livrer bataille, et Cimon se rendit en armes dans sa tribu Aenéide, montrant la plus grande ardeur pour combattre, avec ses compatriotes, contre les Lacédémoniens. Mais le conseil des Cinq Cents qui en fut informé, et à qui les clameurs des ennemis de Cimon firent craindre qu'il ne fût venu pour troubler l'ordonnance de la bataille, et introduire les Lacédémoniens dans Athènes, fit défendre aux capitaines de le recevoir dans aucune de leurs compagnies. Il se retira donc, après avoir conjuré Euthippe, du bourg d'Anaphlyste, et quelques autres de ses compagnons qu'on regardait comme les plus chauds partisans des Lacédémoniens, de combattre de toutes leurs forces, et de se laver par leur conduite, aux yeux de leurs concitoyens, du soupçon qu'on avait formé contre eux. Ces guerriers, qui étaient au nombre de cent, placèrent au milieu de leur bataillon l'armure complète de Cimon; et, se tenant serrés les uns contre les autres; ils se firent tous tuer, après avoir fait des prodiges de valeur, et laissé aux Athéniens autant de regret que de repentir de l'accusation injuste dont on les avait noircis. Aussi leur ressentiment contre Cimon ne dura-t-il pas longtemps; il céda bientôt, soit au souvenir de ses grands services, soit aux conjonctures fâcheuses où ils se trouvèrent. Complètement battus dans ce combat de Tanagre, et s'attendant, pour le printemps prochain, à une incursion des Péloponnésiens sur leurs terres, ils rappelèrent Cimon de son bannissement; et Périclès lui-même en proposa le décret : tant les querelles particulières étaient subordonnées aux raisons d'État! tant les inimitiés étaient modérées, et tombaient facilement devant l'intérêt public ! tant enfin l'ambition, cette passion qui soumet toutes les autres, cédait sans peine aux besoins de la patrie!

[18] XXVI. Cimon, à peine de retour dans Athènes, mit fin à cette guerre par la réconciliation des deux villes. Quand la paix fut conclue, il vit que les Athéniens, incapables de repos, voulaient tenter de nouvelles entreprises, et faire servir leurs armées à l'agrandissement de leur puissance. Pour les empêcher donc de troubler quelqu'un des peuples de la Grèce, ou, en parcourant avec une flotte nombreuse les îles et le Péloponnèse, de faire accuser Athènes d'avoir suscité des guerres civiles, ou donné aux alliés des sujets de plainte, il équipa deux cents galères, qu'il destinait à une seconde expédition en Égypte et en Chypre. Par là il voulait à la fois exercer les Athéniens dans des guerres contre les Barbares, et les enrichir par des moyens légitimes, en leur faisant rapporter dans la Grèce les riches dépouilles de leurs ennemis naturels. Quand la flotte fut prête et les troupes au moment de s'embarquer, Cimon eut un songe dans lequel il crut voir une lice irritée qui aboyait contre lui, et qui, au milieu de ses cris, prononça d'une voix humaine :

« Viens, tu me serviras et mes petits et moi ».

Ce songe était difficile à expliquer; mais Astyphilus de Posidonie, versé dans l'art de la divination, et ami particulier de Cimon, lui déclara que cette vision lui annonçait une mort prochaine; et voici comment il l'expliquait. Le chien est ennemi d'un homme contre lequel il aboie; et l'on ne peut faire plus de plaisir à son ennemi que de mourir. Le mélange de la voix humaine avec le cri du chien désigne un ennemi mède; car l'armée des Mèdes est mêlée de Grecs et de Barbares. Quelques jours après cette vision, Cimon fit un sacrifice à Bacchus; le prêtre ayant ouvert la victime, il s'assembla autour de son corps une prodigieuse quantité de fourmis qui enlevant le sang déjà figé, le portaient peu à peu auprès de Cimon, et lui en enduisaient le gros doigt du pied. Il fut longtemps sans s'en apercevoir; et au moment où il y fit attention, le sacrificateur vint lui présenter le foie de la victime, qui n'avait point de tête. XXVII. Malgré ces présages, comme il n'y avait plus moyen de reculer, il s'embarqua; et, envoyant soixante de ses vaisseaux en Égypte, il retourna avec le reste de sa flotte dans la Pamphylie, où il battit celle du roi, composée de vaisseaux de Phénicie et de Cilicie, et se rendit maître de toutes les villes de Chypre. Mais comme il ne formait que de grands projets, et qu'il ne se proposait rien moins que de détruire l'empire du roi de Perse, il épiait l'occasion de surprendre l'Égypte. Ce qui le lui faisait surtout désirer, c'est qu'il avait appris que Thémistocle jouissait chez les Barbares d'une gloire et d'une puissance extraordinaires, depuis qu'il avait promis au roi de conduire lui-même son armée contre les Grecs, s'il voulait leur déclarer la guerre. Mais Thémistocle, qui désespérait, dit-on, de soumettre la Grèce et de surmonter la fortune et la valeur de Cimon, se donna lui-même la mort. Cependant Cimon, tout rempli des grands projets de guerre qu'il avait formés, se tenait toujours avec sa flotte autour de l'île de Chypre. Il envoya des personnes sûres au temple d'Ammon, pour y consulter le dieu sur des choses secrètes dont on n'a jamais eu aucune connaissance. Le dieu ne rendit point d'oracle à ses envoyés; mais dès qu'ils entrèrent dans le temple, il leur ordonna de s'en retourner, parce que Cimon était déjà auprès de lui. Les députés reprirent le chemin de la mer; et, en arrivant au camp des Grecs, qui était alors sur les côtes d'Égypte, ils apprirent que Cimon n'était plus ; et, comparant le jour de sa mort avec celui où le dieu leur avait parlé, ils reconnurent que l'oracle, en leur disant que Cimon était déjà avec les dieux, leur avait déclaré énigmatiquement sa mort.

[19] XXVIII. Il mourut au siège de Citium en Chypre, de maladie, suivant la plupart des historiens, et selon d'autres, d'une blessure qu'il reçut en combattant contre les Barbares. En mourant, il ordonna à ses capitaines de ramener sur-le-champ la flotte à Athènes, et de cacher sa mort à tout le monde. Ils exécutèrent cet ordre si secrètement, que ni les ennemis ni les alliés ne surent sa mort, et que la flotte rentra en sûreté dans les ports de l'Attique, suivant Phanodème, après une navigation de trente jours, et toujours commandée, par Cimon, tout mort qu'il était. Depuis cet événement aucun des généraux grecs ne fit plus aucun exploit éclatant contre les Barbares. Maîtrisés par leurs démagogues, par ces brandons de discorde qui les animaient les uns contre les autres, sans que personne se mît entre deux pour les séparer, ils en vinrent enfin à se faire une guerre ouverte. Leurs divisions laissèrent longtemps respirer le roi de Perse, et portèrent à la puissance des Grecs des coups irréparables. Ce ne fut que longtemps après qu'Agésilas, portant les armes en Asie, ralluma faiblement la guerre contre les généraux du roi de Perse qui commandaient dans les provinces maritimes. Mais avant que d'avoir pu rien faire de grand et de mémorable dans cette guerre, il fut rappelé par les nouveaux sujets de sédition et de trouble qui s'étaient élevés dans la Grèce, laissant les exacteurs du roi de Perse lever les impôts au milieu des villes alliées et amies des Grecs : tandis que, sous le commandement de Cimon, un seul greffier n'avait osé signifier un exploit, ni un seul homme de guerre s'approcher de la mer à plus de quatre cents stades. Les os de Cimon furent transportés dans l'Attique. Son tombeau, qu'on y voit encore, et qui s'appelle Cimonia, en est une preuve. Cependant les habitants de Citium, suivant l'orateur Nausicratès, honorent un tombeau qu'ils disent être celui de Cimon; et le motif des honneurs qu'ils lui rendent, c'est que, dans un temps de famine et de stérilité, un dieu leur ordonna de ne pas négliger la mémoire de Cimon, et de lui rendre les honneurs divins. Tel fut le capitaine grec que je mets en parallèle avec Lucullus.