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Plutarque,

 

Vie de Caton le Censeur

 

Relu et corrigé

(texte grec)

Dominique RICARD, Les Vies des Hommes illustres par Plutarque, t. VI, Paris, AU BUREAU DES ÉDITEURS DE LA BIBLIOTHÈQUE DES AMIS DES LETTRES.

rue Saint-Jacques, n° 137, 1829.

 

 

 

 
 

texte grec

 

 

1. Ses ancêtres. Origine du nom de Caton - II. Son éloquence et sa valeur.- III. Il profite des exemples de Curius, et des leçons du philosophe Néarque. - IV. Valérius l'attire à Rome. - V. Il s'attache à Fabius Maximus, et refuse de passer en Afrique avec Scipion. - VI. Son éloquence et ses mœurs antiques le font admirer des Romains. - VII. Ses principes économiques trop rigides. - VIII. Douceur des Athéniens même envers les animaux. - IX. Son intégrité dans l’ administration de la Sardaigne. - X. Son style. – XI. Ses paroles mémorables. - XII. Ses représentations aux Romains. - XIII. Ses bons mots. – XIV. Suite. - XV. Son consulat et son expédition en Espagne. - XVI. Scipion le remplace en Espagne. - XVII. Son triomphe. Ses campagnes dans la Thrace et en Grèce. - XVIII. Il retient dans la soumission les villes grecques. – XIX. II envoie reconnaître le pas des Thermopyles. – XX. difficultés qu'il éprouve pour le franchir. - XXI. Il force le passage, et va en porter la nouvelle à Rome. – XXII. Son zèle pour la justice et contre les méchants. - XXIII. Il brigue la censure. - XXIV. Crainte des grands. Ils s'opposent inutilement à son élection. – XXV. Il est nommé censeur; sa sévérité dans l’exercice de cette charge. - XXVI. Il se rend odieux aux riches par les taxes qu’ il met sur les objets de luxe. - XXVII. Il brave leur ressentiment, et rend inutile leur mauvaise volonté. – XXVIII. Le peuple lui érige une statue pour avoir réformé les mœurs. – XXIX. Ses vertus domestiques. – XXX. Éducation qu’il donne lui-même à son fils. – XXXI Succès de cette éducation. – XXXII. Sa conduite envers


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ses esclaves. – XXXIII. Il abandonne l’agriculture pour le commerce. - XXXIV. Arrivée de Carnéade et de Diogène le stoïcien à Rome. - XXXV. Sentiment de Caton sur la littérature grecque. - XXXVI. Son opinion sur la philosophie et sur la médecine. - XXXVII. Son second mariage. - XXXVIII. Mort de son fils. Sa constance dans le malheur. - XXXIX. Son genre de vie à la campagne. – XL. Il est envoyé à Carthage pour concilier les Carthaginois avec Massinissa. - XLI. Il fait décider la troisième guerre punique. - XLII. Sa mort et sa postérité.
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I. Marcus Caton était, dit-on, originaire de Tusculum. Avant de servir dans les armées ou de s'occuper de l'administration des affaires, il vivait dans des terres du pays des Sabins, qu'il avait héritées de son père. Ses ancêtres passaient à Rome pour des gens très obscurs; cependant il loue lui-même son père Marcus, comme un bon militaire et un homme de cœur; il rapporte que Caton, son aïeul, avait obtenu plusieurs fois le prix de la valeur; et qu'ayant perdu dans les combats cinq chevaux de bataille, le peuple, pour honorer son courage, lui en rendit le prix du trésor public. C'était la coutume des Romains d'appeler hommes nouveaux ceux dont les ancêtres avaient vécu dans l'obscurité, et qui commençaient à s'illustrer par eux-mêmes; ils donnèrent donc à Caton le


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nom d'homme nouveau; mais il disait lui-même que, s'il était nouveau à l'égard des honneurs et de la réputation, il était très ancien par les exploits et 1es vertus de ses ancêtres. Il ne porta pas d'abord le surnom de Caton, mais celui de Priscus; et ce fut à cause de sa grande sagesse qu'on le nomma Caton : nom que les Romains donnent aux hommes qui ont une grande expérience (01). Il était roux de visage et avait les yeux de couleur bleue, comme on le voit par cette épigramme, qu'un de ses ennemis fit contre lui :

Tu connaissais ce roux qui mordait tout le monde,
Et dont on redoutait les yeux bleus en couleur.
Aujourd'hui qu' il n’est plus, Proserpine en a peur,
Et défend que Caron le passe sur son onde.

Un travail assidu, une vie frugale, et l'habitude du service militaire, dans lequel il était entré dès sa première jeunesse, lui avaient donné une complexion aussi sainte que robuste.

II. II regardait la parole comme un second corps, comme un instrument non seulement honnête, mais encore nécessaire à tout homme qui ne veut pas vivre dans l'obscurité et dans l'éloignement des affaires. Il la cultiva donc avec soin et l'exerça habituellement, en allant de tous côtés, dans les bourgs et dans


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les petites villes voisines de la sienne, plaider pour ceux qui réclamaient son ministère. Il se fit d'abord la réputation d'un avocat plein de zèle et devint ensuite un orateur distingué. Depuis ce temps-là, ceux qui le fréquentaient reconnurent en lui une gravité de mœurs, une élévation d'esprit, qui le rendaient propre aux plus grandes affaires, et capable de s'exercer dans une grande administration. Non content de montrer toujours un parfait désintéressement, en ne prenant rien pour les causes qu'il plaidait, il ne regardait pas même la gloire qu'il en retirait comme digne de le satisfaire. Plus jaloux de s’acquérir de la réputation dans le métier des armes, en combattant contre les ennemis de la patrie, il eut, dès sa jeunesse, le corps tout cicatrisé des blessures honorables qu'il avait reçues. II dit lui-même qu'il fit, à l'âge de dix-sept ans, sa première campagne, lorsque Annibal, toujours vainqueur, mettait l'Italie à feu et à sang.: Dans les combats, il demeurait inébranlable à son poste, portait des coups terribles, montrait à l'ennemi un visage redoutable, le menaçait d'un ton de voix effrayant; persuadé avec raison, et l'enseignant aux autres, que ces accessoires font souvent plus d'effet sur les ennemis que l'épée qu'on leur présente. Dans les marches il allait


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 toujours à pied, portait lui-même ses armes, suivi d'un seul esclave chargé de ses provisions. Jamais il ne se mettait en colère contre lui, ou ne lui montrait de l'humeur, quelque chose qui lui servit pour ses repas ; souvent même, après son service militaire, il l'aidait à faire son ouvrage. A l'armée il ne buvait que de l'eau; seulement, lorsqu'il éprouvait une soif ardente, il demandait du vinaigre; ou, s'il sentait ses forces trop affaiblies, il prenait, en petite quantité, du vin médiocre.

III. Sa maison de campagne était voisine de celle qu’avait habitée Manius Curius, celui qui obtint trois fois les honneurs du triomphe (02). Caton y allait souvent; et, lorsqu'il considérait le peu d'étendue de cette terre et la simplicité de l'habitation, il pensait en lui-même quel homme ce devait être que Curius, qui, vainqueur des nations les plus belliqueuses, après avoir chassé Pyrrhus de l'Italie, et être devenu le plus grand des Romains, cultivait lui-même ce petit coin de terre, et, décoré de trois triomphes, habita toujours une maison si pauvre. Ce fut là que les ambassadeurs des Samnites le trouvèrent assis près de son foyer, faisant cuire des raves, et qu'ils lui offrirent une quantité d'or considérable. Mais il le refusa, en leur disant qu'un homme qui se conten-


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tait d'un tel repas n'avait pas besoin d'or; et qu'il trouvait plus beau de vaincre ceux qui en avaient, que de le posséder lui-même. Caton s'en retournait, tout occupé de ces pensées; et, examinant de nouveau sa maison, ses champs, ses esclaves et toute sa dépense, il redoublait de travail et réformait tout ce qu'il trouvait chez lui de superflu. Lorsque Fabius Maximus reprit Tarente (a), Caton, fort jeune alors, servait sous lui. Il était logé chez Néarque, philosophe pythagoricien, qu'il désira d'entendre discourir sur la philosophie. Néarque professait les mêmes maximes que Platon; il enseignait que la volupté est la plus grande amorce pour le mal; que le corps est le premier fléau de l’âme, qui ne peut s'en délivrer et se conserver pur que par les réflexions qui la séparent et l'éloignent, le plus qu'il est possible, des affections corporelles. Ces discours firent aimer encore davantage à Caton la tempérance et la frugalité; il s'appliqua d'ailleurs fort tard à l'étude des lettres grecques; et il était déjà vieux lorsqu'il se mit à lire les auteurs grecs; il profita un peu de la lecture de Thucydide, et beaucoup plus de celle de Démosthène, pour se former à l'éloquence. Du moins ses écrits sont enrichis de maximes et de traits d'histoire


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tirés des ouvrages des Grecs ; et plusieurs de ses sentences morales en sont traduites mot à mot.

IV. Il y avait alors à Rome un citoyen des plus distingués par sa noblesse et par sa puissance, le plus capable de discerner une vertu naissante, le plus propre, par sa douceur, à la développer et à la pousser vers la gloire; c'était Valérius Flaccus : ses terres touchaient à la maison de campagne de Caton, dont il avait appris, par ses esclaves, la manière de vivre et l’application au travail. II était charmé de savoir que dès le matin il allait dans les villes voisines plaider pour ceux qui l'en priaient ; que de là il revenait dans son champ, où, vêtu d'une simple tunique pendant l'hiver, et nu si c'était l'été, il labourait avec ses domestiques, et, après le travail, les admettait à sa table, où il mangeait du même pain et buvait du même vin qu'eux. Comme les esclaves de Valérius rapportaient tous les jours à leur maître plusieurs traits de la modération et de la bonté de Caton; qu'ils lui citaient quelqu'une de ses sentences pleines de sens, Valérius le fit prier un jour à dîner. Depuis, il l'invita souvent; et, ayant reconnu en lui un caractère doux et honnête, qui, comme une bonne plante, ne demandait qu'à être cultivé et transplanté dans un meilleur sol, il lui persuada


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d'aller s'établir à Rome, et de s'y occuper des affaires publiques. Ses plaidoyers lui firent bientôt des admirateurs et des amis, et le crédit de Valérius lui attira de la considération et l'avança aux honneurs : il fut d'abord tribun des soldats, ensuite questeur. Sa conduite dans ces premières charges lui ayant acquis beaucoup de réputation et d'autorité, il exerça avec Valérius Flaccus les premiers emplois de la république, et fut son collègue dans le consulat (b) et dans la censure.

V. Entre les anciens sénateurs, il s'attacha particulièrement à Fabius Maximus, le plus puissant et le plus illustre des Romains de son temps; il se proposa surtout d'imiter ses mœurs et sa manière de vivre, comme les plus beaux modèles qu'il pût suivre. II ne craignit pas même de se brouiller avec le grand Scipion, jeune encore, et qui s'opposait ouvertement à la puissance de Fabius, qu'il croyait jaloux de sa gloire. Caton, envoyé questeur sous lui à la guerre d'Afrique (c), voyant que ce général vivait avec sa magnificence ordinaire, qu'il prodiguait l'argent à ses troupes sans ménagement, l'en reprit avec liberté et lui dit que le plus grand mal n’était pas dans cette dé-


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pense excessive, mais dans l’altération de l'ancienne simplicité des soldats, qui employaient en luxe et en plaisirs le superflu de leur paie. Scipion lui répondit qu'il n'avait pas besoin d'un questeur si exact; que dans la guerre il allait à pleines voiles, et qu'il devait compte à la république, non des sommes qu'il aurait dépensées, mais des exploits qu'il aurait faits. Sur cette réponse, Caton le quitta dès la Sicile ; et, de retour à Rome, il ne cessa de dire hautement dans le sénat, avec Fabius, que Scipion répandait l'argent sans mesure; qu'il passait, avec la légèreté d'un jeune homme, les journées entières aux théâtres et dans les gymnases, comme s'il n'eût eu que des jeux à célébrer, et non à faire la guerre. Ces plaintes déterminèrent le sénat à envoyer vers Scipion des tribuns chargés de le ramener à Rome, s'ils trouvaient que ces accusations eussent du fondement. Scipion leur ayant fait voir que la victoire dépendait des préparatifs qu'on faisait pour la guerre; que les amusements qu'il prenait avec ses amis dans ses moments de loisir, et les dépenses qu'il faisait, ne l'empêchaient pas de suivre avec activité les affaires importantes, ils le laissèrent s'embarquer pour aller faire la guerre en Afrique.

VI. L’éloquence de Caton augmentait chaque


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 jour son crédit : on l'appelait le Démosthène romain; mais c'était surtout son genre de vie qu'on estimait et qu'on louait davantage ; car le talent de la parole était dès ce temps-là un objet d'émulation pour les jeunes Romains, qui s'efforçaient à l'envi de se surpasser les uns les autres. Mais de voir un citoyen qui, conservant l’ancien usage de cultiver la terre de ses propres mains, se contentât d'un dîner préparé sans feu et d'un souper frugal; qui ne portât qu'un habit simple, habitât la maison la plus commune, et aimât mieux n'avoir pas besoin de superflu que de se le donner, rien n'était alors plus rare. La vaste étendue de la république lui avait déjà fait perdre l'antique pureté de ses mœurs ; la multitude immense des affaires, et le grand nombre de peuples qu'elle embrassait dans son empire, avaient introduit à Rome une grande variété de mœurs ; et l'on y voyait les manières de vivre les plus opposées. Caton était donc avec justice l'objet de l'admiration publique, lorsqu'au milieu de tous les autres citoyens qu'on voyait, amollis par les voluptés, succomber aux moindres travaux, il se montrait seul invincible et à la peine et au plaisir, et cela, non seulement dans sa jeunesse et lorsqu'il briguait les honneurs, mais dans sa vieillesse même et sous les cheveux blancs, après


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 son consulat et son triomphe : il était comme un courageux athlète qui, même après la victoire, continue ses exercices, et ne les cesse qu'à sa mort. Jamais, écrit-il lui-même, il ne porta de robe qui coûtât plus de cent drachmes (d) ; tant qu'il commanda les armées, et même pendant son consulat, il ne but d'autre vin que celui de ses esclaves; pour son dîner, on n'achetait pas au marché pour plus de trente as de provisions ; et en tout cela il n'avait en vue que sa patrie, et ne se proposait que de se faire un tempérament plus robuste, plus propre à soutenir les fatigues de la guerre. Ayant trouvé, dit-il encore, dans la succession d'un de ses amis, une tapisserie de Babylone e), il la fit vendre sur-le-champ ; de plusieurs maisons de campagne qu'il avait, aucune n'était blanchie ; il n'avait jamais acheté d'esclave au-dessus de quinze cents drachmes (f), parce qu'il voulait, non des gens bien faits et délicats, mais des hommes robustes, capables de travail, qui pussent mener ses bœufs et panser ses chevaux; et même, lorsqu'ils devenaient vieux, il les faisait vendre, pour ne pas nourrir des bouches inutiles. En général, il pensait que rien de superflu n'est


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à bon marché ; qu'une chose dont on peut se passer, ne coûtât-elle qu'une obole, est toujours chère ; qu'il faut préférer les terres où il y a beaucoup à semer et à faire des élèves, à celles qui demandent d'être souvent ratissées et arrosées.

VII. Les uns regardaient cette conduite comme un effet de son avarice; d'autres disaient qu'en se resserrant dans des bornes si étroites, il avait en vue de corriger ses concitoyens et de les porter à la frugalité. J'avoue cependant que se servir de ses esclaves comme de bêtes de somme, les chasser ou les vendre quand ils sont devenus vieux, c'est en agir trop durement ; c'est avoir l’air de croire que le besoin seul et l'intérêt lient les hommes entre eux. Mais peut-on ignorer que la bonté s'étend beaucoup plus loin que la justice? que si nous observons les lois et l'équité envers les hommes, les animaux eux-mêmes sont l'objet de la bienfaisance et de la bonté, sentiments qui découlent de cette riche source d'humanité que la nature a mise en nous? Ainsi, nourrir des chevaux ou des chiens lors même qu'ils sont épuisés de travail, ou quand ils ont vieilli, c'est le propre d'un homme naturellement bon.


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VIII. Le peuple d'Athènes, après avoir bâti l'Hécatompédon (g), renvoya toutes les bêtes de charge qui avaient travaillé à la construction de cet édifice, et les laissa paître en liberté tout le reste de leur vie. Un de ces animaux vint un jour, de lui-même, se présenter au travail ; il se mit à la tête des bêtes de somme qui traînaient des chariots à la citadelle, et, marchant devant elles, semblait les exhorter et les animer à l’ouvrage. Les Athéniens ordonnèrent, par un décret, que cet animal serait nourri jusqu'à sa mort aux dépens du public. Près du tombeau de Cimon, on voit encore la sépulture des juments qui lui avaient fait remporter trois fois le prix aux jeux olympiques. Plusieurs Athéniens ont fait enterrer les chiens qui avaient été comme nourris et élevés avec eux. Lorsque le peuple quitta la ville pour se retirer à Salamine; et que l'ancien Xanthippe s'embarqua avec les autres citoyens, son chien suivit à la nage la galère de son maître et expira en arrivant au rivage: Xanthippe le fit enterrer sur la côte, où l'on voit encore son tombeau, qu'on appelle Cynosema (h). En effet, il ne faut pas se servir des êtres animés comme on se sert de souliers


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 ou d'autres effets de cette espèce, qu'on jette lorsqu'il sont rompus ou usés par le service. On doit s'accoutumer à être doux et humain envers les animaux, ne fût-ce que pour faire l'apprentissage de l'humanité à l'égard des hommes. Pour moi, je ne voudrais pas vendre même un bœuf qui aurait vieilli en labourant mes terres ; à plus forte raison je me garderais bien de renvoyer un vieux domestique, de le chasser de la maison où il a vécu longtemps, et qu'il regarde comme sa patrie, de l'arracher à son genre de vie accoutumé ; et cela pour une modique somme d'argent que je retirerais de la vente d'un homme, qui ne serait pas plus utile à celui qui l'aurait acheté, qu'à moi qui l'aurais vendu.. Mais Caton semblait en faire gloire ; et il dit lui-même qu'il laissa en Espagne le cheval qu'il montait à la guerre pendant son consulat, afin de ne pas porter en compte, à la république, ce que son passage par mer aurait coûté. Cette manière d'agir doit-elle être attribuée à magnanimité ou à mesquinerie ? J'en laisse la décision au jugement du lecteur.

IX. Dans tous le reste de sa conduite, il était d'une tempérance extraordinaire. Tant qu'il fut à la tête des armées, il ne prit jamais du public, pour lui et pour sa suite, plus de trois médimnes de froment par mois, avec un peu


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moins de trois demi-médimnes d'orge par jour pour ses chevaux. Nommé gouverneur de la Sardaigne, il ne suivit pas l'exemple des préteurs qui l'avaient précédé, et qui tous avaient foulé la province, en se faisant fournir des pavillons, des lits et des vêtements, en traînant à leur suite une foule d'amis et de domestiques, en exigeant des sommes considérables pour des festins et d'autres dépenses de cette nature. Lui, au contraire, il se distingua par une simplicité qu'on a de la peine à croire. II ne prenait rien sur le public pour sa dépense ; quand il visitait les villes de son gouvernement, il marchait à pied, sans aucune voiture de suite, n'ayant avec lui qu'un officier public qui lui portait une robe et un vase pour les libations dans les sacrifices. Simple et facile, dans cette sorte de service, pour tous ceux qui dépendaient de lui, il se montrait dans tout le reste grave et sévère, inexorable dans l'administration de la justice, d'une exactitude et d'une rigueur inflexibles pour l'exécution des ordres qu'il donnait. Aussi, jamais la puissance romaine n'avait paru à ces peuples ni si terrible ni si aimable.

X. On retrouve dans son style le même caractère ; il était à la fois agréable et fort, doux et véhément, plaisant et austère, sentencieux et familier, tel qu'on l'emploie dans les


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disputes. II était comme Socrate, de qui Platon disait qu'au-dehors il paraissait, à ceux qui traitaient avec lui, grossier, satirique et outrageux; mais qu'au-dedans il était rempli de raison et de gravité; que les discours qui en sortaient remuaient puissamment les âmes et arrachaient les larmes à ceux qui l'écoutaient. Je ne sais donc pas sur quel fondement on a dit que le style de Caton ressemblait à celui de Lysias. Au reste, j'en laisse le jugement à ceux qui sont plus capables que moi de distinguer les différents styles des orateurs romains. Pour moi, qui pense que les discours des hommes font mieux connaître leur caractère et leurs mœurs que les traits de leur visage, où on les cherche ordinairement, je vais rapporter quelques unes de ses paroles les plus mémorables.

XI. Un jour le peuple romain demandait instamment et hors de propos qu'on lui fît une distribution de blé. Caton, qui voulait l'en détourner, commença ainsi son discours : « Citoyens il est difficile de parler à un ventre qui n'a point d'oreilles.» Une autre fois il blâmait la dépense prodigieuse que les Romains faisaient pour leur table, et disait qu'il n'était pas facile de sauver une ville où un poisson se vendait plus cher qu'un bœuf. Il comparait les Romains aux moutons, qui, chacun en parti-


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culier, n'obéissent pas au berger, mais suivent les moutons qui les précèdent. « De même, disait-il aux Romains, quand vous êtes ensemble, vous vous laissez conduire par des hommes dont chacun de vous séparément ne voudrait pas suivre les avis. » Dans un discours qu'il prononça contre l'autorité excessive des femmes : «Tous les hommes, dit-il, gouvernent les femmes; nous gouvernons tous les hommes, et nos femmes nous gouvernent.» Ce mot semble pris des Apophtegmes de Thémistocle, à qui son fils faisait faire ce qu'il voulait par le moyen de sa mère. « Ma femme, disait-il, les Athéniens gouvernent les autres Grecs ; je gouverne les Athéniens ; vous me gouvernez, et vous êtes gouvernée par votre fils : qu'il use donc sobrement d'une puissance qui, tout fou qu'il est, le met au-dessus de tous les Grecs. » Caton disait que le peuple romain mettait le prix non seulement aux différentes sortes de pourpre, mais encore aux divers genres d'étude. Comme les teinturiers, ajouta-t-il, donnent plus souvent aux étoffes la couleur pourpre, parce qu'elle est la plus recherchée; de même les jeunes gens apprennent et recherchent avec le plus d'ardeur ce que vous louez davantage. »

XII. « Si c'est par la vertu et la sagesse, di-


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sait-il aux Romains dans ses remontrances, que vous êtes devenus grands, ne changez pas pour être pires; si c'est à l'intempérance et au vice que vous devez votre grandeur, changez pour devenir meilleurs; car vous vous êtes assez agrandis par ces voies perverses. » Il comparait ceux qui briguaient souvent les charges à des hommes qui, ne sachant pas leur chemin, voulaient, de peur de s'égarer, avoir toujours des licteurs devant eux pour les conduire. Il les blâmait de nommer souvent les mêmes magistrats. « Il faut, leur disait-il, ou que vous regardiez les fonctions de la magistrature comme bien peu importantes, ou que vous trouviez bien peu de gens capables de les remplir.» Voyant un de ses ennemis mener une vie infâme : « Sa mère, dit-il, doit croire faire une imprécation, et non une prière, en souhaitant de laisser son fils sur la terre après elle. » Il montrait un jour un homme qui avait vendu des biens paternels situés sur le bord de la mer ; et il disait, en feignant de l'admirer : « Cet homme est plus fort que la mer même: ce que la mer ne mine que lentement et avec peine, il l'a englouti en un instant.» Le roi Eumène étant venu à Rome le sénat lui rendit des honneurs extraordinaires ; et les premiers de la ville s'empressaient autour de lui, à l'envi


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 les uns des autres. Caton seul laissait voir ouvertement qu'il lui était suspect, et il l'évitait avec soin. Quelqu'un lui ayant dit qu'Eumène était un bon prince et fort ami des Romains : « Soit, répondit-il; mais un roi est par nature un animal vorace ; et aucun des rois les plus vantés ne peut être comparé à Épaminondas, à Périclès, à Thémistocle, à Manius Curius, ni même à Amilcar, surnommé Barca. » Il disait que ses ennemis lui portaient envie, parce qu'il se levait toutes les nuits, et que, négligeant ses propres affaires, il s'occupait de celles de la république ; qu'il aimait mieux perdre la récompense du bien qu'il faisait, que de n'être pas puni du mal qu'il aurait fait; qu'indulgent pour les fautes d'autrui, il ne se pardonnait jamais les siennes.

XIII. Les Romains avaient choisi pour aller en Bithynie trois ambassadeurs, dont l'un était goutteux, l'autre avait un vide dans le crâne, par une suite du trépan, et le troisième passait pour fou. Caton dit, en plaisantant, que les Romains envoyaient une ambassade qui n'avait ni pieds, ni tête, ni cœur. L'affaire des bannis d'Achaïe était fort agitée dans le sénat : les uns voulaient les renvoyer dans leur patrie, les autres s'y opposaient; Caton, que Scipion, à la prière de Polybe, avait voulu l’intéresser en fa-


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veur de ces bannis, se lève et prend la parole. « Il semble, dit-il, que nous n'ayons rien à faire, à nous voir disputer ici une journée entière pour savoir si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou par ceux de leurs pays. » Le sénat ayant décrété leur renvoi, Polybe, peu de jours après, demanda la permission de rentrer dans le sénat pour y solliciter le rétablissement des bannis dans les dignités dont ils jouissaient en Achaïe avant leur exil ; et d'abord il voulut sonder Caton pour savoir quel serait son sentiment. « II me semble, Polype, lui répondit Caton en riant, qu'échappé, comme Ulysse, de l'antre du Cyclope, vous voulez y rentrer pour prendre votre chapeau et votre ceinture que vous y avez oubliés. » Il disait que les sages tirent plus d'instruction des fous, que ceux-ci ne sont instruits par les sages : parce que les sages évitent les fautes dans lesquelles tombent les fous, et que les fous n'imitent pas les bons exemples des sages. Il aimait mieux voir rougir que pâlir les jeunes gens; il ne voulait pas qu'un soldat, en marchant, remuât les mains ni les pieds en combattant, ni qu'il ronflât plus fort dans son lit qu'il ne criait sur le champ de bataille. Il se moquait d'un homme qui était d'une grosseur extraordinaire. « A quoi, dit-il, peut être utile


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à sa patrie un corps qui n’est que ventre? » Un homme voluptueux voulait se lier avec lui ; Caton s'y refusa. « Je ne saurais, lui dit-il, vivre avec un homme qui a le palais plus sensible que le cœur.»

XIV. Il disait que l’âme d'un homme amoureux vivait dans un corps étranger; et que dans toute sa vie il ne s'était repenti que de trois choses : la première, d'avoir confié son secret à une femme ; la seconde, d'être allé par eau où il eût pu aller par terre; la troisième, d'avoir passé un jour entier sans rien faire. «Mon ami, dit-il un jour à un vieillard de mauvaises mœurs, la vieillesse a assez d'autres difformités sans y ajouter celle du vice. » Un tribun du peuple, soupçonné d'avoir donné du poison à quelqu'un, proposait une mauvaise loi, qu'il s'efforçait de faire passer. « Jeune homme, lui dit Caton, je ne sais lequel est le plus dangereux, ou de boire ce que tu prépares, ou de ratifier ce que tu écris. » Injurié par un homme qui menait une vie très licencieuse : « Le combat, lui dit-il, est inégal entre vous, et moi; vous écoutez volontiers les sottises, et vous en dites avec plaisir: moi, je les entends avec peine, et je n'ai pas l'habitude d'en dire. » Voilà le genre de réponses ; elles font,juger de son caractère.


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XV. Nommé consul avec Valérius Flaccus son ami, le gouvernement de l’Espagne que les Romains appellent citérieure lui échut par le sort (03). Là, il commençait à soumettre une partie de ces nations par les armes, et il attirait les autres par la persuasion, lorsqu'il fut tout à coup assailli par une nombreuse armée de Barbares, et qu il se vit en danger d'essuyer une défaite honteuse. Il envoya demander du secours aux Celtibériens qui étaient dans son voyage, et qui exigèrent deux cents talents (i) pour aller à son secours. Tous ses capitaines regardaient comme indigne des Romains d'acheter, à prix d'argent, l'alliance des Barbares. « Ce marché, leur dit Caton, n‘est pas si déshonorant que vous le pensez; si nous remportons la victoire, nous paierons avec l'argent des ennemis ; si nous sommes vaincus, ni ceux qui exigent cette somme, ni ceux qui nous la demandent, n'existeront plus. » Il remporta une victoire complète et eut depuis les plus grands succès. Polybe rapporte qu'il fit raser, en un seul jour, les murailles de toutes les villes qui sont en deçà du fleuve Bétis : elles étaient en grand nombre, et peuplées d'hommes belliqueux. Caton dit lui-même qu'il avait pris


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 en Espagne plus de villes qu'il n'y avait passé de jour : et ce n'était pas une forfanterie, car il en avait réellement soumis quatre cents. Outre le butin considérable que ses soldats avaient fait dans ces expéditions, il leur distribua par tête une livre pesant d'argent, et dit qu'il valait mieux les voir s'en retourner tous avec de l'argent (j), qu'un petit nombre avec de l'or. Pour lui, il assure qu'il n'avait eu, de tout le butin fait à cette guerre, que ce qu'il avait bu et mangé. Ce n'est pas, disait-il, que je blâme ceux qui profitent de ces occasions pour s'enrichir ; mais j'aime mieux rivaliser de vertu avec les plus gens de bien, que de richesse avec les plus opulents, et d'avidité avec les plus avares. Non content de se conserver pur de toute concussion, il exigea la même exactitude de ceux qui dépendaient de lui. II avait mené dans son gouvernement cinq esclaves, dont l'un, nommé Paccus, acheta trois jeunes enfants d'entre les prisonniers. Il sut que Caton en était instruit, et il aima mieux se pendre que de reparaître devant lui. Caton fit vendre les trois enfants et en mit le prix dans le trésor public.

XVI. Pendant qu'il était encore en Espagne,


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le grand Scipion, qui était son ennemi, voulant arrêter ses succès et achever la guerre dans cette province, vint à bout de se faire nommer son successeur dans ce gouvernement. A peine nommé, il partit avec une diligence extrême, afin d'ôter à Caton, le plus tôt possible, le commandement de l'armée. Caton, en ayant été informé, prit cinq compagnies de gens de
pied et cinq cents chevaux pour le conduire. En chemin faisant, il subjugua les Lacétaniens (04) et reprit six cents déserteurs, qu'il fit tous punir de mort. Scipion en ayant fait ses plaintes, Caton lui répondit, d'un ton d'ironie, que le vrai moyen d'augmenter la grandeur Rome, c'était que les nobles et les grands ne cédassent point aux citoyens obscurs le prix de la vertu ; et que les plébéiens, du nombre desquels il était, disputassent de vertu avec les citoyens les plus éminents en noblesse et en gloire. De plus, le sénat ayant ordonné qu'on ne changeât et qu'on ne remuât rien de ce que Caton avait réglé, ce gouvernement que Scipion avait tant brigué diminua plutôt sa gloire que celle de Caton ; car il passa tout son temps dans l'inaction et l'inutilité.

XVII. Caton, après avoir reçu les honneurs du triomphe, n'imita pas la plupart des généraux qui, combattant bien moins pour la vertu


 que pour la gloire, n'ont pas plus tôt obtenu les premières charges de l'état, le consulat et les triomphes, que, renonçant aux affaires, ils passent le reste de leurs jours dans l'oisiveté et dans les délices. Lui, au contraire, il ne se relâcha en rien de sa première exactitude, et n'abandonna jamais l'exercice de la vertu. Ceux qui ne viennent que d'entrer dans l'administration politique sont altérés d'honneurs et de gloire : Caton, de même, comme s'il eût recommencé une nouvelle carrière, fit de plus grands efforts pour s'y avancer ; il se montra toujours prêt à servir ses amis et tous les autres citoyens, soit pour les défendre en jugement, soit pour les accompagner dans leurs expéditions. Ainsi il suivit, en qualité de lieutenant, le consul Tibérius Sempronius, qui allait faire la guerre en Thrace et sur le Danube ; il accompagna ensuite, comme tribun des soldats, le consul Manius Acilius, qui allait en Grèce contre Antiochus-le-Grand, l'ennemi le plus redoutable des Romains, après Annibal. Ce prince avait conquis toutes les possessions de Séleucus Nicanor en Asie, et réduit sous son obéissance plusieurs nations barbares et belliqueuses. Enflé de tant de succès, il déclara la guerre aux Romains, comme aux seuls ennemis qui fussent désormais dignes de lui. Il donnait


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à cette guerre le prétexte spécieux d'affranchir les Grecs, qui, délivrés depuis peu par les Romains du joug de Philippe et des Macédoniens, étaient parfaitement libres, et qui, vivant selon leurs lois, n'avaient nul besoin de la liberté qu'il leur offrait. Il passa donc en Grèce avec une armée.

XVIII. Sa présence ébranla les Grecs, corrompus par les grandes espérances dont leurs orateurs les entretenaient de la part d'Antiochus. Manius envoya donc des ambassadeurs dans les différentes villes de la Grèce pour les contenir; et Titus Flamininus, comme je l'ai dit dans sa Vie, calma et ramena sans trouble à leur devoir la plupart des peuples qui penchaient vers la nouveauté. Caton, de son côté, retint les Corinthiens, ceux de Patras et d'Egium, et fit un long séjour à Athènes. On prétend que le discours qu'il fit en grec au peuple athénien a été conservé; qu'il y relevait beaucoup la vertu de leurs ancêtres, et vantait la grandeur et la beauté de leur ville, qu'il avait pris plaisir à parcourir. Mais ce récit n'est point vrai, car il parla aux Athéniens par un interprète ; non qu'il ne pût parler très bien leur langue, mais il était attaché aux coutumes de ses pères et se moquait de ceux qui n'avaient d'admiration que pour les Grecs. Il plaisanta Posthumius


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Albinus, qui avait écrit en langue grecque une histoire, dans laquelle il demandait pardon à ses lecteurs pour les fautes de langage qui pourraient lui échapper. « II faut, en effet, les lui pardonner,.disait Caton, s'il a été forcé, par un décret des amphictyons, de l'écrire en cette, langue.» Les Athéniens, dit-on, admirèrent la précision et la vivacité du style de Caton; car il avait dit en peu de mots ce que l'interprète rendit par un long circuit de paroles : enfin, après l'avoir entendu, ils restèrent persuadés que les paroles ne sortaient aux Grecs que du bout des lèvres, et qu'elles coulaient aux Romains du fond du cœur.

XIX. Antiochus, s'étant saisi du détroit des Thermopyles et ayant ajouté aux fortifications naturelles du lieu des retranchements et des murailles, se tint fort tranquille, persuadé qu'il avait, de ce côté-là, fermé tout accès aux Romains, qui eux-mêmes désespéraient de forcer jamais de front ces passages. Mais Caton, s'étant souvenu du détour qu'avaient pris autrefois les Perses pour entrer par-là dans la Grèce, partit de nuit avec une partie de l'armée. Quand il fut au sommet de la montagne, le prisonnier qui lui servait de guide, s'étant trompé de chemin, s'égara dans des lieux inaccessibles et remplis de précipices. Les soldats étaient dans la frayeur


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et le désespoir : Caton, qui voyait toute la grandeur du péril, commande aux troupes de s'arrêter et de l'attendre. Il prend avec lui un certain Lucius Mallius, homme très leste à gravir les montagnes ; et, marchant avec autant de danger que de peine, dans une nuit où la lune n'éclairait pas, il grimpe à travers des oliviers sauvages et de vastes rochers qui arrêtaient la vue et les empêchaient de rien distinguer. Ils arrivent enfin à un sentier étroit qui paraissait conduire au bas de la montagne où était le camp des ennemis. Après avoir placé des signaux sur les pointes des rochers les plus faciles à distinguer et qui dominaient le mont Callidrome (05), ils retournent sur leurs pas, vont rejoindre le gros de l'armée; et, se remettant en marche, toujours guidés par leurs signaux, ils regagnent le petit sentier, où ils se mettent en ordre pour continuer leur marche.

XX. Ils n'avaient fait encore que peu de chemin, lorsque, le sentier leur manquant, ils ne virent devant eux qu'un vaste gouffre. La frayeur les saisit de nouveau, et les jeta dans une cruelle incertitude: ils ignoraient et ne se doutaient même pas qu'ils fussent près des ennemis. Le jour commençait à poindre, lorsqu'un d'entre eux crut entendre du bruit et un instant après voir le camp des Grecs et leurs gardes avan-


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cées au-dessous des rochers. Caton fait arrêter la marche et envoie dire aux Firmianiens (06) de venir seuls lui parler. C'étaient des soldats dont il avait toujours éprouvé l'ardeur et la fidélité. Ils accourent aussitôt et se rangent autour de lui. « Je voudrais, leur dit-il, prendre un des ennemis en vie, pour savoir de lui quelles sont ces gardes avancées, quel est leur nombre, la disposition et l'ordre de toute l'armée, et les préparatifs avec lesquels ils nous attendent. Cet enlèvement veut de la célérité et une audace de lions qui se jettent sans armes sur des animaux timides. » Il avait à peine fini, que les Firmianiens, s'élançant tels qu'ils sont du haut des montagnes, fondent à l'improviste sur les premières gardes, les chargent, les dispersent et enlèvent un soldat tout armé, qu'ils mènent à Caton. Il apprend de cet homme que le gros de l'armée est campé dans les détroits avec Antiochus et que les hauteurs sont gardées par six cents Étoliens d'élite.

XXI. Caton, méprisant leur petit nombre et leur sécurité, ordonne aux trompettes de sonner; et, mettant le premier l'épée à la main, il marche à eux avec de grands cris. Dès qu'ils voient les Romains descendre des montagnes, ils prennent la fuite et gagnent leur camp, qu'ils remplissent de trouble et d'épouvante.


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En même temps Manius, au bas des montagnes, donne l'assaut, avec toutes ses troupes, aux retranchements d'Antiochus et les emporte. Ce prince, blessé à la bouche d'un coup de pierre qui lui brise les dents, est forcé, par la douleur, de tourner bride et de se retirer. Dès lors aucune partie de son armée n'ose tenir tête aux Romains; et, quelque difficile que soit la fuite dans des lieux escarpés et presque impraticables, environnés de marais profonds et de rochers à pic, le long desquels ils glissaient et ne pouvaient se soutenir, ils se jettent dans ces détroits, se poussent les uns les autres ; et la peur qu'ils ont du fer des ennemis les fait courir à une mort inévitable. Caton, qui jamais, à ce qu'il me paraît, ne se ménageait les louanges et qui regardait les éloges qu'on faisait de soi-même comme la suite naturelle des grandes actions, relève avec beaucoup de faste ces derniers exploits. Il dit que ceux qui l'avaient vu poursuivre et frapper les ennemis avaient avoué que Caton devait encore moins au peuple romain que le peuple romain ne devait à Caton ; que le consul Manius, encore tout bouillant de sa victoire, l'ayant embrassé, échauffé qu'il était lui-même du combat, le tint longtemps serré entre ses bras, et s'écria de joie que ni lui ni le peuple romain ne pourraient jamais


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égaler leurs récompenses à ses services. Aussitôt après le combat, Manius l'envoya porter à Rome la nouvelle de ses propres succès : il eut une heureuse traversée jusqu'à Brunduse; de là il se rendit en un jour à Tarente, d'où, après quatre jours de marche, il arriva à Rome le cinquième jour depuis son débarquement, et y porta le premier la nouvelle de cette victoire. Elle remplit la ville de joie et de sacrifices ; le peuple en conçut la plus haute opinion de lui-même; il se crut capable de conquérir l'empire de la terre et de la mer. Telles sont à peu près les actions de guerre de Caton les plus dignes de mémoire.

XXII. Il paraît qu'entre les actions civiles de l'administration, il regarda toujours les accusations et la poursuite des méchants comme les plus dignes d'exercer son zèle. Il en accusa lui-même plusieurs, seconda d'autres accusateurs dans leurs poursuites, en suscita même quelques uns, entre autres un certain Pétilius, par qui il fit accuser Scipion. Mais, voyant que celui-ci, par la confiance qu'il avait dans la noblesse de sa maison et dans sa propre grandeur, foulait aux pieds ses accusations et qu'il ne viendrait jamais à bout de le faire condamner à mort, il se désista de cette poursuite; et, se joignant aux accusateurs de son frère Lu-


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cius Scipion, il le fit condamner à une si forte amende envers le public, que Lucius, hors d'état de la payer, se vit en danger d'être jeté dans une prison et ne se sauva qu'avec peine, par un appel aux tribuns. Un jeune homme, qui avait fait condamner un ennemi de son père mort depuis peu, traversait après le jugement, la place publique. Caton, l'ayant rencontré, lui dit en l’embrassant : « Voilà les sacrifices funéraires qu'il convient d'offrir aux mânes d'un père : ce n’est pas le sang des agneaux et des chevreaux qu'il faut faire couler pour eux, mais les larmes de leurs ennemis condamnés. » Au reste, il ne fut pas lui-même, dans le cours de son administration, à l'abri de ces accusations : dès qu'il donnait la moindre prise à ses ennemis, il était traduit en justice, et il passa presque toute sa vie dans ces sortes de dangers; car il fut accusé près de cinquante fois; et, à la dernière, il avait quatre-vingt-six ans. Ce fut dans cette occasion qu'il dit ce mot souvent cité depuis; « II est fâcheux d'avoir à rendre compte de sa vie à des hommes d'un autre siècle que celui où l'on a vécu. » Ce ne fut pas même là le terme de ses combats : quatre ans après, il accusa Sergius Galba, étant alors âgé de quatre-vingt-dix ans. Ainsi il vécut, comme Nestor, trois géné-


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rations et passa sa vie dans une activité continuelle. Il fut, comme je l'ai dit, toujours en dispute avec le grand Scipion sur les affaires du gouvernement; et il vivait encore au temps du jeune Scipion, petit-fils adoptif du premier et fils de ce Paul Émile qui vainquit Persée et les Macédoniens.

XXIII. Dix ans après son consulat, Caton brigua la censure (k). Cette charge était le comble des honneurs et comme la perfection de toutes les dignités de la république : investie d'un très grand pouvoir, elle donnait surtout le droit de rechercher la vie et les mœurs des citoyens ; car les Romains ne croyaient pas qu'on dût laisser à chaque particulier la liberté de se marier, d'avoir des enfants, de choisir un genre de vie, de faire des festins ; enfin, de suivre ses désirs et ses goûts, sans être soumis au jugement et à l'inspection de personne. Persuadés que c'est dans ces actions privées, plutôt que dans la conduite publique et politique, que se manifestent les inclinations des hommes, ils avaient créé deux magistrats chargés de veiller sur les mœurs, de les réformer et de les corriger, afin que personne ne se laissât entraîner, hors du chemin de la vertu, dans celui de la volupté et n'aban-


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donnât les institutions anciennes et les usages reçus. Ils prenaient l'un dans le corps des patriciens, l'autre parmi le peuple, et leur donnaient le nom de censeurs. Ces magistrats avaient le droit d'ôter le cheval à un chevalier romain, de chasser du sénat un sénateur, lorsqu'il menait une vie licencieuse : ils faisaient aussi l'estimation des biens des citoyens ; et, d'après le cens, ils distinguaient les familles et les divers états de la république. Cette charge avait encore d'autres prérogatives considérables.

XXIV. Aussi, lorsque Caton se mit au rang des candidats, les premiers et les plus distingués d'entre les sénateurs firent tous leurs efforts pour traverser sa nomination. Les patriciens s'y opposaient par un sentiment d'envie qui leur faisait regarder comme un affront pour la noblesse que des gens d'une naissance obscure parvinssent au plus haut degré d'honneur et de puissance. D'autres, qui avaient à se reprocher des mœurs corrompues et la transgression des lois anciennes, redoutaient l'austérité d'un homme qui serait dur et inexorable dans l'exercice de sa charge. Ayant donc réuni leurs forces et leurs intrigues, ils lui opposèrent sept compétiteurs, qui tous flattaient le peuple de belles espérances, comme s'il eût désiré d'être gouverné avec mollesse et par le seul appât du


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 plaisir. Caton, au contraire, loin de s'abaisser à aucune complaisance, menaçait ouvertement de son tribunal tous les méchants et criait à haute voix que la ville avait besoin d'une grande épuration : il conseillait au peuple de choisir, s'il voulait agir sagement, non le plus doux, mais le plus sévère des médecins; qu'il en trouverait de tels, d'abord en lui et parmi les patriciens, dans Valérius Flaccus, le seul avec qui, employant le fer et le feu pour détruire jusqu'à la racine, comme une nouvelle hydre, le luxe et la mollesse, il pourrait faire le bien de la république. «Tous les autres, disait-il, ne s'efforcent de parvenir à la censure, avec le projet de s'y mal conduire, que parce qu'ils craignent ceux qui l'exerceraient avec justice. » Le peuple romain, dans cette occasion, se montra véritablement grand et digne d'avoir de grands magistrats pour le gouverner; car, loin de redouter la raideur et l'inflexibilité de Caton, il rejeta ces compétiteurs si doux qui paraissaient disposés à lui complaire en tout, et il nomma Valérius Flaccus avec Caton, qu'il regardait moins comme prétendant à la censure que comme l'exerçant déjà et donnant des ordres qu'on respectait.

XXV. Caton commença l'exercice de sa magistrature en nommant prince du sénat Valé-


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rius Flaccus, son collègue et son ami; il chassa ce corps plusieurs sénateurs, entre autres Lucius Quintius, qui avait été consul sept ans auparavant ; et, ce qui lui donnait encore plus de considération que le consulat, il était frère de ce Titus Flamininus qui avait vaincu Philippe, roi de Macédoine. Voici quelle fut la cause de cette flétrissure. Lucius avait chez lui un jeune homme d'une grande beauté, qui ne le quittait jamais. Lorsqu'il commandait les armées, il lui donnait plus de crédit et de pouvoir que n'en avaient jamais eu auprès de lui ses amis les plus intimes. Un jour, pendant qu'il était dans sa province consulaire, ce jeune homme, placé à table auprès de lui, selon sa coutume, lui tint d'abord de ces discours flatteurs qui avaient toujours un grand pouvoir sur l'esprit de Lucius, surtout lorsqu'il était dans le vin. « Je vous aime telle- ment, ajouta-t-il ensuite, qu'à mon départ de Rome j'ai laissé pour vous un combat de gladiateurs, quoique je n'aie jamais vu ce spectacle; et, quelque désir que j'aie de voir égorger un homme, j'ai tout quitté pour vous suivre. - N'ayez point de regret à ce plaisir, lui dit Lucius, pour répondre à cette flatterie; je vous dédommagerai de ce sacrifice. » Il ordonne aussitôt qu'on amène dans la salle du festin un des criminels condamnés à


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mort, et qu'on fasse venir un licteur avec sa hache. Quand ils sont arrivés, il demande au jeune homme s'il veut voir donner le coup. Le jeune homme en ayant témoigné le plus vif désir, Lucius ordonne au licteur de trancher la tête au prisonnier. Tel est le récit de la plupart des historiens; et Cicéron, dans son Traité de la Vieillesse, le fait raconter ainsi par Caton lui-même. Tite-Live dit que cet homme était un déserteur gaulois, et que ce ne fut pas le licteur, mais Lucius, qui lui trancha la tête : il assure que Caton lui-même l'avait écrit de cette manière. Lucius donc ayant été chassé du sénat, son frère Titus Flamininus, vivement affecté de cet affront, eut recours au peuple, et demanda que Caton déclarât publiquement le motif de cette flétrissure. Caton raconta, dans le discours qu'il fit à cette occasion, ce qui s'était passé dans le festin; et Lucius ayant nié le fait, Caton lui déféra le serment, que Lucius refusa de faire; et par-là il fut convaincu d'avoir mérité la punition qui lui avait été infligée. Mais un jour qu'on donnait des jeux au théâtre, Lucius, passant près du banc des consulaires, alla s'asseoir beaucoup plus loin. Le peuple, touché de son humiliation, se mit à crier qu'il reprît sa place, et le força d'aller s'asseoir parmi les anciens consuls: ce fut un adoucissement et


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une consolation de l'affront qu'il avait reçu. Caton chassa aussi du sénat Manilius, que l'opinion publique désignait pour consul de l'année suivante; et il le fit, parce qu'il avait donné en plein jour un baiser à sa femme devant sa fille. Il disait que la sienne ne l'avait jamais embrassé que lorsqu'il faisait de grands éclats de tonnerre; et il ajouta, en plaisantant, qu'il n'était heureux que lorsque Jupiter tonnait. Mais il fut soupçonné d'envie lorsqu'il ôta le cheval au frère du grand Scipion, à Lucius, qui avait reçu les honneurs du triomphe : on crut qu'il ne l'avait fait que pour insulter à la mémoire de Scipion l'Africain.

XXVI. Mais ce qui offensa le plus généralement dans 1'exercice de sa censure, ce fut la réforme qu'il porta sur les objets de luxe. L'impossibilité qu'il vit à le détruire, en l'attaquant de front dans une si grande multitude qui en était infectée, l'obligea, pour ainsi dire, de le prendre de biais, et de l'attaquer en détail. II fit estimer les habillements, les voitures, les ornements des femmes, avec tous leurs autres meubles ; chacun de ces objets qui valait plus de quinze cents drachmes (m) était porté à une valeur décuple ; et il en réglait la taxe d'après cette estimation. Sur mille as, il en faisait payer


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 trois d'imposition (07), afin que les riches, se sentant grevés par cette taxe, et voyant que les citoyens simples et modestes, quoiqu'ils eussent autant de bien qu'eux, payaient beaucoup moins au trésor public, se réformassent eux-mêmes. Il encourut donc la haine et de ceux qui se soumettaient à cette taxe pour ne pas renoncer au luxe, et de ceux qui renonçaient au luxe pour s'affranchir de l'impôt. La plupart des hommes croient qu'on leur enlève leurs richesses quand on les empêche de les montrer; car ils ne les étalent jamais que dans le superflu, et non dans les choses nécessaires. Le philosophe Ariston s'étonnait qu'on regardât comme heureux les hommes qui possédaient des superfluités, plutôt que ceux qui avaient abondamment ce qui est nécessaire et utile. Un ami de Scopas le Thessalien lui demandait quelque chose dont il faisait peu d'usage, en lui disant que ce n'était rien de nécessaire ni d'utile. « Mais, lui répondit Scopas, c'est par ces choses inutiles et superflues que je suis riche et heureux. » Tant il est vrai que le désir des richesses ne vient pas d'une affection qui nous soit naturelle, et qu'il naît en nous d'une opinion vulgaire qui s'y glisse du dehors.

XXVII. Mais Caton, peu touché de toutes ces plaintes, n'en devint que plus rigide. Il


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supprima tous les conduits qui détournaient dans les maisons ou dans les jardins des particuliers l'eau des fontaines publiques. Il fit démolir tous les bâtiments qui étaient en saillie sur les rues, diminua le prix des entreprises données à bail par l'état, et porta au plus haut taux possible les fermes et les revenus de la république: ce qui lui attira la haine d'un bien plus grand nombre de personnes. Aussi la faction de Titus Flamininus fit-elle casser dans le sénat les baux et les marchés qu'il avait faits pour la réparation des temples et des édifices publics, comme désavantageux à la république; ils excitèrent même les plus audacieux des tribuns à le citer devant le peuple, et à le faire condamner à une amende de deux talents (n). Ils firent aussi tous leurs efforts pour empêcher la construction d'une basilique qu'il élevait aux dépens du public, au-dessous du lieu où le sénat s'assemblait: mais elle fut achevée, et on lui donna le nom de basilique Porcia.

XXVIII. II paraît cependant que le peuple approuva singulièrement la manière dont il avait exercé la censure; car, sur la statue qu’il lui érigea dans le temple de la Santé, il ne fit graver ni ses exploits militaires, ni son triom-


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phe, mais seulement l'inscription suivante, dont voici la traduction littérale : « A l’honneur de Caton, pour avoir, par de salutaires ordonnances, par des établissements et des institutions sages, relevé, dans sa censure, la république romaine, que l'altération des mœurs avait mise sur le penchant de sa ruine. Avant qu'on lui dressât cette statue, il se moquait de ceux qui désiraient ces sortes d'honneurs. « Ils ne voient pas; disait-il, qu'ils mettent leur gloire dans les ouvrages des statuaires et des peintres; pour moi, je me glorifie de ce que mes concitoyens portent empreintes dans leur âme les plus belles images de moi-même. » Quelques personnes lui témoignaient un jour leur étonnement de ce qu'on ne lui avait pas érigé de statue, tandis que des gens obscurs en avaient. « J'aime mieux, leur répondit-il, qu'on demande pourquoi on n'a pas élevé de statue à Caton, que si on demandait pourquoi on lui en a dressé une. » En un mot, il ne voulait pas même qu'un bon citoyen souffrît une louange qui ne tournait pas à l'utilité publique. C'était cependant l'homme qui se louait le plus lui-même; au point que, lorsque des citoyens avaient fait des fautes dans leur conduite, et qu'on les en reprenait : « Il faut, disait-il, les excuser; car ils ne sont pas des Catons. »


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Quand il voyait des gens vouloir imiter quelques unes de ses actions et le faire maladroitement, il disait que c'étaient des Catons bien gauches. Il se vantait que, dans les conjonctures critiques, le sénat tenait les yeux attachés sur lui, comme dans la tempête les passagers les tiennent fixés sur le pilote; et que souvent en son absence on remettait jusqu'à son retour les affaires les plus importantes. Au reste, c'est un témoignage que tout le monde lui rendait; car la sagesse de sa conduite, son éloquence et sa vieillesse lui avaient acquis dans Rome une grande autorité.

XXIX. Il fut bon père, bon mari, et économe très entendu. Comme il ne croyait pas que la sage administration de son bien fût une chose petite ou basse qu'on dût faire par manière d'acquit, il ne sera pas, je crois, hors de propos d'en dire ici ce qui convient à mon sujet. Il avait épousé une Romaine plus noble que riche, persuadé que la noblesse et l'opulence inspireraient également à une femme l'orgueil et la fierté ; au lieu qu'une femme d'une naissance illustre aurait plus de honte de ce qui serait malhonnête, et serait plus soumise à son mari dans les choses honnêtes. Un homme qui battait sa femme ou ses enfants portait, selon lui, des mains impies sur ce qu'il y avait de plus


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sacré. Il pensait qu'il y avait plus de mérite à être bon mari que grand sénateur. Il n'admirait rien tant dans Socrate que la douceur et la complaisance qu'il avait toujours conservées avec une femme acariâtre et des enfants emportés. Lorsqu'il eut un fils, jamais l'affaire la plus pressée, à moins qu'elle ne regardât la république, ne l'empêcha d'être auprès de sa femme quand elle lavait et emmaillotait son enfant. Elle le nourrissait de son lait ; souvent même elle donnait le sein aux enfants de ses esclaves, afin que, nourris du même lait, ils conçussent pour son fils une bienveillance naturelle.

XXX. Dès que ce fils eut atteint l’âge de raison, il le prit auprès de lui pour l'instruire dans les lettres, quoiqu'il eût un esclave honnête, nommé Chilon, qui était bon grammairien, et qui enseignait plusieurs enfants. II ne voulait pas, dit-il lui-même, qu'un esclave fît des réprimandes à son fils, qu'il lui tirât les oreilles, pour avoir été trop lent à apprendre, ni que son fils dût à un mercenaire un aussi grand bien que celui de l'éducation. Il fut donc lui-même le maître de grammaire du jeune Caton, son guide dans l'étude des lois, et son maître d'exercice. Il lui enseigna non seulement à lancer le javelot, à combattre tout armé, à monter à cheval; mais encore à s'exercer au pugilat, à supporter le froid et le chaud, à traverser


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à la nage le courant le plus rapide. Il rapporte qu'il lui avait transcrit, de sa propre main, des traits d'histoire en gros caractère, afin qu'il profitât, dans la maison même, des faits vertueux des anciens Romains. Il s'abstenait, devant son fils, de toute parole déshonnête avec autant de soin qu'il l'aurait fait devant ces vierges sacrées que les Romains appellent vestales. Il ne se baignait jamais avec lui : c'était un usage général à Rome ; et les beaux-pères mêmes se seraient bien gardés de se baigner avec leurs gendres; ils auraient rougi de paraître nus devant eux. Depuis, ils apprirent des Grecs à se baigner nus avec les hommes; et ils enseignèrent, à leur tour, aux Grecs, à se baigner avec les femmes.

XXXI. Ainsi Caton ne négligeait rien pour former son fils à la vertu, et le conduire à la perfection. Il est vrai qu'il trouvait en lui les meilleures dispositions, et que la bonté de son naturel rendait son esprit docile aux leçons de son père ; mais, la faiblesse de son corps ne lui permettant pas de grands travaux, Caton fut obligé de relâcher un peu de la sévérité et de la rigueur de son éducation. Cependant, malgré cette faiblesse, son fils montra beaucoup de valeur dans les combats, et se distingua dans la bataille que Paul Émile gagna sur le roi Per-


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sée. Dans ce combat, un coup qu'il reçut à la main lui fit sauter son épée. Affligé de cet accident, il se tourne vers quelques uns de ses camarades, et les prie de l'aider à la recouvrer. Il retourne avec eux se jeter au milieu des ennemis: là, il combat si longtemps, il fait de si grands efforts, qu'il parvient à les écarter et à éclaircir l'endroit où elle était tombée; il la trouve enfin sous un monceau d'armes et de morts, tant amis qu'ennemis. Le général Paul Émile loua fort ce jeune homme; et l'on a encore une lettre de Caton à son fils, dans laquelle il relève singulièrement son ardeur et ses efforts pour retrouver son épée. Ce jeune homme épousa, dans la suite, Tertia, fille de Paul Émile et sœur de Scipion : il dut cette grande alliance autant à son propre mérite qu'à la vertu de son père. Tels furent les soins et les succès de Caton dans l'éducation de son fils.

XXXII. Il avait toujours un grand nombre d'esclaves qu'il achetait parmi les prisonniers; il choisissait les plus jeunes, et par-là les plus susceptibles d'éducation, comme de jeunes chiens ou des poulains sont plus faciles à dresser. Aucun de ses esclaves n'allait jamais dans une maison étrangère, qu'il n'y fut envoyé par Caton ou par sa femme; et toutes les fois qu'on demandait à l'esclave ce que faisait son maître,


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 il répondait: « Je n'en sais rien. » Il voulait qu'un esclave fût toujours occupé dans la maison, ou qu'il dormît. Il aimait les esclaves dormeurs, parce qu'il les croyait plus doux que ceux qui aimaient à veiller, et qu'après que le sommeil avait réparé leurs forces ils étaient plus propres à remplir les tâches qu'on leur donnait. Persuadé que rien ne portait plus les esclaves à mal faire que l'amour des plaisirs, il avait établi que les siens pourraient voir, en certain temps, les femmes de la maison, pour une pièce d'argent qu'il avait fixée, en leur défendant d'approcher d'aucune autre femme. Dans les commencements, lorsqu'il était encore pauvre et qu'il servait comme simple soldat, il ne se fâchait jamais contre ses esclaves et trouvait bon tout ce qu'on lui servait. Rien ne lui paraissait plus honteux que de quereller des esclaves pour sa nourriture. Dans la suite, quand sa fortune fut augmentée, et qu'il donnait à manger à ses amis et aux officiers de son armée, il faisait, aussitôt après le dîner, donner les étrivières à ceux de ses domestiques qui avaient servi négligemment, ou mal apprêté quelques mets. II avait soin d'entretenir toujours parmi eux des querelles et des divisions: il se méfiait de leur bonne intelligence et en craignait les effets. Si un esclave avait commis un


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crime digne de mort, il le jugeait en présence de tous les autres; et, s'il était condamné, il le faisait mourir devant eux.

XXXIII. Devenu enfin trop ardent à acquérir des richesses, il négligea l'agriculture, qui lui parut un objet d'amusement plutôt qu'une source de revenus ; et, voulant placer son argent sur des fonds plus sûrs et moins sujets à varier, il acheta des étangs, des terres où il y eût des sources d'eaux chaudes, des lieux propres à des foulons, des possessions qui occupassent beaucoup d'ouvriers, qui eussent des pâturages et des bois, dont il retirât beaucoup d'argent, et dont Jupiter, comme il disait lui-même, ne pût diminuer le revenu (08). Il exerça la plus décriée de toutes les usures, l'usure maritime; et voici comment il la faisait. Il exigeait de ceux à qui il prêtait son argent qu'ils fissent, au nombre de cinquante, une société de commerce; et qu'ils équipassent autant de vaisseaux, sur chacun desquels il avait une portion qu'il faisait valoir par un de ses affranchis, nommé Quintion, qui, étant comme son facteur, s'embarquait avec les autres associés et avait sa part dans tous les bénéfices. Par-là il ne risquait pas tout son argent, mais seulement une petite portion, dont il tirait de gros intérêts. Il prêtait aussi de l'argent à ses es-


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claves pour en acheter de jeunes garçons; et, après les avoir exercés et instruits aux frais de Caton, ils les revendaient au bout d'un an. Caton en retenait plusieurs qu'il payait au prix de la plus haute enchère. Il excitait son
fils à ce commerce usuraire, en lui disant qu'il ne convenait tout au plus qu'à une femme veuve de diminuer son patrimoine : mais ce qu'il a dit de plus fort, et qui caractérise le plus son avarice, c'est que l'homme admirable, l'homme divin et le plus digne de gloire, était celui qui prouvait, par ses comptes, qu'il avait acquis plus de bien qu'il n'en avait eu de ses pères.

XXXIV. Caton était déjà vieux, lorsque Carnéade, philosophe académicien, et Diogène, de la secte stoïque, vinrent d'Athènes à Rome demander pour les Athéniens la décharge d'une amende de cinq cents talents (o), à laquelle les Sicyoniens les avaient condamnés par contumace, à la poursuite des habitants d'Orope (09). Ils furent à peine arrivés, que tous les jeunes Romains qui avaient du goût pour les lettres étant allés les voir en furent ravis d'admiration, et ne pouvaient se lasser de les entendre. La grâce de Carnéade, la force de son éloquence, sa réputation qui n'était pas au-dessous de son


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talent, l'avantage qu'il eut d'avoir pour auditeurs les plus distingués et les plus polis des Romains, firent le plus grand bruit dans Rome; c'était comme un souffle impétueux qui retentit dans toute la ville : on disait partout qu'il était venu un Grec d'un savoir merveilleux, qui charmait et attirait tous les esprits, qui inspirait aux jeunes gens un tel amour de la science, que, renonçant à tout autre plaisir et à toute autre occupation, ils étaient saisis d'une sorte d'enthousiasme pour la philosophie. Tous les Romains en étaient dans l'enchantement et voyaient avec plaisir leurs enfants s'appliquer à l'étude des lettres grecques, et rechercher avec avidité ces hommes admirables.

XXXV. Mais Caton vit avec peine cet amour des lettres s'introduire dans Rome. Il craignit que la jeunesse romaine, tournant vers cette étude toute son émulation et toute son ardeur, ne préférât la gloire de bien parler à celle de bien faire et de se distinguer par les armes. Mais, lorsque la réputation de ces philosophes se fut répandue dans toute la ville, et que leurs premiers discours eurent été traduits en latin par un des principaux sénateurs, Caïus Acilius, à qui l'on avait demandé ce travail, et qui lui-même s'y était porté avec empressement, Caton pensa qu'il fallait, sous quelque prétexte


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spécieux renvoyer de Rome tous ces philosophes. Il se rendit au sénat, et reprocha,aux magistrats qu'ils retenaient depuis longtemps ces ambassadeurs, sans leur donner de réponse. « Ce sont, ajouta-t-il, des hommes capables de persuader tout ce qu'ils veulent. II faut donc connaître au plus tôt leur affaire, et la décider, afin que ces philosophes retournent à leurs écoles pour y instruire les enfants des Grecs, et que les jeunes Romains n'obéissent, comme auparavant, qu'aux magistrats et aux lois. » En cela il agissait, non, comme on l'a cru, par une inimitié personnelle contre Carnéade, mais par une opposition décidée à la philosophie, par un mépris affecté, et dont il faisait gloire, pour les muses et les disciplines grecques.

XXXVI. Il traitait Socrate lui-même de babillard, d'homme violent et injuste, qui avait entrepris, autant qu'il l'avait pu, de devenir le tyran de sa patrie, en renversant les coutumes reçues, en entraînant les citoyens dans des opinions contraires aux lois. Il se moquait de l'école d'éloquence que tenait Isocrate, et disait que ses disciples vieillissaient auprès de lui, comme s'ils ne devaient exercer leur art et leur talent pour plaider que dans les enfers. Pour détourner son fils de l'étude des lettres grecques,


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 il prit un ton de voix bien au-dessus de son âge, et lui dit, comme s'il eût été inspiré par un esprit prophétique, que les Romains perdraient toute leur puissance lorsqu'ils se seraient remplis de cette érudition grecque. Le temps a fait voir la fausseté de cette prédiction sinistre; car c'est lorsque les lettres grecques ont le plus fleuri à Rome, que cette ville est parvenue au plus haut degré de grandeur et de gloire. Mais Caton n'était pas seulement l'ennemi des philosophes grecs, il tenait aussi pour suspects ceux qui exerçaient la médecine; et, comme il avait sans doute entendu parler de la réponse d'Hippocrate au roi de Perse, qui lui offrait plusieurs talents pour venir le traiter à sa cour, et à qui ce médecin fit dire qu'il n'irait jamais donner ses soins aux Barbares, qui étaient les ennemis des Grecs, Caton disait que c'était là un serment commun à tous les médecins; et il avertissait son fils de les éviter tous également. Il avait composé, à ce qu'il dit lui-même, un ouvrage de médecine pour traiter les malades de sa maison et leur prescrire un régime convenable. Il ne leur imposait jamais une diète sévère; il les nourrissait d'herbes, de chair de canard, de palombe ou de lièvre: il trouvait cette nourriture légère, facile à digérer pour les gens faibles, et n'ayant d'autre inconvénient


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que de causer la nuit beaucoup de rêves; avec ce traitement et ce régime, il se conservait en santé, lui et tous les siens.

XXXVII Mais, sur ce dernier point, il ne fut pas aussi heureux qu'il le dit; car il perdit sa femme et son fils. Pour lui, comme il était sain et robuste, il conserva longtemps une santé vigoureuse. Dans un âge très avancé, il voyait souvent sa femme: et il contracta, dans sa vieillesse, avec une jeune fille, un mariage très disproportionné: en voici l’occasion. Après la mort de sa femme, il maria son fils à la fille de Paul Émile, sœur de Scipion ; et, dans son veuvage, il vécut avec une jeune esclave qui venait le trouver secrètement. Ce commerce fut bientôt découvert dans une maison où il y avait une jeune femme mariée. Un jour cette fille ayant passé d'un air insolent devant la chambre du fils pour aller dans celle du père, le jeune Caton, sans lui rien dire, la regarda d'un oeil sévère, et de honte il détourna la vue. Caton en fut bientôt informé ; et ayant connu par-là que ce commerce déplaisait à son fils et à sa belle-fille, il ne s'en plaignit point, et ne leur en fit aucun reproche. Mais étant allé, suivant sa coutume, à la place publique, accompagné de plusieurs amis, en chemin il adressa la parole à un certain Saloninus qui avait été son gref-


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fier et qui marchait à sa suite: il lui demanda à haute voix si sa fille était mariée. Cet homme lui répondit qu'elle ne l'était pas, et qu'il n'aurait eu garde de la marier sans l'en prévenir. « Eh bien ! reprit Caton, je vous ai trouvé un gendre qui pourra, je crois, vous convenir, à moins que l'âge ne déplaise à votre fille; il n'y a rien à reprendre en lui que sa grande vieillesse. - Je m'en rapporte entièrement à vous, lui dit Saloninus; je donnerai ma fille à qui vous voudrez; elle est votre cliente et a besoin de votre protection. » Caton, sans différer plus longtemps, lui déclare que c'est pour lui-même qu'il demande sa fille. Saloninus fut d'abord très étonné; il voyait Caton hors d'âge de se marier; et, d'ailleurs, il se trouvait fort au-dessous d'une pareille alliance, avec une maison honorée du consulat et du triomphe. Mais, quand il vit que Caton parlait sérieusement, il accepta sa proposition avec joie; et, dès qu'ils furent arrivés à la place, Caton fit dresser le contrat. Comme on faisait les apprêts de la noce, le fils de Caton, prenant avec lui plusieurs de ses parents et de ses amis, se rendit auprès de son père, et lui demanda quel sujet de plainte ou de déplaisir il pouvait avoir contre son fils, pour lui donner une marâtre. « A Dieu ne plaise, mon fils, lui dit Caton d'une


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voix forte, que je me plaigne de toi ! je n'ai qu'à me louer de ta conduite; mais je désire d'avoir plusieurs enfants qui te ressemblent, et de laisser à ma patrie des citoyens tels que toi. » On dit que cette réponse avait été faite, bien avant lui, par Pisistrate, le tyran d'Athènes, lorsque ayant des fils déjà grands, il se remaria à Timonossa d'Argos, et en eut deux fils, Iophon et Thessalus.

XXXVIII. Caton eut, de son second mariage, un fils qu'il nomma Saloninus, du nom de sa mère. Son fils du premier lit mourut pendant sa préture; Caton en parle souvent dans ses ouvrages et fait l'éloge de son mérite. II supporta, dit-on, cette perte avec la modération d'un philosophe, et ne diminua rien de son application aux affaires publiques. II n'imita pas Lucius Lucullus, et après lui Métellus Pius, et ne se fit pas de sa vieillesse un prétexte pour renoncer au gouvernement, dont il regardait les fonctions comme un devoir pour tout homme de bien. II ne suivit pas non plus l'exemple de Scipion l'Africain, qui, cédant à l'envie que sa gloire lui avait attirée, abandonna les affaires, et, par un changement entier de vie, passa le reste de ses jours dans le repos. Quelqu'un avait persuadé à Denys qu'il n'y avait pas de plus belle sépulture que la ty-


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rannie: Caton croyait aussi qu'il n'y avait pas de plus belle manière de vieillir que de s’occuper toujours d'administration. Pour se distraire de ses travaux et se délasser dans les moments de loisir, il composait des ouvrages, ou s'appliquait à l'agriculture. Aussi a-t-il laissé un grand nombres d'écrits, et entre autres des histoires (10).

XXXIX. Dans sa jeunesse il s'était livré aux travaux de la campagne, pour en faire une branche de revenu. Il disait qu'il n'y avait que deux moyens d'augmenter son bien: la culture des terres et l'économie. Devenu vieux, l'agriculture ne fut plus pour lui qu'un objet d'amusement et de théorie. Il fit un traité des travaux rustiques, dans lequel il enseigne à faire des gâteaux, à conserver les fruits, et se pique de traiter son sujet convenablement et avec le plus grand détail. A la campagne, il faisait meilleure chère qu'à Rome : il invitait souvent à souper ses amis du voisinage et se livrait avec eux à la joie. II était gai et aimable, non seulement pour ceux de son âge, mais encore pour les jeunes gens; car, outre son expérience personnelle, il avait vu et entendu dire beaucoup de choses intéressantes, qu'on aimait à lui entendre raconter. Il pensait que la table était une des sources les plus naturelles


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de l'amitié. A la sienne, les sujets les plus ordinaires des conversations étaient l'éloge des citoyens distingués par leur vertu ou par leur courage ; jamais on n'y faisait mention des méchants et des gens inutiles. Caton ne permettait pas qu'on en parlât à table ni en bien ni en mal.

XL. On croit que le dernier de ses actes politiques fut de faire décider la ruine de Carthage. A la vérité, le jeune Scipion consomma l'ouvrage ; mais ce fut par le conseil et aux instances de Caton qu'on entreprit cette guerre; et voici quelle en fut l'occasion. Envoyé, comme ambassadeur, auprès des Carthaginois et de Massinissa, roi de Numidie, qui se faisaient la guerre, il était chargé d'examiner les causes de leurs différends. Massinissa avait été de tout temps l'ami du peuple romain ; et les Carthaginois, depuis leur défaite par Scipion, avaient obtenu la paix par un traité qui, en leur imposant un tribut énorme, les avait en même temps dépouillés d'une partie de leur empire. Caton, au lieu de trouver Carthage dans l'état d'affaiblissement et d'humiliation où la croyaient les Romains, la vit peuplée d'une jeunesse florissante, regorgeant de richesses, pourvue de toutes sortes d'armes et de provisions de guerre, pleine de confiance dans toutes ces ressources,


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et nourrissant les plus hautes espérances. Il jugea que ce n'était pas le temps pour les Romains de discuter et de terminer les querelles des Carthaginois avec Massinissa; et que, s'ils ne se hâtaient de détruire cette ville, leur ancienne ennemie, qui conservait toujours un profond ressentiment du passé, et qui, dans si peu de temps avait repris un accroissement qu'on pouvait à peine croire (11), ils allaient retomber dans les périls où ils s'étaient vus autrefois.

XLI. Il retourna donc promptement à Rome, et représenta au sénat que les défaites et les malheurs des Carthaginois avaient moins épuisé leurs forces que guéri leur imprudence. « Les guerres qu'ils ont eues contre les Romains, ajouta-t-il, les ont plutôt aguerris qu'affaiblis; celle qu’ils font aux Numides est le prélude des entreprises qu'ils méditent contre les Romains; tous les traités de paix qu'on a faits avec eux n'ont rien de solide, et ne sont que de simples suspensions d'armes, pour attendre une occasion favorable. » En finissant, il laissa tomber des figues de Lybie qu'il avait dans le pan de sa robe; les sénateurs en ayant admiré la grosseur et la beauté : « La terre qui les produit, leur dit Caton, n'est qu'à trois journées de Rome. » Une preuve plus forte encore de sa


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haine contre Carthage, c'est que depuis ce jour-là, sur quelque affaire qu'il opinât, il ne manquait jamais de conclure par ces mots : « Et je suis d’avis qu'on détruise Carthage. » Au contraire, Publius Scipion, surnommé Nasica, terminait ainsi toutes ses opinions : « Et je suis d'avis qu'on laisse subsister Carthage. » Il y a toute apparence que Scipion voyant le peuple livré à la licence, enflé d'orgueil pour ses prospérités, et, peu docile aux conseils du sénat, entraîner par sa puissance toute la ville dans les divers partis où le poussait son caprice; que Scipion, dis-je, voulait que la crainte qu'inspirerait Carthage fût pour les Romains comme un frein qui gourmandât leur audace; qu'il jugeait les Carthaginois trop faibles pour assujettir les Romains, mais trop forts pour être méprisés. Caton, de son côté, croyait trop dangereux, pour un peuple, que sa grande puissance portait aux plus grands excès, d'avoir comme suspendue sur sa tête une ville de tous temps très puissante, et alors devenue plus sage par les malheurs dont elle avait été châtiée; qu'il fallait donc ôter à Rome toute crainte extérieure, quand elle avait au-dedans tant d'occasions de commettre de nouvelles fautes.

XLII. Ce fut ainsi que Caton suscita cette troisième et dernière guerre punique. Elle com-


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mençait à peine lorsqu'il mourut, après avoir prédit quel serait celui qui la terminerait : c'était un jeune homme encore tribun des soldats, mais qui déjà avait montré dans les combats autant de prudence que de courage. Lorsque les nouvelles de ses premiers exploits arrivèrent à Rome, Caton, en les entendant raconter, s'écria:

Seul il a du bon sens parmi des ombres vaines.

Scipion confirma bientôt cette prédiction par de nouveaux succès. Caton laissa de sa seconde femme un fils qui, comme je l'ai déjà dit, fut surnommé Saloninus, du nom de sa mère, et un petit-fils du premier lit, dont le père était mort avant lui. Saloninus mourut dans sa préture; il eut un fils surnommé Marcus, qui parvint au consulat; et il fut l'aïeul (12) de Caton le philosophe, l’homme le plus vertueux et le plus célèbre de son temps.


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PARALLÈLE D'ARISTIDE ET DE CATON LE CENSEUR.

I. Après avoir rapporté de ces deux grands hommes ce qui nous a paru le plus digne de mémoire, la vie entière de l'un, comparée à toute la vie de l'autre, offre une différence si peu sensible, qu'elle est presque effacée par plusieurs traits frappants de ressemblance qui se trouvent entre eux. Mais si on les distingue par le détail de leurs actions, comme pour juger un poème ou des tableaux il faut les comparer dans toutes leurs parties, on verra que ce qu'ils ont de commun l'un et l'autre, c'est que, sans aucun secours étranger, ils ne se sont avancés dans le gouvernement que par leur vertu et leur capacité. Mais il semble que, du temps d'Aristide, Athènes n'étant pas encore bien puissante, et les orateurs du peuple, les généraux d'armée qui pouvaient être ses concurrents, ayant à peu près tous la même médiocrité de fortune, il ne lui fut pas difficile de


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s'élever au-dessus des autres ; car, les citoyens de la première classe n'avaient que cinq cents médimnes de revenu; les chevaliers, qui composaient la seconde, en avaient trois cents; et les citoyens de la troisième, qu'on nommait zeugites, n'en avaient que deux cents. Mais lorsque Caton, sorti d'une petite ville et né dans une condition rustique, se jeta dans le gouvernement de Rome, comme dans une mer sans rivage, cette ville n'était plus gouvernée par les Curius, les Fabricius, les Hostilius; elle n'appelait plus des citoyens pauvres et des laboureurs, de la charrue et de la bêche, au tribunal, pour en faire ses magistrats et ses chefs. Déjà elle avait pris l'habitude de regarder à la noblesse des familles, à la richesse, aux distributions d'argent, aux sollicitations et aux brigues : enflée de sa puissance, elle traitait avec une fierté insultante ceux qui aspiraient aux charges de la république. Il était bien différent d'avoir à lutter contre un Thémistocle, qui n'avait qu'une naissance commune et une fortune médiocre; dont tout le bien, quand il entra dans l'administration, ne montait guère qu'à cinq ou même à trois talents (p), ou d'avoir à disputer les premières places de l'état avec les Sci-


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pions, les Servilius Galba, les Quintius Flamininus, sans autre secours qu'une langue qui, pour l'intérêt de la justice, parlait toujours avec une grande liberté.

Il. Aristide, aux batailles de Marathon et de Platée, n'était qu'un des dix généraux de la Grèce; Caton fut élu un des deux consuls, quoiqu'il eût un grand nombre de compétiteurs; nommé ensuite un des deux censeurs, il fut préféré, pour cette charge, à sept concurrents, tous des premières et des plus illustres familles de Rome. Aristide, dans aucune de ses victoires, n'obtint les premiers honneurs : à Marathon, Miltiade remporta le prix du combat; à Salamine, ce fut Thémistocle; et à Platée, suivant Hérodote, on dut à Pausanias cette victoire si glorieuse pour les Grecs. Le second prix d'honneur fut même disputé à Aristide par les Sophanes, les Aminias, les Callimaque et les Cynégire, qui, dans tous ces combats, donnèrent les plus grandes marques de valeur. Caton, au contraire, dans la guerre qu'il fit en Espagne, et pendant son consulat, surpassa tous les autres capitaines en courage et en prudence : aux Thermopyles, où il servait comme simple tribun des soldats sous les ordres d'un consul, il eut tout l'honneur de la victoire; il ouvrit aux Romains le passage de ces défilés,


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 pour aller contre Antiochus, et vint par les derrières attaquer ce prince, qui ne songeait qu'aux ennemis qu'il avait devant lui. Cette victoire, qui fut évidemment l'ouvrage de Caton, chassa l'Asie de la Grèce, et en ouvrit ensuite l'entrée à Scipion.

III. Ils furent donc tous deux invincibles à la guerre ; mais dans le gouvernement Aristide succomba aux intrigues de Thémistocle qui le fit bannir par l'ostracisme. Caton, qui lutta contre les hommes les plus considérables et les plus puissants de Rome; qui, tel qu'un généreux athlète, eut, jusque dans une extrême vieillesse, des combats à soutenir, se maintint toujours inébranlable. Souvent accusé, souvent accusateur devant le peuple, il fit condamner plusieurs de ses adversaires, et ne le fut jamais lui-même, quoiqu'il n’eût d'autre rempart de sa vie, ni d'autres armes, que son éloquence; car c'est à son talent pour la parole, plutôt qu'à sa fortune ou à son bon génie, qu’on doit attribuer la gloire d'avoir conservé sa dignité sans atteinte. C'est un témoignage qu'Antipater rendit à Aristote, de qui il écrivait, après la mort de ce philosophe, qu'entre plusieurs autres qualités, il avait le talent de persuader tout ce qu'il voulait. De l'aveu de tout le monde, la vertu la plus parfaite que l'homme puisse pos-


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séder est celle qui le rend capable de bien gouverner, et c’est une opinion presque générale, que l'économie n'en est pas une des moindres parties. En effet, une cité, qui n'est qu'un assemblage de maisons et un tout formé de plusieurs parties, n'a de force, dans son ensemble, que par les facultés particulières de ses citoyens. Lycurgue lui-même, en bannissant de Sparte l'or et l'argent, pour les remplacer par une monnaie de fer altérée au feu, ne voulut point par-là interdire l'économie à ses concitoyens, mais seulement leur ôter le luxe et l'amour vicieux des richesses, afin qu'ils eussent tous en abondance les choses nécessaires et utiles. En cela il fit paraître, plus qu'aucun autre législateur, cette sage prévoyance qui lui avait fait encore plus craindre pour sa république un homme pauvre et sans ressource, qu'un citoyen opulent et superbe.

IV. Caton ne fut donc pas, ce me semble, un moins bon administrateur de sa maison que de la république; car il augmenta son bien et enseigna aux autres l'économie et l'agriculture, en donnant, dans ses ouvrages, des préceptes très utiles sur ces deux objets. Mais Aristide, par sa pauvreté, a diffamé la justice même; il a laissé croire qu'elle est la ruine des familles, la source de l'indigence, et qu'elle sert


 beaucoup moins à ceux qui la possèdent qu'à ceux sur qui on l'exerce. Cependant Hésiode nous exhorte souvent à la justice et à l'économie, et il blâme la paresse, qu'il regarde comme la source de l'injustice. Quand Homère dit :

Je n'ai jamais aimé le travail, la culture,
Le soin de ma maison, ces goûts de la nature
Qui servent à nourrir, à placer des enfants;
Mais, au milieu des mers braver les éléments,
Semer dans les combats la terreur, le carnage,
Étaient les seuls objets qui charmaient mon courage;

il nous fait entendre par-là que ceux qui négligent leur administration domestique s'enrichissent ordinairement par des voies injustes. Les médecins disent que l'huile est bonne quand on l'applique sur les parties extérieures du corps, et qu'elle nuit aux parties intérieures : on ne peut pas dire de même de l'homme juste, qu'utile aux autres, il est inutile à lui-même et aux siens. Autrement la politique d'Aristide serait défectueuse, s'il est vrai, comme on le dit généralement, qu'il ne laissa pas de quoi doter ses filles et se faire enterrer lui-même. La maison de Caton a fourni à Rome, jusqu’à la quatrième génération, des généraux et des consuls; ses petits-fils et ses arrière-petits-fils parvinrent aux plus hautes dignités; mais les des-


cendants de cet Aristide qui avait tenu le premier rang dans la Grèce se virent réduits à une si grande pauvreté, que les uns furent obligés de se faire devins et interprètes des songes; que d'autres vécurent d'aumônes publiques; qu'aucun d'eux, enfin, ne put ni faire ni penser rien de grand et qui répondît à la réputation d'un ancêtre si illustre.

V. Mais ce point pourrait être sujet à contestation. En effet, la pauvreté n'est pas honteuse par elle-même; on ne doit en rougir que lorsqu'elle est la suite de la paresse, de l'intempérance, de la prodigalité et de la folie: mais, se trouve-t-elle dans un homme sage, laborieux, juste, courageux, qui, dans l'administration publique, fasse paraître toutes les vertus; alors elle est la marque d'un esprit élevé et d'un cœur magnanime. Il est impossible de faire de grandes choses, quand on n'a que des pensées ordinaires ; on ne peut non plus secourir les autres dans leurs besoins, quand on a soi-même des besoins multipliés. La plus grande provision pour bien gouverner n'est pas d'être riche, mais d’avoir l'aisance qui suffit, qui, en nous ôtant le désir du superflu, ne nous distrait jamais du soin des affaires publiques. Dieu seul n'a absolument besoin de rien: la vertu humaine, qui sait réduire le plus ses besoins, est


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donc la plus parfaite et celle qui approche le plus de la divinité. Un corps bien constitué n'a besoin ni, d'habits ni d'aliments superflus; de même une vie et une maison saine s'entretiennent par les choses les plus communes. En général, il faut que les biens soient proportionnés aux besoins; celui qui amasse beaucoup et qui dépense peu ne sait pas se suffire à lui-même: s il ne dépense pas ce qu'il possède, parce qu'il n'en a ni le besoin ni le désir, c'est folie; s'il en a besoin et que par avarice il n'en jouisse pas, c'est une misère déplorable.

VI. Mais je demanderais volontiers à Caton lui-même pourquoi, si l'on n'est riche que lorsqu'on jouit, il se glorifie d'avoir amassé beaucoup de bien, quand il sait se contenter de peu : ou si c'est une chose louable, comme je n'en doute pas, de manger du pain le plus commun, de boire le même vin que ses ouvriers et ses domestiques, de n'avoir besoin ni d'étoffes de pourpre ni de maisons brillantes; alors ni Aristide, ni Épaminondas, ni Manius Curius, ni Fabricius, n'ont manqué en rien à leur devoir, en refusant d'acquérir des biens dont ils n'estimaient pas l'usage. Car un homme qui trouvait les raves le meilleur des mets, et qui les faisait cuire lui-même, tandis que sa femme pétrissait son pain, un tel homme n'avait pas besoin de


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se tourmenter pour un as, ni de faire des écrits pour enseigner par quel genre d'industrie on s'enrichit plus promptement. C'est un grand bien que la simplicité qui se borne à ce qui suffit, parce qu'elle ôte à la fois et le désir et la pensée du superflu. Aussi Aristide disait-il, dans l'affaire de Callias, qu'on ne devait rougir de la pauvreté que lorsqu'elle était forcée; mais que ceux qui, comme lui, étaient pauvres volontairement, devaient s'en glorifier. Il serait ridicule d'attribuer à la paresse la pauvreté d'Aristide, quand il lui était si facile, sans rien faire de honteux, et en dépouillant seulement un Barbare, ou en prenant une des tentes de leur camp, de s’enrichir tout d'un coup. Mais en voilà assez sur ce sujet.

VII. Quant aux expéditions qu'ils ont commandées, celles de Caton ajoutèrent bien peu à la grandeur d'une république déjà si puissante; mais celles d'Aristide nous offrent les victoires des Grecs les plus belles, les plus éclatantes et les plus décisives : celles de Marathon, de Salamine et de Platée. Il ne serait pas juste de comparer Antiochus à Xerxès, ni ces villes d'Espagne, dont les murailles furent rasées, à tant de milliers de Perses qui périrent sur terre et sur mer. Dans toutes ces batailles, Aristide ne fut inférieur à personne par son


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courage; mais la gloire et la couronne de ces exploits, ainsi que l'or et les autres richesses qu'on y prit, il les céda à ceux qui en avaient plus besoin que lui, parce qu'il leur était bien supérieur.

VIII. Je ne blâmerai pas Caton de ce qu'il se vantait sans cesse et se mettait au-dessus de tous les autres Romains ; quoique d'ailleurs il dise lui-même, dans un de ses ouvrages, qu'il est aussi ridicule de se louer soi-même que de se blâmer. Mais celui qui se loue à tout propos me paraît d’une vertu bien moins parfaite que celui qui n'a pas même besoin de la louange des autres. La modestie sert beaucoup à donner de la douceur, cette vertu si nécessaire en politique: au contraire, l'orgueil rend difficile, c'est une source d'envie; passion qui ne fut pas même connue d'Aristide, et à laquelle Caton fut très sujet. Aristide, en favorisant les plus grandes entreprises de Thémistocle, en lui servant, pour ainsi dire, de garde pendant qu'il commandait, releva la ville d'Athènes; et il ne tint pas à Caton qu'en se déclarant l'ennemi de Scipion il n'empêchât et ne fit manquer cette expédition contre les Carthaginois, dans laquelle ce jeune Romain défit Annibal, jusqu'alors invincible. Enfin, en élevant chaque jour contre lui de nouveaux soupçons


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et de nouvelles calomnies, il le chassa de Rome, et fit condamner son frère pour le crime honteux de péculat.

IX. La tempérance, que Caton a relevée par les plus grands éloges, fut toujours pure et entière dans Aristide; mais ce second mariage de Caton, si indigne de lui, si peu convenable à son âge, l'a fait soupçonner de n'avoir pas su pratiquer cette vertu. Se marier dans une extrême vieillesse, lorsqu'il avait chez lui un fils et une belle-fille; épouser la fille d'un greffier, d'un homme aux gages du public, c'est manquer ouvertement à l'honnêteté. Qu'il l'ait fait par volupté ou par colère, et pour se venger de l'indignation que son fils avait témoignée contre l'esclave avec laquelle il vivait, l'action et le prétexte sont également honteux. La réponse ironique qu'il fit à son fils était destituée de toute vérité. S'il voulait avoir d'autres enfants aussi vertueux que celui-là, il devait épouser une fille de bonne maison, se marier beaucoup plus tôt, ne pas préférer un commerce illicite, tant qu'il put le tenir caché; et, quand il fut découvert, ne pas choisir pour beau-père un homme qui ne pouvait pas le refuser pour gendre, mais dont l'alliance n'était pas honorable à Caton.


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NOTES SUR CATON.

(01) Le nom de Caton vient du mot latin Catus, qui signifie prudent, sage, et même quelquefois rusé. Caton s'étant distingué par sa sagesse entre les Romains de son temps, ce nom lui devint personnel, et passa aussi à ses descendants ; il s'appelait auparavant Marcus Porcius Priscus.

(02) Manius Curius Dentatus, ainsi surnommé parce qu'il était né avec des dents, fut consul l'an de Rome 464, avant J. C. 490 ; il fit la guerre aux Samnites et aux Sabins, et obtint deux fois, dans cette même année, les honneurs du triomphe. Consul pour la seconde fois, l'an de Rome 479, il battit Pyrrhus, qu'il chassa d'Italie, et triompha pour la troisième fois.

(03) C'est celle qui est en deçà du fleuve Bétis, aujourd'hui le Guadalquivir dans l'Andalousie ; la partie qui était au-delà s'appelait l'Espagne ultérieure.

(04) Petit peuple de l'Espagne extérieure, au bas des Pyrénées, dans la province qu'on appelle aujourd'hui la Catalogne. Leur lieu principal était Barcino, dont le nom se retrouve dans Barcelone.

(05) Toutes les montagnes situées au levant du détroit des Thermopyles sont comprises sous le nom il'Oeta, et la plus haute s'appelle Callidrome, au pied de laquelle, vers le golfe de Malée, est un chemin de soixante pieds de large.


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(06) C'est-à-dire des soldats levés dans la ville de Firmium ou Firmum dans le Picenum, aujourd'hui la marche d'Ancône.

(07) L'as, dans le temps de la censure de Caton, valait plus d'un sou. Les mille as valaient environ 60 livres de notre monnaie. Les trois as qu'on payait d'impôt faisaient près de quatre sous ; mais comme les choses étaient prisées dix fois plus qu'on ne les avait achetées, l'impôt était de quarante sous par mille as, ou pour 60 livres de valeur réelle.

(08) C'est-à-dire qui ne fussent pas exposés à la grêle, à la sécheresse, aux pluies trop abondantes, qui sont autant de causes de diminution dans les récoltes.

(09) Les Athéniens avaient pillé la ville d'Orope. Sur les plaintes qu'en portèrent les habitants , l'affaire fut renvoyée au jugement de ceux de Sicyone ; et les Athéniens, n'ayant pu justifier leur entreprise, furent condamnés à une amende de cinq cents talents, dont ces députés venaient solliciter à Rome la décharge.

(10) Les anciens citent plusieurs ouvrages de Caton ; outre cent cinquante oraisons qu'on avait de lui, il avait composé un Traité de la discipline militaire, sept livres d'origines, où il expliquait celles des villes d'Italie; mais dans ce dernier ouvrage, il n'y avait que deux livres sur cette matière; les cinq autres étaient proprement l'histoire du peuple romain, et surtout celle de la première et de la seconde guerre punique. Son Traité de la chose rustique est le seul qui nous soit parvenu : il n'est resté des autres que quelques fragments.

(11) Il n'y eut que cinquante ans d'intervalle entre la fin de la seconde guerre punique et le commencement de la troisième.

(12) Cela doit s'entendre de Caton surnomme Sa-


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 loninus, et non pas de son fils Marcus, qui fut consul trente-sept ans après la mort de son aïeul. Voici donc la généalogie de cette famille. Caton le censeur, Caton surnommé Saloninus, son fils du second lit, Marcus Caton qui fut consul, et enfin Caton d'Utique.

(a) L'an de Rome 545.  Caton avait alors 23 ans.

(b) L'an de Rome 539 ; censeur l'an 570.

(c) L'an de Rome 548.

(d) 90 livres de notre monnaie.

(e) Peut-être un tapis de Perse à couvrir le parquet.

(f) 1350 livres.

(g) Voyez la Vie de Périclès, ch. XXI.

(h) Voyez la vie de Thémistocle, ch. XIII.

(i) Environ un million de notre monnaie.

(j) Environ 90 livres de notre monnaie.

(k) L'an de Rome 570.

(m) 1350 livres de notre monnaie.

(n) Maintenant 10.000livres.

(o) 2.5000.000 livres de notre monnaie.

(p) 25.000 livres, ou 15.000 livres.