le de divinatione de Cicéron |
Quid
enim habet haruspex*,
cur pulmo
incisus etiam in bonis extis dirimat
tempus et proferat diem?
Quid augur**, cur a dextra corvus, a sinistra
cornix faciat
ratum ? Quid astrologus, cur stella Iovis
aut Veneris coniuncta cum Luna ad ortus puerorum salutaris sit, Saturni
Martisve contraria, cur autem deus dormientes nos moneat, vigilantes
negligat ? Quid deinde causae
sit, cur Cassandra*** furens futura
prospiciat, Priamus*** sapiens hoc idem facere non queat ? Cur fiat
quidque quaeris? Recte omnino. Sed non nunc id agitur; fiat necne fiat, id
quaeritur. Ut si magnetem lapidem esse dicam,
qui ferrum ad se alliciat et attrahat,
rationem, cur id fiat, afferre nequeam, fieri omnino neges ? Quod idem
facis in divinatione, quam et cernimus ipsi et audimus et legimus et a
patribus accepimus.
(*) Les haruspices pratiquaient une
divination d'origine étrusque, basée essentiellement sur l'observation
des organes (surtout le foie et la vésicule) des animaux sacrifiés. Le
but poursuivi est de découvrir si les dieux approuvent une entreprise
projetée. |
quid
habet cur ?: quelle raison y-a-t-il pour ... haruspex, icis : l'haruspice (voir *) pulmo, onis : le poumon exta, orum : les entrailles; les présages dirimere, o, emi, emptum : partager, séparer tempus dirimere : ajourner diem : il s'agit du jour que l'on a envisagé pour telle entreprise que l'on soumet à l'approbation des auspices corvus, i : le corbeau cornix, icis: la corneille ratum facere : être de bon présage quid causae est : quelle raison y-a-t-il pour ... ut si : comme si magnes lapis, -tis -dis : l'aimant allicere, io, lexi, lectum : attirer
|
Pourquoi un haruspice, quand il observe une coupure dans le poumon, juge-t-il le moment tout à fait défavorable et ajourne-t-il l'entreprise même si les entrailles n'ont rien d'alarmant ? Pourquoi un augure attache-t-il tant d'importance à l'apparition d'un corbeau à droite, d'une corneille à gauche ? Pourquoi un astrologue tient-il pour un signe heureux que Jupiter ou Vénus se trouve en conjonction avec la lune à la naissance d'un enfant, et croit-il funeste que ce soit Saturne ou Mars ? Pourquoi un dieu nous donne-t-il des avertissements pendant notre sommeil et omet-il de nous en donner quand nous sommes éveillés ? Quelle cause assigner à la vision qu'a de l'avenir Cassandre dans son délire alors que Priam, raisonnable, est incapable de le prévoir ? Tu demandes qu'on t'explique toute chose. D'une manière générale tu as raison, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit actuellement : la question qui se pose est de savoir si, en fait, il y a ou il n'y a pas divination. Suppose que je vienne à parler de la pierre qu'on nomme aimant : je dis qu'elle attire le fer à elle, mais je ne puis expliquer pourquoi il en est ainsi. Nieras-tu le fait ? C'est la même chose dans la divination : nous voyons que l'avenir peut être prévu, nous connaissons par ouï-dire des cas de prévision, nous en trouvons dans les livres, nos ancêtres nous en ont transmis. de divinatione, I, 39. |
Réfléchissons ...
1. A quels procédés de divination est-il fait allusion
?
2. Précise ce que chacun de ces procédés a de spécifique (méthode, but,
savoir, ...). Voici quelques réflexions de Cicéron lui-même qui pourront
aider ta réflexion.
Il y a deux espèces de divination; l'une est une technique, l'autre est naturelle. L'art divinatoire se compose pour une part de conjectures, pour l'autre, il repose sur de longues observations. Dans la divination naturelle, l'âme se saisit en quelque sorte de l'avenir ou elle en reçoit du dehors l'impression que lui communique la divinité.
3. Résume l'argument de Quintus. Sur quoi se fonde-t-il
?
4. Envisage des objections.
1.
a) l'haruspicine : examen des organes des victimes
b) l'art augural : observation du vol des oiseaux
c) l'astrologie
d) le délire prophétique
2. (Rem. : Les réponses à cette question ne tiennent compte que des éléments
figurant dans le texte ou les notes.)
a) L'haruspicine, l'art augural et l'astrologie procèdent par examen de signes.
b) L'haruspicine et l'art augural répondent à des consultations ponctuelles au
sujet d'actions projetées; le plus souvent, c'est le consultant qui décide du
moment de la consultation. L'astrologie vise à la prédiction de l'avenir sur
une longue durée (l'horoscope basé sur la date de naissance censée
conditionner le cours entier de l'existence). Dans ce cas, ni l'astrologue, ni
le consultant ne choisissent le moment sur lequel portent les observations.
c) Dans le cas de l'haruspicine et de l'art augural, la révélation du futur ne
peut se faire qu'après une opération particulière (le sacrifice, la
délimitation du templum). L'astrologue se limite à observer l'état du
ciel à un moment précis.
d) L'haruspicine, l'art augural et l'astrologie reposent sur un savoir.
e) La prophétie occupe dans la divination une place assez particulière : elle
se caractérise par la manifestation irrépressible d'une clairvoyance dont un
dieu est la cause. Elle n'est pas tributaire des signes et ne recourt à aucune
technique, ni savoir. Dans certains cas, la prophétie peut être demandée à
propos de projets précis (voir l'oracle de Delphes).
Réf. du texte cité : de div., 2, 11
3. La divination est un fait, à son avis, dûment constaté dont l'explication
demeure inconnue. Cette constatation repose sur l'expérience personnelle (cernimus
ipsi) et sur des faits rapportés par des sources fiables (audimus et
legimus) et anciennes (a patribus accepimus).
4.
a) Quintus ne distingue pas les faits (un événement annoncé s'est réalisé)
de leur interprétation (l'annonce de l'événement est le produit d'une
technique ou de l'intervention divine).
b) Les faits eux-mêmes ne sont pas contestés : est-on sûr que les faits
rapportés ou lus soient vrais ?
c) Quelle est la mesure de la réussite de la divination ?
d) Ne peut-on envisager d'autre explication que la validité de la divination
pour expliquer la concordance entre prédiction et réalisation ? (hasard,
pressentiment provoqué par la perception subconsciente de certains
faits,inquiétude, désir, ...)
L. Paulus* consul iterum, cum ei, bellum ut cum rege Perse gereret, obtigisset, ut ea ipsa die domum ad vesperam rediit, filiolam suam Tertiam quae tum erat admodum parva, osculans animadvertit tristiculam. "Quid est, inquit, mea Tertia ? Quid tristis es ? - Mi pater, inquit, Persa periit." Tum ille artius puellam complexus : "Accipio, inquit, mea filia, omen." Erat autem mortuus catellus eo nomine. L. Flaccum ego audivi, cum diceret Caeciliam Metelli, cum vellet sororis suae filiam in matrimonium collocare, exisse in quoddam sacellum ominis capiendi causa, quod fieri more veterum solebat. Cum virgo staret et Caecilia in sella sederet neque diu ulla vox exstitisset, puellam defatigatam petiisse a matertera ut sibi concederet paulisper, ut in eius sella requiesceret, illam autem dixisse : "Vero, mea puella, tibi concedo meas sedes." Quod omen res consecuta est; ipsa enim brevi mortua est, virgo autem nupsit cui Caecilia nupta fuerat. |
vespera,
ae : le soir filiola, ae : diminutif de filia osculari, or, atus sum : donner un baiser tristiculus, a, um : un peu triste arte : étroitement complecti, or, plexus sum : serrer dans ses bras omen, inis : le présage catellus, i: le petit chien Metelli : s.-e. [uxorem] sacellum, i : le temple, le sanctuaire sella, ae : le siège, la chaise exsistere, o, stiti, stitum : sortir, s'élever de, naître matertera, ae : la tante paulisper : un peu brevi (adv.) : bientôt, peu après nupsit : s.-e. [ei] nupta fuerat : p.-q.-pft surcomposé
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L. Paulus pendant son deuxième consulat, le jour même où il venait d'être chargé de conduire la guerre contre Persée, trouva, en rentrant le soir chez lui, toute triste quand il voulut l'embrasser sa fillette Tertia alors très jeune : "Qu'y a-t-il, ma petite Tertia, demanda-t-il ? Pourquoi es-tu triste ?" "Père, répondit-elle, Persa est mort." Alors Paul Emile serra l'enfant plus étroitement dans ses bras et dit : "Ma fille, voilà pour moi un présage heureux ?" Il s'agissait de la mort d'un petit chien qui portait ce nom de Persa. J'ai entendu L. Flaccus [flamine de Mars] raconter cette histoire : Cécilia la fille de Métellus voulait marier la fille de sa soeur et suivant l'ancienne coutume s'était rendue dans un sanctuaire pour y recueillir un présage. La jeune fille était debout, Cécilia assise et, après une longue attente, nulle voix ne se faisant entendre, la petite, fatiguée, pria sa tante de lui céder son siège pour qu'elle pût se reposer un peu. Cécilia répondit : "Oui, mon enfant, je te cède ma place." Cette réponse était un présage comme le montra l'événement : Cécilia mourut peu après et la jeune fille se maria à l'homme que cette mort laissait veuve. de divinatione, I, 46. |
Réfléchissons ...
1. Fais le point : résume les faits.
2. Montre que les deux épisodes présentent des structures identiques.
3. Quelles sont les circonstances (personnes, temps, lieu) qui dans chaque
épisode font de paroles banales des signes annonciateurs de l'avenir ?
4. Quel est le mécanisme qui permet de décoder les signes ?
5. Les deux épisodes se différencient par les réactions des personnages.
Explique en quoi réside la différence.
Réponses (Extrait 6 - 1, 46 (103 - 104))
1. Le jour où Paul-Emile reçoit le commandement de la
guerre de Macédoine, sa fille lui dit : "Persa est mort. "Une tante
veut marier sa nièce ; elle est amenée à lui céder sa chaise. Elle meurt peu
après et la jeune fille épouse son oncle par alliance.
2. Dans les deux cas, des personnages prononcent des paroles banales sans lien
apparent avec les préoccupations du moment. Ces paroles s'avèrent avoir un
sens caché, insoupçonné du locuteur et se réalisent peu après.
3.
a) personnes : il s'agit de locuteurs "innocents" ; la fille de
Paul-Emile est toute petite (filiola, admodum parva), elle ne peut donc
être au courant de ce que signifie la nomination de son père; de plus,
l'épisode se situe juste après la désignation de Paul-Emile (ad vesperam),
il est donc impossible que des propos sur la question vaguement perçus par la
gamine aient inconsciemment amené la parole prophétique. La nièce -jeune,
elle aussi- prononce une parole banale provoquée par des circonstances connexes
à la situation principale (la fatigue due à la longue station debout dans le
temple), mais apparemment sans lien direct avec elle.
b) temps : la parole de Tertia est prononcée le jour même de la désignation
de Paul-Emile; la parole de la nièce est prononcée alors qu'un oracle a été
demandé (apparemment sans succès; en fait, la parole de la nièce est
l'oracle).
c) lieu : la parole de la nièce est prononcée dans un sanctuaire.
4. Les deux paroles doivent être transposées dans une catégorie et un temps
différents.
a) de l'animal (le chien) à l'humain (le roi Persée) ; de la mort
physiologique (chien) à la mort politique (Persée) ; de la situation
matérielle (chaise) à la situation sociale (mariage)
b) du présent au futur.
5. Dans le premier cas, la parole de Tertia est immédiatement interprétée
comme un présage de ce qui sera, avant même sa réalisation. Dans le second,
la parole de la nièce passe inaperçue et n'est interprétée comme présage
qu'après la mort de la tante et le mariage de la jeune fille avec son oncle.
CONTEXTE : Cicéron répond aux arguments de son frère.
Si omnia fato, quid mihi divinatio prodest ? Quod enim is qui divinat praedicit, id vero futurum est, ut ne illud quidem sciam quale sit, quod Deiotarum*, necessarium nostrum, ex itinere aquila revocavit; qui nisi revertisset, in eo conclavi ei cubandum fuisset quod proxima nocte corruit; ruina igitur oppressus esset. At id neque, si fatum fuerat, effugisset; nec, si non fuerat, in eum casum incidisset. Si enim fatum fuit, classes populi Romani bello punico primo**, alteram naufragio, alteram a Poenis depressam interire, etiamsi tripudium*** pulli fecissent, L. Iunio et P. Claudio consulibus**, classes tamen interissent. Sin, cum auspiciis obtemperatum esset, interiturae classes non fuerunt, non interierunt fato. Vultis autem omnia fato, nulla igitur est divinatio. Quod si fatum fuit, bello punico secundo exercitum populi Romani ad lacum Trasimenum interire****, num id vitari potuit, si Flaminius consul*** iis signis iisque auspiciis, quibus pugnare prohibebatur, paruisset ? Aut igitur non fato interiit exercitus, aut, si fato, etiamsi obtemperasset auspiciis, idem eventurum fuisset; mutari enim fata non possunt. (*) Dejotarus (vers 115 - 40 ACN) : roi
de Galatie (Asie Mineure); allié de Rome. Les frères Cicéron le
connaissaient personnellement. L'épisode auquel il est fait allusion ici
est le suivant : parti en voyage, Déjotarus voit dans le vol d'un aigle
un signe défavorable; il rebrousse chemin; la nuit suivante, la chambre
dans laquelle il aurait dû dormir s'effondre. |
si
omnia fato : s.-e. [eveniunt] ut : intr. une prop. de conséquence ne ... sit : "je ne sais comment interpréter" quod : le fait que ... necessarius, i : l'ami revertere, o, verti, versum : revenir sur ses pas conclave, is : la chambre cubare, o, ui : coucher, dormir corruere, o, ui, utum : s'effondrer ruina, ae : l'écroulement casus, us: le malheur, l'accident interire, eo, ii, itum : périr tripudium, i : voir note *** obtemperare, o, avi, atum : obéir interiturae fuerunt : irréel non : porte sur fato potuit : ind. pft à valeur d'irréel
|
Si tout arrive en vertu d'un destin arrêté, de quelle utilité la divination peut-elle être pour moi ? Ce que prédit le devin doit arriver, si bien que je ne sais comment comprendre l'histoire de notre ami Déjotarus qu'un aigle a rappelé de son voyage. S'il n'était pas revenu, il eût nécessairement couché dans la chambre qui s'écroula la nuit suivante et c'était l'écrasement inévitable. Mais si tel était le destin, il ne pouvait y échapper ; si ce destin n'était pas arrêté, il ne devait pas arriver malheur à Déjotarus. [A quoi donc la divination sert-elle ? Que signifient ces avertissements donnés par les entrailles, les sorts ou tout autre présage ?] Si, dans la première guerre punique, il était fatal que périssent les flottes romaines, l'une par naufrage, l'autre coulée par les Carthaginois, les sauts [les plus joyeux (solistimum tripudium)] des poulets mangeurs de grain ne les eussent pas empêchées de périr sous le consulat de L. Junius et de P. Claudius. S'il eût suffi que l'on obéît aux avertissements donnés par les auspices pour éviter ce malheur, ce n'est donc pas en vertu d'un arrêt du destin que les flottes ont péri ; mais vous voulez que le fatum règle tout, il n'y a donc pas de divination. Que si le destin de l'armée romaine était d'être écrasée au lac de Trasimène, eût-on pu éviter ce désastre si le consul Flaminius avait obéi aux signes et aux auspices qui interdisaient de livrer bataille ? Ou bien donc ce n'est pas en vertu d'un arrêt du destin que l'armée a péri ou bien, si tel était le destin [(ce que vous ne pouvez manquer de dire),] l'obéissance aux auspices n'eût rien empêché car les arrêts du destin sont irrévocables. de divinatione, 2, 8. |
Réfléchissons ...
1. Rappelle les faits auxquels il est fait allusion. En
quoi sont-ils apparentés ? Qu'est-ce qui les différencie?
2. Décompose le raisonnement suivi par Cicéron. Voici ce qu'il dit à son
frère juste avant l'extrait que tu viens de lire :
Tu disais que tout ce qui est ou doit être est contenu dans le destin.
3. Applique le raisonnement à un des exemples cités.
Réponses (Extrait 7 - 2, 8 (20))
1.
a) Déjotarus, averti par un signe, échappe à un accident mortel.
b) Claudius et Junius ne tiennent pas compte des signes défavorables; la flotte
romaine est vaincue ou détruite par la tempête.
c) Flaminius ne tient pas compte de signes défavorables. Les Romains sont
vaincus.
Dans les trois exemples, des signes avertissent de l'issue défavorable de
l'action projetée (voyage, batailles). Déjotarus tient compte de
l'avertissement et échappe à la mort. Les deux autres le rejettent et courent
à la catastrophe.
2. Si un signe m'avertit d'un événement malheureux :
a) Je tiens compte du signe et l'événement malheureux ne se produit pas; donc,
la divination est utile et il n'y a pas de destin.
b) Je ne tiens pas compte du signe et l'événement malheureux s'accomplit;
donc, il y a un destin et la divination est inutile.
DONC, la croyance dans la divination et la croyance dans le destin s'excluent.
OR, Quintus croit aux deux.
DONC, il se trouve en contradiction avec lui-même.
Réf. du texte cité : de div, 2, 7.
3. Déjotarus part en voyage suivant un itinéraire programmé. Un vol d'aigle
lui apparaît comme un mauvais présage. Il rebrousse chemin. La chambre dans
laquelle il aurait dormi cette nuit-là s'effondre.
a) Si le destin de Déjotarus inclut la mort par écrasement dans cette chambre,
il ne peut y échapper. Aucun signe ne peut l'en détourner. Donc, la divination
ne sert à rien.
b) Déjotarus tient compte du signe et échappe à la mort. Donc, sa mort dans
ces circonstances ne peut faire partie de son destin. Ce qui lui a été
annoncé est un non-événement. Donc, il n'y a pas de destin.
Remarques méthodologiques :
a) Le texte tel que présenté ici est
relativement long ; comme pour d'autres textes, le professeur peut renoncer à
l'aspect cumulatif des exemples donnés par Cicéron. Selon les circonstances,
on peut éliminer une ou deux anecdotes au choix.
b) L'expression de l'irréel partout présente dans cet extrait se laisse
malaisément expliquer à l'aide des règles fondamentales supposées connues
des élèves. Le sens est néanmoins fort clair. On se limitera à indiquer la
présence de l'irréel sans entrer dans le détail grammatical.