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LAUSUS ET MEZENCE
VII.
La mort noble
Combat entre Enée et
Mézence. Enée tue le cheval de Mézence qui s'abat sur son maître.
Advolat Aeneas vaginaque eripit ensem,
et super haec : " Ubi nunc Mezentius acer et illa
effera vis animi
?" Contra Tyrrhenus,
ut auras
suspiciens hausit
caelum
mentemque recepit :
"Hostis
amare,
quid increpitas
mortemque minaris ?
Nullum in caede nefas; nec sic ad proelia veni,
nec tecum meus haec pepigit mihi foedera Lausus.
Unum hoc, per si qua
est victis venia hostibus, oro
corpus humo patiare
tegi. Scio acerba meorum
circumstare odia; hunc,
oro, defende furorem
et me consortem nati
concede sepulcro."
Haec loquitur iuguloque
haud inscius accipit
ensem
undantique animam diffundit
in arma cruore.VIRGILE,
Enéide, 10, 896-908 |
advolare,o,avi,atum :arriver en volant, se précipiter
vagina,ae : le fourreau (de l'épée)
efferus,a,um : sauvage
Tyrrhenus,i
: l'Etrusque
caelum,i : le ciel, l'air
auras hausit : Mézence aspire l'air à pleins poumons
amare : voc. d'amarus,a,um
increpitare,o,avi,atum : crier après quelqu'un
pangere,o,pepigi,pactum : fixer, conclure
per-orare,o,avi,atum : demander avec insistance
patiare : subj. pr. 2e p. sg. de pati
circumstare,o,steti,statum : cerner, entourer
consors,ortis : qui partage le même sort
iugulum,i : la gorge
inscius,a,um : ignorant
undare,o,avi,atum : inonder, mouiller
diffundere,o,fudi,fusum : verser, répandre |
Énée vole , tire
son épée de son fourreau,
et ajoute : "Où donc est maintenant le cruel Mézence,
et la violence sauvage de son âme ?" En face de lui, le Tyrrhénien,
levant les yeux, regarda avidement le ciel et reprit ses esprits :
"Ennemi amer, pourquoi m'insulter, me menacer de mort ?
Le meurtre n'est point un sacrilège, et je ne suis point venu au combat
dans cet état d'esprit; et mon Lausus n'a pas conclu ce pacte avec toi.
Si des ennemis ont pitié des vaincus, je te demande cette seule chose :
Permets que mon corps soit inhum. Je sais les haines acerbes
dont les miens m'entourent : empêche, je t'en prie, leur fureur,
et laisse-moi partager le sort de mon fils dans un tombeau".
Il dit ces mots, et, sans surprise, il reçoit le glaive dans la gorge
et rend l'âme, baignant ses armes de son sang.
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Commentaire :
Enée, l'épée à la main, adresse à son
ennemi abattu des sarcasmes comme Mézence en proférait dans des circonstances analogues.
En agissant de la sorte, il lui tend un miroir de ses propres actions.
Mézence va répondre brillamment :
1.
Il n'a que faire de paroles.
2.
Au cas où Enée hésiterait, il affirme que le meurtre n'est pas un crime; à vrai dire,
toute sa vie témoigne de cette conviction, mais il y a une certaine noblesse à affirmer
de tels principes, quand le rapport de forces s'est inversé.
3.
Il est venu pour mourir et ni lui, ni Lausus n'ont jamais conclu de pacte avec Enée selon
lequel la vie serait laissée au vaincu.
Il a cependant une demande à formuler : la
sépulture. Or, la sépulture est liée aux conceptions sur l'au-delà auquel, sans doute,
Mézence ne croit pas (ou ne veut pas croire). Toutefois, il n'est pas certain que son
impiété soit prise ici en défaut (voir vers 845), car ce qu'il demande en fait, c'est
la sépulture commune avec son fils. Rejoindre Lausus, c'est cela avant tout que veut
Mézence.
Les deux derniers vers sont consacrés à la mise
à mort. Le parallèle avec l'attitude des gladiateurs me paraît évident; certains
prétendaient que c'est précisément dans ce moment crucial que résidait la "leçon
morale" (!) donnée par l'amphithéâtre (23).
(23) CICÉRON, Tusc.,
2, 41
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