POLYEN.
RUSES DE GUERRE
LIVRE PREMIER.
livre 2
CHAP. Ier. - Bacchus - CHAP. II. - Pan - CHAP. III. - Hercule - CHAP. IV. - Thésée - CHAP. V. - Démophon - CHAP. VI. - Cresphonte - CHAP. VII. Cypsèle - CHAP. VIII. - Helnès - CHAP. IX.- Témène - CHAP. X. - Proclès - CHAP. XI. - Aconès - CHAP. XII. - Thessale - CHAP. XIII. - Ménélaüs - CHAP. XIV. - Cléomène - CHAP. XV. - Polydore - CHAP. XVI. - Lycurgue - CHAP. XVII - Tyrtée - CHAP. XVIII. - Codrus - CHAP. XIX. - Mélanthe - CHAP. XX. - Solon - CHAP. XXI. Pisistrate - CHAP. XXII. Aristogiton - CHAP. XXIII. - Polycrate - CHAP. XXIV. - Isthiée - CHAP. XXV. - Pittac - CHAP. XXVI. - Bias - CHAP. XXVVI. - Gélon - CHAP. XXVIII. - Théron - CHAP. XXIX. - Hiéron - CHAP. XXX. - Thémistocle - CHAP. XXXI. - Aristide - CHAP. XXXII. - Léonidas - CHAP. XXXIII. - Léotychide - CHAP. XXXIV. - Cimon - CHAP. XXXV. - Myronide - CHAP. XXXVI. - Périclès - CHAP. XXXVII. - Cléon - CHAP. XXXVIII. - Brasidas - CHAP. XXXIX. - Nicias - CHAP. XL. - Alcibiade - CHAP. XLI. - Archidame - CHAP. XLII. - Gylippe - HAP. XLIII - Hermocrate - CHAP. XLIV. - Etéonique - CHAP. XLV. - Lysandre - CHAP. XLVI.- Agis - CHAP. XLVII. - Trasylle - CHAP. XLVIII. - Conon - CHAP. XLIX. - Xénophon.
CHAPITRE PREMIER. - BACCHUS. Bacchus, dans son expédition des Indes, afin d'être reçu plus aisément dans les villes, ne marchait pas armé à découvert. Ses troupes étaient vêtues de robes légères et de peaux de cerfs. Les javelots étaient ombragés de lierre, et l'on ne voyait pas la pointe dont les thyrses étaient garnis. Les sonnettes et les tambours tenaient lieu de trompettes, et les ennemis domptés par le vin, ne s'occupaient que de la danse. En un mot tous les mystères auxquels on a donné le nom d'orgies, ne sont qu'une représentation des ruses dont Bacchus s'était servi pour assujettir les Indiens et les autres peuples de l'Asie. II. Dans la même expédition des Indes, Bacchus voyant que son armée ne pouvait supporter l'air enflammé de ces climats, se saisit d'une montagne du pays, remarquable par trois hauteurs, dont l'une s'appelait Corasibie, l'autre Condasque, et la troisième il la nomma Méros, ou la Cuisse, en mémoire de sa naissance. Ce lieu était agréable par la quantité et l'abondance de ses sources, la fraîcheur de ses neiges, la multitude des bêtes fauves qu'on y pouvait chasser, et toutes sortes de fruits délicieux. Son armée, après s'être reposée dans ces lieux agréables, paraissait tout d'un coup contre les Barbares, et lançant ses traits d'en haut avec avantage, les mettait facilement en fuite. III. Bacchus, après avoir subjugué les Indiens, en tira des troupes auxiliaires, et les joignant aux Amazones, il entreprit la conquête de la Bactriane. Ce pays est terminé par le fleuve Satangués, et les Bactriens s'étaient postés sur les hauteurs voisines de ses bords, d'où ils prétendaient fondre sur Bacchus quand ils le verraient tenter le passage du fleuve. Bacchus ayant posé son camp de l'autre côté, ordonna aux Amazones et aux Bacchantes de passer la rivière, afin d'attirer les Bactriens, qui ne manqueraient pas d'abandonner leurs hauteurs, pour accourir à une défaite qu'ils jugeraient facile. Les femmes commencèrent à traverser le fleuve, et les Barbares descendirent pour les attaquer dans le passage. Elles lâchèrent pied, et se retirèrent à l'autre bord, où les Bactriens les poursuivirent. Alors Bacchus voyant les Barbares dans le fleuve, accourut au secours des Amazones et des Bacchantes avec les hommes, tua les Bactriens, et passa le fleuve sans danger. CHAPITRE II. - PAN. Pan était général de l'armée de Bacchus. Ce fut le premier qui imagina l'ordre de bataille, et qui lui donna le nom de phalange ; et comme il y établit une corne droite et une corne gauche, c'est ce qui a donné lieu à représenter Pan cornu. Pan fut aussi le premier qui s'avisa d'inspirer de la terreur aux ennemis par artifice. Bacchus était campé dans un lieu reculé et ombrageux, et ses batteurs d'estrade lui avaient annoncé que l'ennemi était campé au-delà, avec des forces supérieures aux siennes. Bacchus eut peur : mais Pan ne se laissa point étonner par ces nouvelles. Il ordonna à l'armée de Bacchus de pousser de grands cris la nuit. Il fut obéi par les troupes, et le bruit qu'elles firent retentissant dans les hauteurs et des gorges voisines, par des échos redoublés, fit juger aux ennemis que les troupes de Bacchus étaient beaucoup plus nombreuses qu'ils ne s’étaient imaginé. La frayeur les saisit, ils prirent la fuite. C'est pour faire honneur à cette ruse de Pan, qu'on a imaginé ses amours avec la nymphe Echo ; et d'ailleurs cette rencontre a été cause qu'on a nommé Paniques les terreurs nocturnes et sans sujet connu, qui surviennent dans les armées. CHAPITRE III. - HERCULE. Hercule ayant dessein d'exterminer de Pelion la race des Centaures, ne voulut pas commencer le premier à les attaquer : mais il fit en sorte de leur donner le tort. À cet effet, il s'arrêta auprès de Phole, où ayant débouché un tonneau de vin délicieux, lui et les siens en tirèrent quelque quantité. Les Centaures voisins, attirés par l'odeur, vinrent à la caverne de Phole, et enlevèrent le vin. Alors Hercule, sous prétexte de les punir dé cette violence injuste, fondit sur les Centaures et les tua. II. Hercule appréhendant les forces et la fureur du sanglier d'Érymanthe, employa l'adresse pour s'en défaire. Cette hôte terrible avait sa bauge dans un vallon, couvert d'une épaisse neige. Hercule posté sur une hauteur, jetait des pierres en bas. Le sanglier irrité se lève, et sautant de tous côtés, s'embarrasse dans la neige, où il fut aisé de le prendre. III. Hercule étant abordé devant Troie avec sa flotte, fit descente dans le pays, à dessein de combattre à pied. En même temps il ordonna aux pilotes de s'éloigner avec les vaisseaux. Les gens de pied des Troyens furent vaincus par Hercule, pendant que leur cavalerie courut du côté des vaisseaux, qu'elle ne put surprendre. Hercule, vainqueur des gens de pied, surprit la cavalerie entre la mer et ses troupes victorieuses, et la défit entièrement. IV. Hercule eut une fille dans l'Inde, et la nomma Pandée. Il lui assigna une partie du pays au midi, borné par la mer, et divisé en trois cent soixante-cinq cantons, chacun desquels, dans son jour, devait apporter, à la Pandée le tribut royal. Par ce moyen la reine savait précisément ce qui lui était dû, et ceux qui payaient étaient toujours prêts à la servir contre ceux qui refusaient d'accomplir leurs devoirs. V. Hercule faisant la guerre au Minyens, qui étaient forts en cavalerie, et n'osant en venir aux mains avec eux dans la plaine, se servit d'une rivière pour les vaincre. Le fleuve Céphise, qui sépare les deux montagnes de Parnasse et d'Hedylion, coule à travers la Béotie, et avant que de se rendre à la mer, fond tout d'un coup dans un grand gouffre, où il devient invisible. Hercule boucha ce gouffre avec de grandes pierres, et inonda par ce moyen la plaine où était postée la cavalerie des Minyens. Ils ne purent se servir de leurs chevaux, et Hercule se rendit ainsi maître des lieux. Après cela il déboucha le gouffre et le fortifia, et le fleuve Céphise reprit son cours ordinaire. CHAPITRE IV. - THÉSÉE. Thésée, pour éviter d'être saisi par les cheveux dans les combats, s'avisa de se faire tondre le devant de la tête. Après lui les Grecs ont mis en pratique cette espèce de tonsure qu'on appelait Théséide. Les Abantes, surtout, conservèrent cette manière de se couper les cheveux, comme le témoigne Homère, lorsqu'il leur donne l'épithète de chevelus par le derrière de la tête. CHAPITRE V. - DÉMOPHON. Démophon avait reçu le palladium en dépôt de Diomède, et le gardait soigneusement. Importuné par Agamemnon, qui le lui demandait, il donna le véritable à un Athénien, nommé Bouzyguès, afin qu'il le portât à Athènes ; et en ayant fait faire un tout semblable, il le gardait dans sa tente. Agamemnon, vint pour l'enlever e main forte, et Démophon combattit avec autant de courage et d'obstination pour conserver le faux palladium, que si c'eut été le véritable. Enfin cédant à la force, et blessé en plusieurs endroits, le lui livra, et Agamemnon trompé s'en alla avec le prétendu palladium. CHAPITRE VI. - CRESPHONTE. Cresphonte, Témène, et les fils d'Anistodème partagèrent entre eux le Péloponnèse. On fit trois parts, Sparte, Argos, et Messène. Cresphonte, dans le dessein de s'approprier Messène, qui était le meilleur lot, proposa de tirer au sort, que le premier et le second qu'on tirerait, donneraient Sparte et Argos, et que Messène demeurerait à celui qui aurait le dernier sort. Son avis fut suivi, et l'on mit les sorts dans une urne pleine d'eau. Deux étaient de pierre blanche, et le troisième, préparé par Cresphonte, n'était que de terre de la même couleur et de la même forme, qui fut dissoute en peu de temps. Il ne resta que les deux pierres, dont la première, tirée par Témène, lui donna Argos ; et l'autre, par les fils d'Aristodème, les rendit maîtres de Sparte. Cresphonte n'eut pas besoin de tirer, il emporta Messène par artifice, pendant qu'on s'imaginait que c'était un présent de la fortune seule. CHAPITRE VII. - CYPSÈLE. Dans le temps que Cypsèle était maître de l'Arcadie, les Héraclides faisaient la guerre aux Arcadiens. Un oracle donné aux Héraclides portait : « Ne recevez point de présents de ceux d'Arcadie, ou si vous en recevez faites alliance avec eux. » Cypsèle, instruit de cet oracle, ordonna aux laboureurs, dans le temps de la récolte, de garnir les chemins de toutes sortes de fruits, et de se retirer. Les troupes des Héraclides trouvant ces fruits abandonnés, les prirent avec joie. Après cela Cypsèle se présentant devant les Héraclides, leur offrit l'hospitalité. Ceux-ci par déférence pour l'oracle, refusaient d'accepter les offres de Cypsèle. « Vous avez tort, leur dit-il, vos troupes ont déjà reçu nos présents.» Ce fut ainsi que par l'artifice de Cypsèle les Arcadiens firent alliance avec les Héraclides. CHAPITRE VIII. - HELNÈS. Du temps qu'Helnès était roi d'Arcadie, les Lacédémoniens ravagèrent les environs de Tégée. Helnès détacha les plus vigoureux des siens, et leur ordonna de s'aller poster la nuit sur les hauteurs. A la même heure, c'est-à-dire vers minuit, il plaça entre la ville et les ennemis les vieillards et les enfants, à qui il donna ordre d'allumer un grand feu. Les Lacédémoniens, étonnés de ce spectacle, le regardaient avec beaucoup d'attention. Pendant ce temps-là, ceux qui étaient sur les hauteurs fondirent sur les ennemis, en tuèrent la plupart, et firent le reste prisonniers. Ainsi fut accompli l'oracle autrefois donné aux Lacédémoniens et mal entendu par eux : « Je te ferai danser dans la plaine de Tégée, et ce beau canton sera mesuré au cordeau. » CHAPITRE IX. - TÈMÈNE. Témène, avec les autres Héraclides, ayant dessein de passer à Rhion, envoya des transfuges de Locres dire à ceux du Péloponnèse, que les Héraclides étaient à Naupacte avec leur flotte et qu'ils feignaient d'en vouloir à Rhion, mais qu'en effet ils avaient dessein de faire descente à l'Isthme. Ceux du Péloponnèse, trompés par cette fausse nouvelle, coururent à l'Isthme, et Témène se rendit facilement maître de Rhion. CHAPITRE X. - PROCLÈS. Proclès et Témène, Héraclides, faisaient la guerre aux Eurystides, maîtres de Sparte. Pendant que les Héraclides sacrifiaient à Pallas pour l'heureux passage des montagnes, les Eurystides les attaquèrent tout-a-coup. Les Héraclides, sans s'étonner, ordonnèrent aux fifres qui étaient en fonction pour le sacrifice, de continuer à jouer, et de marcher ainsi devant les troupes, qui réglant leur marche sur la mesure de l'harmonie, se trouvèrent arrangées de manière qu'il fut impossible de les rompre, et la victoire se déclara pour eux. Cette expérience apprit aux Lacédémoniens de quelle utilité étaient les fifres dans une marche et dans le combat. Aussi depuis ce temps-là ne marchèrent-ils point sans fifres ; et je sais que les oracles des dieux leur avaient promis la victoire toutes les fois qu'ils combattraient au son des fifres ; pourvu que ce ne fût pas contre gens qui en usassent aussi. La vérité de cet oracle fut confirmée par ce qui arriva à l'affaire de Leuctres. Alors les Lacédémoniens se mirent en bataille contre les Thébains, sans avoir avec eux de fifres. Au lieu que les Thébains en avaient selon l'usage de la nation. Ainsi fut accompli l'oracle qui avait prédit que les Thébains vaincraient les Lacédémoniens, quand ceux-ci ne se serviraient point de fifres. CHAPITRE. XI - ACOUÈS La ville de Tégée fut livrée la nuit, par trahison, aux Lacédémoniens. Pour remédier à ce malheur, Acouès ordonna à ses soldats de tuer tous ceux qui demanderaient le mot. Les Arcadiens, ainsi prévenus, ne le demandèrent point ; mais les Spartiates ayant de la peine à reconnaître les leurs dans l'obscurité, demandaient le mot, et se faisant connaître par là ; étaient aussitôt égorgés par les Arcadiens. CHAPITRE XII. - THESSALE. Dans le temps que les Béotiens d'Arne faisaient la guerre aux Thessaliens, Thessale trouva moyen de s'en rendre maître sans combat, par cette ruse : ayant attendu une nuit obscure et sans lune, il commanda à ses troupes de se diviser par pelotons, de se poster sur différentes hauteurs çà et là, d'allumer des flambeaux, et de les hausser et baisser souvent. Les Béotiens voyant tous ces feux en mouvement autour d'eux, les prirent pour des éclairs, et saisis de frayeur, ils demandèrent la paix aux Thessaliens. CHAPITRE XIII. - MÉNÉLAÜS. Ménélaüs, revenant d'Égypte avec Hélène se trouva devant Rhodes. Philixo, veuve de Tlépolème, mort au siège de Troie, et encore affligée de cette perte, fut informée de l'arrivée de Ménélaüs et d'Hélène. Aussitôt, pour venger la mort de Tlépolème, elle rassemble tous les Rhodiens, hommes et femmes, et s'armant de feu et de pierres elle fait irruption sur la flotte de Menelaüs, que le vent contraire empêchait de mettre à la voile et de prendre la fuite. Il prit le parti de faire cacher Hélène sous le tillac ; et en fit prendre les habits, les ornements et le diadème à la plus belle de ses esclaves. Philixo et les Rhodiens employèrent le feu et les pierres contre cette malheureuse esclave, et assouvirent leur vengeance sur elle. Ils se retirèrent, contents d'avoir donné la mort à la prétendue Hélène, et Ménélaüs eut la satisfaction de sauver et d'emmener avec lui la véritable. CHAPITRE XIV. - CLEOMÈNE. Pendant que Cléomène était campé devant ceux d'Argos, il remarqua que les Argiens l'observaient avec une attention singulière, et faisaient tous les mêmes mouvements et toutes les mêmes fonctions dont il donnait les ordres par ses hérauts ; s'il s'armaient, les ennemis s'armaient, s'il marchait, ils marchaient contre lui, s'il se reposait, ils se reposaient. Cléomène les voyant dans cette disposition, donna ordre secrètement que l'on s'arma quand il ferait crier le dîner. Le cri fut fait et les Argiens se mirent à dîner. Cléomène profitant de leur erreur, fondit sur eux, et les trouvant sans armes, les défit entièrement. CHAPITRE XV. - POLYDORE. Il y avait vingt ans que les Lacédémoniens faisaient la guerre à ceux de Messène. Polydore feignit d'être brouillé avec le roi Théopompe, qui était d'une autre maison que lui, et fit dire aux Messéniens par un transfuge simulé que les deux rois ne pouvaient plus vivre ensemble, et étaient sur le point de se séparer. Les Messéniens observèrent ce qui arriverait de cette brouillerie, et furent informés que Théopompe avait effectivement emmené ses troupes. Mais il n'était pas allé loin, et s'était caché à l'écart. Les Messéniens croyant alors n'avoir affaire qu'à Polydore seul, le méprisèrent, et sortirent de la ville fort en désordre pour le combattre. Théopompe, averti par te espions, sortit du lieu où il s'était caché, trouva la ville abandonnée, s'en rendit le maître, et puis tourna contre les Messéniens qui avaient Polydore en face. Ainsi ceux de Messène, enfermé de tous côtés, furent vaincus par les Lacédémoniens. CHAPITRE XVI. - LYCURGUE. Lycurgue, dans le dessein de donner plus d'autorité à ses lois, employa la religion, pour y soumettre plus efficacement les esprits des Lacédémoniens. Aussitôt qu'il avait formé une loi, il en envoyait le décret à Delphes, pour demander au dieu si elle serait utile. La prophétesse gagnée par les présents, ne manquait jamais de répondre que la loi était utile ; et de cette manière la crainte religieuse faisait regarder les lois de Lycurgue comme autant d'oracles. II. Un des préceptes de Lycurgue était celui-ci : « Lacédémoniens, ne faites pas souvent la guerre aux mêmes ennemis, de peur de les rendre trop habiles à vos dépens. » III. Il disait encore : « Ne tuez pas les ennemis qui fuient, de peur qu'ils n'apprennent qu'il est plus avantageux de demeurer que de prendre la fuite. » CHAPITRE XVII. - TYRTÉE. Les Lacédémoniens étant près de combattre les Messéniens, se proposèrent de vaincre ou de mourir ; et afin qu'on pût reconnaître plus facilement les morts, quand il faudrait les enlever après le combat, chacun écrivit son nom sur une bande de cuir qu'il s'attacha à la main gauche. Tyrtée se persuada que cette résolution désespérée donnerait de la terreur aux Messéniens, et pour la leur faire savoir, sans qu'il parût que cela vînt de lui, il fit publier dans le camp qu'on ne fît pas de cas des Ilotes qui voudraient déserter. Ceux-ci, voyant qu'on ne les observait point, passèrent en foule du côté des Messéniens, et leur apprirent la résolution que les Lacédémoniens avaient prise. Ceux de Messène en combattirent avec moins d'ardeur contre des gens animés de désespoir, et furent aisément vaincus par les Lacédémoniens. CHAPITRE XVIII. - CIDRUS. Les Athéniens faisaient la guerre à ceux du Péloponnèse. Un oracle avait assuré la victoire aux Athéniens si leur roi était tué par un Péloponnésien. Cet oracle était connu, et les Péloponnésiens avaient donné un ordre très exprès d'épargner dans les combats la personne de Codrus, roi d'Athènes. Mais Codrus, déguisé en bûcheron, sortit un soir hors des retranchements, et se mit à couper du bois. Des Péloponnésiens, sortis dans le dessein de couper aussi du bois, rencontrèrent Codrus, qui les attaqua et en blessa quelques-uns à coups de serpe. Ils se vengèrent sur lui et l'assommèrent avec leurs serpes. Ils se retirèrent à leur camp, bien contents de cet exploit. Les Athéniens, de leur côté, voyant l'avantage que l'oracle leur faisait espérer de cette perte, poussèrent de grands cris de joie ; et se présentant courageusement pour combattre les Péloponnésiens, ils commencèrent par leur envoyer un héraut, pour demander la permission d'enlever le corps du roi. Les Péloponnésiens voyant ce qui était arrivé, prirent la fuite, et les Athéniens, après la victoire, décernèrent à Codrus les honneurs dus aux héros, en reconnaissance de ce qu'il avait sacrifié sa vie pour l'avantage de sa patrie. CHAPITRE XIX. - MELANTHE. Les Athéniens et les Béotiens se faisaient la guerre au sujet de Mélaines. Mélanthe commandait les Athéniens, et Xanthus était à la tête de ceux de Béotie ; et Mélaines était un canton limitrophe de l'Attique et de la Béotie. Un oracle avait prédit à Xanthus qu'il serait vaincu par ruse ; et voici comme l'oracle fut accompli. Les deux chefs voulurent terminer le différend par un combat singulier entre eux seuls. Comme ils en étaient aux mains, Mélanthe s'écria « Tu n'en uses pas bien, tu amènes un second, c'est une supercherie. » Xanthus se détourna pour voir qui était ce second ; et dans le moment Mélanthe le perça d'un javelot. Les Athéniens ayant remporté la victoire par cette tromperie, établirent une fête annuelle en mémoire de cette rencontre ; on l'appelle encore aujourd'hui la fête des Apaturies, comme qui dirait, de la tromperie. CHAPITRE XX. - SOLON: Ceux d'Athènes et de Mégare se faisaient la guerre depuis long temps pour la possession de Salamine. Les Athéniens ayant eu du désavantage, firent une loi par laquelle il était défendu, sur peine de la vie, de parler de faire la guerre pour la conquête de Salamine. Solon méprisa la menace de la mort, et résolut de faire révoquer la loi. À ce dessein il feignit un transport de fureur, et se présentant sur la place, il se mit à chanter des élégies qui ne parlaient que d'armes et de guerre. Le peuple, animé par ce chant martial, prit les armes et sortit en chantant les élégies militaires de Solon. Les Mégariens furent vaincus, et Salamine demeura au pouvoir des Athéniens. Ainsi Solon fut admiré pour avoir, par sa feinte manie, aboli une mauvaise loi, et procuré la victoire aux Athéniens par les charmes de la musique. II. Dans la même guerre des Athéniens et ceux de Mégare, au sujet de Salamine, Solon fit avancer sa flotte du côté de Collas, où les femmes célèbrent une fête à l'honneur de Cérès. En même temps il envoya un transfuge simulé, qui dit à ceux de Mégare : « Si vous voulez aller par mer à Colias, vous y trouverez les femmes des Athéniens qui dansent : mais hâtez-vous. » Les Mégariens trop crédules, s'embarquèrent pour cette expédition pendant que Solon fit retirer les femmes et leur substitua des jeunes gens sans barbe, qui prirent les habits des femmes, et s'armèrent secrètement de poignards. Dans cette disposition, ils se mirent à danser sur le bord de la mer. Leurs visages sans barbe, et leurs habits, trompèrent les Mégariens, qui firent incursion sur eux pour les enlever. Mais ils trouvèrent que ces femmes prétendues étaient des hommes vigoureux qui les poignardèrent, montèrent sur leurs propres vaisseaux, et se rendirent maîtres de Salamine. CHAPITRE XXI. - PISISTRATE. Pisistrate sortit de l'Eubée, s'avança en armes dans l'Attique, du côté de Pallènes. Il tua d'abord tous ceux qui se présentèrent. Ils furent suivis d'un plus grand nombre. Pisistrate les voyant, donna ordre qu'on prît des couronnes, et défendit le carnage. Il fit courir le bruit qu'il avait traité avec les premiers ; et ceux-ci persuadés que la chose était ainsi, transigèrent avec Pisistrate, et le laissèrent maître de la ville. Il monta sur un chariot, et s'y fit accompagner par une femme fort belle et d'une taille avantageuse, nommée Phyé, qu'il habilla comme on représente Pallas, voulant leur donner à entendre que c'était la déesse même qui le ramenait dans Athènes. De cette sorte il se présenta hardiment, et se rendit maître absolu de la ville. II. Pisistrate ayant dessein de désarmer les Athéniens, convoqua l'assemblée générale, et donna ordre que tout le monde se trouvât en armes au temple Anacée. Quand tous furent assemblés, il se mit à haranguer, mais il parlait si bas qu'on avait peine à l'entendre. On le pria de s'avancer sous le portique, afin qu'il pût être plus facilement entendu de tous. Pisistrate continua là de parler d'une voix faible, et les auditeurs s'approchaient le plus qu'ils pouvaient, en prêtant l'oreille avec attention. Pendant ce temps-là ceux qui favorisaient Pisistrate, enlevèrent les armes et les portèrent dans le temple de Diane. Alors les Athéniens reconnurent que la faiblesse de la voix était une ruse dont s'était servi Pisistrate pour leur ôter leurs armes. III. Dans Athènes, Mégaclès avait le commandement sur les riches, et Pisistrate avait l'autorité sur les pauvres. L'un et l'autre avaient ensemble des différents continuels. Un jour, dans l'assemblée, Pisistrate fit de grands reproches à Mégaclès et usa contre lui de menaces. Au sortir de l'assemblée Pisistrate se fit quelques plaies qui n'étaient pas dangereuses, et se montrant le lendemain en public, il donna lieu de croire qu'il avait été maltraité de la sorte, pour avoir pris le parti du peuple et soutenu ses intérêts. Le peuple animé par cette injure prétendue, donna trois cents gardes à Pisistrate, qui les ayant armés de massues, s'en servit à s'assurer l'empire souverain de la ville, et il le transmit à ses enfants. CHAPITRE XXII. - ARISTOGITON. Aristogiton, tourmenté par les gardes d'Hippias, qui le voulait forcer à déclarer les noms des complices de la conspiration, ne nomma aucun des véritables conjurés ; mais il accusa tous les amis d'Hippias d'avoir eu part au soulèvement. Quand Hippias les eut fait mourir, alors Aristogiton lui déclara qu'il ne les avait nommés que pour les faire périr, et qu'il se savait bon gré d'avoir détruit les amis du tyran par la cruauté du tyran même. CHAPITRE XXIII. - POLYCRATE. Polycrate de Samos courant les mers de Grèce, regarda comme une ruse utile à ses desseins, de piller et ravager les amis aussi bien que les ennemis. Le pis aller était de rendre ce qu'il aurait pris, et il estimait que cette restitution tiendrait lieu de bienfait, et lui concilierait de plus en plus l'affection de ses amis ; au lieu que s'il ne leur prenait rien, il ne pourrait leur donner aucune marque de libéralité. II. Voici de quelle manière Polycrate se rendit maître de Samos. Les habitants faisaient un sacrifice public au temple de Junon. Polycrate, profitant de l'occasion, fit un grand amas d'armes, comme pour prendre part à la pompe de la solennité ; et les ayant données à ses deux frères Syloson et Pantaganoste, et à ceux qui étaient d'intelligence avec eux, il les fit marcher à la cérémonie avec le reste du peuple. La procession finie, la plupart des habitants posèrent les armes contre les autels, pour donner toute leur attention aux prières. Alors les deux frères et ceux de leur parti, bien armés, se mêlant parmi ceux qui ne l'étaient pas les tuèrent tous l'un après l'autre. Aussitôt Polycrate se servit des conjurés, pour s'assurer des principaux postes de la ville, et réunit autour de lui ses deux frères ; et les autres complices de la sédition, qui accouraient au temple. Il fortifia la citadelle, qu'on appelait ou Astipalée ou la vieille ville, et envoya demander des troupes à Lygdamis, tyran ou usurpateur de Naxe, avec le secours desquelles il se rendit maître absolu dans Samos. CHAPITRE XXIV. - ISTHIÉE. Pendant qu'lsthiée était en Perse auprès de Darius, il forma le dessein de faire soulever l'Ionie : mais il n'osa envoyer des lettres, dans la, crainte qu'elles ne fussent interceptées par les guides des chemins. Il s'avisa de faire raser un esclave, de la fidélité duquel il était assuré, et lui piqua sur la tête ce peu de mots : « Isthiée à Aristagore. Fais soulever l'Ionie. » Il laissa ensuite croître les cheveux, et puis envoya l'esclave, qui s'embarqua, se rendit auprès d'Aristagore, et s'étant fait raser de nouveau, lui fit lire ce qu'lsthiée lui avait imprimé sur la tête. Aristagore exécuta ce qui lui était marqué, et l'Ionie se souleva. CHAPITRE XXV. - PITTAC. Un combat singulier devait décider entre Pittac et Phrynon le différend qu'ils avaient ensemble sur la possession de Sigée. Ils étaient convenus de se battre à armes pareilles, et véritablement il n'y avait pas de différence à l'extérieur : mais Pittac avait caché sous son bouclier un filet, dont il se servit pour embarrasser Phrynon, et le tua. Ainsi l'on peut dire qu'il prit Sigée d'un coup de filet. C'est la même invention dont se servent encore les gladiateurs dans les duels ; et Pittac est le premier qui se soit avisé de cette ruse. CHAPITRE XXVI. - BIAS. Crésus le Lydien avait formé le projet d'aller attaquer les îles avec une flotte : mais Bias de Priène trouva moyen de l'en détourner. Il lui dit un jour : « Les Insulaires lèvent contre toi de nombreuses troupes de cavalerie. - O ! plût à Jupiter, répondit Crésus en riant, que je puisse trouver les Insulaires en terre ferme. - Eh ! crois-tu, dit Bias, que les Insulaires ne fassent pas le même souhait, de pouvoir trouver Crésus sur la mer !» Ce discours de Bias rompit le dessein du Lydien, qui laissa les Insulaires en repos. CHAPITRE XXVII. - GÉLON. Gélon de Syracuse, fils de Dinomène, ayant été nommé capitaine général des Syracusains contre Himilcon, dans la guerre contre les Carthaginois, combattit vaillamment et remporta la victoire. Ensuite se présentant à l'assemblée, il rendit publiquement un compte exact de l'usage qu'il avait fait de l'autorité qui lui avait été confiée, des dépenses, des occasions mises à profit, des armes, des chevaux, des galères ; et sur tous les articles il fut comblé de louanges. Ensuite s'étant dépouillé de ses habits, il se mit au milieu de l'assemblée, et dit : « Me voilà tout nu au milieu de vous, et vous êtes tous armés. Si j'ai usé d'aucune violence, employez contre moi, à votre gré, le feu, le fer, et les pierres. » Le peuple s'écria qu'il était un général digne des plus grands éloges. « Si cela est, dit Gélon, n'en choisissez donc plus que de pareils. » Le peuple répondit : « Mais il n'est pas possible d'en trouver un autre. » Gélon fut engagé à se charger de nouveau du commandement général des troupes : mais il ne se contenta pas d'être général des Syracusains ; il usurpa l'empire absolu de l'État. II. Gélon, devenu tyran de Syracuse, sortit en armes au devant d'Himilcon, roi des Carthaginois, qui avait amené une flotte sur les côtes de Sicile : Gélon n'osant hasarder un combat, commanda à Pédiarque, chef des gens de trait, de s'avancer à la tête de l'armée, revêtu de tous les ornements de la suprême dignité, et suivi des gens de trait habillés de blanc, comme pour faire le sacrifice qui devait précéder le combat. Mais les gens de la suite de Pédiarque eurent ordre de cacher des javelots sous leurs rameaux de myrte, et de tirer sur Himilcon, lorsqu'ils le verraient s'avancer de son côté pour sacrifier. Himilcon ne se doutant de rien de semblable, parut et sacrifia : mais pendant les libations et l'immolation, il fut percé de traits et perdit la vie. III. Gélon, dans le dessein de ruiner l'empire de ceux de Mégare, y établit une colonie de Doriens. Ensuite il imposa à Diognet, qui commandait à Mégare, des sommes excessives. Diognet, ne les pouvant fournir, les exigea des habitants ; et ceux-ci, pour se dispenser de les payer, se retirèrent dans la colonie des Doriens, et se soumirent volontairement à l'autorité de Gélon. CHAPITRE XXVIII. - THÉRON. Théron commandait l'armée de Sicile contre les Carthaginois. Les ennemis prirent la fuite ; et les Siciliens se répandirent dans leur camp pour le piller : mais ils furent repoussés par les Ibères, qui s'étaient joints aux Carthaginois. Théron, pour faire cesser le carnage que ces auxiliaires faisaient de ses troupes, ordonna un détachement pour faire le tour du camp par derrière, et mettre le feu aux tentes. Les ennemis voyant la flamme et la fumée s'élever, et que leurs tentes étaient consumées, s'enfuirent du côté des vaisseaux. Les Siciliens les poursuivirent jusqu'à la mer, et en firent périr la plupart avant qu'il pussent se rembarquer. II. Dans un combat que ceux de Sélinonte avaient donné aux Carthaginois, ils avaient eu beaucoup des leurs tués, et les corps demeuraient sans sépulture, au grand regret des vaincus, qui n'osaient entreprendre de rendre les derniers devoirs à leurs concitoyens. Comme ils délibéraient sur ce qu'il y avait à faire en cette rencontre, Théron, fils de Miltiade, leur dit, que s'ils voulaient lui donner trois cents esclaves bûcherons, il enlèverait les corps et les brûlerait. Il ajouta, que si les ennemis le prenaient, la perte d'un seul citoyen et de trois cents vils esclaves, ne serait pas un grand malheur pour l'État. Ceux de Sélinonte agréèrent la proposition, et accordèrent à Théron les trois cents esclaves. Il fit choix des plus vigoureux, et les ayant armés de haches et de serpes, il sortit avec eux comme pour couper du bois et dresser un bûcher. Au lieu de cela, il leur persuada de s'élever contre leurs maîtres, et les ayant menés, à la faveur de la nuit, contre la ville, il fut reçu par les gardes comme ami : mais il tua les gardes et la plupart des habitants qui étaient endormis, se rendit maître de la ville, et devint tyran de Sélinonte. CHAPITRE XXIX. - HIÉRON. Hiéron voulant passer une rivière, en était empêché par les ennemis. Il leur opposa directement ceux d'entre ses soldats qui étaient armés de toutes pièces ; et pendant qu'ils essayèrent de passer à la vue des troupes ennemies, il envoya plus haut la cavalerie, et par delà encore au-dessus, les gens de trait. Les ennemis firent de grands détachements pour opposer aux gens de trait et à la cavalerie. Par ce moyen ceux qui étaient armés de toutes pièces, trouvèrent moins de résistance, et ayant passé la rivière, mirent facilement en déroute le peu de troupes qui étaient restées pour leur disputer le passage. Aussitôt Hiéron fit lever l'étendard pour avertir les gens de trait et la cavalerie de son avantage. Ils revinrent à leur premier poste, et à la faveur des premiers, qui occupaient l'autre bord, et arrêtaient les efforts des ennemis, ils passèrent la rivière. II. Dans la guerre que Hiéron fit et Italie, quand il avait entre ses prisonniers des personnes considérables par leurs alliances et leurs richesses ; il ni les rendait pas aussitôt qu'on venait lu en offrir la rançon ; mais il les retentit longtemps, les traitait avec honneur, les régalait, et vivait familièrement avec eux. Après cela il acceptait leur rançon et les renvoyait en liberté. Mais il arrivait ordinairement que ces prisonniers délivrés devenaient suspects à leur patrie, à cause des bons traitements qu'ils avaient reçus de Hiéron, avec qui l'on craignait qu'ils n'eussent prit des engagements secrets. CHAPITRE XXX. - THÉMISTOCLE. Un oracle donné aux Athéniens, portait : « Divine Salamis, tu perdras les enfants des femmes. » Les Athéniens étaient alarmés de cet oracle ; mais Thémistocle les rassura, en disant : « Il ne regarde que les ennemis ; car le dieu n'aurait point appelé Salamis divine, si elle devait faire périr les enfants des Grecs. » Dans une autre rencontre, on cherchait le sens d'un oracle qui disait : « Jupiter qui voit de tous côtés, donne un mur de bois à Minerve. » La plupart des Athéniens étaient d'avis que cela signifiait qu'il fallait fortifier la citadelle. Mais Thémistocle soutint que le sens de l'oracle était qu'il fallait confier aux galères le salut de la république, et que c'était là le mur de bois que Jupiter devait donner à la ville de Minerve. On le crut, on arma les galères, on s'en servit à combattre les ennemis, et l'on remporta la victoire. II. Thémistocle tenait Salamine bloquée par mer. Les Grecs étaient d'avis de se retirer, et Thémistocle voulait que le combat se donnât dans un lieu où la mer était fort resserrée. Comme on ne se rendait pas à ses raisons, il fit partir secrètement l'eunuque Sycinne, précepteur de ses deux fils, qui allant trouver de nuit le roi des Perses, lui dit, comme en confidence, que les Grecs se disposaient à prendre la fuite, et que l'occasion était favorable pour attaquer leur flotte. Le roi le crut légèrement, et attaqua les Grecs dans le détroit. La disposition du lieu contraignit les Grecs à tenir leurs galères serrées entre elles, et la sagesse de leur général leur procura la victoire malgré eux. III. Les Grecs, après la victoire de Salamine, proposèrent de rompre le pont de bateaux que Xerxès avait fait sur l'Hellespont, afin qu'il ne pût prendre la fuite. Thémistocle s'opposa à cette résolution, et dit : « Le roi, privé de ce moyeu de faire retraite, combattra de nouveau ; et souvent le désespoir fait obtenir des succès que le courage n'a pas donnés. » Après cela il fit passer secrètement du côté du roi un autre eunuque, nommé Arsace, qui lui dit que s'il ne prenait au plus tôt le parti de la retraite, les Grecs ne manqueraient pas de rompre le pont. Le roi craignit que cela n'arrivât ; il se hâta de prévenir les Grecs, passa le pont, et prit la fuite. Ce fut ainsi que Thémistocle trouva moyen de conserver aux Grecs, sans risque, tout l'avantage de leur victoire. IV. Les Athéniens élevaient des murs autour de leur ville, et les Lacédémoniens s'opposaient à ce dessein, par jalousie. Thémistocle trouva moyen de les amuser et de les tromper. Il se rendit à Lacédémone en qualité d'ambassadeur, et nia fortement que les Athéniens fortifiassent leur ville. « Et si vous ne me croyez pas, ajouta-t-il, envoyez les plus considérables d'entre vous, pour être témoin de ce qui se passe, et me retenez jusqu'à leur retour. » On le crut ; on envoya des inspecteurs ; et Thémistocle écrivit secrètement aux Athéniens de retenir les inspecteurs, jusqu'à ce que les murs fussent achevés de construire : mais il pria en même temps qu'on ne délivrât point les inspecteurs, que les Lacédémoniens n'eussent commencé les premiers par le mettre en liberté. Ainsi la clôture fut achevée, Thémistocle fut renvoyé, les inspecteurs furent rendus, et la ville se trouva fortifiée, en dépit des Lacédémoniens. V. Dans le temps que les Athéniens faisaient la guerre au peuple d'Égine, il se trouva que le revenu que l'État retirait des mines d'argent, montait à cent talents, et il était question de les distribuer au public. Thémistocle, après avoir conféré à ce sujet avec cent des plus riches citoyens d'Athènes, proposa à l'assemblée publique de donner un talent à chacun de ces cent hommes, à condition que si l'emploi qu'ils en feraient méritait d'être approuvé, on leur en tînt un compte exact ; et au contraire, qu'ils rendissent le talent, si l'usage qu'ils en feraient, ne méritait pas l'approbation du public. La proposition fut approuvée ; chacun de ces cent hommes ayant reçu son talent, l'employa à la construction et à l'armement d'une galère, et tous à remise disputaient l'avantage d'avoir la plus belle et la plus légère à la course. Les Athéniens eurent ainsi la satisfaction de se voir maîtres d'une flotte nouvelle, dont ils se servirent non seulement contre Égine, mais encore contre les Perses. VI. Les Ioniens avaient pris le parti des Perses, et servaient sous leur roi ; Thémistocle ordonna aux, Grecs d'écrire sur les murs : Hommes d'Ionie, c’est mal fait à vous de combattre contre vos frères. » Le roi des Perses ayant lu cela, prit de la défiance contre les Ioniens, et les tint pour suspects. VII. Thémistocle, contraint de s'enfuir d'Athènes, monta sur un vaisseau sans être connu, dans le dessein de se faire passer en Ionie. Une tempête le poussa contre Naxe, alors assiégé par les Athéniens. Thémistocle voyant le danger qu'il courait, se découvrit au patron et lui dit que s'il ne lui aidait pas à se sauver, il lui ferait courir la moitié du péril en l'accusant d'avoir reçu de l'argent pour favoriser sa fuite ; et que l'unique moyen de se sauver tous deux, était d'empêcher que personne ne prit terre. Le patron épouvanté, ne laissa descendre personne, et sortit du port en diligence. CHAPITRE XXXI. - ARISTIDE. Aristide et Thémistocle, animés d'une haine extrême, vivaient dans une division qui paraissait sans remède. Mais quand le roi des Perses fut passé dans la Grèce, ils sortirent tous deux de la ville, et s'étant donné la main droite l'un à l'autre, et en ayant entrelacé les doigts ensemble ils s'écrièrent : « Mettons bas ici notre haine réciproque. jusqu'à ce que nous ayons vaincu les Perses. » Ensuite séparant les mains et les élevant comme pour précipiter quelque chose dans une fosse, qu'ils comblèrent, ils reprirent le chemin de la ville, et firent la guerre de concert. Ce fut cette concorde des chefs qui fut la principale cause de la victoire que la Grèce remporta contre les Barbares. CHAPITRE XXXII. - LÉONIDAS. Dans l'affaire des Thermopyles, ce fut pour avoir tenu ferme dans un lieu étroit et serré, que Léonidas rendu inutiles les efforts d'une multitude prodigieuse de Barbares. II Comme Léonidas était prêt de combattre, il vit l'air chargé de nuages et que le tonnerre allait gronder. Il dit aux chefs : « Il n'y a rien de surprenant s'il tonne, et si l'on voit briller des éclairs, c'est un effet de la saison et de l'impression du soleil. » Les chefs ainsi prévenus, attendirent sans frayeur des effets qui n'avaient que des causes naturelles, et s'avancèrent avec hardiesse au lieu que les ennemis épouvantés combattirent faiblement et furent vaincus. III. Léonidas, dans une expédition en pays ennemi, partagea ses troupes la nuit en plusieurs divisions, et donna ordre que quand il ferait donner le signal, les uns coupassent les arbres, et les autres missent le feu aux villages. Les ennemis voyant de leur ville le ravage qui se faisait de tous côtés aux environs, crurent les troupes de Léonidas beaucoup plus nombreuses qu'elles ne l'étaient, et n'osant sortir, lui laissèrent emmener tout le butin qu'il avait fait. CHAPITRE XXXIII. - LÉOTYCHIDE. L'armée navale des Grecs était devant Mycale, et la grande multitude des Barbares l'épouvantait. Avec cela les Ioniens favorisaient les Mèdes. Mais comme c'était par crainte, plutôt que par inclination, Léotychide trouva moyen de changer la disposition des Ioniens, par la nouvelle qu'il imagina, et qu'il fit répandre, que les Grecs avaient vaincu les Perses à Platée. Alors les Ioniens prirent courage, et se joignirent au reste des Grecs ; et d'ailleurs la fortune vérifia la nouvelle forgée par Léotychide, en faisant que les troupes de Grèce remportèrent à Platée une victoire insigne sur les Barbares. CHAPITRE XXXIV. - CIMON. Cimon après une victoire navale remportée contre les satrapes des Perses à la hauteur de l'île de Chypre, s'étant rendu maître d'un grand nombre de vaisseaux ennemis, fit monter les Grecs dessus, leur ordonna de s'habiller comme les Mèdes, et se rendit sur les côtes de Pamphylie vers l'embouchure du fleuve Eurymédon. Les Perses trompés par les gabarits des vaisseaux, et la forme des habillements, reçurent la flotte comme amie. Mais au lieu d'y trouver des gens de leur nation, ils n'y trouvèrent que des Grecs ; que la surprise qu'ils causèrent rendit encore plus terribles qu'ils n'étaient. II. Cimon ayant enlevé un grand butin et un nombre considérable de captifs de Seste et de Byzance, en fit le partage, à la prière des Alliés. Il mit d'un côté les corps des prisonniers tous nus, et de l'autre côté lés habits, les vestes, les ornements, et les joyaux. Les Alliés choisirent pour leur part les dépouilles, et les Athéniens n'eurent que les corps. On raillait Cimon de ce qu'il avait laissé prendre aux Alliés la plus riche part. Mais on vit bientôt venir de Lydie et de Phrygie les pareils des prisonniers qui donnèrent de grosses rançons pour obtenir la liberté des captifs, et alors les Athéniens, par la sage conduite de leurs chefs, eurent occasion de se moquer à leur tour des Alliés. CHAPITRE XXXV. - MYRONIDE. Les Athéniens et les Thébains étaient sur le point de combattre les uns contre les autres. Myronide ordonna aux Athéniens de faire effort par la gauche aussitôt qu'il aurait donné le signal. Il le donna, et son aile gauche marcha contre les Thébains. Dans le même temps, s'avançant à l'aile droite, il s'écria : « Courage l'aile gauche force les ennemis.» Les Athéniens, animés par cette opinion de victoire, poussèrent les ennemis, et les Thébains découragés par leur perte prétendue, se rompirent et prirent la fuite. II. Myronide conduisant les Athéniens contre Thèbes, s'arrêta dans une plaine, et ordonna à ses troupes de baisser les armes, et de regarder tout autour : «Vous voyez, dit-il, la disposition et l'étendue de la plaine, et la nombreuse cavalerie des ennemis. Si nous fuyons, il est impossible d'éviter d'être défaits par cette cavalerie. Le seul parti qui puisse assurer notre salut, est de demeurer fermes. » Ce fut ainsi qu'il empêcha ses troupes de se débander : il remporta la victoire, et passa jusque dans la Phocide et à Locres, CHAPITRE XXVI. - PÉRICLÈS. Pendant que les Lacédémoniens ravageaient l'Attique, Périclès envoya les galères d'Athènes faire le dégât sur les côtes de la Laconie, afin que les ennemis souffrissent encore plus de dommage qu'ils n'en causaient. II. Périclès était fort riche, et avait dans l'Attique un domaine considérable, Archidame, qui avait avec lui d'anciennes liaisons d'amitié et d'hospitalité, fut chargé de faire le dégât dans l'Attique. Périclès jugea bien qu'Archidame épargnerait ses terres ; mais comme ce ménagement aurait pu donner du soupçon aux Athéniens, Périclès prévint le danger, en faisant don à l'État de toutes les terres qu'il possédait dans l'Attique. CHAPITRE XXXVII. - CLÉON. Ce ne fut pas par la force ouverte des armes que Cléon livra Seste à ceux d'Abyde ; ce fut par une ruse, Théodore, ami de Cléon, avait la garde de Sesto. Il était en commerce de galanterie avec une femme qui demeurait au faubourg, et pour la voir, il sortait par un aqueduc étroit, et une pierre qu'il déplaçait et remettait, sans qu'on s'en aperçût, lui procurait la facilité de continuer ses visites. Il conta, l'aventure à Cléon, comme une chose plaisante ; et celui-ci l'ayant fait savoir à ceux d'Abyde, profita d'une nuit sans lune ; et s'étant posté aux environs de l'aqueduc, pendant que Théodore était avec sa maîtresse, il introduisit par le trou des soldats, qui égorgèrent la garde, ouvrirent les portes par dedans, et ayant donné entrée au reste des troupes, se rendirent maîtres d'Abyde. CHAPITRE XXXVIII - BRASIDAS. Brasidas était campé auprès d'Amphipolis sur une hauteur de difficile accès, où les ennemis l'environnaient de tous côtés. Dans la crainte qu'ils eurent qu'il ne leur échappât à la faveur de la nuit, ils résolurent de l'enfermer, et se mirent à élever de grands murs tout autour de son camp. Les Lacédémoniens étaient indignés que Brasidas ne les menât point au combat, et qu'il les exposât à périr honteusement de faim. Mais il leur dit qu'il saurait bien trouver le temps propre à combattre. En effet, lorsque la clôture fut presque achevée, et qu'il restait à peine l'espace d'un arpent qui ne fût pas fermé de murs, il leur dit : « C'est maintenant le temps de combattre, » et faisant sortir ses troupes, il donna courageusement sur les ennemis, et s'échappa. La disposition étroite du lieu se trouva favorable pour ses troupes, qui étaient moins nombreuses que celles des ennemis ; et d'ailleurs la clôture qu'ils avaient faite, empêchait que les Lacédémoniens pussent être attaqués par derrière. Ainsi le travail des ennemis ne servit qu'à rendre leur multitude inutile, et assura la retraite des Lacédémoniens. II. Brasidas s'étant rendu maître d'Amphipolis par intelligence, commanda à ceux qui lui avaient livré la ville, d'en fermer les portes, et en ayant pris les clefs, il les jeta sur le mur, afin que ceux mêmes de l'intelligence ne pussent se dispenser de la défendre, si les ennemis se présentaient pour l'escalader. III. Brasidas s'étant secrètement approché d'Amphipolis avec ses troupes, estima qu'il n'était pas prudent de hasarder un combat contre des gens désespérés. Il fit publier que si les Athéniens voulaient traiter, il leur permettait de se retirer avec tout ce qui leur appartenait et qu'il laisserait les habitants vivre sous leurs propres lois et dans leur pays, s'ils voulaient s'unir d'intérêt avec les Lacédémoniens. Les uns et les autres acceptèrent la proposition, et Brasidas se rendit ainsi maître d'Amphipolis. IV. Brasidas se rendant la nuit à Squione, par mer, fit avancer une galère amie, et la suivit monté sur une barque. Son dessein était, s'il se présentait un vaisseau ennemi plus grand que la barque, d'être défendu par la galère ; mais s'il venait à la rencontre quelque autre galère, de prendre la fuite avec la barque, pendant que les deux galères combattraient. V. Brasidas, dans une retraite, était poursuivi par les ennemis. Il ordonna de couper du bois sur une hauteur voisine ; et l'ayant fait entasser à la queue de ses troupes, il le fit allumer. La flamme s'éleva et empêcha les ennemis de donner sur l'arrière-garde de Brasidas, qui se retira en toute sûreté. CHAPITRE XXXIX. - NICIAS. Nicias s'étant approché la nuit des côtes de Corinthe, avec sa flotte, mit à terre vers la colline de Solygue mille Athéniens bien armés, et quelques pelotons d'autres gens qu'il fit tenir en embuscade en divers lieux. Il se retira aussitôt, et quand le jour parut, il se présenta ouvertement avec sa flotte. Ceux de Corinthe se hâtèrent d'accourir au rivage, pour s'opposer à la descente de Nicias. Alors ceux qui étaient en embuscade se levèrent et firent un grand carnage de ceux de Corinthe. II. Pendant que les Athéniens étaient campés autour d'Olympe, Nicias fit répandre la nuit dans la plaine qui était au-devant de leur camp, des chausse-trappes. Le lendemain Ecphante, général de la cavalerie des Syracusains, fit avancer ses cavaliers, dont la plupart prirent honteusement la fuite. Les pointes des chausse-trappes entraient dans les pieds de leurs chevaux, et pendant qu'il leur était impossible d'avancer, les gens de Nicias, couverts de cuirasses et les pieds garnis de souliers épais, faisaient un grand carnage parmi les ennemis. III. Nicias fut laissé dans l'enceinte des murs avec peu de troupes, pendant que le reste de l'armée était allé à Thapse. Les Syracusains se rendirent maîtres d'un boulevard qui était au-devant de la clôture, et où il y avait beaucoup de bois. Nicias n'ayant pu l'empêcher, mit le feu à ce bois, et la flamme fit reculer les ennemis. Pendant ce temps-là les soldats qui étaient allés à Thapse, revinrent et secoururent Nicias. IV. Nicias, poursuivi par Gylipe, et prêt à tomber entre ses mains, lui envoya un héraut, par lequel il offrit de se soumettre à tout ce qu'il lui voudrait ordonner. Il le pria en même temps de donner commission à quelqu'un de venir faire et recevoir les serments. Gylipe ajouta foi aux paroles du héraut, campa et cessa de poursuivre Nicias. Il envoya avec le héraut un homme à qui il donna pouvoir de traiter. Nicias de son côté, se plaça dans des postes avantageux, et recommença la guerre après avoir amusé Gylipe par des propositions trompeuses. CHAPITRE XL. - ALCIBIADE. Alcibiade, voulant éprouver ses amis, s'avisa de mettre dans une chambre obscure la figure d'un homme mort, et la montrant à chacun de ses amis en particulier, il les priait de lui aider à tenir caché un meurtre qu'il avait eu le malheur de commettre. La plupart eurent horreur de prendre part au crime ; Callias, fils d'Hipponyme, fut le seul qui ne s'éloigna point d'enlever ce prétendu mort. Cela fit connaître à Alcibiade que Callias était un ami parfait, et depuis ce moment Callias lui tint lieu de tout. II. Alcibiade, dans une expédition navale contre une ville ennemie, fit une descente de nuit ; et ayant mis ses troupes à terre, il attendit tout le jour. Voyant que les ennemis ne sortaient point, il posa des gens en embuscade, mit le feu à ses tentes, et se retira. Ceux de la ville le voyant parti, sortirent hardiment et se répandirent dans le pays. Les gens de l'embuscade se levèrent, firent beaucoup de prisonniers et enlevèrent un grand butin. Alcibiade le sachant, revint sur ses pas avec sa flotte, et enleva non seulement tout ce qu'on lui avait pris, mais ceux-là même encore qui avaient cru avoir l'avantage. III. Pendant que les Lacédémoniens tenaient Athènes assiégée, Alcibiade, pour faire en sorte que ceux qui gardaient la ville, le Pirée et les murs qui s'avançaient vers la mer, fussent toujours alertes, fit publier que sitôt qu'on verrait que du haut de la citadelle, il élèverait trois fois un flambeau la nuit, les sentinelles eussent à lui répondre par un signal pareil, sous peine d'ire punis comme déserteurs de la garde. Cela fit que les sentinelles veillèrent sans cesse en attendant toujours le signal du général. IV. Alcibiade conduisant son armée navale en Sicile, prit terre à Corcyre et comme ses troupes étaient nombreuses, il les partagea en trois corps, afin qu'elles pussent subsister plus aisément, en attaquant plusieurs villes à la fois. Il se présenta devant Catane et ceux de la ville refusèrent de l'admettre. Il proposa d'entrer seul pour haranguer le peuple, et lui représente des choses qui regardaient le bien public. Les habitants consentirent qu'il entrât et accoururent au lieu de l'assemblée. Pendant ce temps-là, ceux qui accompagnaient Alcibiade rompirent, par son ordre, les portes de la ville qu'ils trouvèrent les plus faibles, entrèrent et se rendirent maîtres de Catane dans le moment qu'Alcibiade commençait à haranguer les habitants. V. Alcibiade assuré de la fidélité d'un homme de Catane, connu des Syracusains, renvoya secrètement à Syracuse, comme de la part des habitants de Catane, dont il récita les noms, et dit que si dès la pointe du jour les Syracusains voulaient se loger dans le camp qu'avaient occupé les Athéniens, il leur serait aisé de prendre ces gens qui étaient à Catane sans armes et sans défiance. Les chefs des Syracusains se laissèrent persuader, et sortirent avec tout le peuple pour l'expédition de Catane. Ils campèrent auprès du fleuve Symothe et Alcibiade les voyant en marche, se hâta d'armer ses galères. Il cingla du côté de Syracuse, où il ne trouva point de résistance, et ayant mis par terre les fortifications d'un côte de la ville, il y fit un grand ravage. VI. Alcibiade, emmené de Sicile pour subir le jugement à l'occasion des Statues de Mercure mutilées, et des mystères profanés, s'échappa sur un vais seau rond et s'enfuit à Lacédémone. Y étant, il persuada aux habitants d'envoyer incessamment du secours à Syracuse, avant que les Athéniens eussent achevé de fortifier Décelie, et représenta que si l'on y manquait, on ne pourrait plus lever, ni les revenus du pays, ni les taxes, et que les Siciliens mêmes se voyant abandonnés des amis et pressés des ennemis, entreraient en composition avec ceux-ci. Les Athéniens, instruits des pratiques d'Alcibiade, donnèrent un décret par lequel il lui fut permis de revenir à Athènes. VII. Alcibiade campé contre les Syracusains, prit garde qu'entre les deux camps il y avait de grosses touffes de fougère sèche, et qu'un grand vent qui soufflait, portait au dos des Athéniens, et dans le visage des ennemis. Il fit mettre le feu à la fougère, et la fumée lui aida à mettre les Syracusains en fuite. VIII. Alcibiade fuyait devant Tiribaze, et il n'y avait qu'un chemin. Quand il s'arrêtait, Tiribaze ne combattait point mais quand il se mettait en marche, Tiribaze le harcelait. Alcibiade ayant fait halte une nuit, fit couper beaucoup de bois, et l'ayant fait entasser, y mit le feu et partit. Les Barbares voyant briller la flamme, se persuadent que les Grecs séjournaient. Quand ils surent qu'ils étaient échappés, ils voulurent aller après, mais trouvant le chemin bouché par le feu, ils cessèrent de les poursuivre. IX. Alcibiade envoya du côté de Cyzique Théramène et Trasybule, avec un grand nombre de vaisseaux, pour boucher aux ennemis le chemin de cette ville ; et puis tint la mer avec au petit nombre de navires. Mindare méprisant cette flotte peu considérable, avança contre Alcibiade qui fit semblant de prendre la fuite. Mindare, croyant la défaite des Athéniens assurée, leur donna la châsse avec beaucoup de satisfaction. Mais Alcibiade, l'ayant attiré du côté où étaient Théramène et Trasybule, donna le signal, et virant de bord, présenta la proue aux ennemis. Mindare voulut alors prendre la route de Cyzique, mais les vaisseaux de Théramène lui coupèrent le passage. Mindare prit le parti d'aborder à Clères dans le pays de Cyzique, mais Pharnabaze s'opposa à sa descente. Alcibiade de son côté frappa de l'éperon de ses vaisseaux ceux des ennemis qui étaient en haute mer, et se saisit avec des crocs de fer de ceux qui étaient sur le rivage, pendant que Pharnabaze mettait en pièces les troupes de Mindare qui avaient débarqué. Enfin Mindare fut tué, et Alcibiade remporta une victoire éclatante. CHAPITRE XLI. - ARCHIDAME. Archidame campé en Arcardie, et la veille d'un jour qu'il devait livrer bataille, s'avisa, pendant la nuit, pour donner du courage aux Lacédémoniens, de dresser un autel, de l'orner de belles armes, et de faire marcher tout autour deux chevaux, tout cela secrètement. À la pointe du jour, les chefs et les autres officiers voyant cet autel merveilleux et les traces des deux chevaux, publièrent que c'étaient des marques visibles que les deux fils de Jupiter venaient à leur secours. Les soldats le crurent ainsi, et pénétrés de confiance en la protection divine, ils combattirent vaillamment, et remportèrent la victoire sur les Arcadiens. II. Pendant qu'Archidame assiégeait Corinthe, la ville était partagée en deux factions, celle des riches et celle des pauvres. Ceux-ci accusaient les premiers d'aspirer à se rendre maîtres du gouvernement ; et ceux-là disaient que les pauvres avaient du penchant à livrer la ville aux Lacédémoniens. Archidame informé de cette division, ralentit les efforts qu'il faisait contre Corinthe. Il ne faisait plus approcher de machine ; on ne faisait plus de tranchées ; et le pays n'était plus ravagé. Les riches s'imaginent que ces ménagements d'Archidame étaient la récompense de la trahison des pauvres, et qu'ils avaient sans doute pris le parti de lui livrer la ville. Ils crurent qu'il était de leur intérêt de le prévenir, et en effet ils traitèrent avec lui, et le rendirent maître de Corinthe. III. Dans un tremblement de terre, toutes les maisons de Lacédémone tombèrent, à la réserve de cinq. Archidame voyant les habitants occupés sauver ce qui était dans les maisons, eut peur qu'ils ne fussent accablés sous les débris. Il fit sonner la trompette, comme si les ennemis se fussent présentés. À ce signal tous les Lacédémoniens se rassemblèrent auprès d'Archidame ; les maisons qui restaient sur pied tombèrent, et le peuple fut sauvé. IV . Archidame vaincu par ceux d'Arcadie, et dangereusement blessé, leur envoya des hérauts pour demander la permission d'enlever ses morts. Mais son véritable dessein était d'empêcher, par la suspension d'armes, que le reste de ses troupes ne pérît. V. Archidame marchait la nuit contre les Cariens, et conduisait ses troupes par des chemins rudes et sans eau. La traite était pénible, et les soldats murmuraient hautement. Archidame les consolait de son mieux, et les exhortait à prendre courage. Quand ils furent parvenus en haut, ils donnèrent sur les ennemis, en firent un grand carnage, et s'étant rendus maîtres du lieu, ils célébrèrent leur victoire par des réjouissances. Alors Archidame leur demanda : « Quand croyez-vous que nous nous sommes rendus maîtres de cette ville ? » Les uns dirent : « ça été quand nous avons marché à l'attaque. » Les autres : « Quand nous avons lancé des traits contre les ennemis.- Point du tout, dit Archidame ; nous ne sommes redevables de la victoire qu'à la patience avec laquelle nous avons supporté la longue marche dans un pays raboteux et sans eau. Car qui souffre volontiers et sans se décourager, vient enfin à bout de tout ce qu'il souhaite. CHAPITRE XLII. - GYLIPPE. Gylippe voulant parvenir à commander seul les troupes de Syracuse, assembla les autres généraux de l'État, et leur dit qu'il convenait de fortifier une hauteur qui était entre la ville et le camp dés Athéniens. Son avis fut approuvé : mais la nuit Gylippe fit passer au camp des ennemis un transfuge, qui leur fit savoir cette résolution. Aussitôt les Athéniens prévenant ceux de Syracuse, se saisirent de cette hauteur. Gylippe parut fort indigné de ce qu'il y avait des gens qui découvraient aux ennemis les secrets de l'État. Afin que cela n'arrivât plus, ceux qui avaient la principale autorité dans la ville, confièrent à Gylippe seul le commandement des armes. II. Gylyppe voulant reprendre la hauteur dont les Athéniens s'étaient emparés, choisit dans la flotte nombreuse qui était à Syracuse vingt galères, et les garnit de soldats. Il les fit sortir la nuit, avec ordre de voguer dès la pointe du jour. Les ennemis les voyant, se disposèrent à les attaquer, et les vingt galères prirent la fuite. Les Athéniens les poursuivirent avec ardeur ; et alors Gylippe sortant avec le reste de la flotte, alla après les Athéniens. Pendant qu'on se battait ainsi sur mer, les troupes de terre de Gylippe attaquèrent la hauteur, chassèrent la garnison des Athéniens, et s'y établirent. CHAPITRE XLIII. - HERMOCRATE. Dans une sédition qui s'était formée à Syracuse, un grand nombre d'esclaves s'étaient attroupés, et ils avaient pour chef Sosistrate. Hermocrate envoya vers lui Damaïque, l'un des principaux officiers de la cavalerie, et qui était ami de Sosistrate, pour lui dire de la part des généraux, qu'ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer son courage ; qu'ils donneraient la liberté à tous ceux qui l'avaient suivi ; qu'ils les armeraient, et leur donneraient la même quantité de vivres qu'aux autres généraux, et qu'on lui donnerait la même autorité qu'à eux ; enfin qu'il pouvait, en cette qualité, venir au conseil, et prendre part aux affaires publiques. Sosistrate, gagné par son ami, prit vingt des plus déterminés des es-claves de son parti, et se rendit à l'assemblée des autres chefs. Mais on le saisit avec ses vingt braves, et ils furent tous mis en prison. Dans le moment Hermocrate prenant six mille soldats, et s'étant rendu maître du sort des esclaves soulevés, il leur jura si chacun voulait retourner auprès de son maître, qu'il ne leur serait fait aucun mal. La plupart se laissèrent persuader, et retournèrent trouver leurs maîtres, il n'y en eut que trois cents qui passèrent du côté des Athéniens. II. Les Athéniens, après avoir été battus sur mer par ceux de Sicile, résolurent de prendre la fuite. Les Syracusains célébrèrent par des sacrifices la victoire qu'ils avaient remportée, et s'enivrèrent. Hermocrate les voyant accablés de sommeil et d'ivresse, ne les jugea pas en état de prendre les armes. Il fit passer du côté de Nicias un transfuge, qui dit : « Tes amis t'avertissent que si tu te mets en mouvement la nuit tu tomberas dans les embuscades qu'on a préparées. » Nicias crut cette fausse nouvelle et attendit le jour pour partir. Hermocrate voyant alors que les Syracusains avaient assez dormi, et repris leurs forces, occupa avec eux les passages des rivières et les ports, et défit entièrement les Athéniens. CHAPITRE XLIV. - ETÉONIQUE. Pendant que Conon, avec les troupes d'Athènes, tenait assiégé dans Mtylène Etéonique le Lacédémonien, une frégate légère apporta la nouvelle que Callicratidas chef d'escadre des Lacédémoniens avait été vaincu devant Arginuses. Etéonique fit retirer la nuit ceux qui avaient apporté les nouvelles, et leur donna ordre de rentrer le lendemain en plein jour dans Mitylène, couronnés et avec de grands cris de joie, comme porteurs de nouvelles agréables, et annonçant une grande et insigne victoire. Etéonique fit des sacrifices d'action de grâce, et Conon avec ses Athéniens furent dans une grande surprise. Conon cessa de presser le siège de Mitylène ; mais Etéonique ne laissa pas pour cela de prendre ses sûretés. Il envoya les troupes de mer à Chio, et celles de terre à Méthymne, dont les habitants étaient de son parti. CHAPITRE XLV. - LYSANDRE. Lysandre avait promis à ses amis de Milet de s'employer efficacement à renverser l'Etat populaire. Dans le dessein d'accomplir sa promesse, il se mit à traiter rudement de paroles ceux qui paraissaient disposés à faire des mouvements dans l'état, et employa tous ses soins à persuader au peuple qu'il soutiendrait toujours sa liberté. Le peuple trompé par Lysandre, espérait, toute sorte de bonheur de ses soins, et ne prenait aucune précaution coutre lui. Les amis de Lysandre voyant cette sécurité, fondirent ensemble sur le peuple, mirent à mort un grand nombre d'habitants et se rendirent maîtres de Milet. II. L'armée navale des Athéniens se mit quatre fois en bataille à Egospotames, pour attirer les Lacédémoniens au combat ; sans que Lysandre ni les Lacédémoniens fissent avancer leurs galères. Les Athéniens se retirèrent tout glorieux avec des chants de victoire. Lysandre les fit suivre par deux galères dont les commandants firent signe à Lysandre, en haussant un bouclier d'airain. Dans le moment Lysandre donna le signal du départ, et ses galères se mirent à voguer avec beaucoup d'ardeur. Les Lacédémoniens trouvèrent les Athéniens qui venaient de prendre terre, et qui se reposaient, la plupart sans armes et en désordre. Les Lacédémoniens bien armés et en bon ordre donnèrent dessus, et remportèrent une victoire complète, Ils firent les hommes prisonniers de guerre, et se rendirent maîtres de toutes les galères et de tous les autres vaisseaux, à la réserve d'une barque légère seule, qui porta les nouvelles de cette défaite à Athènes. III. On attribue-à Lysandre ce mot : « Les enfants, il faut les tromper avec des osselets, et les ennemis avec des serments. IV. Lysandre, après s'être rendu maître de Thase, sut qu'il y avait dans la ville beaucoup d’habitants qui favorisaient les Athéniens, mais que la crainte des Lacédémoniens les obligeait à se tenir couverts. Lysandre convoqua les Thasiens au temple d'Hercule, et leur parlant avec une bonté affectée, leur dit qu'il ne trouvait point étrange que dans le changement arrivé dans leur ville, il restât encore des vestiges cachés des premières inclinations, que c'était une chose pardonnable ; que du reste on pouvait vivre en sûreté ; qu'il ne maltraiterait personne, et qu'on pouvait prendre confiance à la parole qu'il en donnait dans un lieu sacré tel qu'était ce temple, et dans la ville d'Hercule, à qui ils avaient l'honneur d'appartenir à tant de titres. Les partisans cachés des Athéniens, rassurés par les belles paroles de Lysandre, commencèrent à se montrer plus librement, et Lysandre les laissa jouir quelque temps de cette fausse sécurité ; mais quand ils ne furent plus sus leurs gardes il les fit, enlever et mettre à mort. V. Les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient que l'on rasât Athènes. Lysandre s'y opposa, et dit que cela ne convenait pas. Il représenta qu'il arriverait de là que Thèbes, qui était dans le voisinage, en deviendrait plus forte et plus en état de leur résister ; au lieu que s'ils mettaient Athènes sous la domination de quelques tyrans, ils la conserveraient pour eux-mêmes, et tiendraient par elle en respect les Thébains, qui s'affaibliraient ainsi de jour en jour. L'avis de Lysandre fut jugé le meilleur, et ce fut de cette sorte qu'il empêcha la destruction d'Athènes. CHAPITRE XLVI. - AGIS. Pendant la guerre des habitants du Péloponnèse contre les Lacédémoniens, ceux-ci souffraient de la disette. Agis ordonna qu'on passât un jour sans prendre de nourriture ; et pour étonner les ennemis, il fit passer de leur côté des transfuges qui dirent que la nuit suivante il venait un renfort considérable aux Lacédémoniens. En même temps Agis fit museler toutes les bêtes de son camp, avec ordre de ne leur délier la bouche et le museau qu'à l'entrée de la nuit. Aussitôt que ces animaux eurent la liberté de paître, après avoir souffert la faim tout le jour, ils se mirent à faire grand bruit, et courir et sauter çà et là ; les échos des gorges et des hauteurs voisines faisaient naître l'idée d'un grand mouvement. Avec cela les troupes d'Agis, partagées en plusieurs lieux différents, avaient ordre d'allumer de plus grands feux et en plus grand nombre qu'à l'ordinaire. Les Péloponnésiens, trompés par toutes ces apparences, se persuadèrent, qu'il était en effet arrivé du secours aux Lacédémoniens, et prirent aussitôt la fuite. CHAPITRE XLVII. - TRASYLLE. Trasylle, voulant cacher aux ennemis la connaissance du nombre ses galères, supérieur au leur, commanda aux capitaines de les joindre deux à deux avec des cordages, et d'ôter les voiles de l'une deux. Comme on ne voyait les voiles que de la moitié des galères, Trasylle vint ainsi à bout de faire croire aux ennemis qu'il n'avait que la moitié des galères qu'il avait amenées. II. Trasylle et les autres généraux, ayant rencontré ceux de Byzance auprès de Naxe, leur présentèrent le combat. Ceux-ci craignant qu'il n'arrivât dé là que Byzance fût prise d'assaut, prirent terme pour rendre la ville, et donnèrent des otages pour sûreté de leur promesse. Trasylle et les autres généraux firent semblant de prendre la route de l'Ionie, mais faisant une contre-marche la nuit même, ils se rendirent maîtres de Byzance, dont les habitants n'étaient plus sur leurs gardes. CHAPITRE XLVII. - CONON. Conon voyant que les alliés étaient près de l'abandonner, envoya un transfuge qui dit aux ennemis que ces gens devaient prendre la fuite, et fit le détail du temps et de la manière de leur retraite. Les ennemis, sur cet avertissement, posèrent des embuscades pour les surprendre. Conon, averti de cette disposition, dit aux alliés qu'ils pouvaient se retirer en sûreté. Ils le crurent et partirent, mais ayant découvert les ennemis qui les attendaient, ils revinrent sur leurs pas, et se rejoignirent avec Conon, à qui ils aidèrent à remporter la victoire. II. Conon fuyait Callicratidas qui avait deux fois plus de galères que lui. Se trouvant proche de Mytilène, il observa que les vaisseaux des Lacédémoniens avaient rompu leurs rangs dans l'ardeur de la poursuite. Alors élevant un manteau de pourpre, qui était le signal qu'il avait donné aux capitaines de ses galères, il tourna la proue de ses vaisseaux contre ceux des Lacédémoniens qui étaient en désordre et dispersés. Ce mouvement imprévu surprit les ennemis, dont toute la flotte fut brisée ou coulée à fond, et Conon remporta une victoire complète. III. Conon avait joint ses troupes à celles de Pharnabaze, pendant qu'Agésilas faisait le dégât dans l'Asie. Le Persan, à la sollicitation de Conon, envoya de l'or aux orateurs des villes de la Grèce, afin que gagnés par ses présents, ils persuadassent de faire la guerre aux Lacédémoniens. Ils en vinrent à bout, et ce fut l'origine de la guerre de Corinthe. Il en arriva ce que Conon souhaitait, qui fut que les Lacédémoniens rappelèrent Agésilas d'Asie. IV. Conon resserré dans Mitylène par les Lacédémoniens, était dans l'impatience de faire savoir aux Athéniens l'état du siège ; mais il était difficile de le faire si secrètement que les ennemis qui l'environnaient n'en eussent point connaissance. Il prit deux vaisseaux des plus légers qu'il eut, et les garnit des meilleurs rameurs et de tout ce qui était nécessaire. Pendant qu'ils attendaient ses ordres tranquillement, Conon observa sur le soir que les assiégeants débarqués se répandaient çà et là, les uns pour repaître et se reposer, les autres pour allumer du feu. Alors faisant partir les deux vaisseaux, il leur ordonna de prendre chacun une route opposée afin que si l'un était pris, l'autre pût échapper. Tous deux passèrent par la négligence des ennemis, qui, occupés à autre chose, ne s'avisèrent point de leur donner la chasse. V. Conon, sur le point de donner une bataillé navale, fut averti par un transfuge que les ennemis avaient formé le dessein d'attaquer son vaisseau avec leurs meilleures galères. Aussitôt il fit armer et équiper une galère pareille à la sienne, y mit toutes les marques d'honneur du vaisseau amiral, plaça ce navire à l'aile droite, et ordonna que les signaux se donnassent de ce point. Les ennemis trompés par ces apparences, tournèrent de ce côté leurs galères les plus considérables, pendant que Conon, avec le reste de sa flotte, donna sur les autres vaisseaux des ennemis, dont il coula les uns à fond, et fit prendre la fuite aux autres. CHAPITRE XLIX. - XÉNOPHON. Dans la retraite que Xénophon fit avec les dix mille, voyant que la cavalerie de Tissapherne attaquait vivement son bagage, il ordonna qu'on abandonnât les chariots et tout ce qui pouvait embarrasser la marche, sans être absolument nécessaire ; de peur que si les Grecs s'arrêtaient à vouloir sauver ces effets, ils ne s'exposassent à une mort certaine, et perdissent l'espérance de s'échapper. II. Xénophon, poursuivi par les Barbares, dans sa retraite, forma un carré, mit tout le bagage au milieu, et s'avançant toujours sur sa route, il mit à la queue la cavalerie avec des gens de trait et des cuirassiers, pour soutenir les efforts des ennemis. III. Les Barbares avaient prévenu Xénophon, en occupant un défilé par où les Grecs devaient passer. Xénophon découvrit d'une, montagne une hauteur sur laquelle les Barbares avaient mis des gardes. Il prit un nombre suffisant de Grecs et s'achemina vers cette hauteur, dans le dessein de s'en rendre maître, et de se trouver par là au-dessus des ennemis. Aussitôt qu'il se fut emparé de ce lieu, les Barbares voyant en sa puissance un lieu si avantageux, et qui dominait sur le champ, prirent la fuite, et Xénophon fit sa retraite en toute assurance. IV. Xénophon avait une rivière à passer, et les ennemis postés à l'autre rive, s'opposaient à son passage. Xénophon détacha mille de ses Grecs, et leur fit traverser la rivière à un autre endroit, pendant qu'il s'efforçait avec le reste à passer en face des ennemis. En même temps les mille ayant traversé la rivière, parurent du côté des ennemis et au-dessus d'eux, et les ayant attaqués et mis en désordre, procurèrent aux autres Grecs le moyen de passer en sûreté.
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