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POLYEN.

RUSES DE GUERRE

LIVRE SECOND.

 

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CHAP 1er - Agésilas - CHAP. II - Cléarque - CHAP. III. - Épaminondas - CHAP IV. - Pélopidas - CHAP. V. - Gorgias on Gorgidas. - CHAP. VI. - Dercyilidas - CHAP. VII. - Alcétas - CHAP. VIII. - Arxilaidas - CHAP. IX. - Isadas - CHAP. X. - Cléandridas - CHAP. XI. - Pharicidas - CHAP. XII. - Déiphonte - CHAP. XIII. - Eurytion - CHAP. XIV. - Les Éphores - CHAP. XV. - Hippodamas - CHAP. XVI. - Gastron - CHAP. XVII. - Mégaclidas - CHAP. XVIII. Harmostès - CHAP. XIX. - Thibron - CHAP. XX. - Demarat - CHAP,. XXI. - Erippidas - CHAP. XXII. - Ischolaüs - CHAP. XXIII. - Mnassippidas - CHAP. XXIV. - Antalcidas - CHAP. XXV. Argésipolis - CHAP. XXVI. - Sthénippe - CHAP. XXVII. - Callicratidas - CHAP. XXVIII. - Magas - CHAP. XXIX - Cléonyme - CHAP. XXX. - Cléarque - CHAP. XXXI. - Aristomène - CHAP. XXXIII. - Cinéas - CHAP. XXXIII. - Hégétoride - CHAP. XXXIV - Dinias - CHAP. XXXV. - Nicon - CHAP. XXXVI. - Diétas - CHAP. XXXVII. - Tisamène - CHAP. XXXVIII. - Onomarque.

LIVRE SECOND.

 

CHAPITRE PREMIER. - AGÉSILAS.

Agésilas faisait la guerre aux Acarnaniens. Il se trouva hors de leurs limites, dans le temps qu'on devait ensemencer les terres ; les Lacédémoniens voulaient qu'on empêchât les Acarnaniens d'ensemencer. Mais Agésilas voulut qu'on les laissât faire, dans la pensée que s'ils se voyaient une moisson à conserver, ils préféreraient la paix à la guerre ; « S'il arrive au contraire, dit-il, qu'ils ne veuillent pas la paix, ce sera pour nous qu'ils auront semé.»

II. Les Lacédémoniens étaient campés près des Thébains et des Athéniens. L'armée légère des Lacédémoniens, et ce qu'ils avaient d'infanterie armée de rondaches, n'était pas pour faire un grand effet. Agésilas ne faisait de fond que sur la phalange entière qu'il voulait conduire. Chabrias et Gorgidas commandèrent, celui-là, aux Athéniens, et celui-ci aux Thébains, de demeurer fermes, sans se déplacer ; de présenter leurs javelots droits, et d'appuyer leur bouclier sur le genou. Agésilas les voyant dans cette posture, où il était difficile de les ébranler, jugea qu'il était du devoir d'un bon général de prendre garde à la force des ennemis, et prit le parti de la retraite.

III. Agésilas faisait une guerre, plus que jamais, à ceux de Corone. Il vint un homme qui lui annonça que Pisandre, général de la flotte de Lacédémone était mort, et que Phranabaze l'avait vaincu. De peur que cette nouvelle n'amollit le courage des troupes, Agésilas ordonna au messager de publier le contraire dans le camp, c'est-à-dire, que les Lacédémoniens avaient remporté la victoire sur mer. Lui-même se montra en public, une couronne sur la tète, fit un sacrifice pour l'heureuse nouvelle, et envoya à ses amis des portions des victimes. Les troupes entendant et voyant tout cela, sentirent augmenter leur courage et leur confiance, et firent la guerre avec plus d'ardeur.

IV. Lorsque Agésilas vainquit les Athéniens à Corone, on vint lui dire : «Les ennemis se réfugient dans le temple de Minerve. » Il commanda qu'on laissât aller ceux qui le souhaiteraient. Il était persuadé qu'il y a du danger à se battre avec des gens que le désespoir force à reprendre les armes.

V. Agésilas faisant la guerre en Asie, apprit à ses troupes à mépriser les Barbares qu'elles avaient appréhendés jusque là. Il fit mettre nus des Perses captifs, et montrant à ses soldats, d'un côté, ces corps sans vigueur et que la mollesse avait rendus blancs, et de l'autre, les habits et les ornements précieux dont on les avait dépouillés, il dit, dans le style court et sentencieux de son pays : « Ceux que nous combattons, les voilà ; et pour quoi nous combattons, le voici. »

VI. C'était le sentiment d'Agésilas, qu'à l'ennemi qui fuit, on doit laisser le passage libre.

VII. Les alliés disant un jour. « Nous sommes beaucoup plus de soldats qu'il n'y en a de Lacédémone, Agésilas ordonna que les troupes campassent dans une plaine, les alliés à part et les Lacédémoniens aussi à part. Quand cela fut fait, il fit crier par un héraut : « Que les potiers se lèvent ! » Il s'en trouva un grand nombre parmi les alliés. La même chose fut ordonnée aux ouvriers en fer, ensuite aux charpentiers, et aux autres divers artisans de même ; et presque tout le corps des alliés se trouva composé de ces sortes de gens ; au lieu qu'il ne s'en trouva aucun parmi les Lacédémoniens, parce qu'il leur était défendu d'exercer aucune de ces professions viles. Les alliés apprirent par ce moyen que ceux de Lacédémone avaient beaucoup plus de soldats qu'eux.

VIII. Lorsque Agésilas passa en Asie et fit le dégât sur les terres du roi, Tissapherne demanda des trêves, et elles furent données pour trois mois, pendant lesquels on devait s'employer auprès du roi, pour obtenir que les villes grecques de l'Asie pussent vivre en liberté sous leurs propres lois. Les Grecs observèrent la trêve religieusement ; mais Tissapherne ayant rassemblé une grande armée, se présenta contre eux. Les Grecs furent alarmés de cette surprise. Agésilas parut avec la joie dans les yeux et dit : « Je suis oblige à Tissapherne de son parjure. Il s'est rendu les dieux ennemis, et nous les a donnés pour alliés. Allons, combattons généreusement avec un tel secours. Ces paroles inspirèrent la confiance aux Grecs, et en étant venus aux mains avec les Barbares, ils les vainquirent.

IX. Agésilas ayant pris sa route du côté de Sardes, envoya des gens qui, pour tromper Tissapherne, répandirent le bruit qu'Agésilas, par une fausse marche, semblait menacer la Lydie, mais que son véritable dessein était de fondre secrètement sur la Carie. Tissapherne instruit de ces bruits, s'en alla garder la Carie, et Agésilas parcourut la Lydie et y fit un butin considérable. Dans une irruption qu'Agésilas fit en Acarnanie, ayant vu que les Acarnaniens avaient pris la fuite sur les montagnes, il cessa de pousser en avant, et se détournant à côté, par des routes écartées, il ordonna qu'on arrachât les arbres jusqu'à la racine. Les Acarnaniens conçurent du mépris pour ce ralentissement, et la vaine occupation de leurs ennemis, et descendant des montagnes, ils reprirent le chemin des villes situées dans la plaine. Il leur prit un grand nombre d'hommes et de bêtes, et se retira avec un riche butin.

XI. Agésilas informé que les Thébains gardaient le chemin de Scole, ordonna aux ambassadeurs que les Grecs lui envoyaient, d'attendre à Thespies, et il y fit même conduire les provisions de l'armée. Alors les Thébains prirent le parti d'aller barrer le chemin de Thespies, et menèrent en ce lieu les troupes qui gardaient celui de Scole. Agésilas était éloigné de deux journées de chemin de ce premier poste des ennemis ; il s'y rendit en deux jours, et trouvant la route de Scole libre il passa sans avoir été dans la nécessité de combattre.

XII. Agésilas faisait le ravage dans le pays de Thèbes. Les Thébains se postèrent sur une hauteur de difficile accès, qui commandait le chemin. On l'appelait le siège de Rhée, et Agésilas ne pouvait ni l'attaquer aisément, ni passer outre. Il fit faire un quart de conversion a son armée, et la fit marcher comme pour aller surprendre Thèbes. Véritablement la ville était alors sans soldats. Les Thébains eurent peur qu'elle ne fût prise, quittèrent la hauteur où ils étaient postés, et s'en allèrent dans la ville. C'était tout ce que souhaitait Agésilas, qui passa de cette sorte en liberté ce poste périlleux.

XIII A la bataille de Leuctres, un grand nombre de Lacédémoniens jetèrent leurs armes et quittèrent leurs rangs. Pour empêcher que cette multitude ne fût déshonorée, Agésilas brigua la dignité de législateur, et l'ayant obtenue, il ne voulut point faire de lois nouvelles ; il se contenta d'ordonner l'exécution des anciennes, à commencer depuis l'affaire de Leuctres.

XIV. Dans une sédition arrivée à Sparte, un grand nombre de gens armés s'empara de la hauteur d'Issore, qui était un lieu consacré à Diane. Ce tumulte était d'une conséquence d'autant plus dangereuse, que ceux de Béotie et d'Arcadie avaient fait incursion dans le pays. Cependant Agésilas ne marqua point de crainte, quoiqu'il estimât hasardeux et incertain pour le succès, d'employer la force contre des gens si avantageusement placés. D'un autre côté, il y aurait eu aussi trop de bassesse à user de prière à leur égard. Il ne voulut se servir ni de l'un ni de l'autre de ces moyens ; mais seul, sans armes, et d'un visage ouvert et assuré, il alla trouver ces gens, et leur dit : « Jeunes gens, ce n'est pas ici que je vous ai postés. Vous, dit-il aux uns, en leur montrant une hauteur voisine : Voyez, c'est là que votre poste est marqué ; et vous, allez à cet autre, et faites-y bonne garde. » Les Lacédémoniens se persuadèrent qu'Agésilas ignorait leur révolte. Ils eurent honte de leur faute et se retirèrent. Pendant la nuit, Agésilas trouva moyen d'écarter en divers lieux les auteurs du tumulte, qui étaient au nombre de douze, et l'émeute se trouva apaisée.

XV. Agésilas voyant que plusieurs des siens avaient pris la fuite et passé du côté des ennemis, ce qui pouvait décourager l'armée trouva moyen de dérober ceux à qui étaient demeurés la connaissance de la fuite honteuse des autres. Il envoyait toutes les nuits visiter les lits et les chambrées avec ordre de ramasser et de lui apporter tous les boucliers qu'on trouverait jetés, de peur qu'en voyant le bouclier, on n'en recherchât le maître. Ainsi ne trouvant point les armes, on ne put avoir de soupçon des déserteurs.

XVI. Agésilas tenait les Phocéens assiégés depuis longtemps. La longue résistance des assiégés l'ennuyait : mais les alliés des Phocéens étaient encore plus ennuyés de la durée du siège. Agésilas le leva et fit retraite. Les alliés des Phocéens virent son départ avec plaisir, et s'en allèrent joyeusement chez eux. Alors Agésilas, voyant les Phocéens sans secours, retourna contre eux, et se rendit maître de leur ville.

XVII. Agésilas traversant la Macédoine, envoya vers Erope, roi du pays, pour traiter avec lui, et avoir la liberté du passage. Erope ne voulut point consentir au traité il résolut même de s’opposer au passage, et ayant été informé qu'Agésilas avait peu de cavalerie, il sortit contre lui avec un nombre considérable de chevaux. Agésilas voulant faire paraître sa cavalerie plus nombreuse qu'elle n'était, fit marcher devant toute son infanterie. Il la fit suivre de tout ce qu'il avait de cavaliers, dont il fit une double phalange ; et derrière il plaça les ânes, les mulets et les vieux chevaux ruinés qui ne servaient plus qu'au bagage. Sur tout cela il fit monter des hommes armés en cavaliers ; et de loin l'on eût pris ce corps pour un escadron très nombreux. Erope y fut trompé ; et la peur qu'il eut de ces forces imaginaires, lui fit accorder le passage qu'il avait auparavant refusé.

XVIII. Pendant qu'Agésilas étai campé en Béotie, les alliés, saisis de crainte, voulurent se soustraire pour éviter le combat, et prirent secrètement le chemin d'Orchomène, ville amie. Agésilas envoya dire publiquement aux habitants, qu'il leur défendait de recevoir aucun allié sans lui. De cette sorte les alliés n'ayant aucun lieu où se retirer, ne pensèrent plus à la fuite ; ils ne songèrent qu'à la victoire.

XIX. Agésilas combattait contre les Thébains ; ceux-ci faisaient effort pour enfoncer et rompre la phalange lacédémonienne. Ils poussaient avec vigueur, et il se faisait un grand carnage. Agésilas dit alors : « Cessons de combattre, et ouvrons-nous en deux.» La phalange s'ouvrit, et les Thébains courant tout à travers, montrèrent le dos comme s'ils avaient pris la fuite. Agésilas les prit en queue, et alors l'affaire ne fut pas meurtrière pour les uns et pour les autres comme auparavant ; elle ne le fut que pour ceux qui fuyaient.

XX. Agésilas ayant mis son armée en ordre de bataille, s'aperçut que les alliés n'étaient pas dans de bonnes dispositions. Il jugea à propos de faire retraite. Mais comme il la fallait faire par des défilés, où il s'attendait d'être attaqué par les troupes de Béotie, il donna l'avant-garde aux Lacédémoniens, et mit les alliés à l'arrière-garde, afin que lorsque les Béotiens attaqueraient la queue, les alliés fussent dans la nécessité de combattre courageusement.

XXI. Agésilas faisant incursion dans la Béotie, commanda aux alliés de mettre le feu partout, et de couper tous les bois. Il vit qu'ils étaient lents à exécuter ses ordres, et ne le faisaient qu'à regret. Il s'avisa de faire changer de camp à son armée deux ou trois fois le jour ; et alors la nécessité de dresser les tentes, faisait qu'on était obligé de couper les bois. Ce n'était plus véritablement tant pour nuire aux ennemis, que pour l'usage des troupes d'Agésilas, mais c'était toujours également nuire aux Béotiens.

XXII. Agésilas avait mené des troupes en Égypte pour se joindre avec Nectanebus et lui prêter secours. Se trouvant en des lieux fort serrés il fit construire un mur autour de son camp. L'Égyptien désapprouvait fort ce travail, et voulait que l'on donnât sur l'ennemi. Mais Agésilas persista dans l'exécution de son dessein, et tint ferme jusqu'à ce que l'on eût creusé le fossé et élevé le mur tout autour du camp, excepté un petit espace qui fut laissé ouvert à la tête. Alors Agésilas s'écria : « C'est à présent qu'il faut user de vigueur. » Il sortit dans le moment, et tua dans ces gorges étroites un grand nombre d'ennemis ; et le mur qu'il avait bâti lui fut d'un grand secours pour l'empêcher d'être enveloppé par les ennemis.

XXIII. Dans un combat qu'Agésilas donna aux Béotiens, il fut incertain de quel côté était l'avantage ; et la nuit sépara les combattus, sans que la victoire se fût déclarée. À minuit Agésilas envoya quelques-uns de ses plus affidés, avec ordre de couvrir de terre ceux d'entre les Spartiates morts qu'ils pourraient reconnaître. Ils le firent, et se retirèrent avant qu'il fût jour. Le jour venu, les Béotiens virent la terre couverte de leurs morts, et très peu de Spartiates dans le même état. Ils se persuadèrent par là que les Lacédémoniens avaient eu la victoire, et ils perdirent courage.

 XXIV. Agésilas, revenant d'Asie, traversait la Béotie. Les Thébains, pour lui couper passage, s'emparèrent de quelques endroits fort serrés qui se trouvaient sur sa route. Agésilas ayant dédoublé sa phalange, donna ordre en public de marcher droit à Thèbes. La ville était sans aucunes troupes, et les Thébains appréhendèrent qu'il ne s'en rendit maître sans peine. Ils quittèrent à la hâte les postes difficiles, qu'ils avaient occupés, et Agésilas continua sa route en toute sûreté.

XXV. Dans une incursion qu'Agésilas fit dans le pays de Thèbes, les Thébains avaient muni la plaine d'une tranchée à laquelle ils n'avaient laissé que deux ouvertures assez étroites. Agésilas voulant passer, se présenta à l'ouverture qui était à sa gauche, et les troupes étaient rangées en forme de carré, vide dans le milieu. Tous les habitants se présentèrent devant lui au même lieu, en bon ordre. Mais pendant qu'il les y amusait, la queue de son carré défila secrètement, comme il l'avait ordonné, et se saisit de l'autre ouverture qui n'était point gardée. Agésilas entra par là, fit le dégât dans le pays, et s'en retourna, sans trouver personne qui l'en empêchât.

XXVI. Pendant qu'Agésilas était campé auprès de Lampsaque, quelques Grecs échappés des mines, vinrent dire aux troupes lacédémoniennes, que ceux de Lampsaque forçaient à travailler aux mines tous ceux qu'ils pouvaient prendre. Toute l'armée en eut de l'indignation, et s'avança du côté des murs, dans le dessein de saccager la ville. Agésilas n'ayant pu empêcher ce mouvement, voulut cependant sauver Lampsaque. Il marqua autant d'indignation qu'il en avait vu dans ses troupes, et leur dit qu'il fallait commencer par couper les plus belles vignes, qui étaient aux principaux d'entre les habitants. On lui obéit, et pendant que ses troupes étaient dans cette occupation, il prit le temps pour avertir ceux de Lampsaque de bien garder leur ville.

XXVII. Les Lacédémoniens étaient postés vis-à-vis les Thébains, le fleuve Eurotas séparait les deux camps. Les Lacédémoniens avaient envie de passer le fleuve, mais Agésilas n'était pas de cet avis, parce qu'il voyait que les Thébains, avec leurs alliés, étaient en plus grand nombre. Il fit circuler des gens qui semèrent le bruit qu'il y avait un oracle qui menaçait d'une défaite certaine les premiers qui passeraient le fleuve. Il arrêta par ce moyen l'impétuosité des Lacédémoniens, et ne laissa sur le bord de l'Eurotas que peu d'alliés sous le commandement d'un Thasien, nommé Symmaque, à gui il ordonna de prendre la fuite aussitôt qu'il verrait les Thébains passer le fleuve. En même temps il mit quelques troupes en embuscade dans des gorges, et avec le reste de son armée il se retira dans un poste sûr et couvert. Les Thébains ne voyant qu'une poignée de gens avec Symmaque, traversèrent hardiment l'Eurotas, et poursuivirent avec ardeur les alliés des Lacédémoniens, qui fuyaient. Cela les fit donner dans l'embuscade, où les Lacédémoniens leur tuèrent six cents hommes.

XXVIII. Agésilas, dans une incursion contre Messène, envoya un espion à la découverte. Il vint lui dire que non seulement les Messéniens étaient sortis de la ville pour venir à sa rencontre, mais que les femmes même, les enfants, et les esclaves, affranchis dans cette rencontre, les accompagnaient. À cette nouvelle, Agésilas se retira, pour ne pas trop hasarder le succès, en combattant contre des gens désespérés qui méprisaient leur propre vie.

XXIX. Les Thébains tenaient les Lacédémoniens assiégés dans Sparte. Ceux-ci souffraient impatiemment d'être enfermés dans leurs murs avec leurs femmes, et d'y tenir garnison. Ils demandaient de faire une sortie, dans la résolution de faire une action d'éclat, et de mourir, s'ils ne pouvaient remporter la victoire. Agésilas modéra leur impatience, en leur disant : « Souvenez-vous que nous avons traité les Athéniens de même, et que nous les avons tenus resserrés dans leurs murs. Ils ne voulurent, point faire de sorties, peur de se perdre inutilement. Ils se contentèrent de faire bonne garde sur leurs murs, et se sauvèrent par ce moyen. Les assiégeants se lassèrent avec le temps, et se retirèrent d'eux-mêmes. »

XXX. Agésilas étant en Asie, conduisait un butin considérable. Les Barbares le harcelaient, et tiraient contre ses troupes beaucoup de flèches et de javelots. Agésilas prit tout ce qu'il avait de Barbares captifs, et les ayant liés, les mit à part à la tête de son armée. Les ennemis les reconnaissant pour être des leurs, cessèrent de tirer.

XXXI. La ville de Mende était athénienne d'inclination. Agésilas s'y présenta secrètement une nuit, et trouva moyen d'y entrer, et de se rendre maître des postes les plus forts. Ceux de Mende le trouvèrent fort mauvais, et s'assemblèrent pour conférer sur ce sujet. Agésilas se trouvant à l'assemblée, leur dit : « Pourquoi tout ce mouvement ? Il y eut la moitié parmi vous qui étaient de concert avec moi pour me livrer la ville. » Les habitants conçurent alors du soupçon les uns contre les autres, et le trouble fut apaisé.

XXXII. Quand Agésilas avait des prisonniers distingués par leur rang et par le grand nombre de leurs amis, il les renvoyait sans rançon, afin de leur ôter la confiance de leurs propres concitoyens.

XXXIII. Quand il s'agissait de faire des traités, Agésilas demandait pour négociateurs et ambassadeurs, les plus considérables d'entre les ennemis, sous prétexte de conférer avec eux sur ce qui était du bien public. Aussitôt qu'il les avait auprès de lui, sa grande attention était de ne les point quitter, de les admettre dans sa maison, et de leur faire part de ses sacrifices. Par ce moyen il les rendait suspects dans leur pays, et disposait par là les choses aux révolutions qu'il méditait.

CHAPITRE II. - CLÉARQUE.

Cléarque conduisant une grande armée, trouva sur sa route une rivière à passer. Il y avait deux gués. Au premier on n'avait de l'eau que jusqu'à mi-jambe, et à l'autre on en avait jusqu'à la mamelle. Il essaya d'abord de passer le premier gué ; mais les ennemis qui étaient de l'autre côté maltraitaient ses troupes à coups de frondes et de flèches. Cléarque voyant cela, prit ceux qui étaient tout armés de fer, et les fit passer au second gué plus profond, afin qu'ils pussent avoir la plus grande partie du corps à couvert dans le fleuve, et le bouclier couvrait suffisamment ce qui paraissait au dehors. Ainsi ces gens passèrent le fleuve en sûreté, et repoussèrent les ennemis, et le reste de l'armée traversa sans obstacle le premier gué plus aisé.

II. Après que Cyrus eut été tué, Cléarque se retira avec les Grecs, et campa dans une bourgade où il y avait des vivres en abondance. Tissapherne lui envoya des ambassadeurs pour lui proposer de demeurer en ce lieu, à condition que les Grecs livreraient leurs armes. Cléarque feignit d'entendre cette proposition, dans la pensée que Tissapherne s'assurant sur le traité, séparerait ses troupes, et leur donnerait des quartiers dans le voisinage. Cela arriva en effet ; et Tissapherne disposa ses troupes, dans l'espérance du traité. Cléarque, profitant de cette faute, délogea la nuit, et eut le temps de marcher un jour et une nuit, avant que Tissapherne eût rassemblé ses troupes, ce qu'il ne put faire que lentement.

III. Cléarque conseillait à Cyrus de ne se point exposer, mais de se contenter d'observer le combat, d'autant que combattant, sa seule personne ne serait pas d'un grand secours, au lieu que sa perte causerait celle de toute l'armée. Quant à la phalange des Grecs, il la fit marcher d'abord lentement, pour étonner les Barbares par sa belle disposition ; mais quand on fut à la portée du trait, il ordonna qu'on prît la course, pour éviter d'être blessé par les javelots des Barbares. Et en effet, cette partie de l'armée eut l'avantage sur les Perses.

IV. Après la mort de Cyrus, les Grecs occupèrent un canton fertile et d'une grande étendue, environné d'un fleuve, et qu'une seule langue de terre empêchait d'être une île parfaite. II ne voulait pas que l'on y campât ; mais il avait de la peine à le persuader à ses Grecs. Il s'avisa de faire semer un faux bruit, que le roi menaçait de faire murer cette langue de terre. Les Grecs l'ayant entendu, se rendirent à l'avis de Cléarque, et campèrent au-delà de cette langue de terre.

V. Cléarque, emmenant un grand butin, se trouva arrêté sur une hauteur par les ennemis, qui l'environnèrent d'une tranchée. Les chefs de ses troupes voulaient qu'on chargeât les ennemis, avant que l'ouvrage fût achevé. « Laissez-les faire, dit Cléarque, et prenez courage ; plus ils avanceront la tranchée, et moins nous aurons d'ennemis à combattre. » En effet, sur le soir, laissant là le butin, il se présenta à l'endroit où l'on n'avait pas encore ouvert la terre, et mit facilement en pièces, dans un lieu si serré, ceux qui se présentèrent devant lui.

VI Cléarque, chargé du butin qu'il avait fait en Thrace, ne put se rendre à Byzance aussitôt qu'il l'aurait souhaité, et fut obligé de camper auprès d'une montagne du pays. Les Thraces se rassemblèrent, et Cléarque jugea bien que ceux qui avaient pu s'échapper des montagnes, viendraient l'attaquer la nuit. C'est pourquoi il ordonna à ses troupes de demeurer sous les armes, et de s'entre éveiller souvent. Lui-même, pour les tenir plus alertes, profitant d'une nuit obscure, prit une partie de l'armée, et se mit à frapper sur les armes, à la manière des Thraces. Le reste de ses troupes croyant que c'étaient les ennemis, se tenait prêt à combattre. Dans ce moment les Thraces se montrèrent effectivement. Ils croyaient trouver les Grecs endormis ; mais ils furent reçus par des gens qui ne l'étaient pas, qui étaient prêts à bien manier les armes, et qui leur tuèrent beaucoup de monde.

VII. Quand ceux de Byzance se furent révoltés, Cléarque fut mis à l'amende par les Éphores, et s'enfuit à Lampsaque avec quatre navires. Il s'y habitua, et fit semblant de n'y penser qu'à boire et à faire bonne chère. Pendant ce temps-là ceux de Byzance furent assiégés par les Thraces, et envoyèrent les commandants de leurs troupes demander du secours à Cléarque. Il affecta de paraître plongé dans l'ivrognerie, et à peine put-on gagner sur lui qu'il leur donnât audience le troisième jour. Ayant écouté leurs prières, il dit qu'il avait pitié d'eux, et promit de les secourir. Outre ses quatre navires, il en arma encore deux autres, et fit voile à Byzance. Là il convoqua l'assemblée, et conseilla de faire monter sur les vaisseaux tout ce qu'il y avait de cavaliers et de gens de pied dans la ville, pour attaquer les Thraces en queue. Cela fut exécuté, et les pilotes eurent ordre de lui, quand ils verraient lever en haut le signal du combat, de mettre en mer, et de rester ensuite à flot sur l'ancre. Quand cela fut fait, Cléarque resté à terre avec les deux chefs, dit : « J'ai soif ; » et se trouvant près d'un cabaret, il y entra avec eux et avec les gardes qu'il y avait fait mettre en embuscade, tua les deux chefs. Il ferma ensuite le cabaret, et ordonna au cabaretier de se taire. Ayant fait ainsi mourir ces deux hommes, et enlevé les forces de la ville, il y fit entrer ses propres soldats, et s'en rendit le maître.

VIII. Cléarque faisait le ravage dans la Thrace, et y fit mourir plusieurs habitants. On lui envoya des ambassadeurs pour le prier de mettre fin à la guerre. Mais comme il estimait que la paix ne lui serait pas avantageuse, il ordonna aux cuisiniers de prendre deux ou trois corps morts des Thraces, de les couper en pièces, et de pendre ces pièces à des crochets. Les ambassadeurs Thraces voyant ces tristes objets, demandèrent à quelle fin cela se faisait. On leur répondit, par ordre de Cléarque, que c'était un régal qu'on préparait pour son souper. Les ambassadeurs, pénétrés d'horreur, se retirèrent, sans avoir osé ouvrir la bouche sur le sujet de leur légation.

IX. Cléarque avait ses troupes dans une plaine, et les ennemis supérieurs en cavalerie, étaient sur le point de l'attaquer. Il fit son ordre de bataille de huit rangs de profondeur, et les desserra plus qu'on ne le faisait ordinairement dans la disposition en carré. Il ordonna à ses gens de baisser l'épée le long du bouclier, et de creuser un fossé profond. Quand le fossé fut fait, il fit avancer ses troupes au-delà, à la rencontre de la cavalerie ennemie, et commanda que dans le moment qu'elle commencerait à agir, on lâchât pied jusqu'aux tranchées. Les ennemis qui ne connaissaient point ce piège, poussèrent avec ardeur, et donnèrent dans les fossés, où ils tombèrent les uns sur les autres, et les troupes de Cléarque tuèrent les cavaliers ennemis tombés par terre.

X. Pendant que Cléarque était en Thrace, l'armée était inquiétée de terreurs nocturnes. Cléarque fit publier : « S'il se fait quelque tumulte la nuit, que personne ne se lève ; et si quelqu'un se lève, qu'on le tue comme ennemi. » Cet ordre apprit aux soldats à mépriser ces terreurs de nuit ; et ils cessèrent ainsi de se mettre inutilement en mouvement.

CHAPITRE III.- ÉPAMINONDAS.

Phébiade, qui avait le commandement de la citadelle de Cadmie, était amoureux de la femme d'Épaminondas. Cette femme le fit savoir à son mari, qui lui ordonna de faire semblant d'aimer Phébiade, et de lui promettre une nuit, avec engagement de mener avec elle d'autres femmes pour ses amis. La parole donnée, les femmes se trouvèrent au rendez-vous, et burent avec Phébiade et ses amis jusqu'à l'ivresse. Elles demandèrent ensuite la permission de sortir un moment pour vaquer à un sacrifice nocturne, et promirent de revenir dans l'instant. Phébiade et ses amis le leur permirent, et ordonnèrent aux gardes de la porte de les laisser rentrer. Étant sorties, elles trouvèrent dehors des jeunes gens sans barbe, avec qui elles changèrent d'habits, à la réserve d'une seule qui rentra avec eux, tant pour dire deux mots aux gardes de la porte, que pour guider ces jeunes gens. Conduits par cette femme, ils tuèrent Phébiade et tous ceux qui étaient avec lui.

II. Épaminondas, prêt de donner bataille à Leuctre, conduisait déjà sa phalange, suivie de ceux de Thespie. Il savait que ceux-ci ne marchaient qu'à regret, et pour éviter qu'ils ne causassent du désordre dans l'action, il fit publier : « Il est permis à ceux des Béotiens qui le voudront de se retirer. » Aussitôt les Thespiens s'en allèrent avec leurs armes. Par ce moyen il ne resta plus à Épaminondas que des troupes sûres et bien disciplinées, dont la valeur lui fit gagner une glorieuse victoire.

III. Épaminondas menait ses troupes dans le Péloponnèse, et les ennemis venant à sa rencontre, campèrent auprès d'Onie. Il tonna, et les troupes d'Épaminondas eurent d'autant plus de frayeur, que le devin commanda de faire halte. « Non, non, dit Épaminondas, Ce sont les ennemis seuls campés-là, que le tonnerre menace. » Le discours du général rendit le courage à ses troupes, et elles le suivirent hardiment.

IV. À la bataille de Leuctres, Épaminondas commandait les Thébains, et Cléombrote était à la tête des Lacédémoniens. L'avantage était égal de deux côtés, aussi bien que la perte. Épaminondas dit aux Thébains : « Accordez-moi seulement encore un pas, et la victoire est à nous. » Ils le crurent, et vainquirent ; les Lacédémoniens lâchèrent pied, et le roi Cléombrote mourut dans le combat.

V, Épaminondas, entré dans la Laconie, y eut tant d'avantages, qu'il ne tint qu'à lui de prendre Sparte. Mais changeant de sentiment, il se retira, sans avoir touché à la ville. Ses collègues menaçaient de le faire condamner. Mais leur montrant les alliés, c'est-à-dire, les Arcadiens, les Messéniens, les Argiens, et les autres du Péloponnèse : « Voyez-vous ces gens, leur dit-il ; ce serait contre eux qu'il faudrait combattre, si nous ruinions entièrement les Lacédémoniens car s'ils sont unis à nous pour abaisser Lacédémone, ils seraient très fâchés que cette union servît à l'agrandissement de Thèbes.»

VI. Épaminondas persuada aux Thébains de lutter avec ceux d'entre les Lacédémoniens qui se trouvaient à Thèbes. Les Thébains n'avaient pas de peine à les mettre par terre, et apprirent par là à les mépriser. Après quoi s'estimant plus forts qu'eux, ils leur firent la guerre avec plus de courage.

VII. Épaminondas avait coutume de ne mener ses troupes qu'après le lever du soleil, comme s'il eût voulu faire profession de ne faire la guerre qu'à découvert. Il changea de méthode quand il fut dans le Péloponnèse, et surprit les Lacédémoniens endormis, en donnant sur eux la nuit.

VIII. Épaminondas commandait les Thébains, et Cléombrote était à la tête des Lacédémoniens et de leurs alliés, au nombre de quarante mille hommes. Ce grand nombre faisait peur aux Thébains. Épaminondas les rassura par deux artifices. Comme ils sortaient de la ville, un homme inconnu, préparé secrètement par Épaminondas, vint à leur rencontre, la tête ornée d'une couronne et de banderoles, et leur dit : « Je suis chargé de la part de Trophonius, de dire aux Thébains, que la victoire sera pour ceux qui commenceront les premiers le combat. » Les Thébains encouragés par cette prédiction, adorèrent le dieu qui la leur faisait. « Ce n'est pas encore assez, dit Épaminondas ; il faut aller faire nos prières à Hercule.» Il avait déjà donné ses ordres au prêtre d'Hercule, qui avait ouvert le temple la nuit, et avait remis les armes en leur place, après les avoir détachées et fourbi avec le secours de ses ministres ; et tout cela s'était fait secrètement, sans qu'ils en eussent rien dit à personne. Les gens de guerre arrivant au temple, et le trouvant ouvert sans ministère d'homme, et voyant toutes ces vieilles armes si brillantes, jetèrent de grands cris, et se trouvèrent animés d'un courage qu'ils crurent inspiré des dieux, parce qu'ils se persuadèrent qu'Hercule voulait leur tenir lieu de général. Cette confiance fut cause qu'ils vinrent à bout de vaincre les quarante mille ennemis qu'ils avaient à combattre.

IX. Épaminondas voulant entrer dans la Laconie fit entendre qu'il passerait (l'isthme) la nuit. La forteresse du mont Aonie (qu'on trouvait à l'entrée) était défendue par une garnison de Lacédémoniens. Épaminondas fit reposer ses troupes au pied de cette montagne, et ceux de la garnison furent toute la nuit sous les armes avec beaucoup de fatigue. À la pointe du jour, Épaminondas donna sur la garnison accablée de sommeil ; et l'ayant facilement vaincue, passa librement.

X. Épaminondas, informé que Sparte était sans soldats, résolut de la surprendre la nuit. Agésilas en fut averti par des transfuges, accourut en diligence au secours, avec ce qu'il avait de troupes, et entra dans la ville, où il attendit les Thébains de pied ferme. Ils se présentèrent et furent vigoureusement repoussés par les Lacédémoniens. Comme le danger était pressant pour les Thébains, dans le trouble et la nuit, ils furent contraints de prendre la fuite ; et plusieurs d'entre eux jetèrent leurs boucliers. Pour éviter qu'ils fussent notés d'infamie à ce sujet, Épaminondas fit crier qu'aucun de ceux qui étaient armés pesamment ne portât son bouclier ; qu'un chacun le donnât à son écuyer, ou à quelque autre serviteur, et le vint joindre avec son dard et son épée seulement, pour le suivre (où il les voudrait mener.) Il cacha de cette manière à la multitude, quels étaient ceux qui avaient jeté leur bouclier : et ce bienfait les rendit dans la suite plus attachés à lui, plus courageux, et plus obéissants dans les entreprises les plus périlleuses.

XI. Épaminondas donna bataille aux Lacédémoniens. L'action fut vive, et il y eut beaucoup de morts de part et d'autre. La nuit survint, qui laissa la victoire indécise, et les deux armées se retirèrent. Les Lacédémoniens campant dans un très grand ordre, il leur fut aisé de savoir le nombre de leurs morts. Cela leur affaiblit le courage, et ils s'endormirent tristement. Épaminondas, pour empêcher que pareille chose n'arrivât de son côté, ordonna que chacun campât comme il se trouverait, sans chercher sa place ordinaire, que tous soupassent à la hâte de ce que chacun pourrait avoir de vivres, ou en demandassent à leurs voisins, et se reposassent au même lieu où ils auraient soupé. De cet ordre, qui fut exécuté sur-le-champ, il en résulta un grand bien, qui fut que les Thébains qui avaient soupé çà et là, et non dans leurs chambrées, ignorèrent le nombre de leurs morts ; en sorte que s'étant remis en bataille le lendemain, ils se battirent beaucoup plus courageusement que les Lacédémoniens, qu'ils vainquirent sans peine, parce qu'ils les trouvèrent déjà consternés de la perte de leurs compagnons.

XII. Épaminondas menait six mille Thébains seulement contre trente mille, tant Spartiates, qu'alliés des Spartiates. Les Thébains, comme il était naturel, avaient peur de cette grande multitude ; mais voici comme Épaminondas leur ôta cette frayeur. Il y avait à Thèbes une statue de Pallas, qui avait une lance à la main droite, et au devant des genoux un bouclier appuyé sur la terre. Épaminondas prit un ouvrier, et le mena la nuit dans le temple où était cette statue, il lui fit changer d'attitude, et passa le bouclier au bras de Pallas. Quand il fut temps de sortir de la ville, Épaminondas fit ouvrir tous les temples, comme pour y faire des sacrifices pour l'heureux succès de l'armée. Les soldats voyant la nouvelle attitude de Pallas, furent surpris, et se persuadèrent fortement que la déesse s'était armée contre les ennemis. Épaminondas ne négligea pas de profiter de cette disposition des esprits, il ne cessait d'exhorter ses troupes à prendre courage, puisque la déesse tendait le bouclier contre les ennemis de l'État. En effet, les Thébains s'animèrent, donnèrent un combat éclatant, et remportèrent la victoire sur un nombre aussi supérieur que l'était celui des Lacédémoniens.

XIII. Épaminondas voulant passer le pont bâti sur le Sperque, voyait les Thessaliens campés devant lui dans le dessein de lui disputer le passage. Il avait remarqué que vers le point du jour il s'élevait du fleuve un brouillard épais. Il commanda à chaque troupe de couper et de porter deux faisceaux de bois, un de bois vert, et l'autre de bois sec ; et d'y mettre le feu sur le minuit, au bois vert au-dessus, et au buis sec au-dessous. De cette sorte, favorisé de la nuit, du brouillard, et de la fumée, qui dérobaient aux ennemis la vue des objets, il fit passer ses soldats sur le pont. Ils se trouvèrent dans le milieu de la plaine, de l'autre côté, avant que la fumée et le brouillard se fussent dissipés. Alors, mais il était trop tard, les Thessaliens s'aperçurent que les Thébains étaient passés.

XIV. Épaminondas étant dans la disposition d'en venir aux mains avec les Lacédémoniens, auprès de Tégée, jugea qu'il devait s'emparer de quelques postes avantageux. Afin de cacher son dessein aux ennemis, il ordonna au commandant de la cavalerie de s'avancer au devant de la phalange avec seize cents chevaux, et de faire plusieurs évolutions, marches et contre-marches de côté et d'autre. Par ce moyen il s'éleva beaucoup de poussière, qui offusqua la vue des ennemis, et à l'aide de cette obscurité les postes furent gagnés secrètement par Épaminondas. Quand la poussière fut apaisée, les Lacédémoniens s'aperçurent quelle avait été la raison d'une cavalcade, dont le but leur avait été d'abord inconnu.

XV. Épaminondas voulant exciter les Thébains à faire un vigoureux effort contre les Lacédémoniens, prit un grand serpent, le leur montra, et lui ayant écrasé la tête en présence de tous, il leur dit : « Vous voyez que la tète ôtée, tout le reste du corps n'a plus de force. La tête de nos ennemis sont les Lacédémoniens que voilà, et le corps sont les alliés : si nous brisons cette tête, le reste du corps demeurera inutile.» Les Thébains, persuadés par cet exemple, attaquèrent courageusement la phalange lacédémonienne et la rompirent, et la multitude des alliés prit la fuite.

CHAPITRE IV. - PÉLOPIDAS.

Pélopidas voulait se rendre maître de deux forteresses éloignées l'une de l'autre de vingt-six stades. Pendant qu'il tenait le siège devant rune de ces places, il donna ordre à quatre cavaliers de venir à toute bride, des couronnes sur la tête, lui annoncer que l'autre ville était prise. À cette nouvelle, il mena ses troupes devant la ville qu'on disait prise, quand il fut devant les murs, il fit allumer un grand feu, dont la fumée fut vue par ceux de l'autre ville, qui s'imaginèrent que Pélopidas avait fait mettre le feu à celle-ci. Ils eurent peur d'un pareil traitement, et se donnèrent d'eux-mêmes à Pélopidas. Il joignit à ses troupes les forces qu'il trouva dans cette ville, et se présenta devant l'autre, qui n'ayant pas le courage de lui résister, lui ouvrit ses portes. Ainsi les deux villes tombèrent sous sa puissance, l'une trompée par une fausse opinion, et l'autre, pour n'avoir pu lui résister.

II. Pélopidas étant en Thessalie, avait une rivière à passer, et ne le pouvait, parce qu'il avait les ennemis à dos. Il campa sur le bord du fleuve, et se retrancha de pieux et de fascinés qu'il fit couper en grande quantité. Il y fit mettre le feu à minuit ; par ce moyen les ennemis se trouvèrent dans l'impossibilité de le poursuivre, et il passa le fleuve en liberté.

III. Thèbes était maîtrisée par des troupes lacédémoniennes qui avaient à Cadmie un chef de garnison. Vint la fête de Vénus, que les femmes célébrèrent avec jeux ordinaires, et les hommes s'amusaient à les regarder. Le commandant de la garnison de Cadmie voulant de son côté honorer la déesse, fit venir des femmes publiques. Pélopidas entra dans le fort avec elles, avec une épée cachée sous ses habits, et mettant le commandant à mort, il délivra Thèbes.

CHAPITRE V. - GORGIAS ou GORGIDAS.

Gorgias fut le premier qui établit la troupe sacrée. Elle était composée d'hommes liés ensemble par l'amour le plus tendre, et au nombre de trois cents. La tendresse qu'ils avaient les uns pour les autres, faisait qu'ils ne s'abandonnaient jamais, qu'ils ne prenaient point la fuite, et qu'ils étaient résolus de vaincre les ennemis, ou de mourir tous ensemble.

II. Gorgias à la tête de la cavalerie thébaine, avait à combattre Phébidas, qui conduisait l'infanterie armée de boucliers. Comme il se trouvait dans un lieu fort serré où la cavalerie ne pouvait pas faire grand effet, il lâcha pied devant l'infanterie de Phébidas. Les ennemis le poursuivirent, et par ce moyen, il les attira dans une plaine ; et c'était le but de cette fuite simulée. Alors Gorgias élevant son casque, au bout d'un javelot, donna le signal à ses gens, qui firent volte-face. L'infanterie de Phébidas, qui ne put soutenir l'effort de la cavalerie Thébaine, fut mise en déroute, et s'enfuit à Thesbies. Ainsi Phébidas, qui courait après des fuyards pour leur donner la chasse, fut contraint de fuir lui-même.

CHAPITRE VI. - DERCYLLIDAS.

Dercyllidas avait juré à Médias, tyran de Scepsis, que s'il venait lui parler de suite, il le laisserait retourner dans la ville. Médias vint, et Dercyllidas commanda qu'on ouvrît les portes de la ville ; sinon il menaça de tuer le tyran. Quand la peur eut contraint celui-ci à tenir les portes ouvertes, Dercyllidas lui dit : « Je te laisse rentrer dans la ville, parce que je l'ai juré mais j'y entrerai aussi avec toutes mes forces. »

CHAPITRE VII. - ALCÉTAS.

Le Lacédémonien Alcétas, levant l'ancre de devant Istiée, voulut cacher aux Thébains qu'il avait plusieurs vais seaux armés. Pour cet effet, il mit sur une galère une partie de ses soldats, et fit faire la manœuvre d'une manière qui pouvait donner à penser aux ennemis qu'il n'avait que ce seul vaisseau armé en guerre. Par ce moyen, il se rendit maître de tout ce qui était sur les galères des Thébains.

CHAPITRE VIII. - ARXILAIDAS.

Arxilaidas, autre Lacédémonien, conduisant des troupes, avait à passer un endroit fort dangereux. Il n'avait aucune assurance que les ennemis y fussent en embuscade ; mais prévoyant que cela pouvait être, il donna ordre à ses troupes de se tenir prêtes à combattre, parce que les ennemis étaient cachés sur le passage. En effet, ils trouvèrent une grande embuscade ; mais comme ils y étaient préparés, par la sage prévoyance du chef, ils attaquèrent les ennemis vigoureusement, et les mirent tous à mort.

CHAPITRE IX. - ISADAS.

Après la bataille de Leuctres, les Thébains s'emparèrent de Gyth, l'un des ports de la Laconie, et y mirent garnison. Isadas, Lacédémonien, prit avec lui cent personnes de son âge, leur ordonna de se frotter d'huile, de se mettre sur la tête des couronnes d'olivier, et de, prendre chacun un poignard sous l'aisselle. Suivi de ces gens nus, il se mit nu lui-même, et courut de toutes ses forces avec eux. Les Thébains furent trompés par cet extérieur, et les reçurent comme des gens qui faisaient quelque jeu. Mais les Lacédémoniens ayant mis le poignard à la main, tuèrent une partie des Thébains, chassèrent le reste, et se rendirent maîtres de Gyth.

CHAPITRE X. - CLÉANDRIDAS.

Cléandridas menait ses troupes dans le pays de Térine, par un chemin creux, dans le dessein de cacher sa marche et de surprendre les Térinois. Ils en furent avertis par des transfuges, et, s'étant hâtés d'aller à sa rencontre, ils se trouvèrent sur sa tête. Cléandridas voyant ses soldats découragés, leur dit de se rassurer. À cet effet, il fit passer un héraut à travers ses troupes, qui cria qu'on regardât comme amis ceux d'entre les Térinois qui diraient le mot dont on était convenu avec lui. Les Térinois entendant cette publication, commencèrent à se regarder les uns les autres avec soupçon, comme s'il y avait eu des traîtres parmi eux, et crurent que le parti le plus sûr était de se retirer au plus vite et de veiller à la garde de leur ville. Quand ils s'en furent allés, Cléandridas fit monter librement ses troupes sur les hauteurs, ravagea le pays, et s'en retourna en sûreté.

II. Cléandridas, chef des Thuriens, gagna une bataille contre les Leucaniens. Après la victoire, il mena ses troupes sur le champ de bataille, et leur fit voir, par la situation des morts épars çà et là, que leur défaite ne venait que de ce que, sans se tenir serrés à leur poste, ils s'étaient trop répandus de côté et d'autre ; d'où venait qu'ils étaient tombés loin les uns des autres, au lieu qu'eux s'étaient tenu serrés et fermes. Pendant qu'il était dans cette occupation, les Leucaniens se présentèrent de nouveau, en plus, grand nombre qu'auparavant. Alors Cléandridas quitta la plaine, et posta son armée dans un lieu étroit. La grande multitude des ennemis ne leu donna aucun avantage. Le peu d'étendue du lieu donna moyen à Cléandrilas d'opposer un front égal à celui qu'il avait devant lui ; et de cette sorte les Thouriens gagnèrent une seconde bataille sur les Leucaniens.

III. Les principaux de Tégée étaient soupçonnés de favoriser les Lacédémoniens. Pour les rendre encore plus suspects, Cléandridas faisant le dégât dans le pays, épargna leurs possessions seules, pendant qu'il ravageait celles de tous les autres. Ceux de Tégée, transportés de colère, intentèrent action de trahison à ces citoyens épargnés. Ceux-ci, appréhendant l'issue du jugement, le prévinrent, et livrèrent la ville à Cléandridas. Ainsi la crainte les força à rendre véritable une accusation qui n'avait pour fondement qu'un faux prétexte,

IV. Cléandridas faisant la guerre aux Leucaniens, avait la moitié plus de troupes qu'eux. Il eut peur que s'ils s'en apercevaient, ils ne prissent la fuite pour éviter le péril. Il s'avisa donc de donner beaucoup de profondeur à sa phalange. Les Leucaniens, voyant un front de peu d'étendue, la méprisèrent, et étendirent leurs rangs, dans le dessein de le déborder. Alors Cléandridas, dédoublant les files de sa phalange, développa son front et vint à bout de déborder lui-même les Leucaniens. Ils furent enveloppés, percés de traits, et tous tués, à la réserve d'un petit nombre qui prit honteusement la fuite.

V. Cléandridas voyant que les Thuriens étaient inférieurs en nombre aux ennemis, leur défendit de donner : « Il faut, leur dit-il, quand la peau du lion ne suffit pas, y coudre celle du renard.»

CHAPITRE XI. - PHARICIDAS.

Pendant que la flotte de Carthage était en route pour aller contre Syracuse, Pharacidas se trouva engagé au milieu de leurs galères. II en prit neuf ; et afin que les Carthaginois ne l'inquiétassent point dans sa route, il fit passer sur ces galères prises ses propres rameurs et ses soldats. Les Carthaginois reconnaissant leurs galères, les laissaient entrer librement dans le port de Syracuse.

CHAPITRE XII. - DÉIPHONTE.

Déiphonte ayant concerté avec les Doriens qu'ils attireraient les Argiens an combat, monta sur ses vaisseaux et alla se cacher derrière une hauteur. Une sentinelle vint lui dire : « Les Doriens mènent un grand butin, et les Argiens ont quitté leur camp pour aller le recouvrer.» Aussitôt Déiphonte et ses alliés firent descente, et courant au camp des Argiens, le trouvèrent sans défense, et s'en rendirent les maîtres. Les Argiens voyant qu'on avait pris leurs pères, leurs enfants et leurs femmes, ne trouvèrent point d'autre moyen de leur rendre la liberté, qu'en livrant aux Doriens le pays et toutes leurs villes.

CHAPITRE XIII. - EURYTION.

Eurytion, roi de Lacédémone, voyant que la guerre contre les Arcadiens traînait en longueur, essaya d'exciter parmi eux une sédition. À cet effet, il envoya dire par un héraut : « Les Lacédémoniens cesseront de faire la guerre, pourvu que vous chassiez les coupables ; et ce sont ceux qui ont pris Égine. » Ceux qui avaient pris part au meurtre, craignant que le peuple, pour l'amour de la paix, ne prît le parti de les chasser, sortirent avec des épées, et tuèrent tout autant de monde qu'ils purent. Ils grossirent même leur troupe de beaucoup de gens à qui ils promirent la liberté. Ceux des habitants qui étaient pour la paix, s'assemblèrent de leur côté en armes, et la ville se trouva partagée en deux armées. Ceux qui étaient bien intentionnés pour le bien public eurent du désavantage. Ils s'enfuirent à un coin des murs, ouvrirent les portes, et reçurent au-dedans de la ville les Lacédémoniens qui se rendirent ainsi maîtres de Mantinée, par une sédition, après l'avoir inutilement attaquée par les ruses ordinaires de la guerre.

CHAPITRE XIV - LES ÉPHORES.

Les Éphores avertis que Cinadon machinait quelque chose contre la tranquillité publique, crurent qu'il n'était par expédient de l'arrêter dans la ville. Ils envoyèrent secrètement quelques cavaliers à Aulon, ville de la Laconie, et ayant appelé quelques jours après Cinadon, ils lui ordonnèrent d'aller avec deux soldats dans cette même ville, pour quelque affaire secrète, dont ils firent semblant de le charger. Dans le moment qu'il arriva, les cavaliers, envoyés auparavant au même lieu, le saisirent, et lui donnèrent la question. Ils apprirent de lui les noms de ses complices, et les envoyèrent aux Éphores, qui les firent mourir sans bruit, et en l'absence de celui qui les avait découverts.

II. Les Éphores ayant eu avis que les Parthéniens avaient pour signal, lorsqu'ils voudraient commencer la sédition, d'élever un chapeau au milieu de la place publique, ordonnèrent au héraut de crier « Que ceux qui doivent élever le chapeau, sortent de la place. » À ce cri, ceux qui avaient part à la conspiration, se tinrent en repos, dans la persuasion où ils furent que tout était découvert.

CHAPITRE XV. - HIPPODAMAS.

Hippodamas était assiégé à Prasios par les Arcadiens, et souffrait beaucoup de la faim. Les Spartiates lui envoyèrent un héraut ; mais les Arcadiens ne lui permirent pas d'entrer. Hyppodamas lui cria de dessus les murs : « Dis aux Éphores qu'ils empêchent la femme qui est dans le temple de la Déesse à la maison d'airain. » Les Arcadiens ne comprirent rien à ce discours ; mais les Lacédémoniens devinèrent qu'il désignait la famine, et qu'Hippodamas demandait des vivres ; car dans le temple de la déesse, à la maison d'airain, la famine était représentée dans un tableau où était peinte une femme pâle et maigre, les mains liées derrière le dos. Ainsi le discours d'Hyppodamas, obscur pour les ennemis, fut clair pour les Lacédémoniens.

CHAPITRE XVI. - GASTRON.

Le Lacédémonien Gastron ayant à combattre les Perses en Égypte, fit changer d'armes aux Grecs et aux Égyptiens, et donnant aux uns les armes des autres, mit les Égyptiens à la queue, et s'avança à la tête avec les Grecs armés à l'égyptienne. Ils attaquèrent vigoureusement, et poussèrent leur pointe sans relâcher. Gastron fit ensuite avancer les Égyptiens armés à la grecque. Les Perses les prenant véritablement pour ce qu'ils paraissaient, se mirent en désordre, et s'enfuirent.

CHAPITRE XVII. - MÉGACLIDAS.

Mégaclidas s'étant retiré sur une montagne fort couverte, y fut assiégé. De ce qu'il avait de troupes, il mit à part ce qu'il avait de plus inutile et de plus pesant, et donna ordre à ceux-là de prendre la fuite à travers les bois. Des ennemis, comme il l'avait bien jugé, s'en aperçurent, et se mirent après ces fuyards ; pour lui, avec ce qui restait, c'est-à-dire les meilleures troupes, il prit la route opposée et s'échappa sans risque.

CHAPITRE XVIII - HARMOSTÈS.

Harmostès, Lacédémonien, était assiégé par les Athéniens, et n'avait plus de vivres que pour deux jours. Il vint un héraut de Sparte. Les Athéniens ne permirent pas qu'il entrât dans la ville assiégée, mais lui ordonnèrent de faire son message de dehors ; et tout haut. Le héraut dit donc : « Les Lacédémoniens te mandent de prendre courage, et d'attendre dans peu du secours de leur part. » Harmostès répondit : « Il n'est pas besoin que vous vous pressiez de venir à notre secours : nous avons encore des vivres pour cinq mois. » L'hiver approchait, et les Athéniens croyant ce discours véritable, désespérèrent de pouvoir tenir le siège pendant une saison si rude, ils décampèrent, et la ville demeura libre.

CHAPITRE XIX. - THIBRON.

Thibron, assiégeant une place en Asie, persuada au commandant de sortir pour venir traiter avec lui, et jura, s'ils ne demeuraient pas d'accord, qu'il le laisserait retourner dans la place. Le commandant vint et on fit quelques propositions. Pendant ce temps, la garnison, qui comptait sur la paix, se négligea dans ses fonctions. Les troupes de Thibron profitèrent de cette conjoncture, attaquèrent la place, et la prirent. Thibron y fit reconduire le commandant, comme il l'avait juré : mais il le fit mourir dans le même lieu.

CHAPITRE XX. - DEMARAT.

Demarat voulant écrire aux Spartiates touchant l'armée de Xerxès, traçait ses lettres sur des tablettes non cirées, et puis les cirait par dessus l'écriture, afin que ces tablettes passassent par les gardes comme tablettes sans écriture.

CHAPITRE XXI. - ERIPPIDAS.

Erippidas étant allé à Héraclée de Traquinie, convoqua l'assemblée et ayant placé ses troupes tout autour, il ordonna aux Traquiniens de s'asseoir à part. Quand ils furent assis, Erippidas leur ordonna de rendre raison devant les juges des injustices qu'ils avaient commises contre les Lacédémoniens, et de subir le jugement à la manière du pays des Spartes, c'est-à-dire liés. Ils se laissèrent lier par les troupes d'Éryppidas : après quoi on les mena hors des portes, et on les fit tous mourir.

CHAPITRE XXII. - ISCHOLAÜS.

Ischolaüs, posté à Ainus, voyant les Athéniens s'approcher avec un grand nombre de navires, eut peur qu'à la faveur de la nuit ils lui enlevassent beaucoup de vaisseaux sans grande résistance. Il les fit tous approcher de la tour qui était sur les fossés, et les y attacha par les mâts, et les plus éloignés furent liés avec des câbles aux plus proches, en sorte que tout se tenait. Les Athéniens vinrent la nuit, et essayèrent d'enlever quelques vaisseaux ; mais ils ne purent en venir à bout. Ceux d'Ainus, avertis par les gardes, sortirent les uns par terre, et les autres avec leurs vaisseaux, et donnèrent la chasse aux Athéniens.

II. Ischolaüs étant en marche, avait d'un côté des précipices et un très mauvais chemin, et de l'autre une montagne occupée par les ennemis : il faisait un vent violent ; pour en profiter, il alluma un grand feu, dont la chaleur et la fumée chassèrent les ennemis, et lui, il passa sûrement avec ses troupes par le chemin qu'ils lui avaient laissé libre.

III. Ischolaüs était assiégé à Drys par Chabrias. Voyant que ce général était prêt à faire approcher les béliers, il le prévint, et fit abattre un grand pan de mur. Il avait deux vues dans cette action la première d'obliger ses soldats à se défendre d'autant plus vigoureusement, qu'ils ne se verraient plus couverts de ce mur ; et la seconde de faire voir aux ennemis qu'il méprisait tout cet appareil de machines de guerre. Les ennemis furent si surpris de cette démolition volontaire, qu'ils n'osèrent approcher de la ville.

IV. Ischolaüs, assiégé par les Athéniens, fut informé qu'une partie des gardes devait le trahir. Il fit la ronde la nuit par tous les postes, et joignit à chaque sentinelle un homme du nombre de ses soudoyés. De cette sorte il évita, sans fracas, le péril dont il était menacé.

CHAPITRE XXIII. - MNASSIPPIDAS.

 Mnassippidas avait peu de troupes ; se trouvant auprès des ennemis, la nuit, il ordonna à l'infanterie légère et aux trompettes de gagner la queue des ennemis à la faveur des ténèbres, et, quand ils y seraient, de sonner la charge et de tirer. Les ennemis crurent qu'on les avait enveloppés et se retirèrent à la hâte.

CHAPITRE XXIV. - ANTALCIDAS.

Antalcidas, ayant une grande flotte au port d'Abyde, sut que les galères d'Athènes étaient abordées à Ténédos, et qu'elles n'osaient se hasarder de passer jusqu'à Byzance. Il apprit en même temps qu'Iphicrate, qui commandait à Byzance, était allé assiéger Calcédoine, dont les habitants étaient ses alliés. Antalcidas donna ordre de prendre la route de Calcédoine, et se mit en embuscade dans le pays de Cyzique. Ceux qui étaient à Ténédos, ayant appris le départ d'Antalcidas, se hâtèrent de voguer, pour aller joindre Iphicrate. Ils furent devant les galères des ennemis, avant que de les avoir aperçues. Antalcidas donna à l'improviste sur celles d'Athènes, en fit couler quelques-unes à fond, et se rendit maître des autres, et c'était le plus grand nombre.

CHAPITRE XXV. - AGÉSIPOLIS.

Agésipolis assiégeait Mantinée. Les alliés, qu'il avait dans son armée, étaient portés à favoriser ceux de Mantinée. Cependant comme les Lacédémoniens avaient l'empire de la Grèce, ils les suivaient à la guerre ; mais la nuit ils fournissaient aux assiégés tout ce qui leur était nécessaire. Agésipolis, informé de ce qui se passait, fit lâcher autour du camp une grande multitube de chiens, dont il posta le plus grand nombre du côté qui regardait la ville, afin que la peur d'être découvert par les chiens, empêchât qui que ce fût de passer aux ennemis.

CHAPITRE XXVI. - STHÉNIPPE.

Sthénippe ayant feint de vouloir s'enfuir chez ceux de Tégée, fut puni (en apparence) comme déserteur, et condamné à l'amende par les Éphores. Il se retira ensuite à Tégée ; et comme son ressentiment paraissait bien fondé, ceux de Tégée ne firent point de difficulté de le recevoir. Pendant qu'il y fut, il trouva moyen de corrompre ceux d'entre les habitants qu'il vit en différend avec l'Archonte ou chef de la ville, Aristocle ; et s'étant joint à eux, il se servit de l'occasion d'une pompe religieuse, et le surprenant comme il allait sacrifier, il le tua.

CHAPITRE XXVII, - CALLICRATIDAS.

Callicratidas demanda en grâce à celui qui commandait dans le fort de Magnésie, de donner retraite à quatre des siens qui étaient malades, et cela lui fut accordé. Il mit dans chaque lit un soldat muni de cuirasse et d'épées, le tout caché d'une couverture oui d'un manteau, et chaque lit était porté par quatre jeunes hommes ; en sorte que quand tout cela fut entré dans le fort, c'était vingt soldats vigoureux introduits artificieusement. Ils tuèrent les gardes, et s'emparèrent de la place.

II. Ayant été assiégé dans Magnésie, pendant que les ennemis faisaient approcher les béliers, il démolit une partie de la tour, d'un côté où l'on ne pouvait faire d'approches, et ayant observé le temps que les ennemis se relevaient à l'attaque, il sortit, et faisant le tour du mur, il prit les ennemis en queue, en tua beaucoup, et en fit un nombre considérable prisonnier. Après cette victoire, il fit rebâtir ce qu'il avait démoli.

CHAPITRE XXVIII. - MAGAS.

Magas, partant de Cyrène pour une expédition, laissa la garde de la ville à quelques-uns de ses amis ; mais il fit renfermer dans la citadelle tous les outils, les javelots et les machines, et fit ôter toutes les guérites et les autres défenses de murs ; afin que s'il y avait quelqu'un qui voulût entreprendre quelque nouveauté, la ville lui fut toujours ouverte.

II. Magas s'étant rendu maître de Paretone, gagna les sentinelles chargées de faire les signaux, et convint avec ces gens que le soir ils élèveraient un flambeau en signe de paix et d'amitié, et un pareil à la pointe du jour. Ces signaux, dans cette rencontre, n'étaient que tromperie ; mais elle servit à Magas pour s'avancer dans le pays jusqu'au lieu nommé Chio, ou Chimo.

CHAPITRE XXIX. - CLÉONYME.

Cléonyme, roi de Lacédémone, assiégeant Trézène, plaça autour de la ville en plusieurs endroits des tireurs, à qui il donna ordre de lancer, dans la ville des dards sur lesquels était écrit : « Je viens mettre la ville en liberté. » Il avait des Trézéniens captifs ; il les laissa aller sans rançon. Ces captifs délivrés parlaient avantageusement de Cléonyme ; mais Éudamidas, général de Cratère, alors absent et chargé du soin de garder la ville, s'opposait à tous ceux qui marquaient de l'inclination pour la nouveauté. Les deux partis en vinrent aux mains, et Cléonyme, profitant de ce désordre, présenta l'escalade, prit la ville, la pilla, et y laissa un commandant spartiate avec une garnison.

II. Pendant que Cléonyme assiégeait Édesse, le mur tomba. Les ennemis se présentèrent avec de grandes lances, de la longueur chacune de seize coudées. Cléonyme, voyant cela, donna une grande profondeur à sa phalange, et ne voulut point que les chefs de file, et ceux qui les suivaient immédiatement, eussent des dards. Il leur ordonna de saisir à deux mains, et de tenir ferme les lances des ennemis, dans le moment qu'ils se présenteraient ; et à ceux qui suivaient dans chaque file, il ordonna de se couler à côté des premiers, et de combattre vigoureusement. Il arriva donc que les chefs de file saisirent les lances des ennemis, qui tiraillaient pour les ravoir, pendant que les serre-files, s'avançant de derrière les autres, faisaient un terrible carnage de ces lanciers. Ainsi Cléonyme, par son habileté, fit voir que les longues lances étaient d'un mauvais usage.

CHAPITRE XXX. - CLÉARQUE.

Cléarque d'Héraclée, dans le dessein de parvenir à se faire une citadelle dans sa ville, gagea des gens à qui il suggéra de sortir secrètement la nuit, pour voler, butiner, faire injure, blesser. Les habitants indignés de ces violences, demandèrent du secours à Cléarque. Il leur dit qu'il était impossible de contenir ces hommes enragés, à moins de les enfermer de murs. Ceux d'Héraclée lui en accordèrent la permission. Il choisit un canton de la ville, l'entoura de murs, et en fit une citadelle, non pas pour tenir en bride ces méchants, mais pour se procurer à lui-même la liberté d'exercer toutes sortes d'injustices.

II. Cléarque, devenu tyran d'Héraclée, fit un jour courir le bruit qu'il voulait se retirer avec ses, gardes, et rendre au conseil des trois cents le gouvernement de l'état. Ils s'assemblèrent au lieu ordinaire où ils tenaient leurs séances. Ils étaient dans la disposition de donner de grands éloges à Cléarque, et s'attendaient à rentrer dans la possession de leur ancienne liberté. Cléarque ayant environné le lieu de l'assemblée de ses soldats, appela les trois cents par un héraut, les fit tous prendre un à un, et les fit mener dans la citadelle.

III. Cléarque voulant faire périr la plupart des habitants d'Héraclée, enrôla, sans aucun prétexte légitime et dans les ardeurs de la canicule, tous ceux qui étaient au-dessus de seize ans, comme pour aller faire le siège d'Astaque. Quand il fut arrivé auprès de cette ville, il posta les habitants dans un lieu marécageux, où l'air était sans mouvement, et où il y avait beaucoup d'eaux croupies. Il leur ordonna de camper là, d'observer soigneusement les Thraces, et de prendre garde qu'ils ne se montrassent dans ces cantons. Pour lui, comme s'il eût voulu se charger du plus pénible, qui était d'attaquer la place, il se retira avec les étrangers soudoyés en des lieux hauts, ombragés et arrosés d'eaux vives, et y posa son camp. Il traîna le siège en longueur, jusqu'à ce que les chaleurs et exhalaisons des marais eussent fait périr les habitants d'Héraclée. Quand il s'en fut défait de cette manière, il s'en retourna avec ses troupes soudoyées, et dit que c'était la peste qui lui avait fait perdre tous ces habitants.

CHAPITRE XXXI. - ARISTOMÈNE.

Aristomène, Messénien, donnant du secours à Denis, s'aperçut dans un combat naval, où toutes les galères étaient mêlées, qu'il y avait quelque mouvement désavantageux de son côté. Pour empêcher une déroute, dont il voyait les commencements, il ordonna à ses soldats de crier : « Laissez-les fuir. » Les ennemis entendant ce cri, se persuadèrent qu'ils étaient vaincus, et prirent la fuite.

II. Aristomène, général des Messéniens, pour avoir tué trois fois cent Lacédémoniens, avait fait autant de fois le sacrifice appelé à ce sujet Hécatomphonie. Ayant un jour été blessé en plusieurs lieux, et laissé pour mort, il fut pris avec beaucoup d'autres par les Lacédémoniens. On ordonna que les autres seraient dépouillés et précipités nus, mais qu'Aristomène, à cause de la réputation qu'il s'était acquise par sa valeur, serait précipité avec ses armes. Tous les autres périrent en tombant. Pour Aristomène, l'air qui s'engagea dans son bouclier, modéra la pesanteur de sa chute, et le fit tomber légèrement : arrivé au bas, il leva les yeux de tous côtés, et se voyant environné de hauteurs inaccessibles, il ne perdit pourtant pas courage. Il observa fort attentivement toute la montagne, et remarqua une entrée fort étroite, où passaient des renards. Il prit un ossement d'un des corps morts dont il était environné, et le cassa. Ensuite il saisit un renard par la queue, et quoique cet animal le mordît, il ne quitta point prise qu'il ne s'en fût servi à se tirer de ce lieu. Avec l'ossement dont il s'était muni, il élargit les passages. Enfin il sortit de ce gouffre, et alla joindre les Messéniens qui étaient prêts de donner bataille. Il s'arma incontinent, et se mit à la tète de la phalange. Les Lacédémoniens furent étrangement surpris de voir Aristomène armé de nouveau, qui combattait encore, et qui les mettait en fuite, lui qu'ils venaient de précipiter dans un gouffre profond, dont personne ne s'était jamais sauvé. Ils s'enfuirent tous, et se persuadèrent que ce général était quelque chose de plus qu'un homme mortel.

III. Aristomène, Messénien, pris par les Lacédémoniens, était étroitement gardé. Il se roula dans le feu qui était auprès de lui, et ayant brûlé ses liens, il tua ses gardes, puis prenant leurs boucliers, il entra secrètement dans Sparte, et alla les clouer au temple de la déesse à la maison d'airain et écrivit dessus : Aristomène s'est sauvé des mains des Lacédémoniens ; après quoi il se retira à Messène.

IV. Un jour que les Lacédémoniens célébraient la fête de Castor et de Pollux, et faisaient un sacrifice public, Aristomène et un de ses amis montèrent sur des chevaux blancs, et se mirent sur la tête des étoiles d'or. C'était à l'entrée de la nuit, et tous les Lacédémoniens étaient assemblés hors de la ville avec leurs femmes et leurs enfants. Ces deux hommes se firent voir à eux d'une distance convenable. Les Lacédémoniens persuadés que c'était une apparition des enfants de Jupiter, en eurent une joie extrême, et se mirent à boire avec excès ; Aristomène et son compagnon descendirent alors de cheval, et tirant leurs épées, tuèrent un grand nombre de Lacédémoniens, puis remontèrent à cheval, et se retirèrent en diligence.

CHAPITRE XXXII. - CINÉAS.

À la bataille de Mantinée, le désavantage fut égal, tant du côté des Thébains, que de celui des Mantinéens. Ceux-ci avaient envie d'envoyer un héraut aux Thébains, pour demander la liberté d'enlever les morts. Ils avaient parmi eux un Athénien nommé Cinéas dont le frère Démétrios était mort, dans le combat. Il dit à ceux de Mantinée : « J'aime beaucoup mieux voir mon frère sans sépulture, que de consentir que l'on reconnaisse que les Thébains ont eu le dessus. Aussi bien mon frère n’est mort que pour empêcher que les ennemis ne dressassent un trophée contre lui et contre la patrie. » Ce discours persuada ceux de Mantinée et le héraut ne fut point envoyé.

CHAPITRE XXXIII. - HÉGÉTORIDE

Les Athéniens assiégeaient Thase. Les Thasiens firent cette loi. : « Il y aura peine de mort pour le premier qui parlera de traiter avec les Athéniens.» Il y avait longtemps que la guerre durait, et la famine s'y était jointe ; ce qui faisait périr un grand nombre d'habitants. Hégétoride, Thasien, voyant cela, se mit lu corde au cou, et se présentant à l'assemblée : « Mes compatriotes, faites de moi ce qu'il vous plaira, et comme vous jugerez expédient ; mais sauvez le reste du peuple par ma mort, en abolissant la loi trop sévère que vous avez publiée. » Les Thasiens, pénétrés de ce discours abolirent la loi, et conservèrent Hégétoride.

CHAPITRE XXXIV. - DINIAS

Dinias, fils de Phères et de Télésippe, demeurait à Cranon en Thessalie, et toute son occupation était d'aller à la chasse aux oiseaux qui étaient sur les étangs et les rivières. De cet état il passa à celui de tyran de Cranon, et voici comment il s'y prit. Les Cranoniens soudoyèrent des gens pour la garde de leur ville. Dinias se mit à leur solde, et, pendant trois ans il fit la garde si exactement que l'on était encore plus sûr la nuit que le jour, et que l'on pouvait marcher à toute heure sans crainte. On lui donna là-dessus les louanges qu'il méritait, et chaque jour il faisait soudoyer de nouveaux gardes, afin de s'acquérir la réputation d'un grand zèle pour la défense de la ville. Le temps vint qu'il fallait donner à ferme la dîme des blés de la ville. Il présenta son jeune frère, qui était exempt de tribut, et lui fit donner l'adjudication de la ferme à un prix fort haut. Quand son frère eut été établi de cette sorte fermier des dîmes du pays, cela lui donna occasion de rassembler beaucoup de jeunes gens, pour courir le pays et lever les dîmes. Il vint une fête que les Cranoniens célébraient par toute sorte de jeux. Dinias mêla parmi les gardes de la ville des péagers tous à lui et des gens à jeun, parmi des hommes ivres. Il mit à mort plus de mille habitants et devint tyran de Cranon

CHAPITRE XXXV. - NICON

Le pirate Nicon faisait des courses continuelles, de Phères dans le Péloponnèse, et, endommageait extrêmement les Messéniens. Agémaque, général des Messéniens lui dressa une embuscade, et l'ayant pris, l'amena à l'assemblée des Messéniens, dans le dessein de l'y tourmenter. Nicon leur promit de leur livrer Phères, s’ils voulaient lui donner la vie. Les ayant persuadés, il choisit une nuit sans lune, et ayant dit que la plus grande partie le suivît d'un peu loin, il prit avec lui quelque peu de gens qu'il chargea de grandes bottes de paille. Il s'approcha de cette sorte des murs de Phères vers la seconde veille de la nuit, appela la sentinelle, et dit le mot du guet. On reconnut sa voix et le mot, et les portes lui furent ouvertes. Ceux qui portaient les bottes de paille les jetèrent à l'entrée de la porte, tirèrent leurs épées, et tuèrent les gardes. Ceux qui suivaient survinrent, et faisant irruption dans la ville, s'en rendirent les maîtres.

CHAPITRE XXXVI.- DIÉTAS.

Diétas, général des Achéens, ne pouvant se rendre maître ouvertement de la ville de Héres, usa de ce stratagème. Il gagna par de grands présents quelques habitants de Héres, qui se rendant souvent aux portes, et conversant familièrement avec ceux à qui l'on en avait confié la garde, buvaient avec eux, et trouvèrent moyen de prendre l'empreinte des clés, qu'ils envoyèrent à Diétas. Celui-ci fit faire des clés pareilles à celles dont on avait tiré l'empreinte, et les fit tenir à ceux qui la lui avaient envoyée. Ils lui marquèrent une nuit, pendant laquelle ils promirent de lui ouvrir les portes. Ils tinrent parole, et Diétas entra avec peu de troupes. Mais il eut besoin d'un second artifice pour demeurer en possession de cette ville. Car les habitants, sachant ce qui était arrivé, se levèrent. Ils étaient en grand nombre, et avaient une connaissance parfaite des lieux. Diétas eut peur de cette multitude. Il dispersa dans plusieurs endroits de la ville des trompettes, à qui il ordonna de sonner la charge tous en même temps. À ce bruit qui retentissait de toutes parts, les habitants s'imaginèrent que la ville était pleine d'ennemis. Ils en sortirent à la hâte, et quelque temps après ils envoyèrent prier Diétas de leur donner la liberté de demeurer dams leur patrie, où ils promirent de vivre sous l'obéissance des Achéens.

CHAPITRE XXXVII. - TISAMÈNE.

Tisamène, conduisant une armée, aperçut une grande quantité d'oiseaux qui passaient légèrement sur un certain lieu, sans s'y poser à terre. Il jugea qu'il devait y avoir des hommes postés dans ce lieu même, qui avaient fait peur aux oiseaux. Il chercha, et trouva qu'en effet il y avait là une embuscade d'Ioniens. Il les attaqua, et les défit.

CHAPITRE XXXVIII. - ONOMARQUE.

Les Béotiens assiégeaient Elatée. Onomarque fit sortir toutes ses troupes et tous les habitants, et ayant fait murer les portes, il mit à part, premièrement les enfants et les femmes, puis les mères, et ensuite les pères, et au-devant de tout cela, il arrangea les troupes armées. Pélopidas voyant ce désespoir de gens qui voulaient vaincre ou mourir, ne jugea pas à propos de combattre, et se retira.

Onomarque était en guerre contre les Macédoniens. Il avait à dos une montagne contourée en forme de croissant. Il cacha aux deux extrémités de cette montagne des pierres et des tireurs, et fit avancer ses troupes dans la plaine qui était au-devant de cette montagne. Quand les Macédoniens eurent commencé à lancer leurs traits, les Phocéens firent semblant de fuir vers le milieu de la montagne, et les Macédoniens les suivirent avec ardeur. Ceux qui étaient postés aux deux pointes de la montagne, endommagèrent extrêmement la phalange macédonienne à coups de pierres. En même temps Onomarque fit faire volte-face à ses troupes. Ses Phocéens donnèrent courageusement sur la phalange macédonienne, qui, se trouvant maltraitée en même temps, et en queue, et en tête, eut bien de la peine à faire sa retraite. C'est dans cette fuite qu'on rapporte que Philippe, roi de Macédoine dit : « Je n'ai pas fui ; mais j'ai fait comme le bélier ; j'ai reculé pour commencer à frapper avec plus le force. »