Aulu-Gelle

AULU-GELLE

NUITS ATTIQUES. - NOCTES ATTICÆ.

Livre II.

Autre traduction

 

 

A. GELLII

NOCTIUM ATTICARUM

COMMENTARIUS.

 

 LES NUITS ATTIQUES

D'AULU-GELLE.

 

 

 LIBER SECUNDUS.

CAPUT 1.

Quo genere solitus sit philosophus Socrates exercere patientiam corporis; deque ejusdem viri patientia.

Inter labores voluntarios et exercitia corporis, ad fortuitas patientiae vices firmandi, id quoque accepimus Socratem facere insuevisse.  Stare solitus Socrates dicitur, pertinaci statu, perdius atque pernox a summo lucis ortu ad solem alterum orientem, inconnivens, immobilis, iisdem in vestigiis, et ore atque oculis eumdem in locum directis cogitabundus, tamquam quodam secessu mentis atque animi facto a corpore. Quam rem cum Favorinus de fortitudine eius viri ut pleraque disserens attigisset: Πολλάκις, inquit, ἐξ ἡλίου εἰς ἥλιον ἑστήκει ἀστραβέστερος τῶν πρέμνων. Temperantia quoque fuisse eum tanta traditum est, ut omnia fere vitae suae tempora valitudine inoffensa vixerit. In illius etiam pestilentiae vastitate, quae in belli Peloponnesiaci principis Atheniensium civitatem internecivo genere morbi depopulata est, is parcendi moderandique rationibus dicitur et a voluptatum labe cavisse, et salubritates corporis retinuisse, ut nequaquam fuerit communi omnium cladi obnoxius.

456 LIVRE II.

CHAPITRE I.

 De quelle manière Socrate exerçait son corps à la patience : force de volonté de ce philosophe.

Parmi les travaux et les exercices volontaires par lesquels Socrate endurcissait son corps et l'aguerrissait contre la souffrance, voici une épreuve singulière qu'il s'imposait fréquemment. On dit que souvent il restait debout dans la même attitude, pendant tout le jour, et même pendant la nuit, depuis le lever du soleil jusqu'au retour de l'aurore, sans faire un seul mouvement, sans remuer les paupières, toujours à la même place, la tête et les yeux fixes, l'âme plongée dans des pensées profondes, et comme isolée do corps par la méditation. Favorinus, nous parlant un jour de la patience de ce philosophe, nous en rapportait cette marque frappante, et disait que« souvent Socrate « restait dans la même position, d'une aurore à l'autre, immobile et aussi droit qu'un tronc d'arbre. » On dit aussi qu'il était si tempérant et si réglé, que, pendant tout le cours de sa vie, sa santé ne se dérangea peut-être pas une seule fois. Même, lorsqu'au commencement de la pierre du Péloponnèse, une affreuse contagion vint dépeupler Athènes par ses ravages exterminateurs, la sobriété du philosophe, l'égalité de son régime, son éloignement des voluptés, l'influence d'une vie pure et saine, le préservèrent du mal auquel personne n'échappait

CAPUT II.

Quae ratio observatioque officiorum esse debeat inter patres filiosque in discumbendo sedendoque, atque id genus rebus domi forisque, si filii magistratus sunt et patres privati; superque ea re Tauri philosophi dissertatio, et exemplum ex historia Romana petitum.

Ad philosophum Taurum Athenas visendi cognoscendique ejus gratia venerat V. Cl., praeses Cretae provinciae : et cum eo simul ejusdem praesidis pater. Taurus, sectatoribus commodum dimissis, sedebat pro cubiculi sui foribus, et cum assistentibus nobis sermocinabatur. Introivit provinciae praeses, et cum eo pater. Assurrexit placide Taurus : et post mutuam salutationem resedit. Allata mox una sella est, quae in promptu erat, atque, dum aliae promebantur, apposita est. Invitavit Taurus patrem praesidis, ut sederet. Atque ille ait: « Sedeat hic potius, qui populi Romani magistratus est. -- Absque praeiudicio », inquit Taurus, «  tu interea sede, dum inspicimus quaerimusque, utrum conveniat tene potius sedere, qui pater es, an filium, qui magistratus est. » Et, cum pater assedisset, appositumque esset aliud filio quoque ejus sedile, verba super ea re Taurus facit cum summa, dii boni ! honorum atque officiorum perpensatione. Eorum verborum sententia haec fuit: In publicis locis atque muneribus atque actionibus patrum jura cum filiorum, qui in magistratu sunt, potestatibus collata interquiescere paululum et conivere : sed cum extra rempublicam in domestica re atque vita sedeatur, ambuletur, in convivio quoque familiari discumbatur, tum inter filium magistratum et patrem privatum publicos honores cessare ; naturales et genuinos exoriri. Hoc igitur, inquit, quod ad me venistis, quod colloquimur nunc, quod de officiis disceptamus, privata actio est. Itaque utere apud me iis honoribus prius, quibus domi quoque vestrae te uti priorem decet. Haec atque alia in eandem sententiam Taurus graviter simul et comiter disseruit. Quid autem super hujuscemodi patris atque filii officio apud Claudium legerimus, non esse ab re visum est, ut adscriberemus. Posuimus igitur verba ipsa Quadrigarii ex Annali ejus sexto transscripta:  « Deinde facti consules Sempronius Gracchus iterum, Q. Fabius Maximus filius ejus, qui priore anno erat consul. Ei consuli pater proconsul obviam in equo vehens venit, neque descendere voluit, quod pater erat : et, quod inter eos sciebant maxima concordia convenire, lictores non ausi sunt descendere jubere. Ubi iuxta venit, tum consul ait: Descendere jube. Quod poesteaquam lictor ille, qui apparebat, cito intellexit, Maximum proconsulem descendere jussit. Fabius imperio paret : et filium collaudavit, cum imperium, quod populi esset, retineret. »

CHAPITRE II.

Quels procédés doivent observer entre eux les. pères et Ies fils, soit pour se mettre à table, soit pour prendre des sièges, soit dans d'autres cas semblables, tant chez eux qu'au dehors, lorsque le fils est magistrat et le père simple particulier. Dissertation du philosophe Taurus sur ce sujet : exemple tiré de l'histoire romaine.

Un jour, le proconsul qui gouvernait la province de Crète vint à Athènes avec son père, pour rendre visite au philosophe Taurus, qu'il désirait connaître. Ils arrivèrent fort à propos au moment où Taurus, ayant achevé sa leçon, venait de congédier ses élèves, et s'entretenait familièrement avec nous, assis sous le vestibule de sa demeure, En voyant entrer le proconsul et son père, Taurus se leva tranquillement, leur rendit leurs salutations, et se remit à sa place. Il n'y avait là qu'un siège dont on pût disposer; on l'avança, et, tandis qu'on allait en chercher d'autres, Taurus invita le père à s'y placer. « Non, dit celui-ci; que mon fils le prenne, il est magistrat du peuple romain. — Asseyez-vous toujours, lui 457 dit Taurus sans préjudice des droits de votre fils; et nous examinerons ensemble lequel de vous deux devait s'asseoir le premier, et si la dignité du père doit remporter en pareil cas sur celle du magistrat. » Le père s'étant assis, et le siège pour son fils étant arrivé, Taurus se mit à disserter sur cette question : il compara et apprécia avec une admirable justesse les procédés et les devoirs réciproques des pères et des enfants. Voici quel fut le résumé de son opinion. Dans les lieux publics, dans toutes les circonstances où le fils remplit ses fonctions de magistrat, la paternité doit abdiquer un instant ses droits, et céder la place : mais, hors des affaires publiques, dans les différentes circonstances de la vie domestique, dans les cercles, dans les promenades, dans les repas intimes, alors les rapports du père et du fils changent, la magistrature perd ses droits, et la nature reprend les siens. « Or, la visite dont vous m'honorez, cet entretien, l'examen que nous faisons ensemble de ces sortes de convenances, tout cela appartient à la vie privée. Jouissez donc chez moi, dit Taurus en s'adressant au père, des honneurs et de la préséance dont vous jouiriez chez vous. » Taurus tint encore sur ce sujet d'autres discours semblables, avec autant de gravité que de politesse. Je crois qu'il ne sera pas hors de propos de citer ici un passage de Cl. Quadrigarius, relatif à cette question de prééminence, que j'ai trouvé dans le sixième livre des Annales de cet historien. « Ensuite, dit-il, furent nommés consuls Sempronius Gracchus, qui l'avait déjà été une fois, et Fabius Maximus, fils du Fabius qui avait rempli cette charge l'année précédente. Un jour le père, qui n'était plus que proconsul, étant venu à cheval au-devant de son fils, consul, crut que l'autorité paternelle le dispensait de mettre pied à terre. Les licteurs, connaissant la parfaite intelligence qui régnait entre eux, n'osèrent lui ordonner de descendre; mais, quand il fut plus près, le consul dit au licteur de faire son devoir,  et celui-ci ordonna au proconsul de descendre aussitôt. Fabius le père obéit, et félicita son fils d'avoir soutenu la dignité d'une magistrature qu'il tenait du peuple romain. »

 CAPUT III.

 Qua ratione verbis quibusdam vocabulisque veteres immiserint h litterae spiritum.

H litteram, sive illam spiritum magis, quam litteram, dici oportet, inserebant eam veteres nostri plerisque vocibus verborum firmandis roborandisque, ut sonus earum esset viridior vegetiorque; atque id videntur fecisse studio et exemplo linguae Atticae. Satis notum est Atticos ἰχθὺς et ἵρος et multa itidem alia contra morem gentium Graeciae ceterarum inspirantis primae litterae dixisse. Sic lachrymas, sic sepulchrum, sic ahenum, sic vehemens, sic incohare, sic helluari, sic halucinari, sic honera, sic honestum dixerunt. In his enim verbis omnibus litterae seu spiritus istius nulla ratio visa est, nisi ut firmitas et vigor vocis, quasi quibusdam nervis additis, intenderetur. Sed quoniam aheni, quoque exemplo usi sumus, venit nobis in memoriam, Fidum Optatum, multi nominis Romae grammaticum ostendisse mihi librum Aeneidos secundum, mirandae vetustatis, emptum in Sigillariis XX. aureis, quem ipsius Virgili fuisse credebatur : in quo duo isti versus cum ita scripti forent:

Vestibulum ante ipsum primoque in limine Pyrrus
Exsultat telis et luce coruscus aëna,

additam supra vidimus h litteram et ahena factum. Sic in illo quoque Vergili versu in optimis libris scriptum invenimus:

Aut foliis undam trepidi despumat aheni.

CHAPITRE III.

Pour quelle raison les anciens ont introduit dans certains mots la lettre aspirée h.

Souvent nos ancêtres, pour donner à un mot plus de force et de vigueur, et en rendre la prononciation plus vive et plus ferme, y introduisaient la lettre h, qu'il serait peut-être plus juste de regarder comme une simple aspiration. ils semblent avoir emprunté cet usage aux Athéniens : car on sait que dans la langue attique il y a beaucoup de mots, tels que ἰχθὺς, poisson, ἵρος, sacré, dont la première lettre est aspirée, contrairement à l'usage du reste de la Grèce. De même, on a dit chez nous lachrymœ larmes, ahenum, d'airain, vehemens, véhément, inchoare, ébaucher, helluari, dévorer, halucinari, se tromper, honera, fardeaux, honustus, chargé. En faisant entrer dans tous ces mots la lettre ou l'aspiration h, on n'a eu d'autre but que de donner au son plus de nerf et de vigueur. Ce mot d'ahenus, que j'ai cité pour exemple, me rappelle qu'un jour Fidus Optatus, grammairien fort célèbre à Rome, me fit voir un manuscrit ancien et fort précieux du second livre de l'Enéide, qu'il avait acheté 458 deux mille sesterces, dans le quartier des Sigillaires, et qui passait pour l'original même de Virgile : voici ce que j'y remarquai en lisant ces deux vers:

« Sur le seuil de la porte, à l'entrée même du vestibule, Pyrrhus bondit, étincelant de l'éclat de ses armes d'airain. »

Exsultat telis et luce coruscus aëna.

On avait écrit aëna, mais j'aperçus une h qui avait été mise au-dessus du mot. De même, dans les meilleurs textes de Virgile, on lit ce vers écrit ainsi :

Aut foliis undam tepidi despumat aheni.

« Ou bien, avec un rameau, elle écume la chaudière bouillante.  »

CAPUT IV.

Quam ob causam Gabius Bassus genus quoddam iudicii divinationem appellari scripserit; et quam alii causam esse ejusdem vocabuli dixerint.

Cum de constituendo accusatore quaeritur, judiciumque super ea re redditur, cuinam potissimum ex duobus pluribusve accusatio subscriptiove in reum permittatur ; ea res atque judicum cognitio divinatio appellatur.  Id vocabulum quam ob causam ita factum sit, quaeri solet. Gabius Bassus in tertio librorum, quos De Origine Vocabulorum composuit: « Divinatio, » inquit, « judicium appellatur, quoniam divinet quodammodo judex oportet, quam sententiam sese ferre par sit. » Nimis quidem est in verbis Gabii Bassi ratio imperfecta, vel magis inops et jejuna. Sed videtur tamen significare velle, idcirco dici divinationem, quod in aliis quidem causis judex ea [quae] didicit ; quaeque argumentis vel testibus demonstrata sunt, sequi solet : in hac autem re, cum eligendus accusator est, parva admodum et exilia sunt, quibus moveri judex possit ; et propterea, quinam magis ad accusandum idoneus sit, quasi divinandum est. Haec Bassus. Sed alii quidam divinationem esse appellatam putant, quoniam, cum accusator et reus duae res quasi cognatae coniunctaeque sint, neque utra sine altera constare possit ; in hoc tamen genere causae reus quidem jam est, sed accusator nondum est : et idcirco, quod adhuc usque deest et latet, divinatione supplendum est, quisnam sit accusator sit futurus.

CHAPITRE IV.

Pour quelle raison, suivant Gabius Bassus, on appelle divination un certain genre de jugement. Comment d'autres expliquent ce mot.

Dans un procès, quand il s'agit de savoir qui sera chargé de l'accusation, et que deux ou plusieurs personnes demandent à se faire inscrire pour ce ministère, le jugement par lequel le tribunal nomme l'accusateur s'appelle divination. On a cherché d'où venait ce terme. Gabius Bassus, dans le troisième livre de son traité Sur l'origine des mots, dit que « ce jugement s'appelle divination, parce qu'alors le juge, pour savoir quelle sentence il doit rendre, est forcé de deviner, en quelque sorte. » Cette explication, telle que Gabius la présente dans sa phrase, n'est pas assez motivée, et semble même très insuffisante; mais, sans doute, il veut dire qu'on a adopté ce mot de divination, parce que, dans les autres causes, le juge se détermine d'après l'instruction de l'affaire, la nature des preuves, les dépositions des témoins ; et que, lorsqu'il s'agit du choix d'un accusateur, il n'a pour se décider que des raisons très-faibles, et est réduit à deviner, en quelque sorte, quel est le plus propre à remplir ce ministère. Voilà l'opinion de Bassus. Selon d'autres, ce mot de divination vient de ce que, l'accusateur et l'accuse étant deux choses corrélatives, et qui ne peuvent subsister Tune sans l'autre, et l'espèce de cause dont il s'agit ici présentant un accusé sans accusateur, il faut recourir à la divination pour trouver ce que la cause ne donne pas, ce qu'elle laisse encore inconnu, c'est à-dire l'accusateur.

 CAPUT V.

Quam lepide signateque dixerit Favorinus philosophus, quid intersit inter Platonis et Lysiae orationem.

Favorinus de Lysia et Platone solitus dicere est : Si ex Platonis, inquit, oratione verbum aliquod demas mutesve, atque id commodatissime facias, de elegantia tamen detraxeris : si ex Lysiae, de sententia.

CHAPITRE V.

Paroles ingénieuses et expressives du philosophe Favorinus, pour marquer la différence du style de Platon avec celui de Lysias.

Favorinus disait de Lysias et de Platon : « Modifiez, ou supprimez une expression dans le discours de Platon; si adroitement que vous fassiez ce changement, vous altérerez l'élégance : faites la même épreuve sur Lysias, vous altérerez la pensée. »

 CAPUT VI.

 Quibus verbis ignaviter et abjecte Virgilius usus esse dicatur; et quid iis, qui id improbe dicunt, respondeatur.

Nonnulli grammatici aetatis superioris, in quibus est Cornutus Annaeus, hautdsane indocti neque ignobiles, qui commentaria in Virgilium composuerunt, reprehendunt quasi incuriose et abjecte verbum positum in his versibus:

Candida succinctam latrantibus inguina monstris
Dulichias vexasse rates, et gurgite in alto
Ah timidos nautas canibus lacerasse marinis.

Vexasse enim putant verbum esse leve et tenuis ac parvi incommodi ; nec tantae atrocitati congruere, cum homines repente a bellua immanissima rapti laniatique sint. Item aliud hujuscemodi reprehendunt:

Omnia jam vulgata, quis aut Eurysthea durum
aut illaudati nescit Busiridis aras?

Illaudati parum idoneum esse verbum dicunt ; neque id satis esse ad faciendam scelerati hominis detestationem : qui, quod hospites omnium gentium immolare solitus fuit, non laude indignus, sed detrectatione exsecrationeque totius generis humani dignus esset. Item aliud verbum culpaverunt:

Per tunicam squalentem auro latus haurit apertum.

Tanquam [si] non convenerit dicere : auro squalentem : quoniam nitoribus splendoribusque auri squaloris inluvies sit contraria. Sed de verbo vexasse ita responderi posse credo: Vexasse grave verbum est, factumque ab eo videtur, quod est vehere : in quo inest vis jam quaedam alieni arbitrii.  Non enim sui potens est, qui vehitur. Vexare autem, quod ex eo inclinatum est, vi atque motu procul dubio vastiore est. Nam qui fertur et rapsatur, atque huc atque illuc distrahitur, is vexari proprie dicitur, sicuti taxare pressius crebriusque est, quam tangere, unde id procul dubio inclinatum est : et jactare multo fusius largiusque est, quam jacere, unde id verbum traductum est : et quassare quam quatere gravius violentiusque est. Non igitur, quia volgo dici solet vexatum esse quem fumo aut vento aut pulvere, propterea debet vis vera atque natura verbi deperire ; quae a veteribus, qui proprie atque signate locuti sunt, ita ut decuit, conservata est. M. Catonis verba sunt ex oratione, quam De Achaeis scripsit: « Cumque Hannibal terram Italiam laceraret atque vexaret ». Vexatam Italiam dixit Cato ab Hannibale, quando nullum calamitatis aut saevitiae aut immanitatis genus reperiri queat, quod in eo tempore Italia non perpessa sit.  M. Tullius IV. In Verrem: «  Quae ab isto sic spoliata atque direpta est, non ut ab hoste aliquo, qui tamen in bello religionem et consuetudinis jura retineret, sed ut a barbaris praedonibus vexata esse videatur. » 9 De illaudato autem duo videntur responderi posse. Unum est eiusmodi: Nemo quisquam tam efflictis est moribus, quin faciat aut dicat nonnumquam aliquid, quod laudari queat. Unde hic antiquissimus versus vice proverbii celebratus est:

Πολλάκι καὶ κηπωρὸς ἀνὴρ μάλα καίριον εἶπειν.

Sed enim qui omni in re atque omni tempore laude omni vacat, is illaudatus est : isque omnium pessimus deterrimusque est : sicuti omnis culpae privatio inculpatum facit. Inculpatus autem instar est absolutae virtutis; illaudatus quoque igitur finis est extremae malitiae. Itaque Homerus non virtutibus appellandis, sed vitiis detrahendis laudare ampliter solet. Hoc enim est:

Ηὕδα, μάντις ἀμύμων. Et :

Τὼ δ' οὐκ ἄκοντ πετέσθην

Et item illud:

Ἐνθ' οὐκ βρίζοντα ἴδοις Ἀγαμέμνονα δῖον
Οὐδὲ καταπτώσσοντ' οὐδ' ἐθέλοντα μάχεσθαι..

Epicurus quoque simili modo maximam voluptatem privationem detractionemque omnis doloris definivit his verbis: ὅρος τοῦ μεγέθους τῶν ἡδονῶν, ἡ παντὸς τοῦ ἀλγοῦντος ὑπεξαίρεσις.. Eadem ratione idem Virgilius inamabilem dixit Stygiam paludem. Nam sicut illaudatum κατὰ laudis στέρησιν, ita inamabilem κατὰ amoris στέρησιν detestatus est. Altero modo illaudatus ita defenditur: Laudare significat prisca lingua nominare appellareque. Sic in actionibus civilibus auctor laudari dicitur, quod est nominari. Illaudatus autem est, quasi illaudabilis, qui neque mentione aut memoria ulla dignus, neque umquam nominandus est.  Sicuti quondam a communi consilio Asiae decretum est, uti nomen ejus, qui templum Dianae Ephesi incenderat, ne quis ullo in tempore nominaret. Tertium restat ex iis, quae reprehensa sunt, quod tunicam squalentem auro dixit. Id autem significat copiam densitatemque auri in squamarum speciem intexti. Squalere enim dictum a squamarum crebritate asperitateque, quae in serpentium pisciumve coriis visuntur. Quam rem et alii, et hic quidem poeta locis aliquot demonstrat:

Quem pellis, inquit, ahenis
In plumam squamis auro conserta tegebat.

et alio loco:

Jamque adeo rutilum thoraca indutus ahenis
Horrebat squamis.

Accius in Pelopidis ita scribit:

Ejus serpentis squamae squalido auro et purpura pertextae.

Quicquid igitur nimis inculcatum obsitumque aliqua re erat, ut incuteret visentibus facie nova horrorem, id squalere dicebatur. Sic in corporibus incultis squamosisque alta congeries sordium squalor appellatur : cujus significationis multo assiduoque usu totum id verbum ita contaminatum est, ut jam squalor de re alia nulla, quam de solis inquinamentis dici coeperit.

CHAPITRE VI.

De plusieurs expressions de Virgile condamnées par quelques-uns comme incorrectes et basses. Réfutation de ces critiques.

Quelques grammairiens de l'époque précédente, entre autres Cornutus Annaeus, qui certes ne 459 manquaient pas de savoir, et dont le nom n'est pas sans célébrité, reprochent à Virgile, dans les commentaires qu'ils ont composés sur ses vers, d'avoir employé une expression faible et négligée dans cet endroit :

« On dit qu'elle déchaîna contre les vaisseaux d'Ulysse les monstres aboyants, affreuse ceinture de ses flancs d'albâtre ; qu'elle saisissait les matelots éperdus dans la gueule de ses chiens dévorants, et les déchirait au fond du gouffre. »

Candida succinctam latrantibus inguina monstris
Dulichias vexasse rates, etc.

Ils disent que ce mot de vexasse n'a pas assez de force, qu'il n'exprime qu'un mal faible et léger, qu'il ne convient pas à l'horrible peinture d'un monstre épouvantable, saisissant et déchirant des hommes. Ils reprennent un autre mot dans ces vers :

« Tous les autres sujets sont devenus vulgaires. Qui ne connaît les rigueurs du cruel Eurysthée, et les autels sanglants de l'exécrable Busiris ? »

Aut illaudati nescit Busiridis aras?

Ils prétendent que le mot illaudatus (qu'on ne peut louer) est impropre en cet endroit; qu'il n'exprime pas assez fortement la cruauté de Busiris ; qu'un tyran, accoutumé à égorger les étrangers de toutes les nations qui arrivaient dans ses États, n'était pas indigne de louanges, mais digne de l'horreur et de l'exécration du genre humain. Enfin ils blâment encore une autre expression dans le vers suivant :

« Le fer déchire sa tunique, où l'or se hérisse en écailles, et s'enfonce dans son flanc. »

Per tunicam squalentem auro latos haurit apertum.

Il leur semble qu'on ne peut pas dire, auro squalens, parce que le verbe squalere, qu'on emploie  pour désigner les objets salis et souillés, n'a aucun rapport avec l'éclat de l'or. Voici comment je pense qu'on peut leur répondre. D'abord, pour vexare, ce verbe a un sens très-fort : il vient selon toute apparence de vehere, tirer, entraîner, qui déjà exprime lui-même l'impulsion énergique d'une force étrangère; car celui qui est entraîné n'est plus maître de son action. Mais vexare, qui en est dérivé, est bien plus expressif encore, et indique un mouvement bien plus énergique. On s'en sert au propre en parlant de quelqu'un qui est emporté violemment, poussé et repoussé en sens contraire. C'est ainsi que taxare a une signification plus vigoureuse que tangere, dont il est évidemment le fréquentatif; que jactare a plus de force et d'étendue que jacere, dont il est tiré; que quassare exprime une action plus animée et plus violente que quatere. Il est vrai qu'on dit souvent, vexatus fumo, vento, pulvere, incommodé par la fumée, le vent ou la poussière : mais ce mot ne doit pas perdre pour cela sa valeur propre et naturelle, celle que lui ont toujours donnée les anciens écrivains, observateurs fidèles de la propriété des termes. M. Caton, dans son discours Sur les Achéens, s'exprime ainsi : « Lorsqu'Annibal ravageait et désolait l'Italie. » Terram Italiam laceraret atque vexaret. Caton emploie ici ce mot de vexare en parlant de l'Italie accablée, comme elle l'était alors, par tout ce qu'on peut imaginer de calamités, de cruautés et de barbaries. Citons encore cette phrase du quatrième discours de Cicéron contre Verrès : « Il a tellement dévasté par ses vols cette malheureuse province, qu'elle semble avoir été ravagée, non par une guerre, non par un ennemi assez civilisé pour respecter encore les droits de la religion et de l'humanité, mais par des bar- 460 bares, par des pirates. » Ut a barbaris prœdonibus vexata esse videatur. Quant au mot illaudatus, son emploi peut être justifié de deux manières. D'abord, on peut dire qu'il n'y a point d'homme assez dépravé et assez méchant pour qu'on ne puisse trouver dans quelques-unes de ses actions ou de ses paroles quelque chose à louer. C'est ce qu'exprime cet ancien vers devenu proverbe :

« Souvent un jardinier parle comme un sage. »

Donc, s'il se rencontre quelqu'un qui, dans aucune action, dans aucune circonstance de sa vie, n'ait jamais mérité un seul éloge, et à qui on puisse, pour cette raison, appliquer l'épithète d'illaudatus, ce sera le plus méchant et le plus détestable de tous les hommes. Cet emploi d'illaudatus ressemble à celui qu'on fait d'inculpatus. Ce dernier mot désigne l'absence de toute faute, il exprime le plus haut degré d'innocence et de vertu, comme illaudatus indique le dernier degré de corruption et de méchanceté. Aussi, dans les plus grands éloges qu'il donne à ses héros, Homère parle-t-il moins des vertus qu'ils possèdent que des vices qu'ils n'ont pas ; par exemple, il a dit :

« Ainsi parla le devin irréprochable. »

Et ailleurs :

« Tous deux coururent, non malgré eux. »

Et dans un autre endroit :

« Alors vous n'eussiez pas vu le grand Agameranon sommeiller, ou hésiter, glacé de crainte, ou refuser le combat. »

De la même manière, quand Épicure veut définir le souverain bien, il dit que c'est l'absence de toute souffrance. Voici ses propres termes : « Le degré le plus élevé de bonheur, c'est la privation de toute douleur. » C'est encore d'après le même principe que Virgile dit ailleurs inamabilis (qu'on ne peut aimer), en parlant du Styx. Comme illaudatus impliquait pour lui l'absence de tout ce qu'on peut louer, inamabilis entraîne à ses yeux l'absence de tout ce qu'on peut aimer : voilà pourquoi il prête à ces deux mots le sens le plus odieux. Mais il y a encore une antre manière de justifier illaudatus. Dans les premiers temps de la langue latine, laudare signifiait nommer, appeler. Encore aujourd'hui, dans les causes civiles, on se sert, en parlant du demandeur, du mot laudatur, pour dire, il est appelé. Dans ce sens, illaudatus serait la même chose qu'illaudabilis, et désignerait celui qui est indigne d'occuper une place dans la mémoire et les discours des hommes, et dont on ne doit pas prononcer le nom : par exemple, il se dirait bien d'Érostrate, dont une assemblée générale de l'Asie, convoquée après l'incendie du temple de Diane, défendit de prononcer jamais le nom. Il reste à répondre au sujet de l'expression, tunicam squalentem auro. Il faut entendre par là un épais tissu d'or, disposé en forme d'écaillés. En effet, squalere désigne au propre les aspérités que forme sur le corps des serpents et des poissons le tissu serre de leurs écailles. L'expression de Virgile s'explique par des vers d'autres poètes ; il nous la fait comprendre lui-même en disant ailleurs :

« Il était revêtu d'une peau que couvraient des lames d'airain disposées en forme de plumes et  enrichies d'or. »

 Et ailleurs :

« Déjà il avait revêtu sa cuirasse brillante,  hérissée d'écaillés d'airain. »

Attius dit dans sa tragédie des Pélopides:

« Les écailles de ce serpent se hérissaient, brillantes de pourpre et d'or. »

Ejus serpentis squamae squadido auro et purpura pretextae.

Ainsi, d'abord squalere se disait de tons les objets rendus épais et rades par une cause quelconque, et dont l'aspect hérissé inspire uoe certaine horreur.Mais comme on se servait de squalor pour désigner les aspérités produites par un amas d'ordures sur les corps incultes et raboteux, peu à peu un long usage de ce mot dans ce sens particulier en a fait oublier la signification propre, et maintenant squalor ne se prend plus que dans le sens de saleté, ordure.

CAPUT VII.

De officio erga patres liberorum : deque ea re ex philosophiae libris, in quibus scriptum quaesitumque est, an [semper] omnibus[que] patris jussis obsequendum sit.

Quaeri solitum est in philosophorum disceptationibus, an semper inque omnibus jussis patri parendum sit. Super ea re Graeci nostrique, qui de officiis scripserunt, tres sententias esse, quae spectandae considerandaeque sint, tradiderunt ;easque subtilissime diiudica[ve]runt. Earum una est : omnia, quae pater imperat, parendum.  Altera est : in quibusdam parendum, quibusdam non obsequendum. Tertia est : nihil necessum esse patri obsequi et parere. Haec sententia quoniam primore aspectu nimis infamis est, super ea prius, quae dicta sunt, dicemus. Aut recte, inquiunt, imperat pater, aut perperam. Si recte imperat, non, quia imperat, parendum, sed, quoniam id fieri jus est, faciendum est : si perperam, nequaquam scilicet faciendum, quod fieri non oportet. Deinde ita concludunt, numquam est igitur patri parendum, quae imperat. Sed neque istam sententiam probari accepimus : argutiola quippe haec, sicuti mox ostendemus, frivola et inanis est.  Neque autem illa, quam primo in loco diximus, vera et proba videri potest : omnia esse, quae pater jusserit, parendum. Quid enim ? si proditionem patriae, si matris necem, si alia quaedam imperabit turpia aut impia? Media igitur sententia optima atque tutissima visa est : quaedam esse parendum, quaedam non obsequendum. Sed ea tamen, quae obsequi non oportet, leniter et verecunde ac sine detestatione nimia sineque obprobratione acerba reprehensionis declinanda sensim et relinquenda esse dicunt quam respuenda. Conclusio vero illa, qua colligitur, sicuti supra dictum est, nihil patri parendum, imperfecta est, refutarique ac dilui sic potest: Omnia, quae in rebus humanis fiunt, ita ut docti censuerunt, aut honesta sunt aut turpia. Quae sua vi recta aut honesta sunt, ut fidem colere, patriam defendere, ut amicos diligere, ea fieri oportet, sive imperet pater sive non imperet. Sed quae his contraria, quaeque turpia, omnino iniqua sunt, ea ne si imperet quidem. Quae vero in medio sunt, et a Graecis tum ἀδιάφορα, tum μέσα appellantur, ut : in militiam ire, rus colere, honores capessere, causas defendere, uxorem ducere, uti jussum proficisci, uto accersitum venire ; quoniam et haec et his similia per sese ipsa neque honesta sunt neque turpia, sed, proinde ut a nobis aguntur, ita ipsis actionibus aut probanda fiunt aut reprehendenda: propterea in ejusmodi omnium rerum generibus patri parendum esse censent ; veluti si uxorem ducere imperet, aut causas pro reis dicere. Quod enim utrumque in genere ipso per sese neque honestum neque turpe est, idcirco, si pater jubeat, obsequendum est. Sed enim si imperet, uxorem ducere infamem, propudiosam, criminosam : aut pro reo Catilina aliquo, aut Tubulo, aut P. Clodio causam dicere ? Non scilicet parendum ; quoniam accedente aliquo turpitudinis numero desinunt esse per sese haec media atque indifferentia. Non ergo integra est propositio dicenda : aut honesta sunt, quae imperat pater, aut turpia. Neque ὑγιὲς et νόμιμον διεζευγμένον videri potest. Deest enim disjunctioni isti tertium: aut neque honesta sunt, neque turpia. Quod si additur, non potest ita concludi: [non]numquam est igitur patri parendum.

CHAPITRE VII.

Sur les devoirs des enfante envers leurs pères. Opinions extraites des philosophes qui ont traité cette question, Si l'on doit toujours, et en toute circonstance, obéir aox ordres d'un père.

Une question souvent débattue dans les écoles de philosophie, c'est celle de savoir s'il faut toujours, et en tout cas, obéir aux ordres de son père. Les philosophes grecs et latins qui ont écrit sur la morale distinguent, au sujet de cette question, trois règles de conduite différentes, sur lesquelles ils se livrent à une discussion extrêmement subtile. Voici ces trois règles : la première est qu'un fils doit toujours obéir à son père dans tout ce qu'il commande ; la seconde, qu'il est des circonstances où l'obéissance cesse d'être pour loi un devoir; la troisième, qu'il n'est aucun cas où il soit obligé d'obéir. Comme cette dernière proposition est singulièrement révoltante au premier abord, commençons par elle, et expliquons la pensée de ceux qui l'avancent. Les ordres d'un père, disent-ils, sont justes ou injustes. Si ce que commande un père est juste, il faut le faire, non parce qu'il le commande, mais parce que le devoir oblige de le faire. Si ses ordres sont injustes, il ne faut point obéir, parce que le devoir le défend. Ils arrivent ainsi à cette conclusion, que le fils n'est jamais tenu d'obéir à son père. Mais la conclusion est inadmissible; le raisonnement dont elle est tirée n'est qu'une vaine subtilité, comme je le montrerai tout à l'heure. Revenons maintenant au premier des trois principes énoncés, à celui d'après lequel on doit toujours obéir à son père. Il contredit la vérité et la raison. Faudrait-il obéir, si un père nous ordonnait de trahir notre patrie, de tuer notre mère, ou exigeait de nous quelque autre action honteuse ou sacrilège ? L'opinion la plus sûre et la plus raisonnable est celle qui, prenant un moyen terme, établit qu'on doit obéir dans certaines circonstances, et ne pas obéir dans d'autres. Mais, alors même qu'on est forcé de désobéir, on doit le faire avec modération et respect, sans éclat d'indignation, sans reproches amers, de telle sorte qu'on ait plutôt l'air d'éluder les ordres que de les repousser ouvertement. Montrons maintenant la fausseté du raisonnement rapporté plus haut, d'où on conclut que l'obéissance envers un père n'est jamais un devoir. Voici de quelle manière on peut le réfuter. Selon l'avis des maîtres de la philosophie, toutes les actions humaines sont honnêtes ou déshonnêtes. Tout ce qui est honnête en soi, comme, par exemple, garder sa parole, défendre sa patrie, chérir ses amis, tout ce qui est bien en principe, nous devons le faire, qu'un père l'ordonne ou ne l'ordonne pas. Au contraire, nous ne devons rien faire de ce qui est injuste et infâme, quand même un père l'ordonnerait. Mais n'oublions pas qu'entre ces deux espèces d'actions, il y a celle des actions indifférentes en elles-mêmes, que les Grecs 462 appellent ἀδιάφορα et μέσα comme, par exemple, aller à la guerre, cultiver son champ, parvenir aux honneurs, plaider des causes, se marier, partir pour exécuter en ordre, se rendre où l'on est appelé, toutes choses qui ne sont par elles-mêmes ni honnêtes, ni déshonnêtes, et qui n'empruntent leur mérite ou leur blâme qu'à la manière dont elles se font. Dans toutes ces choses, on doit obéissance aux ordres d'un père : par exemple, le fils obéira, si la volonté de son père est qu'il se marie, ou qu'il embrasse la profession d'avocat. Ici, en effet, il s'agit d'actions qui ne sort par elles-mêmes ni bonnes, ni mauvaises : il faut donc ici se conformer à la volonté paternelle. Quoi donc! si un père ordonnait à son fils de prendre pour épouse une femme perdue et déshonorée, ou bien d'aller défendre devant les tribunaux la cause d'un Catilina, d'un Tubulon, d'un Clodius, le fils devrait obéir? Non sans doute. En effet, ces actions reçoivent des circonstances un caractère d'infamie, et cessent dès lors d'être indifférentes. On avait donc tort de dire d'une manière absolue : les ordres d'un père sont justes ou injustes. La distinction n'est pas vraie; pour qu'elle le fût, il faudrait ajouter : ou bien ne sont ni justes ni injustes. Si on ajoute cela, alors la conclusion est que, dans certains cas, il fout obéir à l'autorité paternelle.

CAPUT VIII.

Quod parum aequa reprehensio Epicuri a Plutarcho peracta [sit] in syllogismi disciplina.

Plutarchus secundo librorum, quos De Homero composuit, inperfecte atque praepostere atque inscite synlogismo esse usum Epicurum dicit verbaque ipsa Epicuri ponit: Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς. τὸ γὰρ διαλυθὲν ἀναισθητεῖ· τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς. Nam praetermisit, inquit, quod in prima parte sumere debuit, Τὸν θάνατον εἶναι ψυχής καὶ σώματος διάλυσιν. Tum deinde eodem ipso, quod omiserat, quasi posito concessoque ad confirmandum aliud utitur. Progredi autem hic, inquit, syllogismus, nisi illo prius posito non potest. Vere hoc quidem Plutarchus de forma atque ordine syllogismi scripsit. Nam si, ut in disciplinis traditur, ita colligere et ratiocinari velis, sic dici oportet : Ὁ θάνατος ψυχῆς κα`θ σώματος διάλυσις· τὸ δὲ διαλυθὲν ἀναισθητεῖ.  τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς. Sed Epicurus, cuiusmodi homost, non inscitia videtur partem istam syllogismi praetermisisse.  Neque id ei negotium fuit, syllogismum tanquam in scholis philosophorum cum suis numeris omnibus et cum suis finibus dicere ; sed profecto, quia separatio animi et corporis in morte evidens est, non est ratus, necessariam esse ejus admonitionem, quod omnibus prosus erat obvium. Sicuti etiam, quod conlusionem syllogismi non in fine posuit, sed in principio: nam id quoque non imperite factum quis non videt?  Apud Platonem quoque multis in locis reperias syllogismos, repudiato conversoque ordine isto, qui in docendo traditur, cum eleganti quadam reprehensionis contemptione positos esse.

CHAPITRE VIII.

Critique peu juste adressée par Plutarque à Épicure sur une prétendue infraction aux règles du syllogisme.

Plutarque, au second livra de son traité Sur Homère, accuse Épicured'avoir fait un syllogisme incomplet, irrégulier et vicieux, dans cette phrase qu'il cite : « La mort n'est rien pour nous : en effet, ce qui est dissous est insensible : or, ce qui  est insensible n'a aucun rapport avec nous. » Il a omis, dit Plutarque, la proposition qui devait se trouver dans la première partie du raisonnement : « La mort est la dissolution de l'âme et du corps. » Puis, comme s'il avait avancé et établi cette proposition, il s'en sert pour prouver autre chose. Mais il fallait l'exprimer d'abord; sans cela, le syllogisme ne peut marcher. Sans doute, à la rigueur, cette remarque du critique est juste. Si l'on voulait faire un raisonnement exactement conforme aux règles de l'école, il faudrait dire : « La mort est la dissolution de l'âme et du corps : or, ce qui est dissous est insensible, et ce qui est insensible n'a aucun rapport avec nous. » Mais assurément, quelque opinion qu'on ait d'Épicure, on ne pourra pas dire que c'est par ignorance qu'il a omis une des prémisses de ce syllogisme. Il n'a pas songé à faire un syllogisme parfait et rigoureux de tout point, comme les raisonnements de l'école. La mort étant évidemment la séparation de l'âme et du corps, il n'a pas cru nécessaire de rappeler une vérité qui se présente naturellement à l'esprit On a pu remarquer aussi qu'il avait placé sa conclusion au commencement, et non à la fin : croira-t-on que c'est par ignorance qu'il l'a fait? De même aussi Platon renverse souvent l'ordre méthodique dans ses syllogismes, et s'affranchit de la règle avec une élégante liberté.

CAPUT IX.

Quod idem Plutarchus evidenti calumnia verbum ab Epicuro dictum insectatus sit.

In eodem libro idem Plutarchus eumdem Epicurum reprehendit, quod verbo usus sit parum proprio et alienae significationis. Ita enim scripsit Epicurus: Ὄρος τοῦ μεγέθους τῶν ἡδονῶν, ἡ παντὸς τοῦ ἀλγοῦντος ὑπεξαίρεσις. Non, inquit,  παντὸς τοῦ ἀλγοῦντος, sed παντὸς τοῦ ἀλγοῦντος dicere oportuit.  Detractio enim significanda est doloris, inquit, non dolentis. Nimis minute ac prope etiam subfrigide Plutarchus in Epicuro accusando λεξιθηρεῖ. Has enim curas vocum verborumque elegantias non modo non sectatur Epicurus, sed etiam insectatur.

 CHAPITRE IX.

Critique évidemment basse de Plutarque sur une expression d'Epicure.

Dans ie même livre, Plutarque adresse encore une autre critique à Epicure : c'est sur un mot qu'il trouve impropre et employé d'une manière inusitée. Épicure a dit : « Le degré le plus élevé de bonheur est l'absence de toute souffrance. »   Ἡ παντὸς τοῦ ἀλγοῦντος ὑπεξαίρεσις. Plutarque prétend qu'il aurait dû dire τοῦ ἀλγεινοῦ et non pas τοῦ ἀλγοῦντος, attendu qu'il s'agit en cet endroit,. non de l'être qui souffre, mais de la douleur. Cette critique est frivole, et Plutarque se montre ici d'une exigence trop minutieuse sur les mots. Épicure était fort éloigné, en écrivant, de cette recherche d'exactitude et de ce purisme, dont il a même fait une censure sévère.

CAPUT X.

 Quid sint favisae Capitolinae; et quid super eo verbo M. Varro Servio Sulpicio quaerenti rescripserit.

Servius Sulpicius, juris civilis auctor, vir bene litteratus, scripsit ad M. Varronem, rogavitque, ut rescriberet, quid significaret verbum, quod in censoris libris scriptum esset. Id erat verbum favisae Capitolinae. Varro rescripsit, in memoria sibi esse, quod Q. Catulus, curator restituendi Capitolii, dixisset : Voluisse se aream Capitolinam deprimere, ut pluribus gradibus in aedem conscenderetur, suggestusque pro fastigii magnitudine altior fieret : sed facere id non quisse, quoniam favisae impedissent. Id esse cellas quasdam et cisternas, quae in area sub terra essent : ubi reponi solerent signa vetera, quae ex eo templo collapsa essent, et alia quaedam religiosa e donis consecratis : at deinde eadem epistula negat quidem, se in litteris invenisse, cur favisae dictae sint : sed Q. Valerium Soranum solitum dicere ait, quos thesauros Graeco nomine appellaremus, priscos Latinos flavisas dixisse : quod in eos non rude aes argentumque, sed flata signataque pecunia conderetur. Conjectare igitur se detractam esse ex eo verbo secundam litteram,et favissas esse dictas cellas quasdam et specus, quibus aeditui Capitolii uterentur ad custodiendas res veteres religiosas.

 CHAPITRE X.

Quel est le sens du mot favissœ Capitolinœ. Réponse de M. Varron à Servius Sulpicius, qui le consultait sur ce mot.

Servius Sulpicius, savant jurisconsulte, qui était en même temps un homme fort lettré, écrivit un jour à M. Varron pour lui demander le sens d'un mot qu'il avait trouvé dans les tables des censeurs. Ce mot était, favissœ Capitolinœ. Voici ce que Varron lui répondit. Il se rappelait que Q. Catulus, chargé des réparations du Capitole, avait voulu faire baisser le terrain devant l'édifice, afin de multiplier le nombre des degrés et d'élever la base, de manière à mettre en proportion avec la hauteur du faite; mais qu'il n'avait pu exécuter ce dessein à cause des favissœ, espèces de caves ou de fosses souterraines creusées dans le sol attenant au temple, où l'on déposait les images des Dieux que la vétusté avait abattues et divers objets sacrés provenant des offrandes. Mais Varron ajoute dans la même lettre qu'il n'a pu trouver nulle part l'étymologie de ce mot favissœ; qu'il a seulement entendu dire à Q. Valérius Soranus que ce qu'on désigne aujourd'hui par le mot de thesauri, venu du grec, les anciens Latins l'appelaient flavissœ, parce qu'on y mettait, non de l'argent ou de l'airain brut, mais des pièces de métal fondues et monnayées flata signataque pecunia. Varron conjecture, d'après cette indication, que, la seconde lettre de flavissœ ayant disparu, on a eu ainsi le mot favissœ, par lequel on a désigné ces caves souterraines où les prêtres du Capitole reléguaient les anciens objets du culte.

CAPUT XI.

De Sicinio Dentato egregio bellatore, multa memoratu digna.

L. Sicinium Dentatum, qui tribunus plebi fuit Sp. Tarpeio A. Aternio consulibus, scriptum est in libris annalibus, plus, quam credi debeat, strenuum bellatorem fuisse : nomenque ei factum ob ingentem fortitudinem appellatumque esse Achillem Romanum. Is pugnasse in hostem dicitur centum et XX. proeliis ; cicatricem aversam nullam, adversas quinque et XL. tulisse ; coronis esse donatus esse aureis octo, obsidionali una, muralibus tribus, civicis XIX., torquibus tribus et LXXXa, armillis plus centum LX., hastis duodeviginti; phaleris item donatus est quinquies viciesque.  Spolia militaria [dona] habuit multijuga ; in his provocatoria pleraque. Triumphavit cum imperatoribus suis triumphos novem.

 CHAPITRE XI.

Nombreux et mémorables exploits du brave Stamina Dentatus.

Les anciennes annales rapportent que L. Sicinius Dentatus, qui fût tribun du peuple sous le consulat de Sp.Tarpéius et d'Aulus Atérius,s'illustra par une valeur extraordinaire et des exploits presque incroyables, qui lui firent donner le surnom d'Achille romain. Il se trouva à cent vingt combats : blessé quarante-cinq fois par devant, ii ne le fut jamais par derrière : il reçut pour prix militaires huit couronnes d'or, une couronne 464 obsidionale, trois morales, quatorze civiques, quatre-vingt-trois colliers, plus de cent soixante bracelets, dix-huit javelots, vingt-cinq ornements de chevaux : joignez-y des dépouilles militaires de toute sorte, dont la plupart étaient la récompense des combats singuliers auxquels il avait provoqué l'ennemi. Enfin, il partagea neuf fois avec ses généraux les honneurs du triomphe.

CAPUT XII.

Considerata perpensaque lex quaedam Solonis speciem habens primorem iniquae iniustaeque legis, sed ad usum et emolumentum salubritatis penitus reperta.

In legibus Solonis illis antiquissimis, quae Athenis axibus ligneis incisae sunt, quasque latas ab eo Athenienses, ut sempiternae manerent, poenis et religionibus sanxerunt, legem esse Aristoteles refert scriptam ad hanc sententiam : Si ob discordiam dissensionemque seditio atque discessio populi in duas partes fie[re]t, et ob eam causam irritatis animis utrimque arma capientur, pugnabiturque, tum qui, in eo tempore in eoque casu civilis discordiae, non alterutrae parti sese adjunxerit, sed solitarius separatusque a communi malo civitatis secesserit, is domo, patria fortunisque omnibus careto : exul extorrisque esto. Cum hanc legem Solonis, singulari sapientia praediti, legissemus, tenuit nos gravis quaedam in principio admiratio, requirens, quam ob causam dignos esse poena existimaverit, qui se procul a seditione et civili pugna removissent. Tum, qui penitus atque alte usum ac sententiam legis introspexerat, non ad augendam, sed ad desinendam seditionem legem hanc esse dicebat : et res prorsum se sic habent. Nam si boni omnes, qui in principio coercendae seditioni impares fuerint, populum[que] percitum et amentem non deseruerint, ad alterutram partem dividi sese adjunxerint ; tum eveniet, ut cum socii partis seorsum utriusque fuerint, eaeque partes ab iis, ut majoris auctoritatis viris, temperari ac regi coeperint, concordia per eos potissimum restitui conciliarique possit ; dum et suos, apud quos sunt, regunt atque mitificant et adversarios sanatos magis cupiunt quam perditos. Hoc idem Favorinus philosophus inter fratres quoque aut amicos dissidentis oportere fieri censebat, ut qui in medio sunt utriusque partis benivoli, si in concordia annitenda parum auctoritatis quasi ambigui amici habuerint, tum alteri in alteram partem discedant; ac per id meritum viam sibi ad utriusque concordiam muniant. Nunc autem plerique, inquit, partis utriusque amici, quasi probe faciant, duos litigantes destituunt et relinquunt ; deduntque eos advocatis malivolis aut avaris, qui lites animasque eorum inflamment, aut odii studio, aut lucri.

 442 CHAPITRE XII.

Examen d'une loi de Solon qui au premier abord parait injuste et impolitique, mais dont le but était réellement très-sage et très-utile.

Parmi ces antiques lois de Solon qui furent gravées à Athènes sur des tables de bois, et que les Athéniens jaloux d'en assurer à jamais la durée, consacrèrent par des serments religieux et des prescriptions pénales, il y en avait une où Aristote nous dit qu'on trouvait la décision suivante : Si quelque sujet de discorde amène une sédition, et fait naître dans la cité deux partis opposés ; si, les esprits s'échauffant, le peuple court aux armes et envient aux mains, celui qui, au milieu de ce trouble public, ne se rangera dans aucun des deux partis, qui, retiré à l'écart, cherchera à se dérober aux maux communs de l'État, celui-là sera puni par la perte de sa maison, de sa patrie, de tous ses biens : il sera condamné à l'exil. En lisant cet arrêt de Solon, le plus sage des législateurs, je fus surpris d'abord, et ne m'expliquai-point comment il avait pu voir un coupable digne de châtiment dans le citoyen qui reste étranger à la sédition et à la guerre civile. Mais plusieurs personnes qui avaient étudié à fond l'esprit et la portée de cette loi, m'assurèrent qu'elle était bien plus propre à calmer les troubles publics qu'à les fomenter. Je fus bientôt forcé d'en convenir. En effet, si, après s'être opposé sans succès à la sédition naissante, après avoir essayé en vain de ramener la multitude égarée, les gens de bien vont se joindre à l'une ou à l'autre des deux fractions du peuple, et se partagent entre les combattants, qu'arrivera-t-il? Chacun des deux partis ayant reçu dans ses rangs de tels hommes, subira l'autorité de leur caractère, et se laissera diriger et modérer par eux : de cette manière, les esprits pourront s'acheminer à la réconciliation et à la concorde : car ces citoyens vertueux ne songeront qu'à apaiser les passions de leur parti, et s'efforceront de sauver leurs adversaires, au lieu de cherchera les perdre. Le philosophe Favorinus voulait qu'on employât le même moyen pour faire cesser les différends entre des frères ou des amis. « En pareil cas, disait-il, si les hommes qui, restés neutres dans le démêlé, ont entrepris d'opérer une réconciliation, voient leurs conseils faiblement écoutés et leur amitié méconnue, alors qu'ils se partagent, qu'ils se rangent de l'un ou de l'autre des deux côtés, et qu'à la faveur de la confiance qu'ils s'attireront ainsi, ils travaillent des deux parts à rétablir la concorde. Mais maintenant, ajoutait-il, dans les démêlés et les procès, les amis communs s'éloignent, et croient mieux faire en abandonnant les deux parties à elles-mêmes, sans s'apercevoir qu'ils les livrent à des avocats fourbes ou avides, qui, par malveillance ou par cupidité, irritent leurs passions et aggravent leurs débats. »

CAPUT XIII.

Liberos in multitudinis numero etiam unum filium filiamve veteres dixisse.

Antiqui oratores, historiaeque aut carminum scriptores etiam unum filium filiamve liberos multitudinis numero appellarunt. Idque nos cum in complurium veterum libris scriptum aliquotiens adverterimus, nunc quoque in libro Sempronii Asellionis Rerum Gestarum quinto ita esse positum offendimus. Is Asellio sub P. Scipione Africano tribunus militum ad Numantiam fuit : resque eas, quibus gerendis ipse interfuit, conscripsit. Ejus verba de Tiberio Graccho, tribuno plebi, quo in tempore interfectus in Capitolio est, haec sunt: « Nam Gracchus domo cum proficiscebatur, numquam minus terna aut quaterna milia hominum sequebantur. »  Atque inde infra de eodem Graccho ita scripsit: « Orare coepit id quidem, ut se defenderent liberosque suos : eum quem virile secus tum in eo tempore habebat, produci jussit, populoque commendavit prope flens

 CHAPITRE XIII.

465 Que les anciens employaient le pluriel liberi, même en parlant d'un seul enfant, fils ou fille.

Les anciens orateurs, historiens, ou poètes, se sont servis du pluriel liberi pour désigner un seul enfant, fils ou fille. J'ai rencontré cet emploi de liberi dans un grand nombre d'ouvrages anciens, et je viens, en dernier lieu, d'en trouver un exemple remarquable chez Sempronius Asellion, au cinquième livre de ses Mémoires. Cet Asellion fut tribun militaire sous les ordres de Scipion l'Africain, qu'il suivit au siège de Numance : il a écrit le récit des événements qui se sont passés sous ses yeux, et auxquels il a pris part. Dans un passage où il raconte la mort deTibérius Gracchus au Capitole, après avoir dit que « Gracchus ne sortait jamais sans être suivi de trois ou quatre mille citoyens, » il ajoute ces mots : « Il se mit à prier le peuple de le défendre lui et ses enfants (ut se defenderent liberosque suos); puis, faisant avancer le seul fils qui lui restât, il le recommanda aux assistants, les larmes aux yeux. »

CAPUT XIV.

Quod M. Cato in libro, qui inscriptus est Contra Tiberium exulem, stitisses vadimonium per i litteram dicit, non stetisses; ejusque verbi ratio reddita.

In libro vetere M. Catonis, qui inscribitur Contra Tiberium exulem, scriptum sic erat: « Quid si vadimonium capite obvoluto stitisses? » Recte ille quidem stitisses scripsit: sed falsa et audaces emendatores e scripto et per libros stetisses fecerunt, tamquam stitisses vanum et nihili verbum esset. Quin potius ipsi nequam et nihili sunt, qui ignorant stitisses dictum a Catone, quoniam sisteretur vadimonium, non staretur.

 CHAPITRE XIV.

Que M. Caton, dans l'ouvrage qui a pour titre Contre Tiberius exilé, a écrit stitisses vadimonium, et non stetisses. Pourquoi il a dû écrire ainsi.

Dans le texte ancien du discours de M. Caton qui a pour titre Contre Tibérius exilé, on lisait ces mots : « Quoi ! si vous aviez comparu devant le tribunal la tête voilée? » Quid si vadimonium capite obvoluto stitisses ? Caton, en mettant stitisses, s'est servi du mot convenable; mais des correcteurs ignorants et audacieux ont changé un t en e, et ont substitué stetisses à stitisses, comme si ce dernier verbe était absurde et vide de sens. La correction seule est absurde ; et ceux qui la font devraient savoir que, si Caton a écrit stitisses, c'est qu'on dit, sistitur vadimonium, et non pas statur.

CAPUT  XV.

  Quod antiquitus aetati senectae potissimum habiti sint ampli honores : et cur postea ad maritos et ad patres iidem isti honores delati sint : atque ibi quaedam de capite legis Juliae septimo.

Apud antiquissimos Romanorum neque generi neque pecuniae praestantior honos tribui quam aetati solitus, majoresque natu a minoribus colebantur ad deum prope et parentum vicem atque omni in loco inque omni specie honoris priores potioresque habiti. A convivio quoque, ut scriptum in antiquitatibus est, seniores a junioribus domum deducebantur, eumque morem accepisse Romanos a Lacedaemoniis traditum est : apud quos, Lycurgi legibus, major omnium rerum honos aetati majori habebatur. Sed postquam suboles civitati necessaria visa est, et ad prolem populi frequentandam praemiis atque invitamentis usus fuit : tum antelati quibusdam in rebus, qui uxores, quique liberos haberent, senjoribus neque liberos neque uxores habentibus. Sicuti capite septimo legis Juliae priori ex consulibus fasces sumendi potestas fit, non qui pluris annos natus est, sed qui pluris liberos, quam collega, aut in sua potestate habet, aut bello amisit. Sed si par utrique numerus liberorum est, maritus, aut qui in numero maritorum est, praefertur. Si vero ambo et mariti et patres totidem liberorum sunt, tum ille pristinus honos instauratur, et, qui major natu est, prior fasces sumit. Super iis autem, qui aut caelibes ambo sunt, et parem numerum filiorum habent, aut mariti sunt et liberos non habent, nihil scriptum in lege de aetate est. Solitos tamen audio, qui lege potiores essent, fasces primi mensis collegis concedere aut, longe aetate prioribus, aut nobilioribus multo, aut secundum consulatum ineuntibus.

 445 CHAPITRE XV.

Grands honneurs rendus à la vieillesse dans l'antiquité. Pourquoi, dans la suite, on accorda aussi les mêmes honneurs aux époux et aux pères. Détails sur le chapitre septième de la loi Julia.

Dans les premiers temps de la république, on rendait d'éclatants honneurs à la vieillesse : la noblesse et l'opulence n en obtenaient pas de plus grands. Les jeunes gens témoignaient aux vieillards une vénération presque égale à celle qu'ils avaient pour les dieux et pour leurs parents. Dans tous les lieux, dans toutes les circonstances où l'occasion s'en présentait, on réservait aux vieillards la première place et les premiers hommages. Les antiquités nous apprennent qu'au sortir des repas, ils étaient reconduits chez eux par les jeunes gens : s'il faut en croire la tradition, les Romains avaient emprunté cette coutume des Lacédémoniens, chez lesquels il était ordonné, par les lois de Lycurgue, qu'en toutes choses les plus âgés fussent les plus honorés. Mais lorsqu'il devint nécessaire d'accroître la population de la république, et que, dans ce but, on encouragea la paternité par des honneurs et des récompenses, 466 .alors on commença, dans certaines occasions, à faire passer les citoyens mariés, ou pères, avant les vieillards sans femme et sans enfants. Ainsi, d'après le septième chapitre de la loi Julia, le consul qui jouira le premier de l'honneur des faisceaux n'est pas celui qui a le plus d'années, mais celui qui a donné le plus de fils à l'État, soit qu'ils fassent encore l'espérance de sa maison, soit qu'ils aient péri dans les combats. Si le nombre des enfants est égal de part et d'autre, la prééminence appartient à celui des deux qui est légitimement marié, ou qui jouit des droite de l'hymen. S'il arrive que les consuls soient mariés tous deux, et pères du même nombre d'enfants, alors on revient à l'ancien usage, et l'honneur d'avoir le premier les faisceaux est décerné au plus âgé. La loi ne dit pas si l'âge devrait avoir aussi la préférence, dans le cas où il arriverait que les deux consuls fussent célibataires, ou qu'ils eussent le même nombre d'enfants sans être mariés, ou qu'ils fussent mariés sans être pères. Du reste, le consul que la loi autorise à prendre les faisceaux dans le premier mois renonce souvent à son droit, et le cède à son collègue, quand celui-ci est plus âgé, ou d'une naissance plus illustre, ou consul pour la seconde fois.

CAPUT XVI.

Quod Caesellius Vindex a Sulpicio Apollinari reprehensus est in sensus Virgiliani enarratione.

Virgilii versus sunt e libro sexto:

Ille, vides, pura juvenis qui nititur hasta,
Proxima sorte tenet lucis loca. Primus ad auras
Aetherias Italo commixtus sanguine surget
Silvius Albanum nomen, tua postuma proles :
Quem tibi longaevo serum Lavinia conjunx
Educet silvis regem regumque parentem:
Unde genus Longa nostrum dominabitur Alba.

Videbantur haec nequaquam convenire:

tua postuma proles,

et:

Quem tibi longaevo serum Lavinia coniunx
Educet silvis regem.

Nam si hic Silvius, ita ut in omnium ferme annalium monumentis scriptum est, post mortem patris natus est, ob eamque causam praenomen ei Postumo fuit, qua ratione subjectum est:

Quem tibi longaevo serum Lavinia conjunx
Educet silvis regem?

Haec enim verba significare videri possunt, Aenea vivo ac jam sene, natum ei Silvium et educatum. Itaque hanc sententiam esse verborum istorum Caesellius opinatus in commentario Lectionum Antiquarum: « Postuma, » inquit « proles non eum significat, qui patre mortuo, sed qui postremo loco natus est, sicuti Silvius, qui Aenea jam sene tardo seroque partu est editus. » Sed hujus historiae auctorem idoneum nullum nominat. Silvium autem post Aeneae mortem, sicuti diximus, natum esse multi tradiderunt. Idcirco Apollinaris Sulpicius inter cetera, in qui[bu]s Caesellium reprehendit, hoc quoque ejus quasi erratum animadvertit; errorisque istius hanc esse causam dixit, quod scriptum ita sit : Quem tibi longaevo, inquit non seni (significatio enim est contra historiae fidem) sed in longum jam aevum et perpetuum recepto, immortalique facto. Anchises enim, qui haec ad filium dicit, sciebat eum, cum hominum vita discessisset, immortalem atque indigetem futurum, et longo perpetuoque aevo potiturum. Hoc sane Apollinaris argute. Sed aliud tamen est longum aevum, aliud perpetuum, neque dii longaevi appellantur, sed immortales.

 CHAPITRE XVI.

Critique adressée à Césellius Vindex par Sulpicius Apollinaris sur l'interprétation d'un passage de Virgile.

On lit ces vers dans le sixième livre de Virgile : « Vois-tu ce jeune homme appuyé sur un sceptre, qui occupe la place la plus voisine du séjour  des vivants? Cest lui qui,appelé le premier à la lumière, naîtra de l'union du sang italien avec le nôtre. Ce sera le dernier de tes enfants, le fruit tardif de ta vieillesse : nourri dans les forêts par Lavinie ton épouse, il s'appellera Silvius, nom héréditaire des princes albains; il «sera roi et père de rois qui propageront l'empire de notre race dans Albe la Longue. »

Les mots tua postuma proles paraissent renfermer un sens en désaccord avec ce qui vient ensuite :

Quem tibi longaevo serum Lavinia conjux
Educet silvis regem.

Si, comme le rapportent la plupart de nos anciennes annales, ce Silvius naquit après la mort de son père, et reçut pour cette raison le surnom de Postumus, comment faut-il entendre ces mots,

Quem tibi longevo serum Lavinia oonjux
Educet silvis regem
?

Par là, le poète veut dire sans doute que Lavinie mit au monde et éleva Silvius pendant la vieillesse d'Ënée. Césellius pense que ces mots doivent être entendus ainsi, et voici comment il les met d'accord avec ce qui précède:«  Postumus » dit-il dans son recueil intitulé Lectures antiques, « ne signifie pas seulement l'enfant né après la mort du père, mais le dernier-né des enfants; et c'est ainsi qu'il faut l'entendre de Silvius, qui fut l'enfant tardif de la vieillesse d'Énée. » Mais il ne cite aucun auteur qui confirme ce qu'il avance sur Silvius. Au contraire, beaucoup d'historiens, comme je l'ai déjà dit, placent la naissance de Silvius après la mort d'Enée. Aussi, Sulpicius Apollinaris, entre autres critiques qu'il adresse 467 à Césellius, lui reproche cette explication comme une erreur. « Cette erreur tient, dit-il, à l'interprétation du mot longœvus, qui ne veut pas dire ici avancé en âge, ce qui serait contraire à la tradition historique, mais qui signifie jouissant d'une vie éternelle dans le séjour de l'immortalité. Anchise en effet, qui, dans ces vers, s'adresse à son fils, savait qu'au sortir de cette vie, Énée devait être reçu parmi les dieux, et prendre possession de l'immortalité. » Cette explication d'ApoIlinoris est fort ingénieuse. Mais autre chose est une longue vie, autre chose une vie éternelle ; et, en parlant des dieux, on les appelle non pas longœvi, mais immortales.

CAPUT XVII.

Cujusmodi esse naturam quarundam praepositionum M. Cicero animadverteri : disceptatumque ibi super eo ipso, quod Cicero observaverat.

Observate curioseque animadvertit M. Tullius in et con praepositiones verbis aut vocabulis praepositas tunc produci atque protendi cum litterae sequerentur, quae primae sunt in sapiente atque felice, in aliis autem omnibus correpte pronuntiari. Verba Ciceronis haec sunt: « Quid vero hoc elegantius, quod non fit natura, sed quodam instituto? indoctus dicimus brevi prima littera, insanus producta, inhumanus brevi, infelix longa et, ne multis, quibus in verbis hae primae litterae sunt, quae in sapiente atque felice, producte dicuntur, in ceteris omnibus breviter; itemque composuit, consuevit, concrepuit, confecit : consule veritatem : reprehendet; refer ad auris : probabunt.  Quaere, cur ita ?: dicent juvari. Voluptati autem aurium morigerari debet oratio.» Manifesta quidem ratio suavitatis est in his vocibus, de quibus Cicero locutus est. Sed quid dicemus de praepositione pro, quae, cum produci et corripi soleat, observationem hanc tamen M. Tullii aspernata est? Non enim semper producitur, cum sequitur ea littera, quae prima est in verbo fecit, quam Cicero hanc habere vim significat, ut propter eam rem in et con praepositiones producantur. Nam proficisci et profundere, et profugere, et profanum, et profestum correpte dicimus ;proferre autem, et profligare, et proficere producte. Cur igitur ea littera, quam Cicero productionis causam facere observavit, non in omnibus consimilibus eandem vim aut rationis aut suavitatis tenet : sed aliam vocem produci facit, aliam corripi? Neque vero con particula tum solum producitur, cum ea littera, de qua Cicero dixit, insequitur. Nam et Cato et Sallustius: faenoribus inquiunt copertus est. Praeterea coligatus et conexus producte dicitur. Sed tamen videri potest in iis, quae posui, ob eam causam particula haec produci quoniam eliditur ex ea n littera: nam detrimentum litterae productione syllabae compensatur. Quod quidem etiam in eo servatur, quod est cogo. Neque repugnat, quod coegi correpte dicimus: non enim salva id ἀναλογίᾳ dicitur a verbo, quod est cogo.

 CHAPITRE XVII.

Quelle propriété Cicéron a observée dans certaines prépositions. Réflexions sur la remarque de Cicéron.

Cicéron fait une remarque curieuse sur la prononciation des prépositions in et cum, placées au commencement d'un nom ou d'un verbe : c'est que, toutes les fois qu'elles sont suivies d'une s ou d'une f, le son que leur donne la prononciation est lent et prolongé, tandis qu'il est bref et rapide en tout autre cas. Voici le passage de Cicéron : « Quoi de plus propre à flatter l'oreille, que cet usage qui ne s'accorde pas avec la quantité des mots, mais qui est le résultat de l'habitude? Nous prononçons brève la première syllabe d'indoctus ; mais celle d'insanus se prononce longue. Nous glissons sur la première syllabe à inhumanus, nous appuyons, au contraire, sur celle d'infelix. Pour ne pas multiplier les exemples, on saura que la syllabe in a le son bref dans tous les mots où elle est suivie d'une s ou d'une f, et long dans tous les autres. De même, la première syllabe de composuit se prononce comme brève ; celle de consuevit, comme longue : on remarque la même différence entre concrepuit et confecit. Consultons la quantité, cette prononciation est mauvaise ; consultons l'oreille, elle est bonne. La raison de cela? C'est que l'oreille se trouve flattée. Or, le discours doit se plier à tout ce qu'exige le plaisir des oreilles. » Évidemment, l'harmonie est la cause de ces différences remarquées par Cicéron. Mais comment expliquer l'irrégularité offerte par la préposition pro, qui, tour à tour longue ou brève, ne se conforme point à la loi que Cicéron a observée? Ainsi, elle n'est pas toujours longue quand elle est suivie de la lettre f, qui, selon Cicéron, a la vertu de faire longues les prépositions in et cum : car dans proficisci, profundere, profugere, profanum et profestum, la syllabe pro est brève; et dans proferre, profligare, proficere, elle est longue. Pourquoi cette lettre, à laquelle Cicéron attribue la puissance de rendre longues certaines prépositions placées devant elle, ne produit-elle pas, en vertu de la même loi d'harmonie, un effet semblable sur tout autre mot du même genre, et fait-elle tantôt brève, tantôt longue, la préposition qui la précède? Du reste, pour revenir à la préposition cum, il n'est pas vrai qu'elle ne soit longue qu'à la condition d'être suivie des deux lettres dont parle Cicéron. En effet, elle est longue dans le mot coopertus, qu'emploient Salluste et Cicéron lorsqu'ils disent, fœnoribus coopertus, accablé de dettes. Elle est longue dans coligatus et conexus. Ce qui la rend peut-être longue dans ces mots, c'est qu'on a retranché de con la lettre n, et que, d'ordinaire, on compense la suppression d'une lettre 466 par l'allongement de la syllabe. On peut faire la même remarque sur le verbe cogo, dont la première syllabe est longue : dans coegi, il est vrai, co est bref; mais cela ne nous contredit point, car c'est contre les lois de l'analogie que coegi se forme de cogo.

CAPUT XVIII.

Quod Phaedon Socraticus servus fuit; quodque item alii complusculi servitutem servierunt.

Phaedon Elidensis ex cohorte illa Socratica fuit Socratique et Platoni per fuit familiaris. Ejus nomini Plato librum illum divinum de immortalitate animae dedit. Is Phaedon servus fuit forma atque ingenio liberali, et, ut quidam scripserunt, a lenone domino puer ad merendum coactus. Eum Cebes Socraticus hortante Socrate emisse dicitur, aluisseque in philosophiae disciplinis. Atque is postea philosophus inlustris fuit ; sermonesque ejus de Socrate admodum elegantes leguntur. Alii quoque non pauci [servi] fuerunt, qui post philosophi clari exstiterunt. Ex quibus ille Menippus fuit, cujus libros M. Varro in Satiris aemulatus est : quas alii Ccynicas, ipse appellat Menippeas. Sed et Theophrasti Peripatetici servus Pompylus, et Zenonis stoici servus, qui Persaeus vocatus est, et Epicuri, cui Mys nomen fuit, philosophi non incelebres vixerunt. Diogenes etiam cynicus servitutem servivit : sed is ex libertate in servitutem venum ierat : quem cum emere vellet Ξενιάδης Κορίνθιος, et quid artificii novisset, percontatus: Novi, inquit, Diogenes hominibus liberis imperare. Tum Ξενιάδη responsum ejus demiratus emit et manu emisit ; filiosque suos ei tradens: Accipe, inquit, liberos meos, quibus imperes. De Epicteto autem philosopho nobili, quod is quoque servus fuit, recentior est memoria, quam ut scribi quasi oblitteratum debuerit. [Ejus Epicteti etiam de se scripti duo versus feruntur : ex quibus latenter intelligas, non omnes omnimodis diis exosos esse, qui in hac vita cum aerumnarum varietate luctantur ; sed esse arcanas causas, ad quas paucorum potuit pervenire curiositas.

Δοῦλος Ἐπίκτητος γενόμην καὶ σώματι πηρὸς,
Καὶ πενίην Ἴρος, καὶ φίλος ἀθανάτοις.
]

 CHAPITRE XVIII.

Que Phédon, disciple de Socrate, fut esclave. Autres philosophes sortis de la même condition.

On connaît ce Phédon d'Élée qui fut le disciple chéri de Socrate et l'ami intime de Platon, et qui a donné son nom au di vin traité de ce dernier sur l'immortalité de l'Ame. Doué en naissant de la beauté du corps et des plus nobles penchants de l'esprit, il fut d'abord esclave : quelques-uns assurent même qu'un marchand d'esclaves, l'ayant acheté dans son enfance, lui fit faire le plus infâme métier. Enfin Cébès, d'après le conseil de Socrate, son maître, acheta ce jeune homme, et lui enseigna la philosophie. Phédon devint bientôt lui-même un philosophe illustre; il a composé sur Socrate des discours empreints d'une remarquable élégance. Il y a encore un assez grand nombre de philosophes, dont le nom est célèbre, qui ont commencé par être esclaves. Tel fut entre autres ce Ménippe, dont M. Varron a imité les écrits dans les satires quii a intitulées Ménippées, et que d'autres appellent Cyniques. Nous citerons encore Pompylus, Persée, et Mys, qui furent esclaves, l'un du péripatéticien Théophraste, l'autre du stoïcien Zenon, et le troisième d'Épicure, et qui tous devinrent des philosophes distingués. On pourrait aussi prendre pour exemple Diogèoe le cynique; mais ce n'est qu'après avoir vécu libre pendant une partie de sa vie, qu'il fut condamné à l'esclavage. On rapporte que, lorsque Xéniade de Corinthe, se proposant de l'acheter, lui demanda ce qu'il savait faire, il répondit fièrement : « Commander à des hommes libres. » Xéniade, frappé de cette réponse, l'acheta, puis l'affranchit aussitôt, et lui confia l'éducation de ses fils, en lui disant : « Voici mes enfants, voici des hommes libres à qui tu peux commander. » Il est inutile de mentionner ici Épictète, qui fût aussi esclave : sa mémoire est trop récente pour qu'il soit nécessaire de rappeler ce fait On cite d'Épictète deux vers qu'il a composés sur lui-même, et où il donne à entendre que l'homme en butte aux attaques réitérées du malheur n'est pas l'objet de la haine des dieux ; mais que la vie a des mystères dont l'intelligence n'est donnée qu'à un petit nombre d'âmes. Voici ces vers :

« Épictète est esclave, boiteux, pauvre comme Irus; et pourtant il est cher aux immortels. »

CAPUT XIX.

Rescire verbum quid sit, et quam habeat veram atque propriam significationem.

Verbum rescire observavimus vim habere propriam quandam, non ex communi significatione ceterorum verborum, quibus eadem praepositio imponitur : neque ut rescribere, relegere, restituere, dicimus; itidem dicimus rescire. Nam qui factum aliquod occultius aut inopinatum insperatumque cognoscit, is dicitur proprie rescire. Cur autem in hoc uno verbo re particula hujus sententiae vim habeat, equidem adhuc quaero. Aliter enim dictum esse rescivi aut rescire apud eos, qui diligenter locuti sunt, nondum invenimus, quam super is rebus, quae aut consulto consilio latuerint, aut contra spem opinionemve usu venerint. Quamquam ipsum scire de omnibus communiter rebus dicatur vel adversis vel prosperis vel insperatis vel exspectatis. Naevius in Triphallo ita scripsit:

Si unquam quicquam filium rescivero
Argentum amoris causa sumpse mutuum :
Extemplo illo te ducam, ubi non despuas.

Claudius Quadrigarius in primo annali: « Ea Lucani ubi resciverunt sibi per fallacias verba data esse. » Item Quadrigarius in eodem libro in re tristi et inopinata verbo isto ita utitur: « Id ubi resci[v]erunt propinqui obsidum, quos Pontio traditos supra demonstravimus : eorum parentes cum propinquis capillo passo in viam provolarunt. » M. Cato in quarto originum: « Deinde dictator jubet postridie magistrum equitum arcessi. Mittam te, si vis, inquit, cum equitibus. Sero est, inquit magister equitum : iam rescivere. »
 

 CHAPITRE XIX.

Sur le mot rescire. Quel est son sens propre et véritable.

J'ai remarqué que le mot rescire, apprendre, avait un sens particulier, différent de celui que la préposition re communique d'ordinaire aux verbes auxquels elle est jointe; et que cette préposition avait, dans rescire, une autre valeur que dans rescribere, répondre, relegere, relire, restiuere, rétablir. Rescire se dira proprement d'un fait 469 caché qu'on découvre, ou d'une nouvelle qu'on apprend tout à coup, sans s'y être attendu. Pourquoi, dans ce mot, la préposition re joue-t-elle ce rôle particulier? c'est ce que je n'ai pu savoir encore. Mais je puis assurer que jen'ai jamais trouvé, chez les bons écrivains, ce mot employé dans un autre sens. Ils ne s'en servent que quand il s'agit d'un secret révélé, ou d'un événement inattendu, et contraire à ce qu'on espérait. Cet usage est d'autant plus remarquable, que scire s'applique indistinctement à tout, aux choses prévues ou imprévues, aux événements heureux ou malheureux. Voici des exemples de l'emploi de rescire. Naevius dit, dans sa comédie intitulée Triphallus: « Si j'apprends jamais que mon fils emprunte de l'argent à cause de ses amours, je te ferai mettre aussitôt dans un lieu où tu ne pourras pas cracher. »

Si unqnam quidquam filium rescivero
Argentum,
etc.

On trouve cette phrase dans Quadrigarius, au premier livre de ses Annales : « Lorsque les Lucaniens apprirent qu'ils avaient été dupes d'un mensonge. » Ea Lucani ubi resciverunt, etc. Cet auteur dit encore dans le même livre, en parlant d'un événement triste et inopiné : « Lorsque les parents des otages livrés à Pontius, comme nous l'avons dit plus haut, en furent informés, on les vit tous accourir sur la route, éploréset les cheveux en désordre. » Id ubi resciverunt propinqui obsidum, etc. Citons encore cette phrase, tirée du quatrième livre des Origines de M. Catón : « Le lendemain, le dictateur fit venir le maître de la cavalerie : Si vous voulez, lui dit-il, je vous ferai partir avec vos troupes. — Il est trop tard, répondit le maitre de la cavalerie ; les ennemis sont prévenus. » Jam rescivere.

CAPUT  XX.

Quae vulgo dicuntur vivaria, id vocabulum veteres non dixisse; et quid pro eo P. Scipio in oratione ad populum, quid postea M. Varro in libris De re rustica dixerit.

Vivaria, quae nunc dicuntur saepta quaedam loca, in quibus ferae vivae pascuntur, M. Varro in libro De re rustica tertio dicit leporaria appellari. Verba Varronis subjeci: « Villaticae pastionis genera sunt tria, ornithones, leporaria, piscinae. Nunc ornithones dico omnium alitum, quae intra parietes villae solent pasci. Leporaria te accipere volo, non ea, quae tritavi nostri dicebant, ubi soli lepores sint : sed omnia saepta aedficia villae quae sunt, et habent inclusa animalia, quae pascuntur.» Is item infra eodem in libro ita scribit: « Cum emisti fundum Tusculanum a M. Pisone, in leporario apri multi fuere. » Vivaria autem quae nunc vulgus [dicit, sunt] quos παραδείσους Graeci appellant, quae leporaria Varro dicit, haut usquam memini apud vetustiores scriptum. Sed quod apud Scipionem omnium aetatis suae purissime locutum legimus roboraria, aliquot Romae doctos viros dicere audivi id significare, quod nos vivaria dicimus;  appellataque esse a tabulis roboreis, quibus saepta essent · quod genus saeptorum vidimus in Italia locis plerisque. Verba ex oratione eius contra Claudium Asellum quinta haec sunt: « Ubi agros optime cultos atque villas expolitissimas vidisset, in his regionibus excelsissimo locorum murum statuere aiebat : inde corrigere viam, aliis per vineas medias, aliis per roborarium atque piscinam, aliis per villam. »  Lacus vero aut stagna, [quae] piscibus vivis coercendis clausa suo atque proprio nomine piscinas nominaverunt. Apiaria quoque vulgus dicit loca, in quibus siti sunt alvei apum : sed neminem ferme, qui incorrupte locuti sunt, aut scripsisse memini aut dixisse. M. autem Varro in libro de re rustica tertio: « Μελισσῶνας, » inquit, « ita facere oportet, quae quidam mellaria appellant. »  Sed hoc verbum, quo Varro usus est, Graecum est; nam μελισσῶνες ita dicuntur, ut ἀμπελῶνες et δαφνῶνες.

 CHAPITRE XX.

Que, pour désigner ce que nous appelons vivaría, les anciens ne se servaient pas de ce mot : ce qu'on trouve, au lieu de vivaria, dans une harangue de P. Scipion au peuple , et dans le De re rustica de Varron.

On appelle maintenant vivaria les enclos où l'on nourrit des bêtes fauves. Varron, dans le troisième livre de son De re rustica, donne à ces enclos le nom de leporaria. Voici le passage : « Il y a, dit-il, à la campagne trois sortes d'endroits où l'on nourrit des animaux. On les appelle ornithones, volières ; leporaria, parcs à bêtes ; piscinœ, viviers. Ornithones désigne l'habitation de toutes les espèces d'oiseaux qu'on élève dans la métairie. Par leporaria, il faut entendre, non pas seulement des parcs à lièvres, ce qui était l'unique sens donné par nos ancêtres à ce mot, mais toute espèce d'enclos ou de bâtiment fermé dépendant d'une maison de campagne, dans lequel on nourrit des bêtes fauves. »  Un peu plus loin, dans le même livre de Varron, on trouvecette phrase : « Lorsque tu achetas de M. Pison la terre de Tusculum, il se trouvait dans le parc à bêtes (in leporario) « beaucoup de sangliers. »  Aujourd'hui au lieu de leporaria, on se sert communément du mot vivaria, qui corresponda ce que les Grecs appellent παραδείσοι. Je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré vivaria dans les auteurs anciens. On trouve chez Scipion, qui fut le plus pur des écrivains de son temps, un mot que plusieurs savants prétendent avoir été pris dans la même signification que celle qu'on donne maintenant à 470 vivaría : ce mot est roboraría : on pense qu'il vient de ces planches de chêne dont on environnait les parcs, et qu'on voit encore dans l'Italie autour d'un grand nombre d'enclos. Voici le passage de Scipion : il est tiré de sa cinquième harangue contre Claudius Asellus: « Rencontralt-il quelque part des champs cultivés avec soin, des maisons de campagne florissantes? il fallait, disait-il, élever un mur sur la partie la plus élevée de la contrée : puis il ordonnait de redresser la route, et la faisait passer à travers les vignes de celui-ci, au milieu du parc et de l'étang de celui-là (aliis per roborarium atque piscinam), à travers la maison de campagne d'un autre. » Les réservoirs d'eau où l'on nourrit du poisson sont désignes au propre dans notre langue par le mot de piscinae. On se sert communément du mot apiaria, en parlant des lieux où on place les ruches des abeilles: mais je ne crois pas qu'aucun des auteurs renommés pour la pureté de leur langage ait jamais employé ce moten écrivant ou en parlant. Varron dit, dans le même livre du De re rustica : « C'est ainsi qu'il faut arranger les lieux qui doivent servir de demeure à l'abeille, μελισσῶνες, ou, comme on les appelle d'un autre nom, mellaria» Mais le mot dont se sert Varron est grec : on dit en grec μελισσῶνες, comme on dit ἀμπελῶνες, lieux plantés de vignes, et δαφνῶνες, lieux plantés de lauriers.

CAPUT  XXI.

Super eo sidere, quod Graeci ἅμαξαν, nos septentriones vocamus; ac de utriusque vocabuli ratione et origine.

Ab Aegina in Piraeum complusculi earundem disciplinarum sectatores Graeci Romanique homines eadem in navi tramittebamus. Nox fuit et clemens mare, et anni aestas, caelumque liquide serenum. Sedebamus ergo in puppi simul universi, et lucentia sidera considerabamus. Tum, [quispiam ex iis] qui eodem in numero Graecas res eruditi erant, quid ἅμαξα esset, et quaenam major et quae minor, cur ita appellata et quam in partem procedentis noctis spatio moveretur et quamobrem Homerus solam eam non occidere dicat, tum et quaedam alia, scite ista omnia ac perite disserebant. Hic ego ad nostros juvenes convertor et Quind, inquam, vos opici dicitis mihi ? Quare, quod ἅμαξαν Graeci vocant, nos septentriones vocamus? Νon enim satis est, quod septem stellas videmus, sed quid hoc totum, quod septentriones dicimus, significet, scire, inquam, id prolixius volo. Tum quispiam ex iis, qui se ad litteras memoriasque veteres dediderat : Vulgus, inquit, grammaticorum septentriones a solo numero stellarum dictum putat. Triones enim per sese nihil significare aiunt, sed vocabuli esse supplementum : sicut in eo, quod quinquatrus dicamus, quinque ab Idibus dierum numerus sit, atrus nihil. Sed ego quidem cum L. Aelio et M. Varrone sentio, qui triones rustico vocabulo boves appellatos scribunt quasi quosdam terriones, hoc est arandae colendaeque terrae idoneos. Itaque hoc sidus, quod a figura posituraque ipsa, quia simile plaustri videtur, antiqui Graecorum ἅμαξαν dixerunt, nostri quoque veteres a bubus junctis septentriones appellarunt, id est, [a] septem stellas, ex quibus quasi juncti triones figurantur. Praeter hanc, inquit, opinionem id quoque Varro addit, dubitare sese, an propterea magis hae septem stellae triones appellatae sint, quia ita sunt sitae, ut ternae stellae proximae quaeque inter sese faciant trigona, id est, triquetras figuras. Ex his duabus rationibus, quas ille dixit, quod posterius est, subtilius elegantiusque est visum. Intuentibus enim nobis in illud, ita propemodum res erat, ut ea forma esset, ut  triquetra videretur.

 CHAPITRE XXI.

Sur cette constellation que les Grecs nomment ἅμαξα, et que les Latins appellent septentriones. Étymologie de ces deux noms.

Un jour, avec une réunion de Grecs et de Romains, mes compagnons d'études, je faisais voile  d'Égine vers le Pirée : c'était par une belle nuit d'été : la mer était calme, le ciel pur et serein. Assis tous ensemble à la poupe, nous prenions plaisir à considérer les astres qui brillaient an ciel. Alors un d'entre nous, fort versé dans la langue et les sciences de la Grèce, nous dit quelle était la constellation qu'on appelle ἅμαξα, le chariot, ou ἄρκτος, l'ourse, et celle qu'on nomme βοώτης, le bouvier; il nous apprit l'origine de ces noms; il nous fit voir quelle différence il y a entre la grande ourse et la petite ourse, et quelle route ces deux constellations suivent dans le ciel durant le cours de la nuit : il nous expliqua pourquoi Homère dit que l'ourse seule ne se couche pas, tandis que d'autres étoiles présentent la même particularité : enfin il parla sur ces matières en homme savant et habile. Quand il eut fini, me tournant vers mes compatriotes : « Et vous, jeunes ignorants, leur dis-je, pourrez-vous m'expliquer pourquoi nous appelons en latin septentriones ce que les Grecs nomment ἅμαξα? Il ne suffit pas de me répondre que e'est parce qu'on voit dans cette constellation sept étoiles; je veux que vous me donniez une explication complète de toutes les parties du mot. » Alors un de mes compagnons, qui s'était appliqué à l'étude de notre langage et de nos monuments anciens, me répondit : « Le vulgaire des grammairiens croit que le mot septentriones ne doit son origine qu'au nombre des étoiles qu'il exprime. Ils prétendent que triones ne signifie rien par lui-même, qu'il ne faut y voir qu'une terminaison; de même que dans quinquatrus, dont on se sert pour désigner le cinquième jour après les ides, atrus n'est qu'une fin de mot sans signification. Pour moi, ajouta-t-il, je préfère l'opinion de L. Aelius et de M. Varron. Ces auteurs nous apprennent que, dans 471 les campagnes, on appelait les bœufe triones, mot qui revient à terriones, et qui signifiait des animaux propres à labourer la terre. Ils s'appuient là-dessus pour penser que cette constellation, nommée par les Grecs ἰσημερινὸς, parce qu'elle offre dans le ciel la forme d'un chariot, reçut de nos ancêtres le nom de septetntriones, a cause des sept étoiles dont la disposition semble présenter des bœufs attelés au joug. A cette explication, continua-t-il, Varron en a joint une autre : il doute s'il ne faut pas plutôt faire venir ce mot triones, appliquéaux sept étoiles, des triangles formés dans la constellation par chaque groupe de trois étoiles. » De ces deux étymologies de Varron, la dernière nous parut la plus ingénieuse et la mieux trouvée. En effet, nous jetâmes les yeux sur la coustellation, et nous vîmes que les étoiles étaient disposées de manière à présenter ces figures triangulaires.

CAPUT XXII.

De vento Iapyge, deque aliorum ventorum vocabulis regionibusque accepta ex Favorini sermonibus.

Apud mensam Favorini in convivio familiari legi solitum erat aut vetus carmen melici poetae, aut historia partim Graecae linguae, alias Latinae. Legebatur ergo ibi tunc in carmine Latino ἰάπυξ ventus quaesitumque est, quis hic ventus et quibus ex locis spiraret, et quae tam infrequentis vocabuli ratio esset; atque etiam petebamus, ut super ceterorum nominibus regionibusque docere nos ipse vellet, quia vulgo neque de appellationibus eorum neque de finibus neque de numero conveniret. Tum Favorinus ita fibulatus est: Satis, inquit, notum est limites regionesque esse caeli quattuor: exortum, occasum, meridiem, septentriones. Exortus et occasus mobilia et varia sunt ; meridies septentrionesque statu perpetuo stant et manent. Oritur enim sol non indidem semper, sed aut aequinoctialis oriens dicitur, cum in circulo currit, qui appellatur ἰσημερινὸς, aut solstitialis, aut brumalis, quae sunt θεριναὶ τροπαὶ καὶ χειμεριναί. Item cadit sol non in eundem semper locum. Fit enim similiter occasus eius aut aequinoctialis aut solstitialis aut brumalis. Qui ventus igitur ab oriente verno, id est aequinoctiali, venit, nominatur Eurus ficto vocabulo, ut isti ἐτυμολοφικοί aiunt, ὁ ἀπὸ τῆς ἠοῦς ῥέων. Is alio quoque a Graecis nomine ἀπηλιώτης, [a] romanis nauticis Subsolanus cognominatur. Sed qui ab aestiva et solstitiali orientis meta venit, Latine Aquilo, Boreas Graece dicitur, eumque propterea quidam dicunt ab Homero αἰθρηγενέτην appellatum; Boream autem putant dictum ἀπὸ τῆς βοῆς, quoniam sit violenti flatus et sonori. Tertius ventus, qui ab oriente hiberno spirat; Volturnum Romani vocant : eum plerique Graeci mixto nomine, quod inter Notum et Eurum sit, εὐρόνοτον appellant. Hi sunt igitur tres venti orientales: Aquilo, Volturnus, Eurus, quorum medius Eurus est. His oppositi et contrarii sunt alii tres occidui: Caurus, quem solent Graeci appellare ἀργέστην: is adversus Aquilonem flat; item alter Favonius, qui Graece ζέφυρος vocatur: is adversus Eurum flat : tertius Africus, qui Graece [vocatur] λίψ: is adversus Volturnum facit. Eae duae regiones caeli orientis occidentisque inter sese adversae sex habere ventos videntur. Meridies autem, quoniam certo atque fixo limite est, unum meridialem ventum habet: is Latine Auster, Graece νότος nominatur, quoniam est nebulosus atque umectus; νοτὶς enim Graece humor nominatur. Septentriones autem habent ob eamdem causam unum. Is objectus derectusque in Austrum, Latine Septentrionarius, Graece ἀπαρκτίας appellatus. Ex his octo ventis alii quatuor detrahunr ventos, atque id facere se dicunt Homero auctore, qui solos quatuor ventos noverit: Eurum, Austrum, Aquilonem,  Favonium; [versus Homeri sunt :

Σὺν δ' εὔρος τ' ἔπεσε, ζέφυρός τε, νότος τε δυσαής.
Καὶ βορέης αἰυρηγενέτης μέγα κῦμα κυλίνδων.]

a quatuor caeli partibus, quas quasi primas nominavimus, oriente scilicet atque occidente latioribus atque simplicibus, non tripertitis. Partim autem sunt, qui pro octo duodecim faciant tertios quatuor in media loca inserentes,  cum meridie septentriones:  eadem ratione, qua secundi quattuor intersiti sunt inter primores duos apud orientem occidentemque. Sunt porro alia quaedam nomina quasi peculiarium ventorum, quae incolae in suis quisque regionibus fecerunt, aut ex locorum vocabulis, in quibus colunt, aut ex alia qua causa, quae ad faciendum vocabulum acciderat. Nostri namque Galli ventum ex sua terra flantem, quem saevissimum patiuntur, Circium appellant, a turbine, opinor, eius ac vertigine. Iapygiae ipsius ore proficiscentem quasi sinibus Apuli eodem, quo ipsi sunt, nomine Iapygem dicunt. Eum esse propemodum Caurum existimo; nam et est occidentalis, et videtur exadversum Eurum flare.  Itaque Virgilius Cleopatram e navali proelio in Aegyptum fugientem vento Iapyge ferri ait. Equum quoque Apulum, eodem quo ventum, vocabulo, Iapygem appellavit. Est etiam ventus nomine Caecias, quem Aristoteles ita flare dicit, ut nubes non procul propellat, sed ut ad sese vocet, ex quo versum istum proverbialem factum ait:

-- -- κακὰ
Ἐφ' ἑαυτὸν ἕλκων, ὡς ὁ Καικίας νέφος.

Praeter hos autem, quos dixi, sunt alii plurifariam venti commenticii et suae quisque regionis indigenae; ut est Horatianus quoque ille Atabulus, quos ipsos quoque exsecuturus fui : addidissemque eos, qui Etesiae et  Prodromi appellitantur, qui certo tempore anni, cum canis oritur, ex alia atque alia parte caeli spirant : rationesque omnium vocabulorum, quoniam plus paulo adbibi, effutissem, nisi multa iam prosus omnibus vobis reticentibus verba fecissem, quasi fieret a me  ἀκρόασις ἐπιδεικτική. In convivio autem frequenti loqui solum unum neque honestum est, inquit, neque commodum. Haec nobis Favorinus in eo, quo dixi, tempore apud mensam suam summa cum elegantia verborum totiusque sermonis comitate atque gratia denarravit. Sed quod ait, ventum, qui ex terra Gallia flaret, Circium appellari, M. Cato tertio libro Originum eum ventum Cercium dicit, non Circium. Nam cum de Hispanis [Alpinis]scriberet, qui citra Hiberum colunt, verba haec posuit: « Sunt in his regionibus ferrariae, argenti fodinae pulcherrimae, mons ex sale mero magnus : quantum demas, tantum adcrescit. Ventus Cercius, cum loquare, buccam implet : armatum hominem, plaustrum oneratum percellit. » Quod supra autem dixi, Etesias ex alia atque alia parte caeli flare, haud scio an secutus opinionem multorum temere dixerim. P. enim Nigidii in secundo librorum, quos De Vento composuit, verba haec sunt: Et Ἐτησίαι et austri anniversarii secundo sole flant. Considerandum igitur est, quid sit secundo sole .

 CHAPITRE XXII.

Notions sur le vent Iapyx, et sur le nom «t la direction des autres vents. Discours du philosophe Favorinus sur ce sujet.

Favorinus avait coutume, pendant les repas familiers auxquels il nous invitait, de faire lire des vers de quelque ancien poète lyrique, ou bien des fragments d'histoire grecque ou latine. Un jour, ayant rencontré, dans la lecture d'un morceau de poésie latine, un passage où il était question du vent Iapyx, nous lui demandâmes quel était ce vent, de quel côté il soufflait, et quelle était l'étymologie d'un mot aussi étrange. Nous le priâmes en outre de nous instruire des différents noms des autres vents, de leur position et de leur nombre, sur lesquels on est généralement peu d'accord. Alors Favorinus prit ainsi la parole : « Tout le monde sait, dit-il, que le ciel est partagé en quatre régions, qui sont l'orient, l'occident, le midi et le septentrion. Les deux premières sont sujettes à varier : les deux dernières sont toujours fixes. En effet, le soleil ne se lève pas toujours dans la même partie du ciel : l'orient change donc et prend différents noms : il s'appelle œquinoctialis, quand le soleil parcourt cet espace que les Grecs nomment ἰσημερινὸς; solstitialis, à l'époque du solstice d'été; brumalis, à l'époque du solstice d'hiver. De même, le soleil ne se couche pas toujours au même endroit : on distingue donc aussi plusieurs espèces d'occident qu'on désigne par les mêmes noms. Or, le vent qui souffle du point où se trouve l'orient au printemps, pendant l'équinoxe, s'appelle Eurus, mot qui, selon les étymologistes, signifie soufflant du coté de l'aurore, ἀπὸ τῆς ἠοῦς ῥέων. Le même vent est encore appelé ἀπηλιώτης par les Grecs : les navigateurs romains lui donnent le nom de Subsolanus. Le vent qui part de la région où se trouve l'orient, pendant le solstice d'été, se nomme Aquilon en latin, et Borée en grec. C'est, dit-on , à cause de la manière dont souffle Borée, qu'Homère l'appelle αἰθρηγενέτης, qui purifie le ciel. Quant à ce nom de Borée, on l'a fait venir du mot βοή, cri, parce que ce vent est impétueux et retentissant. Les Romains appellent Vulturne le troisième vent, qui s'élève du point où est situé l'orient pendant l'hiver. Comme il souffle entre l'Eurus et le Notus, les Grecs le désignent par le
472 mot composé d'εὐρόντος. Les trois vents de l'orient sont donc l'Aquilon, le Vulturne et l'Eurus; et l'Eurus est au milieu des deux autres. L'occident a aussi trois vents qui s'opposent à ceux de l'orient; ce sont le Caurus, appelé par les Grecs ἀργέστης , qui souffle contre l'Aquilon; le Favonius, en grec ζέφυρος, qui combat l'Eurus; et l'Africus, connu chez les Grecs sous le nom de λίψ, qui se rencontre avec le Vulturne. Ainsi les deux régions de l'orient et de l'occident comprennent en tout six vents opposés entre eux. Celle du midi, qui n'est sujette à aucun changement, n'en a qu'un seul. Les Latins l'appellent Auster, et les Grecs νότος, parce qu'il amène les nuages et la pluie : car le mot νοτὶς veut dire humidité. Par la même raison, le septentrion n'a aussi qu'un seul vent, qui est opposé à celui du midi : les Latins le nomment Septemtrionarius, et les Grecs ἀπαρκτίας. Voilà donc en tout huit vents. D'autres n'en veulent compter que quatre, et appuient leur opinion de l'autorité d'Homère, qui ne parle, en effet, que de quatre vents : l'Eurus, l'Auster, l'Aquilon et le Favonius. Voici les vers où ii les nomme :

« Alors se précipitent en même temps, avec fureur, l'Eurus, le Zéphyre, le terrible Notus, et le froid Borée, qui chasse les nuages et roule des vagues énormes. »

De cette manière, on ne distingue dans le ciel que les quatre grandes régions que nous avons nommées d'abord, et l'on n'établit aucune division dans l'orient ni dans l'occident Plusieurs, au contraire, admettent jusqu'à douze vents, parce qu'ils ajoutent de nouveaux vents intermédiaires, deux vers le midi et deux vers le nord; de même que d'abord on en avait ajouté deux intermédiaires à l'orient, et deux à l'occident. Il faut savoir aussi que les habitants de chaque pays ont, pour désigner les vents qui règnent sur eux, des termes particuliers, qu'ils tirent du nom des lieux, ou qu'ils forment à propos d'une circonstance ou d'un accident quelconque. Les Gaulois, mes compatriotes, donnent au vent qui souffle avec beaucoup de force sur leur contrée, le nom de Circius, sans doute à cause de sa violence et de la rapidité de ses tourbillons. Le vent qui s élève des côtes de l'lapygie reçoit des Apuliens le nom du pays même : c'est le vent Iapyx. Je crois qu'on peut le confondre avec le Caurus; car il vient de l'occident, et paraît souffler contre l'Eurus. C'est pour cela que Virgile dit, en parlant de Cléopâtre fuyant en Egypte après la défaite de sa flotte, qu'elle était portée par le vent Iapyx. On trouve aussi dans Virgile ce même mot Iapyx appliqué à un cheval d'Apulie. Aristote parle d'un vent appelé Cœcias, qui souffle de telle façon, qu'an lieu de chasser les nuages, il les attire à lui; ce qui a donné lieu, dit-il, à ce vers, devenu proverbe :

« Il attire à lui tous les maux, comme le Caecias attire les nuages. »

Il y a encore d'autres vents, ou plutôt d'autres noms de vents, propres à certaines contrées. Ainsi il y a l'Atabulus, dont parle Horace. Il y a encore les vents Étésiens, et ceux qu'on appelle Prodromes, qui, à une époque fixe de l'année, dans le temps de la Canicule, soufflent de différents côtés du ciel. Je pourrais, puisque je suis entré déjà dans beaucoup de détails, vous entretenir de tous ces vents et vous expliquer tous leurs noms : mais il y a déjà longtemps que je parle et que vous m'écoutez en silence, comme si je faisais une leçon en règle ; et, dans une compagnie nombreuse réunie à table, il n'est ni convenable, ni bienséant, qu'un seul garde longtemps la parole. » Tel fût le fond du discours que Favorinus nous adressa dans ce repas, et où il mit une élégance d'expressions, une politesse et une grâce parfaites. Remarquons que ce vent des Gaules, auquel il donne le nom de Circius, est appelé Cercius dans le troisième livre des Origines de Caton. Dans un passage où il s'occupe des Espagnols qui habitent en deçà de l'Ebre, il dit : « On trouve dans « cette contrée de très-belles mines de fer et d'argent, et une montagne considérable de sel pur, dans laquelle on voit sans cesse se former de nouvelles couches à la place de celles qu'on enlève. Là, le vent Cercius se déchaîne avec violence : quand on parle, il vous remplit la bouche ; il renverse un homme armé et une voiture chargée. » En disant plus haut avec Favorinus que les vents Étésiens soufflent de différents côtés du ciel, j'ai suivi l'opinion commune : mais c'est peut-être une erreur. Dans le second livre de son traité Sur les vents, P. Nigidius dit : « La direction des vents Étésiens et des vents du midi, qui soufflent annuellement, dépend du cours du soleil » Secundo sole fiant. Qu'entend-il au juste par secundo sole? c'est ce que je laisse à examiner.

CAPUT XXIII.

Consultatio diiudicatioque locorum facta ex comoedia Menandri et Caecilii, quae Plocium inscripta est.

Comoedias lectitamus nostrorum poetarum sumptas ac versas de Graecis, Menandro aut Posidippo aut Apollodoro aut Alexide, et quibusdam item aliis comicis. Neque, cum legimus eas, nimium sane displicent, quin lepide quoque et venuste scriptae videantur, prorsus ut melius posse fieri nihil censeas. At enim si conferas et componas Graeca ipsa, unde illa venerunt, ac singula considerate atque apte junctis et alternis lectionibus committas, oppido quam jacere atque sordere incipiunt, quae Latina sunt : ita Graecarum, quas aemulari nequiverunt, facetiis atque luminibus obsolescunt. Nuper adeo usus huius rei nobis venit. Caecili Plocium legebamus; haudquaquam mihi et, qui aderant, displicebat. Libitum est, Menandri quoque Plocium legere, a quo istam comoediam verterat. Sed enim, postquam in manus Menander venit, a principio statim, di boni ! quantum stupere atque frigere, quantumque mutare a Menandro Caecilius visus est! Diomedis hercle arma et Glauci non dispari magis pretio existimata sunt. Accesserat dehinc lectio ad eum locum, in quo maritus senex super uxore divite atque deformi querebatur, quod ancillam suam, non inscito puellam ministerio, et facie haut inliberali, coactus erat venundare suspectam uxori quasi paelicem ; nihil dicam ego, quantum differat.  Versus utrimque eximi jussi, et aliis ad judicium faciundum exponi. Menander sic:

Ἐπ' ἀμφοτέραν ἵν' ἐπίκληρος ᾖ —
Μέλλει καθευδήσειν κατεργάσασα μέγα
Καὶ περιβόητον ἔργον. Ἐκ τῆς οἰκίας
Ἐξέβαλε τὴν λυποῦσαν, ἣν ἐβούλετο,
Ἴν' ἐπιβλέπωσι πάντες εἰς τὸ Κρεωβύλης
Πρόσωπον. Ἥ γ' εὔγνωστος εἶχέ με γυνὴ
Δέσποινα, καὶ τὴν ὄψιν ἣν ἐκτήσατο ,
Ὄνος ἐν πιθήκοις. Τί τὸ λεγόμενον ἐστὶ δή;
Τούτο σιωπᾷν βούλομαι τήν νύκτα τὴν
Πολλῶν κακῶν ἀρχηγόν. Οἴμοι Κρεωβυλην
Λαβεῖν ἐμὲ, καὶ δέκα τάλαντα,
Γύναιον οὖσα πηχέως· εἰ τ' έστὶ τὸ
Φρύαγμα εἴπως ἀνυπόστατον. Δία
Τὸν Ὀλύμπιον, καὶ Ἀθηνᾶν, οὐδαμῶς.
Παιδισκάριον, θεραπευτικὸν δὲ λόγου
Τάχιον ἀπαγέσθω δέ τις. ἣ ἀρ' ἀντεισαγάγοι.

Caecilius autem sic:

Sen. Is demum miser est, qui aerumnam suam nescit
Occultare. Ma. Fere. Ita me uxor forma et factis facit,
Si taceam, tamen indicium [est] Quae nisi dotem, omnia,
Quae nolis, habet.  Qui sapit, de me discet; qui quasi
Ad hostis captus liber [e] servio, salva urbe atque arce.
Quae mihi, quidquid placet : eo privatu' vin' me servatum ?
Dum ejus mortem inhio, egomet vivo mortuus
Inter vivos Ea me clam se cum mea ancilla ait
Consuetum. Id me arguit. Ita plorando, orando,
Instando atque objurgando me obtudit, uti eam
Venumdarem. Nunc credo inter suas aequalis
Et cognatas sermonem serit: Quis vestrarum fuit
Integra aetatula, quae hoc idem a viro
Impetrarit suo, quod ego anus modo
Effeci, paelice ut meum privarem virum?
Haec erunt concilia hodie, differor sermone miser.

Praeter venustatem autem rerum atque verborum in duobus libris nequaquam parem in hoc equidem soleo animum attendere, quod, quae Menander praeclare et apposite et facete scripsit, ea Caecilius, ne qua potuit quidem, conatus est enarrare, sed quasi minime probanda praetermisit et alia nescio qua mimica inculcavit et illud Menandri de vita hominum media sumptum, simplex et verum et delectabile, nescio quo pacto omisit. 12 Idem enim ille maritus senex cum altero sene vicino colloquens et uxoris locupletis superbiam deprecans haec ait:

Ἔχω δ' ἐπίκληρην Λάμιαν· οὐκ εἴρηκέ σοι
Τοῦτ'  ; ουχὶ ; κυρίαν τῆς οἰκίας
Καὶ τῶν ἀγρῶν, καὶ πάντων ἀντ' ἐκείνης
Ἔχομεν ἀφ' ὅλων χαλεπῶν χαλεπώτατον
Ἅπασι δ' ἀργαλέα ἐστὶν οὐκ ἐμοὶ μόνῳ,
Υιῷ, πολὺ μᾶλλον θυγατρί. Πρᾶγμα ἄμαχον λέγεις,
Εὖ οἶδα

Caecilius vero hoc in loco ridiculus magis, quam personae isti, quam tractabat, aptus atque conveniens videri maluit. Sic enim haec corrupit:

Se . Sed tua morosane uxor, quaeso, est? Ma. Quam ? rogas?
Se. Qui tandem? Ma. Taedet mentionis, quae mihi,
Ubi domum adveni, adsedi, extemplo savium
Dat jejuna anima. Se. Nihil peccat de savio:
Ut devomas volt, quod foris potaveris.

Quid de illo loco, in utraque comoedia posito, existimari debeat, manifestum est, cujus loci haec ferme sententia: Filia hominis pauperis in pervigilio vitiata est. Ea res clam patrem fuit; et habebatur pro virgine. Ex [eo] vitio gravida mensibus exactis parturit. Servus bonae frugi, cum pro foribus domus staret, et propinquare partum erili filiae, atque omnino vitium esse oblatum ignoraret, gemitum et ploratum audit puellae in puerperio enitentis: timet, irascitur, suspicatur, miseretur, dolet. Hi omnes motus eius affectionesque animi in Graeca quidem comoedia mirabiliter acres et illustres, apud Caecilium autem pigra istaec omnia et a rerum dignitate atque gratia vacua sunt. Post, ubi idem servus percontando, quod acciderat repperit, has apud Menandrum voces facit:

Ὦ τρὶς κακοδαίμων, ὅστις ὢν πένης γαμεῖ ,
Καὶ παιδοποιεῖθ' . Ὡς ἀλόγιστος ἔστ' ἀνήρ,
Ὃς μήτε φυλακὴν τῶν ἀναγκαίων ἔχει,
Μήτ' ἂν ἀτυχήσας εἰς τὰ κοινὰ τοῦ βίου,
Ἐπαμφίεσθαι δύναται τοῦτο χρήμασιν,
Ἀλλ' ἐν ἀκαλύπτῳ καὶ ταλαιπώρῳ βίῳ
Χειμαζόμενος, ζητῶν μὲν, ἀνιαρὸν δ' ἔχων
Τὸ μέρος ἁπάντων, ἀγαθῶν οὐ δυνάμενος.
Ὑπερ γὰρ ἑνὸς ἀλέγων. ἅπαντος νουθετῶ.

Ad horum autem sinceritatem veritatemque verborum an adspiraverit Caecilius, consideremus. Versus sunt hi Caecili trunca quaedam ex Menandro dicentis et consarcinantis verba tragici tumoris:

-- Is demum infortunatus est homo,
Pauper qui educit in egestatem liberos,
Cui fortuna et res ut est continuo patet.
Nam opulento famam facile occultat factio.

Itaque, ut supra dixi, cum haec Caecilii seorsum lego, neutiquam videntur ingrata ignavaque; cum autem Graeca comparo et contendo, non puto Caecilium sequi debuisse, quod assequi nequiret.

 CHAPITRE XXIII.

Examen et comparaison de plusieurs morceaux de Ménandre et de Cécilius, tirés de la comédie qu'ils ont composée tous deux sous le titre de Plocius.

Nous avons souvent entre les mains les comédies de nos anciens poètes, imitées pour la plupart de Ménandre, de Posidippe, d'Apollodore, d'Alexis, et des autres comiques grecs. Tandis que nous sommes occupés à les lire, ces comédies, bien loin de nous déplaire, nous paraissent si agréables, le style nous en semble si fin et si gracieux, que nous sommes tentés de croire qu'il n'est pas possible de mieux faire. Mais les rapprochons-nous des pièces grecques dont elles sont tirées, établissons-nous une comparaison attentive et détaillée entre le modèle et l'imitation : aussitôt tout ce qui nous plaisait dans celle-ci nous paraît froid et languissant; le latin pâlit aussitôt, et s'efface devant le grec, dont il est bien loin d'atteindre la piquante gaieté et la brillante élégance. J'en ai fait dernièrement une expérience frappante : je lisais avec plusieurs personnes le Plocius de Cécilius : nous trouvions assurément beaucoup de plaisir à cette lecture. L'envie nous prit de lire aussi la comédie originale, qui est de Ménandre. A peine l'avions-nous commencée, grands dieux, que l'imitation nous sembla froide et pesante, et combien Cécilius nous parut dégénéré de Ménandre! c'était comme si nous avions comparé les armes de Glaucus à celles de Diomède. Nous arrivâmes à la scène où un vieillard exhale ses plaintes contre une épouse laide et riche, qui vient de l'obliger à vendre une jeune esclave entendue au service, et de tournure agréable,474 qu'elle soupçonnait de servir aux plaisirs de son mari. Je ne dirai pas combien les deux auteurs diffèrent dans cette scène : je me contente de citer ici les vers de l'un et de l'autre, et je laisse le lecteur juger. Voici comment le vieux mari parle dans Ménandre : « Ma riche épouse va dormir sur les deux oreilles, après le magnifique exploit qu'elle vient de faire. Elle en est venue où elle voulait : cette esclave lui faisait ombrage, elle l'a chassée, afin que désormais les regards puissent s'arrêter sans distraction sur le charmant visage de Créobyle. Qui n'a remarqué les traits de celle à laquelle ma destinée est soumise? On croirait voir la figure de l'âne au milieu des singes. Mais à quoi bon ces plaintes? Ah! je veux me taire, je veux oublier cette nuit funeste, source de tous mes maux ! A quoi aussi m'avisais-je d'aller épouser cette Créobyle et ses dix talents? Une femme haute d'une coudée! et d'une fierté, d'une insolence qui mettent ma patience à bout! Non, par Jupiter et par Minerve, il n'y a pas moyen de supporter une telle tyrannie. Renvoyer une jeune fille comme celle-ci, qui servait plus vite que la parole! Qui pourra,  maintenant, me la rendre? »

Écoutons à présent Cécilius :

« Un vieillard. On est en vérité bien malheureux quand on ne peut cacher aux autres son chagrin.

« Le mari. Eh! comment le pourrais-je, avec une femme de cette figure et de cette humeur? Quand je garderais le silence, mon malheur se verrait-il moins? La dot exceptée, tout chez ma femme est le contraire de ce qu'on peut souhaiter. Que mon exemple serve de leçon aux gens sages ! Libre en apparence, je porte la chaîne d'un esclave : je suis prisonnier chez l'ennemi, sans qu'on ait pris la ville. Tout ce qui me fait plaisir, mon tyran me l'enlève aussitôt; me direz-vous que c'est pour mon bien? Je soupire après sa mort, et, en attendant, je vis moi-même comme un mort au milieu des vivants. Elle a prétendu que j'avais un commerce secret avec cette esclave; elle s'est plaint d'être trahie ; elle m'a tant fatigué de ses larmes, de ses reproches et de ses cris, qu'à la fin j'ai consenti à vendre la jeune fille. Maintenant, sans doute, elle jase sur mon compte avec ses parentes et ses amies ; je l'entends leur dire : Quelle est celle d'entre vous qui, dans la fleur de la jeunesse, eût obtenu de son mari ce que je viens, à mon âge, d'obtenir du mien, en lui faisant chasser sa concubine? Là-dessus les langues auront beau jeu. Que de propos vont courir sur moi ! »

Outre l'infériorité marquée de la pièce latine pour l'agrément du style et des pensées, ce qui me frappe, c'est que très-souvent, lors même que Cécilius rencontre dans son modèle des traits comiques, pleins de goût et de vérité, qu'il lui serait possible de reproduire, il n'essaye même pas de profiter de ces occasions. Il néglige ces beautés, dont il paraît ne pas sentir le prix, et les remplace par des bouffonneries. C'est ainsi qu'il a laissé de côté, je ne sais pourquoi, un passage de Ménandre, où la nature, telle qu'elle se présente dans la vie ordinaire, est naïvement reproduite , et qui plaît par le charme de la simplicité et de la vérité. C'est ce passage où le vieux 475 mari,  s'entretenant avec un vieillard son voisin, maudit en ces termes l'humeur tyrannique de sa riche épouse :

Le mari. J'ai épousé une riche héritière, Lamia : ne te l'ai-je pas déjà dit? A la maison, aux champs, tout lui obéit. Elle me fait bien payer sa dot. Par Apollon, une telle femme est le plus terrible des fléaux. Elle est insupportable à tout le monde, comme à moi; à son fils, bien plus encore à sa fille.

Le vieillard. Tu te plains d'un mal sans remède.

Le mari. Je ne le sais que trop.

Au lieu d'imiter Ménandre en cet endroit, Cécilius a voulu faire rire avec une bouffonnerie qui ne convient ni à la situation, ni au personnage :

Le vieillard. Quas-tu donc? Est-ce que ta femme te déplaît?

Le mari. Elle! Peux-tu le demander?

Le vieillard. Mais enfin que t'a-t-elle fait?

Le mari. Ah! ne me parle pas d'elle! Aussitôt que je rentre chez moi, à peine me suls-je assis, elle vient me donner un baiser, et m'empoisonne de son haleine fétide.

Le vieillard. Ce baiser est donné à bonne intention ; elle veut te faire restituer ainsi le vin que tu as bu hors de chez toi.

On peut encore rapprocher deux autres morceaux entre lesquels la préférence ne peut être douteuse. Voici quel est le sujet de cette nouvelle scène. La fille d'un homme pauvre a été déshonorée dans une fête nocturne; son père n'en a rien su, et sa honte est restée secrète. Cependant elle est devenue grosse, et l'époque de l'accouchement est arrivée. Un esclave honnête et fidèle, qui ignore que sa jeune maitresse est sur le point d'accoucher, et qui n'a eu aucun soupçon de sa faute, s'étant arrêté devant la porte de la maison, entend tout à coup les gémissements et les cris de la jeune fille en mal d'enfant. La crainte, la colère, le soupçon, la compassion, la douleur, l'agitent tour à tour. Ces sentiments divers, tous ces mouvements de l'âme, sont rendus dans la pièce grecque avec une force et une vérité admirables. Le même endroit dans Cécilius est traité froidement, sans noblesse et sans grâce. Ensuite l'esclave s'informe de ce qui se passe, et découvre le mystère : alors voici comment Ménandre le fait parler :

« O trois fois malheureux l'homme pauvre qui se marie et donne le jour à des enfants! O combien il est insensé! car le pauvre n'a point d'amis sur le secours desquels il puisse compter ; et si un malheureux événement l'expose au mépris du monde, il ne peut couvrir sa honte avec de l'or. Sa vie est ouverte à tous les regards, nue, isolée, battue de tous les vents. Il lutte en vain contre sa misère : il fait l'épreuve de tous les maux, et ne peut prendre sa part d'aucun bien. Je parle de mon maître : mais qu'il serve d'exemple à tous. »

Voyons maintenant si le poète latin approche de la pureté et du naturel de ce morceau. Voici les vers de Cécilius, où l'on retrouve des lambeaux de Ménandre, mêlés avec quelques grands mots de tragédie.

« Qu'il est infortuné l'homme pauvre qui donne le jour à des enfants destinés à partager son indigence! car le pauvre ne peut empêcher que ses affaires et sa vie ne paraissent telles qu'elles sont, tandis que le riche peut aisément cacher un déshonneur sous l'éclat de ses trésors. »

Sans doute, comme j'en ai déjà fait la remarque, quand je lis séparément ces vers de Cécilius, il s'en faut qu'ils me paraissent dépourvus d'élégance et d'agrément : mais aussitôt que je les compare avec le grec, il me semble que Cécilius n'aurait pas dû imiter un modèle qu'il était si incapable d'atteindre.

CAPUT  XXIV.

De vetere parsimonia; deque antiquis legibus sumptuariis.

Parsimonia apud veteres Romanos et victus atque coenarum tenuitas non domestica solum observatione ac disciplina, sed publica quoque animadversione legumque complurium sanctionibus custodita est. Legi adeo nuper in Capitonis Atteii Conjectaneis senatus decretum vetus C. Fannio et M. Valerio Messala consulibus factum; in quo jubentur principes civitatis, qui ludis Megalensibus antiquo ritu mutitarent, id est, mutua inter sese dominia agitarent, jurare apud consules verbis conceptis non amplius in singulas cenas sumptus esse facturos, quam centenos vicenosque aeris, praeter olus et far et vinum; neque vino alienigena, sed patrio, usuros; neque argenti in convivio plus pondo, quam libras centum inlaturos. Sed post id senatus consultum lex Fannia lata est, quae ludis Romanis, item ludis plebeis et Saturnalibus, et aliis quibusdam diebus, in singulos dies centenos aeris insumi concessit, decemque aliis diebus in singulis mensibus tricenos, ceteris autem diebus omnibus denos. Hanc Lucilius poeta legem significat, cum dicit:

-- Fanni centussis misellos.

In quo erraverunt quidam commentariorum in Lucilium scriptores, quod putaverunt, Fannia lege perpetuos in omne dierum genus centenos aeris statutos. Centum enim aeris Fannius constituit, sicuti supra dixi, festis quibusdam diebus, eosque ipsos dies nominavit : aliorum autem dierum omnium in singulos dies sumptum inclusit intra aeris alias tricenos, alias denos. Lex deinde Licinia rogata est, quae cum certis diebus, sicuti Fannia, centenos aeris impendi permisisset, nuptiis ducenos indulsit : ceterisque diebus statuit aeris tricenos; cum et carnis aridae et salsamenti certa pondera in singulos dies constituisset :sed quidquid esset natum e terra, vite, arbore, promisce atque indefinite largita est. Hujus legis Laevius poeta meminit in Erotopaegniis. Verba Laevii haec sunt, quibus significat haedum, qui ad epulas fuerat allatus, dimissum, cenamque ita, ut lex Licinia sanxisset, pomis oleribusque instructam:

Lex Licinia, inquit, introducitur,
Lux liquida haedo redditur.

Lucilius quoque legis istius meminit in his verbis: Legem vitemus Licini. Postea L. Sulla dictator, cum legibus istis situ atque senio oblitteratis plerique in patrimoniis amplis helluarentur et familiam pecuniamque suam prandiorum conviviorumque gurgitibus proluissent, legem ad populum tulit, qua cautum est, ut Kalendis, Idibus, Nonis[que] diebusque ludorum et feriis quibusdam sollemnibus sestertios trecenos in cenam insumere ius potestasque esset; ceteris autem diebus omnibus non amplius tricenos. Praeter has leges Aemiliam quoque legem invenimus; qua lege non sumptus cenarum, sed ciborum genus et modus praefinitus est. Lex deinde Antia praeter sumptum acris id etiam sanxit, ut, qui magistratus esset, magistratumve capturus esset, ne quo ad coenam, nisi ad certas personas, itaret. Postrema lex Julia ad populum pervenit Caesare Augusto imperante : qua profestis quidem diebus ducenti finiuntur, Kalendis, Idibus, Nonis et aliis quibusdam festi[vi]s trecenti; nuptiis autem et repotiis HSi mille. Esse etiam dicit Capito Atteius edictum, divine Augusti an Tiberii Caesaris, non satis commemini : quo edicto per dierum varias sollemnitates a trecentis HS. adusque duo sestertia sumptus cenarum propagatus est; ut his saltem finibus luxuriae effervescentis aestus coerceretur.

 CHAPITRE XXIV.

De l'ancienne frugalité et des anciennes lots somptuaires.

La frugalité des mœurs, l'économique simplicité des repas chez les anciens Romains, ne furent pas seulement un usage domestique, mais une obligation publique, maintenue par plusieurs lois sévères. J'ai lu dernièrement dans le recueil de Capiton Atteius, intitulé Conjectures, un ancien décret du sénat, rendu sous le consulat de C. Fannius et de M. Valérius Messala, où l'on ordonnait que, dans les jeux Mégalésiens, les riches citoyens qui s'inviteraient réciproquement à des repas destinés à célébrer la fête, selon l'antique usage, feraient serment devant les consuls, d'après une formule consacrée, de ne pas dépenser pour chaque repas plus de cent vingt as, sans y comprendre les légumes, la farine et le vin; de ne servir aucun vin étranger; et de ne pas mettre sur la table plus de cent livres d'argenterie. Après ce sénatus-consulte, vint la loi Fannias qui permit de dépenser cent as par jour pendant les jeux Romains, Plébéiens, et Saturnaux, et quelques autres fêtes, et qui marqua dans chaque mois dix jours où l'on pouvait en dépenser trente : pendant tous les autres jours la dépense devait se réduire à deux as. Lucilius fait allusion à cette loi lorsqu'il dit :

« Les misérables cent as de Fannius. »

Quelques commentateurs de Lucilius se sont trompés, lorsqu'ils ont dit, à propos de ce passage, que la loi Fannia avait porté à cent as la dépense de tous les jours de l'année. Comme je viens de le dire, Fannius n'autorisa la dépense de cette somme que pour certains jours de fête qu'il eut soin de désigner, et réduisit pour tous les autres jours le prix des repas, tantôt à trente as, tantôt à dix seulement. Ensuite fut portée la loi Licinia, qui, de même que la loi Fannia, désignait certains jours où l'on pouvait mettre cent as à un repas, et, de plus, permettait d'aller jusqu'à deux cents pour les festins de noce. Cette nouvelle loi fixa aussi la dépense des jours ordinaires à trente as : elle réglait pour chaque jour la quantité de viande fumée ou salée que l'on devait consommer, et du reste laissait faire un usage illimité des fruits que chacun recueillait de ses terres, de ses vignes et de ses vergers. Il est question de cette loi dans une pièce du poète Lévius, intitulée  Les jeux de l'Amour. C'est dans une scène où l'on raconte qu'un chevreau, qu'on avait apporté pour un repas, a été renvoyé, et que, conformément à la loi Licinia, la table a été couverte de fruits et de légumes :

« On nous sert pour régal la loi Licinia. Les jours du chevreau sont épargnés. »

Lucilius a plaisanté aussi sur cette loi. « Éludons, dit-il, la loi de Licinius. » Avec le temps, toutes ces anciennes lois tombèrent en désuétude ; et, à l'époque de Sylla , la plupart des riches dissipaient dans les plaisirs de la table d'immenses patrimoines, et des fortunes entières ve- 477 naient s'engloutir dans des repasd'an luxe effréné. Le dictateur fit adopter au peuple une loi qui réglait la dépense de table à trente sesterces pour le jour des calendes, celui des ides, celui des nones, pendant les joursoù se célébraient les jeux, età certaines fêtes de Tannée : pour tous les autres jours, on devait se borner à trois sesterces. Il ne faut pas non plus oublier ici la loi Aemilia, dont les prescriptions sont relatives, non au taux de la dépense, mais à l'espèce et à la quantité des mets. Bientôt après, la loi Antia, outre plusieurs dispositions sur les frais de table, arrêta que les citoyens élevés aux magistratures publiques, ou sur le point d'y parvenir, ne pourraient accepter que de certaines personnes des invitations à dîner. Enfin, sous le règne d'Auguste, fut publiée la loi Julia, qui laissait dépenser deux cents sesterces pour les jours non fériés, trois cents pour les calendes, les ides, les nones, et pour certains jours de fête; mille pour le repas du jour des noces, et pour celui du lendemain. Selon Capiton Attéius, il y eut encore un édit rendu, je ne sais plus au juste si c'est par Auguste ou par Tibère, qui portait la dépense, pour les différentes solennités de l'année, de trois cents sesterces à deux mille, afin de mettre du moins un frein quelconque aux prodigalités d'un luxe insensé.

CAPUT XXV.

Quid Graeci ἀναλπγίαν, quid contra ἀνωμαλίαν vocent.

In Latino sermone, sicut in Graeco, alii ἀναλογίαν sequendam putaverunt, alii ἀνωμαλίαν. Ἀναλογία est similium similis declinatio, quam quidam Latine proportionem vocant. Ἀνωμαλία est inaequalitas declinationum consuetudinem sequens. Duo autem Graeci grammatici illustres Aristarchus et Crates summa ope, ille ἀναλογίαν, hic ἀνωμαλίαν defensitavit. M. Varronis liber ad Ciceronem de lingua Latina octavus nullam esse observationem similium docet, inque omnibus paene verbis consuetudinem dominari ostendit: « Sicuti cum dicimus, inquit, lupus lupi, probus probi, et lepus leporis, item paro paravi et lavo lavi, pungo pupugi, tundo tutudi et pingo pinxi. Cumque, inquit, a coeno et prandeo et poto, et coenatus sum et pransus sum et potus sum dicamus, a destringor tamen et extergeor et lavor destrinxi et extersi et lavi dicimus. Item cum dicamus ab Osco, Tusco, Graeco Osce, Tusce, Graece, a Gallo tamen et Mauro Gallice et Maurice dicimus; item a probus probe, a doctus docte, sed a rarus non dicitur rare, sed alii raro dicunt, alii rarenter » Inde M. Varro in eodem libro: «  Sentior » inquit «  nemo dicit et id per se nihil est, adsentior tamen fere omnes dicunt. Sisenna unus adsentio in senatu dicebat et eum postea multi secuti, neque tamen vincere consuetudinem potuerunt. » Sed idem Varro in aliis libris multa pro ἀναλογίᾳ tuenda scripsit. Sunt igitur ii tamquam loci quidam communes contra ἀναλογίαν dicere et item rursum pro ἀναλογίᾳ.

 CHAPITRE XXV.

Ce que les Grecs entendent par les mots analogie et anomalie.

On a beaucoup discuté sur la question de savoir si, pour parler purement, soit le latin, soit le grec, Il faut avoir soin de se diriger d'après les lois de l'analogie, ou bien s'abandonner aux irrégularités de l'anomalie. Le mot grec ἀναλογία désigne ce que nous appelons quelquefois proportio, à savoir la déclinaison semblable des mots semblables : par ἀνωμαλία, au contraire, les Grecs entendent les irrégularités de déclinaison introduites par l'usage. Deux grammairiens célèbres, Aristarque et Cratès, eurent sur ce sujet une discussion, dans laquelle le premier était partisan opiniâtre de l'analogie, et le second de l'anomalie. Dans son huitième livre Sur la langue latine, dédié à Cicéron, Vairon convient que l'analogie n'est respectée en aucune manière, et que la modification des mots dépend presque toujours de l'usage. Citons-le lui-même : « On dit lupus, lupi, probus, probi; mais on dit lepus, leporis. Le verbe paro fait au parfait paravi; mais lavo fait lavi. pungo fait pupugi, tundo fait tutudi, mais pingo fait pinxi. Aux verbes cœno, prandeo et poto, nous donnons pour parfaits cœnatus sum, pransus sum et potus sum; cependant on emploie comme parfaits d'adstringor, d'extergeor et de lavor, adstrinxi, extersi et lavi. Bien que des mots Oscus, Tuscus, Grœcus, nous formions les adverbes osce, tusce, grœce,  cependant de Gallus et de Maurus nous faisons venir galllice et maurice. De même on dit probe de probus, docte de doctus; mais l'adverbe qu'on tire de rarus n'est pas rare, c'est raro, et quelquefois rarenter. » Dans le même livre Varron fait encore cette remarque : «  Le passif sentior ne se dit pas : ce mot n'aurait aucun sens. Cependant tout le monde dit assentior. Sisenna, en donnant son avis dans le sénat, disait seul assentio : beaucoup d'autres, après lui, employèrent la même forme, mais sans pouvoir triompher 478 de l'usnge.» Du reste, Varron lui-même a fréquemment défendu l'analogie dans d'autres ouvrages. On peut donc regarder comme des espèces de lieux communs toutes ces dissertations pour ou contre l'analogie.

CAPUT XXVI.

Sermones M. Frontonis et Favorini philosophi de generibus colorum vocabulisque eorum Graecis et Latinis; atque inibi color spadix cuiusmodi sit.

Favorinus philosophus, cum ad M. Frontonem consularem, pedibus aegrum, viseret, voluit me quoque ad eum secum ire. Ac deinde, cum ibi aput Frontonem, plerisque viris doctis praesentibus, sermones de coloribus vocabulisque eorum agitarentur, quod multiplex colorum facies, appellationes autem incertae et exiguae forent.  Plura sunt, inquit Favorinus, in sensibus oculorum, quam in verbis vocibusque colorum discrimina. Nam, ut alias eorum inconcinnitates omittamus, simplices isti [et] rufi et virides colores singula quidem vocabula, multas autem species differentis habent. Atque eam vocum inopiam in lingua magis latina video, quam in graeca. Quippe qui rufus color, a rubore quidem appellatus est : sed cum aliter rubeat ignis, aliter sanguis, aliter ostrum, aliter crocum, aliter aurum, has singulas rufi varietates latina oratio singulis propriisque vocabulis non demonstrat, omniaque ista significat una ruboris appellatione, cum [tamen] ex ipsis rebus vocabula colorum mutuatur; et igneum aliquid dicit, et flammeum, et sanguineum, et croceum, et , ostrinum, et aureum. Russus enim color et ruber nihil a vocabulo rufi differunt neque proprietates ejus omnes declarant, ξανθὸς autem et ἐρυθρὸς et πυρρὸς et φοῖνιξ habere quasdam distantias coloris rufi videntur vel augentes eum vel remittentes, vel mixta quadam specie temperantes. Tum Fronto ad Favorinum: Non infitias, inquit, imus, quin lingua graeca, quam tu videre elegisse, prolixior fusiorque sit quam nostra : sed in his tamen coloribus, quibus modo dixisti, denominandis, non proinde inopes sumus, ut tibi videmur. Non enim haec sunt sola vocabula rufum colorem demonstrantia, quae tu modo dixisti, rufus et ruber, sed alia quoque habemus plura, quam quae dicta abs te Graeca sunt : fulvus enim et flavus et rubidus et poeniceus et rutilus et luteus et spadix appellationes sunt rufi coloris, aut acuentes eum quasi incendentes, aut cum colore viridi miscentes, aut nigro infuscantes, aut virenti sensim albo illuminantes. Nam phoeniceus, quem tu graece φοίνικα dixisti, et rutilus et spadix phoenicei συνώνυμος, qui factus graece noster est, exuberantiam splendoremque significant ruboris; quales sunt fructus palmae arboris non admodum sole incocti, unde spadici et phoeniceo nomen est: Spadica enim Dorici vocant avulsura e palma termitem cum fructu. Fulvus autem videtur de rufo atque viridi mixtus in aliis plus viridis, in aliis plus rufi liabere : sic[ut] poeta, verborum diligentissimus fulvam aquilam dicit et iaspidem, fulvos galeros et fulvum aurum et arenam fulvam et fulvum leonem, sicque Ennius in annalibus aere fulvo dixit. Flavus contra videtur e viridi et rufo et albo concretus: sic flaventes comae et, quod mirari quosdam video, frondes olearum a Vergilio dicuntur flavae, sic multo ante Pacuvius aquam flavam dixit et fulvum pulverem. Cujus versus, quoniam sunt iucundissimi, libens commemini:

Cedo tuum pedem mi, lymphis flavis fulvum ut pulverem
Manibus isdem, quibus Ulixi saepe permulsi, abluam
Lassitudinemque minuam manuum mollitudine.

Rubidus autem est rufus atrior et nigrore multo inustus.  Luteus contra rufus color est dilutior; unde ei nomen quoque esse factum videtur. Non ergo igitur, inquit, mi Favorine, species rufi coloris plures aput Graecos, quam aput nos nominantur. Sed ne viridis quidem color pluribus a vobis vocabulis dicitur. Neque non potuit Virgilius, colorem equi significare viridem volens, caerulum magis dicere ecum quam glaucum : sed maluit verbo uti notiore graeco, quam inusitato latino. Nostris autem veteribus caesia dicta est, quae a Graecis γλαυκῶπις, ut Nigidius ait, de colore caeli quasi caelia. Postquam haec Fronto dixit, tum Favorinus scientiam rerum uberem, verborumque ejus elegantiam exosculatus: Absque te, inquit, uno forsitan lingua profecto graeca longe anteisset : sed tu, mi Fronto, quod in versu Homerico est, id facis:

Καὶ νύ κεν ἢ παρέλασσας. Ἢ ἀμφήριστον ἔθηκας.

Sed cum omnia libens audivi, quae peritissime dixisti, tum maxime, quod varietatem flavi coloris enarrasti, fecistique, ut intellegerem verba illa ex annali quarto decimo Ennii amoenissima, quae minime intellegebam:

Verrunt extemplo placidum mare: marmore flavo
Caeruleum spumat mare conferta rate pulsum.

Non enim videbatur caeruleum mare cum marmore flavo convenire. Sed cum sit, ita ut dixisti, flavus color e viridi et albo mixtus, pulcherrime prorsus spumas virentis maris flavom marmor appellavit.

 CHAPITRE XXVI.

Entretien de M. Fronton et de Favorinus sur différentes espèces de couleurs, et sur leurs noms grecs et latins. Ce que c'est que la couleur appelée spadix.

Un jour le philosophe Favorinus allant voir M. Fronton, malade d'un accès de goutte, m'emmena avec lui dans cette visite. Nous trouvâmes l'illustre consulaire entouré d'une réunion d'hommes instruits. La conversation étant tombée sur les couleurs et leurs différents noms, on s'étonna que, pour désigner tant de nuances si variées, la langue ne fournit qu'un petit nombre de mots, la plupart d'un sens peu précis. « En effet, dit Favorinus, l'œil découvre bien plus de couleurs que les langues n'en distinguent ; car, sans parler des autres nuances, combien de variétés présentent les couleurs rouge et verte, dont le nom ne change pas ! Du reste, il est vrai que c'est dans la langue latine bien plus que dans la grecque que cette pénurie de termes se fait sentir : ainsi nous employons le mot rufus pour désigner la couleur rouge ; mais cette couleur diffère dans le feu, dans le sang, dans la pourpre, dans le safran : la langue latine ne donne rien pour exprimer ces diverses teintes, et les confond toutes sous un seul et même terme; ou du moins, si elle permet de les désigner, c'est avec des mots tirés des objets mêmes qui en sont revêtus : par exemple, nous disons igneus et flammeus, couleur de feu, sanguineus, couleur de sang, croceus, couleur de safran, ostrinus, couleur de pourpre, aureus, couleur d'or. Je n'oublie point que, outre rufus, on dit encore russus et ruber; mais ces deux derniers mots ne diffèrent en rien du premier, et ne s'appliquent peint aux variétés du rouge. Au contraire, les Grecs ont les mots ξανθὸς, ἐρυθρὸς, πυρρὸς, φοῖνιξ, qui indiquent dans le rouge les nuances plus ou moins foncées, et celles qui se camp» sent du mélange de plusieurs teintes. » Alors Fronton, prenant la parole à son tour, dit à Favorinus: «  Je suis bien loin de nier que la langue grecque, que vous connaissez mieux que personne, soit plus riche et plus abondante que la nôtre : mais je ne vois pas qu'en fait de noms de couleurs, nous soyons aussi pauvres qu'il vous a plu de le dire. Loin d'être bornés, comme vous l'avez dit, à rufus et à ruber, pour désigner le rouge, nous avons dans notre langue, pour cette couleur, plus de noms que vous n'en avez cité tout à l'heure en grec; en effet, n'avons-nous pas les mots fulvus, flavus, rubidus, phoeniceus, rutilus, luteus, spadix, qui expriment différentes nuances de rouge, le rouge vif et ardent, le rouge mêlé de vert, ou rembruni par une teinte de noir, ou éclairci par une teinte de vert pâle? Phaeniceus, qui est tiré du mot grec φοῖνιξ, que vous citiez tout à l'heure, rutilus, et spadix, synonyme de phoeniceus, et venu comme lui du grec, désignent le rouge le plus brillant et le plus vif, tel que celui qui éclate sur les fruits du palmier avant leur parfaite maturité. Le nom même de ces fruits est l'origine des mots spadix et phœni-ceus. Une branche de palmier arrachée de l'arbre 479 avec ses fruits, s'appelle spadix chez les Doriens. Quant à fulvus, il s'applique aux objets qui offrent un mélange de rouge et de vert, et où c'est tantôt l'une, tantôt l'autre de ces deux couleurs qui domine. Ainsi Virgile, si scrupuleux dans le choix de ses expressions, a dit, fulva aquila, fulva iaspis, fulvi galeri, fulvum aurum, arena fulva, et fulvus leo. Q. Ennius a dit dans ses Annales, aere fulva. Flavus s'emploie pour la couleur composée de vert, de rouge et de blanc. Ainsi on applique au mot comœ l'épithète de flaventes. Virgile a fait de flavus un emploi dont quelques-uns se sont étonnés : il s'en est servi pour peindre le feuillage de l'olivier. Bien avant lui Pacuvlus avait dit, aqua flava, et flavus pulvis. C'est dans ces vers charmants, que je me plais à rappeler ici :

« Laisse-moi répandre cette eau jaunissante sur tes pieds, et essuyer la jaune poussière qui les couvre, avec ces mains qui si souvent, jadis, s'acquittèrent des mêmes soins envers Ulysse; laisse-moi les frotter doucement, pour soulager ta fatigue.»

Cedo tamen pedem, lymphis flavis flavum, etc.

Rubidus indique un rouge sombre et tout chargé déteintes brunes. On appelle luteus, le rouge clair et délayé, dilutior, d'où vient peut-être ce nom. Ainsi donc, mon cher Favorinus, les Grecs n'ont pas pour les nuances du rouge plus de mots que nous : dans le vert même, nous distinguons tout autant de nuances qu'eux. Si Virgile, en parlant d'un cheval dans la couleur duquel il entre des tons verts, s'est servi du mot glaucus, rien ne l'empêchait d'employer le mot cœruleus : mais il a préféré le premier, qui vient du grec, comme étant plus usité. Si les Grecs avaient le mot γλαυκῶπις, pour exprimer la teinte glauque de certains yeux, nos ancêtres se servaient pour le même usage du mot cœsia, qui, selon Nigidius, a pour forme primitive cœlia, et désigne la couleur du ciel. Lorsque Fronton eut fini de parler, Favorinus, charmé de l'étendue de son érudition et de l'élégance de son langage, lui dit : En vérité, sans vous, rien n'eût pu m'ôter de l'esprit que la langue grecque l'emportait de beaucoup, pour cette espèce de mots, sur la notre. Mais, pour vous appliquer un vers d'Homère,

« Vous avez vaincu, ou du moins vous avez rendu la victoire incertaine. »

Parmi les savantes explications que vous nous avez données, et que j'ai entendues avec le plus grand plaisir, j'ai été charmé surtout de ce que vous nous avez dit sur la nuance désignée par le mot flavus. Grâce à vous, je comprends maintenant un beau passage du quatorzième livre d'Ennius, où j'avais rencontré une difficulté qu'il m'était impossible de résoudre :

« Aussitôt ils fendent doucement la surface unie de la mer jaunissante, et l'onde verdâtre écume sous la proue des nombreux vaisseaux. »

Je ne savais comment accorder ensemble ces deux expressions, la mer jaunissante et l'onde verdâtre; mais puisque, comme vous nous l'avez appris, il entre dans la couleur jaune du blanc et du vert, le poète fait une peinture très-juste, lorsqu'il appelle cette onde verdâtre qui écume, une mer jaunissante.

CAPUT XXVII.

Quid T. Castricius existimaverit super Sallustii verbis et Demosthenis, quibus alter Philippum descripsit, alter Sertorium.

Verba sunt haec gravia atque illustria de rege Philippo Demosthenis: Ἑώρων δ' αὐτὸν τὸν Φίλιππον, πρὸς ὃν ἦν ἡμῖν ὁ ἀγών, ὑπὲρ ἀρχῆς καὶ δυναστείας, τὸν ὀφθαλμὸν ἐκκεκομμένον, τὴν κλεῖν κατεαγότα, τὴν χεῖρα, τὸ σκέλος πεπηρωμένον, πᾶν ὅ τι βουληθείη μέρος ἡ τύχη τοῦ σώματος παρελέσθαι, τοῦτο προιέμενον, ὥστε τῷ λοιπῷ μετὰ τιμῆς καὶ δόξης ζῆν. Haec aemulari volens Sallustius de Sertorio duce in historiis ita scripsit: « Magna gloria tribunus militum in Hispania T. Didio imperante, magno usui bello Marsico paratu militum et armorum fuit : multaque tum ductu ejus curata, primo per ignobilitatem, deinde per invidiam scriptorum celata sunt : quae eminus facie sua ostentabat, aliquot adversis cicatricibus et effosso oculo. Quo ille dehonestamento corporis maxime laetabatur :neque illis anxius, quia reliqua gloriosius retinebat. » De utriusque his verbis T. Castricius cum judicaret: Nonne, inquit, ultra naturae humanae modum est dehonestamento corporis laetari? Siquidem laetitia dicitur exsultatio quaedam animi gaudio efferventior eventu rerum expetitarum. Quanto illud sinceriusque et humanis magis condicionibus conveniens: πᾶν ὅ τι βουληθείη μέρος ἡ τύχη τοῦ σώματος παρελέσθαι, τοῦτο προιέμενον. Quibus verbis, inquit, ostenditur Philippus non, ut Sertorius, corporis dehonestamento laetus, quod est, inquit, insolens et immodicum, sed prae studio laudis et honoris, jacturarum damnorumque corporis contemptor, qui singulos artus suos fortunae prodigendos daret quaestu atque compendio gloriarum.

 CHAPITRE XXVII.

Opinion de Titus Castricius sur les portraits que Démosthène et Salluste ont fait, l'un de Philippe, l'autre de Sertorius.

On connaît ces vives et énergiques paroles de 480 Démosthène sur le roi Philippe : « Mais je voyais Philippe, dans cette guerre engagée avec nous au sujet du commandement, je le voyais, un œil crevé, une épaule brisée, une main et une jambe blessées, s'exposer encore au péril, et faire volontiers le sacrifice de tous les membres qu'il plairait à la fortune de lui enlever, afin de vivre plus tard puissant et glorieux. » Salluste a imité cette peinture dans un passage de ses histoires, où il est question de Sertorius. « Sertorius, dit-il, se couvrit de gloire en Espagne, où il fit la guerre en qualité de tribun militaire, sous les ordres de T. Didius. Il rendit de grands services pendant la guerre des Marses : il déploya le zèle le plus actif pour les levées de soldats et les approvisionnements d'armes, et, dans plusieurs expéditions qu'il commanda, il se signala par des exploits que l'obscurité des premiers écrits qui les retracèrent, et la jalousie des historiens plus récents, ont privé de l'éclat qui leur était dû. Il portait avec orgueil sur son visage les traces de sa bravoure, qui frappaient de loin les regards. Ses joues étaient sillonnées de cicatrices, un de ses yeux était crevé : mais il s'applaudissait d'être ainsi défiguré. Il ne regrettait pas ce qu'il avait perdu dans les combats, parce que la gloire embellissait ce qu'il avait conservé. » T. Castricius comparant ces deux morceaux, faisait cette remarque : N'est-il pas contre nature de se réjouir de ce qui défigure notre corps? car la joie n'est autre chose que le mouvement de plaisir causé par un événement heureux. N'y a-t-il pas bien plus de vérité et de convenance dans ces paroles de Démosthène : « Il faisait volontiers le sacrifice de tous les membres qu'il plairait à la fortune  de lui enlever? » Cela nous montre Philippe, non pas se réjouissant, comme Sertorius, d'être défiguré par ses blessures, ce qui est outré et invraisemblable; mais comptant pour rien, dans son ardent désir de s'illustrer, la mutilation de ses traits et la perte de ses membres, et s'offrant tout entier aux coups de la fortune, pour conquérir cette gloire qu'il ambitionne.

CAPUT XXVIII.

Non esse compertum, cui deo rem divinam fieri oporteat, cum terra movet.

Quaenam esse causa videatur, quamobrem terrae tremores fiant, non modo his communibus hominum sensibus opinionibusque compertum [non est], sed ne inter physicas quidem philosophias satis constitit, ventorumne vi accidant specus hiatusque terrae subeuntium, an aquarum subter in terrarum cavis undantium pulsibus fluctibusque, ita uti videntur existimasse antiquissimi Graecorum, qui Neptunum ἐννοσίγαιον  καὶ σεισίχθονα appellaverunt, an cujus aliae rei causa, alteriusve dei vi ac numine, nondum, etiam, sicuti diximus, pro certo creditum. Propterea veteres Romani, cum in omnibus aliis vitae officiis, tum in constituendis religionibus atque in diis inmortalibus animadvertendis castissimi cautissimique, ubi terram movisse senserant, nuntiatumve erat, ferias ejus rei causa edicto imperabant; sed dei nomen, ita uti solet, cui servari ferias oporteret, statuere et edicere quiescebant; ne alium pro alio nominando, falsa religione populum alligarent. Eas ferias si quis polluisset, piaculoque ob hanc rem opus esset, hostiam SI. SEO. SI. DEAE immolabant, idque ita ex decreto pontificum observatum esse M. Varro dicit: quoniam, et qua vi, et per quem deorum dearumve terra tremeret, incertum esset. Sed de lunae solisque defectionibus, non minus in ejus rei causa reperienda sese exercuerunt. Quippe M. Cato, vir in cognoscendis rebus multi studii, incerta tamen et incuriose super ea re opinatus est. Verba Catonis ex Originum quarto haec sunt: « Non lubet scribere, quod in tabula apud Pontificem maximum est, quotiens annona cara, quotiens Lunae aut Solis lumine caligo aut quid obstiterit. » Usque adeo parvi fecit rationes veras solis et lunae deficientium vel scire vel dicere.

 CHAPITRE XXVIII.

Que l'on ignore à quel dieu il faut faire des sacrifices dans les tremblements de terre.

On ignore généralement la cause des tremblements de terre; non-seulement le vulgaire ne peut se rendre compte de ce phénomène, mais les philosophes même qui ont étudié les secrets de la nature ne peuvent en indiquer positivement l'origine. Faut-il l'expliquer par l'action des venta qui se précipitent avec violence dans les cavités intérieures du globe, ou bien le regarder comme un ébranlement causé par l'agitation des eaux que la terre recèle dans ses abîmes, ainsi que paraissent l'avoir cru les anciens Grecs, qui appelaient Neptune, le dieu qui ébranle la terre? ou bien l'attribuer à quelque autre cause, ou à quelque autre divinité? II n y a point à ces questions de réponse certaine. C'est pourquoi les anciens Romains, si scrupuleux dans l'observation de leurs devoirs, surtout de ceux qui concernaient la religion, si attentifs à honorer les dieux, ne manquaient pas, toutes les fois qu'ils avaient été témoins ou qu'ils avaient entendu parler d'un tremblement de terre, de prescrire, par un édit, des cérémonies publiques; mais, contre la coutume , ils omettaient de nommer le dieu en l'hon- 481 neur duquel les cérémonies devaient être célébrées, parce qu'ils auraient pu prendre une divinité pour une autre, et qu'ils craignaient d'imposer au peuple un culte fondé sur une erreur. Si l'on avait manqué aux devoirs religieux de cette solennité, on était obligé de faire un sacrifice expiatoire; et, ainsi que Varron nous l'apprend, le décret des pontifes qui prescrivait ce sacrifice portait qu'il serait offert AU DIEU, OU A LA DEESSE, parce qu'on ne savait pas quelle puissance ébranlait la terre, et de quel sexe était la divinité qu'on devait honorer. Un autre phénomène qui n'a pas moins exercé l'esprit des savants, ce sont les éclipses de soleil et de lune. M. Caton, dont la passion pour la science est bien connue, a parlé des éclipses en homme incertain et même avec un ton d'indifférence. Il dit dans son quatrième livre des Origines « Je ne m'arrêterai point à « dire ici tout ce qu'on trouve dans les Annales du grand pontife, par exemple quand les vivres ont été chers, ou bien à quelles époques de l'année un nuage obscur, ou toute autre cause, a produit une éclipse de soleil ou de lune. » Ainsi, il parait ne point se soucier de savoir et d'apprendre aux autres la cause de ce phénomène.

CAPUT XXIX.

Apologus Aesopi Phrygis memoratu non inutilis.

Aesopus ille e Phrygia fabulator haud inmerito sapiens existimatus est; cum, quae utilia monitu suasuque erant, non severe, neque imperiose praecepit et censuit, ut philosophis mos est, sed festivos delectabilesque apologos commentus res salubriter ac prospicienter animadversas in mentes animosque hominum cum audiendi quadam inlecebra induit. Velut haec ejus fabula de aviculae nidulo lepide atque jucunde promonet, spem fiduciamque rerum, quas efficere quis possit, haud unquam in alio, set in semetipso habendam. Avicula, inquit, est parva. Nomen est cassita. Habitat nidulaturque in segetibus, id ferme temporis, ut appetit messis pullis, jam iam plumantibus. Ea cassita in sementes forte congesserat tempestiviores. Propterea frumentis flavescentibus pulli etiam tunc involucres erant. Cum igitur ipsa iret cibum pullis quaesitum, monet eos, ut, si quid ibi rei novae fieret dicereturve, animadverterent, idque [uti] sibi, ubi redisset, renuntiarent. Dominus postea segetum illarum filium adulescentem vocat et :Videsne, inquit, haec ematuruisse, et manus jam postulare? Idcirco die crastini, ubi primum diluculabit, fac amicos eas et roges, veniant, operamque mutuam dent, et messem hanc nobis adjuvent. Haec ubi ille dixit, et discessit,. utque ubi rediit cassita, pulli trepiduli circumstrepere, orareque matrem, ut jam statim properet, inque alium locum sese asportet: nam dominus, inquiunt, misit, qui amicos rog[ar]et, uti luce oriente veniant et metant. Mater jubet eos otioso animo esse: si enim dominus, inquit, messim ad amicos rejicit, crastino seges non metetur; neque necessum est, hodie uti vos auferam. 10 Die,inquit, postero mater in pabulum volat. Dominus, quos rogaverat, opperitur. Sol fervit, et fit nihil : et amici nulli eunt. Tum ille rursum ad filium: Amici isti magnam partem, inquit, cessatores sunt. Quin potius imus, et cognatos, affinesque nostros oramus, ut assint cras tempori ad metendum? Itidem hoc pulli pavefacti matri nuntiant. Mater hortatur, ut tum quoque sine metu ac sine cura sint : cognatos affinesque nullos ferme tam esse obsequibiles ait, ut ad laborem capessendum nihil cunctentur, et statim dicto oboediant: Vos modo, inquit, advertite, si modo quid denuo dicetur. Alia luce orta avis in pastum profecta est. Cognati et affines operam, quam dare rogati sunt, supersederunt. Ad postremum igitur dominus filio: Valeant, inquit, amici cum propinquis. Afferes primo luci falces duas; unam egomet mihi et tu tibi capies alteram, et frumentum nosmetipsi manibus nostris cras metemus. Id ubi ex pullis dixisse dominum mater audivit: Tempus, inquit, est cedendi et abeundi : fiet nunc dubio procul, quod futurum dixit. In ipso enim jam vertitur, cuja res est, non in alio, unde petitur. Atque ita cassita nidum migravit, et seges a domino demessa est. Haec quidem est Aesopi fabula de amicorum et propinquorum quorum levi plerumque et inani fiducia. Sed quid aliud sanctiores libri philosophorum monent, quam ut in nobis tantum ipsis nitamur; alia autem omnia, quae extra nos extraque nostrum animum sunt, neque pro nostris, neque pro nobis ducamus? Hunc Aesopi apologum Q. Ennius in Satiris scite admodum et venuste versibus quadratis composuit : quorum duo postremi isti sunt, quos habere cordi et memoriae operae pretium esse hercle puto:

Hoc erit tibi argumentum semper in promptu situm:
Ne quid exspectes amicos, quod tute agere possies.

 CHAPITRE XXIX.

Apologue intéressant du Phrygien Esope.

Ésope de Phrygie, le fabuliste, a été mis justement au rang des sages : en effet, tout ce qu'on peut conseiller aux hommes de plus sage et de plus salutaire, il l'a enseigné, non avec l'impérieuse sévérité d'un philosophe qui dogmatise, mais en dissimulant ses leçons sous ces fables piquantes et aimables, qui faisaient entrer les plus utiles réflexions dans les esprits gagnés par l'attrait du plaisir. Tel est cet apologue où, par l'histoire d'un petit oiseau et de sa couvée, il nous fait voir avec tant d'agrément que, dans toutes les affaires dont on peut venir à bout seul, il ne faut point compter sur les autres, et que le plus sûr en pareil cas est de s'en rapporter à soi-même. « Il y a, dit-il, un petit oiseau qu'on appelle l'alouette. Il habite et fait son nid dans les blés, assez tôt pour qu'à l'approche de la moisson, ses petits soient déjà couverts de plumes. Une alouette avait fait son nid dans des blés qui mûrirent avant la saison : déjà les épis jaunissaient, et la couvée n'avait pas encore de plumes. Un jour, la mère avant de partir pour aller chercher la pâture de ses petits, les avertit de bien remarquer ce qui arriverait en son absence, et de lui rapporter exactement à son retour ce qu'ils auraient vu ou entendu. Elle part, et bientôt après le maître du champ arrive, appelle son jeune fils, et lui dit : Tu vois que ces blés sont mûrs et n'attendent que la faucille; demain donc, dès le point du jour, va trouver nos amis, et prie-les de venir nous aider à moissonner ce champ. Ayant ainsi parlé, il s'éloigne. L'alouette revient ; les petits tout tremblants se pressent en criant autour d'elle, la suppliant de les emmener, de chercher au plus vite un autre asile : Le maître du champ, disent-ils, a envoyé prier ses amis de venir au point du jour, pour faire la moisson. Leur mère les rassure : Soyez en paix, dit-elle; si le maître compte sur ses amis pour couper ses blés, la moisson n'aura pas lieu demain. Le lendemain venu, l'alouette se 482 met en quête pour le repas de la couvée. Le maître attend les amis qu'il a fait appeler : le soleil devient plus ardent, le temps se passe, personne n'arrive. Alors perdant patience : Ma foi, mon fils, dit-il, c'est une espèce de gens paresseuse que les amis. Que n'allons-nous plutôt chez nos proches, nos parents, nos voisins, les prier de se trouver ici demain pour nous aider! Nouvelle frayeur pour les petits de l'alouette : ils rapportent à leur mère ce qu'ils ont entendu. Celle-ci leur répond encore qu'ils peuvent être sans crainte ; que des parents et des voisins ne sont pas gens à faire diligence, et à rendre service sans délai. Cependant, ajoute-t-elle, continuez de faire attention à tout ce qu'on dira. Le jour suivant, elle s'en va chercher pâture. Les parents, invités à venir travailler, ne paraissent point. Enfin le maître dit à son fils : Bien fou qui compte sur les omis et les parents ! apporte ici demain, au point du jour, deux faucilles, l'une pour moi, l'autre pour toi, et nous ferons notre moisson de nos propres mains. Quand l'alouette le sut : Cette fois, mes enfants, dit-elle, c'est le moment de faire retraite. Nous pouvons être sûrs que ce qui a été dit sera fait; car maintenant l'affaire est entre les mains de celui qu'elle regarde, et ne dépend plus de l'assistance d'autrui. Et sans tarder, l'alouette fait déloger sa famille, et le maître moissonna son champ. » Telle est la fable imaginée par Ésope, pour montrer combien l'on doit peu compter d'ordinaire sur le secours des parents et des amis. Mais cette leçon, est-ce autre chose que le grand précepte donné aux hommes par la philosophie, de chercher en nous-mêmes toutes nos ressources, de ne jamais considérer comme non appartenant, comme nous étant propre, ce qui est hors de nous et indépendant de notre volonté? Q. Eunius a imité cet apologue d'Ésope avec beaucoup de talent et de grâce, dans un morceau de ses satires écrit en vers iambiques de huit pieds. En voici les derniers vers, qui méritent, à mon sens, d'être retenus :

« Ayez toujours cette vérité présente à l'esprit: ; N'attendez rien de vos amis pour vos affaires, quand vous pouvez les faire vous-même. »

 

CAPUT XXX.

Quid observatum sit in undarum motibus, quae in mari alio atque alio modo fiunt austris flantibus aquilonibusque.

Hoc saepenumero in undarum motu [observatum est], quas aquilones venti quique ex eadem caeli regione aer fluit, [quave] faciunt in mari austri atque africi. Nam fluctus, qui flante aquilone maximi et creberrimi excitantur, simul ac ventus posuit, sternuntur et conflaccescunt et mox fluctus esse desinunt. At non idem fit flante austro vel africo : quibus jam nihil spirantibus undae tamen factae diutius tument, et a vento quidem iamdudum tranquilla sunt, sed mare est etiam atque etiam undabundum. Ejus rei causa esse haec conjectatur, quod venti a septentrionibus ex altiore caeli parte in mare incidentes deorsum in aquarum profunda quasi praecipites deferuntur undasque faciunt non prorsus inpulsas, sed imitus commotas : quae tantisper erutae volvuntur, dum illius infusi desuper spiritus vis manet. 5 Austri vero et africi ad meridianum orbis circulum et ad partem axis infimam depressi inferiores et humiles per suprema aequoris euntes protrudunt magis fluctus quam eruunt, et idcirco non desuper laesae, sed propulsae in adversum aquae etiam desistente flatu retinent aliquantisper de pristino pulsu impetum. Id autem ipsum, quod dicimus, ex illis quoque Homericis versibus, si quis non incuriose legat, adminiculari potest. Nam de austri flatibus ita scripsit:

Ἔνθα νότος πόντοιο κλυδῶνα εἰς λάαν ὠθεῖ,

Contra autem de borea, quem aquilonem nos appellamus, alio dicit modo:

Καὶ βορέης αἰθρηγενέτης μέγα κῦμα κυλίνδων.

Ab aquilonibus enim, qui alti supernique sunt, fluctus excitatos quasi per prona volvi dicit, ab austris autem, his qui humiliores sunt, maiore vi quadam propelli sursum atque subjici. Id enim significat verbum ὠθεῖ; sicut alio in loco: λάαν ἄνω ὠθεῖ. Id quoque a peritissimis rerum philosophis observatum est austris spirantibus mare fieri glaucum et caeruleum, aquilonibus obscurius atriusque. ; cujus rei causam, cum Aristotelis libros problematorum praecerperemus, notavi. « Cur austro spirante mare caeruleum fiat, aquilone obscurius atriusque? An propterea, quod aquilo minus mare perturbat ?  Omne autem, quod tranquillius est, atrum mare videtur. »

CHAPITRE XXX.

Quelles observations on a faites sur la diversité des mouvements que l'Auster et l'Aquilon impriment aux flots de la mer.

On a souvent remarqué une différence singulière entre les vagues qui sont formées dans la mer par l'Aquilon et les autres vents du nord, et celles qu'y soulèvent l'Auster et les vents d'Afrique. L'Aquilon couvre la mer de vagues très-hautes, qui, aussitôt qu'il a cessé de souffler, retombent, se ralentissent, et bientôt disparaissent entièrement. Mais il en est autrement dans les tempêtes causées par l'Auster et l'Africus : lorsqu'ils ont cessé de souffler, on voit se dresser encore les flots qu'ils ont formes, et, malgré la tranquillité de l'air, la mer reste longtemps agitée. On a cherche à expliquer cette différence par la conjecture suivante. Les vents du nord, partis des plus haut» régions du ciel, tombent directement sur les eaux, se précipitent dans leur sein entr'ouvert et les agitent en les creusant; ils soulèvent la mer, non 483 en poussant de côté la partie supérieure de ses ondes, mais en la bouleversant dans ses fondements : ils forment ainsi des vagues qui ne durent que tant que leur souffle impétueux fond d'en haut sur l'abîme. Mais l'Auster et l'Africus, relégués au midi vers l'extrémité inférieure de l'axe, et partant de la plus basse région, ne peuvent que courir sur la surface de la mer, et roulent les flots plot qu'ils ne les soulèvent : on conçoit alors que les eaux, n'étant pas pressées d'en haut et forcées de s'ouvrir, mais seulement poussées et entrechoquées avec violence, conservent l'impulsion reçue, et s'agitent encore, lorsque le vent a cessé. On pourrait peut-être citer à l'appui de cette conjecture, des vers d'Homère, qui, si ou y fait attention, confirment tout ce qui vient d'être dit Voyez comment il parle du vent du midi dans ce vers:

« Le Notus pousse tas flots contre le rocher. »

Il n'emploie pas les mêmes termes en parlant de Borée, que nous nommons l'Aquilon :

« Et Borée qui chasse les nuages et soulève des vagues énormes. »

Par là, Il donne à entendre que l'Aquilon, qui se précipite du haut du ciel, creuse en quelque sorte des gouffres où le flot soulevé retombe; tandis que l'Auster, parti des régions inférieures, chasse les flots devant lui, et les pousse en l'air par la violence de son souffle. Le verbe ὠθεῖν, qu'Homère emploie ici pour l'Auster, signifie pousser en haut, et a le même sens que dans un autre passage, où il dit : λάαν ἄνω ὠθεῖ : « il pousse en haut la pierre. » Une autre observation faite par les plus savants physiciens, c'est que, lorsque l'Auster gonfle la mer, ses eaux paraissent verdâtres, ou d'un bleu foncé; tandis qu'au contraire, lorsque l'Aquilon se déchaîne, elles deviennent noires. J'ai trouvé, en feuilletant les Problèmes d'Aristote, quelques mots qui donnent une explication de ce phénomène : « Pourquoi,  quand l'Auster souffle sur la mer, sa surface paraît-elle bleuâtre, et, lorsque c'est l'Aquilon, prend-elle une teinte sombre? Est-ce parce que l'Aquilon trouble moins violemment les ondes? Or, on sait que moins un objet est en mouvement, plus il paraît noir. »