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ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

Du Luxe 

Le Livre XII des Deipnosophistes

 

   

 

 

tRADUCTION française

(1-20) (21-40) (41- 60) (61-81

 

 

Pour le texte grec cliquez sur le numéro du chapitre

 

41. Dans le livre XV de son Histoire de Philippe, Théopompe dit que Straton, roi de Sidon, fut le plus luxurieux de tous les hommes. Les fêtes relatées par Homère dans sa description des Phéaciens, où il les décrit s'enivrant et se gargarisant sans cesse avec le son de la harpe et les chants des aèdes, correspondaient tout à fait aux sauteries qu'organisait Straton. En effet, ce prince ne cessa de se rassasier de plaisirs. Alors que les Phéaciens, si l'on suit Homère, festoyaient en compagnie de leurs épouses et de leurs filles, Straton, lui, s'acoquinait avec les petites joueuses de flûte, les chanteuses et les belles harpistes ; en outre, il aimait à s'entourer d'une cohorte de filles de petite vertu arrivant du Péloponnèse, de chanteuses ioniennes, mais aussi de mijaurées venues des quatre coins de la Grèce, qu'elles fussent chanteuses ou danseuses. Il ne se gênait guère pour les partager avec ses amis ; bref il passait la plus grande partie de son temps entre les bras des prostituées : c'était le mode de vie qu'il préférait, tant il était l'esclave de ses vices. Mais il avait aussi en tête l'idée de rivaliser avec Nicoclès dans le stupre : d'où leur jalousie réciproque, chacun d'eux cherchant à surpasser l'autre dans les voluptés ; ils en arrivèrent à une telle concurrence que, d'après ouï dire, ils questionnaient leurs convives au sujet de leurs biens et de la pompe de leurs sacrifices, pour mieux ensuite les surpasser. Leur dessein était de se donner une apparence d'opulence outrancière et de bonheur sans borne. Mais force est de constater qu'ils ne furent jamais heureux dans leur vie, et ils périrent tous deux de mort violente. Voyons plutôt ce qu'écrit Anaximène, dans son livre sur les Vicissitudes des rois : après avoir narré les mêmes faits décrits plus haut, notre auteur ajoute que la folle rivalité dans laquelle s'engagèrent Straton et Nicoclès, roi de Salamis de Chypre, provoqua leur chute à tous deux.

42. Dans le premier livre de son Histoire de Philippe, Théopompe parle en ces termes de Philippe :

« En deux jours de temps, il arriva à Onocarsis, une région de Thrace où il y avait un endroit superbe, tout à fait agréable pour y séjourner, surtout l'été. C'était l'un des lieux favoris de Cotys, qui, plus que tous les autres rois de Thrace, avait une prédisposition pour le luxe : c'est pour cette raison que, chaque fois qu'il était en villégiature et qu'il découvrait des coins charmeurs, ombragés, plantureux, et sillonnés par de frais ruisseaux, il les transformait aussitôt en place festive, les visitant alternativement, au gré de ses envies, y faisant des sacrifices aux dieux et y rassemblant ses courtisans. De fait, il fut le plus heureux des princes, jusqu'à ce qu'il commît un sacrilège envers Athéna. »

L'historien dit plus loin que Cotys organisa un banquet où il voulut célébrer ses noces avec Athéna. Quand la chambre nuptiale fut installée, il attendit la déesse, alors même qu'il était déjà sous l'emprise du vin. Devenu complètement ivre, il envoya un de ses gardes du corps pour voir si la déesse était arrivée dans l'alcôve. Quand le pauvre soldat revint, et lui annonça qu'Athéna avait visiblement fait faux bon, Cotys entra dans une rage folle, et tua l'homme à coups de flèches ; ceci fait, il envoya un deuxième garde qu'il massacra encore pour la même raison. Le troisième s'avéra plus astucieux, et signifia au roi que la déesse était depuis longtemps sur les lieux et qu'elle commençait à se morfondre. Ajoutons que ce même souverain, miné par la jalousie, avait jadis tué sa femme de ses propres mains, puis l'avait découpée en morceaux, en commençant cet horrible besogne par son sexe !

43. Dans le livre XIII de son Histoire de Philippe, Théopompe racontant l'histoire de Chabrias d'Athènes, nous dit ceci : 

« Il ne pouvait sérieusement vivre dans cette ville, du fait de la vie de patachon qu'il menait et des dépenses qu'occasionnait un tel mode vie ; en outre, les Athéniens sont très antipathiques envers tout le monde ; aussi, leurs citoyens les plus éminents préfèrent-ils s'expatrier : c'est ainsi que Iphicrate s'établit en Thrace, Conan à Chypre, Timothéos à Lesbos, Charès à Sigée, et Chabrias lui-même en Égypte. » 

De Charès, il ajoute dans le livre XL de son ouvrage : 

« Charès était fort mollasson, malgré sa trépidante vie de débauches ; quand il se lançait dans des opérations militaires, il était accompagné de joueuses de flûte et de harpe, et même de prostituées ; quant aux richesses qu'il obtenait à la suite des pillages, il faut bien avouer qu'il en dilapidait une partie pour assouvir ses penchants orgiaques, le reste de cet argent étant destiné aux orateurs et aux hommes publics, ainsi qu'aux particuliers dont les jugements étaient en suspens. Malgré tout, les Athéniens ne furent jamais indignés par ce comportement ; au contraire même, les citoyens l'aimaient d'autant plus, car, à travers lui, c'est eux-mêmes qui se reconnaissaient : d'abord, les jeunes gens qui se défoulaient dans des maisons de passe avec des musiciennes fort complaisantes ; les plus vieux aussi, qui s'enivraient dans les tavernes et se livraient à des jeux douteux ou à des occupations minables ; enfin, le peuple dans sa globalité, qui dépensait des fortunes en banquets publics et en distribution de viande, au lieu de s'intéresser aux affaires de l'État. »

De plus, dans le livre de ce même Théopompe, intitulé Sur les richesses enlevées à Delphes, il ajoute :  

« Grâce à l'intervention de Lysandre, Charès d'Athènes fit don de soixante talents. Avec cette somme, il régala les Athéniens dans l'Agora, et organisa maints sacrifices pour célébrer sa victoire remportée sur les mercenaires de Philippe. »

Ces derniers étaient sous l'autorité d'Adaéos, surnommé le Coq, personnage dont fait mention Héracléidès le comique dans l'une de ses comédies : 

« Il s'est payé le coq de Philippe, parce que l'animal avait chanté trop tôt, et qu'il errait dans les environs : c'est ainsi qu'il l'a déplumé et mis dans un sale état, au point qu'il n'avait plus de crête ! Certes, Charès n'a taillé en pièce qu'une toute petite armée, mais il a réussi à contenter beaucoup d'Athéniens à cette occasion. Ah ! quelle générosité ! »

Les mêmes faits sont évoqués également par Douris.
 
44. Idoménée indique que les Pisistratides, Hippias et Hipparque, inventèrent  des banquets et des fêtes d'un genre nouveau : la conséquence en fut une recrudescence de chevaux à Athènes, mais aussi un gouvernement des plus tyranniques. Quant à leur père Pisistrate, il fut un adepte plus modéré des plaisirs ; Théompope dit même, dans son livre XXI, qu'il refusait de placer des gardes à l'entrée de ses domaines, si bien que toute le monde pouvait les visiter librement. C'est ce que fit plus tard Cimon, qui suivait son exemple. En ce qui concerne ce personnage, Théopompe nous livre ce témoignage dans le livre X de son Histoire de Philippe :
 

« Cimon d'Athènes ne posta aucun garde dans ses domaines et ses jardins, et refusait qu'on surveillât les récoltes de ses vergers ; il voulait que tous les citoyens qui le souhaitaient entrassent dans ces lieux et y cueillissent tous les fruits dont ils avaient besoin. Enfin, sa demeure était ouverte à tous ; une table frugale y était  toujours dressée pour régaler les visiteurs, en particulier les plus pauvres d'entre eux. Cimon était très affable, même à l'égard de ceux qui venaient tous les jours réclamer une aide matérielle. On raconte qu'il avait sans cesse à ses côtés deux ou trois jeunes gens, chargés de distribuer des pièces à quiconque signifiait son besoin d'assistance. On affirme qu'il contribua également aux dépenses funèbres, et, souvent, quand il apercevait un citoyen en guenilles, il ordonnait à l'un ses acolytes d'échanger ses vêtements avec lui. Par cette conduite, il acquit l'estime de tous les Athéniens, si bien qu'il fut longtemps le premier d'entre eux. »

Revenons à Pisistrate. Il s'avère qu'il pouvait se montrer fort cruel en certains cas, à tel point que l'on croyait retrouver en lui les traits furieux de Dionysos.

45. Au sujet de Périclès l'Olympien, Héracléidès du Pont déclare, dans son livre Sur le Plaisir, que le grand homme répudia son épouse et se consacra dès lors à une vie de plaisirs ; c'est ainsi qu'il entretint une liaison avec la belle Aspasie, une courtisane de Mégare, et qu'il dépensa des fortunes pour elle.

Avant lui, Thémistocle, à une époque où les Athéniens n'étaient pas encore touchés par la dépravation et ne fréquentaient pas les putains, attela ouvertement quatre courtisanes à un char, et se fit conduire ainsi jusqu'au quartier du Céramique, alors noir de monde. Idomémée se demande s'il a réellement mis le joug à ces quatre créatures, ou s'il les a fait monter dans son char. Dans le livre III de son Histoire de Magnésie, Possis dit que Thémistocle, ayant bien honoré sa charge à Magnésie, obtint le droit de ceindre une couronne, puis de faire des sacrifices à Athéna - qui devinrent ensuite la fête des  Panathénées - ainsi qu'à Dionysos Choopotès, instituant par là même la fête des Cruches.

Cléarchos, dans le livre I de son ouvrage Sur l'Amitié, affirme que Thémistocle, bien qu'il eût fait construire un magnifique triclinium, estimait que son plaisir n'en aurait été que plus grand s'il avait pu simplement s'amuser entre amis.

46. Chaméléon du Pont, dans son livre Sur Anacréon, citant ce vers, 

« L'infâme Artémon a jeté son grappin sur le blond Eurypyle, »

explique qu'Artémon avait été affublé de ce surnom pour sa vie scandaleuse, et parce qu'il se faisait porter en litière. Dans les vers qui suivent, Anacréon nous apprend qu'il était passé du stade d'indigent à celui de riche voluptueux :

« Jadis, il était vêtu d'une loque si étroite qu'elle le boudinait ; il portait aux oreilles des boucles en bois ; sur le côté, il avait une peau de bœuf élimée, et, pour couvrir son bouclier, il ne disposait que d'un bout d'étoffe crasseux ; ce répugnant Artémon couchait avec des boulangères et des putes de bas étage, et vivait dans le mensonge. Souvent, son cou avait connu les affres du carcan, et son dos avait été lacéré par les coups de fouet ; on avait aussi arraché par touffes sa pauvre chevelure et les poils de sa barbe. Mais aujourd'hui, fils de Cycê, il se pavane sur un char, arbore des colliers d'or, et possède un parasol d'ivoire, pareil à une femme. »

47. Sur le bel Alcibiade Satyros raconte :

« On dit que, lorsqu'il se rendit en Ionie, il se montra plus voluptueux que les Ioniens ; quand il vint à Thèbes, il devint plus Béotien que le Thébains eux-mêmes dans les exercices du corps ; en Thessalie, il s'occupait bien davantage des chevaux et des courses de chars que les Aléades ; À Sparte, il surpassa les gens de ce pays par sa résistance physique et la rudesse de son mode de vie ; enfin, en Thrace, il se livra à des beuveries telles qu'il en fit pâlir les hommes de cette région.

Un jour, pour mettre à l'épreuve la fidélité de son épouse, il lui envoya mille dariques d'or sous un autre nom que le sien.

Alcibiade était d'une grande beauté, bien qu'il se laissât pousser les cheveux toute sa vie durant ; il portait des souliers du dernier cri, qui, depuis  furent appelés « alcibiades ».

Quand, en tant que chorège, il venait au théâtre avec sa petite cour de mignons et d'amis, les hommes comme les femmes se pâmaient d'admiration.

Pour toutes ces qualités, Antisthène, disciple de Socrate, qui avait eu le privilège de voir  Alcibiade de ses propres yeux, déclara que cet homme cumulait en lui la force, la virilité, l'intelligence et le courage ; en outre, il ajouta qu'il avait su préserver sa beauté à toutes les étapes de sa vie.

Chaque fois qu'il voyageait à l'étranger, chacune des quatre villes alliées d'Athènes se comporta à son égard comme de dévouées servantes : ainsi, les habitants d'Éphèse lui dressaient à chaque visite une somptueuse tente persane, ceux de Chios approvisionnaient ses chevaux en fourrage, ceux de Cyzique lui offraient des animaux pour les sacrifices et pour ses repas personnels ; enfin, le vin qu'il consommait quotidiennement était un présent des gens de Lesbos.

Un jour, revenant d'Olympie, il fit don à Athènes de deux tableaux, œuvres peintes par Aglaophon : le premier le représentait aux jeux olympiques et pythiques couronné pour ses victoires ; sur le second, on le voyait assis sur les genoux de Némée avec un visage si lumineux qu'il surpassait en beauté celui des femmes.

Quand il fut commandant d'armée, il tint à sauvegarder une mise élégante, portant sur lui, par exemple, un bouclier fait d'or et d'ivoire, sur lequel figurait l'emblème d'Éros lançant la foudre à la manière d'un javelot.

Une fois, il entra sans se faire annoncer chez Anytos, son très riche ami de cœur qui organisait chez lui une  partie fine avec l'un de ses gitons, Thrasyllos, un garçon sans le sou : Alcibiade porta alors un toast à Thrasyllos, vida à lui seul la moitié des coupes qui se trouvaient là, et ordonna à l'un de ses domestiques de porter l'autre moitié chez Thrasyllos ; une fois cette preuve d'amour accomplie, il se retira. Et quand des gens critiquèrent cette attitude pour le moins désinvolte, Anytos répondit avec tout le savoir-vivre qu'on lui connaît, mais aussi avec toute l'affection qu'il éprouvait pour Alcibiade : « Non, non, par Zeus, il s'est comporté dignement : il n'a pris que la moitié des coupes alors qu'il pouvait toutes les vider !  »

48. L'orateur Lysias, parlant de sa vie déréglée, raconte l'histoire suivante :

« Axiochos et Alcibiade vinrent en Hellespont, et se marièrent avec la même fille, une certaine Médontis d'Abydos, dont il se partageait les faveurs. Plus tard, Médontis donna naissance à une fille, et nos deux compères firent mine d'en nier la paternité. Mais une fois qu'elle fut nubile, ils couchèrent de bon cœur avec elle ; chaque fois qu'Alcibiade la baisait, il disait qu'elle était la fille d'Axiochos ; mais, quand c'était au tour d'Axiochos de le faire, celui-ci prétendait qu'elle était la fille d'Albidiade. »

Il fut aussi raillé par Eupolis dans sa pièce intitulée les Flatteurs, où il est décrit comme un homme à femmes : 

« A : Alcibiade ! Cesse d'être une femme.
Alcibiade : Tu es dingue ! Va plutôt tisonner ta régulière !
»

Et Phérécrate dit :

« Alcibiade, paraît-il, n'est pas un homme, mais il est aujourd'hui le seul mec de toutes les femmes. »

À Sparte, il séduisit Timéa, épouse du roi Agis ; quand des voix s'élevèrent contre ce forfait, il déclara n'avoir pas baisé sous l'effet d'une sensualité exacerbée, mais pour que l'enfant qu'elle porterait de lui : en effet, ce dernier deviendrait  roi de Sparte, et ne se prétendrait plus descendant d'Héraclès mais d'Alcibiade.

Quand il commandait l'armée, il était toujours accompagné par Timandra, mère de Laïs la Corinthienne et de Theodotê, la fameuse courtisane athénienne.

 

49. Dans son exil, il rendit les Athéniens maîtres de l'Hellespont, et il offrit à sa cité plus de cinq mille Péloponnésiens qu'il avait faits prisonniers ; plus tard, de retour dans sa patrie, il jeta sur les trirèmes athéniennes des branches de feuillages, des rubans et des bandelettes, et fit remorquer par des chevaux les navires capturés, auxquels il avait préalablement brisé les éperons. Tous ces vaisseaux avaient été remplis à ras bord avec les armes et le butin saisi aux Spartiates et aux Péloponnésiens. La trirème où il avait pris place s'avança jusqu'au Pirée, toutes voiles déployées. Celle-ci,  une fois arrivée au port, les rameurs prirent leurs rames ; Chrysogonos, revêtu d'une robe delphienne, se mit à chanter l'air traditionnel des trières, pendant que Callippidès, en tenue de tragédien, battait la mesure. Soudain, quelqu'un lança, non sans esprit : « Sparte ne pouvait subir deux Lysandres, et Athènes deux Alcibiades. »

Alcibiade copia complaisamment Pausanias dans ses manières perses, et pour gagner les faveurs de Pharnabaze, il s'habilla de la robe longue et légère des Orientaux et apprit la langue perse, comme l'avait fait autrefois Thémistocle.

50. Dans le livre XXII de ses Histoires, Douris écrit :

« Pausanias, roi de Sparte, se débarrassa du manteau traditionnel de son pays et se vêtit de la robe des perses. Denys, tyran de Sicile, endossa, lui aussi, une longue robe, porta une une couronne d'or, et s'afficha même avec l'habit prestigieux des acteurs tragiques. Quant à Alexandre, devenu le maître absolu de l'Asie, il décida de s'habiller à la perse. Mais il faut bien convenir que ce fut Démétrios qui les surpassa tous, se chaussant avec des souliers fort coûteux, sortes de bottines de feutre et de pourpre précieuse, tissée avec un soin extrême avec des motifs en fil d'or. Ses chlamydes, qui étaient de couleur grise, étincelaient de mille feux, et représentaient des astres dorés et les douze signes du zodiaque. Sa tiare était parsemée de paillettes d'or, et maintenait droit un chapeau de pourpre ; les longues franges de sa cape tombaient dans son dos. Quand les fêtes du Déméter furent célébrées à Athènes, il fut représenté sur l'une des fresques du proscenium, en train de chevaucher le monde habité. »

Dans le livre VI de son ouvrage consacré à sa patrie, Nymphis d'Héraclée dit : 

« Pausanias, qui défia Mardonios à Platées, délaissa pour toujours les usages spartiates. À Byzance, il se montra d'un orgueil démesuré, poussant l'impudence jusqu'à faire inscrire sur la coupe en bronze consacrée aux dieux - je sais que cette coupe est encore visible de nos jours -  l'épigramme suivante, dans laquelle il se présentait sans complexe comme son seul et unique dédicataire : « Pausanias, gouverneur de la Grèce aux horizons majestueux, du Pont-Euxin, natif de Lacédémone, fils de Cléombrotos, de l'antique race d'Héraclès, a dédié cet objet, témoignage de sa force invincible, au grand dieu Poséidon. »

51. Pharax le Spartiate aima également l'opulence, comme le rapporte Théopompe dans son livre XL ; en effet, il se jeta dans le stupre avec tant de frénésie qu'on finit par confondre ce Spartiate de naissance avec un Grec de Sicile.

Dans son livre LII, Théopompe avance qu'un autre Spartiate, Archidamos, s'affranchit, lui aussi, des usages locaux pour adopter des coutumes étrangères et efféminées : il le fit si bien qu'il ne put bientôt plus supporter de vivre dans sa propre patrie : d'où ses efforts multipliés pour se rendre en terre étrangère afin d'assouvir ses envies de débauche. Ainsi, quand les Tarentins envoyèrent une ambassade en vue d'aboutir à une alliance, il ne demanda pas son reste pour leur offrir tout ce qu'ils voulaient. Une fois arrivée en Sicile, il trouva la mort au cours d'une bataille, mais il n'eut même pas droit à des honneurs funèbres, bien que les gens de Tarente aient proposé à l'ennemi de coquettes sommes d'argent pour rapatrier son corps.

Dans le livre X de ses Histoires, Phylarchos indique qu'Isanthès, roi de la tribu des Thraces appelée les Crobyzi, fut un adepte effronté du luxe, au point surpasser même ses contemporains dans ce domaine. Il était riche et beau.

De même, dans le livre XXII de ce même auteur, il est dit que Ptolémée, deuxième du nom, souverain d'Égypte, le plus remarquable de tous les monarques, qui était d'une érudition éblouissante et d'une culture inépuisable, fut aussi celui dont l'esprit fut tellement aveuglé et corrompu par une passion infinie pour le luxe, qu'il crut ne jamais mourir, prétendant avoir découvert, dans  sa folie, le secret de l'immortalité.  Après avoir souffert plusieurs jours d'une attaque de goutte particulièrement douloureuse, il se sentit mieux ; soudain, voyant par la fenêtre du palais un groupe d'Égyptiens mollement étendus sur une plage, occupés à manger une nourriture frugale, il s'écria : « Malheureux que je suis ! Dire que jamais je ne serai l'un des leurs ! »

52. De Callias et de ses flatteurs, nous avons déjà parlé plus haut ; toutefois, comme Héracléidès du Pont, dans son livre Sur le Plaisir, nous narre quelques faits édifiants sur sa personne, je vais reprendre depuis le début :

« Lorsque les Perses déferlèrent sur l'Eubée pour la première fois, il y avait à Érétrie un homme du nom de Diomnestos, qui était le trésorier du stratège. Il advint que l'officier avait installé son campement au cœur du domaine qui appartenait à Diomnestos, et avait caché sa fortune dans une des pièces de la maison. Quand tout le monde eut périt, Diomnestos se retrouva seuil détenteur de cet or, sans que personne, par ailleurs, ne fut au courant. Mais quand le roi des Perses envoya une nouvelle armée à Érétrie, avec l'ordre formel de la raser intégralement, les habitants les plus riches mirent leur argent en sécurité. C'est pourquoi les survivants de la famille de Diomnestos expédièrent leurs biens à Athènes, et les remirent entre les mains d'Hipponicos, surnommé Ammon, fils de Callias. Quand les Perses eurent dispersé toute la population érétréenne, cet argent fut placé sous la garde d'Hippinicos et de son père Callias : or Diomnestos disposait d'une fortune fabuleuse. En conséquence, Hipponicos, qui était le petit-fils du destinataire du dépôt, demanda un jour aux Athéniens un emplacement sur l'Acropole pour y construire un entrepôt et y déposer l'argent, en arguant du fait qu'une si grosse somme n'était pas en sécurité dans une demeure privée.  Les Athéniens lui en donnèrent la permission ; mais ses amis l'ayant mis en garde, il changea d'avis. Et c'est ainsi que Callias s'empara de tout ce pactole et se livra au plaisir. Dès lors, des foules de parasites et de flatteurs s'agglutinèrent autour de lui. Ah ! combien de sommes folles ne jeta-t-il point par les fenêtres pour étancher sa soif de luxe ? Finalement, ses dépenses extravagantes aboutirent à un retournement de situation tel qu'il se retrouva seul et pauvre aux côtés d'une vielle pocharde, et qu'il mourut dans le plus grand dénuement. Qui a perdu la fortune de Nicias de Pergase ou celle d'Ischomaque ? N'était-ce pas Autoclès et Épiclès, qui choisirent de vivre l'un avec l'autre et qui considéraient que chaque chose avait moins d'importance que le plaisir, et qui, après avoir tout dilapidé en boisson, se suicidèrent ? »

53. Au rapport d'Éphippos d'Olynthe, dans son livre Sur la mort d'Héphestion et d'Alexandre, ce dernier se fit ériger un trône en or massif dans ses jardins, ainsi que des divans aux pieds argent, où il prenait place pour discuter des affaires avec ses compagnons.

Nicobulê, lui, déclare que pendant les repas, une meute d'acteurs chevronnés se dépensaient corps et âme pour distraire leur hôte ; il raconte aussi que le roi Alexandre, lors de son ultime banquet, récita et joua de mémoire une scène de l'Andromède d'Euripide, et qu'il porta des toasts avec un bel entrain, en obligeant ses convives à faire comme lui.

Éphippos nous dit encore qu'Alexandre disposait de toute une garde robe sacrée pour paraître dans les festins : tantôt, il mettait la robe pourpre d'Ammon, les escarpins déchiquetés et les cornes du dieu Ammon ; tantôt, lorsqu'il montait sur son char, il endossait la robe d'Artémis, mais aussi un costume typiquement perse, laissant voir au-dessus de ses épaules l'arc et la lance de la déesse ; une autre fois, il apparut en Hermès. Cependant, la plupart du temps, et pour son usage quotidien, il portait une chlamyde pourpre, une tunique aux rayures blanches et le chapeau macédonien, environné du diadème royal. Pour les grandes occasions, il mettait à ses pieds les sandales ailées d'Hermès, le chapeau à larges bords sur la tête, et tenait le caducée du dieu dans la main. Très souvent aussi, il se travestissait en Héraclès, couvert de la peau de lion et tenant la massue. De fait, il n'y a pas de quoi être éberlué à la vue, de nos jours, de l'empereur Commode se montrant dans son char, muni de la massue d'Hercule avec, à ses pieds, une peau de lion, ordonnant qu'on le nommât Hercule, alors que le grand Alexandre en personne, disciple d'Aristote, prenait l'accoutrement de tant de dieux, et même d'une déesse (Artémis) !

Alexandre faisait également arroser le sol de parfums rares et de vin délectable. En son honneur,  on faisait brûler de la myrrhe et des encens délicats ; un silence religieux, où se mêlait de la crainte, saisissaient tous ceux qui se trouvaient en sa présence. C'était un être intraitable et sanguinaire, mais il avait tendance à sombrer dans la mélancolie.

À Ecbatane, il organisa une fête pour honorer Dionysos, et il  offrit à cette occasion un repas des plus somptueux, pendant lequel le satrape Satrabatès s'évertua à divertir les troupes. Éphippos raconte qu'une foule se massa pour suivre le spectacle ; on fit des proclamations gonflées de vantardise, n'ayant rien à envier aux déclarations orgueilleuses des Perses : parmi ces proclamations qui, toutes, avaient pour dessein de flatter la personne royale, il y eut celle d'un garde, qui obtint la palme de la flatterie la plus éhontée : de connivence avec Alexandre, il envoya le héraut proclamer que « Gorgos, le gardien des armes, avait offert à Alexandre, fils d'Ammon, trois mille pièces d'or, et lui promettait, s'il prenait Athènes, de lui envoyer dix mille armures complètes, autant de catapultes, et mille autres accessoires indispensables pour la poursuite de la guerre. »

54. Charès, dans le livre X de ses Histoires d'Alexandre, dit :

« Après sa victoire sur Darius, il arrangea de toutes pièces des mariages pour lui et ses compagnons d'armes, et, à cet effet, fit aménager quatre-vingt douze couches nuptiales au même endroit. La salle des banquets pouvait contenir cent divans, chacun d'entre eux étant décorés d'ornements nuptiaux en argent d'une valeur de vingt mines ; quant au divan d'Alexandre, il était en or. Au festin qui suivit les noces, il convia tous ses proches, et les fit installer sur des divans devant lui et les mariés. Il n'oublia pas de traiter avec beaucoup d'affabilité tous les membres de son armée, qu'elle soit terrestre ou navale, les ambassades et les étrangers de passage. La salle était magnifiquement décorée de riches draperies et d'étoffes d'un grand prix, et le sol était jonché des tapis pourpres et cramoisis entrelacés d'or. Cette tente était soutenue par des colonnes de trente pieds de haut, en or, en argent et incrustées de pierres précieuses. Pour la fermer, il y avait des tentures brodés d'or, représentant des animaux, dont les extrémités se terminaient par des tringles dorées et argentées. L'enceinte en elle-même ne mesurait pas moins de quatre stades. À chaque mariage célébré, mais aussi à chaque libation versée, on faisait retentir le buccin, de sorte que l'armée était informé de tout ce qui se passait.

Ces noces durèrent cinq jours, et une foule de gens, aussi bien Barbares que Grecs, furent de service ; on sait que les jongleurs indiens furent particulièrement appréciés ; même chose pour Scymnos de Tarente, Philistidès de Syracuse, et Héraclite de Mytilène ; on écouta avec beaucoup d'émotion le récital donné par le rhapsode Alexis de Tarente. Furent également sollicités des virtuoses de la harpe, tels Cratinos de Méthymne, Aristonymos d'Athènes et Athénodore de Téos ; Héraclite de Tarente et Aristocratès de Thèbes chantèrent, eux, en s'accompagnant de la harpe, tandis que Denys d'Héraclée et Hyperbolos de Cyzique interprétèrent des hymnes au son de la flûte ; des flûtistes éblouissants entre tous jouèrent des mélodies pythiennes ; puis, ce fut la prestation des chœurs et des danseurs : parmi eux figuraient Timothéos, Phrynicos, Caphisias, Diophante et Évios de Chalcis. Depuis ces festivités, la foule, qu'on avait l'habitude d'appeler « flatteurs de Denys » fut dénommée « flatteurs d'Alexandre », à cause des présents multiples et fastueux que leur offrit ce roi si prodigue. Des pièces furent également jouées par d'éminents tragédiens, comme Thessalos, Athénodoros et Aristocritos, et par les comiques Lycon, Phormion et Ariston. Le génial joueur de harpe Phasimélos était aussi de la partie. Le coût des couronnes apportées par les ambassadeurs et autres délégations furent évaluées à quinze mille talents. »

55. Dans le livre VIII de ses Histoires, Polycléitos de Larissa nous apprend qu'Alexandre couchait dans un lit d'or, et que dans son campement, des joueurs de flûtes, filles ou garçons, le divertissaient et qu'ils se livraient en leur compagnie à des beuveries jusqu'au petit jour.

Cléarchos, dans ses Vies, parle ainsi de Darius vaincu par Alexandre : 

« Le roi de Perse était fort généreux envers ceux qui lui procuraient des plaisirs variés ; mais, malgré tant de mansuétude, il précipita son royaume dans la défaite, bien qu'il ne comprît l'ampleur du désastre que lorsqu'il se vit privé du pouvoir par ses proches, et que ces derniers se proclamèrent  gouverneurs. »

Selon Phylarchos, dans le livre XXIII de ses Histoires, et Agatharchidès de Cnide dans son ouvrage Sur les affaires d'Asie, les compagnons d'Alexandre s'adonnèrent, eux aussi, à un luxe effronté. L'un d'eux s'appelait Agnon, et il portait des bottes militaires garnies de clous d'or. Quand Cléitos, surnommé le Blanc, donnait une audience, il discutait avec ses interlocuteurs vêtu d'un précieux manteau de pourpre. Perdiccas et Cratéros, grands amateurs d'exercices physiques avaient toujours près d'eux une quantité de peaux, assez longues pour recouvrir un stade, et qui, dans le camp, formaient une vaste esplanade où il pouvaient à leur aise pratiquer leur gymnastique. Ils avaient aussi à disposition un troupeau portant des sacs de sable qui servait à recouvrir la palestre improvisée.

Léonnatos et Ménélaos, des chasseurs aguerris, emmenaient toujours dans leurs bagages d'immenses toiles d'au moins cent stades, avec lesquels ils bornaient le terrain où ils allaient se livrer à leur distraction favorite.

S'il faut porter crédit à ce que nous rapporte Phylarchos, les dépenses effectuées quotidiennement à la cour d'Alexandre, étaient nettement supérieures à la valeur de ces fameux platanes d'or, et à la vigne - également d'or - sous laquelle les rois de Perse siégeaient et traitaient des affaires de l'Etat, un objet qui était orné de grappes de cristal, d'émeraudes d'Inde et de pierres toutes plus précieuses les une que les autres. La tente d'Alexandre, à elle seule, contenait cent divans et était soutenue par cinquante piliers d'or. Les auvents placés sur la partie supérieure en guise de plafond étaient dorés et décorés de motifs peints avec un art remarquable. À l'intérieur,  se tenaient en rangs serrés les cinq cents Perses mélaphores (porteurs de pommes), dans leurs somptueux uniformes pourpres et jaunes ; se trouvaient là aussi mille archers, dont les uns arboraient une tenue couleur de feu, et les autres des habits bleus ou violets. À leur tête, se tenaient des Macédoniens aux manteaux d'un bleu vif. Au milieu de la tente était érigé un trône d'or, où prenait place Alexandre quand il tenait audience, protégé par sa garde personnelle. Dehors, à proximité de la tente royale, était postée en cercle la troupe des éléphants munis de tout leur équipement, ainsi que mille Macédoniens en costumes traditionnels, dix mille Perses et un corps d'armée de cinq cents hommes, qui portaient la pourpre, privilège que leur avait octroyé Alexandre. Entouré de tant d'amis et de tant de serviteurs dévoués, nul n'osait aborder le roi, tant leur magnificence était intimidante à souhait.

Un jour, Alexandre envoya une missive aux villes d'Ionie, et, en premier lieu, aux habitants de Chios, afin de lui expédier de la pourpre, car il désirait que tous ses proches portassent des vêtements teints avec cette texture. Quand cette lettre fut lue aux gens de Chios en présence du sophiste Théocrite, ce dernier affirma avoir enfin compris la signification du vers d'Homère : « La mort pourpre l'a saisi, de même qu'un sombre destin. » 

 

56. Dans le livre XXVIII de ses Histoires, Posidonios rapporte que le roi Antiochos, celui qu'on a surnommé Grypos, organisa un banquet étincelant quand il célébra les jeux de Daphné. Pour l'occasion, il fit distribuer une multitude de viandes non découpées, avant d'offrir ensuite des oies, des lièvres et des gazelles encore en vie. Plein de munificence, il donna à ses invités une quantité de couronnes d'or et de vaisselle - d'or également -, des esclaves, des chevaux, et des chameaux. On avait prescrit que chaque convive, une fois qu'il était monté sur un chameau, devait boire et accepter de prendre cet animal, ainsi que l'esclave qui se trouvait à ses côtés.

Dans le livre XIV, Posidonios, évoque un autre roi qui s'appelait Antiochos. Alors qu'il faisait campagne en Médie contre Arsace, notre auteur nous apprend qu'il organisa, pendant des jours entiers, banquets sur banquets, où se pressait une foule immense. Lors de ces bombances, on ne comptait plus le nombre de nourriture consommée, la profusion étant telle que chaque participant ramenait chez lui les viandes les plus variées, des fruits de mer, et en remplissait un char entier ! À ces victuailles, il fallait ajouter les gâteaux de miel qui étaient légion, tout comme les guirlandes de myrrhe et d'encens entrelacés de fils d'or, plus grands qu'un homme, une pratique des plus raffinées en usage chez les Lydiens.

 

57. Clytos l'aristotélicien, affirme dans son livre Sur Milet, que Polycrate, tyran de Samos, se laissa tellement dominer par le luxe qu'il voulut posséder les animaux caractéristiques de chaque contrée : c'est ainsi qu'il rassembla sur ses domaines des chiens d'Épire, des chèvres de Scyros, de moutons de Milet et de porcs de Sicile. Alexis ajoute dans le livre III de ses Chroniques Sammiennes que Samos s'enrichit considérablement grâce à Polycrate qui fit importer des quantités de produits exotiques dans sa patrie : il importa des chiens de Molossie et de Laconie, des chèvres de Scyros et de Naxos, et des moutons de Milet et d'Athènes. Alexis ajoute qu'il attira à lui de nombreux artisans en leur proposant des salaires confortables. Avant de parvenir à la charge suprême, Polycrate avait fait confectionner de fines draperies et des coupes somptueuses, qui étaient utilisées dans le cadre de grandes cérémonies, mariages ou festivités diverses.

On pourrait s'étonner que nul écrit n'ait fait allusion à l'introduction à sa cour de femmes et surtout de jeunes gens, le tyran ayant entretenu, on le sait, de fréquentes liaisons masculines, au point de rivaliser avec le très sensuel poète Anacréon ; on rapporte même qu'il fit raser le crâne de l'un de ses gitons dans un accès de colère. Pour finir, il faut savoir que Polycrate fut le premier à construire des vaisseaux appelés Samainai, du nom de sa patrie. 
Cléarchos indique que Polycrate provoqua la chute de l'opulente Samos, à cause de son luxe outrancier qu'il tenait des Lydiens aux mœurs si sulfureuses. Dans la cité, il fit ériger des jardins qui devaient dépasser en splendeur ceux de Sardes, les célèbres « Doux Trésors
» ; pour rivaliser avec les délicats motifs floraux de Lydie, il favorisa le tissage d'autres motifs de ce type, connus depuis sous le nom de « fleurs de Samos ». La confection de ces fleurs permit à tout un quartier d'artisans de Samos de se développer rapidement.

Polycrate approvisionna la Grèce entière en plats raffinés et en productions diverses en vue de rassasier les appétits de luxe ; quant aux fleurs de Samos, elles obtinrent un succès foudroyant auprès des hommes comme auprès des femmes. Hélas, alors que toute la ville se vautrait continuellement dans les plaisirs et les banquets, les Perses la prirent d'assaut.

Cléarchos dit aussi... Mais je connais également une rue marchande d'Alexandrie, appelée « Rue de l'Homme Riche », où l'on peut à loisir se procurer des frivolités en tous genres.

 

58. Selon Aristote, dans ses Faits mémorables, Alcisthène le Sybarite, voulant manifester son goût immodéré pour le luxe, se fit tailler un manteau si riche et si peu ordinaire qu'il voulût l'exhiber sur le mont Lacinion, pendant les fêtes d'Héra, alors que se rassemblaient tous les Grecs d'Italie : parmi toutes le tenues offertes au regard du public, ce fut celle qui fut le plus unanimement admirée. On raconte que Denys l'ancien en hérita, et qu'il la vendit aux Carthaginois pour la somme colossale de cent vingt talents. Polémon parle aussi de ce manteau dans son ouvrage sur les Vêtements carthaginois.

Au sujet du Sybarite Smindyridès et de son luxe, Hérodote évoque, dans son livre VI, la demande en mariage qu'il fit à Agaristê, la fille de Clisthène, tyran de Sicyone

« Smindyridès, fils d'Hippocratès, était venu d'Italie. Il était de Sybaris, une ville alors très florissante, et tournée vers un luxe et une indolence exacerbés. »

Pendant ce séjour, il était accompagné par une foule de cuisiniers et de volaillers. Le même évènement est relaté par Timée dans son livre VII. Évoquant la vie scandaleuse de Denys le jeune, tyran de Sicile, Satyros le Péripatéticien nous apprend dans ses Vies que son palais regorgeait d'immenses salles qui pouvaient contenir quelques trente divans, et qui grouillaient sans cesse de convives. Sur le même thème, Cléarchos, dans le livre IV de ses Vies, écrit ceci :  

« Denys, le fils de Denys l'Ancien, s'avéra être le mauvais génie de la Sicile ; un jour qu'il se rendait à Locres, sa ville d'origine (sa mère Doris était en effet locrienne de souche), il joncha de roses et de serpolet le plus beau portique de la cité ; puis il fit venir des jeunes filles de Locres et leur ordonna de se dévêtir. Dès qu'elles furent nues, il les rejoignit, se mit nu à son tour, et, tout en se roulant avec elles sur ce tapis de fleurs, il se livra à toutes les turpitudes imaginables. Mais, non loin de là, veillaient les pères des Locriennes, qui réussirent à mettre la main sur la femme et les enfants du tyran, et les traînèrent sur la voie publique où, livrés à la vindicte, les malheureux subirent les pires outrages. Quand la rage populaire fut bien assouvie, on leur enfonça des aiguilles sous les ongles, et ils périrent dans d'atroces souffrance ; ensuite, on découpa leurs cadavres en morceaux, et telles des viandes de boucherie, on les distribua au peuple, avec l'ordre formel de dévorer les parts, une malédiction étant prononcée contre celui à qui oserait ne pas s'en rassasier. Pour répondre favorablement à une semblable imprécation, on décida de broyer ces chairs dans une meule afin que cette pitance singulière, une fois réduite en poudre, pût être consommée, mélangée à des pains. Quant aux restes du corps, il furent jetés à la mer. Quant à Denys lui-même, son destin fut des plus misérables, puisqu'il termina sa vie en tant que sectateur mendiant de la Mère des Dieux, porteur du tambourin sacré lors de la célébration des rites.

Il faut par conséquent se méfier du luxe qui corrompt les vies. De même, considérons l'arrogance comme le moyen le plus sûr pour les hommes de se détruire. »

59. Dans sa Bibliothèque Historique, Diodore de Sicile nous dit que les habitants d'Agrigente construisirent pour leur roi Gélon une piscine luxueuse : elle avait un périmètre de sept stades et une profondeur de trente pieds ; l'eau provenait des fleuves et de sources environnantes, ce qui permettait d'avoir à disposition un vivier destiné à fournir des quantités de poissons frais pour flatter les appétits de Gélon. Dans cette piscine, on pouvait voir également de nombreux cygnes, pour le simple plaisir des yeux. Plus tard, cependant, cette merveille fut recouverte de terre et disparut à jamais.

Douris, dans le livre IV de son Agathoclès et son époque, nous indique que, non loin de la cité d'Hipponion, s'étendait un vaste et plantureux domaine, irrigué par les eaux, où se trouvait un endroit appelé  « Corne d'Amalthée », œuvre également de Gélon.

Silénos de Calacte dit dans le livre III de son Histoire de la Sicile, qu'aux environs de Syracuse, un jardin luxuriant nommé « le lieu du verbe » avait été aménagé pour que le roi Hiéron y tînt ses audiences.

Autour de Panormos en Sicile, toute la région est appelé « jardin », parce qu'on y a planté des arbres de toutes les variétés, en tout cas s'il faut en croire Callias dans le livre VIII de ses Histoires d'Agathoclès.

Posidonios, dans le livre VIII de ses Histoires, raconte que Damophilos, un grec de Sicile, déclencha, du fait de son luxe tapageur, une révolte d'esclaves. Voyons ce qu'il écrit : 

« Il s'était entièrement dévolu à ses plaisirs et à ses vices, se faisant conduire à travers ses domaines dans des chars à quatre roues, avec, grouillant autour de lui, des serviteurs et surtout une meute de parasites et de gitons habillés en soldats. Mais ce Damophilos et toute sa clique périrent misérablement sous les coups des esclaves en furie. » 

60. Démétrios de Phalère, s'il faut porter crédit à ce que dit Douris dans le livre XVI de ses Histoires, se fit attribuer douze cent talents par an : une partie de cette somme était destinée à l'armée et à l'administration de la cité, mais le reste lui permettait de s'offrir du bon temps, en multipliant les banquets et en régalant une foule d'invités. En fait, il surpassa les Macédoniens dans les dépenses somptuaires, et les Chypriotes et les Phéniciens dans le raffinement ; il fit inonder des parfums les plus rares les planchers de ses salles de banquet, déjà parsemés de fleurs artificielles merveilleusement ouvragées.

Durant son gouvernement, les rencontres amoureuses eurent lieu dans le plus grand secret, de même que les rendez-vous entre jeunes gens, Démétrios ayant édicté des lois sévères réglementant la morale publique. Et pourtant, lui-même passa sa vie à ignorer superbement la loi. Il prenait un soin scrupuleux à son apparence, se teignant les cheveux en blond, se fardant le visage,  et usant d'onguents les plus délicats. Il voulait avoir une apparence impeccable afin d'éblouir tous ceux qu'il rencontrait. D'ailleurs, dans le cortège des Dionysies, organisées lors de son archontat, le chœur chanta des vers composés à sa gloire par Castorion de Soles, vers où il était peint comme un être « lumineux comme le Soleil »   

« L'Archonte, au-dessus des autres nobles, lumineux comme le soleil, est vénéré avec les honneurs divins. »

Carystios de Pergame, dans le livre III de ses Souvenirs, dit :

« Démétrios de Phalère, après l'assassinat de son frère Himéraéos sur ordre d'Antipater, fut contraint à se réfugier chez Nicanor, parce qu'on l'avait accusé d'avoir divinisé  son frère. Devenu l'ami de Cassandre, il recouvra une grande puissance.

Il faut bien convenir que, dans les premiers temps, ses repas furent très simples, et ne se composaient que d'olives et de fromages locaux. Mais quand il devint très riche, il acheta Moschion, le cuisinier le plus réputé de son temps. Dès lors, les repas quotidiens confectionnés par ce Moschion furent grandioses, et les restes que ce mirliton reçut en guise de pourboire furent si abondants qu'il parvint en deux années de temps à acheter trois riches demeures et à pouvoir assouvir ses pulsions infectes sur les garçons et les femmes des citoyens les plus honorables.

On sait aussi que toute la jeunesse dorée enviait le joli Diognis, le mignon en titre de Démétrios : nos godelureaux étaient tellement désireux de s'attirer les bonnes grâces de Démétrios que, quand il flânait après son déjeuner dans la rue du Trépied, les plus beaux garçons demeuraient à cet endroit des jours entiers, à seule fin d'attirer son regard. »