OEUVRES D'HIPPOCRATE
LE PRONOSTIC
INTRODUCTION
« HIPPOCRATE
se propose, dans le Pronostic, de discourir sur
les maladies aiguës, non pas sur toutes indistinctement, mais sur
celles-là seulement qui sont accompagnées de fièvre ; car il y a des maladies
aiguës qui ne sont pas nécessairement accompagnées de fièvre, telles sont
l'apoplexie, l'épilepsie, le tétanos. -- Si on objectait qu'il s'est occupé
aussi des maladies chroniques, puisqu'il a parlé de l'hydropisie, des empyèmes
et des affections de la rate, qui sont certainement des maladies chroniques, on
répondrait â cela que cette digression même montre avec quel soin il a traité
des maladies aiguës; car il n'étudie pas les maladies chroniques pour elles-mêmes,
mais comme étant la suite d'un état aigu. - C'est avec raison qu'Hippocrate étudie
plus a spécialement les maladies aiguës ; car ce sont elles qui troublent le
plus la nature, et qui exigent le plus d'art dans leur traitement. (01) »
Hippocrate nous découvre, dès le début du Pronostic, comment il a
envisagé l'étude des maladies aiguës : elle consiste, pour lui, à deviner
les circonstances passées, à pénétrer les faits présents, et par suite â
prévoir les phénomènes à venir, dans le but de diriger le traitement avec
plus de sûreté : c'est ce qu'il appelle la prévision, la prescience (prñnoia). Ce mot est détourné de
son sens propre, et il faut, avec Galien (02)
et Étienne (03), lui donner la
signification de prognÅsiw, prognostique ou prognose ; la prognostique, ou,
comme l'appelle Étienne (04), la séméiotique (shmeÛvsiw), avait, dans l'antiquité,
un sens beaucoup plus étendu que celui que nous attachons aux expressions
pronostic ou séméiologie ; elle embrassait, comme on vient de le voir, l'étude
des signes dans toute sa généralité ; et le même mot servit primitivement â
désigner tout ensemble la divination des faits passés, l'observation des phénomènes
actuels, et la prévision de l'avenir ; ce ne fut que plus tard, et probablement
au temps où florissait l'école médicale d'Alexandrie, que la prognose fut
divisée en trois parties bien distinctes, qui reçurent des dénominations différentes
: l'anamnestique (Žn‹mnhsiw),
connaissance du passé ; la diagnostique, ou comme nous disons, le diagnostic (diagnÅsiw),
l'étude des symptômes présents, et la prognostique (prognÅsiw) proprement dite, ou prévision
de l'avenir (05). -Hérophile allait même jusqu'à distinguer la prognÅsiw,
jugement porté, de la prñrrhsiw,
jugement énoncé, distinction ridicule, suivant Galien (06) et suivant Étienne
(07). Cette division de la prognose était bien éloignée de la doctrine
hippocratique, surtout pour ce qui regarde le diagnostic, qui , pour l'école
d'Alexandrie, et surtout pour Galien, comme le témoignent tous ses commentaires
et ses ouvrages originaux, avait une valeur positive et directe, laquelle était
de faire connaître l'état organique en rapport avec les symptômes des
maladies. Toutefois, le diagnostic n'avait pas encore pris le rang et acquis
l'importante que nous lui accordons de nos jours ; car Étienne nous déclare (08) que le diagnostic n'est qu'une partie du pronostic, qui doit être regardé
comme le côté le plus général et le plus noble de la médecine, puisqu'il
rapproche en quelque sorte l'homme de la Divinité, qui seule a le pouvoir de pénétrer
l'avenir.
Si
l'on veut sa rappeler la manière dont Hippocrate envisageait la pathologie, il
sera aisé de se convaincre que le sens donné par lui à la propose, ou, comme
il l'appelle, â la prévision, n'a pas une aussi grande extension qu'on serait
tenté de le croire au premier abord. En effet, presque absolument privé des
lumières fournies par l'anatomie et la physiologie normales ou pathologique, il
considérait la maladie comme indépendante de l'organe qu'elle affecte et des
formes qu'elle revêt, et comme ayant par elle-même sa marche, son développement
et sa terminaison (09). Néanmoins, comprenant tout aussi bien que les médecins
modernes la nécessité d'être éclairé sur cette marche, sur ce développement,
d'établir certaines règles fixes à l'aide desquelles il lui fût possible de
prévoir la succession des phénomènes et l'issue définitive, enfin de
s'appuyer sur quelque base pour diriger le traitement, mais ne pouvant arriver
à tous ces résultats par la considération (les symptômes propres à chaque
maladie, c'est-à-dire de l'état fonctionnel et anatomico-pathologique des
organes qu'il n'avait pas l'art d'interroger), il porta toute son attention vers
l'étude des conditions générales de la vie, vers l'observation minutieuse et
tout empirique des phénomènes, de ceux surtout qui sont propres à l'état de
santé et à l'état de maladie. Mais comme l'observation des phénomènes,
aussi bien de ceux du passé que de ceux du présent, ne pouvait être utilisée
au profit du diagnostic, lequel consiste à déterminer la nature, le siège et
l'étendue de la maladie, elle servit uniquement et de toute nécessité à éclairer
sur l'état à venir, sur la marche de la maladie, sur son plus ou moins de
gravité, sur le temps et le mode de solution, et par suite à faire prendre
telle ou telle mesure pour s'opposer aux accidents prévus ou pour les diriger ;
et c'est là ce qui constituait en réalité le dogmatisme de l'école de Cos.
Ainsi, cette étude du passé et du présent que recommande Hippocrate, c'est véritablement
de la prognose ; puisque, en dernière analysé, elle ne conduit qu'à pénétrer
l'avenir. Le pronostic est donc le point central, c'est-à-dire le point de départ
et le dernier terme de la médecine antique, comme le diagnostic est celui de la
médecine moderne.
Cette
tendance de l'école de Cos vers la considération exclusive de l'état général,
vers l'étude de la communauté des maladies, vers l'interprétation pronostique
des phénomènes morbides, l'éleva au plus haut degré de science et de gloire
qui lui fut permis d'atteindre ; elle la sauva d'un empirisme aveugle en
rassemblant tons les faits épars, en les rattachant par un lien commun, la
prognose ; elle la dota de cette belle méthode d'observation qui, entre les
mains des Asclépiades, a produit des résultats auxquels la science actuelle
arrive à peine avec toutes les ressources dont elle peut disposer ; d'un autre
côté, cette tendance, qui était si nécessaire et qui fut si utile dans un
temps ou il n'y avait ni anatomie ni physiologie, mais dont la valeur absolue ne
devait être que transitoire, entrava longtemps la marche progressive de la
science, en détournant sans cesse les esprits de l'étude de chaque maladie en
particulier, et de l'état organo-pathologique dans ses rapports avec les symptômes,
étude dont on comprenait mieux la nécessité à mesure que l'anatomie et la
physiologie s'enrichissaient de nouvelles découvertes. Galien sortit la médecine
de cette voie rétrograde ; il sut la constituer à la fois sur la prognose
d'Hippocrate et sur les connaissances diagnostiques de son époque, qu'il avait
si admirablement fécondées et agrandies. Malheureusement, son exemple fut mal
suivi ; la médecine rentra pour ainsi dire dans l'enfance jusqu'au XVIIe
siècle, époque à laquelle le diagnostic local reprit faveur. De nos jours, et
surtout dans l'école de Paris, il domine toute la science ; il est la source de
tous ses progrès comme de tous ses écarts. Il est fort à désirer qu'une main
habile et puissante fasse rentrer la médecine dans la seule voie qui lui soit
tracée par la nature, c'est-à-dire qu'elle confonde en une seule la méthode
ancienne et la méthode nouvelle.
Je
reviens a l'analyse du Pronostic dont ces considérations m'ont un peu éloigné.
§.
1«. Hippocrate a mis en tête de cet ouvrage un préambule, une sorte de préface,
nécessaire pour établir sa doctrine contre certains médecins qui, de son
temps comme de nos jours, s'appelaient méthodiques, et soutenaient qu'il est du
devoir d'un médecin de maintenir la santé chez ceux qui se portent bien, et de
la rétablir chez ceux qui sont malades ; mais qu'il n'appartient qu'à un devin
de prédire l'avenir. Aussi Hippocrate établit dans sa préface que le
pronostic a trois grands avantages : le premier, c'est que le médecin gagne la
confiance du malade, qui obéit ponctuellement à ses ordres, dans la persuasion
où il est que sa maladie est très bien connue ; le second, c'est que, devinant
ce qui doit arriver, il peut prévenir certains accidents, diminuer la gravité
de certains autres, prendre des mesures énergiques contre tous, et par conséquent
arriver souvent â rendre la santé ; le troisième, c'est qu'on ne rejettera
pas sur son compte la mort des malades, s'ils succombent (10).
§.
2. L'auteur entre en matière par l'exposition des signes que fournissent
l'ensemble et les diverses parties de la figure. C'est là qu'il décrit l'altération
que subissent les traits du visage quand la mort doit terminer les maladies aiguës
; c'est le prñsvpon nekrÅdhw des anciens ( visage de la
mort), le facies hippocratique des modernes. Dans ce paragraphe, Hippocrate
consacre deux grands principes qui sont la base de toute la doctrine pronostique
; le premier ; c'est qu'il faut toujours prendre l'état sain pour terme de
comparaison de l'état malade; le second, c'est qu'il ne faut pas attacher tout
d'abord aux symptômes une valeur absolue, mais examiner si on ne peut pas en
expliquer l'apparition et la gravité apparente par quelque cause accidentelle,
autre qu'un véritable état morbide plus ou moins dangereux.
§.
3. Les signes fournis par la manière dont le malade est couché, ou, comme on
dit dans le langage technique, par le décubitus du malade, sont envisagés dans
ce paragraphe d'après les mêmes règles que ceux fournis par le visage. Ici on
trouve encore une observation très importante sur les signes qu'on peut tirer
de l'aspect des plaies dans les maladies aiguës.
§.
4. Hippocrate regarde comme un funeste présage les mouvements désordonnés des
mains ; et c'est avec juste raison, parce qu'ils indiquent un grand trouble du
système nerveux, trouble qui est toujours une complication funeste.
§.
5. L'étude de la respiration présente ceci de particulier qu'Hippocrate la
fait servir au diagnostic des inflammations sus-diaphragmatiques ; c'est une
première exception à la manière dont il considère habituellement les symptômes
; j'aurai encore â signaler quelques passages de cette nature, qui cependant ne
détruisent pas les idées générales que j'exposais tout à l'heure sur la
direction que la pathologie avait reçue dans l'école de Cos.
§.
6. Les sueurs, les urines et les selles sont les trois sources les plus
importantes de la science pronostique des anciens ; aussi Hippocrate s'arrête
assez longuement aux signes qu'elles fournissent. Les observations modernes
confirment ce qu'il dit de la valeur pronostique des sueurs. Je ne passerai pas
sous silence la mention qu'il fait des sudamina, qu'il appelle sueurs
miliaires, non plus que la distinction si importante, au point de vue
pratique qu'il établit, entre les sueurs produites par la faiblesse et celles
qui résultent de l'intensité de l'inflammation.
§.
7. Ce paragraphe est consacré à l'examen des signes fournis par l'abdomen, l'état
de santé étant toujours pris comme terme de comparaison. Hippocrate parle
longuement de tumeurs inflammatoires, de véritables abcès qui aboutissent
quelquefois à l'extérieur, qui occupent l'hypocondre tout entier, ou qui siègent
seulement dans l'hypocondre droit ou gauche, dans les régions ombilicale et épigastrique.
J'avoue que je ne suis pas assez éclairé sur ce qu'Hippocrate entend par ces
tumeurs, pour que je puisse les rapporter avec quelque sûreté à ce que nous
connaissons actuellement des maladies de l'abdomen. Ce paragraphe est terminé
par l'indication des caractères du bon et du mauvais pus, caractères qui sont
restés acquis à la science. Ici finit pour Galien, pour Étienne, pour
plusieurs éditeurs et commentateurs, la première partie du Pronostic.
§.
8. Hippocrate s'arrête un instant sur les hydropisies, qu'il étudie au point
de vue de leur origine. Il en reconnaît deux espèces : celles qui viennent du
foie, celles qui ont leur point de départ dans les lombes et les flancs. Il
indique les caractères qui servaient alors à les distinguer. « Ces idées
sur les hydropisies étaient généralement répandues chez les Grecs, disent
les auteurs du Compendium de médecine-pratique (t. 4, page 598) ; et, quoique
exprimées d'une manière un peu vague par Hippocrate, elles sont cependant
fondées sur une connaissance exacte de la nature (11).
§.
9. Ce paragraphe est assez confus. L'auteur a voulu parler
§.
10. La valeur pronostique du sommeil est assez bien appréciée ; mais ce signe,
comme tous les autres, est présenté d'une manière trop générale, on plutôt
trop abstraite.
§.
11. Hippocrate s'occupe ici des selles. Il a consigné â cet égard de très
bonnes observations, presque toutes confirmées par la médecine moderne, qui
leur a donné une valeur bien plus grande en rapportant les modifications que présentent
les selles à diverses altérations pathologiques locales ou générales qui
tiennent ces modifications sous leur dépendance.
§.
12. Je dirai de même de l'urine. Du reste, je dois faire deux remarques : la
première, c'est que l'importance accordée à l'inspection des urines est â
peu près annulée par les recherches modernes et en particulier par celles de
M. Rayer, dont on ne saurait récuser la compétence sur ce point. « Toutefois,
ajoute ce savant pathologiste, malgré ces lacunes et malgré ces erreurs que je
signale nettement parce qu'elles sont reproduites dans des milliers de volumes,
les observations d'Hippocrate sur les urines offrent un véritable intérêt (13). » La seconde remarque, c'est que notre auteur a posé, à propos des
urines, cette restriction importante, qu'il faut prendre garde de se laisser
induire en erreur par l'aspect des urines ; car, si la vessie est malade, les
urines peuvent avoir tous ces caractères, et alors elles ne sont plus l'indice
de l'état de tout le corps, mais seulement de celui de la vessie.
Hippocrate
avait donc entrevu le rapport des symptômes avec l'état des organes ; mais il
ne s'est pas emparé de ce principe si fécond, et il se hâte de passer outre,
comme s'il craignait de s'égarer en recherchant les signes d'un organe en
particulier plutôt que ceux de tout l'organisme.
§.
13. Je répéterai à propos du vomissement ce que j'ai déjà dit bien souvent
dans cette introduction, à savoir que ce symptôme étant considéré d'une
manière abstraite, n'a qu'une valeur très secondaire.
§.
14 â 13 et 19 -initio. Hippocrate avait une connaissance toute spéciale des
affections de poitrine ; il en parle en observateur éclairé et exercé. Aussi
tout ce qu'il a édit sur ce sujet mérite la plus grande attention et n'a rien
perdu de son importance et même de son utilité malgré les travaux récents.
Il parle successivement de l'expectoration, des signes fournis par l'habitude
extérieure chez ceux qui sont affectés de péripneumonies, du diagnostic local
et général de l'empyème, de la marche et de la terminaison de cette affection
et des dépôts critiques dans les maladies de poitrine. Il a distingué la
pleurésie, la pneumonie ; il les a souvent réunies et étudiées sous le nom
de péripneumonie ; il a connu l'épanchement pleurétique simple et l'empyème
proprement dite ; seulement il ne les a pas assez distingués l'un de l'autre ;
il a très bien décrit la phtisie, mais il a confondu les vomiques ou seulement
une expectoration abondante avec les véritables empyèmes. Toutefois, je ne
serais pas éloigné de croire que cette confusion n'est pas toujours réelle,
et qu'il a eu probablement affaire dans certains cas, et peut-être souvent, à
de véritables gangrènes du poumon, lesquelles sont accompagnées d'épanchements
pleurétiques qui se font jour à travers les bronches à l'aide des larges
communications établies par les progrès de la gangrène entre le. sac pleural
et le poumon. C'est ce que j'ai constaté sur plusieurs cadavres â l'hôpital
de Dijon.
§.
19. La fin de ce paragraphe, qui termine la deuxième partie du Pronostic, est
consacrée à quelques observations sur le danger imminent des maladies de
vessie.
§.
20. Je transcris ici les réflexions que M. Littré a faites sur ce qui est dit
des crises dans le Pronostic, et je reprendrai ailleurs l'exposition de la
doctrine d'Hippocrate et de ses successeurs sur ce point.
§.
21. II est probable que l'auteur a parlé ici de la fièvre cérébrale ou méningite.
Ce qu'il en dit est fort confus, ainsi que Galien le remarque. (Com. III, in Prog., texte 11.)
§.
22. Observations pratiques et pronostiques sur l'otite aiguë.
§.
23. Les maladies du pharynx, et en particulier l'angine ou esquinancie, ont
beaucoup occupé l'école de Cos. Hippocrate s'y arrête longuement, et il
signale le danger de la rétrocession sur le poumon, de l'érysipèle qui apparaît
quelquefois au cou et sur la poitrine dans les inflammations de la gorge, érysipèle
qu'il regarde comme un signe avantageux: En parlant de l'amygdalite gangreneuse,
il donne le précepte très sage d'employer les purgatifs avant d'en venir à
une opération sanglante.
§.
24. Hippocrate revient sur les crises, et plus spécialement sur celles qui se
font par les dépôts. Je parlerai ailleurs des dépôts.
§.
25. Dans ce paragraphe, qui est une espèce d'épilogue, de péroraison,
Hippocrate résume sa doctrine par quelques principes généraux et entre autres
par celui-ci : qu'il faut pour bien apprécier les signes savoir comparer leur
valeur réciproque. Ce principe est très important et complète, avec les deux
autres que j'ai indiqués au §. 2e, tout le côté dogmatique de la
prognose.
Le
Pronostic se termine par la phrase suivante, qui résume complètement le système
médical que ce traité représente. « Ne demandez, dit l'auteur, le nom
d'aucune maladie qui ne se trouve pas inscrit dans ce livre, car toutes celles
qui se jugent dans les périodes que j'ai marquées plus haut, vous les reconnaîtrez
aux mêmes signes. » Ainsi, sauf quelques-unes qu'il nomme, les maladies aiguës
n'ont pas de symptômes particuliers ; elles n'ont que des symptômes généraux
qui leur sont communs, ou plutôt il ne reconnaît pas de symptômes, mais
seulement des signes qui sont communs à toutes, et dont l'étude doit servir à
faire juger toutes choses, ainsi qu'il le dit lui-même un peu plus haut. Il se
gardera bien de multiplier les noms et les espèces de maladies, à l'exemple
des médecins cnidiens, ainsi qu'il leur reproche au début du traité intitulé
: du Régime dans les maladies aiguës.
En
somme, le Pronostic n'est pas seulement un traité de pathologie générale,
un livre de séméiologie, comme nous l'entendons, puisqu'on y trouve la
description, le diagnostic local et le traitement de quelques affections
particulières: ce n'est pas non plus un traité de pathologie spéciale,
puisque le diagnostic de l'état général, puisque l'étude de la communauté
des maladies aiguës, puisque surtout ta recherche de l'avenir y tiennent le
premier rang ; ou plutôt il ne faut pas chercher à faire rentrer ce traité
dans nos divisions classiques, mais le regarder comme l'expression d'un système
médical tout particulier et entièrement opposé â celui qui gouverne
actuellement la science.
Étienne (16) déclare qu'il n'y a qu'une voix sur l'authenticité du Pronostic,
et qu'il doit être attribué sans hésiter à Hippocrate, fils d'Héraclide,
c'est-à-dire au grand Hippocrate. Il a joui dans l'antiquité de la plus grande
réputation; c'est le premier livre d'Hippocrate dont la critique ancienne se
soit occupée, et tous les médecins grecs et latins se sont plus à confirmer
les doctrines qui y sont contenues. Hérophile a commenté cet écrit ; Galien
censure même ses interprétations et craint qu'on ne l'accuse d'avoir perdu son
temps à les examiner (17). Xénocrite et Philinus de Cos se sont occupés de
l'explication des mots obscurs qui sont dans ce traité. Nicandre de Colophon
l'a paraphrasé en vers hexamètres. Caelius Aurelianus (18) attribue aussi ce
livre â Hippocrate. Érotien range le Pronostic le premier parmi les livres de
séméiologie ; Galien (19) dit que le Pronostic, comme les Aphorismes,
est bien l’œuvre d'Hippocrate, fils d'Héraclide. Aetius d'Amide (20) dit que
le médecin doit connaître le Pronostic, les autres écrits d'Hippocrate
et les oeuvres de la nature. Tous les commentateurs modernes ont confirmé la
croyance des commentateurs anciens (21).
Mais
quand les témoignages de toute l'antiquité et des temps modernes ne s'élèveraient
pas en faveur de la légitimité du Pronostic, le goût serait assurément
ici un guide presque aussi fidèle que la plus profonde érudition. «
L'importance de la matière, l'ordre, la déduction, celle lucidité de la
parole, qui unit de la concision et qui ne s'interpose entre nous et les phénomènes
que pour leur donner â nos yeux plus d'évidence; tout y respire cette raison sûre,
prompte, élevée, pénétrante qui a écrit les Aphorismes et le livre
de l'Air, des Eaux et des Lieux : c'est la même touche et le même
esprit ; c'est le même art de tout voir et de tout abréger ; ainsi les
suffrages du goût les témoignages de l'histoire, ceux de la nature, que l'on
recueille au lit des malades, tout se déclare en faveur du traité sur le Pronostic.
»
Je n'ai
qu'une réflexion à ajouter â ces paroles de l'éloquent secrétaire perpétuel
de l'Académie de médecine, c'est qu'Hippocrate ne doit qu'à son génie et à
sa pratique éclairée les observations qu'il a consignées dans le Pronostic.
Je ne saurais admettre en effet qu'un écrit qui tire son origine d'une pensée
toute systématique, qu'un livre qui représente toute une grande doctrine, ait
pu être créé par la seule réunion de quelques passages empruntés aux Prénotions
de Cos. Évidemment ce n'est pas ainsi que se forment les traités
dogmatiques ; ce sont eux au contraire qui donnent naissance à des compilations
telles que sont les Prénotions de Cos.
LE
PRONOSTIC.
1.
Il me semble qu'il est très bon pour un médecin de s'appliquer au
pronostic. Connaissant d'avance et indiquant près des malades les phénomènes
passés, présents et à venir, énumérant toutes les circonstances qui leur échappent,
il leur persuadera qu'il connaît mieux qu'un autre tout ce qui les regarde ; en
sorte qu'ils ne craindront pas de s'abandonner à lui. Il dirigera d'autant
mieux le traitement qu'il saura prévoir les événements futurs d'après les phénomènes
présents. Il est impossible de rendre la santé à tous les malades, et cela
vaudrait certainement mieux que de prévoir l'avenir ; mais comme les hommes périssent,
les uns terrassés tout à coup par la violence du mal, avant d'avoir appelé le
médecin, les autres presque aussitôt qu'ils l'ont fait venir, ceux-ci un jour
après, ceux-là après un peu plus de temps, mais toujours avant qu'il lui ait
été possible de combattre avec les moyens de l'art chaque maladie, il faut
qu'il sache reconnaître la nature de ces affections et jusqu'à quel point
elles dépassent les forces de l'organisme, et s'il n'y a point en elles quelque
chose de divin, car ceci éclaire le pronostic. Un tel médecin sera justement
admiré et excellera dans son art ; mieux que tout autre il saura préserver de
la mort les malades susceptibles de guérison, en se précautionnant plus
longtemps à l'avance contre chaque événement ; prévoyant et pronostiquant
ceux qui doivent guérir et ceux qui doivent mourir, il sera exempt de reproche.
2. Le médecin observera ce qui suit dans
les maladies aiguës : il examinera d'abord si le visage du malade ressemble à
celui des gens en santé, et surtout s'il est tel qu'il était avant la maladie
; s'il est tel, c'est très bon ; s'il est très différent, c'est très
redoutable. Voici quel est le visage redoutable : nez effilé, yeux enfoncés,
tempes affaissées, oreilles froides, contractées, lobes des oreilles contournés
; peau du front dure, tendue et sèche ; couleur de tout le visage jaune verdâtre,
ou brun-noir, livide ou plombé. ( Coaq. 212, 492.) - Si le visage est tel dès
le début de la maladie, sans qu'on puisse par d'autres signes expliquer ce
changement, il faut demander au malade s'il n'est pas épuisé par des veilles,
ou par une diarrhée liquide et abondante, s'il n'a pas souffert de la faim :
s'il avoue s'être trouvé dans quelqu'une de ces circonstances, on doit juger
le danger moins grand. Cette altération du visage disparaît dans l'espace d'un
jour et d'une nuit, quand elle provient de telles causes ; mais si le malade
assure qu'aucune n'a eu lieu, et si sa physionomie ne reprend pas son expression
habituelle dans l'espace de temps indiqué, on ne doit plus douter qu'il
n'approche de sa fin. - Mais la maladie étant plus avancée, au troisième ou
quatrième jour, par exemple, si le visage reste ainsi décomposé, il faut
d'abord faire aux malades les questions mentionnées plus haut, et de plus
considérer les autres signes qu'offrent l'ensemble du visage, le reste du corps
et les yeux. - Si les yeux fuient la lumière, s'il en coule des larmes
involontaires, s'ils sont divergents, si l'un devient plus petit que l'autre, si
le blanc devient rouge, s'il est parsemé de petites veines livides ou noires,
si le tour de la prunelle se couvre d'une humeur gluante, s'ils sont très agités,
s'ils sont saillants hors de l'orbite, ou s'ils y sont très enfoncés, si les
prunelles sont ternes et privées de leur éclat, si la couleur de tout le
visage est changée, il faut regarder tous ces signes comme dangereux et même
mortels. - On doit aussi faire attention à ce que l'on entrevoit du globe de
l’œil pendant le sommeil ; car si une certaine étendue du blanc apparaît à
travers les paupières entr'ouvertes sans que ce soit par suite d'une diarrhée,
d'une purgation, ou d'une habitude naturelle, c'est un signe fâcheux et
certainement mortel, Il faut savoir que la courbure ou la contraction, la teinte
jaune ou la lividité des paupières, des lèvres et du nez, réunies à
quelques autres signes fâcheux, sont les avant-coureurs d'une mort prochaine. -
C'est encore un signe de mort, que les lèvres soient relâchées, pendantes,
froides et blanches. (Coaq. 218. )
3. Il convient que le médecin surprenne le
malade couché sur le côté droit ou gauche, le bras, le cou et les extrémités
inférieures légèrement fléchies, et tout le corps souple. Telle est en général
la position que les gens bien portants prennent dans leur lit, et la meilleure
[pour les malades] est la position qui se rapproche le plus de celle qui est
propre à l'état de santé. -Trouver le malade couché sur le dos, avec les
bras, le cou et les extrémités inférieures étendus, est moins avantageux ;
mais s'il s'affaisse dans son lit et s'il coule aux pieds, c'est encore plus
dangereux. Le trouver les pieds découverts, nus et peu chauds, les bras et les
jambes également découverts et dans une situation irrégulière, c'est
mauvais, car cela indique une grande agitation. - C'est aussi un présage de
mort que le malade dorme toujours la bouche entr'ouverte, et que couché sur le
dos il ait les jambes extrêmement fléchies et écartées. Dormir sur le ventre
lorsqu'on n'en a pas l'habitude dans l'état de santé, annonce ou du délire ou
de la douleur dans les régions de l'abdomen. - C'est funeste dans toutes les
maladies, mais c'est surtout très mauvais dans les péripneumonies, que le
malade veuille se tenir assis. (Coaq. 497.)
Grincer des dents dans les fièvres, quand ce n'est pas une habitude d'enfance,
est un signe de délire violent et de mort probable ; mais si le malade a du délire
en même temps qu'il grince des dents, c'est un symptôme immédiatement
pernicieux. (Coaq. 235.) Cependant il faut savoir prédire le danger qui doit résulter
de ces deux choses.
Il faut observer s'il existait un ulcère avant la maladie, ou s'il en survient
un pendant son cours ; car si le malade doit périr, avant la mort l'ulcère
devient livide et sec, ou jaune verdâtre et sec. (Coaq. 496.)
4. Voici ce que je sais sur les mouvements
des mains dans toutes les fièvres aiguës, dans les péripneumonies, les phrénitis,
les céphalalgies, porter les mains à son visage, chercher dans le vide, avoir
de la carphologie, arracher les bords des couvertures, détacher des paillettes
de la muraille, doit être regardé comme autant de signes mauvais et
avant-coureurs d'une mort probable. (Coaq. 76.)
5. La respiration fréquente indique un
travail morbide ou une inflammation dans les régions sus-diaphragmatiques. - La
respiration grande et rare annonce le délire. L'air expiré froid par les
narines et par la bouche, est un signe de danger immédiat. - Il faut savoir que
la respiration facile exerce une puissante influence sur la guérison de toutes
les maladies aiguës qui sont accompagnées de fièvre et qui se jugent en
quarante jours. (Coaq. 260.)
6. Les sueurs sont très favorables, dans
toutes les maladies aiguës, toutes les fois qu'elles paraissent un jour
critique, et qu'elles dissipent entièrement la fièvre. - Sont bonnes aussi les
sueurs répandues sur tout le corps, et à la suite desquelles le malade
supporte mieux son mal. - Toute sueur qui ne procure aucun de ces avantages,
n'est pas profitable. Sont très mauvaises les sueurs froides et bornées à la
tête, au visage et au cou ; elles présagent la mort dans les fièvres aiguës,
et dans les fièvres moins vives la longueur de la maladie. (Coaq. 572, 573.) -
Sont aussi très mauvaises les sueurs qui se répandent sur tout le corps et qui
sont semblables à celles de la tète - Les sueurs miliaires et qui s'établissent
seulement au cou sont funestes ; celles qui forment des gouttelettes et de la
vapeur sont bonnes. -Il faut examiner le caractère général des sueurs : les
unes naissent de la faiblesse du corps, les autres de la tension inflammatoire.
7. L'hypocondre est en très bon état s'il
est indolent, souple et égal à droite et à gauche ; s'il est enflammé,
douloureux, tendu, si le côté droit ne présente pas les mêmes phénomènes
que ceux du côté gauche, il faut que le médecin soit en garde contre tous ces
symptômes. (Coaq. 279.) - S'il existe une pulsation profonde dans l'hypocondre,
c'est le présage d'un trouble général ou de délire ; mais chez ces malades
il faut observer les yeux : si les prunelles sont continuellement agitées, il
faut s'attendre qu'ils seront près de manie. (Coaq. 282.) - Une tumeur dure et
douloureuse dans l'hypocondre est très mauvaise ; si elle en occupe toute l'étendue
: mais quand elle est bornée à un seul côté, c'est à gauche qu'elle est le
moins redoutable. Ces tumeurs apparaissant au début des maladies annoncent que
la mort est proche. Si la fièvre subsiste plus de vingt jours sans que la
tumeur s'affaisse, elle passe à la suppuration. Chez ces malades il survient
dans la première période un flux de sang par le nez, et il les soulage
notablement. Mais il faut leur demander s'ils ressentent des douleurs de tête
ou si la vue se trouble, car si l’un de ces signes existe, la fluxion est de
ce côté. C'est surtout chez les jeunes gens au-dessous de trente-cinq ans
qu'il faut s'attendre à ces hémorragies ; chez les vieillards, c'est à la
suppuration de la tumeur. (Coaq. 280.) - Les tumeurs molles, indolentes, qui cèdent
à la pression du doigt, se jugent plus lentement, et sont moins dangereuses que
les premières. Mais s'il se passe soixante jours sans que la fièvre tombe et
sans que la tumeur s'affaisse, c'est un signe qu'il s'y formera de la
suppuration. Il en est ainsi pour les tumeurs qui siégent dans le reste du
ventre. Ainsi toute tumeur douloureuse, dure, volumineuse, annonce un danger de
mort prochaine ; et toute tumeur molle, indolente, cédant à la pression du
doigt, persiste plus longtemps que les premières. - Les tumeurs de la région
épigastrique arrivent plus rarement à suppuration que celles des hypocondres,
mais celles qui sont au-dessous du nombril suppurent moins souvent encore. Il
faut surtout, dans ce cas, s'attendre, à une hémorragie des parties supérieures.
- Il faut soupçonner la suppuration de toutes les tumeurs qui persistent
longtemps dans ces régions. - On jugera ainsi qu'il suit de ces aposthèmes
internes tous ceux qui se portent en dehors sont favorables s'ils sont médiocres,
saillants et terminés en pointe ; ceux qui sont volumineux, aplatis et qui ne
se terminent pas en pointe, sont très mauvais. De tous les aposthèmes qui
s'ouvrent à l'intérieur, les plus favorables sont ceux qui ne communiquent pas
avec l'extérieur, qui sont circonscrits, indolents, et qui n'altèrent pas la
couleur des téguments. (Coaq. 281.) - Le pus est très bon quand il est blanc,
d'une consistance égale, uniforme, et sans aucune mauvaise odeur : celui qui a
les qualités opposées est très mauvais.
8. Les hydropisies qui naissent de maladies
aiguës sont toutes mauvaises ; elles ne délivrent pas de la fièvre, sont très
douloureuses et même mortelles ; elles ont pour la plupart leur principe dans
les cavités iliaques dans la région lombaire, ou dans le foie. - Chez ceux
dont l'hydropisie a son point de départ dans les régions lombaires et
iliaques, les pieds enflent, il survient des diarrhées rebelles qui ne font pas
cesser les douleurs des flancs et des lombes, et qui n'amollissent pas le
ventre. - Toutes les fois qu'elles tirent leur origine du foie, il y a de la
toux et des envies continuelles de tousser sans expectoration notable, les pieds
enflent, le ventre est resserré, et le malade ne rend que quelques excréments
durs, et encore par l'action des remèdes; il se forme dans le ventre, tantôt
à droite, tantôt à gauche, des tumeurs qui s'élèvent et s'affaissent
alternativement. (Coaq. 452.)
9. Avoir la tête, les bras et les pieds
froids, quand le ventre et la poitrine sont chauds, c'est mauvais ; il est au
contraire très bon que tout le corps ait une chaleur et une souplesse
uniformes. (Coaq. 492.) - Un malade doit se retourner facilement dans son lit,
et se sentir léger quand il veut se soulever ; s'il éprouve de la pesanteur
dans tout le corps, dans les pieds et dans les mains, il y a plus de danger. Si
à ce sentiment de pesanteur se joint la lividité des ongles et des doigts, la
mort est imminente. - La couleur complètement noire des pieds et des mains est
moins formidable que leur lividité. Cependant il faut, dans ce cas, recourir à
d'autres signes. En effet, si le malade ne paraît pas accablé par son mal, si
quelque signe de salut se réunit aux autres, on peut espérer que la maladie se
terminera par la suppuration, que le malade en réchappera et que les parties
noires se détacheront. (Coaq. 493.) -- La rétraction des testicules et des
parties de la génération indique un violent travail morbide, et une mort
probable. (Coaq. 494.)
10. Pour ce qui est du sommeil, les malades
doivent, comme c'est la coutume en santé, dormir la nuit et veiller le jour. Le
danger n'est pas très grand quand le sommeil ne se prolonge pas au delà de la
troisième partie du jour. Passé ce temps, le sommeil est funeste ; mais il est
très mauvais de ne dormir ni jour ni nuit : car on peut inférer de ce symptôme,
ou que l'insomnie est la suite de la douleur et d'un travail morbide, ou qu'il y
aura du délire. (Coaq.
497 in fine.)
11. Les selles sont très bonnes si elles
sont molles, consistantes, si elles arrivent à l'heure habituelle dans l'état
de santé, et si elles sont proportionnées à la quantité d'aliments. Des
selles de cette nature indiquent que le ventre inférieur est sain. (Coaq. 604
initio.) - Quand les selles sont liquides, il est bon qu'elles aient lieu sans
gargouillements, qu'elles soient peu rapprochées et peu abondantes ; car, d'une
part, fatigué par des envies continuelles d'aller à la garde-robe, le malade
serait privé de sommeil, et de l'autre, s'il rendait souvent des matières
abondantes, il serait en danger de tomber en lypothimie (30). (Coaq. 609.) - Il
faut, en proportion de la quantité d'aliments, aller à la selle deux ou trois
fois le jour, une fois seulement la nuit, et plus copieusement le matin, comme
c'est l'habitude en bonne santé. Les selles doivent s'épaissir à mesure que
la maladie approche de la crise. Il faut encore qu'elles soient modérément
rousses, et qu'elles n'aient pas une trop mauvaise odeur. - Il est avantageux de
rendre des lombrics avec les selles, quand la maladie approche de la crise.
(Coaq. 604 in fine.) - Dans quelque maladie que ce soit, le ventre doit être
souple et d'un volume convenable. - Des évacuations de matières liquides comme
de l'eau, ou blanches, ou verdâtres, ou d'un rouge foncé, ou écumeuses, sont
toutes funestes. - Sont encore mauvais les excréments petits, gluants et
blancs, et ceux qui sont verdâtres et liés. Ils sont encore plus funestes
s'ils sont noirs, ou gras, ou livides, ou érugineux ou fétides. -Les selles
variées annoncent que la maladie se prolongera, mais elles ne sont pas moins
pernicieuses. Elles sont composées de matières semblables à des raclures, de
matières bilieuses, porracées, noires, qui sortent tantôt ensemble, tantôt séparément.
(Coaq. 604, 631.) - Il est bon que les vents s'échappent sans bruit et sans
explosion. Cependant il vaut mieux qu'ils s'échappent avec bruit que d'être
retenus. Quand ils sortent avec bruit, c'est le signe d'un travail morbide ou de
délire, à moins que le malade ne les lâche ainsi volontairement. (Coaq. 495.)
Un borborygme formé dans l'hypocondre dissipe les douleurs et les gonflements récents
et non inflammatoires de cette région, surtout s'il s'échappe avec des matières
fécales, des urines ou des vents. S'il n'en est pas ainsi, le borborygme
soulage par cela seul qu'il traverse l'hypocondre ; il soulage encore quand il
roule vers le bas-ventre. (Coaq.
281 in fine.)
12. L'urine est très bonne, lorsqu'elle dépose
pendant tout le cours de la maladie, jusqu'à ce qu'elle soit jugée, un sédiment
blanc, homogène et uniforme. Elle présage l'absence du danger et une guérison
prochaine. Mais si l'urine ne reste pas toujours dans le même état, si tantôt
elle coule limpide, si tantôt elle dépose un sédiment blanc et homogène, la
maladie sera plus longue et moins exempte de dangers. Si l'urine est rougeâtre,
si le sédiment est de même couleur et homogène, la maladie sera plus longue
que dans le cas précédent, mais la guérison beaucoup plus assurée. (Coaq.
575.) - Dans ces urines un sédiment semblable à de la grosse farine d'orge est
funeste, celui qui ressemble à des écailles est plus mauvais. Le sédiment
blanc et ténu est très suspect, mais celui qui ressemble à du son est encore
plus mauvais. (Coaq. 578.) - Les nuages suspendus dans les urines sont bons
s'ils sont blancs, sont suspects s'ils sont noirs. - Tant que l'urine reste
citrine et ténue, c'est un signe que la maladie est encore à l'état de crudité
; si l'urine reste longtemps telle, il est à craindre que le malade ne puisse résister,
jusqu'à ce que la maladie arrive à coction. - Les urines les plus funestes
sont les urines fétides et aqueuses, les noires et épaisses. Chez les hommes
et chez les femmes les urines noires sont très mauvaises ; chez les enfants ce
sont les aqueuses. (Coaq. 580.) Si, concurremment avec des signes favorables,
les malades rendent pendant longtemps des urines ténues et crues , on doit
s'attendre à un dépôt dans les régions sous-diaphragmatiques. - On doit se défier
des substances grasses semblables à des toiles d'araignées qui nagent sur les
urines, car c'est un indice de colliquation. (Coaq. 582.) - Il faut examiner
dans les urines qui présentent des nuages, si ces nuages se portent vers la
partie supérieure ou inférieure ; s'ils se précipitent avec les couleurs
indiquées, ils doivent être réputés de bon augure, et il faut s'en féliciter
; si, au contraire, ils gagnent le haut avec ces mêmes couleurs, ils sont d'un
mauvais augure, et il faut s'en méfier. (Coaq. 577.) -Mais prenez garde de vous
laisser induire en erreur, car si la vessie est malade, les urines peuvent avoir
tous ces caractères. Alors elles ne sont plus l'indice de l'état de tout le
corps, mais seulement de celui de la vessie.
13. Le vomissement le plus avantageux est
celui qui est composé de phlegme et de bile, mélangés le plus exactement
possible ; car moins les matières sont mélangées dans les vomissements, plus
ils sont funestes. Les matières vomies ne doivent être ni fort épaisses, ni
fort abondantes. Si les matières sont porracées, livides ou noires, que ce
soit l'une ou l'autre de ces couleurs qui domine, il faut regarder ce
vomissement comme funeste. Mais si le même malade vomit à la fois des matières
de toutes ces couleurs, le cas est très grave. La couleur livide et la fétidité
extrême des vomissements annoncent une mort prochaine. Toute odeur fétide et
putride est funeste dans tout vomissement. (Coaq. 556.)
14. Dans toutes les maladies du poumon et
des parois de la poitrine, il faut que l'expectoration se fasse de bonne heure
et avec facilité ; et la partie fauve doit être exactement mélangée dans le
crachat ; car si le malade, longtemps seulement après l'invasion de la douleur,
expectore des crachats fauves ou roux qui provoquent une forte toux, et dans
lesquels [ces couleurs] ne sont pas exactement mélangées à d'autres, le cas
devient plus grave ; car un crachat d'un fauve pur est dangereux ; mais un
crachat blanc, visqueux et arrondi est insignifiant. Sont encore mauvais les
crachats d'un vert très foncé et ceux qui sont écumeux ; si les crachats sont
si purs qu'ils paraissent noirs, ils sont encore plus dangereux que ceux-ci.
(Coaq.390.) - Il est mauvais qu'il ne se fasse aucune expectoration, que le
poumon n'expulse rien, qu'au contraire il se remplisse, et qu'il se produise
ainsi un bouillonnement dans la trachée. - Quand le coryza et l'éternuement se
montrent comme prodrome ou comme épiphénomène dans les maladies du poumon,
c'est mauvais ; mais dans toutes les autres maladies, même les plus
dangereuses, l'éternuement est utile. (Coaq. 399.) Dans la péripneumonie, les
crachats fauves et mêlés d'un peu de sang sont salutaires s'ils sont expectorés
au début de la maladie, et soulagent même grandement. Après le premier
septenaire et plus tard, ils sont moins avantageux. (Coaq. 390 in medio.). Toute
expectoration qui ne calme pas la douleur est funeste. Mais les crachats les
plus pernicieux sont les noirs, comme il a été dit. Ceux qui calment la
douleur sont les meilleurs de tous. (Coaq. 391.)
15. Il faut savoir que toutes les douleurs
de poitrine qui ne cèdent ni à une expectoration abondante, ni à un flux de
ventre, ni aux saignées, ni au régime, ni aux purgatifs, amèneront la
suppuration. (Coaq. 394.). De toutes les collections purulentes, celles qui se
rompent quand l'expectoration est encore bilieuse sont les plus funestes, que
les crachats bilieux soient rejetés séparément ou mêlés avec le pus. Le
danger est encore plus grand si l'empyème commence à se vider avec de tels
crachats, quand la maladie est au septième jour. Il est à craindre que celui
qui rend de pareils crachats ne périsse le quatorzième jour, s'il ne lui
survient aucun symptôme favorable. (Coaq. 392.). Les symptômes favorables sont
les suivants : tolérance du mal, respiration libre, disparition de la douleur,
expectoration facile, chaleur et souplesse uniformes de tout le corps, absence
de la soif ; selles, urines, sommeil et sueurs avec les caractères décrits
comme avantageux. Quand tous ces signes sont réunis, le malade ne mourra
certainement pas ; mais si les uns se rencontrent sans les autres, il est à
craindre que 1e malade ne vive pas au delà du quatorzième jour. - Sont mauvais
les symptômes opposés, que voici : accablement sous le poids du mal,
respiration élevée et fréquente, persistance de la douleur, expectoration
difficile, soif inextinguible, chaleur inégale du corps (le ventre et la
poitrine étant extrêmement chauds, le front, les pieds et les mains restant
froids) ; urines, selles, sommeil et sueurs avec les caractères décrits comme
pernicieux. Si quelqu'un de ces signes se réunit à cette espèce de crachats,
le malade périra avant le quatorzième jour, le neuvième ou le onzième. On établira
donc ses conjectures en se fondant sur ce que l'expectoration dont il s'agit est
le plus souvent mortelle, et qu'elle fait périr les malades avant le quatorzième
jour. Il faut, pour énoncer son pronostic, peser la valeur des bons et des
mauvais signes ; c'est ainsi qu'on s'écartera le moins de la vérité. (Coaq.
393.) - Quant aux autres collections purulentes, les unes s'ouvrent le vingtième,
les autres le trentième, quelques-unes le quarantième jour : il y en a même
qui vont jusqu'au soixantième.
16. On reconnaîtra le commencement de
l'empyème en calculant qu'il date du jour où le malade a eu pour la première
fois un accès de fièvre, si toutefois il a été pris d'un frisson, et s'il
dit qu'à la place de la douleur il a éprouvé un sentiment de pesanteur là où
il souffrait d'abord; car ces symptômes apparaissent au début des empyèmes.
(Coaq. 402 in medio.) Il faut donc, d'après cette supputation des temps,
compter que la rupture des empyèmes aura lieu aux époques indiquées
ci-dessus. - Pour s'assurer si la suppuration est bornée à un seul côté, le
médecin fera retourner le malade, et s'informera s'il ne ressent pas de la
douleur dans l'un des côtés de la poitrine ; si l'un des côtés est plus
chaud que l'autre, il fera coucher le malade sur celui qui est sain, et lui
demandera s'il n'éprouve pas la sensation d'un poids qui presse d'en haut , car
s'il en est ainsi, l'empyème existe dans le côté d'où le poids se fait
sentir. (Coaq. 428.)
17. On reconnaîtra les empyématiques quels
qu'ils soient, aux signes suivants
: d'abord la fièvre ne les quitte pas; seulement, rémittente le jour, elle
redouble la nuit ; il survient des sueurs abondantes, des envies continuelles de
tousser, sans expectoration notable ; les yeux sont enfoncés dans l'orbite; les
pommettes sont rouges, les ongles se recourbent, les doigts sont brûlants
surtout à leur extrémité, les pieds s'oedématient, l'appétit est nul, le
corps se recouvre de phlyctènes. Tout empyème qui date de longtemps, présente
ces signes auxquels il faut accorder une très grande confiance. - Tout empyème
de formation récente se reconnaît à ces signes s'il s'y joint quelqu'un de
ceux qui marquent le début de la suppuration, et si le malade éprouve une plus
grande difficulté de respirer. (Coaq. 402 initio.). - A l'aide des signes
suivants on reconnaîtra les empyèmes qui s'ouvriront promptement et ceux dont
l'éruption sera plus tardive : s'il existe, dès le début, de la souffrance,
de la dyspnée, de la toux, avec un ptyalisme continuel, il faut s'attendre à
la rupture dans les vingt jours et même avant. Mais si la souffrance est peu
marquée, si l'ensemble des autres symptômes est en proportion, il faut
attendre une rupture plus tardive ; toutefois la souffrance, le ptyalisme et la
dyspnée précèdent forcément l'évacuation du pus. (Coaq. 402 in medio.) --
Ceux-là surtout seront sauvés qui sont délivrés de la fièvre dès le jour même
de la rupture de l'empyème, qui reprennent promptement appétit, qui ne sont
plus tourmentés par la soif, qui ont des selles médiocres et liées, qui
expectorent sans douleur et sans effort de toux un pus blanc, lié, de couleur
uniforme, sans mélange de phlegme. Ces signes, ou tout au moins ceux qui s'en
rapprochent le plus, sont très favorables, ils apportent un prompt soulagement.
Mais ils sont voués à la mort, ceux que la fièvre ne quitte pas, ou qu'elle
semble ne quitter que pour se rallumer avec une nouvelle violence, qui sont
tourmentés de la soif, et qui n'éprouvent aucun appétit, qui ont une diarrhée
liquide, qui expectorent un pus verdâtre, brun, phlegmatique (séreux) et écumeux:
quand tous ces signes se réunissent, le malade est perdu. Mais quand les uns se
rencontrent et que les autres manquent, les malades ou meurent, ou guérissent
après un temps fort long. Il faut, dans ces maladies, comme dans toutes les
autres, tirer son pronostic de tous les signes rationnels qui existent. (Coaq.
402 in fine.)
18. Tous les malades, chez lesquels par
suite d'une péripneumonie, il survient auprès des oreilles des dépôts qui
suppurent, ou aux parties inférieures des dépôts qui deviennent fistuleux,
sont sauvés. - Voici ce qu'il faut considérer à cet égard : si la fièvre
est continue, si la douleur ne se modère pas, si la quantité de crachats n'est
pas convenable, si les selles ne deviennent pas bilieuses, si elles sont fluides
et sans mélange, si l'urine n'est ni fort épaisse ni fort abondante, si elle
ne dépose pas un sédiment considérable, si en même temps le malade est protégé
par les autres signes, il faut s'attendre à ces sortes de dépôts. - Ils se
forment dans les parties inférieures, chez les individus qui ressentent de la
chaleur dans les hypocondres. Ils se forment au contraire dans les parties supérieures
chez ceux qui, conservant l'hypocondre souple et indolent, éprouvent pendant
quelque temps une dyspnée qui se dissipe sans cause évidente. (Coaq. 395. ) -
Les dépôts qui se forment aux jambes dans les péripneumonies violentes et même
dangereuses sont tous avantageux ; ils sont très favorables s'ils paraissent
quand les crachats se modifient, car si la tumeur et la douleur se montrent
lorsque les crachats deviennent purulents, de fauves qu'ils étaient, et qu'ils
sortent [ abondamment et facilement], le malade réchappera, et la tumeur se résoudra
très promptement et sans douleur ; mais si l'expectoration se fait avec peine,
si l'urine ne dépose pas un sédiment favorable, il est à craindre que
l'articulation [siège du dépôt] ne perde ses mouvements, ou que la guérison
ne soit une source d'embarras. - Si les dépôts disparaissent et rétrocèdent
quand l'expectoration ne se fait pas, et que la fièvre persiste, c'est
redoutable, car il y a danger que le malade ne délire et qu'il ne succombe. (
Coaq. 396 ). - Les personnes âgées meurent surtout des empyèmes qui naissent
des péripneumonies ; les jeunes gens meurent plutôt des autres espèces de
suppurations. (Coaq. 431.) - Quand on ouvre un empyème par le fer ou par le
feu, si le pus sort pur, blanc et sans mauvaise odeur, le malade est sauvé ;
mais s'il sort bourbeux et sanguinolent, le malade est perdu. (Coaq. 410.)
19. Les douleurs avec fièvre qui occupent
les lombes et les parties inférieures, si elles quittent ces parties pour rétrocéder
vers le diaphragme, sont très pernicieuses. Il faut donc prendre en considération
les autres signes, car s'il se manifeste quelqu'un de ceux qui sont mauvais, le
malade est perdu. Mais quand cette métastase se fait vers le diaphragme sans
qu'il se montre aucun signe fâcheux, il y a tout lieu d'attendre un empyème.
(Coaq. 408.)
La tension inflammatoire et les douleurs de vessie sont tout à fait redoutables
et même pernicieuses : elles sont plus pernicieuses encore quand elles sont
accompagnées de fièvre continue. En effet les maladies de la vessie suffisent
à elles seules pour donner la mort. Pendant toute leur durée, le malade est
constipé, il ne rend que quelques excréments durs et à l'aide de remèdes. Un
écoulement d'urines purulentes avec un sédiment blanc et lisse, dissipe ces
maladies. S'il ne s'échappe pas une goutte d'urine, si la douleur ne se calme
pas, si la vessie ne s'assouplit pas, si la fièvre persiste, il faut s'attendre
à perdre le sujet dans la première période de la maladie : cette forme de
l'affection attaque principalement les enfants depuis l'âge de sept ans jusqu'à
quinze. (Coaq. 474.)
20. Les fièvres se jugent, dans les jours
qui sont numériquement les mêmes que ceux dans lesquels, les malades réchappent
ou succombent. - Les fièvres les plus bénignes et qui marchent avec les symptômes
les plus favorables, se terminent, en effet, en quatre jours ou plus tôt;
celles du plus mauvais caractère et qui marchent avec les symptômes les plus
effrayants, donnent la mort le quatrième jour ou avant. Tel est le terme de la
première période des fièvres. La seconde se prolonge jusqu'au septième jour,
la troisième jusqu'au onzième, la quatrième jusqu'au quatorzième, la cinquième
jusqu'au dix-septième, la sixième jusqu'au vingtième. Ainsi, dans les
maladies très aiguës, les périodes de quatre jours s'ajoutent successivement
jusqu'au vingtième ; mais il est impossible de compter exactement ces périodes
par des jours entiers, car les mois et l'année même ne peuvent se compter par
des jours entiers. Après le vingtième jour, en supputant de la même manière,
la première période se prolonge jusqu'au trente-quatrième jour, la seconde
jusqu'au quarantième, la troisième jusqu'au soixantième. Il est très
difficile, dès le début des fièvres, de reconnaître celles dont la crise
sera tardive, car au commencement les symptômes sont identiques pour toutes ;
mais il faut observer dès le premier jour et examiner avec soin ce qui se passe
à chaque addition d'une nouvelle période quartenaire ; de cette manière on ne
se trompera pas sur l'issue de la maladie. La constitution des fièvres quartes
résulte d'un pareil arrangement de périodes. - On reconnaît promptement et
facilement les fièvres dont la crise doit se faire dans un bref délai ; elles
offrent des différences tranchées dès le début : les malades qui doivent guérir
respirent facilement, ne souffrent pas, dorment la nuit et présentent les
autres signes favorables ; ceux qui doivent périr respirent péniblement, ont
les idées en désordre, sont pris d'insomnie, et éprouvent tous les autres
signes fâcheux. Les choses se passant ainsi, il faut conjecturer d'après le
temps, et d'après chaque addition [de période quartenaire], à mesure que la
maladie approche de la crise. Les crises qui sont propres aux femmes en couches
se règlent de la même manière.
21. Des douleurs de tête intenses et
continues avec fièvre, s'il s'y joint quelqu'un des signes qui présagent la
mort, c'est très pernicieux. Mais si la douleur se prolonge au delà de vingt
jours, et que la fièvre persiste, il faut s'attendre à une hémorragie du nez
ou à un dépôt vers les parties inférieures. Bien que la douleur soit récente,
on peut s'attendre également à une hémorragie nasale ou à un dépôt de pus,
surtout si la céphalalgie est fixée aux tempes ou au front. On doit plutôt
compter sur l'hémorragie chez les jeunes gens, et sur la suppuration chez les
vieillards. (Coaq. 160.)
22. Les douleurs aiguës de l'oreille, avec
une fièvre continue et violente, sont redoutables ; il est à craindre que le délire
ne survienne et que le malade ne succombe. Puisque cette affection est très
dangereuse, il faut diriger son attention sur tous les signes qui se manifestent
dès le premier jour. Les jeunes gens succombent à cette maladie le septième
jour ou plus tôt ; les vieillards meurent beaucoup plus tard : comme ils sont
moins disposés au déliré et à la fièvre, la suppuration s'établit
auparavant ; mais à cet âge il y a des rechutes qui font périr la plupart des
malades. Les jeunes gens meurent avant que l'oreille ne suppure, car il y aurait
pour eux des chances de guérison si un pus blanc sortait de l'oreille, et
surtout s'il se joignait quelque autre signe favorable. (Coaq. 189.)
23. Le pharynx ulcéré avec fièvre, c'est
redoutable ; mais s'il se joint quelqu'un des signes réputés funestes, on doit
annoncer que le malade est en danger. (Coaq. 276.) Les esquinancies sont très
redoutables ; elles tuent très rapidement quand elles ne se révèlent au cou
ou au pharynx par aucun phénomène, et qu'elles causent néanmoins une douleur
des plus vives et de l'orthopnée : elles étouffent le malade le premier, le
deuxième, le troisième, ou le quatrième-jour. (Coaq. 363.) Les esquinancies
qui causent autant de souffrance que les précédentes, mais qui s'annoncent par
du gonflement et de la rougeur à la gorge, sont, à la vérité, très
pernicieuses, mais elles se prolongent plus longtemps que les premières, si la
rougeur est très étendue: (Coaq. 364.) Chez tous les sujets dont le pharynx et
le cou rougissent, les esquinancies sont plus longues, et c'est surtout de
celles-là que quelques malades guérissent, si la rougeur occupe en même temps
le cou et la poitrine, et si cette espèce d'érysipèle ne rétrocède pas. Si
ce n'est pas dans un jour critique que l'érysipèle a disparu, s'il ne s'est
point formé d'abcès aux parties extérieures, si le malade n'a pas craché de
pus, s'il se trouve bien et sans douleur, ou la mort est proche, ou l'érysipèle
reparaîtra. Il est plus avantageux que la tuméfaction et la rougeur se portent
principalement au dehors (Coaq. 365) ; mais, s'il y a rétrocession sur le
poumon, elle amène du délire, et le plus souvent les malades deviennent empyématiques
à la suite de ces accidents. (Coaq. 367.) - Tant que la luette est rouge et
gonflée, il est dangereux de la couper, de la scarifier et de la brûler, il en
résulterait des phlegmasies et des hémorragies. Il faut pendant tout ce temps
essayer, à l'aide d'autres moyens, d'en diminuer le volume. Mais quand ce qu'on
appelle staphylin, s'est tout à fait formé, quand l'extrémité de la luette
devient plus volumineuse et s'arrondit, tandis que la partie supérieure
s'amincit, alors on peut en toute sûreté pratiquer l'opération. - Il est bon
de relâcher le ventre, avant de recourir à la chirurgie, si toutefois le temps
le permet et si le malade ne suffoque pas.
24. Pour tous les malades chez lesquels les
fièvres cessent sans qu'aucun signe de solution se manifeste, et hors des jours
critiques, il faut s'attendre à une récidive. (Coaq. 146.) - Quand une fièvre
quelconque se prolonge, le malade se trouvant dans de bonnes conditions, et ne
ressentant aucune douleur entretenue par quelque inflammation ou par toute autre
cause apparente, il faut s'attendre à un dépôt avec gonflement et douleur sur
les articulations, et principalement sur les inférieures. Ces dépôts se
forment de préférence et très rapidement chez les sujets au-dessous de trente
ans. Il faut soupçonner la formation de ces dépôts aussitôt que la fièvre
persiste au delà de vingt jours. Citez les personnes plus âgées, ils sont
moins fréquents, bien que la fièvre dure plus longtemps. Il faut s'attendre
que ces dépôts se formeront quand la fièvre est continue, mais que la fièvre
se changera en quarte, si tantôt elle tombe et tantôt se rallume sans observer
d'ordre, et si elle se prolonge avec ces alternatives jusqu'à l'automne. Comme
ces dépôts sont plus fréquents chez les individus au-dessous de trente ans,
de même la fièvre quarte s'établit plutôt citez ceux qui ont trente ans et
plus. Il faut savoir que ces dépôts arrivent de préférence en hiver, et
qu'alors ils sont plus longs à disparaître, mais qu'ils sont moins sujets aux
métastases. (Coaq. 143.) - Dans une fièvre dont le caractère n'est pas
mortel, si le malade se plaint de céphalalgie, d'avoir des objets noirs devant
les yeux, de douleurs mordicantes au cardia, il y aura un vomissement bilieux ;
et s'il survient un frisson et un sentiment de froid dans les régions inférieures
de l'hypocondre, le vomissement sera encore plus prompt ; et si dans ce moment
le malade boit ou mange quelque chose, il le vomira très promptement. Parmi ces
malades, ceux chez lesquels la souffrance commence dès le premier jour, sont
plus mal le quatrième et surtout le cinquième jour ; mais ils sont délivrés
le septième ; ceux, au contraire, et c'est le plus grand nombre, qui sont pris
de la douleur le troisième jour, sont plus mal le cinquième, et sont délivrés
le onzième ; chez ceux qui commencent à souffrir au cinquième jour, et chez
qui le reste marche comme il a été dit, la maladie se juge le quatorzième
jour. Les choses se passent ainsi chez les hommes et chez les femmes,
principalement dans les fièvres tierces. Chez les jeunes gens, ces choses
s'observeront aussi dans les fièvres de cette espèce, mais plutôt dans les fièvres
à type plus continu, et dans les tierces légitimes. - Chez les individus qui,
souffrant de la tète dans une fièvre de ce genre, au lieu d'avoir des objets
noirs devant les yeux, ont la vue trouble ou aperçoivent des étincelles, et
qui, au lieu de douleurs de cardia, éprouvent de la tension dans l'hypocondre
droit ou gauche, sans douleur ni inflammation, il faut s'attendre non au
vomissement, mais à une hémorragie nasale. Toutefois , il faut compter sur
cette hémorragie surtout chez les jeunes gens, mais moins chez les individus de
trente-cinq ans et au-dessus ; chez ces derniers, on doit compter davantage sur
le vomissement. - Les spasmes surviennent chez les enfants si la fièvre est
aiguë, si le ventre ne se lâche pas, s'ils sont pris d'insomnie, s'ils ont des
frayeurs, s'ils poussent des gémissements, s'ils versent des larmes, et si leur
visage devient tantôt verdâtre, tantôt livide, tantôt rouge. (Coaq. 409.)
Ces accidents sont très ordinaires aux nouveau-nés et jusqu'à sept ans. Ceux
qui sont plus âgés et les adultes ne sont pas exposés aux spasmes pendant les
fièvres, à moins qu'il ne se montre quelques-uns des signes les plus violents
et les plus funestes, tels qu'il en survient dans les phrénitis. Pour
pronostiquer rationnellement à l'égard des enfants et des malades des autres
âges, ceux qui doivent périr et ceux qui seront sauvés, il faut consulter
l'ensemble des signes tels qu'ils ont été décrits pour chaque cas ; ce que je
viens de dire s'applique aux maladies aiguës et à celles qui en naissent.
25. Il faut que celui qui désire
pronostiquer avec sûreté quels malades guériront et quels mourront, chez
lesquels la maladie sera longue ou chez lesquels la maladie sera courte, juge de
la valeur de tous les signes qui se manifestent, en calculant leur puissance
comparative, ainsi qu'il a été fait pour tous, et en particulier pour ceux
fournis par les urines et les crachats, quand, par exemple, l'expectoration est
à la fois bilieuse et purulente. Il est essentiel de reconnaître promptement
la marche des maladies qui sévissent toujours d'une manière épidémique, et
la constitution particulière à la saison. - Le médecin doit avoir une
parfaite connaissance des signes rationnels et des autres, et ne pas ignorer que
dans quelque année et dans quelque saison que ce soit les bons signes annoncent
du bien, et les mauvais du mal, puisque ces signes, que j'ai décrits, sont également
vrais en Libye, dans l'île de Délos et dans la Scythie. D'après cela, il faut
savoir que dans les mêmes contrées il n'est pas à craindre que la plupart de
ces signes ne se vérifient, quand un sait les apprécier et en calculer la
valeur. - Ne demandez le nom d'aucune maladie qui ne se trouve pas inscrit dans
ce livre ; car toutes celles qui se jugent dans les mêmes périodes que celles
indiquées tout à l'heure, vous les reconnaîtrez aux mêmes signes.
(01) Etienne le philosophe, in Progn. Hipp. Com. dans les Scholia in Hipp. et Gal., éd. de Dietz, t. I, p. 51 à 232. Ce commentaire est très remarquable par les explications qu'il renferme, et par sa forme toute scholastique. Le texte grec donné pour la première fois par Dieiz présente plusieurs incorrections, quelques lacunes et des transpositions qui tiennent au mauvais état des manuscrits. - Cf. pour les passages que j'ai traduits les pages 51, 52 et 53, et pour ce qui a rapport aux maladies chroniques, cf. aussi Galien, Com. II in Progn., texte 1. - Com. III, texte 15, 36, 42.