TOME VIII
REMARQUES DÉTACHÉES SUR LES LIVRES RELATIFS AUX MALADIES DES FEMMES.
I. En parcourant les sommaires que j'ai mis en tête des paragraphes, on passera très-rapidement en revue toutes les affections utérines que l'auteur a notées. Il met en usage un grand nombre de médicaments et de moyens thérapeutiques, parmi lesquels je ne veux signaler ici que les pessaires, les fumigations et les injections.
Les pessaires ne sont nullement ce que nous entendons par pessaire présentement : un instrument de formes diverses destiné à maintenir, la matrice qui se déplace. Le pessaire de ce temps-là, appelé πρόσθετον (on ne trouve πεσσὸς; que dans le Serment et deux ou trois fois ailleurs), est fait avec un sachet de linge, ou avec de la laine enroulée, où l'on met le médicament et qu'on introduit le plus souvent à l'aide d'une plume. On peut voir, § 74, §73, et § 205, une longue série de formules. Quelques-unes sont très-actives, contenant par exemple des préparations de cuivre, de l'élatérion ou suc de concombre sauvage et des cantharides. Il n'était pas rare que l'emploi en fût suivi de douleur, d'inflammation et de strangurie. En général, l'auteur paraît songer uniquement à traiter la matrice déplacée, les granulations, la phlegmasie, la dysménorrhée, les écoulements, comptant que, s'il obtient un bon résultat, le déplacement se trouvera guéri ; mais il ne s'occupe guère de la maintenir mécaniquement. Seulement dans le § 149, il est question d'un moyen contentif assez grossier : on prend une grenade d'une forme appropriée, on la perce par l'ombilic de part en part, on l'échauffé dans du vin tiède, et, si rien ne s'y oppose, on l'enfonce, aussi avant que possible, dans le vagin ; puis on serre avec une écharpe large qui la reprend en-dessous, afin qu'elle ne glisse pas, mais que, restant 521 en place, elle fasse son office. Il est aussi parlé d'épongés destinées à contenir la matrice, § 144 et § 248.
Les fumigations sont employées pour le même but que les pessaires; se composant de substances diverses, et souvent aussi très-actives ; se prolongeant quelquefois beaucoup, au point de faire tomber la malade en faiblesse, soit par leur durée, soit par leur activité. L'auteur décrit plusieurs appareils, à l'aide desquels on administre ces fumigations (voy. § 133 et § 206). Elles doivent généralement être données, de manière à aller jusqu'à la matrice, à l'aide de tuyaux qu'on place dans le vagin.
Les injections et les infusions, qui ne paraissent guère différer des injections que par la consistance, concourent au même objet, à savoir porter jusqu'à la matrice des substances médicamenteuses. La quantité des injections est fixée, au maximum, à deux cotyles, c'est-à-dire environ un demi-litre.
En général, ce médecin, dont nous avons le traité, est occupé à agir directement sur la matrice par les médicaments disposés en pessaires, à l'oindre de graisses médicamenteuses, à y diriger des fumigations, et à y faire arriver des injections. Il déploie pour tout cela beaucoup de ressources et d'activité. Le traitement chôme peu entre ses mains. Mais la contention mécanique ne lui est aucunement familière ; et il ne paraît pas avoir un arsenal tout prêt pour la mettre en œuvre.
Dans les cas d'aménorrhée (voy., par exemple, § 133, où l'aménorrhée est le produit d'une déviation latérale), il entreprend un traitement régulier qui s'étend d'une époque menstruelle à l'autre. Ce traitement, qui consiste en bains, fumigations, pessaires, nourriture appropriée, etc., se signale par une particularité : c'est l'emploi de bâtonnets. Ces bâtonnets sont de bois de pin, longs de six doigts, au nombre de cinq ou six, de forme conique et un peu plus gros les uns que les autres; le plus gros est comme le doigt indicateur, de même forme que ce doigt, plus mince par le bout, grossissant en allant vers l'autre extrémité; ils sont parfaitement lisses. On place d'abord le plus petit, on n'enfonce au commencement que le bout, 522 puis on l'engage de plus en plus. Quand le premier bâtonnet a été reçu, on met successivement les autres. On a, en outre, une tente en plomb, creuse à l'intérieur, et du reste façonnée comme les bâtonnets ; on l'emplit de graisse de mouton broyée, et on la met après le bâtonnet. Il faut toujours qu'il y ait quelque chose en place; pendant le jour, le bâtonnet vaut mieux, le plomb pendant la nuit. Ce moyen avait pour but d'ouvrir l'orifice utérin.
II. Il est parlé quatre fois de la chute de la matrice, dans des paragraphes qui se répètent : §§ 144 et 248 ; de la Nature de la femme, § 5; de l'Excision du fœtus, § 5.
Les quatre fois, l'auteur prescrit de racler les bords de la matrice. Il serait difficile de se faire une idée du motif qui avait dicte une pareille pratique, si, dans le quatrième paragraphe, une addition n'indiquait le but de l'opération. L'intention était d'obtenir une phlegmasie : on incise la membrane de l'utérus selon sa conformation et obliquement, puis on la frotte avec un linge afin qu'il y ait inflammation, et l'on réduit. Quelles étaient les parties que l'opérateur scarifiait ainsi légèrement? Dans le premier paragraphe, elles sont désignées par λέγνα, mot auquel Galien, dans son Glossaire, donne le sens de bords de l'orifice utérin. Dans le second et le troisième, elles le sont par ἄρκας τὰς μήτρας, ce qui signifie le bord, l'extrémité de la matrice ; et, comme dans la procidence, l'utérus descend enveloppé à l'extérieur par le vagin, cette expression ne peut encore vouloir dire que les bords de l'orifice. Enfin, dans le quatrième, les termes sont beaucoup plus vagues : inciser la membrane de l'utérus ; cependant, par la morne raison que tout à l'heure, il n'y a rien de visible, dans la chute de la matrice, que son orifice; et dès lors la membrane à scarifier ne peut être que celle qui revêt le col; néanmoins une telle désignation reste toujours étrange. Maintenant , quel a été le but de la scarification ? Le seul que j'aperçoive, puisque l'auteur pratique cela afin d'enflammer, c'est de provoquer aux environs du col de l'utérus une inflammation 523 adhésive, et d'y produire quelques cicatrices qui soutiennent la matrice dans sa position régulière.
L'auteur employait concurremment le repos, les applications astringentes, une éponge maintenue à l'aide d'un bandage, et des ventouses sèches sur: la hanche. Ce dernier moyen se retrouve dans Bartholia, qui certainement l'avait pris ici. Il rapporte ainsi ( Cent. 4, obs. 2 ) le traitement qu'il employa chez la femme d'un sculpteur, affectée de chute d'utérus : « J'appliquai sur le périnée un emplâtre matrical ; je fis poser une grande ventouse sèche au-dessus de l'ombilic, et deux sur les régions iliaques ; et je fis approcher des narines des substances odorantes. » Les substances odorantes font aussi partie du traitement recommandé par l'auteur grec.
Les médecins dont les œuvres figurent dans la Collection hippocratique employaient non rarement, comme moyen révulsif et attractif, de grandes ventouses qu'on ne scarifiait pas et qu'on laissait longtemps en place.
III. Dans la leucorrhée rebelle, § 118, l'auteur recommande une cure par le lait. La femme boit pendant quarante jours du lait chaud sortant du pis de la vache. La quantité de lait est de six cotyles attiques ; la cotyle vaut 0 litre ,27 ; cela fait donc un peu plus d'un litre et demi ; on commence par deux, et on ajoute une cotyle chaque jour jusqu'à six, puis de là peu à peu jusqu'à la dose du début.
Le deuxième Livre des Maladies, § 51, offre aussi une cure de quarante jours par le lait.
IV. Dans tout le cours de ces livres sur les maladies des femmes, on ne rencontre rien qu'on puisse décidément et sans contestation attribuer à la syphilis. En ceci, ils ne diffèrent pas des autres renseignements provenant de l'antiquité. Aucune trace positive de l'affection syphilitique ne s'y fait voir ; mais une foule d'affections des organes génitaux y sont notées ; et, si l'on veut, c'est-à-dire si l'on suppose l'existence, dans l'antiquité, de cette affection, <m en trouvera, dans les descriptions transmises, des vestiges suffisants. Si, au contraire, 524 on part de l'hypothèse opposée, les mêmes descriptions ne seront rien de plus que des lésion» générales portant sur les organes génitaux, et sans aucune spécificité. Ici, nous avons des ulcérations aiguës de la matrice, § 90; différents écoulements, § 115-119 ; des phlyctènes à l'orifice utérin, § 173; des aphtes aux parties génitales, § 90 ; des aphtes et de la strangurie, § 133 ; des végétations, § 212. Pour acquérir la certitude que ces affections, ou quelques-unes de ces affections, sont syphilitiques, il faudrait que l'on sût qu'elles provenaient d'un coït impur, et qu'elles donnaient naissance à des accidents consécutifs. Pour le premier point, il n'y a rien dans nos livres qui l'établisse ; mais, en puisant à d'autres sources, on reconnaît que la liaison d'accidents pareils avec des contacts vénériens n'avait aucunement échappé à l'antiquité (1). Un passage de Cicéron suffit pour montrer qu'une intempérance plus honteuse que la gourmandise, c'est-à-dire l'incontinence, donnait la dysurie, comme l'autre donnait la dysenterie (2). Quant au second point, c'est-à-dire la connexion que les accidents consécutifs ont avec les accidents primitifs, elle paraît avoir complètement échappé aux médecins anciens ; du moins nous ne trouvons dans leurs écrits rien qui la signale et la mette en lumière. Je crois avoir rencontré le plus ancien indice, jusqu'à présent connu, de cette connexion, chez un médecin du moyen âge, Gérait du Berry, qui appartient au commencement du xiiie siècle (3). Il énonce expressément qu'à la suite de maux survenus aux parties génitales, parfois le corps entier est infecté. Peut-on conclure de ce fait à l'antiquité entière ? ce serait aller trop loin ; toutefois, comme aucune épidémie de nature vénérienne n'est signalée dans le moyen âge, on ne 525 voit pas à quel moment les accidents vénériens auraient pris la propriété de créer des lésions consécutives, si cette propriété ne leur avait pas appartenu déjà depuis longtemps. On a pu croire que la grande épidémie qui sévit à la fin du xve siècle et au commencement du xvie, et qui fut regardée comme une importation d'Amérique en Europe, avait été la modification aggravante qui, donnant une virulence plus complète, introduisit d'une manière fixe les phénomènes consécutifs. Mais si ces phénomènes sont déjà notés dans des temps antérieurs, cette explication doit être abandonnée. Au reste, il peut être curieux de comparer avec l'épidémie du xve siècle celle que Hippocrate décrit sous le nom d'érysipèle, et qui, gangreneuse de sa nature, attaquait souvent les parties génitales et le pubis. (Épid. iii, § 4.) .
V. L'auteur, tout en divisant et décrivant les maladies à la manière Cnidienne différente de la manière hippocratique (comparez le Pronostic avec un livre Cnidien, le traité des Affections internes, par exemple), a cependant donné quelques faits de sa pratique. C'est, il est vrai, avec une parcimonie singulière. Le premier se trouve § 40 : il s'agit de l'adhérence des parties génitales, suite d'ulcérations survenues dans l'accouchement. Ces ulcérations, qui doivent être traitées comme en tout autre lieu, affectèrent une malade de l'auteur ; on la soigna convenablement , les lochies firent éruption, et les parties restèrent dans l'état naturel. Le second fait, § 232, est relatif à une jeune femme qui était tourmentée par un écoulement rouge ; cet écoulement paraissait être la cause qui l'empêchait de concevoir ; on la guérit du flux qui la fatiguait, et, peu après, elle devint enceinte. Sortant des livres même des Maladies des femmes, nous rencontrons une troisième observation; c'est la chute de la muqueuse utérine (De la Nature de l'enfant, § 13, et Argument, t. VII, p. 463). Une courtisane, craignant d'avoir conçu et se croyant au sixième jour de la conception, le dit à sa maîtresse. Celle-ci informa du fait notre auteur, lui conseilla à la courtisane de sauter, de manière que les ta- 526 lons touchassent les fesses. Au septième saut, la semence tomba à terre, en faisant du bruit. Elle ressemblait à un œuf cru dont on aurait ôté la coquille extérieure, et dont le liquide intérieur serait transparent dans la membrane interne. Elle était rouge et arrondie ; dans la membrane se voyaient des fibres blanches et épaisses, enchevêtrées dans une humeur épaisse et rouge ; autour de la membrane, en dehors, étaient des caillots de sang ; au milieu de la membrane se détachait quelque chose de mince qui parut être l'ombilic ; à partir de là s'étendait la membrane, enveloppant entièrement la semence. Ces trois faits nous montrent, non plus l'auteur qui rédige un traité, mais le médecin qui voit des malades. Le dernier surtout est très-remarquable. L'observateur, il est vrai, a cru qu'il avait sous les yeux un produit de la conception, et les recherches modernes ont montré que c'est la muqueuse utérine qui était tombée. Mais il n'en a pas moins le mérite d'avoir consigné, avec un soin tout particulier, un phénomène qui, longtemps négligé, n'a été reconnu que dans ces derniers temps, quand les fonctions de l'utérus ont été éclairées d'un nouveau jour.
Que dirons-nous maintenant du conseil donné pour provoquer l'expulsion de ce qui était regardé comme un germe? et comment le concilierons-nous avec la prescription du Serment de ne remettre à aucune femme un pessaire abortif (t. IV, p. 631 ) ? Remarquons d'abord que nous ne savons aucunement si le Serment est d'une date plus reculée que les livres dont il s'agit ici ; nous ne savons pas davantage s'il s'étendait au delà des limites de Cos, et s'il était valable pour toutes les écoles. Mais quand même il en serait ainsi, nous trouverions la conciliation cherchée dans l'opinion que même les moralistes se faisaient de l'avortement. Pour eux, pour Aristote du moins, le crime ou l'innocence de l'avortement dépendait uniquement d'une circonstance : il était criminel si l'embryon avait déjà reçu le sentiment et la vie, innocent s'il ne les avait pas encore reçus (Politique, liv. VII, IV de Barthélémy Saint-Hilaire, 527 chap. xrv) (4). Avec une opinion aussi fausse, qui était sans doute celle de notre auteur, on devait n'avoir aucun scrupule à conseiller à une femme grosse de quelques jours des pratiques propres à la faire avorter.
VI. Le fragment des Maladies des jeunes filles commence par ces mots : ἀρχή μοι τῆς ξυνθέσιος τῶν αἰειγενέων ἰητρικῆς, que Foes traduit par : Initium mihi ducendum in hoc tractatione medica ab iis quae perpetua fiunt. Mais ἰητρικῆς ne peut être un adjectif, se rapportant à ξυνθέσιος ; et, pour trouver un sens approchant de celui-là, il faut traduire comme s'il y avait ἀπὸ devant τῆς, et dire : Initium mihi ducendum artis medicae a compositione eorum quae perpetua fiunt ; le commencement de l'art médical est pour moi dans la constitution des choses éternelles. Cette construction, où l'on sous-entend ἀπὸ , est dure ; mais, dans toute hypothèse, il n'y a pas moyen de mieux faire, à moins de changer notablement le texte.
Un manuscrit, C, porte une variante digne d'attention : νεηγενέων, au lieu de αἰειγενέων. Elle pourrait même sembler préférable au sens ordinaire, soit que l'on dise que cette mention des êtres nouveau-nés est plus naturelle que la mention des choses éternelles, au début d'un livre qui traite des maladies des jeunes filles, et qui ira jusqu'aux maladies des femmes, soit que, l'auteur ajoutant qu'on ne peut connaître la nature des maladies si on ne l'étudie pas dans le point indivis, dans le début d'où se suit le développement, ceci paraisse indiquer plutôt la constitution des corps vivants nouvellement formés que la constitution des choses éternelles.
Mais une considération, prise en dehors du texte même, me décide pour la leçon ordinaire. Le livre de la Nature de ta femme n'est qu'un extrait des livres des Maladies féminines ; on n'y remarque rien qui soit tiré de celui des Maladies des jeunes filles, sauf une phrase que je crois en provenir. Le début de la Nature de la femme est : «Voici ce que je dis touchant 528 la nature de la femme et de ses maladies : le divin est chez les humains la principale cause ; puis viennent les constitutions des femmes et leurs couleurs. Les unes sont trop blanches, plus humides et plus sujettes aux flux ; les autres sont noires, plus sèches et plus serrées ; les autres sont châtain, et tiennent un certain milieu entre les précédentes. Il en est de même de l'influence des âges : les jeunes sont généralement plus humides, et ont le sang abondant ; les âgées sont plus sèches et ont peu de sang ; les intermédiaires tiennent le milieu. Celui qui manœuvre habilement doit commencer d'abord par les choses divines, puis reconnaître les constitutions des femmes, les âges, les saisons et les lieux. Des lieux, les uns sont froids et disposent aux flux ; tes autres sont chauds, secs et resserrants (5). » Si l'on cherche le passage parallèle d'où celui-ci est emprunté, on le trouve dans le livre ii des Maladies des femmes (6) : « Il importe aussi d'examiner la constitution des femmes, leur coloration, leur âge, les saisons, les lieux et les vents. Les unes sont froides, humides et sujettes aux flux; les autres, chaudes, plus sèches et plus serrées. Les femmes très- 529 blanches sont plus humides et plus sujettes aux flux ; les femmes noires sont plus sèches et compactes ; les femmes brunes tiennent le milieu. Il en est de même pour l'âge : les jeunes sont plus humides et ont beaucoup de sang ; les âgées, plus sèches et ont peu de sang ; les intermédiaires tiennent le milieu, par l'action moyenne de leur âge. Celui qui veut bien conduire le traitement chez les femmes doit reconnaître en chaque cas leur constitution, les opportunités, les âges, les saisons, les lieux et les vents. »
En comparant ces deux passages, on voit que l'un est la fidèle reproduction de l'autre, sauf pour un passage : L'original ne dit rien du divin, θεῖον, qui est le point recommande d'abord par l'auteur de l'extrait. Remarquez que cet auteur, quel qu'il soit, est allé faire son préambule d'une remarque énoncée dans le courant de l'ouvrage original et à propos d'une maladie particulière. Ayant opéré ainsi pour une portion du préambule, on ne peut guère croire qu'il ait opéré autrement pour le divin. A la vérité, le divin ne se trouve pas dans les Maladies des femmes ; il n'est pas non plus exprimé dans les Maladies des jeunes filles ; mais c'est là que je crois le retrouver, bien que sous une autre forme. La constitution des choses éternelles, ἡ ξύνθεσις τῶν αἰειγενέων, me paraît être ce que le compilateur a rendu par τὸ θεῖον, τὰ θεῖα. De la sorte, on a l'explication de cette phrase remarquable, et on est obligé de conserver αἰειγενέων , laissant de côté la variante νεηγενέων.
On remarquera combien ce début, un peu emphatique, et qui consiste en une phrase unique sans aucune suite, est analogue au commencement du livre sur la Génération : νόμος μὲν πάντα κρατύνει, la loi gouverne tout (t. VII, p. 470).
Si, admettant les raisons que j'ai fait valoir, on conserve le texte vulgaire, on aura une pensée tendant à signifier qu'il faut étudier l'ensemble des choses. Une pensée analogue se trouve dans le livre de l'Ancienne médecine, § 20 , et dans le traité du Régime, § 2 ; de sorte qu'il y aurait dans la Collec- 530 tion hippocratique trois expressions, plus ou moins explicites, plus ou moins concordantes, de cette idée, que Platon attribue expressément à Hippocrate. J'ai discuté, t. I, p. 295, Iâ question qui se trouve soulevée par le dire du philosophe athénien.
VII. Cette rencontre me porte à soumettre à un nouvel examen l'expression το θεῖον, qui n'est pas une des moins obscures de la Collection hippocratique. Dans l'Argument du Pronostic, t. ii, p. 99, je me suis montré enclin à croire que θεῖον désignait une infliction divine (7), ajoutant que, comme cela était en contradiction avec le livre des Airs, des Eaux et des Lieux, peut-être Hippocrate avait, dans l'intervalle de la composition des deux livres, changé d'avis.
Le passage du livre des Airs, des Eaux et des Lieux est ainsi : « Pour moi, je pense que cette maladie (l'impuissance des Scythes) est divine comme toutes les maladies, qu'aucune n'est plus divine que l'autre, mais que toutes sont semblables et toutes sont divines. Chaque maladie a, comme celle-là, une cause naturelle, et sans cause naturelle aucune ne se produit (8) » Et un peu plus bas : « Ainsi que je l'ai dit, tout cela est divin comme le reste ; chaque chose est produite conformément aux lois naturelles, et ta maladie dont je parle naît, chez les Scythes, de la cause que j'ai indiquée (9). » Un texte tout à eut semblable se lit dans le livre de la Maladie sacrée : « Cette maladie (l'épilepsie) ne me paraît pas plus divine que le reste ; mais elle a la nature qu'ont les autres maladies et la cause dont chacune dérive. Cela (la nature et la cause) est le divin d'où 531 provient tout le reste (10). » Ces passages excluent complètement l'idée d'une infliction divine comme cause de maladie, et rangent toutes les affections pathologiques dans la classe d'effets provenant de causes naturelles. A la vérité, on pourrait dire que le livre de la Maladie sacrée n'est sans doute pas d'Hippocrate; mais il n'en est pas de même de celui des Airs, des Eaux et des Lieux et du Pronostic ; ils sont, suivant la vraisemblance, d'Hippocrate lui-même, et rien n'autorise la critique à les disjoindre, parce qu'ils renferment une contradiction apparente et une expression de difficile interprétation.
Il y a plus : un examen attentif du texte du Pronostic né permet pas d'attacher à θεῖον le sens de punition divine ; car Hippocrate recommande d'apprendre à faire entrer cette condition dans le pronostic, καὶ τουτέου τὴν πρόνοιαν ἐκμανθάνειν. S'il s'était agi de la colère divine, il n'y aurait eu à consulter que les devins, les victimes, les oracles ; eux seuls auraient pu donner des renseignements sur la colère ou l'apaisement des dieux. Mais ce serait certainement aller contre la plus certaine direction de l'école de Cos que de la faire consulter ce genre d'autorités pour la prévoyance dans les maladies ; sa prévoyance, à elle, émanait de l'étude des signes, dont le Pronostic est un très-remarquable échantillon.
Ici vient à souhait notre passage du livre de la Nature de la femme. Si le divin (11) représente la phrase de l'opuscule sur les Jeunes filles, ἡ ξύνθεσις τῶν αἰειγενέων, la constitution des choses éternelles, on voit ce que ce mot a pu signifier pour Hippocrate lui-même dans son Pronostic. Ce sont les influences mystérieuses qui émanent du ciel et de la terre, du feu et des eaux, des choses éternelles en un mot, influences qui donnent parfois un cachet particulier aux maladies.
532 Il reste toujours quelque peu étonnant qu'Hippocrate, sans autre explication, ait employé le mot de divin qui pouvait prêter à des méprises. Mais il ne faut pas serrer de trop près les expressions du vieil auteur, ni lui demander une rigueur parfaite pour des choses où son esprit ne s'était sans doute pas émancipé complètement. Quoiqu'il rejetât sans hésiter l'opinion de ceux qui attribuaient les maladies au courroux céleste, elles n'en restaient pas moins divines pour lui en un certain sens , et il conservait une expression qui, devenue vague et amphibolologique pour nous, représentait pourtant avec exactitude l'idée mixte qu'il se faisait.
VIII. Quelques mots sur l'arrangement de ces livres. On peut croire que le traité complet commençait par le livre sur les Maladies des jeunes filles, plus étendu, il est vrai, et que le début de cet opuscule : Le commencement de la médecine est pour moi la constitution des choses éternelles, était le début de l'ouvrage entier. Après les maladies des jeunes filles, venaient les deux livres sur les Maladies des femmes, et enfin le livre sur les Femmes stériles. Cependant des paragraphes répétés en différents lieux témoignent que ce livre a souffert, lui aussi, dans sa transmission, et que, quand il est arrivé aux bibliothèques Alexandrines, pour ne plus subir aucun changement, des pages avaient déjà été ou disloquées ou rajustées un peu au hasard.
C'est par ce travail de dislocation qu'on s'explique la présence de fragments qui y tiennent évidemment, par exemple l'opuscule de la Superfétation et celui de l'Excision du fœtus, qui, tout en étant en grande partie composés de morceaux pris aux livres des Maladies des femmes, présentent cependant quelques particularités propres.
Ce grand ouvrage fut jugé digne (et en effet il le mérite) d'être abrégé. L'abrégé a eu pour but, comme le Mochlique par rapport aux livres des Fractures et des Articulations, de mettre, sous une forme plus commode pour la mémoire, des notions importantes. Toutefois il est moins bien fait que le 533 Mochlique, en ce sens du moins qu'on ne voit pas l'ordre que l'abréviateur a entendu suivre. Il est remarquable qu'il ait employé le mot θεῖον, divin (voy. p. 528), dont l'auteur original ne s'est pas servi. Ce mot aurait-il été plus familier aux Hippocratiques qu'aux Cnidiens ? Et notre abréviateur serait-il un Hippocratique qui aurait résumé le livre Cnidien pour son usage personnel ?
IX. Il est un passage difficile sur lequel une explication supplémentaire ne me paraît pas inutile. C'est, p. 346, ligne 2 : καὶ κούφη ἐστὶ καὶ ἄτονος, καὶ πρόσω χωρέει, τὰ δὲ κράτεα χαλᾶται. Il s'agit de déterminer le sens de ces trois membres de phrase. Remarquons que le contexte n'indique pas quel est le sujet de ἐστὶ, et qu'il faut y arriver par l'interprétation même. Foes met : Levis est et invalida, et ultra procéda; vires exsolvuntur. Dans celte traduction , comme rien ne précède à quoi puisse se rapporter invalida, on est obligé de croire que Foes a sous-entendu mulier, la malade. Pourtant, avant lui, Cornarius avait été plus décisif, et, je crois, avec raison, traduisant : Et levis est ac debilis uterus, et ulterius procedit, et vires laxantur. Tous deux s'accordent dans la manière de rendre le second membre : καὶ πρόσω χωρέει ; mais il s'en faut beaucoup que leur traduction soit claire, et que le lecteur sache ce qu'ils entendent. Enfin pour le troisième membre aussi : τὰ δὲ κράτεα χαλᾶται, ils s'accordent, mais cet accord ne garantit pas leur interprétation, et Schneider, dans son Dictionnaire, au mot κράτος, s'est contenté de dire, en citant notre passage, sans rien affirmer : « On le traduit par vires exsolvuntur. »
Ce qui m'a mis sur la voie, c'est un passage parallèle. Les passages parallèles sont presque toujours une lumière pour la critique des textes. On lit en effet, § 204 : ἢν δὲ προίσχωσιν ἔξω, τὰ δὲ νεῦρα τὰ καλεόμενα ὄσχοι χαλᾶται.... Si la matrice fait saillie au dehors et que les nerfs appelés rameaux soient relâchés... La présence de χαλᾶται des deux côtés indique le parallélisme des deux passages. De plus, nous savons que πρόσω χωρέιν est employé par l'auteur pour désigner l'abaissement 534 de l'utérus ; c'est ainsi que nous lisons, § 147 : ἢν ἑλκωθέωσιν αἱ μῆτραι καὶ πρόσω χωρήσωσιν ἐξωτάτω. ... Quand la matrice est ulcérée et fait saillie au dehors... . Καὶ πρόσω χωρέει signifie donc : la matrice s'abaisse ; et Cornarius a eu raison de supposer qu'elle était aussi le sujet de κούφη ἐστὶ καὶ ἄτονος. Reste τὰ δὲ κράτεα χαλᾶται ; il est évident par le parallélisme que cela exprime non la résolution des forces, mais le relâchement des ligaments, soit que l'on donne au pluriel de κράτος le sens de liens, soit que l'on suppose que la leçon, ce qui est possible, est altérée. Si l'on pouvait compter avec plus de confiance (voy. les variantes dans les notes) sur la lecture de ὄσχοι, rameaux, on verrait ici un exemple de plus de ces noms singuliers que les Cnidiens employaient dans leur langage médical (Comp., t. VII, p. 309). En tout cas, ces deux passages indiquent une certaine connaissance des ligaments larges de l'utérus.
X. En corrigeant ces feuilles, je lis dans le Mémoire de M. Desgranges sur le Traitement de la chute de l'utérus par le pincement du vagin (Gaz. méd., 1853, p. 390), un passage qui peut jeter quelque lumière sur la pratique des Hippocratiques, signalée plus haut, § II, relativement à la chute de la matrice. « Il me paraît infiniment probable, dit cet auteur en expliquant comment le pincement du vagin procure la guérison de la chute de l'utérus, que tout, dans la cure, ne se passe pas au vagin, et que le rétrécissement de cet organe ne doit y figurer qu'à titre secondaire. La véritable raison du succès, je la vois dans un certain degré d'inflammation qui, du point mécaniquement irrité, se propage au delà du vagin, en provoquant autour de ce conduit un travail organoplastique assez faible pour ne point occasionner d'accidents, assez fort pour rendre la tonicité perdue aux ligaments utéro-sacrés et au tissu cellulaire extra-vaginal. Les ligaments utéro-sacrés, on le sait depuis la description qu'en ont donnée Dugès et Mme Boivin, concourent pour une bonne part à maintenir l'utérus à la hauteur normale. Est-il déraisonnable de supposer 535 qu'en agissant près de ces ligaments , par l'application des pinces très-haut dans le vagin, on y provoque un certain degré de congestion, un dépôt plastique, dont finalement l'organisation les renforce et les fait rétracter ? Le même travail doit nécessairement se produire dans une partie trop négligée, suivant moi, par ceux qui font l'histoire des connexions de l'utérus : je veux dire le tissu cellulaire qui double le vagin. Sous l'influence d'un agent mécanique qui attaque dans un point limité toute l'épaisseur du vagin, il s'éveille une inflammation légère, dont l'action se propage à l'aide des applications successives, et dont le résultat est la densification du tissu cellulaire.» Ces réflexions de M. Desgranges s'appliquent, jusqu'à un certain point, au procédé hippocratique. Celui-ci, il est vrai, avait bien moins de chance de produire l'effet ici indiqué ; mais il a dû être inspiré par quelque vague aperçu sur la nature contentive de l'inflammation, et conseillé consécutivement d'après quelque succès obtenu.
(1) Voy. Rosenbaum, die Lustseuche im Alterthume, p. 380, jusqu'à la fin du volume.
(2) Ego autem, quum omnes morbos reformido, tum quo Epicurum tuum Stoici male accipiunt, quia dicat δυσιυρικὰ καὶ δυσεντερικὰ πάθη sibi molesta esse, quorum alterum morbum edacitatis esse putant, alterum etiam turpioris intemperantiae. Ad Fam., VII, 6.
(3) Voyez Histoire littéraire de la France, t. XXI, p. 406, et mon mémoire dans Janus, I, p. 585, et dans Gaz. médicale de Paris, p. 928. 1846.
(4) Voy. aussi t. IV, p. 621, de mon Hippocrate.
(5) Περὶ δὲ τῆς γυναικείης φύσιος καὶ νοσημάτων τάδε λέγω· μάλιστα μὲν τὸ θεῖον ἐν τοῖσιν ἀνθρώποισιν αἴτιον εἶναι· ἔπειτα αἱ φύσιες τῶν γυναικῶν καὶ χροιαί· αἱ μὲν γὰρ ὑπέρλευκοι, ὑγρότεραί τε καὶ ῥοωδέστεραι, αἱ δὲ μέλαιναι σκληρότεραί τε καὶ στρυφνότεραι, αἱ δὲ οἰνωπαὶ μέσον τι ἀμφοτέρων ἔχουσιν. Οὕτω δὲ καὶ περὶ τῶν ἡλικιῶν ξυμβαίνει· αἱ μὲν νέαι ὑγρότεραι καὶ πολύαιμοι ὡς ἐπιτοπουλὺ, αἱ δὲ πρεσβύτιδες ξηρότεραι καὶ ὀλίγαιμοι, αἱ δὲ μέσαι μέσον τι ἀμφοτέρων ἔχουσιν. Δεῖ δὲ τὸν ὀρθῶς ταῦτα χειρίζοντα πρῶτον μὲν ἐκ τῶν θείων ἄρχεσθαι, ἔπειτα διαγινώσκειν τάς τε φύσιας τῶν γυναικῶν καὶ τὰς ἡλικίας καὶ τὰς ὥρας καὶ τοὺς τόπους οὗ ἂν ᾖ· οἱ μὲν γὰρ τῶν τόπων ψυχροὶ, ῥοώδεες, οἱ δὲ θερμοὶ, ξηροὶ καὶ στάσιμοί εἰσιν. T. VII, De la nat. de la Femme, § 1.
(6) Σκεπτέον δὲ καὶ τὰς φύσιας τῶν γυναικῶν καὶ τὰς χρόας καὶ τὰς ἡλικίας καὶ τὰς ὥρας καὶ τοὺς τόπους καὶ τὰ πνεύματα. Αἱ μὲν γὰρ ψυχραὶ ὑγραὶ καὶ ῥοώδεες, αἱ δὲ θερμαὶ ξηρότεραί τε καὶ στάσι μοί εἰσιν· αἱ μὲν γὰρ ὑπέρλευκοι ὑγρότεραί τε καὶ ῥοωδέστεραι, αἱ δὲ μέλαιναι ξηρότεραί τε καὶ στρυφνότεραι· αἱ δὲ οἰνωποὶ μεσηγύ τι ἀμφοῖν ἔχουσιν. Καὶ ἀμφὶ τῶν ἡλικιῶν ὡσαύτως ξυμβαίνει· αἱ μὲν γὰρ νέαι ὑγρότεραι καὶ πολύαιμοι ὡς ἐπὶ τὸ πουλύ· αἱ δὲ πρεσβύτεραι ξηρότεραι καὶ ὀλίγαιμοι· αἱ δὲ μέσαι μέσον τι ἀμφοῖν ἔχουσιν, ἰσενύουσαι. Δεῖ δὲ τὸν ὀρθῶς ταῦτα διαχειριούμενον διαγινώσκειν ἑκάστοτε τὰς φύσιας τῶν γυναικῶν καὶ τοὺς καιροὺς καὶ τὰς ἡλικίας καὶ τὰς ὥρας καὶ τοὺς τόπους καὶ τὰ πνεύματα. § 111.
(7) En même temps discerner s'il y a quelque chose de divin dans les maladie»; car c'est encore un pronostic à apprendre. Ἅμα δὲ καὶ εἴ τι θεῖον ἔνεστιν ἐν τῇσι νούσοισι, καὶ τουτέου τὴν πρόνοιαν ἐκμανθάνειν. Progn, § 1.
(8) Ἐμοὶ δὲ καὶ αὐτέῳ δοκέει ταῦτα τὰ πάθεα θεῖα εἶναι καὶ τἄλλα πάντα, καὶ οὐδὲν ἕτερον ἑτέρου θειότερον οὐδὲ ἀνθρωπινώτερον, ἀλλὰ πάντα ὅμοια καὶ πάντα θεῖα· ἕκαστον δὲ ἔχει φύσιν τῶν τοιουτέων, καὶ οὐδὲν ἄνευ φύσιος γίγνεται. § 22.
(9) Ἀλλὰ γὰρ, ὥσπερ καὶ πρότερον ἔλεξα, θεῖα μὲν καὶ ταῦτά ἐστιν ὁμοίως τοῖσιν ἄλλοισιν· γίγνεται δὲ κατὰ φύσιν ἕκαστα· καὶ ἡ τοιαύτη νοῦσος ἀπὸ τοιαύτης προφάσιος τοῖσι Σκύθῃσι γίγνεται οἵην εἴρηκα. (Ib.)
(10) Τὸ δὲ νούσημα τοῦτο οὐδέν τί μοι δοκέει θειότερον εἶναι τῶν λοιπῶν, ἀλλὰ φύσιν μὲν ἔχει ἣν καὶ τὰ ἄλλα νουσήματα, καὶ πρόφασιν ὅθεν ἕκαστα γίνεται· φύσιν δὲ τοῦτο καὶ πρόφασιν ἀπὸ ταὐτοῦ τὸ θεῖον γίνεσθαι ἀφ´ ὅτου καὶ τἄλλα πάντα, § 2.
(11) Voy. plus haut, p. 529.