Paulin de Périgueux

PAULIN DE PERIGUEUX

 

LA VIE DE SAINT MARTIN - LIVRE II

livre 1 - livre 3

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

PAULIN DE PERIGUEUX

 

Paulinus Petricordiensis

 

 

LIBER SECUNDUS.

Panditur ecce novum pelagus, flatusque benigni

Rimosam in medios fluctus traxere carinam

Ac dum placati rapiunt me gaudia ponti

Irrumpit vastum temeraria cymba profundum.

Vix vel vicinis bene radens littora terris.

Numquid ago, et dubiam trepidus quid dirigo proram?

Flamina sollicitant cursum, formido regressum.

Pergamus, quia terra procul, quo traxerit unda.

Tantum placatam Martinus episcopus auram

Diffundat, fluctumque levem sic praestet eunti

Ut putre sustineat felicia flamina velum.

Hactenus ut mores monachi vel gesta referrem

Ripa fuit, nunc pontus erit doctrina cathedrae

Clara sacerdotis magni nunc gesta retexam.

 

Gallorum quondam valde florebat in oris

Urbs Turonem distenta agris populisque referta,

Sed pollere magis cupiens antistite tali

Ardebat totis Martinum adsciscere votis.

Sed penitus sancto depellens corde tumorem

Mens humilis, precibus crebris immota manebat.

Donec compositis verbis lacrymisque coactis

Vicerunt nimium mendacia justa rigorem.

Nam quidam tanto pietatis conscius, orat,

Conjugis, infimae tristem miseretur aerumnam.

Dignetur sancto poscentem visere vota.

Se fore vel causam propere veniendo salutis

Vel mortis si dura preces sententia tardet.

Junguntur factis simul et suspiria verbis

Insequitur cogente Deo, namque ipse dolosum

Proderet ingenium mage ni facienda probaret.

Excipit egressum populorum turba, benignam

Vim faciens, stipatque viam numerosa precantum

Seditio, motus placidi, sine felle tumultus,

Disponitque etiam vigilis custodia pernox

Excubias, servatque suum servanda magistrum.

Exsultant paribus concordia pectora notis,

Itur in occursum, portis ruit obvia totis

Ambitio, et certans populi favor, una voluntas

Omnibus, et nulla in studiis divortia mentis.

Quosdam livor edax nigrantes felle veneni

Inficit, et stimulis miserorum corda perurens

Carnea in adversam retrahit sententia partem.

Quosdam etiam perhibent (nefas est quod credere docta)

Mente sacerdotes similem traxisse furorem,

Ridentes gaudenda sibi, quod nulla verendam

Gratia compsisset faciem, quod crine reciso

Proferret totum Domini frons libera signum,

Lumina nec premeret tremularum nube comarum

Sordida quod vestis cordis testata nitorem

Proderet orantis studium quia scope volutis

Ad terram membris prostrato corpore pressus

Haeserat horridulus sordenti in vellere pulvis.

Recte igitur cessit populo tam prona voluntas,

Sanior et proceres vicit sententia vulgi.

Nam vere nulli licuit nescire vocantis

Judicium Christi per tot documenta probatum

Nam reliquis quos saeva sibi sociarat inique

Factio diversum cupiens, violentior unus

Antistes defensor erat, quo nomine falsi

Defendenda sui molimina forte putabant

Consilii renuente Deo, qui justa probabat.

Nam solitum sancto coetu celebrabat honorem

Plebs pia, conventu celebri mysteria visens,

Dum mage condensae stipant altaria turbae,

Ac sua fautoris pendent in vota frequentes,

Nec praetenta potest transire obstacula lector.

Sed diaconus qui forte aderat, vix codice rapto

Quem primum propere reserati pagina psalmi

Obtulerat subito festinus tempore versum

Arripit, haec prisci decantans verba prophetae:

Ex ore infantum parvoque ex murmure laudem

Lactantum teneras fecisti evolvere linguas.

Exosos propter perversum ut destruat ista

Prolata a parvis laudatio defensorem.

Tollitur in coelum clamor praesensque probatur

Judicium clamante Deo sententia Christi.

Obruit adversam verborum fulmine partem

Namque idem versus laudantum verba probavit,

Atque obsistentum liventia corda repressit.

Nec minor inde labor monachi quia gloria crevit

Jure sacerdotis factis facienda docentur.

Exemplum mage suadet opus quam gratia verbi.

Sic illi attrito vilissima vestis amictu,

Sic humilis sancto pretiosa modestia cordis.

Sic manet assidue felix sententia vitae.

 

LIVRE SECOND.

Devant moi s'ouvre un océan nouveau : des vents favorables ont emporté au large ma carène aux flancs entr'ouverts. Je me laissais aller, bercé par des flots riants et tranquilles, et voilà ma barque téméraire qui se lance au milieu de la vaste mer, elle qui sut à peine encore se diriger près de la côte en rasant le rivage. Maintenant que faire ? J'hésite, je tremble de pousser en avant ma nacelle : le vent m'invite à poursuivre, la peur me conseille le retour. Avançons, puisque la terre est loin ; suivons l'onde qui nous entraîne. Que, du moins, l'esprit de Martin souffle sur mon esquif et prête à sa marche une si douce haleine, un air si léger, que ma voile puisse le soutenir, sans se perdre en lambeaux sous les caresses de la brise ! Jusqu'ici j'ai raconté les vertus et les actes du moine, c'était la rive : maintenant j'entre en pleine mer ; je vais chanter l'évêque, je vais dire les grandes actions du pontife suprême.

Entre les cités des Gaules s'élevait l'antique ville de Tours, florissante et riche par l'étendue de son territoire et le nombre de ses habitants ; mais elle ambitionnait une plus noble gloire : ses vœux ardents demandaient Martin pour évêque. Cependant, repoussant de son âme toute idée de grandeur, et fidèle à ses humbles penchants, le saint restait inflexible à toutes les prières. On eut recours au langage apprêté, aux larmes forcées d'une innocente supercherie, pour vaincre son opiniâtre résistance. Un citoyen de la ville, qui connaissait bien sa bonté charitable, vient le prier d'avoir pitié de sa triste infortune : sa femme est malade, dit-il, et datas sa pieuse ferveur elle supplie le saint de daigner lui faire visite. Il dépend de lui d'être, ou son sauveur s'il vient promptement, ou la cause de sa mort s'il met un retard cruel à exaucer ses prières. Des sanglots accompagnent ce récit mensonger. Martin se laisse entraîner, pour obéir à Dieu, et ne point montrer lui-même trop de défiance et de malice, en n'essayant pas de rendre un service aussi facile. À peine dehors, il est entouré d'une foule immense qui l'assiège avec douceur, et le saisit avec une violence respectueuse : sédition nombreuse, mais suppliante, émeute pacifique, tumulte sans colère. Ils disposent des sentinelles attentives pour le surveiller toute la nuit, ils gardent le pasteur qui sera leur gardien. Tous les cœurs sont d'accord et tressaillent animés des mêmes désirs. On marche à sa rencontre ; de toutes les portes se précipite au-devant de lui un peuple empressé, avide de lui témoigner à l'envi son amour : ils n'ont tous qu'une seule et même volonté ; nul dissentiment ne refroidit leur zèle. Quelques hommes pourtant sont rongés par l'envie, infectés de son fiel et de son noir venin ; ils ont le cœur brûlé des aiguillons de la chair, et leurs sens dépravés les entraînent dans un parti contraire. On dit même (égarement incroyable !), que de doctes esprits, que des évêques apportèrent aussi à l'assemblée des sentiments de haine. Ils tournaient en dérision ce qu'ils auraient dû voir avec plaisir : nulle grâce n'embellissait sa mine vénérable ; ses cheveux coupés laissaient paraître tout entier sur son front nu le signe du Seigneur ; ses yeux n'étaient point chargés du nuage flottant d'une épaisse chevelure ; la saleté de son habillement, qui faisait ressortir la pureté de son cœur, attestait aussi la ferveur de sa prière ; car il roulait souvent ses membres sur la terre, et son corps prosterné pressait une poussière impure qui s'attachait à ses grossiers vêtements. C'était donc avec raison que la volonté du peuple inclinait vers lui, et les prélats devaient, céder à l'opinion plus saine du vulgaire. Bientôt, d'ailleurs, nul ne pot vraiment ignorer que Martin était appelé par le choix du Christ, qui s'était manifesté déjà par tant de preuves. Parmi les membres de cette injuste et haineuse faction, contraire aux vœux de peuple, il s'en trouvait un plus violent que les autres ; c'était on évêque nommé Défenseur : grâce à ce nom, les méchants pensaient peut-être que leurs efforts, que leur mauvaise cause auraient un défenseur ; Dieu ne le voulut point, Dieu appuyait le juste. La pieuse assemblée du peuple offrait au Seigneur l'hommage accoutumé ; un concours immense assistait à la célébration des saints mystères : une foule compacte se pressait autour des autels ; les deux partis en masse attendaient l'accomplissement de leurs vœux. Le lecteur ne put s'ouvrir up passage et franchir cet obstacle. Mais le diacre, qui était présent, saisit le saint livre, l'ouvre à la hâte, s'empare aussitôt de la première page et du premier verset qu'il rencontre, et récite ces paroles du vieux prophète : « De la bouche des enfants, du faible murmure et des tendres lèvres des petits à la mamelle, tu as fait sortir la louange, à cause de tes ennemis, pour que la louange, ainsi proférée par les petits, abatte le pervers et le défenseur. » Un cri s'élève jusqu'aux nues. Le jugement du peuple est ratifié par la voix de Dieu : cet arrêt du Christ, ces paroles foudroyantes ont terrassé le parti contraire. Car le même verset confirmait les vœux des amis de Martin, et confondait la haine jalouse de ses rivaux. Le saint n'apporta pas moins d'ardeur à ses travaux, depuis que la gloire du moine s'était accrue de la puissance de l’évêque. C'est en agissant qu'il voulut montrer comment il fallait agir. On persuade mieux, en effet, par l'autorité de l'exemple, que par le charme du langage. Il conserva la laine grossière et usée de ses vêtements, la précieuse modestie d'un humble cœur, l'heureuse uniformité d'une vie active et régulière.

 

Primum igitur conjuncta sacris altaribus illi

Cella fuit, mox ut populos vitare frequentes

Posset ab assiduis secreta oratio turbis,

Millibus egressus discessit ab urbe duobus,

Nec nocuit cellae vicinia tanta remotae

Secretum hospitium monacho, via parva magistro,

Doctori vicina domus, longinqua vaganti.

Hinc naturalis praecisi margine saxi

Ambierat modico rupes curvata recessu.

Hinc Liger inflexis parvo sinuamine ripis

Sepserat ingressam praetenta gurgite terram

Unus et angustam patuit rupem inter et amnem

Ingressus paulum arctato qua limine distans

Fluminis allapsus tangit confinia montis.

Hic strue lignorum parvam contexere cellam

Malluit, agnoscens sancti mysteria ligni

Succedens humili tecto celsissimus hospes,

Ut collectorum sic docta modestia fratrum

Disceret exiguo pompam contemnere sumptu

Progressum exemplis certatim imitata magistrum.

Ast aliis nec ligna placent, sed monte cavato

Praebet defossos rupes vicina recessus.

Octoginta illuc justa admiratio fratres

Traxerat ad tantae speculum virtutis, ut inde

Sumeret inspectus felix imitatio mores.

Nil cuiquam speciale fuit communia cunctis

Omnia, de medio sumpsit dilectio censu,

Nulli vendendi quidquam concessa facultas.

Ne degustati famis improba cresceret auri

Exercere artem prohibet; conceditur unum

Scribendi studium, quod mentem, oculosque, manumque

Occupet, atque uno teneat simul omnia puncto,

Aspectum visu, cor sensibus, ordine dextram.

Attamen his rebus minor aetas sola tenetur

Nam jam maturae satis est oratio puncto,

Ut cujus sensum senior sententia firmat,

Mundities cordis studeat, vigiletque remotum

Interius purgare oculum, ne nebula tentis

Peccati obductus privetur lumine Christi.

Nulli progressus facilis, sua quemque tenebat

Cellula; tum solum sociandi causa dabatur

Agminis, adscisset cunctos cum sueta precandi

Ore et corde Deo ferens symphonia laudem.

Vel cum solventes fessis jejunia membris

Communes certo repetebant tempore mensas,

Et finem exacti domita jam carne diei,

Et succedentem vigilanda in nocte laborem

Dividerent modicae parcissima tempora coenae.

Infirmis tantum laxato jure licebat

Degustare merum quo tabem corporis aegri

Sustentaret odor respersi in pocula vini.

Multis vestis erat setis contexta cameli

Quae levibus stimulis vigiles contingeret artus

Excludens tenuem compuncta carne soporem,

Mollia ne fluxum nutrirent vellera corpus,

Lasciviae et tenui vestis fluitaret amictu.

Qualia praeteritae consuerat copia vitae,

Nam multos illuc prisco de sanguine claros

Traxerat ad talem prudens sententia vitam,

Quo mage mirandum est post serica fulcra, toros que

Hanc vestem et talem ingressis placuisse rigorem.

Denique mirati tantorum insignia morum,

Confines populi, vicinaque moenia sanctos

Hinc sibi rectores studio certante patebant,

Ut doctrina Dei tali de fonte fluentes

Spargeret irriguos sitientum in viscera rivos.

 

 

 

D'abord il habita une cellule voisine des sacrés autels ; mais bientôt, voulant se soustraire aux visites nombreuses des populations, aux assiduités de la foule qui troublaient son recueillement et ses prières, il se retira à deux milles de la ville. Là il fonda un monastère convenable tout ensemble et par sa proximité et par son éloignement. C'était une retraite écartée pour le moine, peu distante pour le maître, non moins rapprochée pour le docteur, assez éloignée, cependant, pour le promeneur. D'un côté, cet asile était enfermé par les hauteurs escarpées d'un rocher naturel dont les flancs légèrement creusés s'arrondissaient en voûte ; de l'autre, il était défendu par la Loire, dont le cours, faiblement détourné par les sinuosités du rivage, entourait de ses eaux le sol qui l'avait envahi. Une seule entrée, resserrée entre le roc et la rivière, s'ouvrait par un étroit sentier resté libre à l'endroit où le courant s'approche des bords du rocher sans les atteindre. De quelques planches mal assemblées, Martin se construisit une petite cellule : il préférait le bois, en mémoire des saints mystères du bois de la croix. L'hôte sublime s'inclina sous un humble toit, afin de donner aux frères réunis près de loi les leçons de la modestie, afin de leur inspirer le mépris du luxe et le goût de la simplicité, afin que l'exemple de leur maître fût leur premier modèle. Quelques-uns rejetèrent même l'emploi du bois ; ils creusèrent le rocher voisin, et trouvèrent un asile dans ces grottes de pierre. Une juste admiration avait amené dans ce lieu quatre-vingts frères, avides de contempler une vertu si grande, et de former, par une heureuse imitation, leur vie à son image. Ils ne possédaient rien en propre ; toute chose était commune entre eux : ils avaient associé leurs biens et leur amour. Nul n'avait la liberté de vendre, et d'irriter ainsi la fatale soif de l'or, en goûtant aux richesses. Le saint défend tous les métiers : le seul exercice qu'il permette, c'est l'écriture, parce qu'elle occupe le cœur, les yeux et la main, et qu'elle tient tous ces organes ensemble attachés sur un seul point, les yeux par la lecture, le cœur par la pensée, la main par le dessin. Toutefois, ces travaux étaient réservés au jeune âge : car l'oraison suffit aux esprits déjà mûrs. L'homme en qui l'âge et la sagesse ont fortifié la raison, doit veiller à la pureté de son âme, doit s'appliquer à purger de toute souillure son œil intérieur, de peur que quelque faute cachée, le voilant de son nuage, ne lui dérobe la lumière du Christ. Les sorties étaient rares, chacun se tenait renfermé dans sa cellule : une seule occasion se présentait aux frères de se réunir : c'était à l'heure accoutumée de la prière, quand ils apportaient ensemble à Dieu, de la bouche et du cœur, leurs chants et leurs louanges ; ou quand, déliant du jeûne leurs membres fatigués, ils allaient, au temps marqué, s'asseoir à la table commune : car, entre la fin de la journée passée tout entière à dompter la chair, et le commencement des travaux et des veilles de la nuit, ils employaient quelques instants à prendre un modeste repas. Aux malades seuls la règle ;, moins sévère, permettait de répandre quelques gouttes de vin dans leurs coupes, afin que la saveur de ce breuvage soutînt la faiblesse de leurs corps épuisés. Beaucoup n'avaient pour vêtement qu'un tissu de poils de chameau, dont-les souples aiguillons tenaient leurs membres en éveil, leur piquaient la chair et repoussaient le moindre sommeil. Ils ne voulaient point de ces étoffes délicates qui entretiennent la mollesse du corps, de ces parures légères, de ces robes flottantes et voluptueuses qu'ils portaient au milieu des délices de leur vie passée. En effet, plusieurs étaient d'un sang illustré et antique parmi ces hommes qu'une sage détermination avait poussés vers ce genre de vie : ce qui rend leur conduite plus admirable encore, puisque, après s'être reposés sur des couches de soie, ils se plaisaient sous de pareils vêtements, au sein d'une retraite aussi rigoureuse. Emerveillés du spectacle frappant de tant de vertus, les peuples d'alentour et les cités voisines allaient, avec un zèle empressé, demander leurs saints recteurs à ce monastère, afin que la science du Seigneur, qui coulait de cette source, répandît partout ses fraîches eaux dans les cœurs altérés.

 

Sed jam tempus adest tanta de mole potentum

Virtutum exiguam saltim contingere partem.

Et quanquam rectae titulos virtutis adornent

Discipulis, et factis id praemonstrare gerendam:

Attamen et propriis tangam paucissima gestis

Ostendens brevibus praeconia maxima signis.

Forte fuit juxta tumulus quem saepe colentum

Vana superstitio falso decepta sacrarat

Martyrio celebrem dependens semper honorem,

Quin et praegressi veneradum altare dicarant

Ante sacerdotes magis ut fundata maneret.

Relligio, adjecto cultu firmata sacrorum.

Sed postquam impositas Martinus sumpsit habenas,

Commissae et plebis moderamina sancta recepit,

Protinus inquirit nomen titulosque colendi

Martyris, et quoniam tam clarae stemmata palmae

Tempore, vel quasi sub judice promeruisset.

Verum ubi nulla patet quae possit prodere verum

Historia, atque omnis tenuit hoc scire vetustas,

Detrectat dubiis tam grandia credere verbis.

Nec satis est fidei mendacis fabula vulgi

Ergo placet dubiis sine testis pondere rebus

A domino consulta peti cui subdita semper

Tempora transcursi adstant praesentia saecli.

Ad tumulum properat paucis comitatus, ut illis

Attestata fidem faciant miracula multis.

Ergo ut contigui moles contacta sepulcri est

Propter frigentes resoluta carne favillas,

Ad coelum rediere preces, vestigia carnis

Junguntur tumulo, sed mens ad sidera transit.

Tum Domino tota fidei virtute precatus,

Proderet ut meritum ignaris nomenque sepulti.

Cum subito ad laevam sordentem respicit umbram

Nigrantem moesto speciem quae proderet ore,

Et punitorum tristissima fata reorum

Praeferret, trepido confusa et conscia vultu,

Vox quoque flebilibus moerentis reddita verbis

Talibus expressit suspiria crebra querelis.

Desinat antiquus plangendis Manibus error

Addere supplicium, titulum reddendo alienum,

Ne cui poenarum satis est de crimine solo,

Huic onus adjecto duplicatum crescat honore.

Atque utinam sancti quibus hoc pro jure refertur

Obsequium, nostras tenus respergere guttas

Dignentur juges miserorum incendia flammas.

Illi perpetua gaudentes luce fruuntur.

Non chaos aeterna horrendum caligine sepsit.

Longe est a meritis lucis confusio noctis.

Haec vox multorum late pervenit ad aures;

Sed species soli Martino est prodita, cujus

Mens levior fragilis transibat pondera carnis,

Corpoream molem transmittens lumine cordis.

Protinus amoto altari depellitur omnis

Vana superstitio ritus mentita sacrorum:

Translata ad veros migrant mysteria cultus,

Quid simile his titulis tandem conferre valebit

Ars magicis infecta dolis, vel tincta venenis,

Carmina compositis texens mendacia verbis,

Exstaque perspectis rimans pendentia venis,

Ut per tartareae quaesita silentia noctis

Mugiat insanus fallaci murmure daemon,

Assumens fictum tenui sub imagine vultum;

Hic certe simplex animus et sola precantis

Relligio infernae dissolvit vincula legis.

Et quamvis artus premerentur voce sepulcri,

Attamen ad praesens tempus confessio vixit.

Nec vero hic finis titulis, nec tempore saltim

Intercisa brevi virtutum stemmata cessant.

Nam semper sancto comes indiscreta cohaeret

Gratia, nec certo cohibetur fine locorum,

Progressum sequitur, manet indivulsa manenti,

Si sit causa viae gaudens comitatur euntem.

Nam cum distenti propere legit avia ruris

Qua diffusa patet latis fera Gallia campis,

Dum sequitur miserum gentilis turba cadaver,

Et tremefacta levi motantur lintea vento

Porrecto in longum per plana patentia visu

Funeris obsequium cultum putat esse nefandi

Daemonis, et ritus miserorum ferre sacrorum

Submissa idolicis bacchantum colla figuris.

Protinus ante tulit sanctum et venerabile signum,

Et crucis objectu propere venientibus obstat,

Gressus instabiles vexilli pondere sistit.

Tum vero imposito miseros torpore teneri

Cernere erat nervisque artus riguisse ligatis

Frustrata innexis conamina plurima membris,

Tardata immoto vestigia sidere gressu,

Concludi septas mandato limite turbas,

Nec transcedendi praetenta obstacula muri

Partibus e cunctis immensum opponere claustrum,

Donec paulatim visu propiore pateret

Exsequiis delatus honor; tum rursus eodem

Vexillo, atque ipso libertas reddita signo,

Sic crucis imperio simul et virtute fidei

Jus habuit vincire vagos, dissolvere vinctos,

 

Mais il est temps, sinon d'explorer la masse entière de tant de puissants miracles, d'en effleurer, du moins, une faible partie. A ces titres de Martin, ses disciples, il est vrai, ont ajouté beaucoup d'éclat, et leurs actions en sont la preuve ; mais je ne veux m'attacher qu'aux faits qui lui sont propres, et quelques traits me suffiront pour faire briller dans tout son jour la splendeur de sa gloire. Il y avait près de Tours un tombeau qu'une vaine superstition honorait d'un culte assidu : on le croyait sacré, dans la fausse persuasion que c'était la sépulture d'un martyr, et on l'entourait d'hommages nombreux et solennels. Bien plus, les précédents évêques avaient élevé en ce lieu un autel, afin d'affermir et de perpétuer cette tradition religieuse, en lui donnant un nouveau crédit par cette pieuse consécration. Mais lorsqu'il prit en mains les rênes qu'on loi avait imposées, et la sainte direction du peuple confié à sa garde, Martin rechercha aussitôt le nom de ce martyr, les titres qu'il avait à la vénération des fidèles ; il voulut savoir en quel temps et sous quel juge il avait mérité les honneurs d'une palme aussi belle. Mais nulle histoire écrite ne put révéler la vérité ; toute l'antiquité se taisait sur ce personnage. Martin, alors, refuse de croire à de si grandes choses d'après des récits incertains ; sa foi ne se contente pas des fables répétées par un vulgaire menteur. Dans le doute et en l'absence de tout témoignage imposant, il se décide à demander conseil au Seigneur, qui a toujours présents sous les yeux les temps écoulés dans les révolutions des âges. Il se rend près du tombeau, accompagné de quelques disciples, qui pourront garantir et attester l'accomplissement de miracle devant la multitude. Il se place sur la pierre du sépulcre, près des cendres refroidies au cadavre réduit en poudre : il adresse au ciel ses prières ; la peau de ses pieds touche la tombe, mais son âme s'élève jusqu'aux astres. De toutes les forces de sa foi, il conjure le Seigneur de lui révéler ce qu'il ignore, le nom du mort et ses mérites. Tout à coup il aperçoit à sa gauche un hideux fantôme : son aspect sombre, ses traits affligés, tout annonce la destinée à jamais malheureuse d'une âme coupable et damnée. La confusion de son visage trahit le trouble de sa conscience. Sa voix plaintive laisse échapper des accents lamentables ; entrecoupée par les sanglots, elle exhale ainsi sa douleur : « Assez longtemps une vieille erreur, en me rendant un culte qui ne m'est point dû, a doublé le tourment de mes mânes, qui ne méritent que des larmes. J'ai bien assez de mes seuls crimes pour mon supplice, sans qu'on ajoute encore le poids d'un tel honneur au fardeau qui m'écrase ! Puissent les saints, qui ont de justes droits à cet hommage, daigner répandre quelques gouttes rafraîchissantes sur les feux qui nous brûlent, sur ces flammes attachées sans cesse aux damnés ! Eux seuls ils sont heureux ; une lumière sans fin les éclaire : mais nous, un affreux chaos nous enveloppe de ténèbres éternelles. Il y a loin des bienfaits du jour aux horreurs de la nuit ! » Cette voix arriva jusqu'aux oreilles de plusieurs des témoins ; mais Martin seul put voir le fantôme, parce que son esprit, plus subtil et plus léger que sa chair fragile, s'était élevé au-dessus d'elle, et que les rayons de son âme avaient traversé la masse de son corps. Aussitôt il enleva l'autel, fit disparaître toutes les traces de cette vaine superstition qui abusait des pratiques sacrées, et rendit au vrai culte ses mystérieuses cérémonies. Quelle puissance eût jamais produit un pareil prodige ? est-ce la science des devins, nourrie de fourberies, abreuvée de poisons magiques, qui compose de mots convenus des chants menteurs, qui interroge des veines, qui fouille des entrailles puantes, qui recherche enfin le silence de la nuit du Tartare pour faire mugir la voix artificieuse de quelque démon en délire, qui prend sous une forme impalpable un visage trompeur ? Ici un cœur simple et sa fervente prière ont seuls brisé les liens des lois infernales. En vain la pierre du sépulcre pesait sur le cadavre, l'aveu de ses fautes vivait pour s'échapper enfin dans de jour.

Martin n'a point encore tous ses titres de gloire ; interrompue pendant quelque temps, l'éclatante série de ses miracles n'est point à son terme : car toujours et partout sa compagne inséparable, la grâce, est avec lui. Lés limites marquées aux provinces ne sauraient l'arrêter : s'il marche, elle le suit ; s'il demeure, elle demeure fidèlement avec lui ; s'il part en voyage, elle s'en va joyeuse et s'attache à ses pas. Il parcourait un jour à la hâte une de ces plaines immenses et solitaires qui s'ouvrent sur la vaste étendue de la Gaule barbare. Une troupe de gentils passait alors et suivait-le cadavre d'un malheureux païen. Il dirige de ce côté ses regards à travers l'espace ; mais, voyant voltiger le linceul qu'un vent léger soulève, et trompé par la distance, il croit reconnaître, au lieu d'une cérémonie funèbre, le culte exécrable rendu au démon ; il pense que ces infidèles, pour accomplir un rite sacrilège, promènent sur leurs épaules les images de leurs idoles. Il élève la main et trace promptement dans l'air un saint et vénérable signe : en leur opposant la croix, il suspend aussitôt leur marche ; par la puissance de l’étendard sacré, il arrête leurs pas agiles. Il fallait voir alors ces malheureux condamnés à l'immobilité qu'il leur impose : on eût dit que des liens enchaînaient leurs muscles et leurs membres roidis ; ils tentent de vains efforts pour dégager leurs corps de ces étreintes ; leurs pieds engourdis demeurent sans mouvement, attachés à la terre. Il semble qu'une limite marquée enferme la troupe captive, qu'un rempart se dresse autour d'eux comme un obstacle infranchissable, et leur oppose de toute part une barrière immense. Peu à peu cependant le saint, qui s'approche, distingue clairement l'ordinaire appareil des funérailles. Alors, avec le même étendard, avec le même signe, il leur rend la liberté. Ainsi, grâce au pouvoir de la croix et au mérite de sa foi tout ensemble, il eut le don d'entraver leur marche et de délier leurs entraves.

 

Haec raptim contacta legens quia copia suadet

Virtutum brevibus laudanda attingere signis,

Ne festinantes tanta ad miracula mentes

Tardet prolixis vilissima pagina verbis,

Excipior rursus majorum pondere rerum.

Sacrilegum quondam dejecto culmine templum

Straverat ad terram, perfractis idola tignis

Comminuens, totisque premens simulacra ruinis.

Huic pinus vicina loco distenta virentes

Pandebat ramos annosa et brachia late

Nexuerant viridem frondenti in vertice sylvam.

Arcebatque omnem foliorum crate calorem

Arboris unius densum nemus umbra perennis

Jugem temperiem mentito vere tegebat.

Hanc etiam pinum templi sociare ruinis

Aggreditur parili cupiens convolvere busto.

Quidquid in errorem miserorum corda trahebat.

Tum vero accensi vecors insania vulgi

Et prohibere pio totum molimine votum.

Nil ratio insanis, nil prosunt sancta profanis

Verba animis, non vox surdis, non lumina caecis.

Clamatur non quire homini conferre salutem

Quae sibi non valeant, lignis non posse juvari,

Lignorum dominos, servire haec nutibus ejus

Qui servire velit subjectis subditus idem,

De silvis urenda legens, veneranda relinquens.

Haec contra exclamant longe diversa volentes,

Idolico et multum perfusi corda veneno:

Desine prolixis renuentes cogere verbis,

Si rebus suadenda probas haec jura, placebit

Conditio allatura fidem; nos protinus ipsi,

Aggredimur nostram propere succidere pinum.

Tu si vera adhibes fidei documenta, cadentem

Excipe, et optatae gaudens occurre ruinae,

Nil grave confisus domino tam dura probatur

Causa, nec injusto renuit justissimus ori

Confidens virtute Dei, cui prona facultas

Quanquam praesentem verbo prohibere ruinam.

Nec mora et adstrictis nectuntur vincula membris

Atque elidendus jam parte locatur in illa

Qua pronus toto pendebat stipite truncus,

Jamque inclinatis natandi pondere ramis

Subjecta haud dubie terrebat mole ruinae.

Insistunt totis certantia gaudia votis,

Ictibus assiduis crebrisque bipennibus instant.

Vindicta affectum excludit, fugat ira dolorem.

Exanimes pallent monachi, majusque periclum est

Confusae nimium tanto terrore fidei.

Vulneribus donec paulatim evicta fragorem

Prona dedit, totoque in sanctum concita saltu

Praecessit celeres properantia vota furores

Jam prope contiguo perfractis turbine membris,

Ille metum prohibente fide formidine pulsa

Vicinam operiens constanti corde ruinam,

Ne cito conversam cernens perfidia pinum,

Ad casum revocaret opus, meritumque negaret

Dum putat eventum. Sed jam propiore periclo

Erigit armatam signi munimine dextram,

Opponitque crucem qua protinus impetus omnis

Frangitur, et celeri propere motata rotatu

Diversam in partem pernici turbine pinus

Fertur in auctores sceleris: nam propter ovantes

In se conversam trepide timuere ruinam.

Qui tutum semet tanta ad spectacula caute

Credebant legisse locum, vix mente recepta

Perfractis cernunt confossa sedilia ramis.

Tollitur in coelum clamor, partesque resultant

Attonitae, et voces coetu referuntur ab omni.

Gaudia testantur monachi, miracula victi,

Christum lingua sonat, Christum simul ore benigno

Ignari gnarique canunt, pars ista favorem

Agnoscit, petit illa fidem. Sic consona raptim

Inter discordes Christo sociante voluntas,

Cum fidei donum meruit, tum credere sancit.

Nam certe nullus penitus fuit agmine in illo

Qui non rettulerit speratae dona salutis

Adjectus gregibus Domini munimine signi.

Et loca quae tetris fetebant obsita famis,

Obtexit veris mox inops Ecclesia templis.

Sic vincis, Martine, tuos, sic obruis hostes,

Sic gravis oppressos sententia proterit, illos

Immites fecit clemens victoria fratres.

 

 

 

 

 

Je passe légèrement sur ces merveilles que je louche à peine ; leur nombre m'engage à resserrer en quelques mots leur éloge. D'ailleurs, les esprits ont bâte de connaître la suite de tant de grands miracles, et je ne veux pas que mon humble page, en prolongeant ses récits, les condamnée l'attente. Les faits qui vont suivre ont une majesté plus imposante encore : Martin avait renversé de fond en comble et couché à terre un vieux temple païen, brisé et mis en pièces ses idoles de bois, et réduit en poudre tous ces vains simulacres. Près de Jà, un énorme pin étalait au loin son vert branchage : ses bras séculaires dressaient dans l'air une forêt verdoyante qui le couronnait de feuillage. Cette voûte de branches entrelacées repoussait les ardeurs du jour ; cet arbre seul était comme un épais bocage ; ses ombrages éternels conservaient sans cesse une égale fraîcheur, et comme une image du printemps. Le saint résolut d'ajouter ce pin aux débris du temple : il voulait envelopper dans la même ruine tout ce qui entraînait vers l'erreur de malheureux esprits. Mais le stupide vulgaire, en son ardent délire, s'oppose de tous ses efforts à ce pieux dessein. La raison ne peut rien sur ces insensés, ni les saintes paroles sur ces cœurs profanes : c'est vouloir parler à des sourds, montrer le jour à des aveugles. On leur crie que l'homme ne doit pas attendre son salut de choses qui ne peuvent se sauver elles-mêmes ; que des troncs de bois ne sauraient prêter aide aux maîtres de ces troncs de bois ; que de tels objets sont assujettis au pouvoir du païen lui-même qui veut s'assujettir à leur néant, qu'ils servent aux usages de celui qui veut les servir, puisque de la même forêt il tire à son gré ce qu'il brûle, et y laisse ce qu'il adore. Ils se récrient contre ce langage, si différent, si éloigné des sentiments de leurs cœurs, imbus des poisons de l'idolâtrie. « C'est assez, disent-ils ; à quoi bon nous fatiguer plus longtemps de paroles que nous ne voulons pas croire ? Essaye plutôt de nous persuader par des actions. Voici une condition qui te plaira, sans doute, puisqu'elle peut nous donner la foi. Nous allons nous-mêmes, à l'instant, couper notre arbre ; mais, de ton côté, si tu veux nous prouver la vérité de ta foi, tu te placeras sous ce pin qui va tomber, tu attendras sa chute, et tu resteras sans balancer pour le recevoir. Rien n'est lourd à porter quand on s'appuie sur le Seigneur. » Cette rude épreuve est acceptée. Le juste ne repousse point cette injuste proposition, car il compte sur l'assistance de Dieu, qui peut facilement d'un mot écarter le trépas, même présent. Aussitôt on le charge de liens, on lui attache les membres, et on le place, pour être écrasé, du côté où le tronc penche de toute sa hauteur : car déjà le seul poids de ses branches l'incline et l'entraîne, et cette masse chancelante menace de détruire sans peine tout ce qui pourra faire obstacle au-dessous d'elle à sa ruine. Les païens s'empressent, avec une joyeuse ardeur, d'accomplir leur dessein. Ils frappent le pin de la hache, à coups redoublés, sans relâche : l'espoir qui leur sourit leur donne du courage et l'oubli des fatigues : la soif de la vengeance éloigne la pitié, la rage les rend insensibles. A demi morts d'effroi, les moines pâlissent, et laissent craindre un plus grand péril : c'est que leur foi ne succombe sous l'empire de la terreur. Cependant, ébranlé peu à peu sous les coups qui le blessent, l'arbre avec fracas se déchire, et s'abat de tout son poids sur le saint, devançant, par sa chute subite, les vœux impatients de leur vive fureur. Martin voit arriver cette masse qui va lui broyer les membres, mais sa foi le défend de la peur. Exempt de crainte, il attend avec assurance que l'arbre tombe plus bas encore ; car, s'il le détournait trop tôt de sa chute, les perfides le ramèneraient sur lui, attribuant cet événement au hasard, et non à ses mérites. Quand le péril est proche, il élève sa main armée du signe protecteur, il présente la croix : à l'instant même toute la force de l'impulsion se brise ; ramené par un rapide mouvement de rotation dans une direction différente, le pin tourbillonne avec vitesse, et se porte sur les auteurs du crime, qui déjà triomphaient près de là, et s'échappent en désordre et tout tremblants à la vue du danger qui les menace. Ils avaient choisi avec précaution un endroit convenable pour contempler ce grand spectacle ; ils s'y croyaient en sûreté, et, en reprenant leurs sens, ils aperçoivent leurs bancs rompus sous les éclats des branches. Un cri s'élève jusqu'au ciel, un cri d'étonnement parti des deux côtés à la fois, et que répètent bientôt toutes les bouches ensemble, témoignage d'allégresse de la part des moines, d'admiration de la part des vaincus. Toutes les voix chantent le Christ ; le Christ ! ceux qui le connaissent et ceux qui l'ignorent, tous à plaisir le célèbrent ensemble : les premiers attestent ses bienfaits, les seconds demandent la foi qui leur manque. Ainsi, deux intérêts opposés, rapprochés violemment par la médiation du Christ, se rencontrèrent dans une même volonté, et cette volonté accomplie, en prouvant les mérites de l'un, qui avait le don de la foi, persuada l'incrédulité des autres. De toute cette multitude, en effet, il n'y eut pas un seul homme qui ne reçût le don du salut qu'il avait espéré, et ne fût réuni au bercail du Seigneur, que le signe des chrétiens protège. Ces contrées, chargées alors de temples hideux et souillés par l'erreur, l'Eglise, qui devint bientôt leur mère, les couvrit des temples du vrai Dieu. C'est ainsi, Martin, que tu sais vaincre et abattre tes ennemis ; c'est ainsi que le poids de ta sagesse les opprime et les écrase : de ces barbares, ta clémence victorieuse fit aisément des frères.

Ergo acuit mentem eventus, studiumque rebelles

Vincendi assidue felix Victoria nutrit.

Nam vix collapsis fumabant idola flammis,

Vicino et tenues volitabant igne favillae,

Cum renovat similis repetita incendia templi

Exsultans crebris justissima dextera flammis.

Sed dum flagrantis longe lateque vapores

Turbo ferit, crebrisque ferox exaestuat undis

Eructans rapidam flammarum insania nubem

Augens collectum vicina strage furorem:

Haud procul amotum toto petit agmine tectum

Vicina allambens funestis culmina flammis.

Quod postquam sanctus trepidans instare periclum

Vidit inafflatis jam mixta incendia tignis

Sepsisse implicitum flammarum gurgite tectum

Pernici properans conscendit culmina saltu

Qua globus igne domum nimio densissimus urget,

Artusque oppositos flammis venientibus offert.

Tum vero adverso sinuata incendia flatu

Ad ventum redeunt, et quanquam urgente procella

Praecipiti vis major agit, cogitque reversis

Ignibus insanum confestim cedere ventum.

Sic paret meritis naturae oppressa jubentis

Non flammae urgentur flabris, sed flamina flammis

Atque ignis praecepta sequens sic gessit utrumque

Arripiens decreta sibi, defensa relinquens.

 

Sic debellato per justa incendia templo

Itur in excidium alterius quod forte leprosus

Quondam opulans vicus perversa mente colebat.

Sed postquam crebri demens insania vulgi

Tentatum revocavit opus, totumque furorem

Opposuit violenti turbo tumultus

Avia solorum repetit secreta locorum,

Atque ibidem sanctus precibus violentius instat,

Trinas continuans orandi intentio luces,

Et totidem jungens vigilatis noctibus horas.

Quin et contexto setis coopertus amictu

Exaesa assiduo compunxit acumine membra,

Ut tereret tenuem vestis nimis aspera pellem,

Et cutis extentis stimulis attacta paveret,

Saxea collidens mage duris ossibus arva,

Producens tardos sera in jejunia soles,

Perfundens totum lacrymarum flumine vultum

Ut Domini jugis semper clementia Christi

Insontis famuli nimium miserata laborem

Traderet effectum voto, et tentata patraret

Adversae penitus removens molimina partis.

Interea armatos propter consistere cernit

Angelico fulgore viros, nec tarda patescit

Agnitio, assueti prompta est fiducia vultus,

Insuper et verbis veniendi causa docetur,

Ne trepidet, ne vim timeat, neve arma pavescat

Praesentem agnoscent per talia signa favorem,

Quaelibet opposito consurgat turba tumultu

Auxilium satis esse Dei, qui protinus omnes

Debellare queat verbi virtute catervas

Sufficere ad bellum credens haec arma duorum

Se simul auxilium ferre, et mandata referre.

Acrior ergo animus penitus virtute recepta

Ad coeptum revalescit opus, mediasque catervas

Irrupit trepido constantia reddita cordi.

Funditus eversis sternuntur templa ruinis,

Excipiunt totas simulacra jacentia moles

Fractaque dejectis succumbunt idola tectis.

Involvit mixtus pariter simul omnia pulvis

Tigna, aras, statuas, caementum, saxa, metallum.

Nec sane tanto progressus ab agmine quisquam

Obvius ire parat manet imperterritus ille

Debellata videns trepidantum corda virorum

Immoti exspectant populi, riguere minantum

Pectora, et attonitis stupuerunt viscera fibris

Non membra expediunt motum non verba tumultum,

Diriguere artus miseris vox faucibus haesit.

Tentantum cecidere manus, et clamor hiantum.

Ut mare quod fundo convulsum moverit imo

Fluctibus insistens vehementis turbo procellae

Illidit tota spumanti aspergine cautes,

Et rauco oppositas transcendit murmure ripas.

Pulsant perfractae dum concava littora moles

Et vada permiscent totum vicina profundum.

Mox ubi deposito siluerunt flamina motu,

Sternitur immensus placidarum campus aquarum.

Laevia deposito considunt marmora vento,

Et jacet immoti species mutata elementi

Sollicitans tenues constrato gurgite cymbas,

Haud aliter siluit furiosi insania vulgi.

Et tempestatem posuit, statusque remisit.

Hoc tantum et veris clamavit subdita verbis

Martini Dominum toto simul orbe colendum,

Hunc solum se nosse Deum, nam surda salutem,

Idola quae possint nunquam conferre petenti,

Haud latura sibi nec quemquam tradere donum

Quo careat, magis esse inopem qui poscat egentem.

Sic vere penitus lucis fulgore recepto

Haec quoque turba diis accrevit, dedita castris.

Talibus assidue vegetato corde triumphis,

Rursum bella cupit, removet fides aucta pavorem,

Spes animat, meriti cedit formido pericli,

Nam similem movit similis mox causa tumultum.

Dum subvertendo properat succurrere templo

Rusticitas vesana nimis, solitumque rigorem

Augens praecipites immensa mole furores.

Denique sic totum obruerat dementia sensum

Ut stricto quidam minitans accurreret ense

Ausus sacrilegum vibrare in vulnera ferrum.

Et cum rejecto nudatam tegmine gaudens

Cervicem offerret sanctus, nihil ille retractans

Alte sublatum surgit furiosus in ensem.

Celsius insanum dextram suspendit in attum

Attollens totum celeri conanime corpus,

Concita praecipiti tendens vestigia in altum

Altius ut veniens caderet vehementior ictus:

Cum subito adstrictis riguerunt viscera nervis,

Atque haesit tenuis consumptus in aera motus,

Porrecta et jussum suspendit dextera ferrum,

Et periit totus membris torpentibus ictus,

Et manus irrito conamine fixa remansit,

Sic artus tota collapsi mole retrorsum

Praecipiti ad terram proni cecidere ruina,

Ossaque collisis sonuerunt obruta membris,

Prona et saxosae jacuerunt aggere terrae:

Tum demum extorti gemitus, lacrymaeque coactae;

Depositisque armis nimium miseranda precantis

Ambitio, ad veniam rediit conversa salubrem.

Quidnam, quaeso, avidam revocasti a sanguine dextram?

Cur parcis quem nemo rogat quid detinet ictum

Si manet ira tuum? tu certe ignoscere non vis.

Cur ferrum retines, patet ecce innoxia cervix

Vulneribus nudata tuis, quid vota moraris?

Qui mentem ferientis habes, cur crimine salvo

Ultio differtur? facis, et si dextera salvet,

Quod fecisse cupis si non mutata voluntas,

Culpa manet, satis est meritis sententia cordis.

 

 

Le succès aiguillonne son zèle ; l'heureux triomphateur nourrit le désir de triompher de tous les cœurs rebelles. Il brûle en tous lieux les idoles ; elles fumaient encore, de leurs feux à peine assoupis jaillissaient encore de légères flammèches, que déjà il avait de nouveau lancé l'incendie sur un autre temple. Sa main, pour une si juste cause, aime à semer la flamme. Mais, un jour, un tourbillon de vent dispersa de toutes parts les vapeurs embrasées ; du vaste foyer où ses torrents allumés fermentent, la flamme forcenée vomissait au loin ses rapides nuages, alimentant ses forces et sa fureur des débris qu'elle dévore. Tout à coup, déployant ses ailes, elle gagne une maison voisine, et promène bientôt sur le faite ses funestes ravages. Martin s'émeut et vole en voyant le danger. Déjà l'incendie s'attache aux poutres et enveloppe d'un gouffre de flammes le toit envahi. Le saint, d'un bond rapide, s'élance avec agilité suite comble, à l'endroit où les feux roulent plus pressés et plus menaçants ; il oppose son corps à la marche des flammes. Soudain un souffle contraire détourne l'incendie, qui revient contre le vent) en vain l'ouragan le pousse : la puissance d'une volonté supérieure le refoule en arrière, et force la fureur du vent de céder aux feux qui reculent. C'est ainsi que la nature vaincue obéit aux commandements et aux mérites de l'évêque. Ce n'est plus le vent qui chasse la flamme, c'est la flamme qui chasse le vent ; le feu docile observe la double loi qu'on lui impose : il dévore la part qu'on lui décerne, et respecte celle qu'on lui retire.

Après avoir si justement détruit ce temple dans les flammes, il se met en marche pour en renverser un autre situé à Leprosus, bourgade antique et puissante, adonnée au culte de l'erreur, La population nombreuse, égarée par ses folles croyances, s'opposa aux tentatives de Martin : une foule violente et tumultueuse repoussa de toute sa fureur cette sainte entreprise. Il se retire, il gagne un lieu secret et solitaire. Là, il se livre, avec une ferveur nouvelle, à la prière : il implore constamment le Seigneur durant trois jours entiers, durant trois longues nuits consumées dans les veilles. Bien plus, il se couvre d'un tissu de poil de chèvre, dont les continuelles piqûres déchirent ses membres épuisés ; il veut macérer sa chair sous ce rude vêtement, et que la mollesse de sa peau redoute sans cesse les pointes de l'aiguillon. Il roule sur les cailloux ses os plus durs qui les brisent, il prolonge pendant des jours entiers la durée de ses jeûnes, il inonde son visage de flots de larmes, afin que l'inépuisable clémence du Christ, son Seigneur, prenant enfin pitié des peines d'un vertueux serviteur, lui accorde l'accomplissement de ses vœux, la réussite de ses projets, et repousse et anéantisse les efforts de ses ennemis. Bientôt il voit debout, près de lui, deux hommes armés, resplendissants de l'éclat des anges : il ne tarde pas à les reconnaître, il reprend confiance à l'aspect de ces traits qui lui sont familiers, ils lui apprennent le motif de leur arrivée, lui disent de se rassurer, de ne redouter ni la violence, ni les armes : en les voyant, il doit reconnaître l'appui qui le protège. Si nombreuse que soit la foule soulevée en masse contre lui, c'est assez, pour l'en délivrer, de l'aide de Dieu, qui peut d'un seul mot, dans sa force, abattre sur l'heure tous les bataillons. Pour cette guerre, il peut le croire, les armes de ces deux guerriers lui suffiront ; ils viennent pour lui porter secours et lui rapporter les ordres du Seigneur. A ces mots, son ardeur se ranime, il retrouve tout son courage, reprend avec vigueur son œuvre commencée : l'assurance, en son cœur, a remplacé la crainte ; il se précipite au milieu de ses adversaires, sape les fondements du temple, qui s'écroule : ce monument, dans sa chute, écrase les simulacres de ses idoles, qui roulent abattues et brisées sous les décombres du sanctuaire ; les poutres, les autels, les statues, le ciment, la pierre, les métaux, tout disparaît, enseveli pêle-mêle dans des flots de poussière. De tant d'ennemis présents, pas un ne s'avance, pas un n'ose marcher sur lui : il s'arrête, et d'un œil impassible il contemple ces héros vaincus par la terreur. La population, d'abord si menaçante, demeure immobile de surprise, l'esprit anéanti, les fibres glacées par la stupeur. Leurs corps ne peuvent se mouvoir, ni leurs bouches se faire entendre ; la peur raidit leurs membres, elle étouffe la voix dans leurs gosiers ; leurs mains défaillantes trahissent leurs efforts, et leurs cris expirent sur leurs lèvres béantes. Ainsi, remuée dans les profondeurs de ses abîmes, et soulevée avec violence par les tourbillons de la tempête qui s'abat sur les flots, la mer bal les rochers de ses lames écumantes ; elle lance avec un rauque murmure, au-delà de ses limites, les éclats de ses vagues, dont la masse se brise en heurtant les rivages, et les sables voisins du bord troublent le sein des ondes. Mais quand le souffle de la tempête s'apaise et fait silence, l'onde se calme et retombe ; la plaine liquide étend au loin, comme un marbre poli, sa surface unie et paisible : l'élément repose immobile, la mer change d'aspect et appelle les barques légères sur ses flots endormis. Ainsi se calment les emportements de la foule en délire ; ainsi s'est dissipé l'orage, et le trouble a cessé. Enfin soumise, elle proclame à haute voix cette vérité sublime, que le Dieu de Martin doit être adoré dans tout l'univers ; elle reconnaît que lui seul est Dieu : car si de sourdes idoles pouvaient jamais conférer le salut à ceux qui les implorent, elles commenceraient par se sauver elles-mêmes ; nul ne peut donner ce qui lui manque, et quiconque demande à un pauvre est plus pauvre que lui. Quand son cœur fut ainsi éclairé des rayons de la vérité, ce peuple s'enrôla dans la milice du Seigneur.

De tels triomphes excitaient sans cesse le courage du saint ; il aspire à de nouveaux combats : sa foi, qui grandit, repousse la frayeur ; l'espoir l'anime et lui fait oublier les périls auxquels il s'expose. Bientôt un semblable motif souleva contre lui un tumulte semblable. Il renversait encore un temple : les paysans s'empressent de voler au secours de leurs idoles. À leur égarement, à leur rudesse ordinaire venaient se joindre tous les transports et les entraînements de la fureur ; et tel était le délire qui aveuglait leur esprit, qu'un de ces hommes, l'épée nue, accourt en menaçant Martin, et ne craint pas de diriger sur lui son fer sacrilège. Martin rejette son manteau et lui présente en souriant sa tête nue. Celui-ci, sans se déconcerter, se lève avec furie, brandissant son glaive dans les airs, et le bras suspendu, violemment rejeté en arrière, le corps tendu, soulevé tout entier par un élan rapide, il se hausse vivement, se dresse sur ses pieds avec effort, afin que, tombant de plus haut, le coup frappe avec plus de force : soudain ses muscles roidis se glacent, ses mouvements s'arrêtent enchaînés dans l'espace, son bras tendu retient le fer qu'il devait abattre ; toute l'impulsion donnée à ses membres est anéantie ; trahie dans ses efforts, sa main demeure immobile. Entraîné de tout son poids à la renverse, son corps chancelle et tombe précipitamment sur le sol. Les os de ses membres meurtris craquèrent dans sa chute, et il resta étendu sur un monceau de cailloux. La douleur lui arrache alors des gémissements et fait couler ses larmes. Il a perdu sa fierté menaçante ; le malheureux s'abaisse à la prière, il sollicite et obtient un pardon qui le sauve. Et pourquoi donc, réponds-moi, as-tu retiré ton bras altéré de sang ? Pourquoi cette clémence que personne n'implore ? Pourquoi ta colère ne frappe-t-elle pas, si elle subsiste encore ? Tu ne veux certes pas faire grâce de tes coups. Pourquoi retenir ton glaive ? voici pourtant une tête innocente qui s'offre nue à tes atteintes : pourquoi tarder à combler tes désirs ? Tu as dans le cœur une pensée de meurtre : pourquoi l'épargner ce crime et différer ta vengeance ? Bien que ta main reste inactive, tu agis par cela seul que tu brûles d'agir ; si ta volonté n'est pas changée, la faute subsiste : l'intention suffit pour mériter le châtiment.

 

Nec sane hinc solum servatae dona salutis

Videre attonitae trepidantia pectora plebis.

Nam mox cum similem similis vesania mortem

Districto inferret telo discussa repente

Ferri acies casso ferientem deserit ictu

Extortum et demens quaesivit dextera telum,

Totaque collecti evanescere vota furoris

Decepta amisso viderunt lumina ferro.

Et tamen interdum alloquio suadere salubri

Sueverat, et verbis mentes mutare feroces,

Et corda affatu mollire rigentia sancto,

Illustrans veterem doctrinae lumine noctem.

 

Praeterea proclive fuit adhibere salutem

Infirmis, gressum claudis, et lumina caecis,

Nam certe nullum tanti violentia morbi

Obruerat, quin votivae fomenta salutis

Rettulerit visu gaudens revalescere sancto,

Quod vel praesenti poterit clarescere facto.

Quondam Treviricis in moenibus innuba virgo

Atque omni motu torpentia membra carebant,

Officiis privata suis, jam carne relicta

Spirabat tenuis frigenti in pectore flatus,

Pallebant pavidi vicina morte propinqui,

Arentesque artus lacrymarum fonte rigabant,

Tristis et obsequii moestum contraxerat agmen

Exsequiis praebendus honor: cum murmure flentum

Concitus irrumpit reserato nuntius ore

Martinum venisse ferens, cui prona facultas,

Optatum. Sanctis precibusque advolvitur, orans

Auxilium, et largo spargit vestigia fletu

Ac singultantes rumpunt suspiria voces,

Et plus de precibus lacrymae quam verba loquuntur,

At contra sanctus polleus pietate modesta

Affectum sociat, meritum negat, abnuit esse

Virtutem qua praestat opem, sed corde dolorem

Participat, refugit pompam, sed deflet aerumnam.

Et meritum vitando probat, sic celsior exstat

Corde humili, confert laudi quod demit honori.

Haec cernens genitor tanto vehementior instat,

Donec permota assiduo justoque rogatu

Sancta sacerdotum precibus conjuncta paternis

Ambitio, blando renuentem jure coegit

Visere lugentis penetralia moesta parentis.

Adstant pro foribus populi, miracula Christi

Attonitae exspectant pendentia pectora plebis.

Ille ubi seminecis miseratus tabida vidit

Membra, et consumptis languentis lumina malis,

Ossibus haerentem siccato corpore pellem,

Et cutis vitiatum felle colorem,

Subtracto et penitus constrictae murmura linguae

Suspiria, exiguum glaciali a pectore flatum,

Filaque venarum rupto pereuntia pulsu

Ordine praeciso quaerentem linquere dextram,

Ad terram toto confestim corpore pronus

Sternitur, a Domino verbis medicamina poscens,

Cui jussisse sat est, atque artem vincere nutu.

Sensit adesse Deum: promi deposcit olivum.

Oblato accedit benedictio sancta liquori.

Exin mutati congaudens unguine succi

Singula contingit medicato chrismate membra.

Admota expellit veterem pia dextra dolorem,

Atque impetratae felicia dona salutis

Ad tactum medici paulatim infusa recursunt.

Sic morbis cuncta membrorum a parte fugatis

Reddita succedit vegetato corpore virtus.

Mox valida exsurgit populo mirante puella,

Et stabiles gressus divino munere sistens,

Dat laudem Domino per sancta altaria Christo.

 

Ce n'est pas cette fois seulement que Martin eut le bonheur de conserver ses jours, et qu'il frappa ainsi de surprise et d'effroi l'esprit de la multitude. Quelque temps après, une fureur non moins aveugle le menaçait encore d'un trépas non moins sûr. L'arme était levée sur lui, quand soudain le fer tranchant s'échappe, le coup tombe sans portée. Le meurtrier, hors de lui, cherche le glaive arraché de sa main ; mais il ne peut accomplir les projets conçus dans son délire, car ses regards déçus ne retrouvent point l'arme qu'il a perdue. Et pourtant Martin essayait souvent de persuader ces peuples par des discours salutaires, de ramener, par sa parole, ces sauvages intelligences, d'adoucir ces rudes cœurs par de pieux entretiens, en éclairant des lumières de la raison les ténèbres de leurs vieilles erreurs.

Il avait aussi le don de rendre la santé aux infirmes, la marche aux boiteux, la lumière aux aveugles. Nul malade, en effet, quelle que fût la violence de ses douleurs, ne vit Martin sans en recevoir les remèdes et la guérison désirée : la présence du saint leur rendait la joie et la santé ; le fait suivant prouvera clairement ce que j'avance. Dans la ville de Trêves, une jeune fille était atteinte de paralysie ; épuisé par cette maladie cruelle, et privé de l'usage de tous ses membres, son corps engourdi avait perdu tout mouvement. La vie avait quitté la peau ; de la poitrine déjà froide, à peine si un léger souffle s'exhalait encore. Pâles et redoutant sa mort prochaine, ses parents inondaient de ruisseaux de larmes ses membres desséchés : un triste devoir avait déjà réuni auprès, d'elle une foule éplorée prête à lui rendre les honneurs funèbres. Tout à coup, au milieu des pleurs et des gémissements, une grande nouvelle se fait entendre et se propage avec vitesse : Martin vient d'arriver, Martin, qui peut sans peine…… [Le père] va trouver le saint, se roule à ses pieds, implore son assistance, mouille ces genoux de larges pleurs ; les éclats de ses sanglots étouffent sa voix, ses larmes suppliantes parlent plus haut que sa parole. Le saint, doué d'une charité modeste, s'associe à sa peine, mais il s'excuse sur son impuissance ; il dit qu'il n'a point le don de prêter un secours efficace : mais son cœur prend part à la douleur du vieillard ; il décline l'honneur qu'on veut lui faire, mais il plaint une telle infortune, et, par son refus même, il prouve son mérite, car l'humilité de son cœur le grandit encore, et ce qu'il ôte à sa gloire ajoute à son éloge. Le père de la jeune fille, voyant cela, insiste avec plus de force. D'un autre côté, touchés de sa persévérance et de la justice de sa demande, les évêques joignent leur sainte intercession aux prières du vieillard ; leurs douces instances triomphent de la résistance de Martin, et le décident à visiter la triste demeure de ce père éploré. Debout devant la porte, l'esprit en suspens, le peuple, frappé de respect, attend le miracle du Christ. Martin ne peut voir sans pitié les membres livides de cette vierge à demi morte, ces joues creuses, ces regards languissants, ce corps desséché, cette peau adhérente aux os et décolorée par le mélange du fiel qui l'a pénétrée, cette langue enchaînée et muette, ce faible souffle d'une poitrine glacée qui respire à peine, ces filets des veines dont les pulsations défaillantes ne répondent plus, par un battement régulier, au doigt qui les interroge. Aussitôt il se prosterne, il se couche tout entier sur la terre, il demande au Seigneur le remède de sa parole : car un ordre du Seigneur suffit, un signe de lui a plus de force que tous les secrets de la science. Il a senti l'assistance de Dieu : il fait apporter de l'huile, il donne sa sainte bénédiction à cette liqueur qu'on lui présente ; puis, content d'avoir fait subir à ces sucs onctueux un changement qui les épure, il frotte de ce chrême salutaire chacun des membres de la malade. En les parcourant ainsi, sa pieuse main les délivre de leurs longues souffrances : il obtient une heureuse guérison ; la santé reparaît, ramenée peu à peu sous le toucher du médecin. La maladie s'éloigne de toutes les parties du corps de la jeune fille, une vigueur nouvelle y pénètre et le ranime. Bientôt la malade rétablie se lève aux yeux du peuple émerveillé, elle se tient sur ses pieds, elle marche, et, en reconnaissance de ce divin bienfait, elle, va devant les saints autels rendre grâce au Seigneur Jésus-Christ.

 

 

Quod postquam virtutis opus celeberrima coetu

Moenia complevit certatim accurrere cuncti

Quorum vel mentes daemon, vel corpora morbus

Obruerat, corde orantes memorique medellam

Hi gressu stabiles, hi sensu abiere valentes.

Praecipueque tamen cunctis quae gratia Christi

Per famulum dignata suum miracula fecit:

Unus eminuit praesens curatio servi

Quem daemon toto captivum jure tenebat.

Denique cum sanctus grandi ambitione rogantum

Permotus miserum deduci ad sancta juberet

Limina non potuit quisquam vincire furentem,

Sic cunctos rabido debacchans ore fugarat,

Dentibus infrendens, lacerum cruor undique corpus

Texerat, et nudis horrebant vulnera membris.

Tum Dominus claro nimium sublimis honore

Fascibus ornatus proconsulis immemor hujus

Ambitionis adest, genibusque advolvitur almis,

Ac pronus pedibus blandas circumligat ulnas,

Orans ut quoniam nec vis, nec vincla valerent

Attrahere insano bacchantem corde ministrum,

Ipse adeat tectum, sub quo jam tempore multo

Servabat clausum jugis custodia servum.

Sed renuit sanctus limen calcare profani,

Nec vult idolicis justus succedere tignis,

Discernens templi fetorem a chrismate Christi

Ille autem sanctis genibus violenter inhaerens

Spondet, tam sancto se credere velle ministro,

Quidquid tradiderit tanti doctrina magistri

Tum demum motus tam justa voce rogantis

Intulit optatos salvanda ad limina gressus,

Atque eadem Domino auxilium tam justa petenti

Quae servo medicina tulit, gratantur uterque

Ille fide accepta, gaudens, hic mente recepta.

Confestimque novum post haec miracula factum

Attonitam erexit tanta ad praeconia plebem.

 

Nam forte ingrediens vicini limina tecti,

Horribilem exclamat furiosi daemonis umbram.

Nec mora continuo coepit tam proditus hostis

Arrepto saevire coco, miscere tumultu,

Interiora domus penetralia frendere malis,

Captivique oris dentes nudare minaces

Ingenitam exercens alienis morsibus iram

Dum quatit obsessum permixta insania corpus

Daemonis, ut rabies humano saeviat ore

Armata ad proprios alieno dente furores,

Diffugiunt trepidi, nec quisquam obsistere contra

Audet, et extremos acuunt exempla timores.

Sed fidens Domino sanctus fallacia ridet

Agmina, et occursu rapido sese obvius offert.

Qui ne, cum quateret tremulos dementia rictus

Collidens miseros ferali murmure dentes

Et repetens crebros nutanti vertice morsus,

Constanter digitis fauces penetravit hiantis

Sistens adversi saevissima jura latronis.

Haeserunt avidae dilato vulnere malae,

Suspensus riguit patuli furor improbus oris

Subdita contactu gavisa est lingua salubri,

Molliaque insertam presserunt oscula dextram:

Tum quia perstructo fuga nulla pateret ab ore,

Egestus fluxu ventris vacuata reliquit

Viscera, fetorem solum de corpore traxit.

Interea subito turbantur cuncta tumultu

Moenia barbaricos affert fama improba motus,

Spargens incredulos per credula corda pavores.

Nec tamen exstabat rumoris nuntius hujus

Ut prolata fides manifesto auctore pateret.

Ergo ubi tam dubiis mutare ingenia rebus

Vidit, et incerto populos terrore teneri,

Imperat ut clausus captivo in corpore daemon

Proderet, unde novam sparsisset fabula famam.

Protinus impulsus verbo tortore fateri,

Se causam clamat, crimenque, caputque malorum,

Semet cum sociis isthaec mendacia larvis

Saevisse, ut trepidam premerent formidine plebem.

Ergo haec fallacis confessio vera latronis

Absolvit moestas cruciato daemone mentes.

 

Jam vero ut tantae pietatis gesta retexam,

Nec mens sufficiet sterilis nec pagina vilis.

O vere confine bonum miseratio prompta,

Mens humilis nullum spernit qui diligit omnes.

Nam quemdam horrendo lepra traxerat improba morbo

Inficiens cunctam macularum tegmine carnem,

Et spargens densas vitiato in corpore guttas.

Quem cum sanorum fastidia crebra notarent,

Ignara et proprie mens injustissima casus.

Despiceret tristes alieno in corpore morbos,

Ingrediens portam sanctus praeeunte caterva

Qualis in obsequium tanti collecta patroni

Stipabant densis murorum limina turbis,

Oscula dat misero vultu connexus, et ore.

Nec metuens tali faciem sordescere tactu

Impressit junctis pacis signacula labris.

Obstupuere animis alii; gavisus at ille

Sensit in attactu divini munera doni,

Et remeare citam raptim per membra salutem,

Disperti et celerem renovata in carne nitorem.

O vere pretiosa tuae dignatio pacis,

Et medicina pio quae permanabat ab ore;

Seu membra attingas labiis, seu corda loquelis,

Oscula sanabunt aegros, et verba docendos.

Atque utinam nostros similis clementia morbos

Tangeret, et miseri maculas depellere cordis

Orans tam sancto Martinus vellet ab ore:

Tum credo ad verae revocarer gaudia pacis

Sanatum attollens sancta ad mysteria vultum.

Et post eversum dederat quem portio censum

Spes mea clementis Domini penderet ab ore,

Porcorumque escas linquens, vel gaudia carnis

Acciperem verae signacula certa fidei,

 

 

Aussitôt que le bruit de cette œuvre miraculeuse se fut répandu dans la cité populeuse, on vit accourir à l'envi tous ceux dont l'esprit était en proie au démon, ou le corps à la souffrance, implorant la guérison, les uns de leur âme, les autres de leurs membres ; et ils s'en retournaient, ceux-ci raffermis sur leurs jambes, ceux-là rendus à la raison. Cependant, parmi tous les miracles que la grâce du Christ daigna opérer par les soins de son serviteur, on remarqua surtout la prompte guérison d'un esclave que le démon tenait tout entier enchaîné sous ses lois. Assiégé de sollicitations puissantes et de touchantes prières, Martin avait ordonné qu'on amenât le malheureux dans sa sainte demeure, mais personne ne put s'emparer de ce forcené : dans sa rage il menaçait de mordre, grinçait des dents et mettait tout le monde en fuite. Tout son corps déchiré était couvert de sang, et ses membres nus laissaient voir d'affreuses blessures. Son maître était un personnage élevé, qui avait été revêtu de brillantes fonctions, et honoré des faisceaux du proconsulat. Oubliant sa grandeur, il accourt, se roule aux genoux sacrés de Martin, lui enlace les pieds de ses bras caressants, lui dit qu'on ne peut ni enchaîner, ni traîner de force jusqu'à lui cet esclave agité des transports du délire ; il le conjure de venir lui-même au logis, où depuis longtemps déjà le possédé était enfermé et soumis à une surveillance continuelle ; Mais le saint refuse de mettre les pieds sur le seuil d'une maison profane ; le juste ne veut pas entrer sous un toit idolâtre ; il ne confond pas la puanteur du temple avec le baume du Christ. Le proconsul s'attache avec plus de violence à ses genoux vénérables, et lui promet, si son esclave est guéri, de croire désormais, tout ce que lui enseignera la science d'un si grand maître. Touché enfin d'une si juste prière, Martin porta ses pas désirés vers cette maison qu'il voulait sauver ; et il guérit du même coup et le serviteur et le maître qui avait si justement imploré son assistance. Ils lui rendent grâce l'un et l'autre, heureux, l'un d'avoir reçu la foi, l'autre d'avoir recouvré la raison. Aussitôt après ce miracle, un autre prodige attira de nouveau l'admiration du peuple sur les glorieuses actions de Martin.

Il allait entrer un jour dans une maison voisine, quand tout à coup il s'écrie qu'il aperçoit sur le seuil l'ombre hideuse, épouvantable à voir, d'un démon furieux. Ainsi découvert, l'ennemi se réfugie avec vitesse dans le corps d'un cuisinier, l'agite en tous sens, jette le désordre dans les appartements intérieurs du logis, grince la mâchoire, ouvre cette bouche dont il est maître, et met à nu ces dents menaçantes, instrument emprunta de ses cruautés naturelles. Car le démon ne trouble de son délire ce corps tourmenté qu'il obsède, que pour exercer sa rage par une bouche humaine, que pour armer ses propres fureurs d'une dent étrangère. Tout fuit épouvanté : les gens de la maison n'osent s'approcher pour le contenir ; les exemples qu'ils ont sous les yeux leur inspirent une frayeur extrême. Confiant dans le Seigneur, le saint se rit de cette foule peureuse, et d'un élan rapide se présente en face de l'ennemi. Puis il choisit le moment où le possédé, faisant claquer ses mâchoires tremblantes, ses pauvres dents qui s'entrechoquent, et poussant un grondement lugubre, cherche partout à mordre en secouant la tête ; il plonge courageusement ses doigts dans cette bouche béante, et il enchaîne ainsi la puissance cruelle du larron qu'il ose combattre. Ces avides mâchoires demeurent sans force et retiennent leurs morsures ; cette bouche ouverte s'est engourdie malgré la violence de sa rage ; la langue s'abaisse avec plaisir sous ce contact salutaire, et baise mollement la main qui la presse. Cet obstacle fermait au démon toute issue par la bouche : il s'échappa dans un flux de ventre : évacué par les entrailles, il abandonne enfin ce corps, d'où il n'entraîné avec lui qu'une odeur fétide.

Cependant un tumulte soudain jette le trouble par toute la ville ; une rumeur sinistre annonce l'approche des barbares, et répand dans les cœurs crédules des frayeurs sans nombre. On ne connaissait point l'origine de cette nouvelle, et on ne pouvait, pour s'assurer de la vérité d'un tel bruit, en découvrir l'auteur. Martin, voyant la grandeur du désordre produit par ces rumeurs équivoques, et le peuple en proie aux angoisses de l'incertitude, commande au démon enfermé dans le corps d'un possédé de dire à haute voix quel était l'inventeur du récit qui courait la ville. Cet ordre est une torture qui arrache sur l'heure au démon l'aveu de sa faute : il déclare que lui seul est coupable, qu'il est la cause, et l'auteur, et la source de tout le mal ; que c'est lui qui, à. l'aide des esprits malfaisants conjurés avec lui, a semé tous ces mensonges pour frapper d'effroi le peuple épouvanté. Cette confession sincère du rusé larron délivra les esprits de leurs sollicitudes, et fit le tourment du démon.

Maintenant je dois raconter les œuvres d'une charité sublime ; mais la stérilité de mon esprit et la pauvreté de mon style n'y pourront suffire. Pitié toujours prête ! humilité d'âme ! ô vertus vraiment sœurs ! peut-on, en effet, mépriser un seul homme, quand on les aime tous ? Un malheureux était couvert de lèpre ; cette hideuse et cruelle maladie avait souillé toute sa peau de taches infectes, et semé son corps flétri de postules sans nombre. Il était repoussé avec dédain par les autres hommes ; pleins de santé, aveuglés sur leur propre sort, ils méprisaient injustement dans autrui la triste infirmité qui pouvait les atteindre. Martin entre dans la ville, précédé d'une multitude rassemblée pour rendre hommage à ce puissant patron, et dont les rangs serrés encombraient la porte des remparts. Il voit le malheureux, lui donne un baiser, le touche ainsi de la bouche et du visage, et, sans craindre de salir sa face par un tel contact, il lui imprime de ses lèvres jointes le sceau de la paix. La foule est interdite : le malade joyeux sentit, sous ce toucher, le don de la grâce divine, la santé rendue tout à coup à ses membres, sa peau régénérée sur l'heure, et parée d'une fraîcheur nouvelle. O précieux privilège de la paix que tu donnes ! précieux remèdes que ceux qui émanent de ta bouche sainte ! Soit que tu touches le corps de tes lèvres, ou le cœur de ta parole, les malades seront guéris par tes baisers, les ignorants par tes discours. Et plût à Dieu qu'une clémence pareille touchât les plaies de mon âme, que la bouche sacrée de Martin daignât, par ses prières, effacer les souillures de mon pauvre cœur ! Alors, j'en ai l'assurance, je renaîtrais aux douceurs de la paix véritable, j'élèverais vers nos saints mystères une face sans tache. Et après la ruine de mes biens, de ma part d'héritage sur la terre, tout mon espoir reposerait sur la miséricorde du Seigneur ; en renonçant à la pâture des pourceaux, aux jouissances de la chair, je recevrais le gage certain de la foi véritable.

 

Quin et contactus tantum vel fimbria vestis,

Raptaque certarum disrupto vellere fila,

Omnibus in causis celeres habuere medelas.

Namque ut praeteream quae non obscurius acta

Erga humiles latuere homines, nam quaeso, latebit

Arborius mundi eximio profunctus honore,

Clarus praecelsae qui culmine praefecturae

Romana indultis moderamina rexit habenis,

Nec minus excellens morum probitate piorum?

Hujus consumptis penitus jam tabida membris,

Unica languidulos stratis rejecerat artus

Filia, quam febris jugi cum lege recursus

Ad quartum reditura diem sic carnis amictu

Exuerat, crebras semper repetendo ruinas,

Ut nihil afflictum corpus sentire medelae

Posset, vel mediis vicina febre diebus,

Dum transcursa sibi jactatio vindicat unum,

Alter venturam patitur trepidando ruinam.

Talem igitur tristi genitor pietate puellam

Dum fovet, et flatu gracilia membra tepenti

Percurrit, patrii dum creber anhelitus oris,

Oblata ad trepidam pervenit epistola dextram,

Quam pius antistes moesto mittebat amico.

Ille ubi perlectae gavisus munere chartae,

Pressit in absentem congaudens oscula dextram

Conclusit celeri veneranda volumina motu

Et stomacho raptim properans admovit anhelo.

O vere pretiosa fides, depulsa fugatur

Febris, et igniti removetur flamma caloris.

Arentes penetrat praesens benedictio venas,

Et rigat exhaustas verborum rore medullas,

Restituens celerem Domini pietate salutem,

Ad cujus laudem recte referemus ovantes

Quae nunc miramur servos potuisse fideles.

Nec solum haec membris tribuit medicina medelam,

Sed corde adjecit veram fides aucta salutem.

Confestim devota Deo sacra virgo per illum

Offertur Domino, per quem valet eruta morbo.

Sic tribus indulta est simul hujus gratia doni,

Consecrat antistes, pater offert, virgo sacratur.

 

Quin et Paulino similis medicina salutem

Reddidit, insignis fidei quem gloria late

Extulit, obducta cujus cum nube latebat

Visus, et infusis caligo extenta tenebris

Arcebat cunctam macularum tegmine lucem,

Quam levis et tenui tactu suspensa fugavit

Spongia, vicino benedictae munere dextrae.

Vix admota oculo didicit jam reddita lucem

Ferre acies, lumenque novum mirata recepit.

Atque utinam nostri tenebras contingere cordis

Tali luce velit sancti medicina patroni,

Reddat ut antiqui rursum mysteria facti

Nomen idem, medicus idem, par causa medelae.

 

Miramur cito tam multa et magna videntes

Archiatri fomenta pii, miremur et illam

Quam meruit medicus Christo medicante medelam,

Per quem munificus simul et de munere gratus

Expensis gaudet donis bonus atque retentis.

Namque ad sublimem nitens conscendere partem

Qua domus excelsis pendebat fulta columnis,

Lubrica dum scalis fixit vestigia, pronus

Corruit, et crebram gradibus renovando ruinam

Colliso terram collapsus pondere pressit.

Ecce autem praefracta trucem dum membra dolorem

Fessa gemunt, subita afflicto solatia portans

Angelus assistit sancto venerabilis ore,

Abluere infusis festinans vulnera lymphis,

Paulatim oblati contingens unguine succi

Perducens tenuem tactu leviore liquorem,

Unde rigat, tacitam propere sensere medelam

Membra simul madidis mollito corpore venis,

Confestimque artus stabiles viguere, fugati

Undique mandato Domini cessere dolores.

Pernices gressus, mens vivida, cordis et oris

Gaudia, gratifico concors cum pectore vultus.

Dum Dominum laudat sibimet nihil arrogat inde,

Prodidit et meritum quia se meruisse negavit.

 

Il suffisait de toucher même la frange de son vêtement ou les fils qu'un zèle pieux arrachait de son cilice, pour apporter un prompt remède à toutes les maladies. Je ne citerai point des actes non moins brillants, et qui pourtant sont restés dans l'ombre, parce qu'ils n'ont eu que des témoins obscurs ; mais comment ne pas parler d'Arborius, qui sut remplir une des plus éminentes dignités du monde ? Élevé aux sublimes honneurs de la préfecture, choisi pour tenir les rênes du gouvernement de Rome, il n'était pas moins distingué par la pureté de ses mœurs et sa piété. Lestement consumée par une maladie qui épuisait ses forces, sa fille unique, accablée de langueur, était depuis longtemps étendue sur sa couche. La fièvre, qu'un retour constant et régulier ramène au quatrième jour, avait si souvent renouvelé ses attaques, qu'elle avait dépouillé de leur enveloppe de chair les membres de l'enfant : son corps abattu ne pouvait profiter d'aucun remède, car même dans les intervalles laissés par la fièvre, qui ne s'éloignait que pour revenir, si le frisson passé lui permettait un jour de repos, le jour suivant il tremblait déjà, dans l'attente des accès du lendemain. Pendant que le père affligé réchauffe avec un tendre soin sa malheureuse fille, pendant que sa bouche paternelle promène sur ces membres glacés le souffle de sa tiède haleine, il reçoit et prend d'une main tremblante une lettre que le pieux évêque envoyait à son ami désolé. Ravi de ce don qui l'honore, après avoir lu cette lettre, il baise avec transport la main absente qui l'a écrite ; puis, par une inspiration soudaine, il referme aussitôt le vénérable écrit, et, d'un mouvement rapide, il le glisse sur le sein haletant de la malade. O prix vraiment inestimable de la foi ! la fièvre vaincue se dissipe, et ses ardeurs dévorantes s'éloignent sans retour. La lettre bénie qui les touche pénètre les veines brûlantes, la rosée de la sainte parole rafraîchit les entrailles desséchées, et, par la grâce du Seigneur, les rend sur l'heure à la santé. €ar nous devons rapporter au Très-Haut, dans le concert de nos louanges, toutes ces œuvres admirables accomplies par la puissance de ses fidèles serviteurs. Et ce remède ne procura pas seulement la guérison du corps, il accrut encore la foi du père, qui voulut sauver aussi l'âme de sa fille, car il la voua sans retard à Dieu. La vierge fut consacrée au Seigneur par celui même dont le pouvoir l'avait arrachée à la mort. Ainsi, trois personnes eurent la faveur de participer à la fois à ce pieux hommage : l'évêque qui consacre, le père qui offre sa fille, et la vierge vouée à Dieu.

Martin, avec le même succès, rendit aussi la santé à Paulin, qui depuis, par l'insigne ferveur de sa foi, s'éleva au faite de la gloire. Un nuage sombre, étendu sur un de ses yeux, le couvrait de ténèbres ; une tache épaisse, comme un voile obscur, lui dérobait la vue du jour. Une éponge légère la fit disparaître, en effleurant doucement l'organe malade. A peine la main bénie du saint bienfaiteur se fut approchée de l'œil de Paulin, que la prunelle délivrée put supporter la lumière, et s'étonna de recevoir une clarté nouvelle. Plaise au ciel que ce médecin puissant et sacré daigne éclairer de même l'aveuglement de mon cœur ! nous verrions recommencer ainsi l'acte mystérieux de son ancien miracle : même nom, même sauveur, même besoin de guérison !

Nous admirons les cures si nombreuses et si grandes du pieux médecin ; nous devons admirer aussi la guérison qu'obtint le guérisseur lui-même, guéri par Jésus-Christ. Ainsi, bienfaiteur tout ensemble et comblé de bienfaits, il jouit avec bonheur et des dons qu'il dispense et de ceux qu'il reçoit. Il montait un jour avec peine vers cette partie d'une maison où s'ouvrent les étages supérieurs, suspendus et appuyés sur de hautes colonnes. Son pied glissa sur les marches de l'escalier : il tombe à la renverse, et de degrés en degrés son corps roule jusqu'à terre, meurtri de tant de chutes. Ses membres étaient brisés, il endurait en gémissant de cruelles souffrances, quand soudain il reçut dans son malheur un soulagement imprévu. Un ange, aux traits sacrés et vénérables, se présente, s'empresse de verser de l'eau pour laver ses blessures, mouille l'une après l'autre toutes ses plaies des sucs d'une huile inconnue, promenant partout, d'une main légère, la subtile liqueur. Ses membres ne tardent pas à ressentir la vertu de cette onction salutaire, qui assouplit son corps et rafraîchit ses veines. Sa vigueur aussitôt se ranime : dissipées par la volonté du Seigneur, toutes les douleurs ont disparu. Les pieds retrouvent leur vitesse, l'esprit sa vivacité ; la joie revient au cœur, et sur les lèvres, la reconnaissance de l'âme éclate en même temps sur le visage. Il loue la bonté du Seigneur, il n'attribue rien à ses propres mérites ; mais par cela même qu'il se croit indigne d'un tel bienfait, il prouve qu'il en était digne.