Saint Jérôme

SAINT JÉRÔME

 

LETTRES

A PAULA ET A EUSTOCHIA. SUR LA TRADUCTION DU LIVRE DE JOB.

EPISTOLA XLIX AD PAMMACHIUM.

à Marcella       Castrucius

 

 

SÉRIE VI LETTRES

AU SÉNATEUR PAMMAQUE. — TRAITÉ CONTRE JOVINIEN. — TRADUCTION DU LIVRE DE JOB. — QU'IL FAUT ÉCRIRE POUR TOUS LES HOMMES SANS DISTINCTION.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 392.

EPISTOLA XLIX AD PAMMACHIUM.

 

 

1. Christiani interdum pudoris est, etiam apud amicos tacere, et humilitatem suam magis silentio consolari, quam retractando veteres amicitas, ambitionis crimen incurrere. Quamdiu tacuisti, tacui, nec expostulare unquam super hac re volui: ne non amicum quaerere, sed potentiorem viderer expetere. Nunc autem provocatus officio litterarum, primas semper partes habere tentabo: et non tam rescribere, quam scribere; ut et verecunde hucusque tacuisse, et verecundius loqui coepisse cognoscar.

2. De opusculis meis contra Jovinianum, quod et prudenter et amanter feceris, exemplaria subtrahendo, optime novi. Sed nihil profuit ista diligentia, cum aliquanti ex Urbe venientes, mihi eadem lectitarent, quae se Romae excepisse referebant. In hac quoque provincia jam libri fuerant divulgati: et ut ipse legisti, «nescit vox missa reverti» (Horat. de Art. Poet.). Non sum tantae felicitatis, quantae plerique hujus temporis Tractatores, ut nugas meas quando voluerim emendare possim. Statim ut aliquid scripsero, aut imatores mei, aut invidi, diverso quidem studio, sed pari certamine, in vulgus nostra disseminant: et vel in laude, vel in vituperatione nimii sunt: non meritum stili, sed suum stomachum sequentes. Itaque quod solum facere potui, ἀπολογετικὸν ipsius operis tibi  προσεγώνησα ; quem cum legeris, ipse pro nobis caeteris satisfacies: aut si tu quoque narem contraxeris, illam Apostoli περικοπὴν, in qua de virginitate et nuptiis disputat, aliter disserere compelleris.

3. Nec hoc dico, quod te ad scribendum provocem: cujus in sacris litteris studium mihi praefero: sed ut alios qui nos lacerant, hoc facere compellas. Norunt litteras, videntur sibi scioli: possunt me non reprehendere, sed docere. Si quid scripserint, magis ex operis corum comparatione, mea interpretatio negligetur. Lege, quaeso te, et diligenter Apostoli verba considera, et tunc videbis me propter calumniam declinandam multo plus quam ille voluit in maritos fuisse clementem. Origenes, Dionysius, Pierius, Eusebius Caesariensis, Dydimus, Apollinaris latissime hanc Epistolam interpretati sunt: quorum Pierius cum sensum Apostoli ventilaret atque edisseret, et proposuisset illud exponere: «Volo autem omnes esse sicut meipsum» (1. Cor. 1. 7), adjecit, ταῦτα λέγων ὁ Παῦλος ἀντικρὺς ἀγαμίαν κηρύσσει. Quod hic quaeso peccatum meum, quae duritia? Universa quae scripsi, huic sententiae comparata lenissima [al. levissima] sunt. Revolve omnium quos supra memoravi, commentarios  et Ecclesiarum Bibliothecis fruere, et magis concito gradu ad optata coeptaque pervenies.

4. Audio totius in te Urbis studia concitata. Audio Pontificis et populi voluntatem pari mente congruere. MINUS EST tenere Sacerdotium, quam mereri. Libros sedecim Prophetarum, quos in Latinum de Hebraeo sermone verti, si legeris, et delectari te hoc opere comperero, provocabis nos etiam caetera clausa armario non tenere.

Transtuli nuper Job in linguam nostram: cujus exemplar a sancta Marcella consobrina tua poteris mutuari. Lege eumdem Graecum et Latinum; et veterem Editionem nostrae Translationi compara: et liquido pervidebis quantum distet inter veritatem, et mendacium. Miseram quaedam τω̃ν ύπομνημάτων in Prophetas duodecim sancto patri Domnioni, Samuelem quoque et Malachim, id est, quatuor Regum libros. Quae si legere volueris, probabis quantae difficultatis sit divinam Scripturam, et maxime Prophetas intelligere: et Interpretum vitio quae apud suos purissimo cursu orationis labuntur, apud nos scatere vitiis. Porro eloquentiam quam pro Christo in Cicerone contemnis, in parvulis ne requiras. Ecclesiastica interpretatio etiam si habet eloquii venustatem, dissimulare eam debet et fugere, ut non otiosis Philosophorum scholis paucisque discipulis, sed universo loquatur hominum generi.

 

1 Il sied quelquefois à la modestie chrétienne de ne point écrire à ses amis et de se renfermer en soi-même par un humble silence, plutôt que de se rendre suspect d'ambition, en renouvelant une ancienne amitié. Comme vous j'ai gardé le silence, tant que vous l'avez gardé à mon égard; et je n'ai jamais voulu vous obliger à le rompre, de peur qu'on ne s'imagine que je vous écris, plutôt pour ménager un puissant patron que pour m'entretenir avec un ami. Mais puisque vous m'avez prévenu par des lettres bienveillantes, je tâcherai désormais de vous prévenir moi-même, et de vous envoyer  498 non pas des réponses, mais des lettres; afin qu'on voie que c'est la modestie seule qui jusqu'ici m'a fait garder le silence, et que c'est par une modestie encore plus grande que je prends aujourd'hui la liberté de le rompre.

2 Quant à mes traités contre Jovinien, je suis très persuadé que c'est par prudence et par amitié que vous avez tâché d'en retirer les exemplaires. Mais toutes vos précautions ont été inutiles; car quelques personnes venues ici m'en ont lu des extraits, qu'elles m'ont dit avoir faits elles-mêmes à Rome. On avait même déjà répandu mes livres dans toute notre province. Or vous savez ce que dit le poète : « Un mot lâché ne revient jamais. »

Je n'ai pas le bonheur, comme la plupart des écrivains d'aujourd'hui, de pouvoir corriger quand il me plait les bagatelles dont je m'occupe. A peine ai-je fait quelque ouvrage, que mes amis et mes envieux le répandent aussitôt dans le public, avec un égal empressement, quoique par des motifs bien différents; et comme ils le jugent, non d'après son mérite, mais d'après leurs dispositions à mon égard, tout est outré et dans les louanges et dans les reproches. Ainsi tout ce que j'ai pu faire est de vous envoyer l'apologie (1) dont je vous ai parlé. Quand vous l'aurez lue, vous pourrez répondre pour moi aux objections que l'on me fait; ou si vous ne goûtez pas vous-même mes raisons, vous serez obligé d'expliquer autrement que moi ce que dit l'apôtre saint Paul de la virginité et du mariage.

3 Je ne prétends pas par là vous engager à écrire, persuadé que vous avez encore plus d'ardeur que moi pour l'étude de l'Écriture sainte. Tout ce que je souhaite c'est que vous ameniez mes censeurs à me répondre. Comme ils sont écrivains et qu'ils se piquent d'érudition, ils peuvent m'instruire au lieu de me critiquer. Qu'ils donnent quelque ouvrage au public, et le mien tombera aussitôt. Lisez, je vous prie, et examinez attentivement les paroles de l'Apôtre, et vous verrez que, pour me soustraire à la censure et à la calomnie, j'ai parlé du mariage avec beaucoup plus de ménagement que lui. Origène, Denis, Pierius Eusèbe de Césarée, Didyme et Apollinaire, ont expliqué fort au long cette épître de saint Paul. Pierius surtout voulant développer le véritable sens de Apôtre, et expliquer ce passage : « Je voudrais que tous les hommes fussent en l'état où je suis moi-même, » ajoute aussitôt: « Saint Paul se déclare ici ouvertement en faveur du célibat. » Qu'ai-je dit qui approche de cela? En quoi donc, je vous prie, ai-je manqué, et que peut-on trouver de trop dur et de trop outré dans mes écrits? Lisez les commentaires de tous les auteurs dont je viens de parler ; cherchez dans les bibliothèques de toutes les Eglises, et vous serez pleinement convaincu de mon innocence.

4 J'apprends que vous êtes généralement estimé dans Rome; j'apprends que le pontife et le peuple jettent les yeux sur vous. Mériter la dignité du sacerdoce, c'est plus avantageux que de la posséder. Si vous voulez lire les seize livres des prophètes que j'ai traduits de l’hébreu en latin, et si cet ouvrage est de votre goût, cela m'engagera à publier mes autres écrits.

J'ai traduit aussi depuis peu en latin le livre de Job ; vous pourrez en emprunter un exemplaire à Marcella, votre parente. Tachez de le lire en grec et en latin ; comparez l'ancienne édition avec ma traduction, et vous verrez quelle différence il y a entre la vérité et le mensonge. J'avais envoyé au saint évêque Domnion quelques-uns de mes commentaires sur les douze prophètes et sur les quatre livres des Rois. Si vous les lisez, vous verrez combien il est difficile d'entendre l'Écriture et surtout les Prophètes; vous verrez aussi que des passages très purs dans l'original fourmillent d'erreurs dans la traduction par la faute des traducteurs. Au reste, cette éloquence que vous méprisez dans Cicéron pour l'amour du Christ, ne la cherchez pas dans un auteur aussi ordinaire que moi. Un écrivain ecclésiastique, quand même il posséderait toutes les grâces du langage, doit les cacher et les dédaigner, afin de parler non point aux écoles oisives des philosophes ou à un petit nombre de disciples, mais à tous les hommes en général. affaires.

(1) Voyez le Traité contre Jovinien, cinquième série; Polémique.