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CATHEDRAL CHURCH
OF SAINT ENNODIUS AND SAINT VERONICA
AT WENCHOSTER

 

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ENNODIUS

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

LETTRES

LIVRE V

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LIBER QUINTUS.

LIVRE CINQUIÈME.

EPISTULA PRIMA.

ENNODIUS LIBERIO PATRICIO.

LETTRE I.

ENNODIUS AU PATRICE LIBÉRIUS.

Cette remarquable lettre fut écrite par Ennodius au nom du pape Symmaque au patrice Libérius alors préfet du prétoire d’Italie, à propos de l’élection de l’évêque d’Aquilée. Certains manuscrits ajoutent à la conclusion de cette lettre : « Donnée le dix-huit des calendes de novembre, indiction VIII, » date que Sirmond rapporte à l’an 499 et Baronius à l’an 500. S’il faut admettre que Libérius est le consul inscrit à l’an 500 dans la chronique de Cassiodore sous le non de Patricius (le Patrice), la date de Sirmond paraît préférable puisque la suscription de la lettre n’indique pas cette dignité.

Cette lettre fournit de précieux détails concernant la discipline observée au commencement du VIe siècle dans l’élection des évêques. Malgré son immense crédit qui lui eut permis d’imposer un candidat de son choir, le Patrice voulut s’adjoindre un collègue pour l’examen de l’élu. Il y avait donc examen de l’élu. Des contradicteurs se firent entendre et ce ne fut pas sans peine que Marcellin fut agréé.[1] Libérius écrivit au pape une relation de toute l’affaire elle pria de confirmer l’élection; ce que Symmaque fit par celle lettre.

Ennodius resta lié avec le nouvel évêque d’Aquilée (vi, i).

Dum pro venerandæ religione conscientiæ verba dirigitis in Aquileiensis electione pontificis, et divinis initiata lingua cultibus militat consecrando, in ignoti nos diligentia sermonum vincula tenuerunt: quia nihil superat judiciis, quotiens aliquid probatus extulerit. Quid enim sententiæ sequacium derelinquat, quando justitiæ obsequitur, cujus in examen definitio non vocatur? Agitis bono conscientiæ quod vestro vix negaretur imperio. Exhibuit inter arbitros Marcellini venerabilis collegam maximus hominum, humilitate sublimior: et ne potestati favor per obliquos ascriberetur interpretes, quod de proprio decerpsit genio, laudati junxit ad pretium. Egistis mediocrem, ne præcelsi esset suspecta prædicatio. Clarissimorum testimonia ut vires accipiant, culmina castigantur. Felix sacerdotium, cui facem prætulit plena mens luminis. Beata conversatio, quæ idcirco in discussionem deducta est, ut tanto viro astipulante superaret: quæ non didicisset saporem victoriæ, nisi subjacuisset incertis. Semper innocentibus gloriam adversa pepererunt: providet defensores fortissimos mediocris impugnatio. Sed quid epistolæ terminos loquacitate produxi, coactas lege paginas in humana concinnatione transgressus? Jungo et ego, amplissimi, partibus vestris pro modulo exiguitatis propriæ, cœlo vobis obsequente, consensum: et quod mirabile inter homines habetur, consideratione vestri attrahor ad amorem. Inspirata mihi per alterum placet affectio; dum manet caritas imis inserta visceribus peregrinante persona. Comitem se tamen cœlestis gratia desideriis jungat: et dum cupitis datur effectus, aut inveniat bonum pontificatus, aut faciat.

Valete, mi domine, et amantem vestri crebris relevate colloquiis: ut si non exigat negotiosas frequentia paginas, præstentur affectui.

Vous nous adressez au sujet de l’élection de l’évêque d’Aquilée votre rapport écrit selon la rectitude d’une conscience honnête et votre langage, en parfaite connaissance de ce qui concerne le culte divin, est, tout en faveur de l’élu qui doit être consacré : l’empire de votre parole nous incline comme forcément à aimer cet inconnu. Il n’y a plus lieu à jugement dès lors qu’une proposition émane d’un homme dont l’autorité est indiscutable. Si ce personnage dont nul ne saurait contester la décision, est fidèle observateur de la justice, dès lors qu’il s’est prononcé, ses inférieurs pourraient-ils encore songer à émettre leur sentiment? Et cependant ce que vous pouviez presque imposer de votre autorité, vous avez voulu le conduire en toute conscience et selon les règles. L’homme le plus éminent, plus grand encore par l’humilité, s’adjoignit un collègue pour l’examen du vénérable Marcelin, et afin de ne pas donner lieu à la malignité d’attribuer à l’influence du pouvoir le choix qui serait fait, il modéra les éloges qu’il faisait de l’élu et l’estime qu’il lui portait pour lui laisser plus de valeur personnelle. Vous parûtes ne l’apprécier que médiocrement de crainte que l’on ne tint pour suspecte la recommandation d’un personnage si élevé. Pour que les témoignages rendus par des personnages haut placés aient quelque poids, ils doivent éviter toute exagération. Heureux épiscopat ainsi mis en lumière par une intelligence si éclairée! Heureuse vie qui n’a été soumise aux rigueurs d’un examen que pour en acquérir, sous la garantie d’un si grand homme, un nouvel éclat! Elle n’eut point fait goûter la saveur du triomphe si elle n’eut été exposée aux incertitudes du combat. Toujours pour les innocents la gloire rejaillit des incriminations auxquelles ils sont en butte. Lorsqu’on pressent des défenseurs très forts l’attaque est faible. Mais pourquoi prolonger par notre bavardage l’étendue de cette lettre et dépasser les limites imposées par l’usage? A notre tour, très puissant seigneur, nous ajoutons à votre choix ratifié dans le ciel, selon la petitesse de notre personne et l’étendue de notre pouvoir, notre propre assentiment et, ce qui paraîtra merveilleux entre des hommes, en considération de vous, nous sommes inclinés à l’amour. Il nous plaît d’aimer d’une affection qu’un autre nous inspire et de garder cet amour au fond de notre coeur tandis que celui que nous aimons vit loin de nous. Cependant que la grâce du ciel seconde vos désirs, que vos voeux soient comblés et que le pontificat le trouve digne ou le rende tel.

Adieu mes chers seigneurs; que vos entretiens viennent fréquemment réconforter celui qui vous aime. Si nous n’avons pas de fréquentes occasions de nous écrire pour affaires, faisons-le du moins par amitié.

EPISTULA II.

ENNODIUS MARCIANO.

LETTRE II.

ENNODIUS A MARCIANUS.

Il félicite ce jeune avocat de ses talents, l’exhorte à se perfectionner dans l’art de la parole et lui montre les honneurs auxquels il peut prétendre.

Dum inter spem et metum animus meus de te anxio jactaretur incerto, solida profectus tui indicia colloquii melle reserasti: quia domesticam origini tuæ facundiam fidelis doctrinæ hæres insequeris. Non degenerat, ut video, vena linguarum; et peritiæ successio illo quo patrimonia jure discurrit. Putabam scientiæ dotes rem tantum ingeniorum esse, non familiæ, nec duci per stemmata quod labor continuus et indefessus sudor adipiscitur. Sed, quantum apparet, ordines suos servat eloquentia, et oris pompa quæ exundavit in veteribus, migrat ad posteros: concordat scientiæ cursus et fluminum: per consuetos alveos et dicendi unda prælabitur. Venit ad te cum censu patris eruditio; et bono sobolis Asterium sepulcra restituunt. Invidi, fateor, hactenus annis senioribus. Et ætatem cui ille concessus fuerat suspiravi. Beneficiorum cœlestium negligens æstimator, quando potui desperare de togæ fructibus, radicis manente substantia? Sed superna dispensatio, ut det genium beneficiis, improvisum facit esse quod tribuit: et dum vota transgreditur, potentiam suam liberalitate manifestat.

Non est bonis partubus infecunda Liguria: nutrit foro germina, quæ libenter amplectatur et curia. Nota proximitate sociantur causidicus et senator: his qui bene toga usi fuerint, reseratis susceptura sinibus palmata blanditur.

Vale, dulcissime, et ad hæc decora multus incumbe: totum te studia honesta suscipiant: festina, ut ad messem patriam venias, linguam lectionis sarculo, mores bonorum imitatione purgando.

Mon esprit partagé entre l’espérance et la crainte n’était point sans inquiétude à votre sujet, mais voici qu’un spécimen de votre éloquence vient nous fournir la preuve évidente de votre succès et que, fidèle à votre origine, héritier de la science de vos ancêtres, vous maintiendrez la réputation oratoire de votre maison. Le talent oratoire, à ce que je vois, ne dégénère pas, et l’héritage de science suit à bon droit la même ligne que celui du patrimoine. Je m’imaginais que dans l’ordre scientifique les dons purement intellectuels ne se tenaient point de la famille et qu’on ne pouvait attendre de la race ce qui ne s’acquiert que par un travail continu et d’incessants efforts. Mais, à ce qu’il paraît, l’éloquence suit la loi de l’hérédité, et la pompe du langage dont les ancêtres furent doués, passe à leur descendance: le cours de la science est comme celui des fleuves : les torrents de l’éloquence s’écoulent dans leur lit accoutumé. Vous avez hérité de l’érudition de votre père en même temps que de sa fortune et les qualités de son fils font, malgré le tombeau, revivre Astérius. Jusqu’à ce jour, je l’avoue, je jalousais les années d’autrefois et le temps où il vécut m’arrachait des soupirs de regret. Incapable par mon peu de réflexion, d’apprécier justement les bienfaits du ciel, j’avais pu désespérer un instant de voir se renouveler les fruits de la toge[2] alors que l’arbre qui les porta, survivait dans sa racine! Mais la divine Providence, pour donner du prix à ses bienfaits, accorde à l’improviste ce qu’elle donne et comme elle dépasse ainsi les voeux qui lui ont été adressés, sa puissance éclate dans sa libéralité.

Certes la Ligurie n’est pas inféconde en hommes de mérite! Elle nourrit, pour le Forum, des jeunes gens auxquels volontiers la Curie ouvrira ses portes. On sait qu’il n’y a pas loin de l’avocat au sénateur: A ceux qui honorent la toge, la tunique palmée[3] sourit et leur ouvre ses plis.

Adieu, très aimable; tournez tous vos efforts vers ce but élevé. Donnez-vous tout entier aux études sérieuses ; hâtez-vous de porter la main à la moisson que recueillait votre père; corrigez votre langue par la lecture des maîtres et vos moeurs par l’imitation des bons.

EPISTULA III.

ENNODIUS OPILIONI V. I.

LETTRE III.

ENNODIUS A L’ILLUSTRE OPILION.

Objet mal défini : obtenir d’Agnellus gouverneur ou intendant fiscal de la province d’Afrique des cabanes ou plutôt des lots de terrain, sens donné au mot casae par le spécialiste Innocentius. Agnellus faisait de belles promesses mais attendait un bon prix. iv, 18.

Debeo equidem prioribus responsa colloquiis, et in obsequio propositi vel pudoris, nisi pagina rusticante displiceam, accepta geminare; ne potioris dignatio ad pœnitentiam redeat de abjuratione fastidii. Nostro enim vitio in culmine constituti supercilii memoriam non amittunt, si illud male genus sectari et humiles suspicentur. Cum enim eminentissimos attollat castigatio sua, et honorum plenitudo sæcularium hoc solo artificio patiatur augmenta, considerandum est quid abjectis detrimenti pariat status angustia non metiti. Ergo sufficiat magnitudini vestræ quod post duplicem scriptionem sentio quid per silentium erroris incurrerim. Sed timui, confiteor, ne ad vitium me duceret fuga culparum;[4] et sermo deputatus ad gratiam, dum nulla peritiæ lima comeretur, inveniret offensam. Refugi horrorem, qui ignaris de parendi occasione generatur. Ecce asserui habuisse me et animam depositum confitentis, et bene de viribus conscii in restitutione verecundiam. Restat autem, emendatissimi hominum, et illud placere vobis allegationis meæ inspectione cognoscam, quod hactenus accepta non reddidi. Fida enim index est possibilitatis nostræ consideratio; et sicut in omnibus præcipua, ita fama muniens circa linguæ maciem custodita, quasi crescit eloquentium dos pudore: facile prudentiæ nomen adipiscitur, cum per ipsum conticescat infantia. Causæ tamen quam injunxistis, jacturam frontis exhibeo, et dum imperata exsequor, opinionem ad incerta transmitto. Agnellus de casis per varias promissionum mihi illudit effigies, volens a nobis summam pretii designari. Sed mali hominis ardorem insatiabilem esse didicistis, qui nisi contemptu pecuniæ non sanetur.

 Domine mi, saluto et rogo ut religio circa me pii amoris servetur et fœderis.

Je dois répondre à vos lettres et quand même mon goût ne m’y porterait pas, l’amour-propre me ferait une loi de vous payer de retour, sauf que mon style de provincial ne vous déplaise. J’ai à craindre en effet que l’honneur que je vous rendrais en vous épargnant l’ennui de me lire ne vous inspirât du regret de m’avoir écrit. C’est bien notre faute à nous si les hommes éminents élevés au faite des honneurs s’en souviennent trop, puisque l’on voit même les humbles atteints de ce vice. Car si les personnages comblés d’honneurs n’ont d’autre moyen de s’élever encore que l’abnégation et s’ils ne peuvent ajouter aux dignités du siècle dont ils sont ornés que par le renoncement et la modestie, on peut juger de ce que les petites gens ont à souffrir au point de vue moral, d’une condition qu’ils estiment trop inférieure. Qu’il suffise donc à votre Grandeur d’entendre l’aveu de mon erreur lorsque après vos deux lettres je persistai dans mon silence. Mais je craignis, je le confesse, de tomber sur un écueil en voulant éviter l’autre et que ma lettre destinée à vous plaire, ne réussit au contraire, par sa rusticité, qu’à vous être désagréable. J’ai redouté le frisson que donne aux ignorants l’occasion de se mettre en évidence. Aussi j’avoue que je reconnais avoir reçu et aussi que j’ai conscience de mon incapacité à rendre. Il reste, ô le plus parfait des hommes, et je saurai à l’accueil qui sera fait à ma lettre si vous en êtes satisfait, il reste que, jusqu’ici, je n’ai pas rendu ce que j’avais reçu. La sincère considération de nos moyens nous fournit l’indice sûr de ce que nous pouvons faire; et s’il en est ainsi pour nos autres facultés, il faut surtout l’observer lorsqu’il s’agit de la pauvreté de la langue; c’est la sauvegarde de la réputation, car si la modestie donne du relief au mérite de l’éloquence, facilement on qualifie de prudence le silence d’un ignorant qui sait se taire.

J’attaquerai à fond l’affaire dont vous m’avez chargé et, tout en exécutant vos ordres, je vais de l’avant sans me préoccuper de l’opinion. Agnellus m’amuse de belles promesses relativement aux lots de terrain; ce ne sont que des façons et ce qu’il veut en réalité c’est que vous lui offriez un gros prix. Mais vous connaissez l’homme et vous savez qu’il est d’une cupidité insatiable, vice qui ne se peut guérir que par le mépris de l’argent.

Cher seigneur, je vous salue et vous prie d’être religieusement fidèle à me garder votre affection.

EPISTULA IV.

ENNODIUS HELISEÆ.

LETTRE IV.

ENNODIUS A HÉLISÉA.

L’élection de l’évêque d’Aquilée donnait lieu à des brigues en faveur d’un sujet qui ne paraissait pas digne de l’épiscopat. Héliséa et son fils Avitus en écrivirent à leur cousin Ennodius. celui-ci les encourage à lutter pour écarter l’indigne candidat.

Diu quæsitus desideriis meis evenit effectus: ut detur genius beneficiis, transmissa in longum exspectatione tribuuntur. Vivit in quacunque terrarum parte proximitas: sequestratione corporum sanguinis catena non rumpitur: per discreta regionum caritas damna non sentit; quando inter eos qui habitatione separantur, præsentiæ vice tenetur affectio. Deo omnipotenti gratias refero, quia vos memores fecit esse pietatis, et prosapiæ sub religiosa occasione reminisci. Teste Deo, postquam mihi domna Cynegia meritum vestræ conversationis exposuit, visionem vestram speciali ardore requisivi, si votis copiam dedisset optata occasio.

Domina, salutationis reverentiam dicens, in designato litteris vestris negotio ministerium devotionis spondeo: quia tantum præstatur animæ, quantum sanctis exhibetur studiis. Vere dico me nunquam dilexisse quem detestamini; et veritum ne ad diri hominis profectum vester quoque inclinaretur assensus. Adsit Deus, ne ad ecclesiasticam dignitatem veniat nulla bonæ institutionis incude formatus.

Enfin se réalise ce que je désirais depuis longtemps pour donner du prix à ses faveurs il ne faut les accorder qu’après les avoir fait longtemps attendre. La parenté suivit en n’importe quel lieu du monde ; l’éloignement des corps ne rompt point les liens du sang ; la distance des pays n’amoindrit nullement l’affection dès lors qu’entre ceux qui vivent éloignés les uns des autres, la vivacité de l’amitié supplée à la présence. Je rends grâces au Dieu tout puissant de ce qu’à l’occasion des intérêts de la religion il vous a remis en mémoire les devoirs de l’affection et vous a fait ressouvenir de votre parenté. Dieu m’en est témoin, depuis que dame Cynégie m’eut fait connaître le mérite de votre personne, je désirai ardemment vous voir et je faisais des voeux pour en trouver l’occasion.

Madame, tout en vous rendant l’hommage de mes salutations, je vous promets le concours de ma dévotion pour l’affaire dont vous me parlez dans votre lettre; car c’est tout profit pour notre âme que de nous employer à procurer les biens spirituels. Je dois en toute sincérité vous avouer que jamais je n’ai aimé celui qui vous est si antipathique, et qu’une de mes craintes était de voir cet homme funeste, entraîner pour le succès de sa cause, jusqu’à votre suffrage. Que Dieu nous porte assistance pour écarter d’une si haute dignité ecclésiastique un homme qui n’y fut nullement préparé par une bonne éducation.

EPISTULA V.

ENNODIUS AVITO.

LETTRE V

ENNODIUS A AVITUS.

Même sujet que la précédente lettre à Héliséa, mère d’Avitus. L’élection de l’évêque d’Aquilée, et les brigues auxquelles elle donnait lieu.

Vellem produci causam, si propositum non gravarem, per quam frequentia amantis scripta promerui. Dum enim negotiosas paginas destinatis, ministerium præbetis affectui. Sed apud prudentes et animorum conscios sufficiunt parca colloquia. Urbanus in promissionibus esse non sapio: nec eis quibus animam debeo, fucata fronte blandiri. Vos tantum cœptis insistite, et mandatis cœlestibus obsequentes, malum hominem quem dicitis, a desideriis deducatis. Me convenit plus rebus ostendere, quam sermone polliceri: quia quod tribuo, hoc mihi restitui incunctanter exspecto. Domine mi, salutationem plenissimam dicens rogo, ut domnæ Heliseæ communi matri pro me gratias agas; quæ dignata est litteris suis vincula proximitatis ostendere.

Il y aurait de quoi souhaiter, si ce n’était pas me charger la conscience, de voir se prolonger la cause qui m’a valu de recevoir fréquemment des lettres d’un ami. Car ces lettres d’affaire que vous m’écrivez, sont les messagères de votre affection. Mais entre gens prudents et qui se comprennent, il suffit de peu de mots. Je n’ai point de goût à rechercher les élégances du langage pour faire une promesse, ni à mettre en jeu les raffinements du style pour complimenter ceux auxquels je dois jusqu’à ma vie. Quant à vous, persévérez seulement dans ce que vous avez entrepris et, soumis aux ordres du ciel, empêchez l’homme pervers que vous dites, d’arriver à ses fins. Il me convient de montrer mon zèle plus par des actes que par les promesses, car j’ai confiance que ce que je puis donner me sera sans retard largement restitué.

Mon seigneur, vous adressant le plus complet hommage de mes salutations, je vous prie de rendre grâces pour moi à dame Héliséa, notre commune mère, de ce qu’elle a daigné, par sa lettre, montrer les liens de parenté qui nous unissent.

EPISTULA VI.

LEONTIO ABBATI ENNODIUS.

LETTRE VI.

ENNODIUS A L’ABBÉ LÉONCE.

L’abbé Léonce avait dépêché à Ennodius, encore retenu dans le monde, quelques-uns de ses moines porteurs d’une lettre où il s’informait de sa santé. Comme Ennodius songeait sérieusement à se donner tout entier à Dieu, on en peut conjecturer qu’il s’agit ici de l’époque de transition qui s’écoula de sa grande maladie à son ordination au diaconat.

Supra meritum meum summa circa me beneficii cœlestis adolevit, dum qui pœna dignus sum, justorum præmia consecutus exsulto. Frustra delinquentes periculi mater desperatio ad extrema præcipitat. In errore maximo constituti, meo ad solidam spem reparentur exemplo. Nescio de quo opere mihi, de qua innocentia epistolarum vestrarum fructus accesserit; et animam peccati ubertate locupletem cœlestis boni melle satiarit: nisi quia ille qui vulnera nostra suscepit et pro nobis doluit, mutata meritorum conditione, quos flagellis dignos viderit, castigat muneribus: et versa vice noxiorum animas, dum secundis replet, pudore meliorat. Superni ergo secreti dignatione confabulationis vestræ fruges elicui. Vos de corporis mei sanitate sollicitos ille reddidit, quia animæ meæ curam per spiritales medicos ad statum indultæ valetudinis redire compellit. Quæ sit in me substantia membrorum, religiosæ sollicitudinis investigatione perquiritis: quorum status animæ partem negligens, toto mundi istius gravatur imperio. Agite me talem oratione fieri, qualem asseritis blandimentis: quia fuci nescia propositi vestri claritudo, quem bonum esse prædicat ante tempus innocentiæ, annuntiat mox futurum. Fratribus meis et conservis quos direxistis, quantum exhibere solatii potui, voto potius quam re idoneus, non negavi. Superest ut accipientes obsequia mea cum universo cui præestis concilio, per Dei omnipotentis misericordiam conjurati, Deo pro parvitate mea precibus insistatis, ut cui deest per actiones suas fiducia, bonorum per suffragia vestra contingat.

Les bienfaits célestes à mon égard s’élèvent bien au delà de ce que je mérite et lorsque je ne suis digne que de châtiment, j’ai la joie de recevoir la récompense des justes. C’est donc en vain que le désespoir multiplie les dangers et précipite les pécheurs aux abîmes extrêmes! Que ceux qui tomberont dans les bas-fonds de l’erreur remontent à l’espérance au souvenir de mon exemple. Je ne sais quelle oeuvre, quelle innocence m’a valu de recevoir le bienfait de votre lettre. Comment mon âme qui ne peut étaler d’autre richesse que celle de la multitude de mes fautes, a-t-elle été rassasiée du miel des dons célestes Il faut croire que celui qui a pris nos blessures pour souffrir à notre place, renversant l’ordre des mérites, châtie à coups de bienfaits ceux qui lui paraissent mériter des peines et tandis qu’il comble de faveurs les âmes des coupables, il les corrige en les couvrant de confusion, C’est donc grâce à ce mystérieux dessein de Dieu que j’ai goûté les douceurs de votre entretien. Il vous a inspiré ce souci de la santé de mon corps, lui qui par les médecins spirituels oblige mon âme à revenir à l’état de santé parfaite. Vous vous informez avec une religieuse sollicitude de l’état de mon corps : sans souci de l’âme qui vivifie ses membres, ce corps est encore tout entier sous le joug de ce monde. Procurez-moi par votre prière de devenir tel que me font vos compliments, car votre intelligence éclairée et qui ignore la flatterie, en me proclamant bon avant même ma conversion, annonce ce que bientôt je dois être. Je n’ai rien négligé pour procurer autant qu’il dépendait de moi, mais non pas autant que je l’eusse désiré, à mes frères vos serviteurs que vous m’avez dépêchés, un agréable repos. Il vous reste d’agréer mes hommages, vous et toute la communauté à laquelle vous présidez, et je vous conjure, par la miséricorde du Dieu tout puissant, de multiplier pour moi les prières afin que j’obtienne, par vos suffrages, la confiance des justes à laquelle mes oeuvres ne me donnent aucun droit.

EPISTULA VII.

EUPREPIÆ ENNODIUS.

LETTRE VII.

ENNODIUS A EUPRÉPIE.

Ennodius avait déjà composé, aussitôt après la mort de Cynégie, femme de Faustus, une épitaphe destinée à orner son tombeau (vii, 28, 29). A la prière de sa soeur Euprépie il en écrivit une seconde moins laconique. Faustus déjà consolé par la première destinée au grand public, ne figure pas dans celle-ci. Ce poème fut écrit en moins dune heure. Les vers de cette seconde épitaphe sont plus simples, mais aussi plus tendres et plus expressifs.

Quamvis sæpe ingenii mei maciem cognovisses, periclitari tamen jejunia oris olim probati jussionis celeritate voluisti. Sed ego non abnuo obedire diligenti, ut si facundiæ deest meritum, gratia veniat obsequendi. Variæ sunt donorum cœlestium, licet ab uno auctore progrediantur, species. Alium commendat perfectio, alterum insinuat quod sine tarditate aliqua vult parere. Domnæ meæ Cynegiæ epitaphium vix una hora habens tractandi spatium inelimata velocitate composui. Vide necessitatem, ut illam tantorum meritorum feminam verborum saltibus explicarem. Parcat sterilitati meæ venerabilis anima, suscipiens pro schemate dictionis studium sine nube dictoris. Tu, domina, epistolam præsentiæ meæ vice complectens, ora ut spiritus illius scabridis nequaquam lædatur officiis.

Vous avez maintes fois constaté la stérilité de mon génie et malgré cela vous n’hésitez pas de courir le risque de mettre aux abois ma muse dont la pauvreté vous est bien connue, en m’envoyant l’ordre d’écrire sans retard. Moi, je ne puis rien refuser à quelqu’un qui m’aime et si je n’ai pas le mérite de l’éloquence j’aurai du moins celui de la condescendance. Quoiqu’ils procèdent tous du même auteur. les dons du ciel sont d’espèces très variées. L’un se recommande par des qualités qui en font une perfection, l’autre par une disposition à faire ce qu’on lui demande sans le moindre retard. J’ai com- posé avec une rapidité qui ne m’a pas permis de la limer à loisir, l’épitaphe de madame Cynégie, car j’eus à peine une heure pour y travailler. Voyez si c’était insuffisant pour exposer les mérites si éminents de cette femme. Que cette sainte âme pardonne à ma stérilité, et qu’elle ait pour agréable, sinon le poème si imparfait, du moins le zèle sans conteste de celui qui l’a dicté. Et vous, ma chère dame, recevez ma lettre comme si c’était moi-même et priez que son esprit ne soit point attristé des rudesses de mon style.

EPITAPHIUM.

EPITAPHE.

Nil sexus, nec busta nocent, nil fila sororum
Ultima, fallaci pollice quæ tenuant.
Mixta Deo mulier vivit post funera factis,
Mascula femineo tramite gesta ferens.
Sanguis, honor, genius, probitas, constantia, vultus,
Vicerunt tantis exitium pretiis.
Moribus asseruit magnorum stemma parentum,
Indicium generis mens cui clara fuit.
Instituit natos vitam servare serenam,
Dum docet exemplis semper amare Deum.

Ni son sexe ni le tombeau ne l’amoindrissent, ni les ciseaux des Parques dont le doigt trompeur file le fil léger de nos jours :

Unie à Dieu, cette femme survit par ses oeuvres à ses funérailles, oeuvres viriles dont se compose sa vie de femme.

Sang, honneur, génie, probité, constance, beauté, ont en elle vaincu la mort par la gloire qui les couronne.

Par ses moeurs elle affirma l’illustre lignée de ses ancêtres ; la beauté de son intelligence révéla sa noble race.

Elle initia ses fils aux secrets d’une vie sereine, leur enseignant par ses exemples à toujours aimer Dieu.

EPISTULA VIII.

ENNODIUS PETRO.

LETTRE VIII.

ENNODIUS A PIERRE.

Pierre venait d’être élevé à une charge qu’Ennodius appelle « germe des honneurs »; celte charge allait le conduire auprès de la célèbre fontaine thermale d’Apone, aux environs de Padoue. Ce fut pour Ennodius le sujet d’une poétique description qu’il joignit à sa lettre. V. appendice B.

Postquam venerabilis judicium principis, periclitatis moribus magnitudinis tuæ, donavit te honorum germine pro messe virtutum, per linguæ ferias fovens irreligiosa silentia, et in eloquentia tua et in meo amore peccasti, quia naturalibus adolescit elocutio munita superciliis, quotiens prosperum famulatur indicio: copiosior facundia honorum militat incrementis: profectus suos non imparibus significant peritorum ora successibus. Ecce inamabilis taciturnitas, et vobis dicendi abstulit genium, et mihi lætitiæ invidit effectum. Referatis forsitan: posses me, amice, de ignoratione culpare, si quid tibi de apice meo promiscuis dedicata nuntiis fama suppressit. Sed ego agnoscere carorum culmina rumore non patior: et manifesta gaudii colligere de opinionis inconstantia. Noveram quam mihi devinctionis spem simplex eruditi dudum fecisset allegatio: credebam frustra me in illa parte serenis animum auribus committere, unde tu me hilarem esse non jubebas: ilam ipsam mille alarum fabricatam remigiis[5] scriptionis tuæ æstimabam pedibus potuisse superari, ne amanti exspectata bona tibi fructum præripiens alter ingereret. Ecce, mi domine, honorem salutati accipiens, agnitis dolorum causis, remedia præparata non deneges: quia, quantum præsumo, nec fides in diligentia, nec ad unguem ductus sermo vos deserit in loquela. Non contentus tamen uno dicendi genere displicere, carmen adjeci: ut post epulas Antenorei gurgitis, quas lavacra Aponi, coacta in artum carnis lege, castigant, dum illud quod aquarum fetibus distenditur, aqua desecat; ego quoque qui Heliconis fluenta non tetigi, pœta novus admiscear. Acipe ergo risum motura pœmata; et Glovidenum tuum te solum agnovisse contentus, a publico rigore me subtrahe: quia si est quod forte placeat, sententia mihi vestra sufficit: si quod morsu dignum sit, secretum puto quod de amici culpis agnoveris. Dabis etiam veniam, quia oculorum pressus angore pœmata fortasse clauda composui. Non enim possunt esse versuum solidata vestigia, luminis officio destituta. Lege ergo aquas calidas, quas invises.

La justice de notre vénéré Prince, en considération des mérites personnels qu’il a reconnus en votre Grandeur et pour récompenser vos vertus, vous n honoré d’une charge, germe de futurs honneurs, et vous vous taisez, et vous gardez un silence que j’ose qualifier d’impie: vous avez péché et à l’égard de votre éloquence et à l’égard de mon amitié: l’éloquence s’élève naturellement dès lors qu’elle s’appuie sur les grandeurs et qu’elle a pour objet de faire connaître des succès. L’élocution devient abondante à mesure que les honneurs s’accroissent: lorsqu’il s’agit de publier leurs succès, les gens instruits savent parler en conséquence. Or le détestable abus que vous faites du silence vous a fait manquer l’occasion d’être éloquent et me prive, moi, du plaisir que j’y aurais pris. Vous objecterez peut-être: vous auriez le droit, cher ami, de me reprocher l’ignorance où je vous laisse, si les bruits de la renommée populaire ne vous avaient parfaitement renseigné sur mon élévation. Mais, quant à moi, je ne puis supporter d’apprendre de la rumeur publique les honneurs obtenus par ceux qui me sont chers et de recueillir de l’opinion si inconstante les témoignages de leur joie. J’avais pu comprendre quelle espérance d’intime liaison m’avait permis de concevoir le simple titre d’érudit ; je croyais n’avoir sur ce point qu’à laisser mon esprit voguer à pleines voiles sous le souffle de vents favorables; mais ce n’était qu’une illusion puisque vous ne faisiez rien de ce qui pouvait me rendre heureux. J’espérais même pouvoir surpasser à la course la rapidité de votre style emporté dans son vol par des milliers d’ailes, pour ne pas laisser à un autre l’avantage de me prévenir et de vous offrir l’hommage qu’un ami a le droit d’attendre. Ainsi donc, mon cher seigneur, recevez l’honneur de mes salutations et maintenant que vous connaissez les causes de mes douleurs, ne me refusez pas de prompts remèdes, car, autant qu’il m’est permis d’en conjecturer, vous ne manquez ni de la fidélité dans l’amitié, ni du talent de parfait écrivain.

Or non content de vous être fâcheux en un genre littéraire, j’ai joint à ma prose un poème: ainsi après avoir bu aux Sources d’Anténor[6] dont les effets sont heureusement corrigés par les bains salutaires de l’Apone, de sorte que l’eau resserre et dessèche ce qui était dilaté par le produit des humeurs, moi aussi, qui n’ai jamais touché nui flots de l’Hélicon, je commence à me mêler de poésie. Recevez donc ces vers qui vont vous faire sourire et content de connaître seul votre Glovidenus,[7] épargnez-moi la rigueur du public, car si mes vers présentent quelque agrément, votre suffrage me suffit ; s’ils prêtent à la critique, j’estime que vous êtes lié par la loi du secret sur ce que vous savez des défauts d’un ami. Ils méritent aussi votre indulgence parce que, malade des yeux, j’ai pu écrire des vers boiteux: privés du secours des veux, comment des vers marcheraient-ils d’un pas assuré? Lisez donc la description des eaux chaudes que vous allez visiter.

VERSUS.

VERS.

Tollitur adclini tellus subnixa tumore,
Leniter elato fulta supercilio.
Verticibus nullis caput admovet illa superbum,
Nec similis pressis vallibus ima petit.
Fumiger hic patulis Aponus fuit undique venis,
Pacificus mixtis ignis anhelat aquis
Unda focos servat, non sorbet flamma liquorem;
Infuso crepitat fons sacer inde rogo.
Ebrius hic cunctis medicinam suggerit ardor.
Corpora desiccans rore vaporifero.
 Heic pyra gurgitibus, scintillis fluctuat humor:
Vivitur alternæ mortis amicitia.
Ne pareat, nymphis Vulcanus mergitur illis,
Fœdera naturæ rupit concordia pugnax.

Une colline en pente douce déroule le plateau qui la couronne sur une éminence légèrement élevée. Son sommet n’offre rien qui ressemble aux cimes orgueilleuses, ni ses pentes aux gouffres des vallées profondes. Là coule de larges canaux et se répand à flots l’Apone fumeuse ; dans ses flancs le feu s’unit aux eaux en un mélange harmonieux. L’onde conserve les brasiers, la flamme n’absorbe pas l’eau : la fontaine sacrée inonde le foyer et jaillit en bouillonnant. Ces flots brûlants offrent à tout le monde un remède et les vapeurs humides qui s’en dégagent dessèchent les corps affligés d’humeurs. Au fond de ce gouffre brûle un brasier; aux flots se mêlent les étincelles : l’union de ces deux éléments, ennemis mortels, procure la vie. Pour échapper à la mort Vulcain s’est plongé dans ces fontaines ; l’harmonie de ces éléments contraires rompt les lois de la nature.

EPISTULA IX.

ENNODIUS FAUSTO.

LETTRE IX.

ENNODIUS A FAUSTUS.

Il recommande dans cette lettre et les trois suivantes son neveu Parthénius qui va étudier à Rome.

Secundet desideria honesta divinitas: felix auspicium bonis non negetur studiis: ingenuæ intentiones prosperorum fructibus convalescant. Votorum obsidem tradidit honestati, qui ad liberales aspirat, superis faventibus, disciplinas: bonarum affectus artium dirum dedignatur ingenium, ad eloquentiæ ornamenta non tendunt nisi moribus instituti. His Partenius noster, germanæ filius, incitatus stimulis Romam in qua est naturalis eruditio, festinat invisere: cui magnitudinis vestræ suffragia sum paterna pollicitus. Datur culmini vestro per supplicantem genius, dum quod usus exigit, precibus imploramus: ceu si quis credat se ortum solis, cursum fluminis oratione promereri. Non est beneficium, ubi ordo servatur: mori obsequitur quod obligat universos. Ego tamen supra cursum a quo nequaquam disceditis, aliquid accepturus occurro. Direxi personam, in qua meritorum meorum status æstimetur. Alias forcitam commendatio juvet indebita: parentibus minus est quidquid superare non possumus.

Domine mi, servitia salutationis repræsentans, portitorem paucis ejusque negotium elocutus, restat ut agnoscam quid mereatur persona, causa, proximitas.

Que Dieu favorise des désirs purs; qu’il accorde d’heureux auspices à une entreprise juste ; qu’il soutienne de nobles intentions en les couronnant de succès. C’est donner un gage de son honnêteté que d’aspirer. avec le secours d’en haut, aux études libérales : l’amour des beaux arts est incompatible avec des instincts pervers ; les beautés de l’éloquence ne séduisent que ceux dont les moeurs sont irréprochables.

Animé de ces hauts sentiments notre Parthénius, fils de ma soeur, se hâte d’aller voir Rome, foyer naturel de l’érudition. Je lui ai assuré qu’il serait de la part de votre Grandeur, l’objet de faveurs toutes paternelles. Ma supplique ne tend qu’à donner à votre Eminence ce qui doit faire son ornement puisque nous ne demandons que ce que l’usage exige, comme celui qui croirait obtenir par sa prière de faire lever le soleil ou couler un fleuve. Ce n’est plus un bienfait dès lors que c’est dans l’ordre : puisque tout le monde y est tenu c’est la loi de la coutume. Et moi, sur cette route de laquelle vous ne vous écartez jamais, je viens à votre rencontre bien assuré d’obtenir quelque chose. L’accueil que recevra la personne que je vous adresse, donnera la juste mesure de la valeur de mes mérites. Les autres peut-être se contentent d’une recommandation à laquelle du reste ils n’avaient pas droit; pour les parents, il n’y a rien de fait tant qu’il reste un obstacle à surmonter.

Cher seigneur, tout en vous présentant l’hommage de mes salutations et après vous avoir, en peu de mots, parlé du porteur et de son affaire, il me reste à connaître de quel crédit jouit auprès de vous ma personne, la cause que je plaide, ma parenté.

EPISTULA X.

SYMMACHO PAPÆ ENNODIUS.

LETTRE X.

ENNODIUS AU PAPE SYMMAQUE.

Portée par le jeune Parthénius, neveu d’Ennodius, qui va étudier à Rome, cette lettre le recommande au pape.

Dum sedem apostolicam coronæ vestræ cura moderatur, et cœlestis imperii apicem regitis, blanditur profectibus parentum, quod meis promissum tenetur officiis. Spem sine labore obtinet apud constantem virum fideliter obsecutus. Grandis est pompa præstantis, quotiens quod unus meruit pluribus repensatur. Superorum instituta sectantur, per quos generatio recipit quod persona condiderit. Sic Isrælitici delicta populi propter David pœna non tetigit, dum genti opitulata est præcessoris integritas, et fides hominis aut eripuit de errore populum, aut juvit in gratia. Partenius igitur præsentium portitor, germanæ filius, hac ad coronam vestram fiducia animante directus est; quem sollicitudo liberalis Romam cœgit expetere. Sancta sunt studia litterarum in quibus ante incrementa peritiæ vitia dediscuntur. Hoc itinere cana ad annos pueriles solent venire consilia: dum quod ætas refugit norunt instituta præstare. Fovete ergo: veniendi causas patefacta consanguinitate didicistis. Habetis obsidem, in quo dilucide meritorum apud vos meorum qualitas innotescat. Domine, ut supra, salutationis reverentiam obsequiorum devotione restituens, precor ut perlator præsentium famulus vester felici sorte peregrini apud vos nomen excipiat: quia quod attributum fuerit precibus meis, vestrum supra dotes suas ornat officium.

Tandis que la sollicitude de votre couronne gouverne le siège apostolique et que vous tenez en main le sceptre du royaume du ciel, mes parents se flattent de profiter de ce que vous êtes fidèle à ce qui fut promis en reconnaissance de mes services. On peut espérer sans ombre de crainte lorsqu’on a fidèlement servi un homme ferme dans ses résolutions. C’est donner un grand éclat à sa munificence que d’attribuer à plusieurs la récompense qu’un seul a méritée. On agit comme Dieu lui-même lorsque l’on fait bénéficier toute une famille de ce qu’a fait une seule personne, Ainsi le peuple d’Israël échappa, à cause de David, au châtiment que méritaient ses prévarications; la nation dut son salut à la sainteté de ce roi disparu et la fidélité d’un seul homme suffit ou bien à tirer le peuple de l’erreur, ou bien à lui faire trouver grâce. C’est dans cette confiance que Parthénius, fils de ma soeur et porteur des présentes, a été adressé à votre couronne. Il est obligé d’aller à Rome étudier les arts libéraux. C’est une sainte chose que les études littéraires : on y apprend à fuir les vices avant d’en faire la pernicieuse expérience. Par elles pénètrent jusques au coeur de l’enfant les sages conseils des vieillards, car ce que leur âge leur refuse ils le trouvent dans les leçons. Veuillez donc le protéger : en apprenant quelle est sa parenté, vous savez pourquoi il vient. Vous l’avez comme un otage et l’on verra clairement à la façon dont vous le traiterez, ce que valent mes mérites vis-à-vis de votre personne. En vous rendant, Seigneur, comme par le passé, l’hommage de mes salutations et de mon respectueux dévouement je vous prie d’accueillir si favorablement votre serviteur, porteur des présentes, qu’il ait lieu de se féliciter d’être appelé votre hôte. D’ailleurs ce que vous accorderez à mes prières sera un nouveau lustre ajouté à votre glorieux pontificat.

EPISTULA XI.

ENNODIUS LUMINOSO.

LETTRE XI.

ENNODIUS A LUMINOSUS.

Il lui recommande le porteur, son neveu, le jeune Parthénius, qui se rend à Rome pour y étudier.

Videor apud quos plurimis asserendus est, quem instituti liberalis cura sollicitat: vos patronos meruit causa communis. Non ignari peregrinos suscipitis, nec erudiendos animatis: expertis manus necessitatibus frequenter adhibetur, dum ad eloquentiæ palmam feriato ore eos qui titubant invitatis. Exemplis hortatur ex peregrino potens, ex insipiente perfectus. Utraque Partenio germanæ meæ filio, pars convenit: cui ad venerabiles disciplinas Romam petenti, pro ferratis calcaribus sufficit vos videre. Si ab humanitate non discrepat, sublimitatem tuam gerens ante oculos, rebus ad virtutem potius quam monitis excitatur. Magistra laboris est laudis ambitio, præcipue quando in illo exuberat, quem similis retineas fuisse fortunæ. Sed si vobis cordi sum, circa memoratum patrem reddite, ut amor mutuus de vicaria impensione gratuletur: ut quidquid in magnitudine tua dudum laboris exhibui, mihi per alterum reformetur.

Domine, ut supra, salutationis obsequia dependens, satis esse ad commendationem credidi, si qui esset portitor non lateret. Precum prolixitate utitur de impetratione diffidens: argumentum est nil merentis, diu rogare. Facessat a moribus tuis, ut perdas beneficiorum genium, dum longa supplicatione producitur de effectu celeri sublevandus.

Je verrai s’il est besoin de longs discours pour vous recommander un jeune homme que sollicite l’étude des arts libéraux: vous êtes tout désigné pour prendre en main la cause du public. Vous savez ce que c’est de recevoir les étrangers et d’encourager ceux qui viennent s’instruire; et parce que vous avez fait vous même l’expérience du besoin qu’ils ont d’être encouragés, vous vous plaisez à leur tendre la main, à diriger leurs pas mal assurés, à leur prodiguer vos sages conseils, à leur inspirer le goût de l’éloquence. L’exemple est la plus efficace des leçons; l’étranger la prend auprès des personnages puissants, le débutant auprès de ceux qui touchent à la perfection de l’art. Cette double qualité (d’étranger et de débutant) convient au fils de ma soeur Parthénius. Il vient à Rome étudier et pour se sentir éperonné il lui suffira de vous voit’. S’il est homme comme tout le monde, à la vue de votre sublimité il se sentira porté à la vertu par vos exemples plus encore que par vos avis. Rien n’excite au labeur comme d’ambitionner des louanges, surtout lorsqu’on en voit comblé quelqu’un que l’on sait avoir été de même condition que nous. Donc, si je vous tiens au coeur, que ce jeune homme retrouve auprès de vous son père; notre commune amitié s’en réjouira et je me considèrerai comme payé en sa personne de tout le travail que je dépensai autrefois pour l’éducation de votre Grandeur.

En vous adressant l’hommage ordinaire de mes salutations j’ai pensé, Monseigneur, qu’il suffisait, pour vous recommander le porteur, de vous faire connaître qui il est. On use de longues prières lorsqu’on craint de ne pas obtenir. Celui qui n’a aucun titre à être écouté prolonge sa demande. Ce serait faire injure à votre caractère et amoindrir le renom de votre libéralité que de vous exposer en de longues requêtes des besoins auxquels vous êtes prêt à subvenir sans retard.

EPISTULA XII.

ENNODIUS FAUSTO JUNIORI.

LETTRE XII.

ENNODIUS A FAUSTUS JUNIOR.

Le surnom de Junior est donné à Faustus qui fut consul en 490, pour le distinguer du Faustus qui fut consul sans collègue en 483. Dans les fastes consulaires, ce surnom vise non l’âge de celui auquel il est donné, niais l’époque de son consulat plus récent. Ennodius recommande à Faustus, le porteur, son neveu Parthénius, qui t’a étudier à Rome.

Deo gratias præfatus, qui oculorum meorum quas inexplicabilis dolor pepererat nubes abstersit: jure ad ipsum beneficia sua referens, qui lumen dedit et reddidit. Vix enim post innumeros dies sanitatis fiducia animante respiro. Et hoc ad sententiam culminis vestri prolixiorem respicit, ut quem genius suus de vicinitate deseruit, nil videret: sed potens est ille qui corporis tollit nebulas, rerum serenitate mutare tristitiam. Post elocutionem necessitatis, ad negotium redeo quod coactum impetravit alloquium. Amabitis, ut spero, bajulum quem asserit causa veniendi. Partenius, sororis meæ filius, per liberalis studii disciplinas ingenuus vult videri: optat, ni fallor, peculii vestri habere testimonium. Magnitudo igitur vestra præteritorum tenax, memor præsentium, prudens futuri, perlatorem pro mea commendatione suscipiat: et qui erit per visionem vestram scribente felicior, peregrinationis non patiatur adversa sentire.

Domine mi, debitum servitium reddens precor ut vel per hanc occasionem qua illinc Partenius susceptas poterit paginas destinare, desiderati multiplicetur forma colloquii.

Je commence par rendre grâces à Dieu d’avoir dissipé les brouillards qu’une douleur inexplicable avait répandus sur mes yeux. C’est justice de reconnaître ses bienfaits, car c’est lui qui m’avait donné la vue et me l’a rendue. Après de si longs jours de souffrance, c’est à peine si je crois à ma guérison et si je respire. Or tout cela concorde avec l’absence prolongée de votre éminence : n’était-il pas naturel, lorsque mon Génie m’avait abandonné, de n’y plus voir? Mais il est en la puissance de celui qui ôta les voiles de mes yeux corporels. de faire succéder la sérénité à la tristesse. Après ces nouvelles de ma personne, je reviens à l’affaire qui m’oblige de vous écrire. Vous aimerez, je l’espère, le porteur; le motif qui l’amène à Rome vous le fera connaître. Parthénius, fils de ma soeur, aspire à se montrer, par les études libérales, digne de sa noble origine : il désire, si je ne me trompe, obtenir le témoignage de votre savoir. Donc que votre Grandeur fidèle au passé, attentive au présent, l’oeil ouvert sur l’avenir, reçoive le porteur sur ma recommandation et que, par vos soins, au bonheur de vous voir que je lui envie, s’ajoute pour lui l’avantage d’ignorer les rigueurs de l’exil.

Mon cher Seigneur, en vous rendant les devoirs que je vous dois, je vous prie de profiter au moins de la commodité qu’aura Parthénius de nous expédier de là-bas les lettres qu’on lui remettra, pour me faire jouir souvent de vos chers entretiens.

EPISTULA XIII.

ENNODIUS HORMISDÆ.

LETTRE XIII.

ENNODIUS Â IIORMISDAS.

Il réclame les chameaux prêtés au pape durant les affaires du schisme.

Scimus religiosi sacramenta propositi ab obnoxia peccatis multitudine, innocentia et fide separari, et titulos venerabilis officii mores potius insignire quam corpora. Quis bonum conscientiæ inter homines quærat, si mundi adhibenda est circa pontificum statuta necessitas, si sacerdotum promissio circumspecta cautione servabitur? nunquam habuit in affectu constantiam, cui facere aliud de pollicitatione non licuit. Sæculi conversatio legum metu retinetur: Dei famulos quod bonum est exhibere convenit non formidini, sed amori. Dudum dum nobis metus instaret, et de clementia pii regis dubio meritorum æstimatione penderemus incerto, camelos tot dandos domno papæ tali reverentiæ vestræ conditione tradidimus, ut si nobis animalia ipsa non essent necessaria, justum pro ipsis pretium mitteretur, et quia novit optime sanctitas vestra, nos, dum potuimus, per allegationem tuam utilitates sanctæ Romanæ Ecclesiæ sublevasse, nunc pro vicissitudine facite de veritate beneficium. Quæsumus etiam, salutatione præfata, ut quid super hac parte deliberatio vestra habeat, indicetis: quia credimus nec præfatum sedis apostolicæ præsulem, nec vos qui mediatores existitis, aliud cogitare, nisi quod et proposito et justitiæ sine dubitatione conveniat.

Nous savons que l’innocence et la bonne foi tiennent à l’écart de la multitude adonnée aux vices ceux qui ont embrassé les saintes austérités de la vie religieuse, et que les titres attachés à un emploi sacré doivent être l’ornement des moeurs plutôt qu’un vain décor de la personne. Qui donc demandera aux hommes d’agir en conscience, s’il faut appliquer aux conventions consenties par les pontifes, les rigueurs juridiques en usage dans le monde, si les engagements pris par les prêtres ne sont tenus que parce qu’ils sont appuyés d’une caution? On ne peut dire de quelqu’un qu’il eut jamais une volonté fermement arrêtée, dès lors qu’il ne lui fut pas loisible de faire autrement qu’il n’avait promis. Dans le commerce d u siècle on est tenu par la crainte des lois; les serviteurs de Dieu doivent se porter au bien non par crainte mais par amour. Il y a quelques temps, alors que nous étions sous le coup d’une vive anxiété, incertains de la clémence de notre pieux roi et d u jugement qu’il porterait sur les accusations dont le pape était chargé, j’abandonnai à Votre Révérence mes nombreux chameaux pour être donnés au Seigneur Pape, avec cette condition que, si les animaux mêmes n’étaient pas nécessaires (et qu’il y eut lieu de les aliéner), il me serait rendu à leur place un juste prix. D’ailleurs Votre Sainteté sait fort bien que, selon notre pouvoir, nous avons, à votre demande, subvenu aux nécessités de la sainte Eglise romaine. En retour, rendez-moi maintenant le service de rappeler au Pape la vérité sur cette affaire. Je vous demande aussi, après vous avoir salué, de me faire connaître le résultat de vos délibérations. J’ai la confiance, en effet, que ni le Pontife du Siège apostolique, ni vous, qui remplissez l’office d’intermédiaire, ne méditez rien que de conforme à nos conventions et à la justice.

EPISTULA XIV.

ENNODIUS SERVILIONI.

LETTRE XIV.

ENNODIUS A SERVILION.

Servilion avait servi de maître à Ennodius dans les sciences sacrées; son élève l’invite à le venir voir.

De perfectione confidunt discipuli, quotiens magistrorum præsentiam præstolantur: spes eruditionis manifesta est, ut fruatur genio suo, invitare doctorem: clara sunt ingenia, quæ instruentum agitantur desideriis: monitorem requirunt, qui felici sorte didicerunt. Sic ergo sanctitatis tuæ affectione possessus, quanquam me de peritia jactare non audeam, vultum tamen præceptoris exspecto: ne degeneri te credas ecclesiasticum germen filio commisisse: quia quamvis memoria mea ad centenos se non valeat fructus extollere; scit tamen semina multiplicata redhibere cultori. Veni ergo, ut coram positus segetem tuam boni agricolæ vice respicias. Deus procul avertat invidiam. Ita vomeribus tuis ecclesiasticæ fecunditatis planta convaluit, ut nulla sævientis procellæ possit impulsione subverti. Nolo præjudicio laudi sanctitatis tuæ gravare conscientiam: inspicies quæ litterarum testimonio declarantur. Superest, salutatione prælata, ut ad gaudia tua jam properes: quia divina beneficia gradibus semper accedunt, et quibus bona conferunt, meliora pollicentur.

Les disciples qui désirent la présence de leurs maîtres, témoignent par là qu’ils ont conscience d’avoir profité de leurs leçons ; c’est montrer clairement que l’on se croit instruit que d’inviter un docteur à venir jouir des fruits de son talent. Il n’y a que des esprits éclairés qui soient poussés du désir de posséder ceux qui les instruisent. Pour rechercher son professeur il faut avoir étudié avec succès. C’est ainsi que moi-même, animé de l’amour de votre sainteté, bien que je n’aie pas l’audace de me vanter d’être savant, je désire jouir de la présence de mon maître, afin que vous ne pensiez pas avoir confié à un fils dégénéré le germe des sciences ecclésiastiques. Ma mémoire, il est vrai, ne se prête pas à produire au centuple, mais elle sait pourtant rendre à celui qui la cultive ses semences multipliées. Venez donc assister en personne, comme un bon agriculteur, à la récolte de votre moisson. Que Dieu nous préserve de l’envie. Sous l’action de votre culture cette plante ecclésiastique a poussé de telles racines qu’elle peut défier les coups des plus violentes tempêtes. Je ne veux point par des éloges anticipés influencer le sentiment de votre sainteté; vous vous rendrez compte par vous-même de ce que je vous écris. Après vous avoir salué, il me reste à vous presser de venir jouir de votre bonheur, car les bienfaits divins nous viennent toujours par degrés et les faveurs qui nous sont accordées nous en font espérer de meilleures.

EPISTULA XV.

ENNODIUS SENARIO.

LETTRE XV.

ENNODIUS A SÉNARIUS.

Sénarius est revenu d’une lointaine légation; Ennodius salue son heureux retour.

Nunquam apud Deum fusa deprecatio votivo nudatur effectu, apud quem hilaritas lacrymis obtinetur, et mœror transit in lætitiam adfuit divinitatis auxilium desideriis meis, et te, animæ meæ major portio, de prolixis gentium finibus gratia duce revocavit. Vere non possum epistolam in multa verba diffundere, impeditus fletibus, quos gaudia in cumulum adducta pepererunt. Fac, mi domine, parvitati meæ cœlestis doni plenitudinem non perire. Unum uterque habeamus hospitium: nec de parietum angustia sollicitudo generetur; quando unum pectus sufficiens animabus nostris præstat habitaculum.

Jamais Dieu ne laisse sans effet une prière ardente; auprès de lui les larmes nous préparent la jubilation, et le chagrin se change en allégresse.

Dieu vous a protégé selon mes désirs, vous la majeure partie de mon âme, et sa miséricorde vous a ramené de ces contrées lointaines. En vérité je ne puis vous écrire longuement; les larmes m’en empêchent; larmes par où s’épanche l’excès de ma joie. Ne me faites rien perdre, cher Seigneur, de la plénitude de ce don céleste. habitons l’un et l’autre sous le même toit et ne craignez pas que nos appartements se trouvent exigus alors qu’un même coeur suffit à nos deux âmes.

EPISTULA XVI.

ENNODIUS PAMFRONIO.

LETTRE XVI.

ENNODIUS A PAMFRONIUS.

Tandis que Sénarius revient heureusement d’un long voyage (v, 14), Pamfronius entre au Palais où il obtient une charge importante qu’Ennodius avait sollicitée pour lui (iv, 16).

Magna sunt gaudiorum imperia: expers est continentiæ hilaritas, et in vocem gestit erumpere. Venit optatis desideriis dies, et ille quem nunquam de meritis meis, sed semper de superna pietate postulavi, magnitudini tuæ splendor accessit: redditus est generi et moribus tuis apex, per quem conscientiæ fidelis in lucem prodire non formidet integritas. Deus bone, indulta custodi: auge successibus quod dedisti: fac circa servum tuum primum esse gradum, qui summus est. Præcipio spe futura, quæ deprecor: nesciunt in foribus hærere, quæ cœlo auctore tribuuntur. Semper incrementis ad culmen ascenditur, ubi supernus favor præstat exordium. Quis hoc in vita hominum vel eorum qui conversationem suam nulla custodiunt nube sordentem, accessisse sibi die una gratuletur; te honorum auspicia ingressum, et dulce meum Senarium ab ultimis terrarum partibus restitutum? Brevis horarum cursus interfuit, ut et tu palatio natus, et ille sit redditus. In veritate dico, et de Dei misericordia mihi securus spondeo, fragilitati meæ præsidia cœlo obsequente concedi. Spondetur mihi, quod vobis est præstitum. Domine mi, salutationis obsequia suscipiens, rogo ut si quid amori meo tribuis, dominum animæ meæ Senarium, ut apud me maneat, exorare pleniter non omittas. Quod nisi obtinueris, multum mihi de hilaritatis cumulo decerpsisti.

Lorsque la joie commande, on ne peut lui résister : la jubilation ne sait point se contenir et n’a pas de repos qu’elle ne se manifeste par la parole. Il est enfin venu ce jour si ardemment désiré, ce jour que mes prières appelaient non en vertu de mes mérites mais uniquement en implorant la divine bonté, ce jour où votre Grandeur est entrée aux honneurs. En ce jour votre sang et votre vertu retrouvent dans ce poste élevé le moyen de produire sans crainte en pleine lumière l’intégrité d’une conscience droite. Dieu bon, gardez-nous ce que vous avez accordé, ajoutez-y de nouveaux accroissements: faites en faveur de votre serviteur que ce degré si élevé ne soit pour lui que le premier. J’ai le ferme espoir que ce que je demande arrivera : les faveurs qui nous viennent par l’intervention du ciel, ne s’arrêtent pas au seuil de la porte. On s’élève sans cesse par de nouveaux accroissements vers le sommet dès lors que la faveur céleste a ouvert la carrière. Quel homme, dans tout le cours de son existence, même parmi ceux qui savent tenir leur vie à l’abri de tout nuage, a jamais eu le bonheur de voir en un même jour, comme moi, vous, entrer aux honneurs, et mon cher Sénarius revenir des extrémités du monde? Dans le court espace de quelques heures vous êtes né au palais et Sénarius lui a été rendu. Je le dis en vérité et. assuré de la miséricorde divine, je m’en porte garant: c’est un double appui que le ciel accorde à ma faiblesse. Ce qui vous est accordé m’est garanti à moi-même. Mon cher Seigneur, en vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous pile, si j’ai quelque place dans votre coeur, d’obtenir par vos instances du Seigneur de mon âme Sénarius, qu’il prenne chez moi son logis. Vous réussirez, sinon vous amoindrirez de beaucoup le comble de ma joie.

EPISTULA XVII.

AVIENO ENNODIUS.

LETTRE XVII.

ENNODIUS A AVIÉNUS.

Aviénus pria Ennodius de vouloir bien l’avertir de ce qu’il pourrait reconnaître en lui de défectueux. Ennodius s’estime à peine capable de se corriger soi-même.

Bene magnitudo vestra, dum origini et moribus præstat obsequium, emendationem sine intervallo conjungit errori: et quod peccatum sapienter intelligit, priusquam altero denuntietur, avertit. Quis credat deliquisse in correctione velocissimum? Pene non vocandus est sectator excessuum, qui obviam manum ponit in subreptione culparum. Hæc, mi domine, ad ea quæ dignatus es scribere, gratia vestra duce respondeo. Ceterum humiliorem me proposito actuum meorum pondera reddiderunt: vix miseria remansi idoneus reformare colloquia.

Domine mi, salutationis obsequia præsentans, Deum rogo, qui culminibus vestris fructum pro hac qua humilem non spernitis, consideratione restituat.

Votre Grandeur, fidèle à ce qu’exigent d’elle et son origine et sa haute vertu, sait très bien appliquer sans le moindre délai la correction aux erreurs qu’elle peut commettre et sitôt que la sagesse lui découvre quelque faute, avant même qu’un autre en ait eu connaissance, elle s’en est détournée. Qui donc croira qu’avec un tel empressement à vous corriger, vous puissiez jamais tomber en faute On ne peut guère considérer comme susceptible de donner en quelque excès, un homme qui a constamment la main tendue en avant pour écarter les fautes. Voilà, mon cher Seigneur, ma réponse à ce que, sous l’inspiration de votre bienveillance, vous avez daigné m’écrire. Au reste la charge de mes propres actes me rend chaque jour plus humble ; je me sens une telle misère intellectuelle que c’est à peine si je me trouve capable de corriger mes écrits.

Mon cher Seigneur, tout en vous présentant l’hommage de mes salutations, je prie Dieu de payer de retour votre Eminence pour la considération dont vous ne dédaignez pas d’honorer ma bassesse.

EPISTULA XVIII.

ENNODIUS FAUSTO.

LETTRE XVIII.

ENNODIUS A FAUSTUS.

Allusion au séjour fait précédemment à Ravenne par Faustus. Ennodius se plaint amèrement du silence de son ami revenu à Rome; il est en proie à un chagrin mortel.

Vix est ut intentus rebus felicibus adversa prænoscat: velut sinistrum enim animi omen repudiat, si quid de austeritate futurorum intellectu præcedente respexerit: certe ne et alieno tempore amaræ se misceant, ipsa molestiarum horret agnitio. Nullo credebam intervallo nunc inamabilem Ravennam, dum erat thesauris meis plena, distare: non me sic sitientem fons, æstuantem aura, ut illa ad se non lassum requies invitabat. At nunc ipsa Roma puto ad longiora, pro peccatorum meorum fasce, translata est. Ubi est illa, quæ rara putabatur, frequentia litterarum? ubi crebra visio? ubi tot solatia diligentiæ? Vere pro meis partibus loquor: detestor vitam, quæ nec in ærumna constitutis est odio. Adleget forsitan culmen suum, sibi pro superna dispensatione cupita contigisse. Non est plena felicitas, quando nostrorum aliquis miseriis duræ sequestrationis affligitur. Deo credite, non sunt fucata quæ defleo; nec ad explicandam cordis tragœdiam, aut epistolaris concinnatio sufficit, aut sermonis angustia. Christe, rerum arbiter, propriæ succurre necessitati; ne humana fragilitas, ad immensi fascem doloris non sufficiens, pressa succumbat. Domine mi, salutationis servitia dependens, rogo, ut paginalis circa me cura servetur: ut vel hoc remedio inter æstus mens constituta respiret.

Il est fort difficile qu’au sein de la félicité nous ayons la prévision de malheurs futurs ; nous repoussons en effet comme sinistre présage tout ce que notre esprit prévoyant pourrait nous découvrir des rigueurs que nous réserve l’avenir. Ainsi, de crainte que la tristesse ne vienne intempestive mêler son amertume à nos joies, nous avons horreur même de connaître les ennuis qui nous sont réservés.

Cette Ravenne que maintenant je trouve si désagréable, me paraissait toute proche tandis qu’elle était remplie de mes trésors : jamais dans ma soif un fontaine, jamais au fort de la chaleur une fraîche brise ne m’ont parues aussi désirables. Mais maintenant je crois que Rome même, à cause de la multitude de mes péchés, a été transportée en des pays lointains. Où est ce temps où vous m’honoriez de fréquentes lettres qui me paraissaient pourtant bien rares, où nous nous visitions constamment, où vous me prodiguiez les consolations de l’amitié? En vérité, je plaide ici pour moi-même: j’exècre la vie qui n’inspire que du dégoût même à ceux que n’afflige pas l’adversité. Votre Eminence allèguera peut-être que par la faveur d’en haut ses désirs ont été comblés : non, ce n’est pas une félicité parfaite dès lors que l’un des vôtres souffre les rigueurs d’un pénible isolement. J’en atteste Dieu, l’objet de ma désolation n’est point imaginaire et si je voulais dépeindre les angoisses de mon coeur, ni le cadre étroit d’une lettre, ni la brièveté de mon discours n’y pourraient suffire. O Christ, maître du monde, viens à mon aide en cette nécessité, afin que la faiblesse humaine impuissante à porter le poids immense de douleur qui m’accable, ne succombe pas tout à fait! Cher Seigneur, tout en vous priant d’agréer l’hommage de mes salutations, je vous demande de me continuer la faveur de vos lettres, afin qu’au moins ce remède procure à mon âme, au milieu des ardeurs qui la dévorent, un peu de soulagement.

EPISTULA XIX.

PARTENIO ENNODIUS.

LETTRE XIX.

ENNODIUS A. PARTHÉNIUS.

Parthénius envoyé à Rome pour y étudier, n’écrit pas. Ennodius lui en fait le reproche.

Non in te admiror sermonis abstinentiam: quia qui exigua condiderit, nil producit. Credis sub hac occasione profectus tui latere substantiam? et taciturnitatis imperitiam prodit, et infabricata confabulatio manifestat infantiam. Interea ante inops gratiæ non fuisti, sciens quid diligentia, quid amantis sollicitudo flagitaret: factus es bonarum rerum nescius, postquam te ad obtinenda quæ putantur maxima, transmisimus. Quod restat, vale, et accipiens monitoris verba, melioratum te scriptionis assiduitate divulga.

Je ne m’étonne pas de votre silence, car lorsqu’on n’a recueilli que de minces provisions, l’on n’a rien à dépenser. Croyez-vous, par ce moyen, cacher ce qu’il en est de vos progrès? Le silence trahit le manque de talent comme un style informe indique que l’on ignore l’art de parler. Autrefois, cependant, vous saviez témoigner de la reconnaissance; vous n’ignoriez ni les exigences de l’affection, ni ce qui est dû à la sollicitude d’un ami. Mais vous paraissez avoir oublié toutes ces bonnes choses depuis que nous vous avons envoyé à la recherche de ce qui est réputé le plus estimable. Allons, adieu. et après avoir reçu ces bons avis, écrivez-nous assidûment pour nous fournir les preuves de vos progrès.

EPISTULA XX.

AVITO ENNODIUS.

LETTRE XX.

ENNODIUS A AVITUS.

Un certain Boniface avait son frère captif dans les environs d’Aquilée, où résidait Avitus. Il sollicita d’Ennodius une recommandation auprès de ce dernier dans l’espoir d’obtenir quelques secours. Grande charité de l’aristocratie chrétienne en ces temps calamiteux.

Dum remedia sua quærit affectio, et æstum sollicitudinis colloquio cupit mediante relevari, ardescit animus provisionis beneficio: unde exstingui creditur, geminatum diligentiæ surgit incendium. Sæpe mihi bajulorum copiam perquirenti inde ægrescere contigit, unde opinabar quod prodesset accidere. Ecce medetur desideriis meis, qui suorum ad vos causa properavit: fit adjumentum necessitatis alienæ, quod propriæ consideratione suscipitur. Videro quid commendatione mea Bonifacius promoveat: interim opitulatur studiis meis, quod prolixis a me precibus impetravit. Hunc bonis ortum natalibus testis sanguinis mens designat. Germanum suum præfatus in vicinitate Aquileiensis civitatis asserit esse captivum: qui ut a vobis juvetur, exposcit. Sanctæ domus vestræ consuetudo vulgata est: talem vitam bonorum actuum obsidem jam dedistis, a qua velut debitum poscat, qui calamitate deprimitur.

Domine mi, accipientes plenæ salutationis obsequium, facite exorari, quod sponte consuevistis, ut qui vestris supplex est, alteri eum esse non liceat.

Tandis que l’affection cherche son remède et souhaite trouver dans les charmes des entretiens l’adoucissement à ses tourments, il arrive au contraire que le coeur n’en est que plus enflammé : ce qui parait l’éteindre ne fait que raviver l’incendie de l’amour. Que de fois, lorsque j’étais désireux de trouver des porteurs, il m’arriva de souffrir de ce que je pensais m’être si profitable

Il satisfait donc à mes désirs, celui qui recourt à vous pour la cause des siens : ces démarches entreprises en vue d’un intérêt tout personnel, vont subvenir aux nécessités d’autrui. Je verrai ce que, sur ma recommandation, obtiendra Boniface : en tout cas ce qu’à force de prières il a obtenu de moi concorde trop bien avec mes désirs. Il tire son origine de bonne famille, comme l’atteste la distinction de sou esprit. Donc ce Boniface affirme que son frère est retenu captif, dans le voisinage d’Aquilée et il demande que vous lui veniez en aide. Tout le monde sait la coutume de votre maison. Votre vie de bonnes oeuvres est un gage donné aux malheureux; aux yeux de quiconque vous tend la main, vos aumônes sont comme une dette.

Mon cher seigneur, agréez l’hommage le plus humble de mes salutations et daignez accorder à ma prière ce que vous avez coutume de faire spontanément, de telle sorte que celui qui vous présente cette supplique, n’ait pas ù:recourir ailleurs.

EPISTULA XXI.

AVITO ENNODIUS.

LETTRE XXI.

ENNODIUS A AVITUS.

Avitus va quitter Aquilée pour aller à Milan remplir une charge très importante de juge (v. 25). Il a écrit à Ennodius pour le prier de disposer l’opinion en sa faveur.

Adstipulatorem me opinionis suæ magnitudo vestra ita supplicatione postulat, quasi ad amicitias recenti adhuc sim incude formatus: aut non genio suo defraudet, qui propositum diligentiæ sub quacunque occasione commutat. Facessat a Christianis moribus varia de amante sententia: qui officium oris sui dedicaverit laudibus, liberum non habet inchoata deserere, ne devenustet præfati mella præconii vilitate sequentium. Videro qui ingenium credat esse sectari novitatem; ego ut tarde amicos eligo, ita in his indemutabiliter persevero. Mihi adsum, quotiens opinionem vestram astris æquavero: quia apud quos ignoti sumus moribus nostris, de sodalibus æstimamur. Vere fateor splendorem conscientiæ vestræ, famæ vice, copiosius effudi. Ante adventum culminis tui, obsequio sermonis mei in Liguria, quanti essetis, innotuit. Deo gratias, qui cum sententia mea generalitatem fecit habere concordiam. Utinam me non humiliaret paupertas eloquii! Plus habent vota de meritis tuis, quam proferat lingua de laudibus: inops facundiæ per quoscunque strepitus quæ gloriæ tuæ potuerunt convenire, non tacui. Facta est lux genii vestri conscientiæ meæ demonstratio. Procul avertat divinitas, ne unquam testimonio meo fragilitas claris moribus inimica subripiat. Nulla est, quam opime texuistis, in vobis erroris causa quam recolam: et si pro meritis meis exstitisset, bonorum veterum recordatione sopiretur.

Quod restat, valete, mi domine, et iter meum votorum benignitate prosecuti, caritatis recordatione absentiæ meæ damna pensate.

Votre Grandeur me supplie de me porter son garant et de disposer en sa faveur l’opinion publique comme si j’étais novice en amitié ; si ce n’était pas se faire tort à soi-même que de varier dans ses affections à toute occasion. Les moeurs chrétiennes ne sauraient admettre que l’on change d’avis au sujet d’un ami : lorsque l’on a une fois donné des louanges l’on n’est plus libre de ne pas y persévérer, si l’on ne veut empester le miel de ces précédents éloges en se laissant entraîner aux bassesses du dénigrement. J’en vois qui pensent se donner de la distinction en changeant fréquemment; pour moi, de même que je suis lent à choisir mes amis, de même je leur garde une immuable fidélité.

Au reste c’est à mon propre avantage que je porterai jusques aux nues votre réputation; auprès de ceux qui ne nous connaissent pas, c’est au prix de nos amis que nous sommes estimés. Je l’avoue donc, j’ai répandu largement la renommée de votre intégrité; avant l’arrivée de votre Grandeur ma parole — a fait connaître à la Ligurie votre mérite. Grâces à Dieu qui a mis le public d’accord avec moi sur ce point. Pourquoi faut-il que je rougisse d’être si pauvre en éloquence! Vos mérites sont de beaucoup supérieurs à tous les éloges que ma langue pourrait en faire. Dans mon indigence oratoire tout ce que j’ai jugé propre à relever votre gloire, je l’ai tenté. L’éclat de votre génie a démontré ma parfaite bonne foi. Dieu me garde à jamais de couvrir de mon témoignage la fragilité ennemie des grandes vertus. La trame de votre passé fut si sagement ourdie que je n’y trouve aucune cause d’erreur à relever et s’il s’en fut rencontré quelqu’une, le souvenir de tout ce que vous avez fait de bien la couvrirait du voile de l’oubli.

Au reste, mon cher Seigneur, portez-vous bien, et tandis que nos voeux vous accompagnent le long de la route qui vous amène près de nous, que le souvenir de mon affection vous soit une compensation à mon absence.

EPISTULA XXII.

VENANTIO ENNODIUS.

LETTRE XXII.

ENNODIUS A VENANTIUS.

Il invite ce parent à un fréquent commerce épistolaire.

Si proximitas sanguinis ad diligentiam mentes invitat, pii amoris obsecutus imperiis, gestio me prævium præstitisse sermonem, et orditum paginas amplectendis viam reserasse colloquiis. Diu quidem cassa exspectatione maceratus, dum operior paginas, non emisi. Sed calcaribus suis animum meum fodit affectio, et ad tabellarum munia priorem fecit accedere. Habeo prærogativam, si bene conjicio, plus amantis: qui et post productum silentii vestri studium loquor, et debeo verecundia commendare quod tacui.

Nunc tamen, ne epistolaris concinnatio transgressa terminum devenustet auctorem, salutationis servitia deponendo, etsi mereor, dignationi vestræ conciliandus occurro: quia potiorum sublimitas communione geminatur, et facem præfert eminentissimo gratia concessa subjectis.

Les liens du sang invitent à s’aimer; je cède volontiers à ce doux empire de l’affection et je suis heureux de prendre le premier la parole, de vous écrire le premier et ainsi d’ouvrir la voie à un agréable commerce épistolaire. Longtemps j’ai vainement attendu vos lettres, me renfermant dans un pénible silence, mais mon esprit n’a pu résister davantage à l’aiguillon de l’affection et j’ai dû prendre l’initiative de vous écrire. A moi donc, si je ne me trompe, appartient le mérite d’aimer le plus, puisque après un silence si obstiné de votre part, le premier je vous adresse la parole et si moi-même je me suis tu, ce n’est qu’à mon extrême modestie qu’il le faut attribuer.

Et maintenant, de crainte que ma lettre ne dépasse une juste mesure et ne fasse tort à son auteur, je m’acquitte du devoir de vous saluer et si vous ne m’en jugez pas indigne, je viens m’attacher à vous, car la sublimité des grands se communique à ceux qu’ils admettent dans leur intimité et, d’autre part, la faveur faite aux inférieurs relève celui qui l’accorde du haut de sa grandeur.

EPISTULA XXIII.

CONSTANTIO ENNODIUS.

LETTRE XXIII.

ENNODIUS A CONSTANTIUS.

Constantius est Rome, sans doute dans quelque charge, ou pour plaider quelque grosse affaire qui exige un séjour prolongé. Il n’écrit plus ; Ennodius s’en plaint et lui demande de prier pour lui au tombeau des Saints Apôtres.

Si liceret cum magnitudine vestra æqua sorte contendi; si honores, ætas, meritum quod vobis facem prætulit, nos non in umbram cogeret, ego potius culmen vestrum de tabellarum abstinentia jure culparem; qui postquam ad urbem Roman profecti estis, nulla me recordationis fruge sublevastis. Sed vide, per rerum providentiam quam cauta est seniorum dispensatio, et fabricatis plena sermonibus: prævenitur querelis innocentia: et ne dolorem suum in lucem producat, arguitur: fit rea, ne faciat. Ergo hæc mihi digrediens promissa contuleras? hæc deosculatum fiducia sublevasti, ut crederem mei immemores vos futuros? An ad aliud attributæ sunt paginæ, nisi ut secreta pectorum oris clave manifestent? Sed abstineo prolixitate paginali, ne grandiorem generet confabulatio producta rancorem. Ad salutationis obsequia me reduco, rogans ut pro me apud apostolos Dei preces effundas, ut corum beneficiis mortalis angustiæ superetur obscenitas, et de puro mandatorum cœlestium tramite mens serena gratuletur.

S’il était permis d’entrer avec vous en discussion sur Le même pied, si les honneurs, l’âge, le mérite dont vous êtes décoré ne nous plongeaient clans l’ombre, j’aurais mille raison d’adresser à votre Eminence le reproche de ne plus écrire depuis votre départ pour Rome vous ne m’avez pas fait le plaisir du moindre mot de souvenir. Mais voyez donc comme en ordonnant toute chose, la Providence a doté la vieillesse de prudence et l’a munie des artifices du langage on cherche querelle à l’innocence et pour l’empêcher de faire entendre ses plaintes et de manifester sa douleur, on l’accuse elle-même pour qu’elle n’accuse pas. C’était donc là ce que vous m’aviez promis à votre départ? Cette belle confiance que m’inspiraient vos embrassements ne devait donc aboutir qu’à me faire croire que vous m’oublieriez? Les lettres ont-elles un autre but que de manifester par la parole les secrets des coeurs? Mais je m’abstiens de prolonger ma lettre pour éviter de devenir trop fastidieux. Je reviens aux devoirs de mes salutations, et je vous demande de prier pour moi au tombeau des Apôtres de Dieu, afin que par leur bienfait, je puisse remonter la pente qui porte au mal notre pauvre nature mortelle et me réjouir de marcher dans le pur sentier des célestes commandements.

EPISTULA XXIV.

LACONIO ENNODIUS.

LETTRE XXIV.

ENNODIUS A LACONIUS.

Cause matrimoniale : une nièce d’Ennodius est demandée en mariage, en Bourgogne, par un de ses parents à un degré éloigné. Instruit de ce cas et consulté par Laconius, ministre de Gondebaud, Ennodius, bien que persuadé qu’à ce degré de parenté le mariage soit licite, en réfère au pape, dont il transmettra la décision.

Bene cupitis superna dispensatio dedit effectum, et de negotiosi occasione colloquii fraternam refovens diligentiam, quod putabatur necessarium, fecit optabile. Hinc cœlestis cura nepti meæ procum non omnino a sanguine nostro peregrinantem jussit accedere: ut dum consulendi instat opportunitas, sancto amori pabula præstarentur. Vix sustinebam, fateor, procurati studia longa silentii: sed interpres mitior putabam applicandum timori quod subducebatur affectui. Deo gratias qui ad usum styli fraternitatem vestram reduxit et gratiæ. Divinis tamen legibus cognationem indiculo comprehensam in matrimonio licere sociari, sine dubitatione noveritis. Sed continuo ad urbem Roman homines meos dirigo, exacturus a venerabili papa super hac parte responsum, ut animum vestrum potioris præcepti firmet auctoritas.

Domine, ut supra, salutationem plenissimam accipientes, sanctum quoque et communem patrem parilis noveritis esse sententiæ: cujus ad vos per hominem meum, si divinus favor annuerit, cum sedis apostolicæ apicibus litteras destinabo.

La divine Providence donne satisfaction à nos légitimes désirs et voici qu’à l’occasion de rapports d’affaire, elle ravive la fraternelle amitié qui nous lie. Ainsi ce qui pourrait paraître imposé par les circonstances, se trouve répondre à nos plus vifs désirs. Donc le ciel a voulu que ma nièce fut demandée en mariage par un prétendant qui n’est pas tout à fait étranger à notre consanguinité, pour que l’obligation où vous vous trouvez de prendre conseil, fournit à notre sainte amitié un aliment. Je supportais avec peine, je l’avoue, le long silence que vous vous imposiez, mais j’avais l’indulgence de penser qu’il fallait mettre au compte de la crainte ce qu’y perdait l’affection. Grâces à Dieu d’avoir ramené votre fraternité à m’écrire, et à me témoigner sa bienveillance. Or soyez assuré que les lois divines tolèrent, dans le mariage, le degré de parenté marqué dans la table que vous m’adressez. Toutefois, je fais sans retard partir pour Rome des exprès, chargés de demander sur ce point l’avis du vénérable pape. Votre conscience sera pleinement rassurée par l’autorité de cette souveraine décision.

Recevez, mon cher Seigneur, comme précédemment, mes salutations les plus cordiales, et croyez bien que notre saint et commun Père émettra un avis conforme au mien. Si le ciel nous fait la faveur d’en recevoir une lettre, je vous l’enverrai par mon exprès, avec le rescrit du siège apostolique.

EPISTULA XXV.

AVITO ENNODIUS.

LETTRE XXV.

ENNODIUS A AVITUS.

Avitus est à Milan où il remplit apparemment une importante charge judiciaire. Ennodius lui écrit, peut-être en qualité d’avocat comme semblerait l’indiquer la citation de Virgile où le poète dépeint la mort d’Anthores qu’un trait de Mézence, lancé contre Enée, mais écarté par le bouclier du Troyen, a frappé mortellement au flanc.

Quam sæpe aliena peccata nos ingravant, et quod a nobis non oritur, jure nostro imputatur excessui! Ex me didici fidem veterum non perire, dum per negotia novella cana pœtarum reparatur annuntiatio. De me dictum æstimo: deciddit infelix alieno vulnere.[8] Super exspectandæ memoriæ viri Sabini filio exhibetur præfata concinnatio: qui hactenus ægritudinis tentus obstaculis, sine vitio suo constituta violavit. Fateor, pene animum meum reum fecerat magnitudinis vestræ dives assertio, et credebam culpam esse propriam, quam conscientia non habebat. Ecce, ut primum in bonam valetudinem reductus est, Mediolanum cum summa properatione commeavit. Coetera apud vos alleganda esse non credidi: quia qui commendat magnis viris justitiam, oblivionem videtur æquitatis opponere.

Domine mi, salutationis plenissimæ munus exhibeo: et quod superest, quæso ut status circa me gratiæ vestræ, quamvis sit plenissimus, adhuc tamen recipere cogatur augmenta.

Qu’il nous arrive souvent de porter le poids des fautes des autres et de nous voir imputé ce dont nous ne sommes en aucune manière les auteurs! J’apprends à mes dépends que les paroles des anciens sont toujours vraies et que des faits nouveaux viennent sans cesse donner de l’actualité aux citations des vieux poètes. C’est bien de moi qu’il fut dit: il tomba, le malheureux, frappé d’un trait destiné à un autre.[9] C’est du fils de Sabinus d’illustre mémoire, que je veux ici parler. Retenu par la maladie, s’il a violé les règlements c’est tout à fait malgré lui et sans qu’il y eut faute de sa part. Je l’avoue, en présence de l’impérieuse affirmation de votre Grandeur mon esprit confondu se reconnaissait presque coupable et je considérais comme personnelle cette faute que ma conscience ne pouvait me reprocher. Or à peine fut-il revenu en santé qu’il se rendit en toute diligence à Milan. Je ne crois pas nécessaire de vous en dire d’avantage, car recommander aux hommes de haute condition de garder la justice, n’est-ce pas leur faire le reproche d’oublier l’équité?

Je vous adresse, mon seigneur, l’hommage de mes très humbles salutations et, pour ce qui reste, je vous demande que votre bienveillance à mon endroit, quoique parfaite, soit néanmoins forcée de prendre encore de l’accroissement.

EPISTULA XXVI.

AGAPITO ENNODIUS.

LETTRE XXVI.

ENNODIUS A AGAPIT.

La solution d’une affaire avec un évêque, probablement celui de Milan, avait été remise à l’arbitrage d’Agapit. Au jour marqué l’évêque fit défaut, mais il acceptait un nouveau rendez-vous. il semble qu’en cette affaire Ennodius n’agisse que pour le compte de Faustus.

Resistunt peccata desideriis, et ut meritorum status delinquentibus innotescat, a labiorum proximitate cupita subtrahuntur. Acrius affligunt oblata, cum pereunt: potior sitis est, quam undarum gustus exaggerat: non urunt memoriam prima fronte negata beneficia: quis ferat ingestam oculis æquo animo se perdidisse dulcedinem? Sed recte ista ad supernam remittuntur providentiam: quæ cœlestis dispensatio mysterii idcirco humanis dispositionibus manus opponit, ut votorum præstet effectum. Sanctus pater vester libenter se pariturum jussioni magnitudinis vestræ fuerat de mea occasione pollicitus: sed animum ejus in diversam partem pro utilitate, quantum dicit, Ecclesiæ supervenientia rapuere consilia; sicut præfati pagina ad vos directa declaravit. Præstolatur tamen super negotio designato magnitudinis vestræ secunda colloquia: quo manifestius in fratris vestri Fausti patricii utilitate me esse necessarium reseretur: cujus gratiæ nihil sibi æstimat liberum derogare.

Quod restat, obsequii mei humilitate suscepta precor, ut opifex qui culmini  vestræ parvitatis meæ curam est dignatus infundere, ipse per vos sequenda disponat.

Nos péchés sont un obstacle à la réalisation de nos désirs et pour que les pécheurs reconnaissent ce qu’ils méritent, lorsqu’il leur semble tenir déjà ce qu’ils désirent ils en sont frustrés. Nous éprouvons un plus vif chagrin de voir nous échapper ce qui nous était comme offert ; le malheureux dévoré par la soif et qui ne peut qu’effleurer de ses lèvres les ondes limpides, en a ses tourments redoublés; on ne garde pas le cuisant ressentiment de refus qui furent essuyés de prime abord; mais qui supportera sans chagrin de voir s’évanouir une joie qui déjà se présentait à. ses yeux? La sagesse nous conseille de nous en rapporter pour toutes ces choses à la divine Providence. Il lui plaît, dans la mystérieuse économie des faveurs célestes, de prendre le contre-pied des dispositions humaines, mais c’est pour exaucer nos voeux.

Le saint évêque, votre Père, avait promis d’obtempérer volontiers à l’injonction de votre Grandeur d’avoir avec moi une entrevue; mais les affaires urgentes de son Eglise, à ce qu’il dit, l’ont occupé ailleurs. C’est ce qu’il déclare dans la lettre qu’il vous a adressée. Il paraît cependant disposé à accepter de nouveau, relativement à la susdite affaire, l’arbitrage de votre Grandeur. Cette conférence fera paraître au grand jour que mon concours est nécessaire pour le profit de votre frère, le Patrice Faustus, auquel l’évêque se croit obligé de ne rien refuser.

Quoiqu’il en soit, je vous prie d’agréer mes humbles hommages et je demande. au créateur des cieux, qui a daigné inspirer à votre éminence le souci de ma petitesse, de vouloir bien, par vous, mettre ordre à la suite de cette affaire.

EPISTULA XXVII.

EUGENETI ENNODIUS.

LETTRE XXVII.

ENNODIUS A EUGÈNE.

Autrefois Eugène écrivait fréquemment; maintenant il n’écrit plus: Ennodius s’en plaint affectueusement. Il désire lui être présenté.

Supra modum me sollicitant procurati studia indefessa silentii: et licet animus in statione sit positus, contristat sermonis abstinentia, quæ vivis imaginibus secretum pectoris oris clave manifestat. Patior quidem interdum caritatem sub paginarum promulgatione simulari: nunquam tamen credo his muniis abstinere qui diligunt. Referat forte magnitudo vestra publicæ occupationis curam locum scriptis familiaribus non dedisse. Sed idem status erat, cum præcedente tempore colloquia culmen vestrum crebra præstabat: nec aulicis deputatus ita premebatur excubiis, ut promissi amoris memoriam non haberet. Quis favis toxica, quis cœnum fontibus clandestinus susurrator admiscuit? aut forte quod fuerat de affectione subreptum ad judicium retulistis? Sed ego occupare vos paginarum promulgatione non differo: ut ad usum veterem, cessantibus promissæ dignationis stimulis, vel garrulitatis meæ provocati fruge redeatis.

Domine mi, salutationis obsequium plena humilitate persolvens, indico me vestris cupidum esse aspectibus præsentari; si tamen faciendum, perpensis quæ vobis cordi esse non dubito, rescribatis.

Je suis on ne peut plus affecté de ce que vous vous obstinez malgré tout à garder le silence et quoique mon esprit soit pleinement rassuré de ce côté, je ne puis sans tristesses me voir privé d’entretiens où par l’organe de la parole se manifestent en vives images les secrets du coeur. J’admets que parfois l’on simule dans les lettres de faux sentiments d’affection; mais je ne crois pas que lorsqu’on aime on se puisse passer décrire. Votre Grandeur objectera peut-être que les soucis de ses fonctions publiques ne lui laissent pas le loisir d’écrire d es lettres d’amitié. Mais la situation était la même lorsque précédemment votre éminence nous accordait de fréquents entretiens, et bien qu’elle fut attachée au Palais, sa charge ne la pressait pas au point de lui faire perdre le souvenir de l’amitié promise. Quel sycophante s’est glissé dans l’ombre pour mêler au miel le poison de ses médisances, à l’onde pure la fange de ses calomnies? Ou bien n’auriez-vous retranché quelque chose de l’affection que pour le reporter sur la justice? Mais je ne veux pas différer davantage de vous faire tenir ma lettre afin que stimulé par le souvenir de vos promesses à mon égard et pressé par mon bavardage, vous repreniez sagement l’usage d’autrefois.

Mon cher Seigneur, vous payant en toute humilité le tribut de mes salutations, je vous déclare que je suis très désireux de vous être présenté, si du moins votre réponse, conforme aux sentiments qui vous animent et dont je ne doute nullement, m’y autorise.


 

[1] Deux ans plus tard (502), dans une réponse provoquée par saint Césaire d’Arles, le pape Symmaque interdisait d’employer la brigue pour se faire élire à l’épiscopat ; de s’assurer à prix d’argent l’appui d’électeurs influents, de contraindre par des menaces ou d’amener par des promesses les clercs et les citoyens à donner leur vote. Le décret d’élection devait être rédigé en présence du Visiteur qui pourrait témoigner de l’unanimité du clergé et du peuple (Labbé. Concil. In fol. iv, col. 1295).

[2] Robe de l’avocat romain.

[3] La tunique palmée était réservée aux consuls et autres hauts dignitaires.

[4] Cf. Horace, A. p. vi, 31.

[5] Cf. Virg., En., I, 301.

[6] Nom d’un prince Troyen, fondateur de Padoue.

[7] Nom de quelque méchant poète auquel Ennodius fait également allusion dans l’envoi d’une poésie à Faustus (I. carm. vii).

[8] Virg., En., X, 781 : sternitur infelix alieno Vulmere.

[9] Virg., En., X. 781.