LES
INSTRUCTIONS
DE
COMMODIEN
INSTRUCTIONES Liber secundus DE POPVLO ABSCONSO SANCTO OMNIPOTENTIS CHRISTI DEI VIVI
Desidet (populus) absconsus ultimus sanctus, II DE SAECVLI ISTIVS FINE
Dat tuba caelo signum sublato Nerone III DE RESVRRECTIONE PRIMA
De caelo descendit ciuitas in
anastase prima. IV DE DIE IVDICII
De die iudicii propter incredulos addo : V
Credentes in Christo derelictis idolis omnes VI FIDELIBVS
Fideles admoneo, fratres de odio tollant : VII FIDELES, CAVETE MALVM
Falluntur (ut) uolucres et siluarum bestei siluis VIII PAENITENTIBVS
Paenitens es factus : noctibus diebusque precare, IX QVI APOSTATAVERVNT DEO
Quando bellum autem geritur aut
inrigat hostis, X DE INFANTIBVS
Duellum hostis subitu uenit inundans, XI
Desertores enim genere non uno dicunt(ur) : XII MILITIBUS CHRISTI
Militiae nomen cum dederis, freno tendis. XIII DE REFVGIS
Damnatorum animae merito se ipsae secernunt; XIV DE LOLII SEMINE
De semine lolii qui stant in ecclesia
mixti, XV
Dissimulas legem tanto praeconio latam, XVI SAECVLARIA IN TOTVM FVGIENDA
Si quidam doctores, dum exspectant numera uestra XVII CHRISTIANUM TALEM ESSE
Cum Dominus dicat, in gemitum edere panem, XVIII MATRONIS ECCLESIAE DEI VIVI
Matronas uis esse christianas ut saeculi duces : XIX ITEM IPSIS
Audi tu uocem, quae uis Christiana manere, XX IN ECCLESIA OMNI POPVLO DEI
lustus ego non sum, fratres, de cloaca leuatus, XXI MARTVRIVM VOLENTI
Martyrium, fili, quoniam desideras, audi. XXII BELLVM COTTIDIANVM
Belligerare cupis, stulte, quasi bella quiescunt! XXIII DE ZELO CONCVPISCENCIAE
Dum cupis, inde peris; dum ardes proximi zelo, XXIV QVI DE MALO DONANT
Quid te bonum fingis alieno uulnere, uecors? XXV DE PAGE SVBDOLA
Dispositum tempus uehit nostris pacem in orbe XXVI LECTORIBVS
Lectores moneo quosdam cognoscere tantum, XXVII MINISTRIS
Mysterium Christi, Zacones, exercite caste, XXVIII PASTORIBVS DEI
Pastor si confessus fuerit, geminauit agonem. XXIX MAIORIBVS NATIS DICO
Me solum exposcit tempus uobis dicere uerum. XXX INFIRMVM SIC VISITA
Infirmus si fuerit frater — de paupere dico — XXXI PAVPERIBVS SANIS
Pauperies sana quid ? Nisi diuitiae adsunt, XXXII FILIOS NON LVGENDOS
Filiorum casus
licet et dolum cordis relinquat, XXXIII DE POMPA FVNERIS
De funeris
pompa sollicitus esse qui quaeris, XXXIV CLERICIS
Congruet in
Pascha, die felicissimo nostro, XXXV. DE FABVLOSIS ET SILENTIO
Dura leue uidetur cuicumque neque uitatur, XXXVI EBRIOSIS
Ebrioso modum non probo : sed belua maior XXXVII
Pascere qui quaeris et quod potuisti parasti, XXXVIII ORANTI
Orantem si cupias te exaudiri de caelo, XXXIX NOMEN GASEI (?)
Incolae caelorum futuri cum Deo Christo |
INSTRUCTIONSLivre secondILE SAINT PEUPLE CACHÉ DU TOUT-PUISSANT CHRIST, DIEU VIVANT
Il attend, le saint peuple caché des
derniers jours
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LIVRE II I v. 6. Nouellae. — Nouellus a perdu, dans la latinité du iiie siècle, son sens de diminutif. Il n'est plus qu'un synonyme de nouus. Cf. Pontius (Vita Cypriani 5) « ad officium sacerdotii et episcopatus gradum adhuc neophytus, et, ut putatur, nouellus electus... ». Arnobe (i, 3) « Nam si nouella sunt haec mala... qui potuit fieri ut...? » v. 14. Nec rueret ad manus. — Cette expression énergique et pittoresque semble propre à notre auteur. Dombart, forl ingénieusement rapproche un ad manum accedere de Cicéron (ad Att., Il, i, 7). (Cf. Commodiani carmina, p. 59, in notis). v. 15 sq. — Vt mysteria Christi... conpleatur. Si la leçon est exacte, il nous faut voir dans ce sujet pluriel neutre d'un verbe au singulier un emprunt à l'hellénisme. v. 27. Pausantes. — Pausare = quiescere appartient à la basse latinité. Ce mot de formation populaire (pausa) se retrouve cependant chez Plaute. Peut-être l'usage en fut-il, au début. plus spécialement africain; car nous le trouvons chez Arnobe (5, 7), lequel se pique de classicisme « Altis) sauciat pectus pausatae circum arboris robust ». Marius Victorinus Afer (de Verbis scripturae : Factum est...). V. h. VIII, col. 1012, c. 5 : « Non ergo (sol et luna) pausauerunt cum lotum cyclum cucurrerunt : aut doce scriptum esse et ego conquiesco ». v. 29. Partibus istis. — Partes avec le sens de regio exige toujours, dans la langue classique, un complément déterminatif ex : ad orientis partes, etc. L'emploi absolu du mot dans ce sens est propre à la latinité de basse époque. Noter enfin que Commodien, poussant plus loin la licence, emploie pars au singulier avec le même sens de regio (cf. ibidem, v. 38 in partem Boreae refugit). v. 31. Nec minus et... -- Nec minus = nec non. Quant à la locution pléonastique nec non et, nec minus et, elle est d'emploi courant dans la latinité africaine. On la trouve une seule fois chez Virgile (Enéide, i, 707). - Cf. Arnobe, 4, 35 : « sedent augures interpretes diuinae mentis et uoluntatis nec non et castae uirgines » et passim. v. 33. In quorum itinere. - Ce in au sens de de (?) est peut-être une nécessité de l'acrostiche. v. 36.Matre... capta. — Sans nous dissimuler quelles difficultés soulève cette leçon, nous la conservons parce qu'elle est celle de tous les manuscrits. Ce matre capta ablatif absolu suppose un complément sous entendu à defendere. v. 37. Obtinet. — Obtinere absolu au sens de « prévaloir, dominer », est un hellénisme classique. v. 45. Refrigerent. — Refrigerare, actif, neutre et passif, exprime, dans la latinité chrétienne, l'idée mystique de la joie rafraîchissante de l'âme, la paix intérieure, récompense du chrétien. Cf. Passio Perpetuae , 5, 1 : «Iussit... ut fratribus eius et coeteris facilitas fieret introeundi et refrigerandi cum eis » et passim. Le substantif refrigerium exprime, dans la langue symbolique, la même idée. Cf. Cumont, Les Religions orientales dans le paganisme romain, p. 124. « ... A Rome même, les fidèles des dieux alexandrins inscrivent souvent sur leurs tombes le souhait : « qu'Osiris te donne l'eau froide ». Cette eau devint bientôt au figuré, la fontaine de vie qui versait aux âmes altérées l'immortalité. La métaphore entra si bien dans l'usage qu'en latin refrigerium finit par être synonyme de réconfort et de béatitude. » v. 46. Nous avons renoncé à comprendre cette fin de vers. Nos lecteurs trouveront par ailleurs dans l'appendice les références nécessaires à l'intelligence de l'eschatologie de Commodien. Nous nous en voudrions toutefois de ne pas transcrire ici les indications précieuses que .M. Charles Bruston, doyen honoraire de la Faculté de théologie de Montauban, interrogé par nous sur cet obscur acrostiche ii, i, a bien voulu nous adresser : « ... Ces deux tribus et demie sont naturellement Juda et Benjamin, plus ceux qui se réfugièrent d'Israël en Juda après le schisme (2 Chron., 12, 13) ou qui revinrent avec Zorobabel ou Esdras. « v. 15 el 16. — Ces neuf tribus et demie (depuis la ruine de Samarie) sont quelque part en Orient, séparées du reste du monde (4 Edras). « v. 17. — Or, elles naquirent (= se formèrent, en tant que corps de 9 1/2) par le crime de leurs deux (autres) frères Juda et Benjamin, qui demeurèrent attachés à Boboam, l'auteur responsable du schisme et sont par conséquent coupables comme lui . « v. 18-19. « Ceux par l'auspice (à l'instigation) desquels elles suivirent le mal; ce n'est pas sans raison qu'ils furent dispersés eux-mêmes tout sanglants. » -— Allusion aux deux prises de Jérusalem, par Nabukodonosor et par Titus. « v. 20. Mais ils se réuniront de nouveau (Rom., 9, 11, Apocalypse 11), et alors (v. 21) les prédictions ne tarderont pas à se réaliser. « v. 23-24. Jésus-Cbrist descend vers ses élus lointains; ils reviennent à travers l'Euphrate mis à sec. Les monts s'abaissent, des sources jaillissent sur leur passage (Esaïe, 2). « 35- 41 . Défaite et prise de l'Antéchrist el du faux prophète (Apoc. 13 à 20). « v. 42. Cf. Apoc, 19, 20 : Viui missi sunt hi duo in stagnum ignis... » Les lecteurs noteront l'allusion aux fauteurs de schisme; le schisme est le grand souci chrétien de l'époque cyprienne. II v. 8. Lactanti = paruulo. Emploi africain du participe présent au sens de substantif. v. 16. media partitaque = pars dimidia. — Nouvel exemple de l'emploi africain du neutre pluriel. v. 17. corpora sanctis = corpora sanctorum. — Datif possessif. Cf. supin I, 19, 5. v. 19. Fabrica = mundus. Fabrica a couramment, dans la langue chrétienne, le sens de « création »; fabricare exprime l'action créatrice de Dieu. Cf. Lactance (diu Instit. 2, 10) : « ad diuinam mundi fabricam reuertamur ». III v. 1. Anastase. — Hellénisme africain. v. 2. Fabrica. — Cf. supra, 2, 19. v. 4. Incorrupti au sens grec de ἄφθαρτος = « incorruptible ». v. 12. Aurea castra. — Il nous paraît inutile de supposer à castra le sens de urbs. Celle ville est le « camp de Dieu ». v. 18. Sola ut luna. — Dombart, soucieux de trouver un sujet à lucebit, écrit sol aut luna; hypothèse ingénieuse et qui lèverait la difficulté in urbem si par malheur elle ne contredisait expressément le passage de l'Apocalypse dont Commodien s'est de toute évidence inspiré. Cf. Apocalypse, 21, 23 : « Et ciuitas non eget sole, neque luna, ut luceani in ea. Nm claritas Dei illuminanit eam et lucerna eias est Agnus ». IV v. 6. Conuertit. — Neutre au sens de conuertitur. Cet emploi n'est signalé nulle part ailleurs que chez notre poète. Dombart lit conuertit(ur). Le neutre conuertere que donnent les manuscrits est possible; Commodien transforme volontiers ainsi des actifs en neutres. (Cf. delumbare, demergere, exsiccare, etc. et supra, 1, 31, producit.) V Catecuminis. — Les catéchumènes étaient les chrétiens non encore baptisés. Tel chrétien restait fort longtemps catéchumène, témoin Constantin. Le fidelis était le chrétien baptisé. (Voir infra, l'acr. (5 Fidelibus.) Commodien s'adresse ici à des catéchumènes, à la veille de recevoir le baptême (v. 8). v. 2. Salutaria uestra. — Salutaria = salus n'est pas particulier à Commodien. Nous le trouvons chez Arnobe (2, 1). v. 4. Erogatus ...Christo = « légué au Christ ». — Erogare appartient à la langue du droit. Le latin d'Afrique use volontiers de ces métaphores juridiques; elles abondent chez Terlullien. v. 5. Bonus tiro, probatus. — Métaphore militaire familière à l'Ecclesia militans. Le catéchumène doit être bonne recrue et soldat éprouvé. Le tiro est la jeune recrue qui n'a pas encore prêté le serment qui l'ait le miles; d'où le sens de « soldat inexpérimenté » qu'il a quelquefois. Tiro est donc synonyme de catecuminus, comme miles l'est de fidelis. Isidore (Orig., 9, 36) explique fort clairement ce mot. v. 7. Mens bonis. — Datif possessif, cf. supra, 2, 17. — in ante (voir infra, 12, 8). v. 8. Donantur = condonantur. — Ce sens non classique semble particulier à la langue d'Afrique. Cf. Tertullien, pud., 6, 10 : iam et incesta donabis propter Loth et passim. v. 11. Grauia peccata. — Les péchés graves étaient ceux que l'Eglise ne se reconnaissait pas le droit d'absoudre : l'adultère, l'apostasie et le meurtre. VI v. 1. Fideles. -- Ce mot désigne les chrétiens baptisés. Cf. supra, instr. 5. v. 5. Lex iniquo datur... — Cette idée que la Loi première est un frein pour les méchants se retrouve maintes fois exprimée clans la chrétienté des premiers siècles. Cf. Novatien (de Trinitate, i). « Lex addenda ne usque ad contemptum dantis libertas effraenata prorumperet. » La Loi première refrène, mais seule la loi seconde, la loi du Christ donne la vie. Commodien résume, avec une éloquente concision, les enseignements de Cyprien. Nous trouverons, en effet, chez le grand évêque, à l'adresse des fauteurs de schisme, ennemis de la paix fraternelle, les mêmes avertissements sévères. Cf. de Vnitate Ecclesiae 14 : « Inexpiabilis et gravis culpa discordiae nec passione purgatur : esse martyr non potest qui in ecclesia non est. » Sur les haines qui déchiraient la communauté, voir le liber de zelo et liuore du même évêque. Peut-être enfin faut il voir dans le vers 9 une allusion indirecte aux débats sur la rebaptisation qui occupèrent à celle époque l'Eglise. VII v. 1. Bestei. — Cf. supra, I, 9, 9. v. 2. Mentis. — Le nominatif mentis est un archaïsme survivant dans la langue populaire. v. 4. Nec lege tenentur. — Cf. supra, 6, 5, note. v. 8-10. Condemnat... — Christ est un Roi guerrier dont les fidèles sont les soldats (cf. supra, 5, 5); noter l'expression deiectus. Deicere exprime, dans la langue symbolique chrétienne, l'idée de la chute dans le combat, l'action séductrice du démon qui abat les fidèles. (Cf. notre Commodien. Lexique, à ce mot). v. 10. Frui. — Transitif archaïque et populaire. v. 11 sq. Grauiter peccare. -— Cf. supra, 5, 11. v. 14. Multa sunt martyria... — Tout ce passage est très visiblement inspiré de Cyprien (de zelo et liuore 16) : « Non enim Christiani hominis corona una est quae tempore persecutionis accipitur : habet et pax coronas suas... Libidinem subegisse continentiae palma est... contra iram, contra iniuriam repugnasse, corona patientiae est. » Commodien, après Cyprien, rappelle le fidèle à la pratique modeste et silencieuse du bien. Signe des temps : les persécutions avaient créé une aristocratie tapageuse de confesseurs et leur orgueuil ne laissait pas d'inquiéter l'Église. VIII v. 4. uacuum = frustra. — Locution analytique populaire signalée dans la Vulgate (Sap., i, 11 et passim). v. 5. In reatu tuo. — Reatus, proprement « état d'accusation, prévention », exprime chez Tertullien et les pères africains « l'état de péché ». (Cf. Index de Labriolle, éd. du de paenitentia.) C'est un des nombreux emprunts que l'avocat chrétien a faits à la langue du droit. v. 5. Sed[d]e manifesto deflere = « assieds-toi à terre pour pleurer ». — Attitude habituelle des pénitents qui s'humiliaient devant leurs frères nu se roulaient sur le sol. Sedere exprime l'attitude de l'accablement. Cf i Esdras, 9, 3 : « sedo moerens », 9, .4, « ego sedebam tristis ». 3 Esdras, 1 , 4 : « sedi et fleui et luxi diebus multis : ieiunabam et orabam ante faciem Domini coeli. » v. 13. Plebe. — Plebs = laïc, opposé à ordo. Sens ordinaire du mot chez Cyprien. Cel acrostiche nous instruit du rituel pénitentiaire en usage au iiie' siècle : la pénitence juive et toute sa rigueur tapageuse se retrouvent ici. (Cf. sur ces épreuves physiques : sac, cilice, barbe et cheveux souillés; Jonas, 3, 8 : Judith, 9, 13; Baruch, 4, 20; 1 Macchabée, 2, 14.) Le rigoureux Tertullien a sans doute aussi inspiré notre poète : cf. poenit., 9, 3 sq. : « Sacco et cinere incubare corpus sordibus obsanare... lacrimari et mugire dies noctes que, » — Cf. ibidem, ii, i, et enfin de pudicit, 5. 14 : « in sacco ei cinere inhorrescunt ». Mais plus évidente encore est l'imitation de Cyprien. L'acrostiche tout entier est à rapprocher de la lettre 58 au pape Etienne (P. L., III, col. i1023); mêmes idées, mêmes images : « ...nec ad fouenda uulnera admittantur uulnerati... uel coeteris subueniatur qui supersunt et diebus ac noctibus ingemiscunt... et curandis lapsorum uulneribus paternae pietatis adhibere medicinam... » Les métaphores uulnus, uulnerati se réfèrent fort exactement à l'idée générale de l'Ecclesia militans et elles sont particulières à Cyprien et à son époque. Noter également le vers 6 : « Tu si uulnus habes altum medicumque require », qui répèle à la lettre Cyprien (de lapsis, 35) : « Allo uulneri diligens et longa medicina non desit. » IX v. i. inrigat. — Inrigare, employé absolument, ne se trouve pas ailleurs que chez notre poète. (Cf. sur cette transformation des transitifs en intransitifs, supra, 4, 6.) v. 6. Quam = potius quam. — Réduction fréquente dans la latinité africaine; cf. Tertullien (paenit., 6, 3) : « commeatum sibi faciuni delinquendi quam eruditionem non delinquendi. » (Voir notre Commodien, Lexique, à ce mot.) v. 7. Transfluuiat. — Ce verbe, signalé chez le seul Commodien, se réfère au substantif d'action africain transfluuium signalé chez saint Augustin (Serm., 72, 1). v. 11. Si(c) nec = nec sic. — Sans doute hellénisme, traduction latine du grec οὐδ' ὡς = pas même ainsi. (Cf. Bailly, Dict. grec, 1 , οὐδέ.) v. 14. Se propalat. — Le verbe propalare est africain; inconnu avanl le iiie siècle, nous le trouvons dans la latinité postérieure. Se propalare a ici le sens de « se révéler comme chrétien ». Cf. Arnobe, 3, 3 : « Et hoc quidem a nobls fuerit ita propalatum si modo liquet et constat... » v. 19. Eramen. — Forme inconnue avant Commodien; (cf. supra, I, 20, 6). v. 20. Satis = uehementer. — Renforcement africain du sens, déjà passé au ive siècle dans la langue littéraire, puisque Arnobe (1, 56) écrit : « Conscriptores nostri... angustas res satis ambitioso dilatauere praeconio » et passim. Conseils urgents aux chrétiens en temps de persécution. Commodien, comme Cyprien, recommande aux fidèles la prudence et, au besoin, la fuite que Tertullien condamnait. Les trois derniers vers s'adressent aux apostats auxquels le poète ordonne le repentir et la prière. Quant à aspides surdi du v. 19, c'est un souvenir du Psalm., 57, 5. X v. 1. Duellum. — archaïque et populaire pour Bellum (passim chez Plaute). v. 1. inundans. — Emploi absolu du mot particulier à Commodien. Voir, supra, inrigare (9, 1). v. 3. Inproperandum. — Forme vulgaire de improbrare signalée dans la Vulgate. v. 3. uidentur = « nous les voyons ». — Sur ce uideri = conspici, cf. supra, I, 24, 5. Peut-être le poète songe-t-il aux entants enlevés par les païens: peut-être encore à ceux déjà baptisés par ces hérétiques auxquels, fidèle à la pensée cyprienne, il conseille la rebaptisation. Sur ces longs débats du second baptême, voir le septième Concile de Carthage sous Cyprien P. L., III. col., 1090 sq). Cf. col 1099 : « cum ergo manifeste sciamus haereticos non habere nec Patrem nec Filium nec spiritum sanctum debent uenientes ad Ecclesiam matrem nostram uere renasci et baptizari... ». Les expressions renasci, denuo nasci, renatus, reviennent sans cesse appliquées au baptême. XI v. i. Desertores. — Dans la langue symbolique du iiie siècle (très fréquenl chez Cyprien), ce terme désigne : 1° les apostats; 2° les hérétiques. v. 2. Alius nequam = 1° l'apostat; alius in parte = 2 l'hérétique. Alius = alter. — Confusion populaire fréquente au iiier siècle; Pars. — Singulier traduit vaille que vaille le grec αἵερσις. Dans le même sens, Cyprien (ad Cornelium papam P. L., ΙΙΙ. col. 834 in fine) écrit pars Nouatiani. v. 3. Vtroque. — Barbarisme populaire pour utrique. v. 5. Delictor = peccator. — Africanisme signalé chez Cyprien et saint. Augustin. v. 8. Caue delinquas. — Construction de la langue familière non inconnue à la bonne langue.
C'est à Cyprien que Commodien doit sa division des
« déserteurs » en deux classes. L'évêque, en effet, s'exprime ainsi : «
Interesse debet, fraler carissime inter eus, qui uel apostatauerant.. XII v. 2. Dimitte = omitte. — Approximation populaire (cf. infra, ibidem, v. 7). v. 7. Desidias, pluriel inusité en bonne langue. v. 8. Ante = in ante « dorénavant ». — Cette locution très fréquente dans la basse latinité est introuvable au iiie siècle ailleurs que chez notre poète (cf. supra, 5, 7). Dès le ive siècle pourtant la bonne langue littéraire confond volontiers ante et post, prépositions. Lactance écrit indifféremment dans le même sens post diem decimum et ante diem decimum (cf. P. L., VII, col. 002, note de Baluze). Quanl à in ante = « en avant » (dans le temps) d'où « désormais », il abonde dans le latin médiéval. Cf. Analecta Bollandiana (t. XXVII. fasc. 1. Mirac. B. Martini, p. 467. ligne 14) : « ab hoc die in antea tu eris mihi pater ». Cf. dans le Serment de Strasbourg : « dist di en avant ». v. 10. Agonia. — Pluriel neutre de agon (?) « combats ». v. 13. Pro uictoria laetus. — Noter cet emploi de pro à rapprocher du dolere pro du même poètee. (Cf. supra, I, 1, 7). v. 14. Satellem. — Barbarisme populaire. L'idée du miles Christi est familière à la latinité africaine. Minicius Félix l'a le premier expressément formulée. Cf. Octauius « quis non miles sub oculis imperatoris audacius periculum prouocet?... At enim Dei miles nec in dolore deseritur, nec morte finitur... » Cyprien l'a reprise el longuement développée (Epist., 56, 3). « Nomen enim militiae dedimus ut... » et Commodien, fidèle jusqu'à la littêralitê, écril : « Militiae nomen cum dederis... » XIII v. 3. Radix chananaea. -- Commodien, étymologiste douteux, établi! >ans doute un rapprochemenl entre Caïn et Chananéens. XIV v. 1. Stant... mixti. — Stare esl peut-être, ici, un simple synonyme de esse; cet affaiblissement du sens primitif est, en effet, déjà signalé au iiie siècle; plus vraisemblablement, toutefois, stare a ici le sens particulier que lui donne souvent Cyprien : il s'applique aux laïques fidèles assistant aux cérémonies religieuses : stantes laïci, Cf, Cyprien, ad Atonianum, P. L., III, col. 791, A : « ...deinde sic collatione consiliorum cum episcopis, presbyteris, diaconibus, confessoribus pariter ac stantibus laïcis facta, lapsorum tractare rationem... ». Stare exprime, dans la symbolique chrétienne, l'attitude droite du soldat que l'ennemi n'a pas abattu : il s'oppose ainsi à labi et stantes à lapsi « Stare hominem nec moueri, lorqueri nec tamen uinci ». (Cyprien, laud. marty., 25.) Cf. encore Rom.14, 4 : « Domino suo stai aut cadit. » Tertullien, fuga, 5 : « hoc potius nostrum est stare sub Dei arbitrio quam fugere sub nostro? ». v. 10. arbor ficulna — ficulnea (Vulg.). Particulier à Commodien. v. 11 In uerbo. — Emploi de in instrumental; caractéristique selon Sittl de la latinité africaine (op cit., 128 sq). v. i2. Operas. — Operae, au sens chrétien de bonnes oeuvres; opera = opus et fréquenl dans la basse latinité. XV Dissimulatori. Dissimulator = qui negligit legem. Dissimulare prit dans la latinité africaine, le sens de « négliger ». Ce sens se trouve déjà chez Minicius Félix (12) : « Ecce pars uestrum et maior et melior, ut dicitis, egetis, algetis, opere, fame laboratio : et Deus patitur, dissimulat. » — Cf. Cyprien ad Cornelium papam. P. L., III. col. 851, A : « Remitto omnia, multa dissimula, studio et uoto colligendae fraternitatis. » — Augustin (Sermon 121, cap. 22) : « Si ergo digne perierunt qui Noe aiedificante arcam dissimulauerunt quid digni sunt qui Christo aedificante Ecclesiam a salute dissimulent. » v. 1. Praeconio. — Praeconium, employé au sens chrétien de « annonce, publication de la bonne nouvelle ». Sens ordinaire du mot dans la latinité chrétienne. — Cf. Pontius (Vita Cypriani) : « Sibimet ipsa sufficiens (uita) alieno praeconio non eget. » — Arnobe (1, 65) : « Christus rei maximae nuntator, auspicium faustum portans et praeconium salutare credentibus. » Dans le même ordre d'idées, praecones désigne les prophètes. (Cf. infra, 19, 8; 35, 5.) v. 5. Profatorum. — Profata, au sens probable de « prophéties »; profata est un archaïsme de Varron signalé dans Aulu-Gelle. v. 9. Abuteris. — Abuti = non uti. Du Cange signale le même emploi chez Paulin de Noie (Epist. 31). peut-être avons nous affaire à un grécisme africain, abuti traduisant ἀπέχεσθαι (?). H. Brewer (op cit., p. 333) renvoie à Sulpice Sévère et à Hilaire, pape. Pour la construction transitive, elle est proprement populaire. XVI v. 2. Laxantes. — Laxare = remittere semble particulier à Commodien. Nouvel exemple de trouvailles pittoresques d'expressions. Noter enfin l'étrange emploi du participe présent avec la valeur d'un mode personnel. v. 5. Fragoribus. — Fragores désigne fort expressémenl dans la bonne latinité les clameurs et le tumulte du cirque. Cf. Arnobe, 4, 36 : « caueae omnes concrepant fragoribus atque plausibus. » v. 7. Zabuli. — Zabulus est, non une corruption, mais une forme parallèle de Diabolus; ce mot se réfère au grec Ζάβολος. Il est signalé chez Lactance et passim dans les ailleurs ecclésiastiques. v. 18. Adsigna. - Adsignare a ici son sens juridique de addicere : « adjuge-toi au Christ, donne-toi à lui ». (Voir notre Commodien, Lexique, à ce mot.) v. 21 . Indisciplinate. - Vocatif du post classique indisciplinatus, adjectif africain; appartient à la langue littéraire de basse époque. v. 21. Quod leue = τὸ ἡδύ. — Curieux exemple d'hellénisme africain; le relatif qui traduit l'article 6. (Cf. supra, l, 7. 7.) (Voir notre Commodien, page 122 sq.) XVII v. 4. In protoplasto. — Protoplastus, hellénisme de Tertullien (passim ). v. 6. Exter. — Hellénisme africain, traduit ἐξωτερικός = alienus. v. 8. Ab esca refecti. — Emploi populaire de la préposition a devant un nom de choses. (Cf. infra, 39, 19.) v. 22. Te facis musicis. — Facere que la décadence enrichit de tant de significations, exprime assez fréquemment, avec bien d'autres idées, l'idée de « vivre » ou de « passer son temps, demeurer ». Cf. A. 566 : « quadraginta dies cum illis fecit... » Se facere alicui ou cum aliquo a vraisemblablement le sens de « fréquenter quelqu'un ». Se facere est rare dans la langue littéraire; nous en trouvons un exemple chez Augustin (Conf., 2, 6) : « Peruerse te imitantur omnes qui longe se a te faciunt... »; le latin médiéval en offre quelques exemples. Cf. Du Cange, 2 facere qui cite de Grégoire de Milan un « cum Arnulpho se fecit ». Rapprocher de cette expression populaire l'expression méridionale vulgaire « se faire avec quelqu'un » = « fréquenter quelqu'un ». v. 12. Inter. — Si le texte n'est pas altéré, inter est ici adverbe. (Voir les lexiques où cet emploi est signalé.) v. 14. In ipsa. — Sans doute = in lege. Sur le même emploi fort élastique de ipse, cf. supra, I, 7, 7. v. 16. Hilaris. — Cet adjectif exprime plus spécialement dans la latinité chrétienne d'Afrique la joie intérieure du fidèle. (Cf. Passio Perpetuae, 2, 2: 4, 2; 6, 1.) v. 19. Refrigerare. — Cf. supra, 1, 45. v. 20. Transitu mortis. — Ce transitus mortis fort intelligible nous achemine au médiéval transitus (absolu) = obitus. Cf. Anal. Bolland., Legenda S. Amatoris (t. XXVIII, fasc. 1, p. 77, lign. 3) : « post transitum ( = obitum) beati Amatoris... » XVIII v. 5. Speclum = speculum. v. 6. Non non et. —- Cf. supra, 1, 31, nec minus et. v. 9. Est Deus inspector = Deus inspicit. — Africanisme : le substantif en tor équivaut à toute une proposition relative. (Voir notre Commodien, page 149.) v. 15. Ostent. — Ostare (cf. le français « ôter » ) est une réduction phonétique intéressante signalée pour la première fois chez Commodien. Cette forme se retrouve à la basse époque et Brewer (op cit., p. 340) renvoie à Du Cange et à la Loi salique. La déduction qu'il semble en tirer, touchant l'époque de notre auteur, est hasardée; le peuple, de bonne heure, a dû substituer la prononciation ostare à obstare; l'emploi transitif n'est pas davantage une difficulté insurmontable. v. 17. Demonstres = monstres. — Cf. supra, I, 1, 1. v. 18. Dat... momentum. — Momentum = exemplum (conjecture de Dombart), est sans exemple dans la latinité. Le sens se déduit cependant fort aisément de l'acception ordinaire « impulsion, cause déterminante ». v. 20. In dando. — In instrumental, cf. supra, 14,11. XIX. v. 3. Coeliloquax. — Néologisme possible de Commodien. Cf. uiniuorax, supra, I, 18, 16. v. 5. « Exaltatae... ». — Cf. Esaïe, 3, 16 sq. v. 7. Procedere nous semble avoir le sens de « transgresser, enfreindre » (?). Pure conjecture d'ailleurs que nous ne saurions appuyer d'aucun texte. V. 9. Iniustus. — Iniustus traduit le grec ἄδικος au sens biblique de « méchant ». v. 10. Nigrore. -- Nigror au sens concret de « crayon noir pour les yeux » est signalé chez Cyprien. v. 11. Comulas. — Le diminutif comula se trouve chez le seul Commodien. v. 18. Nec non et. — Cf. supra, 18, 6. v. 22. Ymnificato. — Cet (h)ymnificare est peut-être un néologisme de notre poète, il est en tout cas conforme au génie africain qui enrichit le vocabulaire de verbes forl nombreux en are. XVIII-XIX Les deux acrostiches 18 et 19 sont inspirés de Cyprien. Le poète suit son maître jusqu'à la littéralité. Comparez, en effet, à 18, 22, le passage suivant du De habitu uirginum, c. 12 : « Ornamentorum ac uestium insignia... non nisi prostitutis et impudicis feminis congruunt. » Et à 19, i, sq., le De hab. uirg., c. 13 : « Clamat etiam Spiritu sancto plenus Esaias et filias Sion... increpat et obiurgat... a Deo saeculi delicias recedentes : Exaltatae sunt, inquit, filiae Sion... » Tabitha (18, 18) est une fort ingénieuse conjecture de Dombart qui renvoie à Cyprien : de opere et eleemosynis, c. 6. Pierre, appelé auprès du cadavre de Tabitha, la rappela à la vie au nom de Jésus-Christ : « ...conuersus ad corpus quod in tabula iam lotum iacebat : Tabitha, inquit, exurge in nomine lesu-Christi... Mors itaque suspenditur et spiritus reddilur... Tantum potuerunt misericordiae merita, tantum opera iusta ualuerunt. Quae laborantibus uiduis largita fuerat subsidia uiuendi meruit ad uitam uiduarum petitione reuocari... » (Cf. Actes, 10.) XX v. 2. Me supertollo. — Cel emploi réfléchi el figuré du verbe est propre à Commodien. Quant au mot lui-même, il est fort rare dans la latinité; c'est à peine si on le signale chez saint Jérôme (nom. hébr., col. 64, cité par Goelzer). La forme superextollo (Cf. A, 28), esl plus ordinaire en Afrique. v. 8. Non intendis, — Intendere (absol.) = intellegere. Latinité de basse époque; assez naturellement tiré du classique intendere animum ad. (Cf. notre Commodien, Lexique). v 13. Nec intuis. — Actif probablement populaire dont Commodien nous offre à cette époque l'unique exemple.
v 22. Ex suo deturba.
— Nous traduisons sous toutes réserves : « fais lever le pauvre, arrache-le à
son taudis, jette-le à bas de son lit. » Peut-être un emploi analogue de turbare
expliquerait- v. 23. De uestro refecto. — Si la leçon esl exacte refectum serait un équivalent populaire du refectus, us (post classique) = « restauration, repas ». Noter aussi le spes de uestro refecto = spes uestri refecti (?) XXI v. 4. Res est felicibus apta. — Aptus prit dans la latinité postclassique le sens de bonus. Plus tard même aptus s'employa absolumenl au sens de mitis. H. Brewer (op. cit., p. 334) cite à ce sujet une curieuse inscription gauloise du cinquième siècle : « Hic iacit Artemia dulcis aptissimus infans. » V. 8. Vt si = si par hasard (?) Pure conjecture. v. 12. Legitimus = iustus. (Cf. νόμιμος - qui se conforme à la loi. Platon Gorgias 504 d. cité par Bailly.) v. 15. Tollere - subire. -- Non classique. Signalé chez Cyprien (Testimonia i, 13 : « Tollite iugum rneum super uos et discite... » ( Matth. 1 1, 28, sq.) SOURCES : Cyprien (de zelo et linore, 16-17). XXII v. 4. Abutere. — Cf. supra 15, 9. v. 4. Bellum uicisti. — Hellénisme africain; cf.. νικᾶν μάχην (Xénoph. Anab. 6, 5, 23). Vincere bellum se retrouve dans le Carmen adu. Marcionem, d'auteur inconnu, mais d'origine africaine et vraisemblablement contemporain de notre poète (Carm. adu. Marcio. 3, 4, P. L. II), v. 5. Viuo (= viro) copioso parce. — Souvenir possible de l'Ecclésiastique, 13, 2 : « Et ditiori ne te socius fueris ». Sur uiuus = uir cf. supra, I, 23, 18. v. 11. Communem. — Cf. supra, I 23, 2. v. 17. Martyrium... tollere. — Cf. supra, 21, 10. Commodien s'est, dans cet acrostiche, inspiré de Cyprien (de Mortalitate) : « pugna aduersus diabolum quotidie geritur sq.. » cité par Morcelli, p. 253. XXIII v. 2. Exstinguis te ipsum. — L'antithèse est voulue; notons cependant que exstinguere a dans le latin d'Afrique le sens absolu de perdere. Cf. Arnobe, 1, 5 : « et innumeras funditus deleret atque extingueret nationes... » (Cf. passim, 1, 62. — 2, 36, sq.). — Cf. Cyprien (ad Antonianum, P. L. III, col. 812) : « ...ab illa morte quam semel Christi sanguis extinxit... » Acception courante du mot dans le latin médiéval. Cf. Analecta Bolland., tome XXVIII, Fasc. 1, page 475, ligne 10-11 : « Si non consenserit praeceptis nostris... extingue eum. »
v. 10. Congestet.
— La forme congestare, africaine, est signalée chez notre auteur et chez
Augustin. Le mot manque chez du Cange, qui donne en revanclie congeste =
confuse, sine v. 17. Iritimo. — Intimare, verbe africain, signalé comme tel par Sittl (op. cit.) qui fait des infinitifs en are construits sur des superlatifs une des caractéristiques du latin d'Afrique. SOURCES : Cyprien, Testimonia, 3, 56 : « Et iterum : « Dixit autem illi Dominus : Stulte hac nocte expostulatur anima tua. Quae ergo parasti cuius erunt! » Ecclésiastique, 14, 9 : « Insatiabilis oculus cupidi in parte iniquitatis : non satiabitur donec consumat arefaciens animam suam ». Cet acrostiche, au sens fort clair, est plus particulièrement intéressant en ce qu'il nous révèle en Commodien un opportuniste de la doctrine. Les vers 16-21 sont à ce point de vue expressifs d'une tendance nouvelle. Le poète ne condamne plus la recherche du pain quotidien à la manière de Tertullien, lequel écrivait avec tranquillité : « Famen fides non timet » (de idol., 12); il nous recommande seulement d'observer une sage mesure. Le souci de la vie matérielle ne doit pas nous posséder tout entiers. C'est dans ce sens que j'interprèle et que je lis : cur... agis super omnia uictum? Dombart lit uictor (?) (Voir notre Commodien, page 67 sq.). XXV. v. 4. Facite legem = sans doute « observez la loi ». v. 9. In absconsum. — On trouve dans Augustin : « in absconso ». La paix traîtresse esl ici signalée à la vigilance des fidèles. Cyprien donne en termes analogues les mêmes avertissements et il paraît bien que les oeuvres des deux chrétiens sont contemporaines. Cf. Cyprien (de zelo et liuore) : « (Diabolus) in pace subdolus, in persecutione uiolentus ». Les conseils de l'évêque et probablement aussi ceux du poète se réfèrent à l'époque comprise entre la persécution de Gallus (252) et celle de Valérien (257). (Cf. Dom Leclerq, Afrique chrétienne, p. 197, sq.). Noter que le grand péril dénoncé est ici le schisme : c'est, en effet, le grand crime de l'époque (cf. conciles de Carthage sous Cyprien, P. L., III) auquel certains ne balançaient pas à préférer l'idolâtrie. Cf. 7e concile, P. L. III, col 1107 : « Saturninus a Thucea dicit : Gentiles quamuis idola colant, lumen summum Deum patrem creatorem cognoscunt et confitentur. In hunc Marcion blasphémat et quidam non erubescunt Marcionis bapiismum probare ». XXVI v. 5. Maiorum cuique = « à chacun de mes anciens ». — Maiores paraît désigner ici les clercs qui occupent un rang élevé dans la hiérarchie : diacres, prêtres ou évêques. Sur le sens plus particulier de maior natu, voir infra, 29. v. 7. Agrestina. — Néologisme heureux du poète. v. 8. Fe(ce)ritis edicta. — Rapprocher de ce facere edicta, populaire le facere legem de l'acrostiche, 25, 4. v. 9. Plebs = le peuple de Dieu. — Cf. supra, 8, 13. v. 10. Je traduis sous toutes réserves. Les lectures auxquels Commodien adresse ici des conseils paternels occupaient dans la hiérarchie ecclésiastique un rang fort humble. C'étaient des jeunes clercs chargés de la lecture des Evangiles. Un concile, tenu à Rome sous le pape Silvestre, nous renseigne fort exactement sur la hiérarchie ecclésiastique à cette époque (cf. P. L. VIII, col. 826, sq.) : « Et si quis desideraret in Ecclesia militare, aut projicere, ut esset prius ostiarivs, deinde lector et postea exorcista per tempora quae episcopus constituerit, deinde acolythvs annis quinque, svbdiaconvs quinque annis, cvstos martyrvm annis quinque, diaConvs annis quinque, presbyter annis tribus, probatus ex omni patre in tantum ut etiam ab his qui foris surit testimonium habeat bonum unius uidelicet uxoris uir quae tamen a sacerdote sit benedicta. Et si probatus fuerit dignus, et uota populi et cleri concurrerint, canonice episcopvs consecretur, quem postea nec clericus nec populus perturbare debet : quia episcopi qui throni Dei uocantur non sunt lacerandi sed magis portandi et uenerandi. De quibus ait D. Paulus apostolus : « Seniorem ne increpaueris sed ui patrem obsecra. » (Col. 829.) XXVII v. 4. Integrate. — Integrare, au sens de « accomplir en entier », paraît propre à la latinité d'Afrique. (Voir pour ce mot notre Commodien, Lexique.) v. 9. Sitis probati. — Entendez que, le peuple fidèle vous ayant officiellement approuvés, vous serez élevés à la dignité épiscopale. Pour le sens du mot probatus, voir supra, 26, la note explicative de l'acrostiche. Le mot Ministri désigne les sous-diacres, diacres et prêtres (pour la hiérarchie, voir supra, 26, note explicative). Noter que Commodien rappelle avec insistance autant les lecteurs (26, 5) que les ministres (27, 8) au respect et à l'obéissance de leurs supérieurs. Ce souci disciplinaire est fort sensible chez Cyprien, et plus tard, au quatrième siècle, Silvestre, pape, devra réfréner l'ardeur accusatrice qui pousse les clercs les uns contre les autres. Cf. P. L. VIII, concile Romain, col. 825, sq. « ...constitutum est ut nullus laïcus crimen clerico audeat inferre. Et ut presbyter non aduersus episcopum, non diaconus aduersus presbyterum, non subdiaconus aduersus diaconum, non acolythus aduersus subdiaconurn, non exorcista aduersus acolythum, non lector aduersus exorcistam, non ostiarius aduersus lectorem det accusationem aliquam.., » (col. 827, 828). XXVIII v. 3. Sit patiens rectior... — Cf. Paul ad Titum, i, 7. « Oportet enirn episcopum sine crimine esse sicut Dei dispensatorem, non superbum, non iracundum, non uinolentum, non percussorem, non turpis lucri cupidum ». v. 7. In faciem cuius. — Cf. supra, I, 23, 20. Portrait du vrai pasteur ou évêque. Commodien reproduit ici très fidèlement la pensée et la lettre de Cyprien. Cf. pour le vers 1 : « Pastor si confessus fuerit, geminauit agonem ». Cyprien, Epistola unica ad Lucium P. L. III, col. 1003 : « Et nuper quidem tibi, frater carissime, gratulati sumus, cum te honore geminato in Ecclesiae suae adminislratione confessorem pariter et sacerdotem constituit diuina dignatio... » Cf. pour le vers 10 : « Si talis aderit pastor, paene perdita totast ». Cyprien, ad Stephanum (P. L. III, col. 1031) : « cum ergo pastoribus talibus, per quos Dominicae oues negliguntur et pereunt... ». Sur la même question du choix des ëvêques, voir 4e concile de Carthage sous Cyprien. P. L. III, col. 1057, sq. XXIX Maioribus natis = majores natu. v. 4. Pausent. — Cf. supra, 1,17. v. 5. Respicite dictum... — Cf. Térence Andr., 68 : « Obsequium amicos, ueritas odium parit. » v. 18, Terrue... fundamenta — gehenna (?). Conjecture désespérée de Dombart. Ces maiores natu n'ont pu être sûrement identifiés. Dombart traduit presbyteri. Nous inclinerions plutôt à traduire épiscopi en dépit de M. Lejay, qui écrit : « Ce maioribus natus a tout l'air d'être une traduction vaille que vaille de πρεσβυτέροις » (Revue critique, T. LXIV, n° 07, p. 9.07, sq.). Nous fondons notre opinion sur des textes africains. Cf. Brunns, Canones Apostolorum et Conciliorum saeculorum iv, v, vi, vii. Berlin, Reimer 1839, Goncil. Carth. I, Canon xi : « Elpidophorus Cinzitanus episcopus dixit : « Statuat sanctitas uestra ut clerici qui superbi uel contumaces sunt coerceantur ut qui minores maioribus irrogauerunt iniurias metum habeant. » Gratus episcopus dixit : « ...unde si quis tumidus uel contumeliosus exstiterit in maiorem natu uel aliquam causam habuerit a tribus uicinis episcopis si diaconus est arguatur... » Ibidem Concil. Carthag. II, Canon VI : « Numidius episcopus Massylitanus dixit : « Praeterea sunt quam plurimi non bonae conuersationis qui existimant maiores natv vel episcopos passim uage que in accusationem pulsandos... Aurelius episcopus dixit : « Placet ergo caritati uestrae ut is qui aliquibus sceleribus irretitus est uocem aduersus maiores natv non habeat accusandi?... »
D'autre pari, les Epistolae et decreta attribués au pape Lucius
(252-253) signalent (P. L., III, col. 1012 sq.) des maiores natu
(col. 1007, 1009, 1015), des maiores personae (c. 1007) auxquels XXX v. 6. Mercem. — Forme rare signalée par les lexiques dans Claudien. 7. Abusum. — Leçon des manuscrits conservée par nous: Dombart lit abosum, faisant de ce mot un participe à sens passif de abodi; à l'appui de sa lecture, Dombart pourrait citer un perosus passif de Tertullien, « perosus Deo », paenit., 5, 9; le même Tertullien nous fournit pour abusus le sens de « épuisé de fatigue »), que nous adoptons ici : « Processus ad certamen a custodia abusus » (de ieiuniis, 13). v. 8. Se resumere. — Propre à Commodien; la bonne langue emploie dans ce sens resumere absolument. v.14. Salagit. — Salagere, cher à la latinité africaine, traduit le σπουδάζειν grec. v. 16 Transigere sese. — Exactement « se maintenir, assurer leur existence ». Hellénisme probable; transigere sese semble traduire ici le grec διάγειν ἑαυτόν = « se maintenir, durer » (Voir Bailly, Dict. grec-franç., διάγω III.) Commodien s'inspire visiblement ici de Cyprien.
Les Testimonia, 3, 109, donnent un
Infirmos uisitandos et le de operis et eleem., c. 9, un « Nec hoc
tibi de meo spondeo sed de sanctarum scripturarum fide et diuinae
pollicitationis auctoritate XXXI v. 6. Responsorem. — Responsor semble avoir ici le sens péjoratif de « disputeur ». Comparez dans la langue populaire du Midi, le sens du verbe « répondre » absol. signifiant « répliquer avec insolence ». Le vers signifie donc ; « Le pauvre ne doit pas s'acharner à avoir le dernier mot. » v. 8. Blandus enim sermo... — Commodien songe sans doute aux Prouerb. 15, 1 et 20, i5 : « Responsio mollis frangit iram : sermo durus suscitat furorem. » (Prou. 15, 1) « Patientia lenitur princeps et lingua mollis confringet duritiam » (Prou. 20, 15). v. 15. Singularis = uidua, sens remarquable obtenu par l'intermédiaire singularis = solus. Cf. Victor de Vita Pers. Wand., I, 49 : « Aduenit mulier ad locum ubi maritus singularis orabat. » — La Vulgate (Baruch, 4, 16) nous offre unica = uidua : « ... et abduxerunt dilectos uiduae et a filiis unicam desolauerunt. » v. 15. Protulit. — proferre — laudibus extollere. Ce vers est un souvenir de Cyprien (de opere et eleemosynis c. 15) : « Intuere in Euangelio uiduam praeceptorurn coelestium memorem, inter ipsas pressuras et angustias egestatis operantem in gazophylacium duo quae sola sibi erant minuta mittentem, quam cum animaduerteret Dominus et uideret... respondit et dixit : Amen dico uobis quoniam uidua ista omnibus plus misit in dona Dei... » XXXII v. 1. Dolum. — dolorem. — Forme populaire attestée par de nombreuses inscriptions et par Augustin lui-même (Tractat. VII, 18 in Euangeli. loh.) « Multi fratres imperitiores latinitatis loquuntur sic ut dicant : Dolus illum torquet pro eo quod est dolor. » (Cf. Brewer, op cit., p. 330 sq.) v. 14 in Salomoniaco libro. — Cf. Ecclésiastique, 22, 13 : « Luctus mortui septem dies fatui autem et impii omnes dies uitae illorum. » v. 10. extinctos. — Cf. supra, 20, 2. v. 14 sq. utiles. — Au sens élargi de prophète, homme de Dieu. Allusion au sacrifice d'Abraham et ressouvenir de Cyprien (de laude martyrii, 18). La même idée fut reprise plus tard par saint Ambroise (de uirgin., 2, 9) « Non doluit Abraham nec consuluit parentis affecium... sed maturauit absequium », et par Augustin (sermo., 2, 1) : « Credidit (Abraham) nasciturum (Isaac) et non plangit mortuum. » (Brewer, op. cit., p. 325, in notis.) XXXIIl v. 3. Corpus... funestum = cadauer. v. 13. Collegia quaeris. — Collegia désigne ici ces associations en vue de la sépulture si fréquentes dans l'Empire. XXXIV v. 1. Pascha die felicissimo nostro. Cf sur le caractère privilégié de la fête pascale aux iiie et ive siècles, Dom Leclerq, Afrique chrétienne, i, p. 69 : « Pâques conserve ses privilèges; son caractère festival se caractérise de plus en plus et se fixe dans tous les textes.. » XXXV. Fabulosis. — Fabulosus = loquax; particulier à Commodien. v. 4. Pulsare domum stomachi pro delicto diurno. — Dombart suppose un domus stomochi — pectus bien compliqué. Nous préférons traduire stomachi delicto = délit de colère ou d'orgueil. Quant à pulsare domum = « heurter à la porte de la maison de Dieu » (pour demander le pardon); elle est attestée par maints textes contemporains de Commodien ou antérieurs à lui. Cf. Cyprien (Epist., 67, i) : « Ecclesiam lacrymis et gemitu et dolore pulsantibus... », en parlant des pécheurs qui demandent leur rentrée dans la communion des fidèles. Novatien (P. L., III, col. 998, dans le même sens, donne « pulsare fores », et Tertullien (Paenit., 7, 10) : « Collocauit in uestibulo poenitentiam secundum quae pulsantibus patefaciat. » v. 11 . Quasi initent balneo. — La forme initare est signalée chez Pacuvius. Elle contient le fréquentatif de ire. v. 12. Ceu nundinae... astent. — Cf. Jean., 2, 16 : « ...nolite facere domum patris mei domum negotiationis. » v. 13. Terruit. — Constructio proegnans (?). Le sens du vers paraît être « c'est pourquoi (hinc) il a effrayé disant : que ma maison..., etc. » v. 10. Fienda. — Barbarisme puéril d'un ignorant. XXXVI v. 3. Cyclopes. — Dombart explique tant bien que mal cette allusion : « Homines ebriosos Cyclopas uocat poeta ad Polyphemi crapulam alludens. » Nous nous y tenons faute de mieux, XXXVII Pastori. — Dombart propose de traduire conuiuator. Le jeu de mots esl certain. Cyprien l'indique fort clairement dans un passage dont Commodien s'est peut-être inspiré. Cf. Cyprien, Lettre à Lucius, pape, P. L., III, col. 1003 : « ...Fecerit benigna Domini et larga protectio ut pascendo gregi pastor et gubernandae naui gubernator et plebi regendae rector redderentur. » v. 3. Immisce pauperem. — Emploi transitif sans exemple avec ce sens dans la latinité régulière. v. 3. Repascat. — Repasco, post classique signalé chez saint Jérôme. XXXVIII. Tout l'acrostiche esl directemenl inspiré de Cyprien. Brewer (op. cit., p. 303) nous donne, en effet, les curieuses références suivantes : de dom. orat., c. 33 : « ... adesse se promittit (deus) et audire ac protegere se eos dicit qui iniustitiae nodos de corde soluentes... » Ibidem, c.. 32 : « Orantes autem non infructuosis nec nudis precibus ad Deum ueniant... » XXIX Nomen Gasei. — Sur la foi de ce titre, oeuvre de quelque copiste zélé, certains ont voulu fonder l'origine syrienne du poète. Gasei = Gazaei est fort incertain. Il est, en effet, surprenant de rencontrer la graphie sei = zaei dans un manuscrit si abondant en graphies z= di (cf. zubulus, zacones, elc...). D'autre part, la forme Gazaeus apparaît assez tard dans la latinité. Peut-être faut-il lire Casei, auquel cas Commodien serait désigné comme originaire de quelque Casa ou Casae africaine. — Le plus sage est toutefois de ne rien traduire et d'avouer l''ignorance. L'hypothèse de gazeus = « trésorier, ou le riche, L'homme du trésor » (gazum), quelque ingénieuse qu'elle puisse être, n'est encore qu'une hypothèse. v. 2. Principium = principatum (?) v. 10. Conburunt = conburuntur (?) v. 18. Nullificantes Deum. — Nullificare, verbe africain. Cf. nullificamen et nullificatio étiez Tertullien. v. 20. acto = actui. — actus = iudicium.
Le nom du poète est donné par l'acrostiche lu de
bas en haut : Commodianus mendicus Christi. Peut-être avons-nous affaire
ici encore à un jeu de mots. Commodianus, forgé sur commodum, |