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PLAUTE

Les Ménechmes

 

ARGUMENTUM
Mercator siculus, quoi erant gemini 
Ei, subrepto altero, mors obtigit.
Nomen subreptitii illi indit qui domi'st
Avos paternus, facit Menæchmum e Sosicle.
Et is germanum, postquam adolevit, quaeritat 5
Circum omneis oras; post, Epidamnum devenit :
Heic fuerat auctus file subreptitius.
Menaechmum civem credunt omneis advenam,
Eumque adpellant, meretrix, uxor, et socer.
I se cognoscunt fratres postremo invicem. 10
PERSONAE
PENICULUS, parasitus.
MENAECHMUS, subreptus.
EROTIUM, meretrix.
CYLINDRUS, cocus.
MENAECHMUS SOSICLES.
MESSENIO, servos.
MULIER, uxor.
SERVOS alius.
ANCILLA.
SENEX.
MEDICUS.
LORARII.

ARGUMENT

Un marchand sicilien, qui avait deux fils jumeaux, en perdit un par un rapt, et mourut ensuite. L'aïeul paternel donne à l'enfant qui reste le nom du jumeau ravi, et l'appelle Ménechme Sosiclès. Celui-ci, parvenu à l'âge de raison, cherche son frère par tous pays; il arrive à Épidamne, dans la ville même où Ménechme ravi a fait fortune. Chacun prend pour l'ancien concitoyen le nouveau débarqué : maîtresse, épouse, beau-père, tout le monde s'y trompe. A la fin les deux frères se reconnaissent.

PERSONNAGES
LABROSSE, parasite de Ménechme ravi.
MÉNECHME, habitant d'Épidamne, ravi autrefois dans son enfance.
ÉROTIE, courtisane, maîtresse de Ménechme ravi.
CYLINDRE, cuisinier d'Érotie.
MÉNECHME SOSICLÈS.
MESSÉNION, esclave de Ménechme Sosiclès.
L'ÉPOUSE de Ménechme ravi.
UN ESCLAVE, personnage muet.
UNE ESCLAVE d'Érotie.
UN VIEILLARD, beau-père de Ménechme ravi.
UN MÉDECIN.
ESCLAVES du médecin.

PROLOGUS

Salutem primum iam a principio propitiam
mihi atque vobis, spectatores, nuncio.
Apporto vobis Plautum, lingua non manu :
quaeso ut benignis accipiatis auribus.
Nunc argumentum accipite atque animum advortite. 5
Quam potero in verba conferam paucissuma.
Atque hoc poetae faciunt in comoediis:
omneis res gestas esse Athenis autumant,
quo illud vobis graecum videatur magis;
ego nusquam dicam nisi ubi factum dicitur. 10
Atque adeo hoc argumentum graecissat, tamen
non atticissat, verum sicilicissitat.
Huic argumento antelogium quidem hoc fuit,
nunc argumentum vobis demensum dabo,
non modio, neque trimodio, verum ipso horreo: 15
tantum ad narrandum argumentum adest benignitas.
Mercator quidam fuit Syracusis senex,
ei sunt nati filii gemini duo,
ita forma simili pueri, ut mater sua
non intergnosse posset quae mammam dabat, 20
neque adeo mater ipsa quae illos pepererat,
ut quidem ille dixit mihi, qui pueros viderat.
Ego illos non vidi, ne quis vostrum censeat.
Postquam iam pueri septuennes sunt, pater
oneravit navem magnam multis mercibus. 25
Imponit alterum geminum in navem pater
Tarentum avexit secum ad mercatum simul;
illum reliquit alterum apud matrem domi.
Tarenti ludei forte erant, quom illuc venit;
mortales multi, ut ad ludos, convenerant. 30
Puer aberravit inter homines a patre.
Epidamniensis quidam ibi mercator fuit :
is puerum tollit atque Epidamnium avehit.
Pater eius autem postquam puerum perdidit,
animum despondit, eaque is aegritudine 35
paucis diebus post Tarenti emortuu'st.
Postquam Syracusas de ea re rediit nuncius
ad avom puerorum, puerum surruptum alterum
patremque pueri Tarenti esse emortuum,
immutat nomen avos huic gemino alteri : 40
ita illum dilexit, qui subruptus est, alterum,
illius nomen indit illi, qui domi est,
Menaechmo, idem quod alteri nomen fuit;
et ipsus eodem avos est vocatus nomine,
propterea illius nomen memini facilius, 45
quia illum clamore vidi flagitarier.
Ne mox erretis, jam nunc praedico prius:
idem est ambobus nomen geminis fratribus.
Nunc in Epidamnum pedibus redeundum'st mihi,
ut hanc rem vobis examussim disputem. 50
Si quis quid vestrum Epidamnum curari sibi
velit, audacter imperato et dicito :
sed ita, ut det, unde curari id possit sibi.
Nam nisi qui argentum dederit, nugas egerit;
qui dederit, magi' maiores nugas egerit. 55
verum illuc redeo unde abii, atque uno adsto in loco.
Epidamniensis ille, quem dudum dixeram,
geminum illum puerum qui surrupuit alterum,
ei liberorum, nisi divitiae, nihil erat:
adoptat illum puerum surrupticium 60
sibi filium eique uxorem dotatam dedit,
eumque heredem fecit, quom ipse obiit diem.
Nam rus ut ibat forte, ut multum pluerat,
ingressus fluvium rapidum ab urbe haud longule,
rapidus raptori pueri subduxit pedes, 65
abstraxitque hominem in maxumam malam crucem.
Illi divitiae evenerunt maximae.
Is illic habitat geminus surrupticius.
Nunc ille geminus, qui Syracusis habet,
hodie in Epidamnum venit cum servo suo 70
hunc quaeritatum geminum germanum suum.
Haec urbs Epidamnus est, dum haec agitur fabula;
quando alia agetur, aliud fiet oppidum,
sicut familiae quoque solent mutarier:
modo hic habitat leno, modo adulescens, modo senex, 75
pauper, mendicus, rex, parasitus, hariolus...

PROLOGUE

D'abord, salut et félicité à moi, et à vous, spectateurs; c'est le premier objet de mon message. Ensuite, je vous apporte ici Plaute, non pas dans ma main, mais au bout de ma langue; recevez-le, je vous prie, avec des oreilles favorables. Maintenant, voici l'analyse de la pièce, faites attention : je la resserrerai dans le moins de mots possible.
Les poètes supposent toujours dans leurs comédies que l'action se passe à Athènes; c'est pour que leur ouvrage vous paraisse mieux sentir son grec. Moi, je vous dirai sans fiction où l'on assure que les faits ont eu lieu. Ainsi donc, le sujet est grécisant, mais non pas atticisant toutefois; il sicilianise.
Après cet avis préliminaire, j'en viens à l'exposition des faits. Je ne vous donnerai pas la pitance par boisseau, par double boisseau; tout le grenier y passera, tant j'ai l'humeur libérale en fait de narration.
Il y avait à Syracuse un marchand d'un certain âge (01), auquel deux jumeaux naquirent, d'une si parfaite ressemblance que leur mère nourrice ne les pouvait distinguer, elle qui leur donnait le sein, ni même la mère qui leur avait donné le jour. Je le tiens de quelqu'un qui avait vu les deux enfants; moi, je ne les ai pas vus, je ne veux pas vous en faire accroire. Ils avaient sept ans, lorsque leur père chargea un grand bateau d'une riche cargaison, et prit avec lui un des fils : il s'agissait d'un voyage à Tarente pour son commerce; l'autre demeura auprès de la mère, à la maison. On célébrait des jeux à Tarente quand ils y arrivèrent; il y avait, comme toujours en pareille circonstance, un grand concours de monde. L'enfant fut séparé de son père et s'égara dans la foule; un marchand épidamnien qui se trouvait là s'empara de l'enfant et l'emporta dans son pays. Le père, désespéré d'avoir perdu son fils, tomba malade de chagrin, et mourut au bout de quelques jours à Tarente. Quand parvint à Syracuse la nouvelle du rapt de l'enfant et de la mort du père chez les Tarentins, l'aïeul fit prendre au jumeau qui restait le nom de l'autre, tant son petit- fils enlevé lui était cher; il nomma le survivant Ménechme, comme l'autre se nommait, et comme il se nommait lui-même. J'ai retenu le nom facilement, parce que j'étais présent quand on appelait l'enfant à grands cris.
Je vous en préviens donc, afin que vous n'y soyez pas trompés; les deux frères portent le même nom.
Maintenant je retourne sur mes jambes à Epidamne, pour vous rendre compte au plus juste de cette affaire. Si quelqu'un de vous désire me charger d'une commission en cette ville, il n'a qu'à parler : qu'il ose, qu'il ordonne; mais à condition de payer les avances nécessaires; car s'il ne donne point d'argent, il perd son temps; et s'il en donne, il le perdra plus encore.
Mais je reviens au lieu d'où je suis parti, et pour m'y arrêter définitivement.
Cet Épidamnien dont je vous parlais tout à l'heure, celui qui enleva l'un des jumeaux, avait de grands biens, mais point d'enfants; il adopte pour fils sa trouvaille et lui déniche une femme bien dotée. Enfin il l'institua son héritier, et peu de temps après il mourut; car un jour qu'il se rendait aux champs après une forte pluie, il voulut passer à gué un torrent, non loin de la ville; la rapidité de l'eau fit perdre l'équilibre au ravisseur de l'enfant, et entraîna notre homme au fin fond des enfers. L'héritier recueillit une très grosse fortune; il habite Épidamne : c'est le jumeau ravi. L'autre, qui réside à Syracuse, vient d'arriver aujourd'hui ici, à Épidamne, avec son esclave, toujours à la quête de son frère. La ville que vous voyez est Épidamne, pour le temps que durera cette pièce; puis, quand on en jouera une autre, la ville changera, comme les acteurs; là habite un personnage tour à tour marchand de femmes, jeune homme et vieillard, pauvre, mendiant, roi, parasite, charlatan.

ACTUS I 
I.i


PENICULUS 
Juventus nomen fecit Peniculo mihi,
ideo quia mensam, quando edo, detergeo.
Homines captivos qui catenis vinciunt
et qui fugitivis servis indunt compedes, 80
nimis stulte faciunt mea quidem sententia.
Nam homini misero si ad malum accedit malum,
major lubido est fugere et facere nequiter.
Nam se ex catenis eximunt aliquo modo.
tum compediti anum lima proterunt 85
aut lapide excutiunt clavom : nugae sunt eae.
Quem tu adservare recte, ne aufugiat, voles,
esca atque potione vinciri decet.
Apud mensam plenam homini rostrum deliges.
Dum tu illi, quod edit et quod potet, praebeas, 90
suo arbitratu adfatim cottidie,
numquam, edepol, fugiet, tametsi capital fecerit,
facile adservabis, dum eo vinclo vincies.
Ita istaec nimis lenta vincla sunt escaria;
quam magis extendas, tanto adstringunt arctius. 95
Nam ego ad Menaechmum hunc eo, quo jam diu
sum judicatus, ultro eo ut me vinciat.
Nam illic homo homines non alit, verum educat,
recreatque: nullus melius medicinam facit.
Ita est adulescens; ipsus escae maxumae : 100
cerialis coenas dat, ita mensas exstruit,
tantas struices concinnat patinarias:
standum'st in lecto, si quid de summo petas.
sed mi intervallum iam hos dies multos fuit:
domi domitus sum usque cum caris meis. 105
Nam neque edo, neque emo, nisi quod est carissumum.
Id quoque jam, cari qui instruuntur, deserunt.
nunc ad eum inviso : sed aperitur ostium.
Menaechmum eccum ipsum video ; progreditur foras. 

ACTE I

LABROSSE (02)

Les jeunes gens m'ont nommé Labrosse; pourquoi? la table, dès que je mange, est aussitôt nettoyée. On tient les captifs à la chaîne; on met des entraves aux pieds des esclaves fugitifs : très mauvaises précautions selon moi. Car si le malheureux a vu s'ajouter à ses maux un surcroît de misère, il n'en a que plus envie de fuir et de jouer de méchants tours. D'une manière ou d'une autre il se délivrera des fers. Enchaînez-lui les pieds, il lime un anneau, il fait sauter les clous avec une pierre; on a perdu son temps. Voulez-vous garder sûrement un homme et l'empêcher de fuir? vous n'avez qu'à l'enchaîner avec la bonne chère et le bon vin. Attachez-le par le museau à une table bien servie. Pourvu qu'on lui fournisse à manger et à boire tout son soûl et tous les jours, jamais par Pollux ! il ne prendra la fuite, eût-il encouru la peine capitale : pour le garder facilement, voilà de quels liens il faut le lier. Admirable élasticité de ces liens alimentaires ! plus on les élargit, plus étroite et plus forte est leur étreinte. Moi, par exemple, qui suis livré par sentence à Ménechme (03), je vais chez lui au-devant de la captivité. Cet homme-là ne nourrit pas les hommes; il les rend gros et gras, il les fait prospérer. Je goûte sa médecine par-dessus toute autre. Lui-même, le garçon est grand mangeur : ce sont chez lui banquets de fêtes de Cérès, tant sa table est chargée, tant il y fait dresser de succulents édifices; il faut monter debout sur le lit pour atteindre au faîte. Mais il y a eu relâche pour moi durant tous ces jours. Force m'a été de me claquemurer entre mes quatre murs avec ce qui m'était cher; car ce qu'il y a de plus cher est ce que j'achète pour manger; mais tout ce qui m'est cher, et qui s'apprêtait pour moi, commence à me manquer (04). Je reviens donc chez Ménechme. On ouvre, c'est lui-même en personne que je vois; il sort.

I.ii

MENAECHMUS 
Ni mala, ni stulta sies, ni indomita imposque animi, 110
quod viro esse odio videas, tute tibi odio habeas.
Praeterhac si mihi tale post hunc diem
faxis, faxo foris vidua visas patrem.
Nam quotiens foras ire volo, me retines, revocas, rogitas,
quo ego eam, quam rem agam, quid negoti geram, 115
quid petam, quid feram, quid foris egerim.
Portitorem domum duxi : ita omnem mihi
rem necesse eloqui est quidquid egi atque ago.
Nimium ego te habui delicatam; nunc adeo ut facturus dicam :
quando ego tibi ancillas, penum, 120
lanam, aurum, vestem, purpuram bene praebeo nec quicquam eges,
malo cavebis, si sapis : virum observare desines.
Atque adeo, ne me nequiquam serves, ob eam industriam
Hodie ducam scortum, atque ad coenam aliquo condicam foras.
PENICULUS
Illic homo se uxori simulat male loqui, loquitur mihi; 125
nam si foris coenat, profecto me, haud uxorem, ulciscitur.
MENAECHMUS  
Evax, jurgio hercle tandem uxorem abegi ab janua.
Ubi sunt amatores mariti? dona quid cessant mihi
conferre omneis, congratulanteis, quia pugnavi fortiter?
Hanc modo uxori intus pallam surrupui, ad scortum fero. 130
Sic hoc decet, dari facete verba custodi catae.
Hoc facinus pulchrum'st, hoc probum'st, hoc lepidum'st, hoc factum'st fabre:
Meo malo a mala abstuli : hoc ad damnum deferetur.
Avorti praedam ab hostibus nostrum salute socium.
PENICULUS  
Heus adulescens, ecqua in istac pars inest praeda mihi? 135
MENAECHMUS  
Perii, in insidias deveni. 
PENICULUS  
Immo in praesidium : ne time.
MENAECHMUS
Quis homo est? 
PENICULUS
Ego sum. 
MENAECHMUS
O mea conmoditas, o mea obportunitas, salve. 
PENICULUS
Salve. 
MENAECHMUS
Quid agis?
PENICULUS
Teneo dextera Genium meum.
MENAECHMUS
Non potuisti magis per tempus mi advenire quam advenis.
PENICULUS
Ita ego soleo: commoditatis omnis articulos scio. 140
MENAECHMUS  
Vin' tu facinus luculentum inspicere? 
PENICULUS
Quis id coxit coquos?
Jam sciam, si quid titubatum'st, ubi reliquias videro.
MENAECHMUS  
Dic mihi, num quam tu vidisti tabulam pictam in pariete,
ubi aquila Catamitum raperet aut ubi Venus Adoneum?
PENICULUS  
Saepe : sed quid istae picturae ad me attinent? 
MENAECHMUS  
Age me aspice. 145
Ecquid adsimulo similiter? 
PENICULUS  
Quis istic est ornatus tuus?
MENAECHMUS  
Dic hominem lepidissimum esse me. 
PENICULUS  
Vbi essuri sumus?
MENAECHMUS  
Dic modo hoc quod ego te jubeo. 
PENICULUS  
Dico, homo lepidissime.
MENAECHMUS  Ecquid audes de tuo istuc addere? 
PENICULUS  
Atque hilarissume.
MENAECHMUS  
Perge.
PENICULUS  
Non pergo, hercle, nisi scio qua gratia. 150
Litigium'st tibi cum uxore : oh ! mihi abs te caveo cautius.
MENAECHMUS 
Clam uxorem ubi sepolcrum habeamus, atque hunc comburamus diem.
PENICULUS  
Age sane igitur, quando aequom oras, quam mox incendo rogum?
Dies quidem jam ad umbilicum est dimidiatus mortuus. 154-155
MENAECHMUS 
Te morare, mihi quom obloquere. 
PENICULUS  Oculum ecfodito per solum 156
mihi, Menaechme, si ullum verbum faxo nisi quod jusseris.
MENAECHMUS  
Concede huc a foribus. 
PENICULUS  
Fiat. 
MENAECHMUS  
Etiam concede huc. 
PENICULUS 
Licet.
MENAECHMUS  
Etiam nunc concede audacter ab leonino cavo.
PENICULUS  
Heu edepol, nae tu, ut ego opinor, esses agitator probus. 160
MENAECHMUS 
Qui dum? 
PENICULUS  
Ne te uxor sequatur, respectas identidem.
MENAECHMUS  
Sed quid ais? 
PENICULUS  
Egone? id enim quod tu vis, id aio atque id nego.
MENAECHMUS  
Ecquid tu de odore possis, si quid forte olfeceris,
facere coniecturam? 
PENICULUS 
Captum sit collegium augurum. 165
MENAECHMUS 
Agedum odorare hanc quam ego habeo pallam : quid olet? abstines?
PENICULUS  
Summum olfactare oportet vestimentum muliebre :
nam ex istoc loco spurcatur nasum odore inlutibili.
MENAECHMUS  
Olfacta igitur hinc, Penicule. Lepide ut fastidis ! 
PENICULUS  
Decet.
MENAECHMUS  
Quid igitur? quid olet? responde. 
PENICULUS  
Furtum, scortum, prandium. 170
MENAECHMUS  
Nunc ad amicam deferetur hanc meretricem Erotium.
Mihi, tibi atque illi iubebo iam adparari prandium. 
Inde usque ad diurnam stellam crastinam potabimus.
PENICULUS  
Eu. Expedite fabulatu's : jam fores ferio?
MENAECHMUS  
Feri :
vel mane etiam. 
PENICULUS  
Mille passum commoratu's cantharum.
MENAECHMUS  
Placide pulta. 
PENICULUS  
Metuis, credo, ne foreis samiae sient.
MENAECHMUS  
Mane, mane, obsecro, hercle: ab se eccum exit. 
PENICULUS  
Oh, solem vides 179-180
MENAECHMUS  
Satin' ut occaecatu'st prae hujus corporis candoribus? 181

I, 2 MÉNECHME, LABROSSE

MÉNECHME (parlant à sa femme dans la maison)
Si tu n'étais pas une méchante pécore, une extravagante, une furieuse, ce qui déplaît à ton mari te déplairait aussi. Dorénavant, si tu me causes encore pareil ennui, tu t'en iras répudiée chez ton père. Je ne peux pas sortir que tu ne m'arrêtes et ne veuilles me retenir; et ce sont des questions : « Où vas-tu? que fais-tu? quelle affaire as-tu? quel soin t'occupe? qu'est-ce que tu emportes? qu'as-tu fait en ville? » J'ai épousé un vrai préfet de la douane (05), qui me force à déclarer ce que je fais et viens de faire. Je t'ai traitée avec trop de douceur; j'agirai désormais d'autre sorte. Car enfin, tu as servantes, provisions de bouche, laine, bijoux, pourpre, vêtements; tu ne manques de rien (06). Ainsi donc, prends garde à la correction, je te le conseille. Tu cesseras de me tenir à l'oeil. Et d'abord, pour que tu n'aies pas perdu ta peine à m'espionner, je me donne tout exprès une courtisane, et je l'invite à dîner quelque part en ville.
LABROSSE (à part)
Il semble menacer sa femme, et c'est moi qu'il menace; car s'il ne mange pas chez lui, il me punit plus qu'elle. (La femme se retire.)
MÉNECHME
Vivat ! Enfin par Hercule ! ma gronderie l'a mise en fuite et l'a forcée à rentrer. A moi les maris à bonnes fortunes ! qu'ils viennent tous me faire compliment et m'apporter le prix de la vaillance. La victoire est à moi. (Il fait voir un châle dont il est affublé sous son pallium.)
Voici un châle que j'ai dérobé à ma femme, et que je porte à ma maîtresse. C'est ainsi qu'il faut en donner à garder à ces trop fines surveillantes. O le glorieux exploit, la belle conduite, le coup de maître impayable ! J'enlève à la maligne, non sans me donner du mal, ce cadeau que je porte à ma ruine. Je pars chargé des dépouilles de l'ennemi, et nos alliés sont en sûreté.
LABROSSE (qui s'est tenu du côté opposé à la maison de Ménechme)
Hé ! jeune homme, n'ai-je pas ma part de revenant-bon dans ce butin?
MÉNECHME (entendant Labrosse sans le voir)
Malheur ! je rencontre une embuscade.
LABROSSE
Point ! un renfort. Ne crains rien.
MÉNECHME
Qui est là?
LABROSSE
C'est moi.
MÉNECHME
O mon bonheur ! ma bonne fortune ! Salut. (Il lui tend la main.)
LABROSSE
Salut.
MÉNECHME
Eh bien ! qu'est-ce?
LABROSSE
Je tiens par la main droite mon bon génie (07).
MÉNECHME
Tu ne pouvais pas arriver plus à propos que tu n'arrives.
LABROSSE
Je suis comme cela. Je sais toujours tomber aux bons moments.
MÉNECHME
Veux-tu contempler une action d'éclat?
LABROSSE
Quel est le cuisinier qui l'a faite? je te dirai s'il a manqué son affaire, quand j'en serai aux restes.
MÉNECHME
Dis-moi, as-tu jamais vu en peinture sur une muraille Ganymède enlevé par un aigle, ou Adonis ravi par Vénus?
LABROSSE
Souvent. Mais que me font ces figures?
MÉNECHME (montrant le châle sur lui)
Eh bien ! regarde-moi; ne leur ressemblé-je pas?
LABROSSE
Que signifie cet accoutrement?
MÉNECHME
Avoue que je suis le plus aimable des hommes.
LABROSSE
Où mangerons-nous?
MÉNECHME
D'abord, réponds comme je le veux.
LABROSSE
Oui, le plus aimable des hommes.
MÉNECHME
Est-ce que tu ne veux pas ajouter quelque chose de ton cru?
LABROSSE
Si, et même quelque chose de très jovial.
MÉNECHME
Continue.
LABROSSE
Je ne continue pas, non, par Hercule, à moins de savoir sur quoi compter. Tu es en querelle avec ta femme. Oh! je prends mes précautions avec toi.
MÉNECHME
Je veux que nous enterrions cette journée, sans que ma femme sache où nous dressons le bûcher.
LABROSSE
Oui, oui, tu as raison. Il me tarde de prendre la torche en main; car la journée est déjà à moitié finie, elle est à demi morte.
MÉNECHME
Tu retardes tes jouissances en me coupant la parole.
LABROSSE
Crève-moi l'oeil unique qui me reste, cher Ménechme, si je profère un seul mot sans ton ordre.
MÉNECHME
Éloignons-nous de cette porte (montrant sa maison).
LABROSSE
Volontiers.
MÉNECHME (s'éloignant davantage, en regardant derrière lui)
Viens ici.
LABROSSE
Comme tu voudras.
MÉNECHME (s'éloignant toujours de même)
Viens, viens, pas de paresse. Écartons-nous de l'antre de la lionne.
LABROSSE
Par Pollux, tu serais, à ce qu'il me semble, un bon cocher de cirque.
MÉNECHME
Pourquoi ça?
LABROSSE
De peur que ton épouse ne te rattrape, tu regardes à chaque instant en arrière. 
MÉNECHME
Ah, ah ! que dis-tu?
LABROSSE
Moi? j'affirme, je nie tout ce qu'il te plaira.
MÉNECHME
Pourrais-tu, en flairant quelque chose, deviner à l'odeur ce que c'est?
LABROSSE
C'est comme si tu consultais le collège des augures.
MÉNECHME
Alors, sens le châle que j'ai là. Que t'en semble? (Il présente le bas du châle ; Labrosse le repousse de la main.) Tu te récuses?
LABROSSE
C'est par le haut qu'il faut sentir un vêtement de femme; l'endroit que tu me présentes m'infecterait le nez à ne pouvoir plus le nettoyer.
MÉNECHME
Sens donc de ce côté, aimable Labrosse. (Il lui présente de nouveau le châle; Labrosse flaire à peine.) Comme tu fais le précieux !
LABROSSE
Pourquoi pas?
MÉNECHME
Eh bien ! donc, quelle odeur trouves-tu, dis?
LABROSSE
Odeur de larcin, de libertinage, de goinfrerie.
MÉNECHME
Je vais l'offrir à ma maîtresse, la courtisane Érotie. Je lui dirai de faire préparer un repas sur l'heure pour moi, pour toi et pour elle, et nous boirons ensemble jusqu'à demain au lever de l'aurore.
LABROSSE
C'est ce qui s'appelle parler clairement. Vais-je frapper?
MÉNECHME
Oui. (Labrosse frappe à coups redoublés.) Malheureux ! attends donc.
LABROSSE
Tu recules la coupe de mille pas.
MÉNECHME
Frappe doucement.
LABROSSE
Tu as peur, je crois, que la porte ne soit de fabrique samienne. (Il frappe de nouveau.)
MÉNECHME
Attends, attends, je t'en prie, par Hercule. La voici qui sort. (Il reste comme en extase.)
LABROSSE (se moquant de son air ébahi)
Oh ! c'est le soleil que tu regardes.
MÉNECHME
Comme il est éclipsé par ce teint éblouissant !

I.iii

EROTIUM 
Anime mi, Menaechme, salve. 
PENICULUS 
Quid ego? 
EROTIUM  Extra numerum es mihi.
PENICULUS 
Idem istuc aliis adscribtivis fieri ad legionem solet.
MENAECHMUS 
Ego isteic mihi hodie adparari iussi apud te proelium. 184-185
EROTIUM  
Hodie id fiet. 
MENAECHMUS 
In eo uterque proelio potabimus. 186
Uter ibi melior bellator erit inventus cantharo,
tua est legio, adjudicato, cum utro hanc noctem sies.
Ut ego uxorem, mea voluptas, ubi te aspicio, odi male !
EROTIUM  
Interim nequis, quin ejus aliquid indutus sies. 190
Quid hoc est? 
MENAECHMUS 
Induviae tuae, atque uxoris exuviae, rosa.
EROTIUM  
Superas facile, ut superior sis mihi quam quisquam qui impetrant.
PENICULUS 
Meretrix tantisper blanditur, dum illud quod rapiat videt.
Nam si amabas, iam oportebat nasum abreptum mordicus. 195
MENAECHMUS 
Sustine hoc, Penicule; exuvias facere, quas vovi volo. 196
PENICULUS 
Cedo, sed obsecro, hercle, salta sic cum palla postea.
MENAECHMUS 
Ego saltabo? sanus, hercle, non es. 
PENICULUS 
Egone an tu magis?
si non saltas, exue igitur. 
MENAECHMUS Nimio ego hanc periculo
subrupui hodie : meo quidem animo, ab Hippolyta subcingulum haud 200
Hercules aeque magno umquam abstulit periculo.
Cape tibi hanc, quando una vivis meis morigera moribus.
Hoc animo decet animatos esse amatores probos.
PENICULUS 
Qui quidem ad mendicitatem se properent detrudere.
MENAECHMUS 
Quattuor minis ego emi istanc anno uxori meae. 205
PENICULUS 
Quattuor minae perierunt plane, ut ratio redditur.
MENAECHMUS 
Scin' quid volo ego te accurare? 
EROTIUM  
Scio, curabo quae voles.
MENAECHMUS 
Iube igitur tribus nobis apud te prandium adcurarier
atque aliquid scitamentorum de foro opsonarier,
glandionidam suillam, laridum, pernonidam, 210
aut sinciput, aut polimenta porcina aut aliquid ad eum modum,
madida quae mi adposita in mensam, milvinam subgerant;
atque actutum. 
EROTIUM  
Licet ecastor. 
MENAECHMUS 
Nos prodimus ad forum.
Iam hic nos erimus: dum coquetur, interim potabimus.
EROTIUM  
Quando vis veni, parata res erit. 
MENAECHMUS 
Propera modo. 215
Sequere tu. 
PENICULUS 
Ego, hercle, vero te et servabo, et te sequar :
neque hodie ut te perdam, meream deorum divitias mihi.
EROTIUM  
Evocate intus Culindrum mihi coquum actutum foras.

I, 3 ÉROTIE, LABROSSE, MÉNECHME

ÉROTIE
Mon coeur, mon cher Ménechme, bonjour.
LABROSSE
Et moi?
ÉROTIE
Tu ne comptes pas.
LABROSSE
C'est ce qui a lieu à l'armée pour les suppléants (08).
MÉNECHME
Je commande pour aujourd'hui chez toi les apprêts d'un combat.
ÉROTIE
Va pour aujourd'hui.
MÉNECHME
Et dans cette guerre nous ferons tous deux couler bien du vin. Lequel de nous deux (montrant le parasite) sera le meilleur combattant dans le choc des coupes? (A Erotie.) L'armée est sous tes ordres, tu adjugeras le prix : ta nuit prochaine. Chère volupté ! que ma femme, quand je te regarde, me paraît odieuse !
ÉROTIE (apercevant le châle qu'il porte sur lui)
Cependant, tu ne peux t'empêcher de porter quelque chose qui soit à elle. Qu'est-ce que c'est que cela !
MÉNECHME
Parure pour toi, dépouille de ma femme, ma rose.
ÉROTIE (radoucissant le ton de sa voix)
De tous les amants que je préfère, tu sais toujours être mon préféré.
LABROSSE (à part)
La courtisane nous cajole un tantinet, dès qu'elle voit du butin à saisir. (Haut.) Si tu l'aimais, tu lui aurais déjà pris le nez entre tes dents.
MÉNECHME (se débarrassant de son pallium)
Débarrasse-moi de ça, Labrosse. Je désire m'acquitter de mon voeu en offrant les dépouilles.
LABROSSE
Donne. (Ménechme reste vêtu seulement de sa tunique, avec le châle par-dessus.) Mais tu devrais bien, je t'en prie, par Hercule, danser la pantomime dans ce costume.
MÉNECHME
Moi, danser? tu es fou, par Hercule (09).
LABROSSE
Le plus fou, est-ce moi ou toi? Si tu ne danses pas, ôte ce châle.
MÉNECHME
J'ai couru de grands dangers pour le dérober aujourd'hui. Hercule, je pense, n'en essuya pas de plus grands pour enlever à Hippolyte sa ceinture. Reçois ce don, toi qui ne penses qu'à me plaire. Je veux être ainsi le modèle des vrais amants.
LABROSSE (à part)
Oui, de ceux qui n'ont rien de plus pressé que de se réduire à la mendicité.
MÉNECHME
Je l'ai acheté quatre mines pour ma femme, il y a un an.
LABROSSE (à part)
Ce sont quatre mines perdues, tout compte fait.
MÉNECHME
Sais-tu ce que je désire de ta complaisance?
ÉROTIE
Oui, je ferai tout ce que tu voudras.
MÉNECHME
Fais-donc apprêter à dîner chez toi pour nous trois; qu'on ait au marché des mets délicats, des ris de porc, du lard, un jambonneau, une hure, des rognons de verrat, ou quelque chose de la sorte. Et que les mets, bien cuits, bien servis, me donnent un appétit de vautour; et en vitesse!
ÉROTIE
A tes ordres, par Castor.
MÉNECHME
Nous, allons au forum; nous serons de retour dans un moment. En attendant que le cuisinier ait fini, nous boirons.
ÉROTIE
Viens quand il te plaira, tout sera prêt.
MÉNECHME
Qu'on se dépêche. (A Labrosse.) Viens, toi.
LABROSSE
Moi, par Hercule, je te garde à vue, je colle à toi; je ne voudrais pas te perdre aujourd'hui, pour toutes les richesses des dieux. (Ils sortent.)
ÉROTIE (à ses esclaves)
Faites-moi venir ici mon cuisinier Cylindre, tout de suite.

I.iv

EROTIUM  
Sportulam cape atque argentum;  eccos treis nummos habes.
CYLINDRUS 
Habeo. 
EROTIUM 
Abi atque opsonium adfer; tribus vide quod sit satis. 220
Neque defiat neque supersit. 
CYLINDRUS 
Quoiusmodi hi homines erunt?
EROTIUM 
Ego et Menaechmus, et parasitus eius. 
CYLINDRUS 
Iam isti sunt decem.
Nam parasitus octo hominum munus facile fungitur.
EROTIUM 
Elocuta sum convivas; ceterum cura. 
CYLINDRUS 
Licet.
Cocta sunt, iube ire adcubitum. 
EROTIUM 
Redi cito. 
CYLINDRUS 
Iam ego hic ero. 225 

I, 4. ÉROTIE, CYLINDRE.

ÉROTIE
Prends ton panier et de l'argent; voici trois didrachmes, n'est-ce pas?
CYLINDRE
Bon.
ÉROTIE
Va au marché; tu achèteras de quoi faire un dîner pour trois. Vois qu'il y ait assez, que rien ne manque, mais point de superflu.
CYLINDRE
Quels sont les convives?
ÉROTIE
Moi et Ménechme avec son parasite.
CYLINDRE
Alors vous êtes dix. Car le parasite en vaut bien huit à lui seul.
ÉROTIE
Je t'ai dit qui il y aura. Maintenant, arrange-toi.
CYLINDRE
Très bien; le dîner est cuit, on peut se mettre à table.
ÉROTIE
Reviens vite.
CYLINDRE 
C'est presque fait. (Ils sortent.)

ACTVS II

II.i

MENAECHMUS 
Nulla 'st voluptas navitis, Messenio,
maior, meo animo, quam quom ex alto procul
terram conspiciunt. 
MESSENIO 
Maior, non dicam dolo,
si adveniens terram videas, quae fuerit tua.
Sed quaeso, quamobrem nunc Epidamnum venimus? 230
An, quasi mare, omneis circumimus insulas?
MENAECHMUS 
Fratrem quaesitum geminum germanum meum.
MESSENIO 
Namquid modi futurum 'st illum quaerere?
Hic annus sextust postquam ei rei operam damus.
Istros, Hispanos, Massiliensis, Illurios, 235
mare superum omne, Graeciamque exoticam,
orasque Italicas omneis, qua adgreditur mare,
sumus circumvecti : si acum, credo, quaereres,
acum invenisses, si adpareret, iam diu.
Hominem inter vivos quaeritamus mortuum : 240
nam invenissemus iam diu, si viveret.
MENAECHMUS 
Ergo istuc quaero certum qui faciat mihi,
qui sese dicat scire, eum esse emortuum;
operam praeterea numquam sumam quaerere.
Verum aliter, vivos numquam desistam exsequi; 245
ego illum scio, quam cordi sit carus meo.
MESSENIO 
In scirpo nodum quaeris, quin nos hinc domum
redimus, nisi si historiam scribturi sumus?
MENAECHMUS 
Dictum facessas datum, edis, caveas malo.
Molestus ne sis, non tuo hoc fiet modo. 
MESSENIO 
Hem, 250
illoc enim verbo esse me servom scio.
Non potuit paucis plura plane proloqui.
Verum tamen nequeo continere, quin loquar.
Audi, Menaechme : quom inspicio marsupium,
viaticati, hercle, admodum aestive sumus. 255
Nae tu, hercle, opinor, nisi domum revorteris,
ubi nihil habebis, geminum dum quaeres, gemes.
Nam ita est haec hominum natio Epidamnia,
voluptarii atque potatores maxumi;
tum sycophantae et palpatores plurumei 260
in urbe hac habitant; tum meretrices mulieres
nusquam perhibentur blandiores gentium.
Propterea huic urbi nomen Epidamno inditum 'st,
quia nemo ferme huc sine damno devortitur.
MENAECHMUS 
Ego istuc cavebo : cedodum huc mihi marsupium. 265
MESSENIO 
Quid eo vis? 
MENAECHMUS 
Iam aps te metuo de verbis tuis.
MESSENIO 
Quid metuis? 
MENAECHMUS 
Ne mihi damnum in Epidamno duis.
Tu magnus amator mulierum es, Messenio :
ego autem homo iracundus, animi perditi.
Id utrumque, argentum quando habebo, cavero, 270
ne tu delinquas, neve ego irascar tibi.
MESSENIO 
Cape atque serva, me lubente feceris. 

ACTE II

II, 1 MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION

MÉNECHME
Il n'y a pas, selon moi, de plus grand plaisir en mer pour des navigateurs, Messénion, que d'apercevoir de loin la terre.
MESSÉNION
Il y en a un plus grand, je l'avouerai sans fard, c'est d'arriver chez soi et de voir la terre qu'on a eue pour berceau. Mais pourquoi, je te prie, venir à Épidamne? est-ce que nous ferons, comme la mer, le tour de toutes les îles?
MÉNECHME
J'y viens pour chercher mon frère jumeau.
MESSÉNION
Quel sera donc le terme de nos recherches? Voilà six ans que nous nous y consacrons. Istriens, Espagnols, Marseillais, Illyriens, mer Tyrrhénienne tout entière, Grande-Grèce, côtes d'Italie autant qu'en baigne la mer, nous avons tout visité. Quand tu chercherais une aiguille, je crois que, si elle y était, tu l'aurais trouvée il y a belle lurette. Nous cherchons un mort parmi les vivants; ne l'aurions-nous pas découvert depuis longtemps, s'il vivait encore?
MÉNECHME
Je veux trouver au moins quelqu'un qui sache qu'il est mort, qui puisse me le dire et me l'assurer; alors je renonce à mon entreprise. Mais jusque-là, je ne cesserai point de rechercher sa trace. Il n'y a que moi qui sache combien il est cher à mon cœur.
MESSÉNION
C'est comme si tu cherchais un noeud dans un brin d'osier. Il faut retourner chez nous; à moins que nous ne  nous préparions à écrire l'histoire.
MÉNECHME
Trêve aux beaux discours, et prends garde qu'il ne t'arrive malheur. Tu m'ennuies, je ne me réglerai pas sur tes avis.
MESSÉNION
Certes, ce langage me remet à ma place d'esclave. Impossible de dire plus en si peu de mots, et plus catégoriquement. Mais cependant je n'arrive pas à me contenir, il faut que je parle. Écoute, Ménechme; quand je considère notre bourse de voyage, il me semble, par Hercule, que nous sommes équipés bien à la légère; et je t'assure que si tu ne retournes pas au logis, par Hercule ! le temps viendra où, n'ayant plus rien, tu gémiras d'avoir cherché ton jumeau. Il ne faut pas se méprendre sur ce peuple-ci : les Épidamniens sont des hommes de plaisir et de grands buveurs; la ville abonde en intrigants adroits et insinuants : et les courtisanes ! il n'y a pas de pays, dit-on, où elles soient plus séduisantes. C'est pour cela qu'on a nommé la ville Épidamne; parce qu'on n'y peut séjourner qu'à son dam.
MÉNECHME
Je me tiendrai sur mes gardes, tu as raison. Donne-moi la bourse.
MESSÉNION
Pourquoi donc?
MÉNECHME
Tes paroles me donnent des craintes sur ton compte.
MESSÉNION
Que crains-tu?
MÉNECHME
Que tu ne visites à mon dam Épidamne. Tu es grand amateur de femmes; moi, je suis colère, emporté; je préviendrai, en tenant la bourse, deux désagréments : pour toi celui de faillir, pour moi celui de me fâcher.
MESSÉNION
Prends et garde; tu me feras plaisir.

 

II.ii

CYLINDRUS 
Bene opsonavi atque ex mea sententia,
bonum anteponam prandium pransoribus.
Sed eccum Menaechmum video : vae tergo meo ! 275
Prius iam convivae ambulant ante ostium,
quam ego opsonatu redeo : adibo atque alloquar.
Menaechme, salve. 
MENAECHMUS 
Di te amabunt : quisquis ego sum ?
CYLINDRUS 
Non, hercle, vere. Ubi convivae ceteri? 280
MENAECHMUS 
Quos tu convivas quaeris? 
CYLINDRUS 
Parasitum tuum.
MENAECHMUS 
Meum parasitum? certe hic insanu'st homo.
MESSENIO 
Dixin' tibi esse heic sycophantas plurumos?
MENAECHMUS 
Quem tu parasitum quaeris, adulescens, meum? 285
CYLINDRUS 
Peniculum.
MESSENIO 
Eccum in vidulo salvom fero.
CYLINDRUS 
Menaechme, numero huc advenis ad prandium
nunc opsonatu redeo. 
MENAECHMUS 
Responde mihi,
adulescens, quibus heic pretiis porci veneunt
sacres sinceri? 
CYLINDRUS 
Nummum. 
MENAECHMUS 
Nummum a me accipe: 290
iube te piari de mea pecunia.
nam equidem insanum esse te certo scio,
qui mihi molestus homini ignoto, quisquis es.
CYLINDRUS 
Cylindrus ego sum, non gnosti nomen meum?
MENAECHMUS 
Seu tu Cylindrus, seu Coriendrus, perieris. 295
Ego te non gnovi, neque gnovisse adeo volo.
CYLINDRUS 
Est tibi Menaechmo noMENAECHMUS
MENAECHMUS
Tantum quod sciam.
Pro sano loqueris, quom me appellas nomine.
Sed ubi gnovisti me? 
CYLINDRUS 
Ubi ego te gnoverim ?
Qui amicam habes eram meam hanc Erotium? 300
MENAECHMUS 
Neque, hercle, habeo, neque te, quis homo sis scio.
CYLINDRUS 
Non scis quis ego sim ? qui tibi saepissume
cyathisso apud nos, quando potas? 
MESSENIO 
Hei mihi,
quom nihil est, qui illi homini diminuam caput.
MENAECHMUS 
Tun' cyathissare mihi soles, qui ante hunc diem 305
Epidamnum numquam vidi, neque veni? 
CYLINDRUS 
Negas !
MENAECHMUS 
Nego hercle vero. 
CYLINDRUS 
Non tu in illisce aedibus
habitas? 
MENAECHMUS 
Dii illos homines, qui illeic habitant, perduint.
CYLINDRUS 
Insanit hic quidem, qui ipse male dicit sibi.
Audin', Menaechme? 
MENAECHMUS 
Quid vis? 
CYLINDRUS 
Si me consulas, 310
nummum illum, quem mihi dudum pollicitus dare,
iubeas, si sapias, porculum adferri tibi : 314-315
nam tu quidem, hercle, certo non sanus satis,
Menaechme, qui nunc ipsus male dicas tibi.
MESSENIO 
Heu hercle hominem multum et odiosum mihi. 316
CYLINDRUS 
Solet iocari saepe mecum illoc modo.
Quamvis ridiculus est, ubi uxor non adest.
MENAECHMUS 
Quid ais tu? 
CYLINDRUS 
Quid vis, inquam ! Satin' hoc quod vides
tribus vobis opsonatum 'st, an opsono amplius, 320
tibi et parasito et mulieri? 
MENAECHMUS 
Quas tu mulieres,
quos tu parasitos loquere? 
MESSENIO 
Quod te urget scelus,
qui huic sis molestus? 
CYLINDRUS 
Quid tibi mecum 'st rei?
ego te non gnovi: cum hoc quem gnovi fabulor.
MESSENIO 
Non, edepol, tu homo sanus es, certo scio. 325
CYLINDRUS 
Iam ergo haec madebunt faxo : nihil morabitur.
Proin tu ne quo abeas longius ab aedibus.
Numquid vis? 
MENAECHMUS 
Ut eas maxumam malam crucem.
CYLINDRUS 
Ire, hercle, melius est te interim atque adcumbere,
dum ego haec adpono ad Volcani violentiam. 330
Ibo intro, et dicam te heic adstare Erotio,
ut te hinc abducat potius quam heic adstes foris.
MENAECHMUS 
Iamne abiit ? edepol, haud mendacia
tua verba experior esse. 
MESSENIO 
Observato modo.
Nam isteic meretricem credo habitare mulierem, 335
ut quidem ille insanus dixit, qui hinc abiit modo.
MENAECHMUS 
Sed miror, qui ille gnoverit nomen meum.
MESSENIO 
Minime, hercle, mirum; morem hunc meretrices habent:
ad portum mittunt servolos, ancillulas;
si qua peregrina navis in portum advenit, 340
rogitant cuiatis sit, quid ei nomen siet,
post, illae extemplo se applicant, adglutinant:
si pellexerunt, perditum amittunt domum.
Nunc in istoc portu stat navis praedatoria,
abs qua cavendum nobis sane censeo. 345
MENAECHMUS 
Mones quidem, hercle, recte. 
MESSENIO 
Tum demum sciam
recte monuisse, si tu recte caveris.
MENAECHMUS 
Tacedum parumper : nam concrepuit ostium.
Videamus qui hinc egreditur. 
MESSENIO 
Hoc ponam interim.
adservatote haec, soltis, navaleis pedes. 350

II, 2 CYLINDRE, MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION

CYLINDRE
J'ai fait de bonnes emplettes, et je suis satisfait. Je me flatte de servir un bon dîner à nos dîneurs. (Apercevant Sosiclès.) Mais voici Ménechme; tant pis pour mon dos. Les convives se promènent déjà devant la porte, que je ne suis pas encore revenu du marché. Allons lui parler.
Bonjour, Ménechme.
MÉNECHME
Les dieux te soient en aide ! Tu sais qui je suis?
CYLINDRE
Non, par Hercule ! Où sont les autres convives?
MÉNECHME
De quels convives parles-tu?
CYLINDRE
De ton parasite.
MÉNECHME
Mon parasite? (A Messénion.) Assurément, cet homme est toqué.
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Qu'est-ce que je te disais? il y a ici quantité de fripons.
MÉNECHME (à Cylindre)
Quel parasite me demandes-tu, mon ami?
CYLINDRE
Labrosse.
MESSÉNION
Je l'ai là dans ma valise en excellent état.
CYLINDRE
Ménechme, tu viens de bien bonne heure pour dîner; je ne fais que d'arriver du marché.
MÉNECHME
Réponds-moi, mon garçon; combien vend-on ici les meilleurs porcs pour les sacrifices (10)?
CYLINDRE
Un didrachme.
MÉNECHME
Acceptes-en un, et fais-toi purger le cerveau par les prêtres, à mes frais. Car à coup sûr tu es fou, qui que tu sois, de venir m'ennuyer, moi qui ne te connais pas.
CYLINDRE
Tu ne connais pas mon nom? Je suis Cylindre.
MÉNECHME
Cylindre, ou Culindre (11), va te faire pendre ! Je ne te connais point, ni ne veux te connaître.
CYLINDRE
Toi, tu t'appelles Ménechme.
MÉNECHME
Oui, autant que je sache. Tu parles sensément quand tu me nommes par mon nom. Mais d'où me connais-tu?
CYLINDRE
D'où je te connais? toi, l'amant d'Érotie, la maîtresse que je sers, et qui demeure ici
MÉNECHME
Par Hercule, je ne suis pas son amant, et je ne sais qui tu es.
CYLINDRE
Tu ne sais pas qui je suis? moi qui si souvent te verse à boire quand on te traite à la maison.
MESSÉNION (à part)
Mort de ma vie ! que n'ai-je quelque chose sous la main pour lui casser la tête !
MÉNECHME
Tu as l'habitude de me verser à boire, à moi qui jamais jusqu'à ce jour n'avais vu Épidamne, qui jamais n'y avais mis les pieds?
CYLINDRE
Tu me donnes un démenti?
MÉNECHME
Je te le donne, par Hercule.
CYLINDRE
Tu ne demeures pas dans cette maison? (Il montre la maison de Ménechme ravi.)
MÉNECHME
Que les dieux perdent les gens qui l'habitent !
CYLINDRE (à part)
Il est donc fou, de faire des imprécations contre lui-même? (Haut.) Écoute, Ménechme.
MÉNECHME
Que veux-tu?
CYLINDRE
Si tu m'en croyais, avec cet argent que tu m'as promis tout à l'heure, tu ferais bien de te procurer un petit porc; car certainement, par Hercule, tu n'es pas tout à fait dans ton bon sens, Ménechme, de te maudire toi-même.
MESSÉNION
O l'ennuyeux bavard ! je n'y tiens plus.
CYLINDRE (à part)
Souvent il lui arrive de s'amuser ainsi avec moi. Il est d'humeur très joviale quand sa femme n'est pas là.
MÉNECHME
Dis-moi?
CYLINDRE
Que veux-tu donc? (Montrant son panier.) Vois, ai-je fait assez d'emplettes pour vous trois? Faut-il encore quelque chose de plus pour elle et pour toi avec ton  parasite?
MÉNECHME
Qu'est-ce que tu chantes, avec tes femmes et tes parasites?
MESSÉNION (à Cylindre, avec le ton de la menace)
Quelle coquinerie te pousse à l'importuner?
CYLINDRE
Ai-je affaire à toi? Je ne te connais pas. C'est à lui que je parle, lui que je connais.
MÉNECHME
Par Pollux, tu as perdu le sens, j'en suis sûr.
CYLINDRE
Ma cuisine sera faite dans un instant; il n'y aura pas de retard. Ainsi, ne t'éloigne pas de la maison. Tu ne me veux plus rien?
MÉNECHME
Sinon de t'aller pendre à la croix la plus haute.
CYLINDRE
Toi plutôt, par Hercule (12)... tu devrais venir te mettre à table, pendant que j'expose tout ceci à la violence de Vulcain. J'entre dire à Érotie que tu es là, afin qu'elle vienne te chercher au lieu de te laisser dehors. (Il sort.)
MÉNECHME
Est-il parti, à la fin? Par Pollux, tes discours ne sont pas trompeurs, je le vois.
MESSÉNION
Prends garde tout de même, car je crois que c'est ici la demeure de la femme dont nous a parlé ce fou qui vient de s'en aller.
MÉNECHME
Je m'étonne que le gaillard sache mon nom.
MESSÉNION
Rien d'étonnant, par Hercule ! C'est la coutume des courtisanes, d'envoyer au port quelqu'un de leurs gens pour attendre les navires étrangers qui arrivent, et pour s'informer du propriétaire et de son nom. Ensuite elles se prennent à leur proie, elles s'y collent; et si elles parviennent à séduire un homme, il est perdu quand elles le renvoient chez lui. Maintenant il y a un corsaire armé qui se tient en rade près de toi; je crois qu'il est prudent de nous en défier.
MÉNECHME
Voilà un bon avis, par Hercule.
MESSÉNION
Je connaîtrai l'excellence de mon avis, si tu fais bonne contenance.
MÉNECHME
Tais-toi un peu. J'entends le bruit de la porte. Voyons qui sortira.
MESSÉNION
En attendant, je vais m'alléger. (Il se débarrasse de sa valise, et la donne aux mariniers qui les suivent.) Gardez cela, vous autres, jambes de bateaux (13).

 

II.iii

EROTIUM 
Sine foreis sic : abi, nolo operiri.
Intus para, cura, vide, quod opu est fiat:
sternite lectos, incendite odores, munditia
inlecebra animo est amantium. 354-355
Amanti amoenitas malo est, nobis lucro est. 356
Sed ubi ille est, quem cocus ante aedeis esse ait? atque eccum video,
qui mi est usui et plurimum prodest.
Item hinc ultro fit, ut meret, potissimus nostrae domi ut sit:
nunc eum adibo, ultro adloquar. 360
Animule mi, mihi mira videntur,
heic te stare foris, fores quoi pateant,
magis quam domus tua, domus quom haec tua sit.
Omne paratum 'st, ut iussisti
atque ut voluisti; , neque tibi 365
ulla mora intus :
prandium, ut iussisti, heic curatum 'st: 
ubi lubet, ire licet accubitum.
MENAECHMUS 
Quicum haec mulier loquitur? 
EROTIUM 
Equidem tecum. 
MENAECHMUS 
Quid mecum tibi
fuit umquam, aut nunc est negoti? 
EROTIUM 
Quia, pol, te unum ex omnibus 370
Venus me voluit magnificare, atque id haud inmerito tuo.
Nam, ecastor, solus benefactis tuis me florentem facis.
MENAECHMUS
 
Certo haec mulier aut insana aut ebria 'st, Messenio,
quae hominem ignotum compellet me tam familiariter.
MESSENIO 
Dixin' ego istaec heic solere fieri? folia nunc cadunt, 375
prae ut si triduum hoc heic erimus: tum arbores in te cadent.
Nam ita sunt heic meretrices: omneis elecebrae argentariae.
Sed sine me dum hanc compellare : heus mulier ! tibi dico. EROTIUM 
Quid est?
MESSENIO 
Ubi tu hunc hominem gnovisti? 
EROTIUM 
Ibidem, ubi hic me iam diu,
in Epidamno. 
MESSENIO 
In Epidamno? qui huc in hanc urbem pedem, 380
nisi hodie, numquam intro tetulit? 
EROTIUM 
Eeia, delicias facis.
mi Menaechme : quin, amabo, is intro? hic tibi erit rectius.
MENAECHMUS 
Haec quidem, edepol, recte appellat meo me mulier nomine.
nimis miror, quid hoc sit negoti. 
MESSENIO 
Oboluit marsupium
huic istuc quod habes. 
MENAECHMUS 
Atque, edepol, tu me monuisti probe. 385
adcipedum hoc : iam scibo, utrum hae me mage amet an marsupium.
EROTIUM 
Eamus intro, ut prandeamus. 
MENAECHMUS Bene vocas: tam gratia 'st.
EROTIUM 
Cur igitur me tibi iussisti coquere dudum prandium?
MENAECHMUS 
Egon te iussi coquere? 
EROTIUM 
Certo tibi et parasito tuo.
MENAECHMUS 
Quoi, malum, parasito? certo haec mulier non sana est satis. 390
EROTIUM 
Peniculo. 
MENAECHMUS 
Quis iste est Peniculus? qui extergentur baxeae?
EROTIUM 
Scilicet qui dudum tecum venit, quom pallam mihi
detulisti, quam ab uxore tua surrupuisti. 
MENAECHMUS 
Quid est?
tibi pallam dedi, quam uxori meae surrupui? sanan' es?
certe haec mulier cantherino ritu adstans somniat. 395
EROTIUM 
Qui lubet ludibrio habere me, atque ire infitias mihi
facta quae sunt? 
MENAECHMUS Dic quid est id, quod negem, quod fecerim?
EROTIUM 
Pallam te hodie mihi dedisse uxoris. 
MENAECHMUS 
Etiam nunc nego.
Ego quidem neque umquam uxorem habui, neque habeo, neque huc
umquam, postquam natus sum, intra portam penetravi pedem. 400
Prandi in navi; inde huc sum egressus, te conveni. 
EROTIUM 
Ecere,
perii misera ! quam tu nunc mihi navem narras? 
MENAECHMUS 
Ligneam,
saepe tritam, saepe fixam, saepe excussam malleo;
quasi supellex pellionis, palus palo proxum 'st.
EROTIUM 
Iam me, amabo, desine ludos facere, atque i hac mecum simul. 405
MENAECHMUS 
Nescio quem, mulier, alium hominem, non me quaeritas.
EROTIUM 
Non ego te gnovi Menaechmum, Moscho prognatum patre ?
qui Syracusis perhibere gnatus esse in Sicilia,
ubi rex Agathocles regnator fuit, et iterum Phintia ? 409-410
tertium Liparo, qui in morte regnum Hieroni tradidit, 411
nunc Hiero est? 
MENAECHMUS 
Haud falso, mulier, praedicas. 
MESSENIO 
Pro Iuppiter !
num istaec mulier illinc venit, quae te gnovit tam cate?
MENAECHMUS 
Hercle opinor, pernegari non potest. 
MESSENIO 
Ne feceris. 414-415
Periisti, si intrassis intra limen. 
MENAECHMUS 
Quin tace modo : 416
bene res geritur; adsentabor, quidquid dicet, mulieri,
si possum hospitium nancisci. Iamdudum, mulier, tibi
non imprudens advorsabar: hunc metuebam, ne meae 419-420
uxori renuntiaret de palla et de prandio. 421
Nunc, quando vis, eamus intro. 
EROTIUM 
Etiam parasitum manes?
MENAECHMUS 
Neque ego illum maneo, neque floccifacio, neque, si venerit,
eum volo intromitti. 
EROTIUM 
Ecastor, haud invita fecero.
sed scin' quid te amabo ut facias? 
MENAECHMUS 
Impera quid vis modo. 425
EROTIUM 
Pallam illam, quam dudum dederas, ad phrygionem ut deferas,
ut reconcinnetur, atque ut opera addantur quae volo.
MENAECHMUS 
Hercle, quin tu recte dicis; eadem ignorabitur :
ne uxor cognoscat te habere, si in via conspexerit.
EROTIUM 
Ergo mox auferto tecum, quando abibis. 
MENAECHMUS 
Maxume. 430
EROTIUM 
Eamus intro.
MENAECHMUS 
Iam sequar te. hunc volo etiam conloqui.
Eho, Messenio, accede huc. 
MESSENIO 
Quid negoti 'st? 
MENAECHMUS 
St! scire vis ?
MESSENIO 
Quid ergo? 
MENAECHMUS 
Opu'st. 
MESSENIO 
Quid opu'st ?
MENAECHMUS 
Scio ut me dices. 
MESSENIO 
Tanto nequior.
MENAECHMUS 
Habeo praedam: tantum incepi operis :i quantum pote'st : 434-435
abduc istos in tabernam actutum diversoriam. 436
Tum facito ante solis occasum ut venias advorsum mihi.
MESSENIO 
Non tu istas meretrices gnovisti, here. 
MENAECHMUS 
Tace, inquam.
Mihi dolebit, non tibi, si quid ego stulte fecero.
Mulier haec stulta atque inscita 'st; quantum perspexi modo, 440
est hic praeda nobis.
MESSENIO 
Perii.
MENAECHMUS 
Iamne abis? 
MESSENIO 
Periit probe:
Ducit lembum dierectum navis praedatoria.
Sed ego inscitus, qui hero me postulem moderarier;
dicto me emit audientem, haud imperatorem sibi.
Sequimini, ut, quod imperatum 'st, veniam advorsum temperi. 445 

II, 3 ÉROTIE, MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION.

ÉROTIE (à Cylindre qui veut fermer la porte)
Laisse la porte comme cela; va, je ne veux pas qu'on ferme. Prépare tout à la maison; veille à ce que rien ne manque. (A d'autres esclaves.) Garnissez les lits, brûlez des parfums. La parure est un appas pour les amants. Les délices font leur perte et notre profit. (Cherchant Ménechme.) Mais où est-il? mon cuisinier m'avait dit qu'il était devant la maison. Le voici, je l'aperçois, celui qui m'est si utile et qui me fait tant de bien. Aussi je m'empresse de l'accueillir comme il le mérite; c'est lui qui doit régner chez moi. Je vais lui parler. Cher petit coeur, je suis bien étonnée que tu t'arrêtes à la porte, toi à qui ma porte est toujours ouverte. Tu es chez toi dans cette maison plus que dans la tienne. Tout est prêt comme tu l'as demandé, comme tu le voulais. Ce n'est pas moi qui te ferai attendre. On a suivi tes ordres pour le dîner. Quand il te plaira, nous pourrons nous mettre à table.
MÉNECHME
A qui cette femme parle-t-elle?
ÉROTIE
Éh ! mais, à toi.
MÉNECHME (à Erotie)
Qu'avons-nous eu jamais de commun ensemble? et qu'y a-t-il entre nous aujourd'hui?
ÉROTIE
Il y a, par Pollux ! que Vénus a voulu que tu sois celui de tous que je chérisse le plus, et tu en es bien digne : c'est à ta seule générosité, par Castor ! que je dois de m'épanouir.
MÉNECHME
Assurément cette femme est folle ou ivre, Messénion, de parler si familièrement à un homme qu'elle ne connaît pas.
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Ne t'avais-je pas dit que c'était ici l'usage? Ce ne sont encore que des feuilles qui tombent, en comparaison de ce que tu verras si nous restons ici trois jours seulement; alors, ce sont les arbres qui te tomberont sur le dos. Toutes ces courtisanes sont de fines attrapeuses de deniers. Mais laisse-moi lui parler. (Haut.) Hé! la belle (Erotie reste tournée du côté de Ménechme) ; oui, c'est à toi que j'en ai.
ÉROTIE
Qu'y a-t-il?
MESSÉNION
Où as-tu fait connaissance avec cet homme?
ÉROTIE
Où il l'a faite depuis longtemps avec moi, à Épidamne.
MESSÉNION
A Épidamne? Il n'a jamais mis les pieds dans cette ville jusqu'à ce jour !
ÉROTIE
Pas de mauvaises plaisanteries, mon cher Ménechme. Je t'en prie, entre; tu seras plus convenablement chez moi.
MÉNECHME
C'est que cette femme, par Pollux, m'appelle exactement par mon nom ! O dieux ! quel étonnement ! Que signifie tout cela?
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Elle a flairé la bourse que tu as là.
MÉNECHME
Hé ! par Pollux, l'avis est prudent. Tiens, prends-la. Je verrai bien qui elle aime davantage, de la bourse ou de moi.
ÉROTIE
Entre. Viens dîner.
MÉNECHME (se défendant)
Tu es trop bonne; je te suis obligé.
ÉROTIE
Pourquoi m'as-tu dit tantôt de te faire préparer à dîner?
MÉNECHME
Je t'ai demandé à dîner?
ÉROTIE
Oui, pour toi et ton parasite.
MÉNECHME
Eh! malepeste, quel parasite? Vrai, cette femme est passablement folle.
ÉROTIE
Labrosse.
MÉNECHME
Comment, la brosse? est-ce pour nettoyer mes souliers?
ÉROTIE
Labrosse, qui t'accompagnait quand tu m'as apporté le châle que tu avais dérobé à ta femme.
MÉNECHME
Que veux-tu dire? Je t'ai donné un châle, et je l'ai dérobé à ma femme? Tu as perdu l'esprit. Certainement, elle est comme les mauvais chevaux, elle rêve debout.
ÉROTIE
Quel plaisir as-tu à te moquer de moi et à nier ce qui est?
MÉNECHME
Apprends-moi ce que j'ai fait, pour que je le nie?
ÉROTIE
Toi, aujourd'hui, tu m'as donné un châle de ta femme.
MÉNECHME
Non, ce n'est pas vrai. Je n'ai jamais eu de femme, je n'en ai point; jamais, depuis ma naissance, je n'entrai dans cette ville et n'en passai la porte. J'ai dîné à bord de mon vaisseau; je suis venu ici tout droit, et je viens de te rencontrer.
ÉROTIE
O grands dieux ! Je suis perdue, malheureuse ! Quels contes fais-tu? de quel vaisseau s'agit-il?
MÉNECHME
Un vaisseau de sapin, souvent usé par la mer, souvent recloué, souvent battu par le marteau; c'est comme un mobilier de pelletier, les morceaux de bois y sont plantés les uns contre les autres.
ÉROTIE
Je t'en prie, cesse donc ce badinage, et viens ici me tenir compagnie.
MÉNECHME
Tu me prends pour un autre, ma belle; ce n'est pas à moi que tu en veux.
ÉROTIE
Je ne te connais pas, toi, Ménechme, fils de Moschus, né, comme chacun sait, à Syracuse en Sicile, où régna le roi Agathocle, ensuite Phinthias, puis Liparon, qui laissa en mourant la couronne à Hiéron, lequel est le roi actuel?
MÉNECHME
Tout cela est vrai, ma chère.
MESSÉNION
O Jupiter ! Est-ce qu'elle vient de là-bas, pour te connaître si bien?
MÉNECHME (bas à Messénion)
Par Hercule, je ne crois pas pouvoir refuser davantage.
MESSÉNION
Garde-toi d'accepter. Tu es un homme perdu, si tu passes le seuil de cette maison.
MÉNECHME
Tais-toi donc. C'est une bonne affaire. Je répondrai oui à tout ce qu'elle me dira, et je me ferai héberger à ce prix. (Bas à Erotie.) J'avais mes raisons pour ne pas être d'accord avec toi tout à l'heure. Je craignais que ce drôle ne me trahît auprès de ma femme, au sujet du châle et du dîner. Maintenant, quand tu voudras, je te suis là dedans.
ÉROTIE
Tu n'attends pas ton parasite?
MÉNECHME
Non; je me moque bien de lui ! Et même, s'il vient, qu'on ne le laisse pas entrer.
ÉROTIE
Par Castor, il ne m'en coûtera pas de t'obéir. Mais sais-tu ce que tu devrais faire pour être un chéri?
MÉNECHME
Tu n'as qu'à commander.
ÉROTIE
Ce serait de porter ce châle que tu m'as donné chez le brodeur, pour le rajuster et y ajouter quelques ornements que je désire.
MÉNECHME
Tu as bien raison, par Hercule ! : c'est un moyen de le changer, de manière que ma femme ne le reconnaisse pas, si elle le voyait sur toi dans la rue.
ÉROTIE
Ainsi tu l'emporteras en t'en allant.
MÉNECHME
Entendu.
ÉROTIE
Entrons.
MÉNECHME
Je te suis; (montrant Messénion) mais j'ai un mot à lui dire. (Elle sort.) Holà, Messénion, approche. 
MESSÉNION
Qu'est-ce?
MÉNECHME (regardant du côté de la maison, de peur qu'on ne l'écoute)
St! veux-tu savoir?
MESSÉNION 
Quoi donc?
MÉNECHME
Il faut...
MESSÉNION (d'un ton fâché)
Que faut-il?
MÉNECHME
Je sais d'avance ce que tu vas me dire.
MESSÉNION
Tu n'en es que plus à blâmer.
MÉNECHME
Je tiens le gibier; l'affaire est en train. Va vite, emmène nos gens à l'auberge sans retard; et reviens avant le coucher du soleil me chercher ici.
MESSÉNION
Tu ne connais pas ces courtisanes, mon maître.
MÉNECHME
Silence, te dis-je. C'est moi qui en souffrirai, et non pas toi, si je fais une sottise. Cette femme est une bête, une imbécile; je l'ai bien vu tout à l'heure. Il y a ici gibier pour nous.
MESSÉNION
Mort de ma vie !
MÉNECHME
T'en iras-tu? (Il entre chez Erotie.)
MESSÉNION (seul)
Il est perdu sans ressource. Notre navire court à sa ruine, à la remorque d'un corsaire. Mais tu es un impertinent, Messénion, de prétendre régler la conduite de ton maître. Il m'a acheté pour lui obéir, et non pour lui commander. (A ses compagnons.) Suivez-moi, j'ai ordre de revenir chercher mon maître; je ne veux pas être en retard. (Il sort avec les rameurs.)

ACTVS III

III.i

PENICULUS 

Plus triginta annis natus sum, quom interea loci,
numquam quicquam facinus feci peius, neque scelestius,
quam hodie, quom in contionem mediam me immersi miser.
Ubi ego dum hieto, Menaechmus se subterduxit mihi
atque abiit ad amicam, credo, neque me voluit ducere. 450
Qui illum di omnes perduint, qui primus commentus es
contionem habere, quae homines obcupatos obcupat.
Non ad eam rem otiosos homines decuit deligi ?
Qui nisi adsint, quom citentur, census capiat inlico.455
Adfatim 'st hominum, in dies qui singulas escas edunt,
quibus negoti nihil est, qui esum neque vocantur, neque vocant.
Eos oportet contioni dare operam atque comitiis.
Si id ita esset, non ego hodie perdidissem prandium, 460
quoi tam credo datum voluisse quam me video vivere.
ibo: etiamnum reliquiarum spes animum oblectat meum.
Sed quid ego video Menaechmum ? cum corona exit foras.
Sublatum est convivium, edepol, venio adversum temperi.
Observabo quid agat hominem. Post adibo atque adloquar. 465 

ACTE III

III, 1 

LABROSSE (seul)

Depuis plus de trente ans que je vois le jour, je ne commis jamais de faute plus grave, plus funeste, que celle d'aujourd'hui ; aller me perdre, malheureux, dans la foule maudite ! Pendant que je bayais aux corneilles, Ménechme m'a échappé, et s'en est allé chez sa maîtresse. Sans doute il ne voulait pas m'y mener. Que tous les dieux confondent celui qui le premier inventa les assemblées du peuple, pour donner des occupations aux gens occupés! Pourquoi ne pas prendre les désoeuvrés pour cet office? Lorsqu'ils seraient convoqués, s'ils ne se rendaient pas à l'appel, on saisirait leurs biens. Il y a tant de gens qui ne mangent qu'une fois par jour, qui n'ont point d'affaires, qui n'invitent point et ne sont point invités ! C'est à eux de donner leur temps aux assemblées et aux audiences. Si les choses étaient ainsi réglées, je n'aurais pas perdu aujourd'hui un dîner (prenant un ton d'ironie) auquel on avait bonne intention de m'admettre, aussi sûr que je jouis maintenant de la vie. Allons, il y aura des restes; je me flatte encore de quelque espoir. Mais que vois-je? Ménechme? Il sort avec une couronné sur la tête (14). La table est enlevée; par Pollux, j'arrive à temps.
Je vais observer mon homme, puis l'aborder et parler.

III.ii

MENAECHMUS 

Poti' ne ut quiescas si ego tibi hanc hodie probe
lepideque concinnatam referam temperi ?
Non faxo, eam esse dices: ita ignorabitur.
PENICULUS 
Pallam ad phrygionem fert, confecto prandio,
vinoque expoto, parasito excluso foras. 470
Non, hercle, is sum, qui sum, ni hanc iniuriam
meque ultus polchre fuero. Observa quid dabo,
MENAECHMUS  
Pro di immortaleis, quoi homini umquam uno die
boni dedistis plus, qui minus speraverit?
Prandi, potavi, scortum accubui, abstuli 475
hanc, quoius heres numquam erit post hunc diem.
PENICULUS 
Nequeo, quae loquitur exaudire clanculum.
Satur nunc loquitur de me et de parti mea.
MENAECHMUS  
Ait hanc dedisse me sibi, atque eam meae 479-480
uxori surrupuisse : quoniam sentio 481
errare, extemplo, quasi res cum ea esset mihi,
coepi adsentari; mulier quidquid dixerat,
idem ego dicebam : quid multis verbis opu'st?
Minore nusquam bene fui dispendio. 485
PENICULUS 
Adibo ad hominem, nam turbare gestio.
MENAECHMUS 
Quis hic est, qui adversus it mihi? 
PENICULUS 
Quid ais, homo
levior quam pluma, pessume et nequissume,
flagitium hominis, subdole ac minumi preti?
Quid de te merui, qua me causa perderes? 490
Ut subrupuisti te mihi dudum de foro ?
Fecisti funus med absente prandio.
Cur ausu's facere, quoi ego aeque heres eram?
MENAECHMUS  
Adulescens, quaeso, quid tibi mecum est rei,
qui mihi male dicas homini ignoto insciens? 495
an tibi malam rem vis pro maledictis dari?
PENICULUS 
Post eam quidem, edepol, te dedisse intellego.
MENAECHMUS  
Responde, adulescens, quaeso, quid tibi nomen est?
PENICULUS 
Etiam derides, quasi nomen non gnoveris?
MENAECHMUS  
Non, edepol, ego te, quod sciam, umquam ante hunc diem 500
vidi neque gnovi; verum certo, quisquis es,
aequum si facias, mihi odiosus ne sies.
PENICULUS 
Menaechme, vigila. 
MENAECHMUS  
Vigilo, hercle, equidem, quod sciam.
PENICULUS 
Non me gnovisti? 
MENAECHMUS  
Non negem, si gnoverim.
PENICULUS 
Tuum parasitum non gnovisti? 
MENAECHMUS  Non tibi 505
sanum 'st, adulescens, sinciput, ut intellego.
PENICULUS 
Responde, surrupuistin' uxori tuae
pallam istanc hodie, atque dedisti Erotio?
MENAECHMUS  
Neque, hercle, ego uxorem habeo; neque ego Erotio
dedi nec pallam suprupui. 
PENICULUS 
Satin' sanus es? 510
obcisa est haec res : non ego te indutum foras
exire vidi palla? 
MENAECHMUS  
Vae capiti tuo !
omneis cinaedos esse censes, quia tu es?
tun' med indutum fuisse pallam praedicas? 514-515
PENICULUS 
Ego, hercle, vero. 
MENAECHMUS  Non tu abis quo dignus es? 516
aut te piari iubes, homo insanissime.
PENICULUS 
Numquam, edepol, me quisquam exorabit, quin tuae
uxori rem omnem iam, uti sit gesta, eloquar.
Omneis in te istaec recident contumeliae.i: 520
Faxo haud inultum prandium comederis.
MENAECHMUS  
Quid hoc negoti'st ? satin', uti quemque conspicor,
ita me ludificant? sed concrepuit ostium.

III, 2 MÉNECHME SOSICLÈS, LABROSSE 

MÉNECHME (à Erotie dans la maison)
Sois donc tranquille; (lui montrant le châle qu'il tient) je te le ferai arranger comme il faut, joliment, aujourd'hui, et tu l'auras de bonne heure, si bien refait, que tu ne le reconnaîtras pas toi-même.
LABROSSE
Il va porter le châle au brodeur, à présent que le repas est fini, le vin bu, et le parasite à la porte. Par Hercule, je veux perdre mon nom, si je ne tire une insigne vengeance de cette injure. Observons-le; je l'aborderai ensuite pour lui parler.
MÉNECHME
O dieux immortels, avez-vous jamais envoyé à un homme, pour un jour, plus de bonheur plus inattendu? J'ai bien bu, bien mangé, avec une jolie femme sur mon lit, et j'emporte ce châle, qui ne reviendra plus désormais en sa possession.
LABROSSE
Il m'est impossible de l'entendre de ma cachette. Il a l'estomac plein, et il parle de moi et de la figure que je  dois faire.
MÉNECHME
Elle prétend que je le lui ai donné, et que c'est un vol fait à ma femme. En voyant son erreur, loin de la contrarier, je me suis prêté à la chose; comme elle disait, je disais; enfin, en un mot, je ne fus jamais si bien traité à si peu de frais.
LABROSSE
Abordons-le; j'ai besoin de quereller.
MÉNECHME
Qui est cet homme qui vient à moi?
LABROSSE
Eh bien ! homme dont la parole ne pèse pas une plume, misérable, vaurien, infâme, traître, mauvais sujet. Que t'avais-je fait, pour vouloir me perdre? Comme tu t'es esquivé tantôt du forum ! Tu as enterré le dîner sans moi. Comment as-tu osé te le permettre? n'avais-je pas ma part dans l'héritage (15)?
MÉNECHME
Jeune homme, qu'avons-nous, je te prie, à démêler ensemble, pour que tu viennes me dire des injures sans me connaître, sans savoir pourquoi? Est-ce que tu veux te faire faire un mauvais parti avec tes insolences?
LABROSSE
Tu me l'as déjà fait, par Pollux, je ne le vois que trop.
MÉNECHME
Dis-moi, jeune homme, quel est ton nom?
LABROSSE
Ah ! tu te moques, comme si tu ne savais pas mon nom?
MÉNECHME
Non, par Pollux, jamais, avant ce jour, que je sache, je ne t'ai vu; je ne te connais point. Mais certainement, qui que tu sois, si tu veux entendre raison, tu cesseras de m'ennuyer.
LABROSSE
Tu ne me connais pas?
MÉNECHME
Si cela était, pourquoi m'en défendrais-je?
LABROSSE
Ménechme, éveille-toi.
MÉNECHME
Je ne dors pas, par Hercule, il me semble.
LABROSSE
Tu ne connais pas ton parasite?
MÉNECHME
Tu as le cerveau dérangé, jeune homme, je le vois bien.
LABROSSE
Réponds; n'as-tu pas volé aujourd'hui à ta femme ce châle que tu as donné ensuite à Érotie?
MÉNECHME
Eh ! par Hercule, je n'ai pas de femme, je n'ai pas volé de châle, et je n'ai rien donné à Érotie.
LABROSSE
Tu es donc fou? Tout est perdu ! Je ne t'ai pas vu sortir affublé de ce châle?
MÉNECHME
La peste de toi ! Crois-tu que tout le monde te ressemble, mignon que tu es (16)? Tu m'as vu sortir habillé d'un châle?
LABROSSE
Oui, par Hercule, assurément.
MÉNECHME
Va-t'en où tu mérites d'aller, ou fais-toi purifier, archifou.
LABROSSE
Non, par Pollux, il n'y aura pas de prière qui puisse m'empêcher d'aller raconter à ta femme, avec toutes les circonstances, comment les choses se passent. Tu paieras cher tous tes mépris. Laisse-moi faire, tu ne te seras pas offert impunément le dîner. (Il entre chez Ménechme ravi.
MÉNECHME (seul)
Qu'est-ce que cette histoire? tous ceux que je rencontre s'amusent donc à mes dépens? (Regardant du côté de la maison d'Erotie.) Mais la porte a crié.

III.iii

ANCILLA 

Menaechme, amare ait te multum Erotium,
ut hoc una opera ad aurificem deferas, 525
atque huc ut addas auri pondo unciam,
iubeasque spinther novom reconcinnarier.
MENAECHMUS 
Et istud et aliud, si quid curari volet,
me curaturum dicito, quidquid volet.
ANCILLA 
Scin' quid hoc sit spinther? 
MENAECHMUS 
Nescio, nisi aureum. 530
ANCILLA 
Hoc est, quod olim clanculum ex armario
te surrupuisse aiebas uxori tuae.
MENAECHMUS 
Numquam, hercle, factum 'st. 
ANCILLA 
Non meministi, obsecro?
Redde igitur spinther, si non meministi. 
MENAECHMUS 
Mane.
immo equidem memini : nempe hoc est quod illi dedi. 535
ANCILLA
 
Istuc. 
MENAECHMUS 
Ubi illae armillae sunt, quas una dedi?
ANCILLA 
Numquam dedisti. 
MENAECHMUS 
Nam, pol, hoc unum dedi.
ANCILLA 
Dicam curare? 
MENAECHMUS 
Dicito: curabitur.
et palla et spinther faxo referantur simul. 539-540
ANCILLA 
Amabo, mi Menaechme, inaureis da mihi 541
faciundas pondo duum nummum stalagmia,
ut te lubenter videam, quom ad nos veneris.
MENAECHMUS 
Fiat : cedo aurum, ego manupretium dabo.
ANCILLA 
Da sodes, abs te, post reddidero tibi. 545
MENAECHMUS 
Immo cedo abs te. Ego post tibi reddam duplex.
ANCILLA Non habeo. 
MENAECHMUS 
At tu, quando habebis, tum dato.
ANCILLA 
Numquid me vis?
MENAECHMUS 
Haec me curaturum dicito,
ut, quantum possint, quique liceant, veneant.
iamne intro abiit ? abivit, operuit fores. 550
Di me equidem omneis adiuvant, augent, amant.
sed quid ego cesso, dum datur mihi occasio
tempusque, abire ab his locis lenoniis?
Propera, Menaechme, fer pedem, confer gradum.
demam hanc coronam, atque abiciam ad laevam manum, 555
ut si qui sequatur, hac me abiisse censeant.
Ibo et conveniam servom, si potero, meum,
ut haec, quae bona dant dii mihi, ex me sciat. 

III, 3 UNE ESCLAVE, MÉNECHME SOSICLÈS

L'ESCLAVE
Ménechme, Érotie dit qu'elle te sera très obligée de porter en même temps ceci chez le bijoutier, pour y faire ajouter une once d'or, et en tirer un bracelet neuf. (Elle lui donne le bracelet.)
MÉNECHME
Oui, et ceci encore, et tout ce qu'elle voudra, dis-lui que je m'en chargerai; il n'y a rien que je ne fasse pour elle.
L'ESCLAVE
Tu ne sais pas ce que c'est que ce bracelet?
MÉNECHME
Tout ce que je sais, c'est qu'il est en or.
L'ESCLAVE
C'est celui que tu as dérobé, il y a longtemps, à ta femme dans son armoire, à ce que tu nous as dit.
MÉNECHME 
Non, par Hercule, ce n'est pas vrai.
L'ESCLAVE
Comment, tu ne t'en souviens pas? Alors rends-moi le bracelet, si tu manques de mémoire.
MÉNECHME
Un moment; je m'en souviens : c'est celui que je lui ai donné (faisant un signe du côté de la maison d'Erotie).
L'ESCLAVE
Précisément.
MÉNECHME
Où est la paire de grands bracelets (17) que je lui avais donnée en même temps? 
L'ESCLAVE 
Jamais tu ne lui en as donné.
MÉNECHME
Si, par Pollux, je les lui ai donnés avec celui-ci.
L'ESCLAVE
Je peux lui dire que sa commission sera faite?
MÉNECHME
Oui, et bien faite. Elle aura le bracelet, quand je lui rapporterai le châle.
L'ESCLAVE
Sois gentil, mon cher Ménechme, donne-moi des pendants d'oreilles, de petites boules qui ne pèseront pas plus de deux drachmes, pour que je te voie avec plaisir toutes les fois que tu viendras chez nous.
MÉNECHME
Volontiers : fournis l'or, je paierai la façon.
L'ESCLAVE
Fais-m'en l'avance, veux-tu? Je te le donnerai.
MÉNECHME
Non, donne plutôt de ton argent. Je te le rendrai au double.
L'ESCLAVE 
Je ne suis pas en fonds.
MÉNECHME
Quand tu y seras, tu me feras ce plaisir.
L'ESCLAVE
Tu ne me veux plus rien?
MÉNECHME
Dis-lui que j'aurai soin de tout cela (à part en baissant la voix) pour le vendre le plus tôt possible, à n'importe quel prix. (L'esclave sort.) Est-elle enfin partie? oui, elle a fermé la porte. Tous les dieux me sont en aide, me comblent, me chérissent. Mais les instants sont chers pendant que l'occasion est belle, fuyons ce repaire de basse noce. Vite, Ménechme, remue les pieds, hâte le pas D'abord je retire cette couronne et je la jette à gauche comme cela, si l'on se met à ma poursuite, on croira que j'ai pris de ce côté. Je vais rejoindre, si je peux, mot esclave, et lui apprendre quels biens les dieux m'ont envoyés. (Il sort par la porte de droite.)

ACTVS IV

IV.i

MULIER 

Egone heic me patiar frustra in matrimonio,
ubi vir compilet clanculum quidquid domi'st 560
atque ea ad amicam deferat? 
PENICULUS 
Quin tu taces?
Manifesto, faxo, iam opprimes. Sequere hac modo.
Pallam ad phrygionem cum corona ebrius
ferebat, hodie tibi quam surrupuit domo.
Sed eccam coronam quam habuit : num mentior? 565
Hem hac abiit, si vis persequi vestigiis.
Atque edepol eccum optume revortitur;
sed pallam non fert. 
MULIER 
Quid ego nunc cum illoc agam?
PENICULUS 
Idem quod semper; male habeas; 
MULIER 
Sic censeo.
PENICULUS 
Huc concedamus: ex insidiis aucupa. 570 

ACTE IV

IV, 1 LA FEMME DE MÉNECHME RAVI, LABROSSE,

LA FEMME
Moi, à quoi bon rester la femme d'un homme qui me vole dans ma maison tous mes effets pour les donner à sa maîtresse !
LABROSSE
Patience. Tu le prendras tout à l'heure en flagrant délit. Suis-moi seulement. Il s'en allait ivre, la couronne sur la tête, porter au brodeur le châle qu'il t'a dérobé aujourd'hui. Mais voici la couronne qu'il avait. Suis-je un menteur? C'est là le chemin qu'il a pris; si tu veux le poursuivre, nous sommes sur ses traces. Et par Pollux, tout justement, il revient. Le voici. Mais il n'a pas le châle.
LA FEMME
Comment le traiter maintenant?
LABROSSE
Comme toujours; fais-lui la vie dure.
LA FEMME
C'est bien ce que je pense.
LABROSSE
Retirons-nous de ce côté, tu l'écouteras sans qu'il te voie.

 

IV.ii

MENAECHMVS 

Ut hoc utimur maxume more moro
molestoque multum ! atque uti quique sunt
optumi maxume, morem habent hunc:
clientes sibi omneis volunt esse multos:
bonine an mali sint, id haud quaeritant; 575
res magis quaeritur quam clientum fides
Quoiusmodi clueat.
Si est pauper atque haud malus, nequam habetur,
si dives malus est, is cliens frugi habetur.
Qui neque leges, neque aequom bonum usquam colunt, 580
sollicitos patronos habent.
Datum denegant, quod datum 'st, litium pleni, rapaces
viri, fraudulenti,
qui aut faenore, aut periuriis habent rem paratam,
mens est in querelis. 584a
Eis ubi dicitur dies, simul patronis dicitur,
quippe qui pro illis loquantur, male quae fecerint :
aut ad populum, aut in iure, aut apud aedilem res est.
Sicut me hodie nimis sollicitum cliens quidam habuit, neque quod volui
agere aut quicum licitum'st : ita me attinuit, ita me detinuit.
Apud aedileis proeliis factis plurumisque pessimisque 590
dixi causam, conditiones tetuli tortas, confragosas;
aut plus minus, quam opus erat, multo dixeram controversiam,
ut sponsio fieret, quid ille? qui praedem dedit.
Nec magis manufestum ego hominem unquam ullum teneri vidi:
omnibus malefactis testes treis aderant acerrumi. 595
Di illum omneis perdant, (ita mihi
hunc hodie corrupit diem)
meque adeo, qui hodie forum
umquam oculis inspexi meis !
Diem corrupi. Optumum
iussi adparari prandium,
amica exspectat me, scio.
ubi primum 'st licitum, inlico
properavi abire de foro : 600
irata'st, credo, nunc mihi;
placabit palla quam dedi,
quam hodie uxori abstuli, atque huic detuli Erotio. 601a
PENICULUS
 
Quid ais? 
MULIER 
Viro me malo male nubtam. 
PENICULUS 
Satin' audis, quae illic loquitur?
MULIER 
Satis. 
MENAECHMUS 
Si sapiam, hinc intro abeam, ubi mi bene sit. 
MULIER 
Mane : male potius erit.
Nae illam, ecastor, faenerato abstulisti. 
PENICULUS 
Sic datur.
MULIER 
Clanculum te istaec flagitia facere censebas potesse? 605
MENAECHMUS 
Quid illuc est, uxor, negoti? 
MULIER 
Men' rogas? 
MENAECHMUS 
Vin' hunc rogem?
PENICULUS 
Aufer hinc palpationes. Perge tu. 
MENAECHMUS 
Quid tu mihi
tristis es? 
MULIER 
Te scire oportet. 
PENICULUS 
Scit, sed dissimulat malus.
MENAECHMUS 
Quid negoti'st? 
MULIER 
Pallam.
MENAECHMUS 
Pallam? 
MULIER
Quidem pallam.
PENICULUS 
Quid paves?
MENAECHMUS 
Nil equidem paveo. 
PENICULUS 
Nisi unum: 
palla pallorem incutit. At tu 
ne clam me comesses prandium ! Perge in virum.
MENAECHMUS 
Non taces? 
PENICULUS 
Non, hercle, vero taceo : nutat, ne loquar.
MENAECHMUS 
Non, hercle, ego quidem usquam 
quidquam nuto neque nicto tibi.
MULIER
Nae ego, mecastor, mulier misera ! 
MENAECHMUS 
Qui tu misera es? mihi expedi.
PENICULUS 
Nihil hoc confidentius, qui, quae vides, ea pernegat. 615
MENAECHMUS 
Per Iovem deosque omneis adiuro, uxor, (satin' hoc est tibi?)
me isti non nutasse. 
PENICULUS 
Credit iam tibi de isto: illuc redi.
MENAECHMUS 
Quo ego redeam? 
PENICULUS 
Equidem ad phrygionem censeo : et pallam refer.
MENAECHMUS 
Quae istaec palla 'st? 
PENICULUS 
Taceo iam, quando hic rem non meminit suam.
MENAECHMUS 
Numquis servorum deliquit? num ancillae, aut servi tibi
responsant? eloquere : impune non erit. 
MULIER 
Nugas agis.
MENAECHMUS 
Tristis admodum es : non mihi istuc satis placet. 
MULIER 
Nugas agis.
MENAECHMUS 
Caeterum familiarium aliquoi irata es. 
MULIER 
Nugas agis.
MENAECHMUS 
Num mihi es irata saltem? 
MULIER 
Nunc tu non nugas agis.
MENAECHMUS 
Non, edepol, deliqui quidquam. 
MULIER 
Hem rursum nunc nugas agis. 625
MENAECHMUS 
Dic, mea uxor, quid tibi aegre 'st? 
PENICULUS 
Bellus blanditur tibi.
MENAECHMUS 
Potin' ut mihi molestus ne sis? num te appello? 
MULIER 
Abfer manum.
PENICULUS 
Sic datur : properato absente me comesse prandium ?
Post ante aedeis cum corona me derideto ebrius ?
MENAECHMUS 
Neque, edepol, ego prandi, neque hodie huc intro tetuli pedem. 630
PENICULUS 
Tun' negas? 
MENAECHMUS 
Nego, hercle, vero. 
PENICULUS 
Nihil hoc homine audacius.
Non ego te modo heic ante aedeis cum corona florea
vidi astare, quom negabas mihi esse sanum sinciput,
et negabas me gnovisse; peregrinum aibas esse te?
MENAECHMUS 
Quin ut dudum divorti abs te, redeo nunc demum domum. 635
PENICULUS 
Gnovi ego te : non mihi censebas esse, qui te ulciscerer :
omnia, hercle, uxori dixi. 
MENAECHMUS 
Quid dixisti? 
PENICULUS 
Nescio,
eam ipsus roga. 
MENAECHMUS 
Quid hoc est, uxor? quidnam hic narravit tibi?
quid id est? quid taces? quin dicis, quid sit? 
MULIER 
Quasi, tu nescias.
Palla mihi est domo surrepta. 
MENAECHMUS 
Palla surrepta est tibi? 639a
MULIER 
Me rogas? 
MENAECHMUS 
Pol, haud rogem te, si sciam. 
PENICULUS 
O hominem malum !
ut dissimulat ! non potes celare: rem gnovit probe :
omnia, hercle, ego edictavi. 
MENAECHMUS 
Quid id est? 
MULIER 
Quando nil pudet,
neque vis tua voluntate ipse profiteri, audi atque ades
et quid tristis, et quid hic mihi dixerit, faxo scias :
palla mi est domo surrupta. 
MENAECHMUS 
Palla surrupta est mihi? 645
PENICULUS 
Viden' ut scelestus captat? huic subrepta est, non tibi.
nam profecto tibi surrupta si esset, salva non foret.
MENAECHMUS 
Nihil mihi tecum 'st. Dedi tu quid ais? 
MULIER 
Palla, inquam, periit domo.
MENAECHMUS 
Quis eam subripuit? 
MULIER 
Pol, istuc ille scit, qui illam abstulit.
MENAECHMUS 
Quis is homo est? 
MULIER 
Menaechmus quidam. 
MENAECHMUS 
Edepol, factum nequiter. 650
Quis is Menaechmust? 
MULIER 
Tu istic, inquam. 
MENAECHMUS 
Egone? 
MULIER 
Tu. 
MENAECHMUS
Quis arguit?
MULIER 
Egomet. 
PENICULUS 
Et ego : atque huic amicae detulisti Erotio.
MENAECHMUS 
Egon' dedi? 
MULIER Tu, tu istic, inquam : vin' adferri noctuam,
quae, tu, tu, usque dicat tibi? nam nos iam defessi sumus.
MENAECHMUS 
Per Iovem deosque omneis adiuro, (uxor  satin' hoc est tibi?) 655
non dedisse. 
MULIER 
Imo, hercle, vero, nos non falsum dicere.
MENAECHMUS 
Sed ego illam non condonavi, sed sic utendam dedi.
MULIER 
Equidem, ecastor, tuam nec chlamydem do foras, nec pallium
quoiquam utendum : mulierem aequom 'st vestimentum muliebre
dare foras, virum virile : quin refers pallam domum? 660
MENAECHMUS 
Ego, faxo, referetur. 
MULIER 
Ex re tua, ut opinor, feceris;
nam domum numquam introibis, nisi feres pallam simul.
MENAECHMUS 
Eo domum. 
PENICULUS 
Quid mihi futurum 'st, qui tibi hanc operam dedi?
MULIER 
Opera reddetur, quando quid tibi erit subreptum domo.
PENICULUS 
Id quidem, edepol, numquam erit : nam nihil est, quod perdam, domi. 665
Quom virum, quom uxorem, dii vos perdant : properabo ad forum,
nam ex hac familia me plane excidisse intellego.
MENAECHMUS 
Male mi uxor sese fecisse censet, quom exclusit foras;
quasi non habeam, quo intromittar, alium meliorem locum.
Si tibi displiceo, patiundum: at placuero huic Erotio, 670
quae me non excludet ab se, sed apud se obcludet domi.
Nunc ibo, orabo ut mihi pallam reddat, quam dudum dedi.
Aliam illi redimam meliorem : heus, ecquis heic est ianitor?
Aperite, atque Erotium aliquis evocate ante ostium. 

IV, 2 MÉNECHME RAVI, LA FEMME, LABROSSE 

MÉNECHME
Quelle impertinente manie nous avons, nous autres gens riches et de condition, d'augmenter toujours, en proportion de notre fortune, le nombre de nos clients, et en même temps nos, embarras ! Qu'ils soient gens de bien ou de mal, on ne s'en informe pas : c'est des biens du client qu'on s'inquiète, et non de sa probité ni de sa réputation. Est-ce un brave homme, mais pauvre, il ne vaut rien; un fripon, s'il a de l'argent, est le client qu'on estime. Et puis, ils se conduisent sans foi ni loi, et leurs méfaits attirent mille ennuis au patron. Ce qu'on leur donne, ils le nient; artisans de chicanes, voleurs, forbans, n'ayant de bien acquis que par l'usure et par le parjure. Ils n'ont en tête que réclamations. Lorsqu'on les cite en justice, la citation tombe sur le patron, qui est bien forcé de parler pour couvrir leurs coquineries; si l'affaire est portée devant le peuple, ou au tribunal, ou devant des arbitres. Moi, par exemple, un maudit client m'a tenu toute la journée, et je n'ai pu rien faire de ce que je voulais. Il m'a pris, il m'a gardé prisonnier. Il m'a fallu batailler de mille manières devant les édiles, plaider une cause détestable, proposer un arrangement équivoque et entortillé. Je disais ce qu'il fallait et ce qu'il ne fallait pas; je voulais terminer le débat par un compromis sous garantie. Lui que fait-il? ce qu'il fait? il a été forcé de donner caution, et jamais je ne vis d'homme plus évidemment convaincu. Trois témoins pourtant déposaient de ses mauvais tours, et' l'accablaient. Que les dieux le confondent, et moi avec lui ! Pourquoi ai-je eu l'idée de passer la revue du forum? J'ai perdu ma journée ! J'avais fait préparer un excellent dîner chez ma maîtresse; elle m'attend, j'en suis sûr. J'ai saisi le premier instant favorable pour m'échapper. Elle doit être en colère contre moi. Mais mon Érotie s'apaisera avec le châle que j'ai subtilisé à ma femme pour le lui donner (18).

 

 

 

LABROSSE (à la femme de Ménechme)
Qu'en dis-tu?
LA FEMME
Que je suis mariée pour mon malheur à un méchant mari.
LABROSSE
Tu entends tout ce qu'il dit?
LA FEMME
Ah, suffisamment.
MÉNECHME
Je ferai bien, je crois, d'entrer chez elle, et de prendre du bon temps.
LA FEMME (se montrant tout à coup).
Arrête ! ce sera plutôt du mauvais temps. Tu paieras avec usure, par Castor, le vol que tu m'as fait.
LABROSSE (à Ménechme)
Attrape.
LA FEMME
Tu croyais pouvoir me cacher tes turpitudes.
MÉNECHME (d'un ton doux)
De quoi s'agit-il donc, ma femme?
LA FEMME
Tu me demandes ça?
MÉNECHME (s'approchant de Labrosse comme pour lui faire la cour),
Veux-tu que je lui demande ça à lui?
LABROSSE (le repoussant)
Va porter ailleurs tes caresses. (A la femme.) Courage
MÉNECHME (revenant à sa femme d'un air patelin)
Pourquoi cet air sévère?
LA FEMME
Tu dois le savoir.
LABROSSE
Il le sait bien, mais il dissimule, le perfide.
MÉNECHME
De quoi s'agit-il?
LA FEMME
De mon châle.
MÉNECHME
Ton châle?
LA FEMME
Oui, mon châle.
LABROSSE (avec ironie, à Ménechme)
Tu as peur?
MÉNECHME
Je n'ai pas peur du tout.
LABROSSE
Que d'une seule chose : le châle risque de te faire chiâler (19) ! Ah, ah ! il ne fallait pas manger le dîner sans moi. (A la femme.) Ferme, pousse contre ton homme.
MÉNECHME (bas à Labrosse)
Veux-tu te taire?
LABROSSE
Non, par Hercule, je ne me tairai pas. (A la femme.) Il me fait des signes pour m'empêcher de parler.
MÉNECHME
Tu mens, par Hercule; je ne te fais ni signe de tête ni clin d'oeil.
LA FEMME (d'un ton lamentable)
Ah ! par Castor, que je suis une femme malheureuse !
MÉNECHME
De quoi, malheureuse? explique-toi.
LABROSSE (à la femme)
Il faut être effronté comme lui, pour nier obstinément les choses que tu vois.
MÉNECHME
Je jure par Jupiter et par tous les dieux, ma femme, (ce serment-là te suffit-il?) que je ne lui ai point fait de signes.
LABROSSE
Elle ne te chicane pas là-dessus. Allons-y.
MÉNECHME
Où veux-tu que j'aille?
LABROSSE
Chez le brodeur, ce me semble; et rapporte le châle.
MÉNECHME
Quel châle veux-tu dire?
LA FEMME
Je n'ai qu'à me taire, puisqu'il ne sait plus ce qu'il fait.
MÉNECHME
Est-ce qu'un de nos serviteurs s'est trouvé en défaut? est-ce qu'un esclave ou une servante t'a manqué de respect? Parle, ils seront punis.
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME (à sa femme, avec un air tendre)
Quelle mine boudeuse ! Cela me fait de la peine.
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME
Est-ce contre quelqu'un de la maison que tu es irritée?
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME
Enfin, est-ce moi qui excite ton courroux?
LABROSSE
Ah, tu ne plaisantes plus.
MÉNECHME
Par Pollux, je ne me sens coupable de rien.
LABROSSE
Revoilà les plaisanteries?
MÉNECHME (prenant un air câlin)
Dis-moi, ma femme, qu'est-ce qui te chagrine?
LABROSSE
Qu'il est gentil et caressant !
MÉNECHME (à Labrosse avec colère)
Je te prie de ne pas m'ennuyer. Est-ce à toi que je parle?
LA FEMME (à Ménechme qui veut lui prendre le bras)
Retire ta main.
LABROSSE
Attrape. Une autre fois tu te dépêcheras de manger le dîner sans moi? et puis tu viendras, plein de vin et couronné de fleurs, te moquer de moi à la porte?
MÉNECHME
Par Pollux, je n'ai point dîné, et je n'ai pas mis le pied ici de la journée.
LABROSSE
Tu n'y as pas mis le pied?
MÉNECHME
Non, par Hercule, je t'assure.
LABROSSE
Il n'y a pas plus audacieux ! Je ne t'ai pas vu ici tout à l'heure devant cette maison (montrant la maison d'Erotie) avec une couronne de fleurs sur la tête, quand tu me disais que j'avais le cerveau dérangé, que tu ne me connaissais pas, que tu étais étranger dans cette ville?
MÉNECHME
Mais depuis que nous nous sommes séparés, je ne fais que de revenir à l'instant.
LABROSSE
Je te connais : tu croyais que je n'avais pas les moyens de me venger. Par Hercule ! j'ai tout dit à ta femme.
MÉNECHME
Que lui as-tu dit?
LABROSSE
Je ne sais; demande-le-lui.
MÉNECHME
Qu'y a-t-il, ma femme? que t'a-t-il conté? Qu'est-ce tu ne me réponds pas? Dis-moi donc de quoi il s'agit
LA FEMME
Comme si tu ne le savais pas ! On m'a volé un châle à la maison.
MÉNECHME
Un châle à toi? Volé?
LA FEMME
Tu me le demandes?
MÉNECHME
Je ne te le demanderais pas si je le savais, par Pollux.
LABROSSE
O le scélérat ! comme il dissimule ! (A Ménechme.) Il n'y a plus moyen de cacher : elle sait parfaitement la chose. J'ai tout révélé, par Hercule.
MÉNECHME
Eh, quoi donc?
LA FEMME
Puisque tu es sans pudeur, et qu'on ne peut obtenir de toi un aveu volontaire, écoute et sois attentif : tu sauras pourquoi j'ai l'air sévère, et quel récit il m'a fait Un châle m'a été volé chez nous.
MÉNECHME
Un châle à toi? Volé?
LABROSSE (à la femme)
Vois-tu, comme il tâche de donner le change, le traître ! (A Ménechme.) Oui, c'est à elle qu'on l'a volé et non à toi; car si l'on avait pu te le voler, il serai sauvé maintenant.
MÉNECHME
Je n'ai pas affaire à toi. (A sa femme.) Mais que dis-tu?
LA FEMME
Je dis qu'un châle à moi a disparu de la maison.
MÉNECHME
Qui l'a pris?
LA FEMME
Par Pollux ! Celui-là le sait, qui l'a pris.
MÉNECHME 
Qui est-il?
LA FEMME 
Un nommé Ménechme.
MÉNECHME
Par Pollux, la vilaine action ! Quel est ce Ménechme?
LA FEMME 
Toi-même.
MÉNECHME
Moi?
LA FEMME
Toi.
MÉNECHME
Qui m'accuse?
LA FEMME
Moi-même.
LABROSSE
Et moi aussi; et tu l'as donné à ta maîtresse Érotie, qui demeure là.
MÉNECHME
Je l'ai donné, moi?
LABROSSE
Toi, oui, toi, toi-même. Faut-il que j'aille chercher un corbeau pour te répéter sans cesse : Toi, toi (il contrefait le croassement)? car nous sommes las de le redire (20).
MÉNECHME
J'en atteste Jupiter et tous les dieux (ma femme, ce serment est assez fort, j'espère?), je ne l'ai pas donné.
LABROSSE
Et nous, par Hercule, nous les prenons à témoin que nous disons la vérité.
MÉNECHME
Non, je ne l'ai pas donné, je l'ai prêté seulement.
LA FEMME
Mais moi, par Castor, est-ce que je prête aux étrangers ta chlamyde ou ton manteau? La garde-robe d'une femme ne doit être prêtée que par elle, comme celle du mari par lui. Rapporte-nous mon châle.
MÉNECHME
Je vais le rapporter.
LA FEMME
Tu feras bien, je te le conseille; car tu ne rentreras pas à la maison, si tu ne l'as pas avec toi.
MÉNECHME
A la maison, moi?
LABROSSE (à la femme)
Quel sera le salaire du service que je t'ai rendu?
LA FEMME
On te rendra la pareille quand il y aura quelque chose de volé chez toi. (Elle sort.)
LABROSSE
C'est ce qui n'arrivera jamais, par Pollux; car il n'y a rien chez moi pour tenter les voleurs. Mari, femme, que les dieux vous confondent ! Courons au forum; car il n'y a plus pour moi d'espoir de retour dans cette maison, je le comprends. (Il sort.)
MÉNECHME (seul)
Ma femme croit me faire beaucoup de peine en me mettant à la porte; comme si je n'avais pas un asile, ouvert, une retraite plus agréable ! Si je te déplais, il faudra bien m'y résigner; mais je serai bien reçu par Érotie, qui ne me fermera pas la porte au nez, et qui la refermera plutôt sur moi avec elle. Allons-y, je vais la prier de me rendre le châle que je lui ai donné tantôt, quitte à lui en acheter un autre plus beau. (Il frappe.) Holà ! y a-t-il quelqu'un à cette porte? Ouvrez. (Une esclave se présente.) Qu'on dise à Érotie de venir me trouver devant la porte. (L'esclave rentre.)

IV.iii

EROTIUM 

Quis hic me quaerit? 
MENAECHMUS 
Sibi inimicus magis quam aetati tuae. 675
EROTIUM  
Mi Menaechme, cur ante aedeis adstas? sequere intro.
MENAECHMUS 
Mane.
Scin' quid est quod ego ad te venio? 
EROTIUM  
Scio; ut tibi ex me sit volup.
MENAECHMUS 
Immo, edepol, pallam illam, amabo te, quam tibi dudum dedi,
mihi eam redde; uxor rescivit rem omnem, ut factum 'st, ordine.
Ego tibi redimam bis tanta pluris pallam, quam voles. 680
EROTIUM  Tibi dedi equidem illam, ad phrygionem ut ferres, paulo prius,
et illud spinther, ut ad aurificem ferres, ut fieret novum.
MENAECHMUS 
Mihi tu ut dederis pallam, et spinther? numquam factum reperies.
Nam ego quidem postquam illam dudum tibi dedi, atque abii ad forum,
nunc redeo, nunc te postillac video. 
EROTIUM  
Video quam rem agis. 685
Quia commisi, ut me defrudes, ad eam rem adfectas viam.
MENAECHMUS 
Neque edepol te defrudandi causa posco : quin tibi
dico uxorem rescivisse.
EROTIUM  
Nec te ultro oravi ut dares,
tute ultro ad me detulisti, dedisti eam dono mihi :
eandem nunc reposcis: patiar, tibi habe, abfer, utere, 690
vel tu, vel tua uxor, vel etiam in loculos compingite.
Tu huc, post hunc diem, pedem intro non feres, ne frustra sis;
quando tu me bene merentem tibi habes despicatui.
Nisi feres argentum, frustra me ductare non potes.
Aliam posthac invenito, quam habeas frustratui. 695
MENAECHMUS 
Nimis iracunde, hercle; tandem heus tu, tibi dico, mane :
redi. Etiamne astas? etiam audes mea revorti gratia?
Abiit intro, occlusit aedeis : nunc ego sum exclusissimus:
neque domi ,neque apud amicam mihi iam quidquam creditur.
Ibo, et consulam hanc rem amicos, quid faciendum censeant. 700 

IV, 3. ÉROTIE, MÉNECHME RAVI

ÉROTIE
Qui est-ce qui me demande?
MÉNECHME
Un homme plutôt ennemi de lui-même que de toi.
ÉROTIE
Mon cher Ménechme, pourquoi restes-tu à la porte? suis-moi, entre.
MÉNECHME
Un moment. Sais-tu pourquoi je viens?
ÉROTIE
Oui, pour trouver le plaisir dans mes bras.
MÉNECHME
Il ne s'agit pas de cela, par Pollux : ce châle que je t'ai donné tantôt, je viens te prier de me le rendre. Ma femme a su la chose, tout ce qui s'est passé. Je t'en achèterai un autre deux fois plus cher, celui que tu voudras.
ÉROTIE
Mais il n'y a qu'un moment que je te l'ai donné pour le porter chez le brodeur, avec le bracelet que tu devais porter chez le bijoutier, pour qu'il en refasse un neuf.
MÉNECHME
Tu m'as donné le châle avec un bracelet? c'est ce que je te défie de prouver; car depuis le moment que je te le donnai, et que je m'en allai au forum, je ne suis pas revenu : je te revois maintenant pour la première fois.
ÉROTIE (indignée)
Je devine ton truc : c'est un abus de confiance, tu t'y prends bien.
MÉNECHME
Non, par Pollux, je ne veux pas abuser de ta confiance; mais je te le dis, ma femme est instruite.
ÉROTIE
Ce n'est pas moi qui te l'ai demandé, c'est toi qui me l'as offert, et qui m'en as fait cadeau. Tu me le redemandes : j'y consens, tu peux le garder; faites-en ce qu'il vous plaira, toi ou ta femme, et même enfermez-le dans un coffre-fort. Mais désormais, ne t'y trompe pas, tu ne mettras plus les pieds chez moi, puisque toutes mes bontés pour toi sont récompensées par des mépris. Ce n'est qu'argent comptant que tu pourras m'amadouer. Va chercher ailleurs tes dupes. (Elle s'apprête à sortir.)
MÉNECHME (courant après elle)
Comme tu t'emportes ! Par Hercule, écoute enfin; je t'assure... Un moment; reviens. Tu t'en vas? Avise-toi de revenir, je te le conseille. Elle est rentrée; elle a fermé sa porte. Mon sort est donc de trouver partout porte fermée. Chez moi, chez ma maîtresse, on ne m'écoute plus nulle part. Je vais prendre conseil de mes amis sur ce qu'il me reste à faire. (Il sort.)

ACTVS V

V.i

MENAECHMVS 

Nimis stulte dudum feci, quom marsupium
Messenioni cum argento concredidi.
Immersit aliquo sese, credo, in ganeum.
MULIER 
Provisam, quam mox vir meus redeat domum.
Sed eccum video : salva sum, pallam refert. 705
MENAECHMUS 
Demiror, ubi nunc ambulet Messenio.
MULIER 
Adibo, atque hominem accipiam quibus dictis meret.
Non te pudet prodire in conspectum meum,
flagitium hominis, cum istoc ornatu? 
MENAECHMUS 
Quid est?
quae te res agitat, mulier? 
MULIER 
Etiamne, impudens, 710
muttire verbum unum audes, aut mecum loqui?
MENAECHMUS 
Quid tandem admisi in me, ut loqui non audeam?
MULIER 
Rogas me? o hominis impudentem audaciam!
MENAECHMUS 
Non tu scis, mulier, Hecubam quapropter canem
Graii esse praedicabant? 
MULIER 
Non equidem scio. 715
MENAECHMUS 
Quia idem faciebat Hecuba quod tu nunc facis:
omnia mala ingerebat, quemquem adpexerat.
Itaque adeo iure coepta appellari est canes.
MULIER 
Non istaec ego flagitia possum perpeti.
Nam med aetatem viduam esse mavelim, 720
quam istaec flagitia tua pati quae tu facis.
MENAECHMUS 
Quid id ad me, tu te nubtam possis perpeti
an sis abitura a tuo viro? an mos hic ita heic,
peregrino ut advenienti narrent fabulas?
MULIER 
Quas fabulas? non, inquam, patiar praeterhac, 725
quin vidua vivam, quam tuos mores perferam.
MENAECHMUS 
Mea quidem, hercle, causa vidua vivito,
vel usque dum regnum obtinebit Iuppiter.
MULIER 
At mihi negabas dudum surrupuisse te,
nunc eandem ante oculos attines; non te pudet? 730
MENAECHMUS 
Heu, hercle, mulier, multum et audax et mala es.
Tun' tibi hanc surreptam dicere audes, quam mihi
dedit alia mulier ut concinnandam darem?
MULIER 
Nae istuc, mecastor : iam patrem accersam meum,
atque ei narrabo tua flagitia quae facis. 735
I. Decio, quaere meum patrem, tecum simul
ut veniat ad me: ita rem esse dicito.
iam ego aperiam istaec tua flagitia. 
MENAECHMUS 
Sanan' es?
quae mea flagitia? 
MULIER 
Quom pallam atque aurum meum
domo subpilas tuae uxori et tuae 740
degeris amicae. Satin' haec recte fabulor?
MENAECHMUS 
Quaeso, hercle, mulier, si scis, monstra quod bibam,
tuam qui possim perpeti petulantiam.
Quem tu hominem me arbitrare, nescio.
Ego te simitu gnovi cum Porthaone. 745
MULIER 
Si me derides, at, pol, illum non potes,
patrem meum, qui huc advenit : quin respicis?
novistin tu illum? 
MENAECHMUS 
Gnovi cum Calcha simul:
eodem die vidi illum, quo te ante hunc diem.
MULIER 
Negas gnovisse me? negas patrem meum? 750
MENAECHMUS 
Idem, hercle, dicam, si avom vis adducere.
MULIER 
Ecastor, pariter hoc, atque alias res soles. 

V, 1 MÉNECHME SOSICLÈS, LA FEMME DE MÉNECHME RAVI

MÉNECHME (tenant encore le châle)
J'ai fait une grande sottise tantôt, de confier la bourse avec l'argent à Messénion. Il est allé, j'en suis sûr, se noyer au cabaret.
LA FEMME (sortant de chez elle)
Je veux voir quand mon mari rentrera. Mais le voici, je l'aperçois; je respire, il rapporte le châle.
MÉNECHME
Où Messénion peut-il courir maintenant, je me le demande?
LA FEMME
Je vais lui parler, je le recevrai comme il le mérite. (Haut.) N'as-tu pas honte de te présenter devant moi, homme infâme, dans cet équipement?
MÉNECHME
Quoi! quelle mouche te pique, femme?
LA FEMME
L'effronté ! tu oses murmurer un seul mot, me parler, à moi?
MÉNECHME
Quel crime ai-je donc fait, que je puisse ne plus oser parler?
LA FEMME
Tu me le demandes? Quelle effronterie ! quelle audace !
MÉNECHME
Tu sais, femme, que les Grecs ont dit que la reine Hécube avait été métamorphosée en chienne; sais-tu pourquoi?
LA FEMME
Non certes.
MÉNECHME
C'est parce qu'elle faisait ce que tu fais maintenant; elle accablait d'injures tous ceux qu'elle rencontrait. Voilà ce qui lui valut le nom de chienne, et c'était justice.
LA FEMME
Il m'est impossible d'endurer de pareils affronts. J'aimerais mieux vivre toujours privée de mari, que de souffrir tes infamies.
MÉNECHME
Que m'importe, à moi, que tu consentes à rester dans ton ménage, ou que tu délaisses ton mari? Est-ce la coutume, ici, de conter des histoires aux étrangers qui arrivent?
LA FEMME
Des histoires? Je te déclare que j'aime mieux vivre sans mari désormais, que de supporter tes dérèglements.
MÉNECHME
Tu peux vivre sans mari, par Hercule, je te le permets, aussi longtemps que Jupiter régnera dans les cieux.
LA FEMME
Tu soutenais tantôt que tu ne me l'avais pas pris (montrant le châle), et maintenant tu le tiens dans tes mains sous mes yeux, n'as-tu pas honte?
MÉNECHME
Oh ! oh ! par Hercule, ma chère, tu es une coquine bien hardie. Tu prétends que je t'ai pris ce châle à toi, quand c'est une autre qui me l'a donné pour le faire arranger !
LA FEMME
Oui, certainement, par Castor. Je vais faire venir mon père, je lui dirai toutes tes turpitudes. (Elle appelle.) Décion ! va chercher mon père; qu'il vienne avec toi me trouver : dis-lui que c'est une affaire qui presse. (A Ménechme.) Je mettrai tes hontes au grand jour.
MÉNECHME
Tu es folle? Mes hontes? lesquelles?
LA FEMME
De voler à ta femme, chez elle, son châle, ses bijoux, pour les donner à ta maîtresse. Est-ce la vérité que je dis?
MÉNECHME
Je t'en prie, femme, par Hercule ! si tu le sais, indique-moi le breuvage que je dois prendre pour avoir la force de supporter ta fureur. Je ne sais pas pour qui tu me prends, et je ne te connais ni plus ni moins que Parthaon (21).
LA FEMME
Si tu te moques de moi, au moins, par Pollux, tu ne te moqueras pas de mon père, qui arrive. Regarde; le connais-tu, lui? (Montrant le vieillard qui arrive.)
MÉNECHME
Je le connais comme je connais Calchas : je l'ai déjà vu, le même jour que je te vis pour la première fois.
LA FEMME
Tu ne me connais pas? tu ne connais pas mon père?
MÉNECHME
J'en dirai autant de ton aïeul, par Hercule, si tu me l'amènes.
LA FEMME
Par Castor! ce sont bien là de tes traits.

V.ii

SENEX 

Ut aetas mea 'st atque ut hoc usus facto est
gradum proferam, progrediri properabo.
Sed id quam mihi facile sit, haud sum falsus. 755
Nam pernicitas deserit: consitus sum
senectute, onustum gero corpus, vires
reliquere. Ut aetas mala, merx mala tergo'st,
nam res plurimas pessumas, quom advenit, adfert:
quas si autumem omneis, nimis longus sermo sit. 760
Sed haec res mihi in pectore et corde cura est,
quidnam hoc sit negoti, quod sic filia 
repente expetit me, ut ad sese irem.
Nec, quid id sit, mihi certius facit, 
Quid velit, quid me accersit.
Verum propemodum iam scio, quid siet rei. 764a
Credo cum viro litigium gnatum esse aliquod.
Ita istaec solent, quae viros subservire
sibi postulant, dote fretae, feroceis.
Et illi quoque haud abstinent saepe culpa.
Verum est modus tamen, quod pati uxorem oportet.
Nec, pol, filia umquam patrem arcerssit ad se, 770
nisi aut quid commissi, aut iurgi est causa.
Sed quidquid id est, iam sciam : atque eccam eampse
ante aedeis, et eius tristem virum video.
Id est quod suspicabar.
Adpellabo hanc. 
MULIER 
Ibo advorsum. Salve multum, mi pater. 775
SENEX 
Salva sis : salven' advenio? salven' arcessi iubes?
quid tu tristis es? quid ille autem abs te iratus destitit?
Nescio quid vos velitati estis inter vos duos.
Loquere, uter meruistis culpam, paucis, non longos logos.
MULIER 
Nusquam equidem quidquam deliqui; hoc primum te absolvo, pater. 780
Verum vivere heic non possum neque durare ullo modo.
Proin tu me hinc abducas. 
SENEX 
Quid istuc autem est? 
MULIER 
Ludibrio, pater,
habeor. 
SENEX 
Unde? 
MULIER 
Ab illo, quoi me mandavisti, meo viro.
SENEX 
Ecce autem litigium : quotiens edixi tandem tibi,
ut caveres, neuter ad me iretis cum querimonia? 785
MULIER 
Qui ego istuc, mi pater, cavere possum? 
SENEX 
Men' interrogas?
MULIER 
Nisi non vis. 
SENEX 
Quotiens monstravi tibi, viro ut morem geras, 787-788
quid ille faciat, ne id observes; quo eat, quid rerum gerat. 789
MULIER 
At enim ille hinc amat meretricem ex proxumo. 
SENEX 
Sane sapit,
atque ob istanc industriam etiam, faxo, amabit amplius.
MULIER 
Atque ibi potat. 
SENEX 
Tua quidem ille causa potabit minus,
si illeic sive alibi libebit? Quae haec, malum, impudentia'st?
Una opera prohibere, ad coenam ne promittat, postules,
neve quemquam abcipiat alienum apud se? serviren' tibi 795
postulas viros? dare una opera pensum postules,
inter ancillas sedere iubeas, lanam carere.
MULIER 
Non equidem mihi te advocatum, pater, adduxi, sed viro.
Hinc stas, illim causam dicis. 
SENEX 
Si ille quid deliquerit,
multo tanto illum adcusabo, quam te accusavi, amplius. 800
Quando te auratam et vestitam bene habet; ancillas penum
recte praehibet, melius sanam 'st, mulier, mentem sumere.
MULIER 
At ille subpilat mihi aurum et pallas ex arcis modo,
me despoliat, mea ornamenta clam ad meretriceis degerit.
SENEX 
Male facit, si istuc facit : si non facit, tu male facis, 805
quae insontem insimules. 
MULIER 
Quin etiam nunc habet pallam, pater,
etspinther, quod ad hanc detulerat : nunc, quia rescivi, refert.
SENEX 
Iam ego ex hoc, ut factum'st, scibo : ibo ad hominem atque adloquar.
Dic mihi istuc, Menaechme, quod vos dissertatis, ut sciam.
Quid tu tristis es? quid illam autem iratam abs te destituis? 810
MENAECHMUS 
Quisquis es, quidquid tibi nomen est, senex, summum Iovem
deosque detestor. 
SENEX 
Qua de re, aut quoius rei rerum omnium?
MENAECHMUS 
Me neque isti male fecisse mulieri, quae me arguit
hanc domo ab se subrupuisse, atque abstulisse deierat.
Si ego intra aedeis huius umquam, ubi habitat, penetravi pedem, 815-816
omnium hominum exopto ut fiam miserorum miserrumus. 817
SENEX 
Sanun'es, qui istuc exoptes, aut neges te unquam pedem
in eas aedeis intulisse, ubi habitas, insanissume?
MENAECHMUS 
Tun', senex, ais habitare med in illisce aedibus? 820
SENEX 
Tu negas? 
MENAECHMUS 
Nego, hercle, vero. 
MULIER 
Nimio haec inpudenter negas ?
nisi quo nocte hac exmigrastis?
SENEX
Concede hac, filia.
Quid tu ais? num hinc exmigrastis? 
MULIER 
Quem in locum, aut ob rem, obsecro?
SENEX 
Non, edepol, scio. 
MULIER 
Profecto ludit te hic. 
SENEX 
Non tu te tenes?
Iam vero, Menaechme, satis iocatus es : nunc hanc rem age. 825
MENAECHMUS 
Quaeso, quid mihi tecum 'st? unde, aut quis tu homo es? quid feci ego
tibi, aut adeo isti, quae mihi molesta est quoquo modo?
MULIER 
Viden' tu illi oculos virere? ut viridis exoritur colos
ex temporibus atque fronte ! ut oculi scintillant, vide. 829-830
MENAECHMUS 
Quid mihi meliu'st, quam, quando illi me insanire praedicant, 831
ego med adsimulem insanire, ut illos a me absterream?
MULIER 
Ut pandiculans oscitatur ! quid nunc faciam, mi pater?
SENEX 
Concede huc, mea gnata, ab istoc quam potest longissume.
MENAECHMUS 
Evoe, Evoe, Bromie, quo me in silvam venatum vocas? 835
audio; sed non abire possum ab his regionibus;
ita illa me ab laeva rabiosa femina adservat canis.
Post autem illinc hircus, alius, qui saepe aetate in sua
perdidit civem innocentem falso testimonio.
SENEX 
Vae capiti tuo ! 
MENAECHMUS 
Ecce, Apollo mi ex oraclo imperat, 840
ut ego illi oculos exuram lampadibus ardentibus.
MULIER 
Perii, mi pater ! minatur mihi oculos exurere.
Hei mihi !
MENAECHMUS 
Insanire me aiunt, ultro cum ipsi insaniunt.
SENEX 
Filia, heus. 
MULIER 
Quid est? quid agimus? 
SENEX 
Quid si ego huc servos cito;
ibo, abducam, qui hunc hinc tollant, et domi devinciant, 845
priusquam turbarum quid faciat amplius. 
MENAECHMUS 
Enimvero,
ni obcupo aliquid mihi consilium, hi domum me ad se abferent.
pugnis me votas in huius ore quidquam parcere,
ni iam ex meis oculis abscedat in malam magnam crucem.
Faciam quod iubes, Apollo. 
SENEX 
Fuge domum, quantum pote 'st, 850
ne hic te obtundat. 
MULIER 
Fugio : amabo, adserva istunc, mi pater,
ne quo hinc abeat. Sumne ego mulier misera, quae illaec audio?
MENAECHMUS 
Haud male illanc amovi : nunc hunc impurissumum,
barbatum, tremulum Tithonum, Cygno prognatum patre.
Ita mihi imperas, ut ego huius membra, atque ossa, atque artua 855
comminuam illo scipione, quem ipse habet. 
SENEX Dabitur malum,
me quidem si adtigeris, aut si propius ad me adcesseris.
MENAECHMUS 
Faciam quod iubes; securim capiam ancipitem, atque hunc senem
exossabo, dein' dedolabo adsulatim viscera.
SENEX 
Enimvero illud praecavendum'st, atque adcurandum'st mihi : 860
sane ego illum metuo, ut minatur, ne quid malefaxit mihi.
MENAECHMUS 
Multa mihi imperas, Apollo: nunc equos iunctos iubes
capere me indomitos, feroceis, atque in currum inscendere,
ut ego hunc proteram leonem gaetulum, olentem, edentulum.
iam adstiti in currum, iam lora teneo, iam stimulum in manu'st. 865
Agite equi, facitote sonitus ungularum adpareant
cursu celeri; facite inflexa sit pedum pernicitas.
SENEX 
Mihin' equis iunctis minare? 
MENAECHMUS 
Ecce, Apollo, denuo
me iubes facere impetum in eum qui stat, atque occidere.
Sed quis hic est, qui me capillo hinc de curru deripit? 870
Imperium tuum demutat atque dictum, Apollinis.
SENEX 
Heu, hercle, morbum acrem ac durum ! Di, vostram fidem !
vel hic qui insanit, quam valuit paulo prius !
ei derepente tantus morbus incidit.
Ibo atque accersam medicum iam, quantum potest. 875 

V. 2 LE VIEILLARD, LA FEMME, MÉNECHME SOSICLÈS

LE VIEILLARD
Autant que l'âge me le permet, et comme la circonstance me le demande, je hâterai la marche et j'allongerai le pas. Mais ce n'est pas chose trop facile à moi, je le sens. L'agilité m'abandonne, et mon corps, avec sa force défaillante, peine sous le poids de la vieillesse. Mauvaise marchandise, que les mauvaises années, je vous assure ! Qu'elles apportent avec elles d'ennuis et de douleurs ! Si je voulais en faire l'énumération, je ne finirais pas. Mais un autre souci me met le coeur à la gêne. Quelle est donc l'affaire soudaine pour laquelle ma fille me presse tant de venir la rejoindre? Elle ne me fait point savoir de quoi il s'agit, ni ce qu'elle me veut. Je devine à peu près. Il se sera élevé quelque différend entre elle et son mari. Elles n'en font pas d'autre, ces femmes qui ont apporté une dot : elles veulent tenir les hommes sous leur joug; leur orgueil est intraitable. Eux non plus d'ailleurs ne sont pas toujours à l'abri du reproche; cependant il y a des choses qu'une femme doit supporter jusqu'à un certain point... Par Pollux, une fille ne réclame pas la présence de son père, à moins de grave sujet de plainte, à moins de brouille. Mais je saurai enfin ce que c'est : la voici elle-même devant sa maison avec son mari, qui paraît fâché. Mes soupçons étaient fondés. Allons lui parler.

 

LA FEMME
Je vais au-devant de lui (22). (Elle s' avance à la rencontre du vieillard.) Salut de tout mon coeur, mon cher père.
LE VIEILLARD
Salut, ma fille. Me voici, tu m'as demandé. Tout ici va-t-il bien? est-on content?... Pourquoi fais-tu la mine? pourquoi ton mari se tient-il éloigné de toi avec un air furieux? Il y aura eu entre vous deux quelque escarmouche. Parle; qui est le coupable? mais abrège, point de long discours.
LA FEMME
Je suis parfaitement innocente; je te donne satisfaction là-dessus tout d'abord, père. Mais je ne puis plus vivre ici, je ne puis plus m'y souffrir. Ainsi je te prie de me tirer de cette maison.
LE VIEILLARD
Qu'y a-t-il donc?
LA FEMME
On me méprise, mon père, on m'outrage.
LE VIEILLARD
Qui?
LA FEMME
Celui à qui tu m'avais confiée, mon mari.
LE VIEILLARD
Encore une dispute ! Combien de fois t'ai-je expressément recommandé de faire en sorte que ni toi ni ton mari, vous ne vinssiez vous plaindre à moi?
LA FEMME (vivement)
Est-ce en mon pouvoir, mon père?
LE VIEILLARD (d'un ton sévère et imposant)
Tu me poses cette question?
LA FEMME (intimidée et baissant les yeux)
A moins que tu ne me le permettes pas.
LE VIEILLARD
Ne t'ai-je pas mille fois exhortée à te montrer soumise à ton mari, à ne pas épier ses démarches, à ne pas guetter ce qu'il fait, où il va?
LA FEMME
Mais il est l'amant d'une courtisane qui demeure ici tout près.
LE VIEILLARD
Il a raison; et je voudrais que, pour te dresser, il l'aimât davantage.
LA FEMME
Il y va boire.
LE VIEILLARD
Tu verras qu'à cause de toi il n'osera pas boire ou chez elle, ou ailleurs, à sa fantaisie ! Et diantre, quelle est cette impertinence? ne veux-tu pas aussi l'empêcher d'accepter une invitation à dîner, ou de recevoir quelqu'un chez lui? Tu prétends donc te faire des esclaves de tous les maris? Il n'y a plus qu'à leur mettre une quenouille entre les mains, à les faire asseoir parmi tes servantes, et à leur donner de la laine à filer.
LA FEMME
Ainsi, ce n'est pas pour moi que j'ai invoqué ton assistance, mon père; c'est pour mon mari. Tu dois me protéger, et tu plaides sa cause.
LE VIEILLARD
S'il est en faute, je lui ferai bien d'autres reproches encore qu'à toi. Il ne te laisse manquer ni de bijoux ni de toilettes; il te donne des servantes, un office garni, tout ce qu'il faut. Ma fille, deviens raisonnable.
LA FEMME
Mais il me vole un châle et des bijoux dans mes coffres; il me dépouille, et fait avec mes parures des cadeaux secrets à des courtisanes.
LE VIEILLARD
C'est très mal à lui, s'il fait cela; mais s'il ne le fait pas, c'est très mal à toi de l'accuser quand il n'est pas coupable.
LA FEMME
Eh ! mais, il a encore le châle dans ses mains, mon père, avec le bracelet qu'il lui avait donné. C'est parce que je l'ai appris, qu'il les rapporte.
LE VIEILLARD
Je veux avoir à l'instant une explication là-dessus avec lui; je vais l'interroger. Dis-moi, Ménechme, quel est le sujet de votre dispute? je désire le savoir. Qu'est-ce qui te fâche? pourquoi t'éloignes-tu d'elle? et quel est le motif de ta colère?
MÉNECHME
Qui que tu sois, quel que soit ton nom, vieillard, je jure par Jupiter souverain et par les dieux...
LE VIEILLARD
Quoi? que veux-tu jurer?
MÉNECHME
Qu'elle m'accuse faussement de lui avoir fait tort; que je ne lui ai rien dérobé chez elle, rien enlevé. Si j'ai jamais mis le pied dans la maison qu'elle habite, je veux surpasser en misère les plus misérables des hommes.
LE VIEILLARD
As-tu perdu le sens, avec tes serments et ton audace à nier que tu aies jamais mis le pied dans la maison que tu habites, archifou?
MÉNECHME
Et toi, vieillard, tu prétends que j'habite cette maison?
LE VIEILLARD
Ce n'est pas vrai?
MÉNECHME
Non, par Hercule, je t'assure.
LA FEMME
Oh ! c'est trop d'impudence; à moins que tu ne sois allé loger ailleurs depuis cette nuit.
LE VIEILLARD (faisant signe à la femme de s'éloigner de Ménechme)
Retire-toi par ici, ma fille. (A Ménechme.) Que dis-tu? Est-ce que tu as changé d'habitation?
MÉNECHME
Pour aller où? et pour quel motif? je te le demande.
LE VIEILLARD
Je n'en sais rien, par Pollux.
LA FEMME
Ne vois-tu pas qu'il se joue de toi?
LE VIEILLARD (à la femme)
Tu ne peux pas rester tranquille? — Ah çà, Ménechme, c'est assez badiner: parle sérieusement.
MÉNECHME
Qu'y a-t-il de commun entre nous, je te prie? d'où viens-tu? qui es-tu? que t'ai-je fait? qu'ai-je fait à cette femme, qui ne veut pas me laisser en paix?
LA FEMME (à son père)
Vois la teinte verdâtre que prennent ses yeux. Comme son front et ses joues deviennent livides ! comme ses yeux étincellent ! Attention (23).
MÉNECHME (à part)
Le meilleur parti, puisqu'ils me croient en délire, c'est d'en prendre le semblant, pour me débarrasser d'eux par la peur. (Il gesticule avec violence.)
LA FEMME
Comme il s'étire ! quels bâillements ! Que faut-il que je fasse, mon père?
LE VIEILLARD
Viens par ici, ma fille, tiens-toi le plus possible à distance.
MÉNECHME
Évoé ! ô Bacchus ! ô Bromius ! ne m'appelles-tu pas dans les forêts pour la chasse? oui, je t'entends; mais je ne puis sortir de ces lieux. De ce côté une chienne enragée me tient en arrêt; elle est soutenue par ce vieux bouc, qui plus d'une fois en sa vie fit condamner des citoyens innocents par ses faux témoignages.
LE VIEILLARD
La peste de toi !
MÉNECHME
Apollon m'ordonne, par ses oracles, de brûler les yeux à cette chienne avec des flambeaux ardents.
LA FEMME
Je suis perdue, mon père ! il me menace de me brûler les yeux. Malheur à moi !
MÉNECHME (à part)
Ils disent que je suis dément et ce sont eux les premiers qui le sont.
LE VIEILLARD
Holà ! ma fille.
LA FEMME
Qu'est-ce? que ferons-nous?
LE VIEILLARD
Si j'allais vite chercher des esclaves? oui, je vais en amener quelques-uns pour qu'ils l'emportent à la maison, et qu'ils l'attachent, avant qu'il fasse plus d'esclandre.
MÉNECHME (à part)
Si je ne prends les devants et ne me tire de là, ils m'emporteront chez eux. (Haut.) Tu me prescris de la frapper sur la face à coups de poing, sans ménagement, si elle ne disparaît de ma présence pour aller se pendre à la plus haute potence; Apollon, je t'obéirai.
LE VIEILLARD
Fuis à la maison de toute la vitesse de tes jambes; il t'assommerait.
LA FEMME
Je m'enfuis; garde-le, mon père, de peur qu'il ne s'en aille. Suis-je assez malheureuse d'entendre de tels dis-cours ! (Elle sort.)
MÉNECHME (à part)
Pas mal; je l'ai écartée. (Haut.) Maintenant, à ce scélérat cacochyme, à cette vieille barbe de Titan, de la race de Cygnus (24). Ainsi, tu m'ordonnes de briser les membres, les os, les articulations à cet infâme, avec le bâton même qu'il tient à la main?
LE VIEILLARD
Il t'en cuira si tu me touches, ou si tu approches de trop près.
MÉNECHME (paraissant toujours parler au dieu)
Tu seras obéi; je prendrai une hache à deux tranchants, j'arracherai les os à ce vieillard, et je lui découperai les entrailles pièce à pièce.
LE VIEILLARD
Eh mais ! il est bon de me tenir sur mes gardes et de faire attention à moi. Ses menaces m'inquiètent vraiment; il me donnera quelque mauvais coup.
MÉNECHME
Tes ordres me pressent, Apollon; tu veux que j'attelle mes coursiers indomptés, terribles; que je monte sur mon char, pour écraser ce lion de Gétulie infect et sans dents. Me voici sur mon char, je secoue les rênes, l'aiguillon est en ma main; partez, coursiers, faites résonner le bruit de vos sabots dans vos élans impétueux; déployez la souplesse de vos pattes rapides.
LE VIEILLARD
Tu me menaces avec ton attelage?
MÉNECHME
Oui, Apollon : tu m'ordonnes encore une fois de courir sur l'ennemi qui résiste, et de l'exterminer? (Il s'élance, et puis s'arrête.) Mais quelle divinité me saisit par les cheveux, et m'arrache de mon char, en révoquant l'ordre de ton oracle, Apollon?
LE VIEILLARD
Ah, par Hercule! quel accès violent ! quelle frénésie ! O dieux ! secourez-nous. Cet insensé était cependant plein de bon sens il n'y a qu'un instant. Le terrible mal qui vient de l'atteindre soudain ! Allons quérir un médecin, le plus vite que nous pourrons. (Il sort.)

V.iii

MENAECHMUS
 
Iamne isti abierunt, quaeso, ex conspectu meo,
qui me vi cogunt, ut validus insaniam?
Quid cesso abire ad navem, dum salvo licet?
vosque omneis quaeso, si senex revenerit, 879-880
ne me indicetis, qua platea hinc aufugerim. 881
SENEX 
Lumbi sedendo, oculi spectando dolent,
manendo medicum, dum se ex opere recipiat.
Odiosus tandem vix ab aegrotis venit.
Ait se obligasse crus fractum Aesculapio, 885
Apollini autem brachium; nunc cogito,
utrum me dicam ducere medicum, an fabrum.
atque eccum incedit, movet formicinum gradum. 

V. 3 MÉNECHME SOSICLÈS, LE VIEILLARD

MÉNECHME (seul)
Sont-ils enfin partis, dites-moi? sont-ils loin de ma présence, ces enragés qui me forcent d'avoir le délire en par-faite santé? Mais que tardé-je à regagner mon vaisseau pendant que je le puis sans encombre? (Aux spectateurs.) Je vous en prie tous, si le vieillard revient, ne lui dites pas par quel chemin je me suis évadé. (Il sort.)
LE VIEILLARD (revenant)
J'ai mal aux reins de rester assis, mal aux yeux de regarder, en attendant que le médecin revienne de ses visites. L'ennuyeux personnage ! qu'il a eu de peine à en finir avec ses malades ! Il prétend qu'Esculape et Apollon avaient, l'un le bras cassé, et l'autre la jambe, et qu'il les leur a remis. En y pensant bien, je doute si c'est un médecin que j'amène, ou un forgeron. Le voici qui s'avance à pas de fourmi.

V.iv

MEDICUS 

Quid esse illi morbi, dixeras? narra, senex.
Num larvatus aut cerritus? fac sciam. 890
Num eum veternus aut aqua intercus tenet?
SENEX 
Quin ea te causa duco, ut id dicas mihi,
atque illum ut sanum facias. 
MEDICUS 
Perfacile id quidem'st.
Sanum futurum, mea ego id promitto fide.
SENEX 
Magna cum cura ego illum curari volo. 895
MEDICUS 
Quin suspirabo plus sescenta in dies:
ita ego illum cum cura magna curabo tibi.
SENEX 
Atque eccum ipsum hominem. 
MEDICUS 
Observemus, quam rem agat. 

V, 4 LE MÉDECIN, LE VIEILLARD

LE MÉDECIN (d'un air grotesquement emphatique).
Quel mal m'as-tu dit qu'il avait? Répète, vieillard : est-ce manie ou frénésie? je veux le savoir. Est-il pris parla léthargie, ou bien par l'hydropisie?
LE VIEILLARD
Je t'amène justement pour que tu m'expliques tout cela, et pour que tu le guérisses.
LE MÉDECIN
Rien de si aisé. Je le guérirai, j'en réponds sur ma parole.
LE VIEILLARD
Sa cure exige un très grand soin; je te le recommande.
LE MÉDECIN
Je m'essoufflerai plus de six cents fois par jour, tant j'y mettrai de soin et d'empressement.
LE VIEILLARD (montrant Ménechme ravi qui arrive)
Voici le malade.
LE MÉDECIN
Observons de quelle manière il se comporte.

V.v

MENAECHMVS 

Edepol, nae hic dies pervorsus atque advorsus mi optigit :
quae me clam ratus sum facere, ea omnia fecit palam 900
parasitus, qui me complevit flagiti et formidinis,
meus Ulisses, suo qui regi tantum concivit mali.
Quem ego hominem, si quidem vivo, vita evolvam sua.
Sed ego stultus sum, qui illius esse dico, quae meae sit.
Meo cibo et sumptu educatu'st : anima privabo virum. 905
Condigne autem haec meretrix fecit, ut mos est meretricius.
Quia rogo, palla ut referatur rursum ad uxorem meam,
mihi se ait dedisse : heu, edepol, ne ego homo vivo miser !
SENEX 
Audin' quae loquitur ! 
MEDICUS 
Se miserum praedicat. 
SENEX 
Adeas velim.
MEDICUS 
Salvos sis, Menaechme; quaeso, cur apertas brachium? 910
Non tu scis, quantum isti morbo nunc tuo facias mali.
MENAECHMUS 
Quin tu te suspendis ! 
MEDICUS 
Ecquid sentis? 
SENEX 
Quidni sentiam?
MEDICUS 
Non potest haec res ellebori iugere obtinerier.
Sed quid ais, Menaechme? 
MENAECHMUS 
Quid vis? 
MEDICUS 
Dic mihi hoc quod te rogo.
Album an atrum vinum potas? 
MENAECHMUS 
Quin tu is in malam crucem? 915
MEDICUS 
Iam, hercle, obceptat insanire primulum.
MENAECHMUS 
Quin tu me interrogas,
purpureum panem, an puniceum soleam ego esse an luteum?
soleamne esse aveis squamosas, pisceis pennatos? 
SENEX 
Papae !
audin' tu ? deliramenta loquitur. Quid cessas dare 919-920
potionis aliquid prius quam percipit insania? 921
MEDICUS 
Mane modo; etiam percontabor. 
SENEX 
Obcidis fabulans.
MEDICUS 
Dic mihi hoc: solent tibi umquam oculi duri fieri?
MENAECHMUS 
Quid? tu me lucustam censes esse, homo ignavissume?
MEDICUS 
Dic mihi: en umquam tibi intestina crepant, quod sentias? 925
MENAECHMUS 
Ubi satur sum, nulla crepitant; quando esurio, tum crepant.
MEDICUS 
Hoc quidem, edepol, haud pro insano verbum respondit mihi.
perdormiscin' usque ad lucem? facilen' tu dormis cubans?
MENAECHMUS 
Perdormisco, si resolvi argentum quoi debeo.
Qui te Iuppiter dique omnes, percontator, perduint. 930
MEDICUS 
Nunc homo insanire obceptat: de illis verbis cave tibi.
SENEX 
Immo modestior nunc quidem est de verbis, prae ut dudum fuit;
nam dudum uxorem suam esse aiebat rabiosam canem.
MENAECHMUS 
Quid, ego? 
SENEX 
Dixti insanus, inquam. 
MENAECHMUS 
Egone? 
SENEX 
Tu istic, qui mihi
etiam me iunctis quadrigis minitatu's prosternere. 935
Egomet haec te vidi facere, egomet haec ted arguo. 936-940
MENAECHMUS 
At ego te sacram coronam surrupuisse scio Iovis; 941
et ob eam rem in carcerem ted esse conpactum scio.
Et postquam es emissus, caesum virgis sub furca scio.
Tum patrem occidisse, et matrem vendidisse, etiam scio.
Satin' haec pro sano maledicta maledictis respondeo? 945
SENEX 
Obsecro, hercle, medice, propere, quidquid facturus, face.
non vides hominem insanire? 
MEDICUS 
Scin' quid facias optimum est?
ad me face uti deferatur. 
SENEX 
Itan' censes? 
MEDICUS 
Quippeni?
ibi meo arbitratu potero curare hominem. 
SENEX 
Age ut lubet.
MEDICUS 
Elleborum potabis, faxo, aliquos viginti dies. 950
MENAECHMUS 
At ego te pendentem fodiam stimulis triginta dies.
MEDICUS 
I, arcesse homines, qui illunc ad me deferant. 
SENEX 
Quot sunt satis?
MEDICUS 
Proinde, ut insanire video, quattuor, nihilo minus.
SENEX 
Iam hic erunt; adserva tu istunc, medice. 
MEDICUS 
Imo ego ibo domum,
ut parentur, quibus paratis opus est : tu servos iube 955
hunc ad me ferant. 
SENEX 
Iam ego illeic, faxo, erit. 
MEDICUS 
Abeo. 
SENEX
Vale.
MENAECHMUS 
Abiit socerus, abiit medicus; nunc solus sum : pro Iuppiter !
quid illuc est quod med heic homines insanire praedicant?
Nam equidem, postquam gnatus sum, numquam aegrotavi unum diem,
neque ego insanio, neque pugnas neque ego liteis coepio. 960
Salvos salvos alios video; gnovi homines, adloquor.
An qui perperam insanire me aiunt, insaniunt?
Quid ego nunc faciam? domum ire cupio: uxor non sinit.
Huc autem nemo intromittit. Nimis proventum est nequiter.
Heic ergo usque ad noctem : saltem intromittar domum. 965 

V, 5 MÉNECHME RAVI, LE VIEILLARD, LE MÉDECIN

MÉNECHME (sans voir personne)
Par Pollux, ce jour est bien mal tourné, bien malencontreux pour moi. Tout ce que j'espérais tenir secret a été rendu public par ce parasite, auteur du scandale et du trouble où je suis; mon perfide Ulysse a causé à son roi tous ces tourments. Si les dieux me conservent la vie, je lui retirerai la sienne; quand je dis la sienne, je parle comme un sot, car elle est bien à moi : c'était à ma table, à mes frais, qu'il se nourrissait. Je le priverai de l'existence. Et cette courtisane ! qu'elle s'est bien conduite selon les moeurs de sa corporation ! Parce que je la prie de me donner le châle pour le rendre à ma femme, elle me soutient qu'elle me l'a remis. Ah ! par Pollux, je suis un pauvre homme.
LE VIEILLARD
Tu l'entends?
LE MÉDECIN
Il se plaint de son malheur.
LE VIEILLARD
Va lui parler.
LE MÉDECIN
Salut, Ménechme; pourquoi te découvres-tu les bras? tu ne sais pas combien tu aggraves ton mal.
MÉNECHME
Va te pendre !
LE MÉDECIN
Te rends-tu compte des choses?
LE VIEILLARD
Parbleu oui.
LE MÉDECIN (au vieillard)
Un champ d'ellébore n'y suffira pas. Mais dis-moi, Ménechme?
MÉNECHME
Que me veux-tu?
LE MÉDECIN
Réponds à mes questions. Bois-tu du vin blanc ou du vin fort en couleur?
MÉNECHME
Hé ! va-t'en au gibet.
LE MÉDECIN
Son accès commence à le prendre, par Hercule.
MÉNECHME
Ne me demanderas-tu pas si je mange du pain rouge, ou violet, ou jaune? si je me nourris d'oiseaux à écailles, de poissons à plumes?
LE VIEILLARD
O ciel ! tu entends? Il déraisonne. Hâte-toi de lui donner une potion, avant que le mal soit dans toute sa force.
LE MÉDECIN
Attends un peu; je veux l'interroger encore.  
LE VIEILLARD
Tu m'assommes, avec tes histoires.
LE MÉDECIN
Dis-moi; tes yeux se contractent-ils habituellement et deviennent-ils fixes (25)?
MÉNECHME
Est-ce que tu me prends pour une sauterelle, imbécile?
LE MÉDECIN
Entends-tu quelquefois tes boyaux crier?
MÉNECHME
Quand j'ai bien mangé, ils ne crient pas; c'est quand j'ai faim qu'ils se mettent à crier.
LE MÉDECIN
Par Pollux, sa réponse n'est pas celle d'un insensé. Dors-tu jusqu'au jour? As-tu de la facilité à t'endormir quand tu es au lit?
MÉNECHME
Je dors quand j'ai payé mes dettes. Que Jupiter et tous les dieux te confondent, maudit questionneur ! 
LE MÉDECIN
Sa folie recommence. Tu l'entends; prends garde d'avoir ton tour.
LE VIEILLARD
Oh ! ce sont des douceurs, en comparaison de ce qu'il disait tantôt. Il appelait sa femme une chienne enragée.
MÉNECHME
Moi, j'ai fait cela?
LE VIEILLARD
Tu étais en démence, te dis-je.
MÉNECHME
Moi?
LE VIEILLARD
Oui, toi-même, qui m'as menacé de m'écraser sous un char à quatre chevaux. J'en ai été témoin, j'en fais la déclaration.
MÉNECHME
Et moi, je sais que tu as volé la couronne consacrée à Jupiter et que pour ce fait on te jeta en prison, et que tu n'en sortis que pour être battu de verges et porter le carcan, je le sais. Je sais encore que tu as assassiné ton père, que tu as vendu ta mère. Ai-je l'esprit présent, et t'ai je bien rendu injure pour injure?
LE VIEILLARD
Je t'en conjure, médecin, fais au plus tôt ce qui est de ton ministère. Ne vois-tu pas qu'il a son accès?
LE MÉDECIN
Sais-tu ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que tu le fasses transporter chez moi.
LE VIEILLARD
Tu crois?
LE MÉDECIN
Oui, je pourrai alors le traiter à mon aise.
LE VIEILLARD
Eh bien ! soit.
LE MÉDECIN (à Ménechme)
Je te ferai boire de l'ellébore pendant une vingtaine de jours.
MÉNECHME
Et moi, je te pendrai pour te déchirer à coups d'aiguillon pendant une trentaine.
LE MÉDECIN (au vieillard)
Va vite chercher des hommes pour le transporter chez moi.
LE VIEILLARD
Combien en faut-il?
LE MÉDECIN
Dans l'état où je le vois, quatre, pour le moins.
LE VIEILLARD
Ils seront ici dans un moment; médecin, garde-le.
LE MÉDECIN
Non, je vais chez moi faire les apprêts nécessaires; aie soin de l'y faire transporter par tes esclaves.
LE VIEILLARD 
Il y sera bientôt.
LE MÉDECIN 
Je m'en vais.
LE VIEILLARD 
Adieu. (Ils sortent.)
MÉNECHME
Mon beau-père est parti, le médecin est parti; je suis seul. O Jupiter, qu'est-ce que cela veut dire? On m'accuse d'être fou ! Depuis que je suis né, je ne fus jamais malade un seul jour. Je n'extravague pas, je ne fais point d'esclandres, je ne cherche dispute à personne. Je suis normal et je vois les autres normaux. Je reconnais ceux à qui je parle. Mais est-ce que les gens qui me déclarent si faussement atteint de folie seraient fous eux-mêmes? Que faire? je voudrais bien rentrer chez moi; mais ma femme ne me le permet pas. Là, (montrant la maison de la courtisane) on ne me recevrait pas non plus. Le sort m'est bien contraire ! Je resterai ici jusqu'à la nuit. A la fin, j'espère qu'il me sera permis de rentrer chez moi.

V.vi

MESSENIO 
Spectamen bono servo id est, qui rem herilem
procurat, videt, conlocat cogitatque,
ut absente hero, rem heri diligenter
tutetur, quam si ipse adsit aut rectius.
Tergum quam gulam, crura quam ventrem oportet 970
potiora esse, quoi cor modeste situm'st.
Recordetur id, qui nihili sunt, quid iis preti
detur ab suis heris, ignavis, improbis viris:
verbera compedes,
molae, magna lassitudo, fames, frigus durum; 975
haec pretia sunt ignaviae.
Id ego male malum metuo; propterea bonum esse certum'st potius 
quam malum : nam magis multo patior facilius verba, verbera ego odi,
nimioque edo lubentius molitum, quam molitum praehibeo.
Propterea heri inperium exsequor, bene, et sedate servo id; 980
atque mihi id prodest.
Alii ita ut in rem esse ducunt, sint: ego ita ero ut me esse oportet;
metum mihi adhibeam, culpam abstineam, ero ut omnibus in locis sim praesto.
Servi, qui cum culpa carent, et metuunt, ii solent esse heris utibileis; 983a
nam illi, qui nihil metuunt, postquam malum promeritum'st metuunt. 983b
Metuam haud multum; prope 'st quando hrus ob facta pretium exsolvet.
Eo ego exemplo servio, tergi ut in rem esse arbitror.
Postquam in tabernam vasa et servos conlocavi, ut iusserat,
ita venio advorsum : nunc foeris pultabo, adesse ut me sciat,
atque ex hoc saltu damni salvom ut educam foras.
Sed metuo, ne sero veniam, depugnato proelio. 

V, 6 MESSÉNION, MÉNECHME RAVI (à l'écart).

MESSÉNION

Le modèle des bons serviteurs, c'est l'esclave qui prend à coeur les intérêts de son maître, veille, dispose, s'inquiète pour lui et lui conserve son bien plus diligemment et avec plus de prudence que s'il était présent lui-même. Il songera plutôt à son dos qu'à sa bouche, à ses jambes qu'à son ventre, s'il est d'un caractère tant soit peu raisonnable. Il doit considérer quelle récompense les maîtres donnent aux vauriens, aux mauvais sujets, aux fripons : les étrivières, les fers aux pieds, les travaux du moulin, les excès de fatigue, les douleurs de la faim et du froid, voilà le salaire de la mauvaise conduite. J'ai grand'peur de pareils maux, et cette peur salutaire me tient loin du mal, sur la voie du bien. Mieux vaut recevoir des ordres que des coups : l'un est trop dur; pour l'autre, la patience est plus facile. J'aime beaucoup mieux manger la mouture que de suer au moulin; aussi mon maître a-t-il en moi un serviteur exact et sage, et je m'en trouve bien. Que d'autres fassent ce qui leur semble bon, moi je fais mon devoir. Je suis toujours en crainte pour ne jamais être en faute, et mon maître me voit en toute circonstance prêt à obéir. Un esclave ne vaut quelque chose qu'autant qu'il craint son maître et qu'il évite les fautes. Ceux que ne retient pas la crainte commencent par mal faire, et craignent ensuite le mal. Pour moi, je n'aurai pas longtemps à craindre; le temps approche où mon maître me donnera le prix de mon zèle. Je m'acquitte de mon service de manière à prouver que mon dos m'est cher. J'ai d'abord logé les esclaves à l'auberge avec les bagages, comme il l'avait prescrit, et je viens le chercher. Il faut frapper à la porte, pour qu'il sache que je suis là, et que je l'emmène sain et sauf de ce coupe-gorge. Mais j'ai peur d'arriver trop tard, après qu'on l'aura expédié.

 

V.vii

SENEX
 
Per ego vobis deos atque homines dico, ut imperium meum 990
sapienter habeatis curae, quae imperavi atque impero;
facite illic homo iam in medicinam ablatus sublimen siet,
nisi quidem vos vostra crura aut latera nihili penditis.
Cave quisquam, quod illic minitetur, vostrum floccifecerit.
Quid statis? quid dubitatis? iam sublimen raptum oportuit. 995
Ego ibo ad medicum; praesto ero illeic, quom venietis. MENAECHMUS 
Occidi ?
quid hoc est negoti? quid illice homines ad me currunt, obsecro?
quid voltis vos? quid quaeritatis? quid me circumsistitis?
quo rapitis me? quo fertis me? perii ! obsecro vostram fidem,
Epidamnienseis, subvenite, cives. Quin me mittitis? 1000
MESSENIO 
Pro di immortales, obsecro, quid ego oculis aspicio meis?
herum meum indignissume nescio qui sublimen ferunt.
MENAECHMUS 
Ecquis subpetias mihi audet adferre? 
MESSENIO 
Ego, here, audacissume.
O facinus indignum et malum, Epidamnii civeis, herum
meum heic in pacato oppido luci deripier in via, 1005
qui liber ad vos venerit !
Mittite istunc. 
MENAECHMUS 
Obsecro te, quisquis es, operam mihi ut des,
neu sinas in me insignite fieri tantam iniuriam.
MESSENIO 
Imo et operam dabo, et defendam, et subvenibo sedulo.
Numquam te patiar perire : me perire'st aequius. 1010
Eripe oculum isti, ab umero qui te tenet, here, te obsecro.
Hisce ego iam sementem in ore faciam, pugnosque obseram.
Maxumo hodie malo, hercle, vostro istunc fertis : mittite.
MENAECHMUS 
Teneo ego huic oculum. 
MESSENIO 
Face ut oculi locus in capite apdareat.
Vos scelesti, vos rapacis, vos praedones. 
LORARII 
Periimus. 1015
Obsecro, hercle. 
MESSENIO 
Mittite ergo. 
MENAECHMUS 
Quid me vobis tactio'st?
Pecte pugnis. 
MESSENIO 
Agite, abite, fugite hinc in malam crucem.
Hem tibi etiam, quia postremus cedis, hoc praemi feres.
Nimis autem bene ora conmetavi, atque ex mea sententia.
Edepol, here, nae tibi suppetias temperi adveni modo. 1020
MENAECHMUS 
At tibi di semper, adulescens, quisquis es, faciant bene.
Nam absque ted esset, hodie numquam ad solem obcasum viverem.
MESSENIO 
Ergo, edepol, si recte facias, here, med mittas manu.
MENAECHMUS 
Liberem ego te? 
MESSENIO Verum, quandoquidem, here, te servavi. MENAECHMUS 
Quid est?
Adulescens, erras. 
MESSENIO 
Quid, erro? 
MENAECHMUS 
Per Iovem adiuro patrem, 1025
med herum tuum non esse. 
MESSENIO 
Non taces? 
MENAECHMUS 
Non mentior.
Nc meus servos umquam tale fecit, quale tu mihi.
MESSENIO 
Sic sine igitur, si tuum negas me esse, abire liberum.
MENAECHMUS 
Mea quidem, hercle, causa liber esto, atque ito quo voles.
MESSENIO 
Nempe iubes? 
MENAECHMUS 
Iubeo, hercle, si quid inperi est in te mihi. 1030
MESSENIO 
Salve, mi patrone. 
SERVUS ALIUS
Quom tu liber es, Messenio,
gaudeo. 
MESSENIO 
Credo, hercle, vobis : sed, patrone, te obsecro,
ne minus inperes mihi, quam quom tuos servos fui.
Apud te habitabo, et quando ibis, una tecum ibo domum.
MENAECHMUS 
Minume. 
MESSENIO 
Nunc ibo in tabernam; vasa et argentum tibi 1035
referam : recte est obsignatum in vidulo marsupium
cum viatico, id tibi iam huc adferam. 
MENAECHMUS 
Adfer strenue.
MESSENIO 
Salvom tibi ita ut mihi dedisti, reddibo : heic me mane.
MENAECHMUS 
Nimia mira mihi quidem hodie exorta miris modis.
Alii me negant eum esse qui sum, atque excludunt foras 1040
Etiam hic servom esse se meum aiebat, quem ego emisi manu.
Is ait se mihi adlaturum cum argento marsupium;
id si attulerit, dicam ut a me abeat liber quo volet,
ne tum, quando sanus factus sit, a me argentum petat. 1045
Socer et medicus me insanire aiebant : quid sit, mira sunt.
Haec nihilo mihi esse videntur setius, quam somnia.
Nunc ibo intro ad hanc meretricem, quamquam subcenset mihi,
si possum exorare ut pallam reddat, quam referam domum. 

V, 7 LE VIEILLARD, QUATRE ESCLAVES (avec lui), MÉNECHME RAVI, MESSÉNION

LE VIEILLARD (à ses esclaves)
Je vous le recommande par tous les dieux et les hommes, exécutez ponctuellement et avec adresse mes ordres, ceux que j'ai donnés et ceux que je donne. Emportez-le, sans qu'il touche à terre, chez le médecin; pour peu que vous teniez à conserver vos jambes et vos épaules, n'ayez aucun égard à ses menaces. Qu'est-ce qui vous arrête? pourquoi hésiter? il devrait être déjà enlevé dans vos bras. Je vais chez le médecin, vous m'y trou­verez en arrivant. (Il sort.)
MÉNECHME (voyant les esclaves courir à lui)
Je suis perdu ! Qu'est-ce à dire? pourquoi ces hommes courent-ils sur moi? Que voulez-vous? que demandez-vous? pourquoi m'entourer? pourquoi cette violence? où voulez-vous m'emporter? C'est fait de moi! Au secours, Épidamniens, je vous en prie. Citoyens, sauvez-moi. (Aux esclaves.) Me laisserez-vous?
MESSÉNION
O dieux immortels ! que vois-je devant moi? mon maître, enlevé de la manière la plus indigne par je ne suis quels bandits !
MÉNECHME
Personne n'aura-t-il le coeur de me prêter assistance ?
MESSÉNION
Moi, mon maître, et de bon coeur. Quelle indignité !quelle horreur ! Épidamniens, qu'ici, dans une ville en paix, en pleine rue, à la clarté du jour, on enlève moi maître, un homme libre, votre hôte ! (Aux esclaves). Lâchez-le.
MÉNECHME
Je t'en conjure, qui que tu sois, assiste-moi, ne m'abandonne pas; ne me laisse pas si cruellement outrager.
MESSÉNION
Oui, je t'assisterai, je te défendrai, je te secourrai fidèlement. Je ne te laisserai pas périr; plutôt périr moi-même! c'est mon devoir. Arrache un oeil à celui qui te tient par l'épaule, je t'en prie, mon maître. Je vais faire aux autres un semis de coups de poings sur la face, dru et serré. (Frappant les assaillants.) Il vous en coûtera cher, par Hercule, de vouloir l'emporter. Lâchez.
MÉNECHME (saisissant un d'entre eux)
Je lui tiens un oeil à celui-là.
MESSÉNION
Arrache, qu'il n'en reste que la place. (Frappant.) Ah ! scélérats, ah ! voleurs, ah ! brigands.
LES ESCLAVES
C'est fait de nous. Ah ! de grâce ! par Hercule !
MESSÉNION
Lâchez donc.
MÉNECHME
De quel droit mettez-vous la main sur moi? Frotte-les à coups de poings.
MESSÉNION (frappant toujours)
Allez, fuyez, courez au gibet. Tiens, à toi encore, pour avoir tenu le dernier; voilà ta récompense. (Ils s'enfuient tous.) Je leur ai peint le visage comme il faut et à ma satisfaction. Par Pollux, maître, je suis venu à temps pour te secourir.
MÉNECHME
Que les dieux te comblent toujours de biens, mon garçon, qui que tu sois. Sans toi, je perdais la vie avant la fin du jour.
MESSÉNION
Eh bien donc, par Pollux, si tu voulais faire une bonne action, maître, ce serait de m'affranchir.
MÉNECHME
Moi, que je t'affranchisse?
MESSÉNION
Oui, puisque je t'ai sauvé, mon maître.
MÉNECHME
Qu'est-ce que tu dis? tu es dans l'erreur, mon garçon.
MESSÉNION
Comment, dans l'erreur?
MÉNECHME
Je jure par le grand Jupiter que je ne suis pas ton maître.
MESSÉNION
Tais-toi donc.
MÉNECHME
Je ne mens pas. Jamais aucun de mes esclaves ne se comporta comme toi à mon égard.
MESSÉNION
Eh bien ! puisque tu ne veux pas que je sois ton esclave, permets-moi d'être libre.
MÉNECHME
Je te le permets, quant à moi, par Hercule ! Sois libre, et fais ce que bon te semblera.
MESSÉNION
Tu y consens?
MÉNECHME
Oui, par Hercule, si tu as besoin de mon consentement.
MESSÉNION
Salut, mon cher patron.
UN ESCLAVE
Je suis charmé de te voir libre, Messénion.
MESSÉNION (aux esclaves)
Par Hercule, je ne doute pas de vos sentiments. (A Ménechme.) Mais je t'en prie, mon patron, tiens-moi toujours pour ton serviteur, comme quand j'étais ton esclave. Je ne te quitterai pas, et, lorsque tu retourneras chez toi, je t'y suivrai.
MÉNECHME
Point du tout.
MESSÉNION
Je cours à l'auberge, et je te rendrai le bagage et l'argent. La bourse du voyage est sous bon scellé dans la valise; je vais te la rapporter.
MÉNECHME
Dépêche-toi.
MESSÉNION
Je te la remettrai intacte, comme je l'ai reçue. Attends-moi ici. (Il sort.)
MÉNECHME (seul)
Tout ceci tient du prodige; cette journée est prodigieuse. Les uns disent que je ne suis pas moi, et me mettent à la porte. En voici un qui se disait mon esclave, et que j'ai affranchi. Il va, dit-il, me chercher la bourse avec l'argent. S'il l'apporte, je lui dirai de s'en aller en pleine liberté et de me laisser, de peur qu'il ne réclame l'argent quand il aura recouvré son bon sens. Mon beau-père et le médecin assuraient que j'étais fou. Je n'y comprends rien. Tout ce qui m'arrive ne me paraît être ni plus ni moins qu'un songe. J'irai voir cette courtisane, quoiqu'elle soit fâchée; peut-être, en la priant bien, obtiendrai-je qu'elle me rende le châle pour le rapporter à ma femme. (Il entre chez Erotie.)

V.viii

MENAECHMUS

Men' hodie usquam convenisse te, audax, audes dicere, 1050
postquam advorsum mi imperavi ut huc venires? 
MESSENIO 
Quin modo
erupui, homines qui te ferebant sublimen quattuor,
apud hasce aedeis; tu clamabas deum fidem atque hominum omnium,
quom ego adcurro, teque eripio, vi pugnando ingratiis.
Ob eam rem, quia te servavi, me amisisti liberum. 1055
Quom argentum dixi me petere et vasa, tu quantum pote'st
praecucurristi obviam, ut quae fecisti infitias eas.
MENAECHMUS
Liberum ego te iussi abire? 
MESSENIO Certo. 
MENAECHMUS
Quoi certissimum'st,
mepte potius fieri servom, quam te umquam emittam manu ? 

V, 8 MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION 

MÉNECHME
Comment, tu as l'audace, impudent, de me soutenir que je t'ai vu depuis que je t'avais donné l'ordre de venir me chercher ici?
MESSÉNION
Et, bien mieux, je t'ai arraché des mains de quatre hommes qui t'enlevaient devant cette maison. Tu appelais à l'aide et les dieux et les hommes; j'accours, je fais rage, et ils sont forcés de lâcher prise. Et pour t'avoir sauvé, en récompense tu m'as affranchi. Mais ensuite, comme je t'ai dit que j'allais chercher l'argent et les bagages, tu m'as devancé de toutes tes forces, pour me venir nier ce que tu avais fait.
MÉNECHME
Moi, je t'ai affranchi?
MESSÉNION 
Bien sûr.
MÉNECHME
Quand j'ai mis dans ma tête de devenir esclave moi-même, plutôt que de te faire jamais libre !

V.ix

MENAECHMUS
SUBREPTUS
Si voltis per oculos iurare, nihilo hercle ea causa magis 1060
facietis, ut ego hodie abstulerim pallam et spinther,
pessumae.
MESSENIO 
Pro di inmortales, quid ego video? 
MENAECHMUS SOSICLES
Quid vides? 
MESSENIO 
Speculum tuom.
MENAECHMUS SOSICLES
Quid negoti 'st? 
MESSENIO 
Tua'st imago : tam consimil'st quam pote'st.
MENAECHMUS SOSICLES
Pol, profecto, haud est dissimilis, meam quom formam noscito.
MENAECHMUS SUBREPTUS
O adulescens, salve, qui me servavisti, quisquis es. 1065
MESSENIO 
Adulescens, quaeso, hercle, eloquere tuom mihi nomen, nisi piget.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Non, edepol, ita promeruisti de me, ut pigeat, quae velis
Est mihi Menaechmo nomen.
MENAECHMUS SOSICLES
Immo edepol mihi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Siculus sum Syracusanus. 
MENAECHMUS SOSICLES
Eadem urbs et patria 'st mihi.
MENAECHMUS SOSICLES
Quid ego ex te audio? 
MENAECHMUS SOSICLES 
Hoc quod res est. 
MESSENIO 
Gnovi equidem hunc herus est meus. 1070
Ego quidem huius servos sum, sed med esse huius credidi.
Ego hunc censebam te esse, huic etiam exhibui negotium.
Quaeso ignoscas, si quid stulte dixi, atque inprudens tibi.
MENAECHMUS SOSICLES
Delirare mihi videre: non conmeministi, simul
te hodie mecum exire ex navi? 
MESSENIO 
Enimvero aequom postulas. 1075
Tu herus es: tu servom quaere : salveto tu : tu vale.
Hunc ego esse aio Menaechmum. 
MENAECHMUS SUBREPTUS
At ego me. 
MENAECHMUS
SOSICLES
Quae haec fabula'st?
tu es Menaechmus? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Me esse dico, Moscho prognatum patre.
MENAECHMUS SOSICLES
Tun' meo patre es prognatus? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Imo equidem, adulescens, meo,
tuum tibi neque obcupare, neque praeripere postulo. 1080
MESSENIO 
Di immortaleis, spem insperatam date mihi, quam suspicor.
Nam nisi me animus fallit, hi sunt gemini germani duo.
Nam et patriam et patrem conmemorant pariter, qui fuerint sibi.
Sevocabo herum. Menaechme. 
MENAECHMI AMBO
Quid vis? 
MESSENIO 
Non ambos volo,
sed uter vostrorum est advectus mecum navi ? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Non ego. 1085
MENAECHMUS SOSICLES
At ego. 
MESSENIO 
Te volo igitur; huc concede. 
MENAECHMUS SOSICLES
Concessi. quid est?
MESSENIO 
Illic homo aut sycophanta, aut geminus est frater tuus.
Nam ego hominem hominis similiorem numquam vidi alterum.
Neque aqua aquae, neque lacte est lactis, crede mihi, usquam similius,
quam hic tui est, tuque huius : poste eamdem patriam ac patrem 1090
memorat : meliu'st nos adire, atque hunc percontarier.
MENAECHMUS SOSICLES
Hercle, qui tu me admonuisti recte; et habeo gratiam.
Perge operam dare, obsecro, hercle; liber esto, si invenis
hunc meum fratrem esse. 
MESSENIO 
Spero. 
MENAECHMUS SOSICLES
Et ego item spero fore.
MESSENIO 
Quid ais tu? Menaechmum, opinor, te vocari dixeras. 1095
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ita vero. 
MESSENIO 
Huic item Menaechmo nomen est. In Sicilia
te Syracusis natum esse dixisti : hic gnatus est ibi.
Moschum tibi patrem fuisse dixti; huic itidem fuit.
Nunc operam potestis ambo mihi dare et vobis simul.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Promeruisti, ut ne quid ores, quod velis, quin impetres. 1100
Tamquam si emeris me argento, liber servibo tibi.
MESSENIO 
Spes mihi est, vos inventurum fratres germanos duos
geminos, una matre gnatos, et patre uno uno die.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Mira memoras : utinam efficere quod pollicitus possies !
MESSENIO 
Possum; sed nunc agite uterque id, quod rogabo dicite. 1105
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ubi lubet, roga; respondebo, nihil reticebo, quod sciam.
MESSENIO 
Est tibi nomen Menaechmo? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Fateor. 
MESSENIO 
Est itidem tibi?
MENAECHMUS SOSICLES
Est. 
MESSENIO 
Patrem fuisse Moschum tibi ais? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ita vero. 
MENAECHMUS SOSICLES
Et mihi.
MESSENIO 
Esne tu Syracusanus? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Certo. 
MESSENIO 
Quid tu? 
MENAECHMUS SOSICLES
Quippini?
MESSENIO 
Optume usque adhuc conveniunt signa : porro operam date. 1110
Quid longissime meministi, dic mihi, in patria tua?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Cum patre ut abii Tarentum ad mercatum, postea
inter homines me deerrare a patre, atque inde avehi.
MENAECHMUS SOSICLES
Iuppiter supreme, serva me. 
MESSENIO 
Quid clamas? quin taces?
quot eras annos gnatus, quom te pater a patria avehit? 1115
MENAECHMUS SUBREPTUS
Septuennis; nam tunc dentes mihi cadebant primulum.
Neque patrem umquam postilla vidi. 
MESSENIO 
Quid? vostrum patri
filii quot eratis? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ut nunc maxume memini, duo.
MESSENIO 
Uter eratis, tun' an ille, maior? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Aeque ambo pares.
MESSENIO 
Qui id potest? 
MENAECHMUS 
Gemini ambo eramus. 
MENAECHMUS
SOSICLES
Di me servatum volunt. 1120
MESSENIO 
Si interpellas, ego tacebo potius. 
MENAECHMUS SOSICLES
Taceo. 
MESSENIO Dic mihi:
uno nomine ambo eratis? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Minume : nam mihi hoc erat,
quod nunc est, Menaechmo; illum tum vocabant Sosiclem.
MENAECHMUS SOSICLES
Signa adgnovi : contineri quin complectar, non queo.
Mi germane, gemine frater, salve, ego sum Sosicles. 1125
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quo modo igitur post Menaechmo nomen est factum tibi?
MENAECHMUS SOSICLES
Postquam ad nos renuntiatum 'st te et patrem esse mortuum,
avos noster mutavit: quod tibi nomen est, fecit mihi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Credo ita esse factum, ut dicis : sed mi hoc responde. 
MENAECHMUS SOSICLES
Roga. 1129-1130
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quid erat nomen nostrae matri? 
MENAECHMUS SOSICLES
Teusimarchae. 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Convenit. 1131
O salve, insperate multis annis post quem conspicor.
MENAECHMUS SOSICLES
Frater, et tu, quem ego multis miseriis laboribus
usque adhuc quaesivi, quemque ego esse inventum gaudeo.
MESSENIO 
Hoc erat, quod haec te meretrix huius vocabat nomine. 1135
Hunc censebat te esse, credo, quom vocat te ad prandium.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Namque edepol, heic mihi hodie iussi prandium adpararier,
clam meam uxorem, quoi pallam subrupui dudum domo,
eam dedi huic. 
MENAECHMUS SOSICLES
Hanc dicis, frater, pallam, quam ego habeo? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quomodo haec ad te pervenit? 
MENAECHMUS SOSICLES
Meretrix huc ad prandium 1140
me abduxit; me sibi dedisse aiebat : prandi perbene,
potavi atque adcubui scortum, pallam et aurum hoc dotavi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Gaudeo, edepol, si quid propter me tibi evenit boni.
nam illa quom te ad se vocabat, me esse credidit. 1144-1145
MESSENIO 
Numquid me morare, quin ego liber, ut iusti, siem? 1146
MENAECHMUS SUBREPTUS
Optumum atque aequissumum orat, frater: fac causa mea.
MENAECHMUS SOSICLES
Liber esto. 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quom tu es liber, gaudeo, Messenio.
MESSENIO 
Sed meliore est opus auspicio, ut liber perpetuo siem. 1149-1150
MENAECHMUS SOSICLES
Quoniam haec evenerunt, frater, nostra ex sententia, 1151
in patriam redeamus ambo. 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Frater, faciam, ut tu voles.
auctionem heic faciam, et vendam quidquid est. Nunc interim
eamus intro, frater. 
MENAECHMUS SOSICLES
Fiat. 
MESSENIO 
Scitin' quid ego vos rogo?
MENAECHMUS SUBREPTUS 
Quid? 
MESSENIO 
Praeconium mi ut detis. 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Dabitur. 
MESSENIO 
Ergo nunc iam 1155
vis conclamari auctionem ? 
MENAECHMUS SUBREPTUS
Fore quidem die septimi.
MESSENIO 
Auctio fiet Menaechmi mane sane septimi.
Venibunt servi, supellex, fundi, aedes, omnia.
Venibunt, quiqui licebunt, praesenti pecunia.
Venibit uxor quoque etiam, si quis emptor venerit. 1160
Vix, credo, tota auctione capiet quinquagesies.
Nunc, spectatores, valete, et nobis clare adplaudite.

V, 9 MÉNECHME RAVI, MESSÉNION, MÉNECHME SOSICLÈS

MÉNECHME RAVI (sortant de chez Erotie)
Vous auriez beau jurer par la prunelle de vos yeux, il n'en est pas moins vrai cependant, par Hercule ! que je n'ai pas emporté le châle ni le bracelet, coquines.
MESSÉNION (apercevant Ménechme ravi)
O dieux immortels, que vois-je?
MÉNECHME SOSICLÈS
Qu'est-ce que tu vois?
MESSÉNION
Ton image comme dans un miroir.
MÉNECHME SOSICLÈS
Qu'y a-t-il donc?
MESSÉNION
Ton portrait aussi ressemblant qu'il est possible.
MÉNECHME SOSICLÈS
En effet, par Pollux, il me ressemble assez, plus j'examine; oui, c'est ma figure.
MÉNECHME RAVI (à Messénion)
Ah ! bonjour, mon garçon, qui que tu sois, toi, mon sauveur.
MESSÉNION
Je t'en prie, jeune homme, dis-moi ton nom, si tu veux bien.
MÉNECHME RAVI
Par Pollux, je te dois trop de reconnaissance pour te rien refuser de ce que tu désires. Mon nom est Ménechme.
MÉNECHME SOSICLÈS
Mais, par Pollux, c'est le mien.
MÉNECHME RAVI
Je suis Sicilien, de Syracuse.
MÉNECHME SOSICLÈS
C'est là ma demeure et ma patrie.
MÉNECHME RAVI
Qu'entends-je? que dis-tu?
MÉNECHME SOSICLÈS
L'exacte vérité.
MESSÉNION (montrant Ménechme ravi)
Voici mon maître, je le reconnais; c'est à lui que j'appartiens, et je croyais appartenir à celui-là (montrant son maître). (A Ménechme ravi.) Je l'ai pris pour toi, mais je l'ai fait aussi bien enrager. (A Ménechme Sosiclès.) Pardonne-moi, je te prie, si, en te parlant, j'ai dit quelque sottise sans le vouloir.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tu es en démence, probablement. Ne te souvient-il plus que nous avons débarqué ensemble aujourd'hui?
MESSÉNION (avec étonnement)
Oui, vraiment; c'est juste. C'est toi qui es mon maître. (A Ménechme ravi.) Cherche un autre esclave. (A son maître.) Salut à toi. (A Ménechme ravi.) Toi, adieu. (Il retourne auprès de Ménechme Sosiclès.) Oui, voici Ménechme.
MÉNECHME RAVI
C'est moi qui le suis.
MÉNECHME SOSICLÈS
Quel conte! toi, Ménechme?
MÉNECHME RAVI
Oui, je suis Ménechme, fils de Moschus.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tu es le fils de mon père?
MÉNECHME RAVI
Non, jeune homme, mais du mien. Le tien, je ne te le dispute pas, je ne veux pas te l'ôter.
MESSÉNION (à part)
Dieux immortels, quelle espérance inespérée ! Faites que mes soupçons se réalisent ! Si je ne me trompe, voilà les deux frères jumeaux : ils ont même pays, même père, à ce qu'ils disent. Je prendrai mon maître à part. (Il appelle.) Ménechme !
LES DEUX MÉNECHMES
Que veux-tu?
MESSÉNION
Je ne vous veux pas tous deux ensemble. Mais lequel est arrivé hier avec moi sur le même bateau?
MÉNECHME RAVI
Ce n'est pas moi.
MÉNECHME SOSICLÈS
C'est moi.
MESSÉNION
C'est donc à toi que je veux parler. Viens par ici.
MÉNECHME SOSICLÈS
Me voici; qu'y a-t-il?
MESSÉNION
Cet homme est un intrigant, ou c'est ton frère jumeau; car je ne vis jamais cieux hommes se ressembler davantage. Deux gouttes d'eau ou deux gouttes de lait se ressembleraient moins, crois-moi, que toi à lui, et lui à toi; et puis, il revendique même patrie, même père : il faut l'interroger.
MÉNECHME SOSICLÈS
Excellent conseil, par Hercule; je t'en remercie. Poursuis ton enquête, je t'en prie. Tu es affranchi, si tu découvres qu'il est mon frère.
MESSÉNION
Je l'espère.
MÉNECHME SOSICLÈS
Et je l'espère de même.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Écoute. Tu disais, je crois, que tu t'appelles Ménechme?
MÉNECHME RAVI
Oui.
MESSÉNION (montrant son maître)
Il a nom Ménechme aussi. Tu es né, dis-tu, en Sicile, à Syracuse, et lui pareillement. Tu ajoutes que Moschus est ton père, et tel est son père à lui. Vous pouvez maintenant me prêter attention tous deux ensemble, c'est une attention que vous aurez pour vous-mêmes.
MÉNECHME RAVI
Je serais ingrat, si je n'étais disposé à faire tout ce que tu demandes et que tu désires. Je te suis acquis comme à prix d'argent, et, quoique libre, prêt à te servir.
MESSÉNION
Je me flatte que vous retrouverez chacun votre frère jumeau, né de même père, de même mère, le même jour.
MÉNECHME RAVI
Admirable ! Veuillent les dieux que tu puisses accomplir ta promesse !
MESSÉNION
Je le puis. Mais remuez-vous tous deux, et que chacun réponde à mes questions.
MÉNECHME RAVI
Interroge quand tu voudras, je répondrai sans rien dissimuler de ce que je sais.
MESSÉNION
Ton nom est Ménechme?
MÉNECHME RAVI 
Ma foi, oui.
MESSÉNION (à Ménechme Sosiclès)
Et le tien de même?
MÉNECHME SOSICLÈS
Oui.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Tu dis que tu as pour père Moschus?
MÉNECHME RAVI
Sans doute.
MÉNECHME SOSICLÈS
Et moi aussi.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Tu es de Syracuse?
MÉNECHME RAVI
Parfaitement.
MESSÉNION (à son maître)
Et toi?
MÉNECHME SOSICLÈS
Bien sûr.
MESSÉNION
Jusqu'à présent, tous les indices s'accordent parfaitement. Continuons, attention. (A Ménechme ravi.) Raconte-moi les plus anciens souvenirs que tu gardes de ton pays.
MÉNECHME RAVI
Je suivis mon père à Tarente, dans un voyage de négoce; je m'égarai parmi la foule, et quelqu'un m'emmena de cette ville.
MÉNECHME SOSICLÈS
O tout-puissant Jupiter, sois mon sauveur!
MESSÉNION
Pourquoi ces exclamations? silence. (A Ménechme ravi.) Quel âge avais-tu lorsque ton père t'emmena?
MÉNECHME RAVI
Sept ans; mes dents de lait commençaient à tomber. Je ne l'ai jamais revu depuis.
MESSÉNION
Et combien étiez-vous de fils dans votre famille?
MÉNECHME RAVI
Autant qu'il m'en souvient, deux.
MESSÉNION
Lequel était l'aîné, toi ou ton frère?
MÉNECHME RAVI
Ni l'un ni l'autre.
MESSÉNION
Comment cela se peut-il?
MÉNECHME RAVI
Nous étions jumeaux.
MÉNECHME SOSICLÈS
Les dieux me protègent !
MESSÉNION
Si tu nous interromps, je ne dirai plus rien.
MÉNECHME SOSICLÈS
Non, je me tais.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Dis-moi, vous n'aviez qu'un seul nom tous deux?
MÉNECHME RAVI
Pas du tout : je me nommais, comme aujourd'hui, Ménechme. On appelait mon frère, Sosiclès.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tous les signes sont reconnus; je ne peux plus me retenir, il faut que je l'embrasse. Mon frère, mon cher frère jumeau, salut, je suis Sosiclès.
MÉNECHME RAVI
Comment donc as-tu reçu, depuis, le nom de Ménechme?
MÉNECHME SOSICLÈS
Quand on vint nous dire que mon père et toi vous étiez morts, mon aïeul me fit changer de nom et prendre le tien.
MÉNECHME RAVI
Je t'en crois sur parole. Mais encore un mot.
MÉNECHME SOSICLÈS
Parle.
MÉNECHME RAVI
Comment notre mère se nommait-elle?
MÉNECHME SOSICLÈS
Theusimarque.
MÉNECHME RAVI
C'est bien son nom. Bonheur inattendu ! Salut, toi que je revois après tant d'années.
MÉNECHME SOSICLÈS
Salut, mon frère, toi pour qui j'ai fait tant de courses et de recherches pénibles, et qu'il m'est si doux de retrouver.
MESSÉNION (à Ménechme Sosiclès)
C'est donc cela, que la courtisane t'appelait du nom de ton frère. Elle te prenait pour lui, lorsqu'elle t'a invité.
MÉNECHME RAVI
En effet, par Pollux ! je lui avais dit que je dînerais chez elle à l'insu de ma femme, à qui j'avais dérobé un châle pour lui en faire cadeau.
MÉNECHME SOSICLÈS
Est-ce celui que j'ai là, mon frère?
MÉNECHME RAVI
Comment a-t-il passé en tes mains?
MÉNECHME SOSICLÈS
La courtisane, qui m'a emmené dîner chez elle, a voulu absolument que je le lui eusse donné. J'ai bien bu, bien mangé avec la belle couchée auprès de moi, et je lui ai fait cadeau du bijou et du châle.
MÉNECHME RAVI
Je suis charmé d'être cause qu'on t'ait bien traité; car, en t'invitant à entrer chez elle, c'était moi qu'elle croyait inviter.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
T'opposes-tu à ce que je sois libre, selon toute justice?
MÉNECHME RAVI
Il a raison, c'est de toute justice, mon frère; je te le demande pour moi.
MÉNECHME SOSICLÈS (à Messénion, en lui touchant la joue)
Sois libre.
MÉNECHME RAVI
Je félicite Messénion l'affranchi.
MESSÉNION
Mais il faut de meilleurs auspices pour me garantir ma liberté à jamais (26).
MÉNECHME SOSICLÈS (à Ménechme ravi)
Puisque l'événement comble nos vœux, retournons ensemble dans notre patrie.
MÉNECHME RAVI
Comme tu voudras, mon frère. Je ferai la vente de tous mes biens, je ne garderai rien ici. Mais allons chez moi, en attendant.
MÉNECHME SOSICLÈS
Volontiers.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Sais-tu ce que j'ai à vous demander?
MÉNECHME RAVI
Quoi?
MESSÉNION
C'est de me charger de la criée.
MÉNECHME RAVI
Accordé.
MESSÉNION
Eh bien ! veux-tu que j'annonce la vente?
MÉNECHME RAVI
Oui, pour dans sept jours.
MESSÉNION (au public)
La vente de Ménechme se fera dans sept jours au matin. On vendra les esclaves, le mobilier, les terres, les maisons. Pour tout objet vendu, le prix, quel qu'il soit, se paiera comptant. La femme aussi se vendra, si elle trouve acquéreur. Je ne crois pas qu'on retire de toute la vente cinq millions de sesterces. Maintenant, spectateurs, portez-vous bien, et applaudissez ferme.

(01) On était senex (vieillard) chez les Anciens, dès quarante-cinq ans. En revanche, on était adulescens jusqu'à trente ans.
(
02) Peniculus — que Naudet a traduit par Labrosse — est un sobriquet bien amusant, et que le personnage explique lui-même au début de son monologue.
(
03) Cette saisie de la personne fait frémir, bien que Plaute ici plaisante cet usage.
(
04) Le jeu de mots porte sur caris qui signifie également le prix des choses et les affections du coeur.
(
05) Il y a de la colère dans l'emploi de ce titre. Marchands et voyageurs d'alors trouvaient odieux les fonctionnaires de douane et d'octroi qui ne se contentaient pas de visiter les bagages au départ et à l'arrivée, mais qui tâtaient et secouaient les personnes et qui décachetaient les lettres.
(
06) Une matrone avait droit à tout cela. Par contre, elle avait à remplir l'office de ménagère, de mère de famille, de surveillante de ses servantes.
(
07) On touchait de la main droite l'autel ou la statue du dieu qu'on invoquait.
(
08) Les suppléants n'avaient pas d'armes et, tant qu'ils n'avaient point remplacé des soldats morts, ne comptaient pas dans l'armée.
(
09) Cette indignation exprime bien le sentiment de scandale qu'éprouvaient les vieux Romains (Caton le Censeur, Scipion Emilien) à l'égard de la danse.
(
10) Les porcs avaient souvent l'honneur d'être les victimes dans les sacrifices.
(
11) Cylindre appelle culindre, qui est forgé sur le mot qui signifie bourse, testicule.
(
12) S'il osait finir sa phrase, il dirait : « Toi plutôt, va te faire pendre. »
(
13C'est-à-dire : les rameurs.
(
14Porter une couronne sur la tête et être ivre, cela allait bien ensemble, car tout festin exigeait des convives couronnés de fleurs.
(
15L'héritier était chargé par la loi de rendre les derniers honneurs au mort et de satisfaire à ses obligations religieuses. Son ingratitude encourait la peine de déchéance. Labrosse plaisante.
(
16Les acteurs de pantomimes s'habillaient en femmes pour jouer des rôles féminins et, comme dit Naudet, « gagnaient souvent plus dans les entretiens particuliers hors de la scène que dans l'exercice de leur profession avouée ». On comprend la fureur de Ménechme.
(
17Le bracelet dont l'esclave parlait tout à l'heure était un bracelet ordinaire porté au bras gauche; ceux-ci sont des bracelets que les femmes portaient à la partie supérieure des deux bras, près de l'épaule.
(
18Ménechme a beau employer des mots grecs, il a beau se couvrir du pallium : je vois en lui un noble Romain, avec ses clients, avec tous les embarras et tous les ennuis du patronage; et lui-même, de peur que je ne m'y trompe, il me conduit devant les édiles, il me donne tout le détail d'une procédure romaine, d'une sponsio, espèce de gageure juridique, par laquelle une des parties déposait une somme d'argent, en se soumettant à la perdre si elle ne prouvait pas son dire; et l'autre partie était obligée de faire même dépôt aux mêmes conditions, ou de fournir caution. Il me dira aussi quelles sont les différentes espèces de juridictions à Rome : celle du peuple dans les comices, ad populum; celle du préteur, in jure (le préteur seul rendait la justice en forme, do, dico, addico); celle des juges donnés par le préteur, ou nommés par les parties, ad judicem. Et les édiles? c'étaient encore des judices, une sorte de justice municipale, qui ne procédait pas selon les formes et la rigueur du droit, mais qui prononçait d'autorité et de bonne foi. Plutarque nous montre les deux Catons et J. César occupés, comme Ménechme, à soigner les affaires de leurs clients au forum, mais s'y prêtant de meilleure grâce. (Naudet.)
(
19) On traduit comme on peut le jeu de mots latin palla pallorem.
(
20Le Tu, tu, prononcé à l'italienne rappelle un peu le cri de la chouette.
(
21) Parthaon, roi de Calydon, père d'Œnée et grand-père de Déjanire et de Tydée.
(
22Cette déférence filiale était de règle, mais une femme la devait aussi à son mari, même à son frère.
(
23) Ces signes de la bile en mouvement annonçaient aux Anciens un état de démence furieuse.
(
24) Cygnus, fils de Neptune changé en cygne (Ovide); cygnus : cygne, oiseau d'Apollon. Ce sont les poils blancs du vieillard qui ont éveillé cette mythologie.
(
25) Comme dans certaines maladies nerveuses.
(26)
Réflexion obscure. Elle s'éclaire si l'on se souvient que c'est réflexion, a parte, de l'esclave qui jouait le rôle et qui se moquait ainsi du camarade qui, sous le costume de Ménechme, était esclave comme lui.