Plaute : Pankoucke

PLAUTE

LA MARMITE

AULULARIA



 

 

 

 

LA Marmite ! pourquoi déroger à l'usage, et remplacer par ce mot trivial et bas l'ancien titre plus savant et plus connu ? Plus connu, oui ; mais compris ? et c'est à l'être qu'un traducteur aspire avant tout. Qu'est-ce que ce nom l'Aululaire, latin dans son thème, français par sa terminaison, et qui n'appartient en propre à aucune langue, et n'a par lui-même aucun sens ? Est-il bien sûr encore, qu'au siècle d'Auguste, tout le monde, même à Rome, entendît la signification du terme aulularia, sans qu'un Varron, un Verrius Flaccus, expliquât comment ce meuble de cuisine appelé olla, avait eu nom aula chez les anciens, lorsqu'on ne voulait point de doublement de consonne ; et comment aulularia provenait du diminutif de aula, parce que les vieux Romains aimaient beaucoup les diminutifs (01) ; ce qu'on n'aurait guère attendu de la rudesse de leurs moeurs ?

La Marmite, voilà le vrai titre en français de la pièce de Plaute. J'y tiens beaucoup, non de cette affection que le bonhomme Chrysale portait en son coeur aux choses de cette espèce, quoique je prise fort son bon sens et ses discours ; je tiens à mon titre par un motif de raison et d'équité. C'est la Marmite qui, avec Euclion, occupe le plus constamment la scène ; c'est elle qui, avec lui, joue le rôle le plus important ; elle est le personnage moral du drame. Que le vieillard pousse comme un furieux sa servante dans la rue ; c'est qu'il veut visiter sans témoins, avant que de sortir, sa marmite pleine d'or. Qu'il s'afflige de quitter un moment son logis, même pour aller, chez le magistrat de la curie chercher sa part d'un congiaire ; c'est sa marmite qui le met en peine. Que l'affabilité de l'honnête Mégadore, et l'empressement de ce riche pour un pauvre homme tel que lui, le troublent et l'alarment ; c'est pour sa marmite qu'il tremble. Qu'au bruit des ouvriers travaillant dans la maison du voisin, il rompe l'entretien brusquement et coure chez lui tout effaré ; c'est encore sa marmite qu'il va sauver des voleurs. Pourquoi chasse-t-il à grands coups de bâton les cuisiniers que son gendre futur a envoyés chez lui en son absence pour apprêter le festin de noces, un festin qui ne doit lui rien coûter ? Et sa marmite ! comment la tenir cachée avec de pareils fripons ? Cette marmite est comme l'Achille de l'Iliade ; dans son repos elle domine toute l'action, toujours présente et invisible. Mais la voici enfin qui paraît. Euclion la porte en ses bras ; il lui cherche un asile plus sûr. Le bois sacré de Sylvain est tout proche ; il l'y enfouit. Mais de noirs pressentiments, mais le cri du corbeau et la rencontre d'un maraud d'esclave, ne lui laissent point de sécurité. Malgré les difficultés et les périls du déplacement, il faut choisir un autre dépositaire. La marmite reparaît encore pressée contre le sein d'Euclion, et c'est la Bonne-Foi qui la reçoit dans son temple, sans pouvoir elle-même se flatter d'inspirer à l'avare une confiance entière. Le coquin d'esclave le guettait, et la cachette est éventée. Entendez les cris d'Euclion, voyez ce masque grimaçant une colère qui va jusqu'à la rage, une douleur qui va jusqu'à la démence. C'est sa marmite qu'il redemande aux dieux et aux hommes, et pour laquelle il ferait pendre amis et ennemis, et lui-même après eux ; cette marmite plus chère à son coeur que sa fille, dont il apprend, pour comble de désespoir, le déshonneur en ce moment même. Ainsi la marmite, ou son image, est attachée après lui, comme son génie malfaisant, comme sa furie, en punition de sa dureté pour les siens, de sa folie cruelle pour lui-même. Elle l'agite, elle le torture sans relâche par des transes mortelles, jusqu'à ce qu'enfin il n'y ait plus pour lui de nouveau malheur, de nouveau chagrin possible ; et ce terrible supplice ne cesse d'être le spectacle, parfois le plus bouffon, presque toujours le plus comique.

Que Plaute eût été bien inspiré, s'il n'eût pas voulu ajouter cette moralité un miracle incroyable, la métamorphose de l'avare en un bon père affectueux et libéral (02) ! Ce qui se tolère en un conte d'enfants pour l'édification des lecteurs, au théâtre n'est point admis par les hommes.
Ce fut néanmoins une conception hardie et puissante, une oeuvre habile de l'art, que de renfermer dans la simple peinture d'un caractère, l'intérêt d'une grande comédie, et de soutenir l'action exempte de monotonie et de langueur, sans les accessoires d'une intrigue amoureuse ou <les fourberies d'un esclave. Servante, cuisiniers, voisins, tous les personnages de la pièce se groupent autour d'Euclion sans l'éclipser un instant, et ne tendent qu'à mettre son vice en saillie et en lumière, la vieille Staphyle par ses doléances, Mégadore par sa générosité, les cuisiniers par leurs récits, l'amant par ses aveux mal interprétés, tous par les tribulations qu'ils lui causent.

Gardons-nous donc de renvoyer cette couvre aux traiteaux des bateleurs, comme l'insinuerait un certain critique, sans que notre admiration toutefois aille jusqu'à la préférer à l'imitation originale et féconde de Molière. Entre l'enthousiasme érudit et systématique de M. Shlegel et le dédain superficiel de La Harpe, il est possible de porter un jugement plus équitable, si l'on a égard aux conditions diverses de la comédie latine et du théâtre français, soit pour le rôle que jouent les femmes, soit pour les bienséances des temps et des lieux, soit pour la déclamation, qui augmente ou diminue, selon qu'elle est plus ou moins chantante, l'étendue des poèmes et la complication des fables.
La composition et le sujet nous induiraient à penser que cette production appartenait à la maturité de l'auteur, lors même que des conjectures assez positives ne nous en donneraient pas à peu près la certitude.

L'an 559 de Rome (03), on se reposait à peine de la seconde guerre punique, lorsqu'un grand débat agita la ville. La loi d'Oppius avait interdit, vingt ans auparavant, aux dames romaines, les bijoux, les robes brodées et les voitures. Deux tribuns proposèrent de l'abroger, deux autres voulaient qu'elle fût maintenue. Caton était alors consul ; on pense bien de quel côté il se rangea. Les femmes assiégeaient les maisons des magistrats, remplissaient le Forum et ses abords, tâchant de gagner des protections et des suffrages ; et même il accourait à Rome de tous les lieux voisins clos solliciteuses : c'était presque une émeute. Caton n'arriva qu'à grand'peine, murmurant et grondant, à la tribune ; il lui avait fallu traverser une armée de femmes qui l'étourdissaient de leurs plaintes, peut-être aussi de leurs imprécations, lorsqu'elles croyaient n’être pas reconnues dans la foule et le bruit. L'éloquence du consul fut vaincue avec la loi.

N'était-on pas encore échauffé par ces disputes ou par un souvenir récent, lorsque les réflexions du sage Mégadore sur le luxe des femmes, sur l'usage des chars et sur l'abus des parures, venaient s'accorder si bien avec les véhémentes harangues de Caton ? Plaute fut le poète des plébéiens, comme Caton en était l'orateur. Ils ont signalé, en plus d'une occasion, l'un et l'autre cette lutte de la vieille pauvreté latine contre les nouvelles richesses et les nouvelles voluptés apportées de la Grèce par la victoire. Cette pièce ne dut pas être donnée plus de dix on douze ans avant la mort de Plaute, qui n'atteignit pas la vieillesse.

Il ne nomme point l'auteur dont il s'est approprié l'ouvrage. On cite parmi les pièces de Ménandre, le Trésor, ainsi que parmi celles de Philémon et d'Anaxandride. Ménandre avait fait aussi l'Hydria (la Cruche), et il s'y agissait d'un trésor. Leurs sujets étaient-ils semblables à celui de Plaute ? Dioxippe, et, après lui, Philippide, deux poètes athéniens, avaient composé des pièces intitulées l'Avare. On a conservé un vers d'une Aulularia de Névius. Mais qu'avaient-ils à revendiquer ici ? on n'en sait rien.
Peut-être le silence de Plaute vient-il de la conscience de son plein droit sur sa comédie. Il l'avait faite toute romaine, toute à lui, en la transportant sur la scène de Rome. C'était une conquête, et non un larcin.

(01) Voyez les titres Cistellaria, Mostellaria, Paenulus. Qu'on se souvienne du surnom Corculum donné au sage Scipion Nasica, etc.
(02) Voyez l'Argument acrostiche, au dernier vers.
(03) Tite-Live, liv.. XXXIV, ch. I-8 ; Valère-Maxime, liv. IX, chap. I, § 3.

PERSONNAGES. (04)

LE DIEU LARE, Prologue.
EUCLION, vieil avare.
STAPHYLE, vieille esclave d'Euclion.
EUNOMIE, soeur de Mégadore, mère de Lyconide.
MÉGADORE, vieillard opulent et libéral.
STROBILE, esclave de Mégadore.
ANTHRAX, CONGRION, cuisiniers.
PYTHODICUS, esclave de Mégadore.
STROBILE, esclave de Lyconide.
LYCONIDE, fils d'Eunomie, amant de Phédra.
PHÉDRA, fille d'Euclion.

ARGUMENT.

LE vieil avare Euclion, qui s'en fie à peine à lui-même, a trouvé chez lui, sous terre, une marmite remplie d'or. Il l'enfouit de nouveau profondément, et la garde avec de mortelles inquiétudes ; il en perd l'esprit. Lyconide a ravi l'honneur à la fille de ce vieillard. Sur ces entrefaites, le vieux Mégadore, à qui sa soeur a conseillé de prendre femme, demande en mariage la fille de l'avare. Le vieux hibou a grand'peine à l'accorder. Sa marmite lui cause trop d'alarmes ; il l'emporte de chez lui et la change de cachette plusieurs fois. Il est surpris par l'esclave de ce même Lyconide qui avait déshonoré la jeune fille. L'amant obtient de son oncle Mégadore qu'il renonce en sa faveur à la main de son amante. Ensuite Euclion, qui avait perdu par un vol sa marmite, la recouvre contre tout espoir ; dans sa joie, il marie sa fille à Lyconide.

ARGUMENT ACROSTICHE ATTRIBUÉ A PRISCIEN LE GRAMMAIRIEN.

Une marmite pleine d'or a été trouvée par Euclion. Il fait sentinelle auprès, et s'inquiète et se tourmente. Lyconide ravit l'honneur à la fille du vieillard. Mégadore la demande en mariage sans dot, et, pour engager Euclion à consentir, il fournit le festin avec les cuisiniers. Euclion tremble pour son or et va le cacher hors de chez lui. L'esclave de l'amant le guettait ; il enlève la marmite. Le jeune homme la rapporte, et Euclion lui donne en récompense son trésor (05) et sa fille avec le nouveau-né.

LA MARMITE COMÉDIE DE PLAUTE.

PROLOGUE.

LE DIEU LARE. (08)

QUE mon aspect ne vous étonne pas ; deux mots vont me faire connaître : je suis le dieu Lare de cette famille, là, dans la maison d'où vous m'avez vu sortir. II y a bien des années que j'y demeure ; j'étais le dieu familier du père et de l'aïeul de celui qui l'occupe aujourd'hui. L'aïeul me confia un trésor inconnu de tout le monde, et l'enfouit au milieu du foyer, me priant, me suppliant (06) de le lui conserver. A sa mort, voyez son avarice, il ne voulut point dire le secret à son fils, et il aima mieux le laisser pauvre, que de lui découvrir son trésor (09); un père ! Son héritage consistait en un petit coin de terre, d'où l'on ne pouvait tirer, à force de travail, qu'une chétive existence. Quand cet homme cessa de vivre, moi, gardien du dépôt, je voulus voir si le fils me rendrait plus d'honneur que son père. Ce fut bien pis encore mon culte fut de plus en plus négligé. Notre homme eut ce qu'il méritait ; je le laissai mourir sans être plus avancé. Un fils lui succéda : c'est le possesseur actuel de la maison ; caractère tout-à-fait semblable à son aïeul et à son père. Il a une fille unique. Elle, au contraire, m'offre chaque jour, soit un peu de vin, soit un peu d'encens, ou quelque autre hommage (07) ; elle m'apporte des couronnes. Aussi est-ce à cause d'elle que j'ai fait découvrir le trésor par son père Euclion, afin que, s'il voulait la marier, cela lui devînt plus facile. Elle a été violée par un jeune Homme de très bonne maison ; il la connaît, mais il n'est point connu d'elle, et le père ignore ce malheur. Aujourd'hui le vieillard, leur voisin, ici (montrant la maison de Mégadore), la demandera en mariage : c'est moi qui lui inspirerai ce dessein pour ménager à l'amant l'occasion d'épouser. Car le vieillard qui la recherchera est justement l'oncle du jeune homme qui l'a déshonorée, dans les veillées de Cérès (10). Mais j'entends le vieil Euclion, là, dans la maison, grondant selon sa coutume. II contraint sa vieille servante à sortir, de peur qu'elle n'évente son secret. II veut, je crois, visiter son or, et s'assurer qu'on ne l'a pas volé.

LA MARMITE.

Acte I, Scène 1.

EUCLION, STAPHYLA.

EUCLION.

ALLONS, sors ; sors donc. Sortiras-tu, espion, avec tes yeux fureteurs ?

STAPHYLA.

Pourquoi me bas-tu, pauvre malheureuse que je suis ?

EUCLION.

Je ne veux pas te faire mentir. Il faut qu'une misérable de ton espèce ait ce qu'elle mérite, un sort misérable.

STAPHYLA.

Pourquoi me chasser de la maison ?

EUCLION.

Vraiment, j'ai des comptes à te rendre, grenier à coups de fouet (11). Éloigne-toi de la porte. Allons, par là (lui montrant le côté opposé à la maison). Voyez comme elle marche. Sais-tu bien ce qui l'attend ? Si je prends tout-à-l'heure un bâton, ou un nerf de boeuf, je te ferai allonger ce pas de tortue.

STAPHYLA, à part.

Mieux vaudrait que les dieux m'eussent fait pendre, que de me donner un maître tel que toi.

EUCLION.

Cette drôlesse marmotte tout bas. Certes, je t'arracherai les yeux pour t'empêcher de m'épier continuellement, scélérate ! Éloigne-toi. Encore. Encore. Encore. Holà ! reste-là. Si tu t'écartes de cette place d'un travers de doigt ou de la largeur de mon ongle, si tu regardes en arrière, avant que je te le permette, je te fais mettre en croix pour t'apprendre à vivre. (à part) Je n'ai jamais vu de plus méchante bête que cette vieille. Je crains bien qu'elle ne me joue quelque mauvais tour au moment où je m'y attendrai le moins. Si elle flairait mon or, et découvrait la cachette ? c'est qu'elle a des yeux jusque derrière la tête, la coquine. Maintenant, je vais voir si mon or est bien comme je l'ai mis. Ah ! qu'il me cause d'inquiétudes et de peines.

(Il sort.)

STAPHYLA, seule.

Par Castor ! je ne peux deviner quel sort (12) on a jeté sur mon maître, ou quel vertige l'a pris. Qu'est-ce qu'il a donc à me chasser dix fois par jour de la maison ? On ne sait, vraiment, quelle fièvre le travaille. Toute la nuit il fait le guet ; tout le jour il reste chez lui sans remuer, comme un cul-de-jatte de cordonnier. Mais moi, que devenir ? comment cacher le déshonneur de ma jeune maîtresse ? Elle approche de son terme. Je n'ai pas d'autre parti à prendre, que de faire de mon corps un grand I (13), en me mettant une corde au cou.

Acte I, scène II

EUCLION, STAPHYLA.

EUCLION, à part.

Je sors à présent, l'esprit plus dégagé. Je me suis assuré là dedans que tout est bien en place. (A Staphyla) Rentre maintenant, et garde la maison.

STAPHYLA, ironiquement

Oui, garder la maison ; est-ce de crainte qu'on n'emporte les murs ? car, chez nous, il n'y a pas d'autre coup à faire pour les voleurs : la maison est toute pleine de rien et de toiles d'araignées (14).

EUCLION.

C'est étonnant, n'est-ce pas, que Jupiter ne m'ait pas donné, pour te faire plaisir, les biens du roi Philippe ou ceux du roi Darius (15), vieille sorcière ! Je veux qu'on garde les toiles d'araignées, moi. Eh bien, oui, je suis pauvre. Je me résigne ; ce que les dieux m'envoient, je le prends en patience. Rentre, et ferme la porte. Je ne tarderai pas à revenir. Ne laisse entrer personne ; prends-y garde. Éteins le feu, de peur qu'on n'en demande ; on n'aura plus de prétexte pour en venir chercher. S'il reste allumé, je t'étoufferai à l'instant. Dis à ceux qui demanderaient de l'eau, qu'elle s'est enfuie. Les voisins empruntent toujours quelque ustensile, comme cela ; c'est un couteau, une hache, un pilon, un mortier. Tu diras que les voleurs nous ont tout pris. Enfin je veux qu'en mon absence personne ne s'introduise ; je t'en avertis. Fût-ce la Bonne-Fortune qui se présentât, qu'elle reste à la porte.

STAPHYLA.

Par Pollux ! elle n'a garde d'entrer chez nous. On ne l'a jamais vue s'en approcher.

EUCLION.

Tais-toi, et rentre.

STAPHYLA.

Je me tais, et je rentre.

EUCLION.

Ferme la porte aux deux verrous, entends-tu ? je serai ici dans un moment. (Staphyla sort.) Je suis désolé d'être obligé de sortir. Mais, hélas ! il le faut. Je sais ce que je fais (16). Le président de la Curie a annoncé une distribution d'argent. Si je n'y vais pas pour recevoir ma part, aussitôt tout le monde se doutera que j'ai de l'or chez moi ; car il n'est pas vraisemblable qu'un pauvre homme dédaigne un didrachme, et ne se donne pas la peine d'aller le recevoir. Et déjà, malgré mon soin à cacher ce secret, on dirait que tout le monde le connaît. On me salue plus gracieusement qu'autrefois ; on m'accoste, on entre en conversation, on me serre la main ; chacun me demande de mes nouvelles, comment vont les affaires ? .... Faisons cette course, et puis je reviendrai le plus tôt possible à la maison.

(Il sort.)

Acte II, Scène I.

EUNOMIE, MÉGADORE.

EUNOMIE.

Crois, mon frère, que je te parle par amitié pour toi et dans ton intérêt, comme une bonne soeur. Je sais bien qu'on nous reproche d'être ennuyeuses (17), nous autres femmes. On dit que nous sommes bavardes, on a raison (18); on assure même qu'il ne s'est jamais trouvé, en aucun siècle, une seule femme muette. Quoi qu'il en soit, considère, mon frère, que nous n'avons pas de plus proche parent, toi que moi, moi que toi, et que nous devons par conséquent nous aider l'un l'autre de nos conseils et de nos bons avis. Ce serait une discrétion, une timidité mal entendues, que de nous abstenir de pareilles communications entre nous. Je t'ai donc fait sortir pour t'entretenir sans témoin de ce qui intéresse ta fortune.

MÉGADORE.

Excellente femme ! touche là.

EUNOMIE, regardant autour d'elle

A qui parles-tu ? où est cette excellente femme ?

MÉGADORE.

C'est toi-même.

EUNOMIE

Vraiment ?

MÉGADORE.

Si tu dis le contraire, je ne te démentirai pas.

EUNOMIE.

Un homme tel que toi doit dire la vérité. Il n'y a point d'excellente femme : elles ne diffèrent toutes que par les degrés de méchanceté.

MÉGADORE.

Je suis du même sentiment ; et certes, ma soeur, je ne veux pas te contrarier sur ce point. Que me veux-tu ?

EUNOMIE.

Prête-moi attention (19), je te prie.

MÉGADORE.

A ton service ; dispose de moi, ordonne.

EUNOMIE.

J'ai voulu te donner un conseil très utile.

MÉGADORE.

Je te reconnais là, ma soeur.

EUNOMIE.

C'est mon désir.

MÉGADORE.

De quoi s'agit-il ?

EUNOMIE.

Je veux que tu te maries.

MÉGADORE.

Aie ! aie ! je suis mort !

EUNOMIE.

Qu'as-tu donc ?

MÉGADORE.

Ce sont des pierres que tes paroles ; elles fendent la tête (20) à ton pauvre frère.

EUNOMIE.

Allons, suis les conseils de ta soeur.

MÉGADORE.

Nous verrons.

EUNOMIE.

C'est un parti sage.

MÉGADORE.

Oui, de me pendre plutôt que de me marier. Cependant j'y consentirai à une condition : demain époux, après demain veuf. A cette condition-là, présente-moi la femme qu'il te plaira ; prépare la noce.

EUNOMIE.

Elle t'apporterait une très riche dot. C'est une femme déjà mûre, entre deux âges. Si tu m'y autorises, mon frère, je la demanderai pour toi.

MÉGADORE.

Me permets-tu de te faire une question ?

EUNOMIE.

Tout ce que tu voudras.

MÉGADORE.

Quand un homme est sur le déclin, et qu'il épouse une femme entre deux âges, si par hasard ces deux vieilles gens donnent la vie à un fils, cet enfant n'est-il pas assuré d'avance de porter le nom de Postume ? Mais je veux t'épargner le soin que tu prends. Grâce à la bonté des dieux et à la prudence de nos ancêtres, j'ai assez de biens. Je n'arme pas vos femmes de haut parage (21), avec leurs dots magnifiques, et leur orgueil, et leurs criailleries, et leurs airs hautains, et leurs chars d'ivoire, et leurs robes de pourpre ; c'est une ruine, un esclavage pour le mari.

EUNOMIE.

Dis-moi donc quelle est la femme que tu veux épouser ?

MÉGADORE.

Volontiers. Connais-tu le vieil Euclion, ce pauvre homme notre voisin ?

EUNOMIE.

Oui ; un brave homme, ma foi.

MÉGADORE.

Je désire qu'il me donne sa fille. Point de discours superflus, ma soeur ; je sais ce que tu vas me dire : qu'elle est pauvre. Sa pauvreté me plaît.

EUNOMIE.

Les dieux rendent ce dessein prospère !

MÉGADORE.

Je l'espère ainsi.

EUNOMIE.

Je puis me retirer ?

MÉGADORE.

Adieu.

EUNOMIE.

Adieu, mon frère. (Elle sort.)

MÉGADORE.

Voyons si Euclion est chez lui. Il était sorti ; le voici justement qui rentre.

Acte II, Scène II.

EUCLION, MÉGADORE.

EUCLION.

Je prévoyais, en sortant, que je ferais une course inutile, et il m'en coûtait de m'absenter. Aucun des hommes de la curie (22) n'est venu, non plus que le président (23), qui devait distribuer l'argent. Hâtons-nous de rentrer ; car, pendant que je suis ici, mon âme est à la maison (24).

MÉGADORE.

Bonjour, Euclion ; le ciel te tienne toujours en joie.

EUCLION.

Et toi de même, Mégadore.

MÉGADORE.

Comment te portes-tu ? Cela va-t-il comme tu veux ?

EUCLION.

Les riches ne viennent pas parler d'un air aimable aux pauvres sans quelque bonne raison. Il sait que j'ai de l'or ; c'est pour cela qu'il me salue si gracieusement.

MÉGADORE.

Réponds-moi : te portes-tu bien

EUCLION.

Ah ! pas trop bien du côté de l'argent.

MÉGADORE.

Par Pollux ! si tu as une âme raisonnable, tu as ce qu'il faut pour être heureux.

EUCLION, à part.

Oui, la vieille lui a fait connaître mon trésor. La chose est sûre ; c'est clair. Ah ! je te couperai la langue et t'arracherai les yeux.

MÉGADORE.

Pourquoi parles-tu là tout seul ?

EUCLION.

Je me plains de ma misère. J'ai une fille déjà grande, mais sans dot, partant point mariable. Qui est-ce qui voudrait l'épouser ?

MÉGADORE.

Ne dis pas cela, Euclion. Il ne faut pas désespérer on t'aidera. Je veux t'être utile ; as-tu besoin de quelque chose ? tu n'as qu'à parler.

EUCLION, à part.

Ses offres ne sont qu'un appât. Il convoite mon or, il veut le dévorer. D'une main il tient une pierre, tandis que de l'autre il me montre du pain. Je ne me fie pas à un riche prodigue de paroles flatteuses envers un pauvre. Partout où il met la main obligeamment, il porte quelque dommage. Nous connaissons ces polypes, qu'on ne peut plus arracher, une fois qu'ils se sont pris quelque part.

MÉGADORE.

Écoute-moi un moment, Euclion ; je veux te dire deux mots sur une affaire qui t'intéresse comme moi.

EUCLION.

Pauvre Euclion ! ton or est pillé (25). On veut composer avec toi, c'est sûr. Mais courons voir au plus tôt.

MÉGADORE.

Où vas-tu ?

EUCLION, s'en allant.

Je reviens dans l'instant. J'ai affaire à la maison.

(Il sort.)

MÉGADORE, seul.

Quand je lui demanderai sa fille en mariage, sans doute il croira que je me moque de lui. II n'y a pas de mortel plus pauvre et qui vive plus pauvrement (26).

EUCLION, à part.

Les dieux me protègent, elle est sauvée. Sauvé est ce qui n'est pas perdu (27). J'ai eu une belle peur, avant d'avoir vu là dedans ; j'étais plus mort que vif. (À Mégadore) Me voici revenu, Mégadore ; je suis à toi.

MÉGADORE.

Bien obligé. Maintenant, aie la complaisance de répondre à mes questions.

EUCLION.

Oui, pourvu que tu ne me demandes pas des choses qu'il ne me plaise pas de te dire.

MÉGADORE.

Que penses-tu de ma naissance ?

EUCLION.

Bonne.

MÉGADORE.

Et de ma réputation (28) ?

EUCLION.

Bonne.

MÉGADORE.

Et de ma conduite ?

EUCLION.

Sage et sans reproche.

MÉGADORE.

Sais-tu mon âge ?

EUCLION.

Il est grand, comme ta fortune.

MÉGADORE.

Et moi, Euclion, je t'ai toujours tenu pour un honnête citoyen, et je te tiens pour tel encore.

EUCLION, à part.

Il a eu vent de mon or. (Haut) Qu'est-ce que tu me veux ?

MÉGADORE.

Puisque nous nous connaissons réciproquement (29) je veux (daignent les dieux bénir ce dessein et pour toi, et pour ta fille, et pour moi !) devenir ton gendre ; y consens-tu ?

EUCLION.

Ah ! Mégadore, c'est une chose indigne de ton caractère, que de te moquer d'un pauvre homme, qui n'a jamais offensé ni toi, ni les tiens. Jamais, ni par mes discours ni par mes actions, je n'ai mérité que tu te comportasses ainsi envers moi.

MÉGADORE.

Par Pollux ! je ne me moque pas de toi, je n'en ai pas l'intention : cela ne me paraîtrait pas du tout convenable.

EUCLION.

Pourquoi donc me demander ma fille en mariage ?

MÉGAD0RE.

Pour faire ton bonheur et celui de ta famille, et pour vous devoir le mien.

EUCLION.

Je réfléchis, Mégadore, que tu es riche et puissant, que je suis pauvre et très pauvre. Si je deviens ton beau-père, nous aurons attelé ensemble le boeuf et l'âne : je serai l'ânon, incapable de porter le même faix que toi, et je tomberai harassé dans la boue, et le boeuf ne nie regardera pas plus que si je n'existais pas. Il me traitera avec hauteur, et mes pareils se moqueront de moi. Plus d'étable où me retirer, s'il survient un divorce ; les ânes de me déchirer à belles dents, les boeufs de me chasser à coups de cornes. Il y a donc trop de danger pour moi à quitter les ânes pour passer chez les boeufs.

MÉGADORE.

En s'alliant à d'honnêtes gens, on ne peut que gagner. Accepte, crois-moi, le parti que je te propose, et accorde-moi ta fille (30).

EUCLION.

Mais je n'ai pas de dot à lui donner.

MÉGADORE.

On s'en passera. Pourvu qu'elle soit sage, elle est assez bien dotée.

EUCLION.

Je te le dis, afin que tu ne t'imagines pas que j'aie trouvé des trésors.

MÉGADORE.

Je le sais ; tu n'as pas besoin de me le dire. Consens.

EUCLION.

Soit. (Il entend des coups de pioche Mais, ô Jupiter ! ne m'assassine-t-on pas ?

MÉGADORE.

Qu'est-ce que tu as ?

EUCLION.

N'entends-je pas un bruit de fer ? (il part.)

MÉGADORE.

Oui, je fais travailler à mon jardin. Eh bien ! qu'est-il devenu ? il s'en va sans me donner une réponse positive. II ne veut pas de moi, parce que je le recherche. Voila bien comme sont les hommes. Qu'un riche fasse les avances pour lier amitié avec un pauvre, le pauvre a peur de s'approcher, et sa timidité lui fait manquer une bonne occasion. Il la regrette ensuite, quand elle est passée ; mais il est trop tard.

(Euclion revient.)

EUCLION, à part.

Si je ne te fais pas arracher la langue du fin fond du gosier, vieille coquine, je t'autorise bien à me faire châtrer (31) sans délai.

MÉGADORE.

Je m'aperçois, Euclion, que, sans égard pour mon âge, tu me prends pour un homme dont on peut s'amuser (32). Tu as tort.

EUCLION.

Point du tout, Mégadore. Et quand je le voudrais, cela m'irait bien !

MÉGADORE.

Enfin m'accordes-tu ta fille ?

EUCLION.

Aux conditions et avec la dot que j'ai dit ?

MÉGADORE.

Oui. Me l'accordes-tu ?

EUCLION.

Je te l'accorde.

MÉGADORE.

Que les dieux nous donnent bon succès !

EUCLION.

Ainsi le veuillent-ils ! Mais souviens-toi de nos conventions : ma fille n'apporte point de dot.

MÉGADORE.

C'est dit.

EUCLION.

C'est que je connais les chicanes que vous avez coutume de faire, vous autres. Conventions faites sont nulles, et ce qui n'était pas convenu est convenu, selon qu'il vous plaît.

MÉGADORE.

Il n'y aura point de difficultés entre nous. Mais qu'est-ce qui empêche (33) de faire la noce aujourd'hui même ?

EUCLION.

Rien, ma foi !

MÉGADORE.

Je vais ordonner les apprêts. Tu n'as rien à me dire ?

EUCLION.

Hâte-toi seulement.

MÉGADORE.

Tu seras obéi. Adieu. Holà ! Strobile, suis-moi promptement au marché.

(II sort.)

EUCLION, seul.

Il est parti. Dieux immortels ! voyez le pouvoir de l'or ! Oh ! je le pense bien, il a ouï dire que j'avais un trésor ; il le convoite : c'est là le motif de son opiniâtreté à rechercher mon alliance.

Acte II, Scène III.

EUCLION, STAPHYLA.

EUCLION.

Où es-tu, bavarde, qui vas dire à tous les voisins, que je dois doter ma fille ? Hé ! Staphyla ; viendras-tu est-ce que tu ne m'entends pas ? (Staphyla vient.) Dépêche-toi de nettoyer le peu que j'ai de vaisselle sacrée (34). J'ai fiancé ma fille, et elle sera mariée aujourd'hui.

STAPHYLA.

Les dieux bénissent ton dessein ! Mais, ma foi, cela ne se peut pas ; on n'a pas le temps de se retourner.

EUCLION.

Pas de raisons : va-t-en ; et que tout soit prêt, quand je reviendrai du Forum. Ferme bien la porte. Je serai ici tout à l'heure. (II sort.)

STAPHYLA, seule.

Que faire ? encore un moment, et nous sommes perdues, ma jeune maîtresse et moi. Son terme approche ; son déshonneur va se découvrir. Ce malheureux secret ne peut plus désormais se cacher. Rentrons, pour que les ordres du maître soient exécutés quand il reviendra. Par Castor ! je crains d'avoir aujourd'hui une coupe (35) bien amère à avaler.

(Elle sort.)

Acte II, Scène IV.

STROBILE, CONGRION, ANTHRAX.

STROBILE.

Mon maître vient d'acheter des provisions, et de louer des cuisiniers (36) et des joueuses de flûte (37) sur la place, et il m'a chargé de partager en deux toutes ses emplettes.

CONGRION.

Je te le déclare, tu ne me fendras pas par le milieu ; entends-tu ? Si tu veux m'envoyer quelque part tout entier, je suis à ton service.

ANTHRAX.

Voyez, qu'il est timoré, ce beau mignon de place ! Si l'on voulait de toi, tu ne te laisserais pas fendre ? n'est-ce pas ?

CONGRION.

Ce n'est pas cela, Anthrax ; je ne disais pas ce que tu me fais dire.

STROBILE.

Mais songeons aux noces de mon maître. C'est pour aujourd'hui.

CONGRION.

Quelle est la fille qu'il épouse ?

STROBILE.

Celle du voisin Euclion. Il m'ordonne de donner au beau-père la moitié des provisions, avec un cuisinier et une joueuse de flûte.

CONGRION.

Ainsi moitié là (Montrant la maison d'Euclion), et moitié chez vous.

STROBILE.

Comme tu dis.

CONGRION.

Est-ce que le vieillard ne pouvait pas faire les frais d'un festin, pour la noce de sa fille ?

STROBILE.

Bah !

CONGRION.

Qu'est-ce qui l'en empêche ?

STROBILE.

Ce qui l'en empêche ? tu le demandes ? On tirerait plutôt de l'huile d'un mur.

CONGRION.

Oui-dà ? Vraiment ?

STROBILE.

Juge-s-en toi-même. Il crie au secours, il invoque les dieux et les hommes, et dit que son bien est perdu, qu'il est un homme ruiné, s'il voit la fumée sortir du toit de sa masure. Quand il va se coucher, il s'attache une bourse devant la bouche.

CONGRION.

Pourquoi ?

STROBILE.

Pour ne pas perdre de son souffle en dormant.

CONGRION.

S'en met-il une aussi à la bouche de derrière, pour conserver son souffle pendant le sommeil ?

STROBILE.

Tu dois m'en croire, comme il est juste que je te croie.

CONGRION.

Ah ! je te crois, vraiment.

STROBILE.

Encore un autre tour (38). Quand il se baigne, il pleure l'eau qu'il répand.

CONGRION.

Crois-tu que, si nous lui demandions un talent pour acheter notre liberté, il nous le donnerait ?

STROBILE.

Quand tu lui demanderais la famine, il ne te la prêterait pas. L'autre jour, le barbier lui avait coupé les ongles ; il en ramassa les rognures, et les recueillit toutes.

CONGRION.

Voilà, certainement, un ladre des plus ladres. Comment ! il est si mesquin et si avare ?

STROBILE.

Un milan lui enleva un morceau de viande : notre Homme court tout éploré au préteur ; il remplit tout de ses cris, de ses lamentations, et demande qu'on lance contre le milan un ordre de comparaître. J'aurais mille traits de la sorte à raconter, si nous avions le temps. Mais lequel de vous deux est le plus expéditif ? Dis.

CONGRION.

Moi, comme le plus habile sans comparaison.

STROBILE.

Je parle d'un cuisinier, et non pas d'un voleur.

CONGRION.

C’est bien ce que j'entends.

STROBILE, à Anthrax.

Et toi ? Parle.

ANTHRAX, dans l'attitude d'un homme résolu.

Tu vois qui je suis.

CONGRION.

C'est un cuisinier nondinaire (39) ; il n'a d'emploi qu'une fois en neuf jours.

ANTHRAX.

C'est bien à toi de me mépriser, l'ami, dont le nom s'écrit en six lettres. Voleur !

CONGRION.

Voleur toi-même, triple pendard.

STROBILE.

Silence. Voyons ; le plus gras des deux agneaux...

CONGRION.

Oui !

STROBILE.

Prends-le, Congrion, et va dans cette maison (Celle d'Euclion). Vous (à une partie des gens qui portent les provisions), suivez-le. Vous autres, venez chez nous.

ANTHRAX.

Ah ! le partage n'est pas juste. Tu leur donnes l'agneau le plus gras.

STROBILE.

Eh bien ! tu auras la plus grasse des deux joueuses de flûte. Phrygia, tu iras avec lui (Montrant Congrion) ; et toi, Éleusie, viens à la maison.

CONGRION.

Perfide Strobile ! tu me relègues chez ce vieil avare. Quand j'aurai besoin de quelque chose, il faudra m'égosiller avant qu'on me le donne.

STROBILE.

C'est bêtise et bien perdu que d'obliger un ingrat.

CONGRION.

Comment ?

STROBILE.

Tu le demandes ? D'abord, là, tu n'auras pas de bruit. Et si tu veux quelque ustensile, apporte-le avec toi, pour ne pas te fatiguer inutilement à le demander. A la maison, beaucoup de monde, beaucoup de fracas, un grand mobilier, de l'or, des tapis, de l'argenterie. S'il vient à manquer quelque chose (et je sais que tu es incapable de toucher à ce qui ne se trouve pas à ta portée, on dira : Ce sont les cuisiniers qui l'ont pris. Qu'on les saisisse ; qu'ils soient liés et fustigés, et qu'on les enferme clans le souterrain. -- Mais là, tu n'as rien de semblable à craindre ; car il n'y a rien à dérober. Allons, suis-moi.

CONGRION.

J'y vais.

ACTE II, Scène V.

STROBILE, STAPHYLA, CONGRION.

STROBILE.

Holà ! Staphyla, viens nous ouvrir la ponte.

STAPHYLA.

Qui m'appelle ?

STROBILE.

C'est Strobile.

STAPHYLA.

Que veux-tu ?

STROBILE.

Voici des cuisiniers, une joueuse de flûte, et des provisions pour la noce. C'est Mégadore qui les envoie à Euclion.

STAPHYLA.

Est-ce que ce sont les noces de Cérès, que vous allez faire, Strobile ?

STROBILE.

Pourquoi ?

STAPHYLA.

Je ne vois pas de vin (40).

STROBILE.

On vous en apportera, quand le maître (41) sera de retour.

STAPHYLA.

Nous n'avons pas de bois.

CONGRION.

Mais vous avez des boiseries.

STAPHYLA.

Oui, certainement.

CONGRION.

Vous avez donc du bois ? il n'y a pas besoin d'en emprunter.

STAPHYLA.

Oui-dà, coquin, dont Vulcain, ton patron, ne peut purifier l'âme, prétends-tu pour ce souper ou pour le prix de tes soins qu'on brûle la maison ?

CONGRION.

Point du tout.

STROBILE, à Staphyla.

Fais-les entrer.

STAPHYLA.

Suivez-moi.

(Ils entrent chez Euclion.)

Acte II, Scène VI.

PYTHODICUS, seul, sortant de chez Mégadore.

Travaillez, tandis que je surveillerai les cuisiniers. Certes, j'ai fort affaire de les contenir. II n'y aurait qu'un moyen : ce serait qu'ils fissent la cuisine dans le souterrain (42) ; nous monterions ensuite le souper dans des paniers. Mais s'ils mangeaient là-bas ce qu'ils apprêtent ? on ferait jeûne dans les hautes régions et bombance dans les demeures sombres. Je m'amuse à babiller, comme si je n'avais pas d'occupation, et nous avons chez nous l'armée des Rapacides.

(Il sort.)

Acte III, Scène VII.

EUCLION, CONGRION.

EUCLION, seul.

J'ai voulu faire un effort, et me régaler pour la noce de ma fille. Je vais au marché ; je demande. Combien le poisson ? trop cher. L'agneau ? trop cher. Le boeuf ? trop cher. Veau, marée, charcuterie, tout est hors de prix. Impossible d'en approcher ; d'autant plus que je n'avais pas d'argent. La colère me prend, et je m'en vais, n'ayant pas le moyen d'acheter. Ils ont été ainsi bien attrapés, tous ces coquins-là. Et puis, dans le chemin, j'ai fait réflexion : quand on est prodigue les jours de fête, on manque du nécessaire les autres jours ; voilà ce que c'est que de ne pas épargner. C'est ainsi que la prudence a parlé à mon esprit et à mon estomac ; j'ai fait entendre raison à la sensualité, et nous ferons la noce le plus économiquement possible. J'ai acheté ce peu d'encens et ces couronnes de fleurs ; nous les offrirons au dieu Lare, dans notre foyer, pour qu'il rende le mariage fortuné. Mais que vois-je ? ma porte est ouverte ! Quel vacarme dans la maison ! Malheureux ! est-ce qu'on me vole ?

CONGRION, de l'intérieur de la maison.

Va demander tout de suite, chez le voisin, une plus grande marmite. Celle-ci est trop petite pour ce que je veux faire.

EUCLION.

Hélas ! on m'assassine. On me ravit mon or, on cherche la marmite. Je suis mort, si je ne cours en toute hâte. Apollon, je t'en conjure, viens à mon secours. Perce de tes traits ces voleurs de trésors : tu m'as déjà défendu en semblable péril. Mais je tarde trop. Courons, avant qu'on m'ait égorgé.

(Il entre chez lui.)

Acte II , Scène VIII.

ANTHRAX, sortant de la maison de Mégadore.

Dromon, écaille les poissons; toi, Machérion, désosse-moi au plus vite (44) le congre et la murène (43): je vais emprunter à Congrion, ici à côté, un moule à cuire le pain (45). Toi, si tu n'es pas un sot (46), tu me plumeras ce poulet plus net qu'un danseur épilé (47). Mais quelle est cette clameur, qui se fait entendre chez le voisin ? Sans doute les cuisiniers auront fait un plat de leur métier. Enfuyons-nous dans la maison. Je crains qu'il ne nous arrive aussi pareille scène.

(Il rentre.)

Acte III, Scène I.

CONGRI0N, sortant de chez Euclion.

Chers citoyens, habitants de cette ville et des environs, tous tant que vous êtes, domiciliés ou voyageurs, place ! Que je fuie ! Laissez-moi tous les passages libres. Non, jamais, je ne vins faire la cuisine chez des enragés comme cet enragé-là (48). Mes aides et moi nous sommes tout moulus de coups de bâton. Mon corps n'est que douleur. Je suis mort. Maudit vieillard, qui fait ainsi de moi son gymnase ! Jamais on ne fournit le bois plus libéralement (49). Aussi ne nous a-t-il chassés de la maison, qu'en nous en chargeant tous de la belle manière. Ah ! ciel, je suis perdu ! Malheureux ! II ouvre, le voilà, il nous poursuit. Je sais ce que j'ai à faire ; il me l'a enseigné lui-même.

Acte III, Scène I.

CONGRI0N, sortant de chez Euclion.

Chers citoyens, habitants de cette ville et des environs, tous tant que vous êtes, domiciliés ou voyageurs, place ! Que je fuie ! Laissez-moi tous les passages libres. Non, jamais, je ne vins faire la cuisine chez des enragés comme cet enragé-là. Mes aides et moi nous sommes tout moulus de coups de bâton. Mon corps n'est que douleur. Je suis mort. Maudit vieillard, qui fait ainsi de moi son gymnase ! Jamais on ne fournit le bois plus libéralement. Aussi ne nous a-t-il chassés de la maison, qu'en nous en chargeant tous de la belle manière. Ah ! ciel, je suis perdu ! Malheureux ! II ouvre, le voilà, il nous poursuit. Je sais ce que j'ai à faire ; il me l'a enseigné lui-même.

Acte III, Scène II.

EUCLION, CONGRION.

EUCLION.

Viens ici. Où t'enfuis-tu ? Arrêtez, arrêtez !

CONGRION.

Qu'est-ce que tu as à crier, butor ?

EUCLION.

Je vais te dénoncer aux triumvirs (50).

CONGRION.

Pourquoi ?

EUCLION.

Parce que tu es armé d'un couteau (51).

CONGRION.

C'est l'arme d'un cuisinier.

EUCLION.

Pourquoi m'en as-tu menacé ?

CONGRION.

Je n'ai eu qu'un tort ; c'est de ne t'avoir pas crevé le ventre.

EUCLION.

Il n'y a pas de plus grand scélérat que toi sur la terre, personne à qui je fisse du mal de plus grand coeur et avec plus de joie.

CONGRION.

Par Pollux ! tu n'as pas besoin de le dire ; tes actions le prouvent. J'ai mon pauvre corps plus rompu par tes coups, que n'est un baladin mignon. Mais de quel droit nous frappes-tu, vilain mendiant ? qu'est-ce que tu as ?

EUCLION.

Interroge-moi. Apparemment je ne t'en ai pas donné assez. Laisse un peu. (Il fait mine de le frapper.)

CONGRION.

Par Hercule ! ce sera malheur à toi, ou cette tête aura perdu le sentiment (52).

EUCLION.

Je ne sais pas pour l'avenir ; quant à présent, elle ne l'a pas perdu. Mais qu'est-ce que tu avais à faire chez moi, en mois absence, sans mon ordre ? Je veux le savoir.

CONGRION.

Cesse donc de parler. Nous sommes venus à cause de la noce faire la cuisine.

EUCLION.

Eh ! par la mort ! que t'importe qu'on mange cuit ou cru chez moi ? Es-tu mon tuteur ?

CONGRION.

Veux-tu nous laisser faire le souper ici ? Oui ou non ? dis-le.

EUCLION.

Veux-tu me dire si ma maison sera en sûreté ? dis-le.

CONGRION.

Que je sois aussi sûr de ne rien perdre de ce que j'ai apporté, je serai content. Est-ce que je veux te prendre quelque chose ?

EUCLION, ironiquement.

Oui, on vous connaît. Tu ne nous apprends rien.

CONGRION.

Quelle raison as-tu de nous empêcher de faire ici le souper ? Qu'avons-nous fait, qu'avons-nous dit pour te fâcher ?

EUCLION.

Tu le demandes, scélérat, quand vous vous introduisez dans tous les coins les plus secrets de ma maison ! Si tu avais été occupé de ton ouvrage auprès du foyer, tu n'aurais pas la tête fêlée. Tu n'as que ce que tu mérites. Tiens-toi pour averti que, si tu approches de cette porte sans ma permission, tu deviendras, de mon fait, le plus malheureux des mortels. Tu m'as bien entendu ? Où t'en vas-tu ? Reviens. (Il rentre chez lui.)

CONGRION, seul.

Par ma protectrice (53), Laverne (54)  si tu ne me rends mes ustensiles, je ferai scandale à ta porte (55). Que faire à présent ? O dieux ! que je suis venu ici sous de mauvais auspices ! On me paie un didrachme ; j'en dépenserai davantage pour le médecin (56).

Acte III, Scène III.

EUCLION, CONGRION.

EUCLION, tenant sa marmite.

Désormais, partout où j'irai, cela ne me quittera plus ; je le porterai toujours avec moi. Je ne veux plus l'exposer à de si grands périls. (A Congrion et aux autres) Entrez maintenant tous, si vous voulez, cuisiniers, joueuses de flûte. Amène, si bon te semble, une troupe d'esclaves (57). Faites, remuez, cuisinez, tant qu'il vous plaira.

CONGRION.

Il est temps, à présent que j'ai la tête pleine de trous par les coups de bâton !

EUCLION.

Allons, rentre. On te paie pour travailler, et non pas pour discourir.

CONGRION.

Toi, vieillard, tu me paieras pour m'avoir battu. On m'a loué pour faire la cuisine, et non pour qu'on me batte.

EUCLION.

Porte ta plainte aux juges, et cesse de m'ennuyer. Allons, qu'on apprête le souper ; ou va-t'en te faire pendre !

CONGRION.

Vas-y toi-même.

(Les cuisiniers sortent.)

Acte III, Scène IV.

EUCLION, seul.

Il est parti. Dieux immortels ! quelle témérité a un pauvre, de se mettre en relation d'amitié ou d'intérêt avec un riche ! Voyez comme Mégadore emploie tous les moyens pour me surprendre, malheureux que je suis ! Sous prétexte de m'envoyer obligeamment des cuisiniers, il m'envoie des voleurs pour me ravir ce cher trésor (58). Et le coq de la vieille, leur digne complice, n'a-t-il pas failli me perdre ? Il s'est mis à gratter autour de l'endroit où la marmite était cachée, et de ci, et de là. Soudain la colère me transporte ; je saisis un bâton, et je tue le voleur pris en flagrant délit. Par Pollux ! je crois que les cuisiniers lui avaient graissé la patte pour me trahir. Mais je leur ai retiré l'arme de la main. Bref, la guerre a fini par la mort du Gaulois (59) emplumé. - Voici Mégadore, mon gendre, qui revient du Forum. Je ne peux plus me dispenser à présent de m'arrêter, quand je le rencontre, et de causer avec lui.

Acte III, Scène V.

MÉGADORE, EUCLION.

MÉGADORE, sans apercevoir Euclion.

J'ai fait part à plusieurs amis de mon projet de mariage. Ils disent tous du bien de la fille d'Euclion ; ils m'approuvent fort : C'est, disent-ils, une idée très sage. En effet, si tous les riches en usaient comme moi, et prenaient sans dot les filles des citoyens pauvres, il y aurait dans l'état plus d'accord (60), nous exciterions moins de haine, et les femmes seraient plus contenues par la crainte du châtiment, et nous mettraient moins en dépense. Il en résulterait un grand bien pour la majeure partie du peuple. II n'y aurait qu'un petit nombre d'opposants : ce seraient les avares, dont l'insatiable cupidité brave toutes les puissances, et ne connaît ni loi ni mesure. Je les entends déjà : A qui mariera-t-on les filles dotées, si l'on établit un tel usage en faveur des pauvres ? Qu'elles épousent qui elles voudront, pourvu qu'elles n'apportent point de dot avec elles. S'il en était ainsi, elles s'efforceraient de remplacer la dot par de bonnes qualités ; elles vaudraient mieux. On verrait les mulets, qui coûtent plus cher aujourd'hui que les chevaux, tomber à plus bas prix que les bidets gaulois.

EUCLION, à part.

Par tous les dieux ! c'est plaisir de l'entendre. Voilà ce qui s'appelle parler. Qu'il entend bien l'économie !

MÉGADORE.

Une femme ne viendrait pas vous dire : Ma dot a plus que doublé tes biens ; il faut que tu me donnes de la pourpre et des bijoux, des femmes, des mulets, des cochers, des laquais pour me suivre ; des valets pour mes commissions, des chars pour mes courses.

EUCLION, à part.

Comme il connaît bien les habitudes de nos fières matrones ! Si l'on m'en croyait, on le nommerait préfet des moeurs (61) pour les femmes.

MÉGADORE.

A présent il n'y a pas de maison de ville où l'on ne trouve plus de chariots (62), qu'il n'y en a dans celles des champs. Mais ce train est fort modeste encore, en comparaison des autres dépenses. Vous avez le foulon (63), le brodeur, le bijoutier, le lainier, toutes sortes de marchands, le fabricant de bordures pailletées, le faiseur de tuniques intérieures, les teinturiers en couleur de feu, en violet, en jaune de cire, les tailleurs de robes à manches, les parfumeurs de chaussures, les revendeurs, les lingers, les cordonniers de toute espèce pour les souliers de ville, pour les souliers de table, pour les souliers fleur de mauve. (64) Il faut donner aux dégraisseurs, il faut donner aux raccommodeurs, il faut donner aux faiseurs de gorgerettes, aux couturiers. Vous croyez en être quitte ; d'autres leur succèdent (65). Nouvelle légion de demandeurs assiégeant votre porte ; ce sont des tisserands, des brodeurs de robes, des tabletiers. Vous les payez. Pour le coup vous êtes délivrés. Viennent les teinturiers en safran, ou quelque autre engeance maudite, qui ne cesse de demander.

EUCLION, à part.

J'irais l'embrasser, si je ne craignais d'interrompre cette excellente censure des femmes. Il vaut mieux l'écouter.

MÉGADORE.

Quand on a satisfait tous ces fournisseurs de colifichets, arrive le terme de la contribution pour la guerre. Il faut payer. On va chez son banquier, on compte avec lui. Le soldat se morfond à vous attendre, dans l'espoir de toucher son argent (66). Mais, tout compte fait, il se trouve que vous êtes débiteur de votre banquier. On renvoie le soldat à un autre jour, avec des promesses. Et je ne dis pas encore tous les ennuis, toutes les folles dépenses qui accompagnent les grandes dots. Une femme qui n'apporte rien, est soumise à son mari ; mais une épouse richement dotée, c'est un fléau, une désolation. Eh ! voici le beau-père à sa porte. Bonjour, Euclion.

Acte III, Scène VI.

EUCLION, MÉGADORE.

EUCLION.

Je me délectais à savourer ta morale.

MÉGADORE.

Oui-dà ! tu m'écoutais ?

EUCLION.

Je n'ai pas perdu une parole.

MÉGADORE.

Mais il me semble que tu ferais bien d'être un peu mieux vêtu pour la noce de ta fille.

EUCLION.

Chacun se pare selon sa fortune, et fait figure selon ses moyens. Ceux qui ont de quoi doivent soutenir leur rang. Mais chez moi, Mégadore, et chez tous les pauvres comme moi, il n'y a pas plus d'aisance qu'on ne croit.

MÉGADORE.

Ne te fais pas si pauvre ; et veuillent les dieux augmenter de plus en plus le bien que tu possèdes

EUCLION, à part.

Lie bien que tu possèdes ! ce mot ne me plaît pas. II sait ce que j'ai, comme moi-même. La vieille m'a trahi.

MÉGADORE, à Euclion, qui s'est détourné.

Pourquoi donc te séparer de notre sénat  (67) ?

EUCLION.

Je m'apprêtais à te faire des reproches. Tu en mérites.

MÉGADORE.

Et pourquoi

EUCLION.

Tu demandes pourquoi, lorsque tu remplis de voleurs tous les coins de ma pauvre maison ? lorsque tu amènes chez moi une armée de cuisiniers, race de Géryon, pourvus chacun de trois paires de mains. Argus qui était tout yeux, et à qui Junon commit la garde d'Io, Argus lui-même ne suffirait pas à les surveiller. Et pour renfort, une joueuse de flûte, capable à elle seule d'épuiser la fontaine corinthienne de Pirène, s'il en coulait du vin. Pour les vivres ....

MÉGADORE.

Il y a de quoi nourrir une légion. D'abord j'ai envoyé un agneau.

EUCLION.

Par ma foi ! je ne connais pas de plus grand surveillant (68) que cet agneau-là.

MÉGADORE.

Explique-moi ce que tu entends par un agneau surveillant.

EUCLION.

Il n'a que la peau et les os ; tant les veilles l'ont maigri. On peut examiner ses entrailles au soleil sans l'égorger. Son corps est transparent, comme une lanterne de Carthage.

MÉGADORE.

J'ai payé pour qu'on le tue.

EUCLION.

Tu devrais plutôt payer son enterrement ; car je crois qu'il est déjà mort.

MÉGADORE.

Nous boirons ensemble aujourd'hui, j'espère.

EUCLION.

Non, non, je ne veux pas boire.

MÉGADORE.

Je te ferai porter de chez moi un tonneau de vin vieux.

EUCLION.

Non, point du tout ; car je suis résolu à ne boire que de l'eau.

MÉGADORE.

Oh ! nous t'humecterons comme il faut, mais de bon vin, malgré ta résolution de boire de l'eau.

EUCLION, à part.

Je devine son dessein. Il s'y prend ainsi pour me faire tomber ivre-mort. Et puis, mon or changerait de résidence. J'y mettrai bon ordre. Je le cacherai en quelque lieu hors de chez moi. Notre homme perdra sa peine et sort vite.

MÉGADORE.

Si je ne te suis bon à rien, je vais aller au bain, polir me préparer au sacrifice. (Il sort.)

EUCLION, seul.

Eh ! ma pauvre Marmite, par Pollux ! que d'ennemis conjurés contre toi et contre cet or, dont tu es dépositaire ! Le mieux aujourd'hui pour moi est de l'emporter, dans le temple de la Bonne-Foi, et de l'y bien cacher. O Bonne-Foi ! nous nous connaissons réciproquement; ne va pas perdre ton nom avec moi, si je te remets ce dépôt. Songe, ô Bourre-Foi! que j'agis de confiance, que je me livre à toi.

(II entre dans l'enceinte du temple.)

Acte IV, Scène I.

STROBILE, seul. (69)

Ma conduite est celle d'un esclave bien avisé. Point de paresse, point de mauvaise volonté pour obéir art maître : l'esclave qui veut qu'on soit content de soir service, doit être empressé pour sort maître, négligent pour lui-même. A-t-il envie de dormir ; que le sommeil ne lui fasse pas oublier ce qu'il est. Quand on sert, comme moi, un jeune amoureux, si on le voit trop dominé par la passion, il faut le retenir et l'empêcheur de se perdre, au lieu de le pousser au penchant où il est enclin. De même qu'on met aux enfants qui apprennent à nager, une nacelle d'osier pour les soulager dans cet exercice et leur faciliter le mouvement des bras ; ainsi l'esclave d'un jeune homme amoureux doit être la nacelle qui le soutient et l'empêche de se noyer. Qu'il sache deviner les volontés de son maître, entendre de l'oeil l'expression de sa figure, exécuter un ordre plus vite que la course des chars. Quiconque pratiquera ces maximes, ne subira point la censure des étrivières et ne polira point avec ses jambes le fer des entraves. Mon maître aime la fille du pauvre Euclion. Il vient d'apprendre qu'on la marie à Mégadore, et il m'envoie ici en observation pour que je l'instruise de ce qui se passe. Je vais m'asseoir sur cet autel, on ne se doutera pas que j'y sois, et je pourrai voir de tous côtés ce qu'on fera.

Acte IV, Scène II.

EUCLION, STROBILE.

EUCLION, sortant du temple.

Ah ! Çà, garde-toi de révéler à personne le dépôt que j'ai fait de mon or dans ton temple, ô Bonne-Foi ! Je ne crains pas qu'on le trouve ; il est trop bien caché. Par Pollux ! il emporterait une belle proie, celui qui trouverait cette marmite remplie d'or. Ah ! je t'en conjure ! ne le permets pas, ô Bonne-Foi ! Maintenant, je vais me baigner pour le sacrifice. Il ne faut pas nous faire attendre. Lorsque mon gendre enverra chercher ma fille, elle devra être prête à partir. Prends-y bien garde, ô Bonne-Foi ! je ne saurais trop te le recommander ; que je puisse te reprendre ma marmite sans encombre. Je confie mon or à ta garde ; il est placé dans ton bois sacré, dans ton temple.

(Il sort.)

STROBILE, seul.

Dieux immortels ! qu'est-ce que j'entends ? il vient de cacher une marmite remplie d'or clans ce temple. O Bonne-Foi ! ne sois pas fidèle, je t'en prie, plutôt à lui qu'à moi. Cet homme est, je pense, le père de l'amante de mon maître. Entrons dans le temple, cherchons de tous côtés, tâchons de dénicher son or, tandis qu'il est occupé ailleurs. O Bonne-Foi ! si je le découvre, je t'offrirai une cruche de vin d'un conge entier : oui, je n'y manquerai pas ; mais je boirai ensuite l'offrande.

(Il entre dans le temple.)

Acte IV; Scène III.

EUCLION, revenant sur ses pas.

Ce n'est pas par hasard que le corbeau (70) a chanté à ma gauche, et puis il rasait la terre de ses pieds en croassant. Mon coeur aussitôt a fait le métier de danseur et a bondi dans mon sein. Pourquoi tarder ? courons.

Acte IV, Scène IV

EUCLION, STROBILE.

EUCLION.

Hors d'ici, animal rampant, qui viens de sortir de dessous terre. On ne te voyait pas tout-à-l'heure ; tu te montres, et l'on t'écrase. Par Pollux ! je vais t'arranger de la bonne manière, subtil coquin.

STROBILE.

Quel démon te tourmente ? qu'avons-nous à démêler ensemble, vieillard ? Pourquoi me pousser à me jeter par terre ? pourquoi me tirer de la sorte ? pourquoi me frapper ?

EUCLION.

Grenier à coups de fouet ! tu le demandes ? Voleur ; que dis-je ? triple voleur.

STROBILE.

Que t'ai-je pris ?

EUCLION.

Rends-le-moi, et vite.

STROBILE.

Que veux-tu que je te rende ?

EUCLION, ironiquement.

Tu ne le sais pas ?

STROBILE.

Je n'ai rien pris qui t'appartienne.

EUCLION.

Mais ce qui t'appartient maintenant par le vol, rends-le. Eh bien ?

STROBILE.

Eh bien ?

EUCLION.

Ton vol ne te réussira pas.

STROBILE.

Qu'est-ce que tu as donc ?

EUCLION.

Remets-le-moi.

STROBILE.

Ah ! vraiment, vieillard, tu es accoutumé à ce qu'on te le remette.

EUCLION.

Remets-moi cela, te dis-je. Pas de plaisanterie. Je ne badine pas, moi.

STROBILE.

Qu'exiges-tu que je te remette ? Nomme la chose par son nom. Je jure que je n'ai rien pris, rien touché.

EUCLION.

Voyons tes mains.

STROBILE, montrant une main.

Tiens.

EUCLION.

Montre donc

STROBILE.

Les voici.

EUCLION.

Je vois. Maintenant, la troisième (71).

STROBILE.

Ce vieillard est fou. Les fantômes et les vapeurs de l'enfer lui troublent le cerveau. Tu ne diras pas que tu ne me fais pas injure (72) ?

EUCLION.

Oui, très grande ; car tu devrais déjà être fustigé. Et cela t'arrivera certainement, si tu n'avoues.

STROBILE.

Que dois-je avouer ?

EUCLION.

Qu'est-ce que tu m'as dérobé ?

STROBILE.

Que le ciel me foudroie, si je t'ai pris quelque chose !

EUCLION, sur le même ton avec affectation.

Et si je n'ai pas voulu prendre. Allons ! secoue ton manteau.

STROBILE.

Tant que tu voudras.

EUCLION.

Ne l'aurais-tu pas sous ta tunique ?

STROBILE.

Tâte partout.

EUCLION.

Ah ! le scélérat ; comme il fait le bon, pour qu'on ne le soupçonne pas. Nous connaissons vos finesses. Or cà, montre-moi encore une fois ta main droite.

STROBILE.

Regarde.

EUCLION.

Et la gauche.

STROBILE.

Les voici toutes deux.

EUCLION.

Je ne veux pas chercher davantage. Rends-le-moi.

STROBILE.

Mais quoi ?

EUCLION.

Tous ces détours sont inutiles. Tu l'as certainement.

STROBILE.

Je l'ai ? moi ! Qu'est-ce que j'ai ?

EUCLION.

Je ne le dirai pas. Tu voudrais me le faire dire. Quoi que ce soit, rends-moi mon bien.

STROBILE.

Tu extravagues. N'as-tu pas fouillé à ton aise, sans rien trouver sur moi qui t'appartienne ?

EUCLION.

Demeure, demeure. Quel autre était ici avec toi ? Je suis perdu ! grands dieux ! il y a là dedans quelqu'un qui fait des siennes. (A part) Si je lâche celui-ci, il s'en ira. Après tout, je l'ai fouillé ; il n'a rien. Va-t'en, si tu veux. Et que Jupiter et tous les dieux t'exterminent !

STROBILE.

Beau remerciement.

EUCLION.

Je vais rentrer, et j'étranglerai ton complice. Fuis de ma présence. T'en iras-tu ?

STROBILE.

Je pars.

EUCLION.

Que je ne te revoie plus ; prends-y garde.

(II entre dans le temple.)

Acte IV, Scène VI.

EUCLION, STROBILE.

EUCLION.

Je croyais pouvoir me fier en toute sûreté à la Bonne-Foi. Elle a bien manqué m'en jouer d'une belle. Si le corbeau n'était venu à mon secours (73), malheureux ! je périssais. Je voudrais bien le revoir, ce corbeau mon sauveur, pour lui souhaiter toutes sortes de biens ; car lui donner à manger, non ; autant vaut perdre que donner. Il s'agit à présent de choisir, pour cacher ceci, un endroit bien désert. Il y a, hors des murs, le bois de Silvain, où personne ne passe, et tout plein d'une saussaie épaisse. Je prendrai là une place. Oui, j'aime mieux me confier à Silvain qu'à la Bonne-Foi. (Il sort.)

STROBILE, seul.

A merveille ! à merveille ! les dieux me protègent et veulent mon bonheur. Je cours en avant. Je grimpe sur un arbre, et j'observe en quel endroit le vieillard cache son or. Mon maître m'avait dit de l'attendre ici. Mais le parti en est pris ; je ferai fortune au péril de mes épaules.

(Il sort.)

Acte IV, Scène VII.

LYCONIDE, EUNOMIE, PHÉDRA.

LYCONIDE.

Je t'ai dit tout, ma mère ; tu connais aussi bien que moi ce qui concerne la fille d'Euclion. Maintenant, je t'en conjure, parle pour nous à mon oncle. Je t'en ai priée, je t'en supplie, ma mère.

EUNOMIE.

Tu sais que tes désirs sont les miens... J'espère que mon frère ne me refusera pas. La demande est juste d'ailleurs, s'il est vrai, comme tu dis, que tu aies fait violence à cette fille dans un moment d'ivresse.

LYCONIDE.

Voudrais-je t'en imposer (74), à toi, ma mère ?

PHÉDRA, derrière le théâtre.

Ah ! je meurs, ma nourrice. A moi ! quelle douleur d'entrailles ! Junon Lucine, secours-moi.

LYCONIDE.

Tiens, ma mère, les faits te convaincront mieux. Tu entends ses cris ; l'enfant va naître.

EUNOMIE.

Mon fils, entre avec moi chez mon frère. Il faut que j'obtienne de lui ce que tu me demandes. (Elle sort.)

LYCONIDE.

Va ; je te suis, ma mère. Où est donc Strobile ? il avait ordre de m'attendre ici. Cela m'étonne. Mais, en y réfléchissant, s'il est occupé pour moi, j'aurais tort de me fâcher. Entrons aux comices, où mon sort se décide.

Acte IV, Scène VIII.

STROBILE, seul.

Tous les gryphons (75), possesseurs des montagnes d'or, ne m'égalent pas en richesses. Et pour les rois du commun, je n'en parle pas : pauvres mendiants ! Je suis le roi Philippe. 0 l'heureux jour ! J'étais parti d'ici à propos pour devancer notre homme, et j'ai eu tout le temps de me poster sur un arbre. Ainsi perché, je remarquais la place où il enfouissait son or. Il s'en va, et je me glisse à bas de mon arbre, je déterre la marmite toute pleine d'or, je me retire, et je vois le vieillard rentrer chez lui sans qu'il me voie ; car j'avais soin de me tenir en dehors de la route. Oh ! oh ! le voici lui-même. Courons mettre ceci en sûreté à la maison.

(Il sort.)

Acte IV, Scène IX.

EUCLION, seul.

Je suis mort ! je suis égorgé ! je suis assassiné ! Où courir ? où ne pas courir ? Arrêtez ! arrêtez ! Qui ? lequel ? je ne sais ; je ne vois plus, je marche dans les ténèbres. Où vais-je ? où suis-je ? Qui suis-je ? je ne sais ; je n'ai plus ma tête. Ah ! je vous prie, je vous conjure, secourez-moi. Montrez-moi celui qui me l'a ravie... vous autres cachés sous vos robes blanchies (76), et assis comme des honnêtes gens... Parle, toi, je veux t'en croire ; ta figure annonce un homme de bien... Qu'est-ce ? pourquoi riez-vous ? On vous connaît tous. Certainement, il y a ici plus d'un voleur... Eh bien ! dis ; aucun d'eux ne l’a prise ? .... Tu me donnes le coup de la mort. Dis-moi donc, qui est-ce qui l'a ? Tu l'ignores ! Ah ! malheureux, malheureux ! C'est fait de moi ; plus de ressource, je suis dépouillé de tout ! Jour déplorable, jour funeste, qui m'apporte la misère et la faim ! Il n'y a pas de mortel sur la terre qui ait éprouvé un pareil désastre. Et qu'ai-je à faire de la vie, à présent que j'ai perdu un si beau trésor, que je gardais avec tant de soin ? Pour lui je me dérobais le nécessaire, je me refusais toute satisfaction, tout plaisir. Et il fait la joie d'un autre qui me ruine et qui me tue ! Non, je n'y survivrai pas.

Acte IV, Scène X.

LYCONIDE, sortant de chez Mégadore ; EUCLION.

LYCONIDE.

Qui est-ce qui gémit et se lamente devant notre maison ? C'est, je crois, Euclion lui-même. Je suis perdu ! il sait tout. Il a appris l'accouchement de sa fille. Quel embarras ! que faire ? me retirer, ou demeurer ? lui parler ou m'enfuir ? Vraiment, je ne sais que résoudre.

EUCLION.

Qui entends-je parler ici ?

LYCONIDE.

Un malheureux.

EUCLION.

Ah ! C'est moi qui le suis ; c'est moi qui suis misérable et désespéré, après un accident si funeste. 0 douleur !

LYCONIDE.

Console-toi.

EUCLION.

Eh ! le puis-je ? dis-moi.

LYCONIDE.

C'est moi qui suis coupable, et qui cause ton chagrin, je te le confesse.

EUCLION.

Qu'entends-je ?

LYCONIDE.

La vérité.

EUCLION.

Jeune homme, quel mal t'ai-je fait, pour en agir ainsi envers moi, et me perdre avec mes enfants ?

LYCONIDE.

Un dieu m'a séduit, et m'a entraîné vers elle.

EUCLION.

Comment ?

LYCONIDE.

J'ai de grands torts : ma faute est grave, je le sais ; et je viens te demander ton indulgence et mon pardon.

EUCLION.

Pourquoi as-tu osé toucher à ce qui ne t'appartenait pas ?

LYCONIDE.

Que veux-tu ? le mal est fait. Le passé n'est pas en notre puissance. Les dieux sans doute l'ont voulu ; car sans leur volonté, cela ne serait pas arrivé.

EUCLION.

Mais les dieux veulent aussi, je pense, que je te fasse mourir chez moi à la chaîne (77).

LYCONIDE.

Qu'est-ce que tu dis là ?

EUCLION.

N'était-elle pas à moi ? De quel droit y as-tu touché sans ma permission ?

LYCONIDE.

Accuse-s-en l'ivresse et l'amour (78).

EUCLION.

Effronté scélérat ! oses-tu bien me tenir ce langage ? Qu'on reçoive en droit de pareilles excuses, vous irez maintenant arracher aux femmes leurs joyaux en plein jour ; et puis, si vous êtes pris, vous direz, pour vous excuser, que vous étiez ivres et amoureux. Le vin et l'amour n'ont plus de prix, s'ils autorisent à tout faire avec impunité.

LYCONIDE.

Non ; je te prie de me pardonner mon égarement.

EUCLION.

Je ne me paie pas de ces excuses qu'on prodigue quand on a fait le mal. Tu savais qu'elle ne t'appartenait pas ; tu ne devais pas y toucher.

LYCONIDE.

Puisque j'ai eu ce tort, je veux le réparer ; elle doit être à moi.

EUCLION.

A toi ? mon sang ? malgré moi ?

LYCONIDE.

Non ; je veux obtenir ton consentement ; mais tu ne peux me le refuser. Toi-même, Euclion, tu seras forcé d'en convenir.

EUCLION.

Si tu ne me rends...

LYCONIDE.

Et quoi ?

EUCLION.

Mon bien que tu m'as ravi... Je vais, par Hercule ! te traîner devant le préteur et t'intenter un procès.

LYCONIDE.

Moi ? je t'ai pris ton bien ? Comment ? de quoi parles-tu ?

EUCLION, ironiquement.

Oui, que Jupiter te soit en aide, comme il est vrai que tu l'ignores !

LYCONIDE.

A moins que tu ne m'apprennes ce que tu réclames.

EUCLION.

Ma marmite pleine d'or, voilà ce que je réclame de toi, ce que tu m'as dérobé, comme tu l'avoues toi-même.

LYCONIDE.

Par Pollux ! je n'ai rien dit, ni fait de semblable.

EUCLION.

Tu le nies ?

LYCONIDE.

Assurément, je le nie très fort ; et je ne sais ce que c'est que cet or et cette marmite.

EUCLION.

Celle que tu as enlevée du bois sacré de Silvain ; rends-la. Allons, donne. Nous partagerons ensemble par moitié. Quoique tu m'aies volé, je ne t'inquiéterai pas. Allons, rends-la-moi.

LYCONIDE.

Est-ce que tu as perdu l'esprit, de me traiter de voleur ? Il s'agit d'une autre chose qui me regarde, Euclion, et dont je croyais que tu étais instruit. C'est une affaire importante, et je voudrais t'en entretenir tranquillement, si tu as le loisir de m'entendre.

EUCLION.

Dis-moi ; en vérité, tu ne m'as pas pris mon or ?

LYCONIDE.

En vérité.

EUCLION.

Et tu ne sais pas qui est-ce qui l'a pris ?

LYCONIDE.

Non, sur ma foi.

EUCLION.

Et si tu l'apprends, tu me le feras connaître ?

LYCONIDE.

Oui.

EUCLION.

Et quel que soit le voleur, tu ne partageras pas avec lui, et tu ne le recèleras pas ?

LYCONIDE.

Je te le promets.

EUCLION.

Et si tu manques à cette promesse ?

LYCONIDE.

Alors je me livre à toutes les vengeances de Jupiter.

EUCLION.

Il suffit. Maintenant, dis-moi tout ce que tu voudras.

LYCONIDE.

Si tu ne connais ni mon nom, ni ma famille, sache que Mégadore est mon oncle, qu'Antimaque fut mon père, que ma mère est Eunomie, et que je m'appelle Lyconide.

EUCLION.

Je connais ta famille. Maintenant, de quoi s'agit-il ? explique-toi.

LYC0NIDE.

Tu as une fille.

EUCLION.

Oui ; elle est à la maison.

LYCONIDE.

Tu l'as, je crois, promise en mariage à mon oncle.

EUCLION.

On t'a bien instruit.

LYCONIDE.

Il me charge de te dire qu'il renonce à elle,

EUCLION.

Il y renonce, quand les préparatifs sont faits, quand la noce est prête ! Que tous les dieux et toutes les déesses l'exterminent ! lui qui est cause que j'ai perdu un si grand trésor. O douleur ! ô misère !

LYCONIDE.

Console-toi, et tiens un meilleur langage (79). Maintenant, pour le plus grand bonheur de toi et de ta fille... dis donc : Ainsi le veuillent les dieux !

EUCLION.

Ainsi le veuillent les dieux !

LYCONIDE.

Ainsi veuillent-ils pour moi aussi ! Écoute, à présent. Euclion, il n'y a pas d'homme assez pervers pour ne pas se repentir du mal qu'il a fait, et pour ne pas vouloir le réparer. Je t'en prie, si, dans mon égarement, j'ai outragé ta fille et toi en même temps, veuille me pardonner, et me l'accorder pour femme, comme la loi l'ordonne. Je l'avoue, je lui ai fait violence, dans les veilles de Cérès, entraîné par le vin et par la fougue de l'âge.

EUCLION. 

Hélas ! hélas ! qu'entends-je ?

LYCONIDE.

Pourquoi ces gémissements, quand tu as 1e bonheur d'être grand-père aux noces mêmes de ta fille ? car elle vient d'accoucher à son terme naturel ; compte plutôt. Mon oncle renonce à elle en ma faveur. Entre, tu verras si je dis vrai.

EUCLION.

Je suis perdu, anéanti ! Tous les malheurs fondent sur moi l'un après l'autre. Entrons, et voyons s'il dit la vérité. (Il sort.)

LYCONIDE.

Je, te suis à l'instant. - Enfin, je suis près de toucher au port ; nous sommes sauvés. Mais Strobile, je ne devine pas où il peut être. Je l'attendrai un peu ; et j'irai rejoindre ensuite Euclion. Mais je veux lui donner le temps de prendre des informations auprès de la vieille, nourrice et gouvernante de sa fille. Elle sait ce qui s'est passé.

Acte V, Scène I.

STROBILE, LYCONIDE.

STROBILE.

Dieux immortels, quel est l'excès de vos bontés et de ma joie ! J'ai dans la marmite quatre livres d'or pesant. Y'a-t-il dans Athènes un mortel plus riche que moi ? plus favorisé des dieux ?

LYCONIDE.

Je ne me trompe pas, j'ai entendu quelqu'un parler.

STROBILE.

Eh ! ! n'aperçois-je pas mon maître ?

LYCONIDE.

Ne vois-je pas Strobile, mon esclave ?

STROBILE.

C'est lui-même.

LYCONIDE.

C'est bien lui.

STROBILE.

Approchons.

LYCONIDE.

Allons à lui. Il a vu sans doute, comme je le lui avais ordonné, la vieille nourrice de Phédra.

STROBILE, à part.

Pourquoi ne pas lui déclarer le butin qui m'est advenu ? Et puis, je lui demanderai qu'il m'affranchisse. Entrons en matière. (Haut) J'ai trouvé ....

LYCONIDE, avec empressement.

Qu'as-tu trouvé?

STROBILE.

Ce n'est pas ce qui fait crier aux enfans : Je l'ai trouvé! quand ils épluchent la fève (80).

LYCONIDE.

Voilà de tes gentillesses ordinaires.

STROBILE.

Un peu de patience, mon maître. Je vais te le dire. Ecoute.

LYCONIDE.

Parle donc.

STROBILE.

Je viens de trouver un trésor immense.

LYCONIDE.

Où ?

STROBILE.

Une marmite pleine d'or, quatre livres pesant.

LYCONIDE.

Qu'entends-je?

STROBILE.

Je l'ai dérobée au vieil Euclion, notre voisin.

LYCONIDE.

Où est cet or

STROBILE.

Dans un coffre à moi. Je désire maintenant que tu m'affranchisses.

LYCONIDE.

Moi, t'affranchir, ramas de tous les crimes?

STROBILE.

Fort bien, mon maître. Je devine ta pensée. Par ma foi, c'était une plaisanterie ; j'ai voulu t'éprouver. Tu t'apprêtais à me l'arracher. Ah! si je l'avais trouvée en effet, où en serais-je ?

LYCONIDE.

Je ne me paie, pas de tes sornettes. Allons, rends cet or.

STROBILE.

Que je le rende?

LYCONIDE.

Oui, te dis-je, rends-le, pour que je le remette à Euclion.

STROBILE.

Et quel or ?

LYCONIDE.

Celui qui est dans un coffre à toi. Ne l'as-tu pas déclaré ?

STROBILE.

C'est mon habitude, vraiment, de jaser à tort et à travers. Ma parole!

LYCONIDE.

Sais-tu bien ce qui t'attend ?

STROBILE.

Par Hercule! tue-moi, si tu veux. Tu n'obtiendras rien.

SUPPLÉMENT D'URCEUS CODRUS.

LYCONIDE.

« Bon gré mal gré, quand je t'aurai attaché par les pieds et les mains au gibet, tes grosses jambes bien écartées Mais je tarde trop à saisir ce traître à la gorge, et à forcer sa vilaine âme à rebrousser chemin. Le rends- tu ? oui, ou non ?
(Il lui serre le cou.)

STROBILE.

« Je vais le rendre.

LYCONIDE.

« Sur-le-champ ; point de délai.

STROBILE.

« Tu vas l'avoir; mais laisse-moi respirer. Aie! aie! Que veux-tu, mon maître, que je te donne?

LYCONIDE.

« Tu l'ignores, coquin ? Tu oses nier ce que tu m'as dit tout-à-l'heure; que tu as volé une marmite pleine d'or pesant quatre livres. Holà, fouetteurs !

STROBILE.

« Mon maître, deux mots !

LYCONIDE.

« Je n'écoute rien. Fouetteurs, à moi !

LES FOUETTEURS.

« Que veux-tu ?

LYCONIDE.

« Qu'on prépare des chaînes !

STROBILE.

« Écoute un peu. Tu pourras ensuite me faire enchaîner tant qu'il te plaira. 

LYCONIDE.

« Eh bien! soit ; mais pas de longs discours.

STROBILE.

« Si tu me fais torturer jusqu'à la mort, qu'y gagneras-tu ? d'abord tu perdras un esclave ; de plus, tu n'obtiendras pas ce que tu désires. Mais si tu m'offrais en récompense la chère liberté, tu ferais de moi tout ce que tu voudrais, tu serais déjà satisfait. La nature nous a créés tous libres ; naturellement nous aimons tous la liberté. Le pire, le plus affreux des maux, c'est la servitude. Et le mortel haï de Jupiter commence par être esclave.

LYCONIDE.

« Il ne raisonne pas mal.

STROBILE.

« Écoute le reste. Dans notre siècle, les maîtres sont trop avares; de vrais Harpagons, des Harpyies, des Tantales ! Pauvres au sein de l'opulence, mourant de soif au milieu de la mer, il n'y a pas de richesses assez grandes pour eux, ni celles de Crésus, ni celles de Midas. Les trésors de la Perse ne pourraient pas combler le gouffre sans fond de leur cupidité. Les maîtres se comportent mal envers leurs esclaves; les esclaves le leur rendent bien. Ainsi, des deux parts, on est mécontent les uns des autres. L'office, le cellier, les armoires, sont fermés à triple serrure par de vieux ladres. Ce qu'ils accordent à peine à leurs enfans, des esclaves, adroits et rusés voleurs , le leur dérobent, et se jouent de leurs milliers de clés. Ils pillent, ils avalent, ils dévorent. Et jamais les gibets ne leur sauraient arracher l'aveu de leurs nombreux larcins. C'est ainsi que les drôles se dédommagent de leur servitude en riant et s'amusant. Je conclus donc que la libéralité fait les bons esclaves.

LYCONIDE. 

« Tu as raison ; mais tu n'épargnes pas les paroles, comme tu me l'avais promis. Si je te rends libre, me donneras-tu ce que je veux ?

STROBILE.

« Oui; mais je veux des témoins. Pardonne, mon maître : je n'ai pas pleine confiance en toi.

LYCONIDE.

« Cent témoins, si tu veux. J'y consens.

STROBILE, appelant.

« Mégadore! Eumonie ! venez, s'il vous plaît. Vous rentrerez après le traité conclu.

MÉGADORE.

« Qui nous appelle ? Me. voici, Lyconide.

EUNOMIE.

« Me voici, Strobile. Qu'est-ce? parlez.

LYCONIDE.

« L'affaire n'est pas longue.

MÉGADORE.

« Quelle est-elle ?

STROBILE.

« Je vous appelle pour me servir de témoins. Si j'apporte ici une marmite remplie d'or, de quatre livres pesant, et si je la remets à Lyconide, il m'affranchit, et je deviens mon maître. Le promets-tu ?

LYCONIDE.

« Je le promets.

STROBILE, à Mégadore et à Eunomie.

« Vous l'entendez ?

MÉGADORE.

« Oui.

STROBILE.

« Jure donc par Jupiter.

LYCONIDE.

« A quoi m'oblige ma pitié pour autrui ! - Tu es un insolent ! - Faisons cependant ce qu'il exige.

STROBILE.

« Vois-tu, la bonne-foi n'est pas ce qui abonde en notre siècle. On écrit des actes ; on appelle des douzaines de témoins; le notaire consigne la date, le lieu après cela, on trouve encore un habile qui nie tout avec sa rhétorique. 

LYCONIDE.

« Dépêche, je t'en prie.

STROBILE.

« Tiens ! voici un caillou.

LYCONIDE.

« Si je te trompe par mauvaise foi, que Jupiter, sans que la ville soit troublée par la guerre, m'enlève tous mes biens, comme je jette cette pierre. Es-tu content ?

STROBILE.

« Oui, et je vais apporter l'or.

LYCONIDE.

« Vole sur les ailes de Pégase, et dévore l'espace au retour.

LYCONIDE, STROBILE, MÉGADORE, EUCLION, EUNOMIE.

LYCONIDE.

« L'ennuyeux personnage, qu'un valet raisonneur, qui en veut savoir plus que son maître! Peste soit de l'affranchi Strobile ! mais qu'il m'apporte au moins la marmite pleine d'or. Je veux sécher les larmes de mon beau-père Euclion, et le rendre au bonheur, afin d'obtenir sa fille, qui vient d'accoucher d'un fils, dont je suis le père. Mais voici Strobile avec un fardeau. C'est, je crois, la marmite qu'il apporte. Oui, c'est cela même.

STROBILE.

« Lyconide, je t'apporte ma trouvaille, ainsi que je l'avais promis, la marmite pleine d'or, pesant quatre livres. Ai-je été longtemps ?

LYCONIDE.

« O dieux immortels! que vois-je ? quel trésor ! plus de trois et quatre fois six cents Philippes d'or. Appelons vite Euclion. Euclion ! Euclion !

MÉGADORE.

« Euclion ! Euclion !

EUCLION.

« Qu'y a-t-il ?

LYCONIDE.

« Descends. Les dieux te protègent : nous avons la marmite.

EUCLION.

« Est-il vrai ? n'est-ce point un jeu ?

LYCONIDE.

« Nous l'avons, te dis-je. Accours, vole.

EUCLION.

« O grand Jupiter ! ô dieux de mon foyer ! ô Junon et toi, Alcide, qui trouves les trésors ! enfin vous avez pris pitié d'un pauvre vieillard. O ma chère marmite ! que ton vieil ami a de joie à te presser contre son sein ! Qu'il te baise avec délice ! Non, je ne puis me rassasier de ces embrassemens. O mon espoir ! ô ma vie ! enfin mon deuil se dissipe.

LYCONIDE.

« J'ai toujours pensé que le manque d'argent était un grand malheur pour tout le monde, enfants, hommes, et vieillards. L'indigence réduit les enfants à la prostitution, les hommes au vol, les vieillards à la mendicité. Mais, à ce que je vois, c'est pis encore, d'avoir plus d'or qu'il n'en faut. Que de chagrin a causé tout-à-l'heure à Euclion la perte de son or !

EUCLION.

« A qui rendrai-je de dignes actions de grâces ? aux dieux, qui n'abandonnent pas les gens de bien ? ou à mes braves amis ? ou aux uns et aux autres à la fois ? Oui, à tous. Et toi d'abord, Lyconide, premier auteur d'un si grand bienfait, je te donne ce trésor ; n'hésite pas à le recevoir : je veux qu'il t'appartienne, ainsi que ma fille ; je le déclare en présence de Mégadore et de sa soeur, l'estimable Eunomie.

LYCONIDE.

« Compte sur ma juste reconnaissance, mon cher beau-père.

EUCLION.

« Tu me la témoigneras suffisamment, si tu veux recevoir de bonne grâce mon présent et moi en même temps.

LYCONIDE.

« Je reçois l'un et l'autre, et je veux que ma maison soit la tienne.

STROBILE.

« Tout n'est pas fini, mon maître. Souviens-toi de m'affranchir.

LYCONIDE.

« C'est juste. Sois libre, Strobile, tu l'as mérité. Va maintenant renouveler les apprêts interrompus du souper.

STROBILE, au public.

« Spectateurs, l'avare Euclion a changé son naturel. Le voilà devenu tout à coup généreux. Usez aussi de générosité ; et si la comédie vous a plu, applaudissez bien fort. »

(04) Noms DES PERSONNAGES : - EUCLION, eéklei®w, l'honorable, comme Déménète, l'homme digne des louanges du peuple (voyez tom. I, pag. 373). - STAPHYLA, staful®, grappe de raisin. Cette vieille, comme toutes les vieilles de la comédie ancienne, est loin de haïr le vin (voyez page 60, vers 10, 11, et la première scène de la Cistellaria, et la seconde du Curculio ). - EUNOMIA , la régularité, la sagesse même ; ce nom n'est pas une contre-vérité, non plus que celui du généreux MÉGADORE. - STROBILE vient de str¡fv, tourner, soit qu'on désigne l'activité, soit qu'on fasse allusion à un travers de taille ou de jambes. - CONGRION et ANTHRAX ont emprunté leurs noms, l'un à un poisson délicat, l'autre au charbon ardent. PYTHODICUS, espèce d'intendant, qui a des voleurs à surveiller, est bien appelé l'enquêteur de justice, puny‹nesyai, dik® (voyez page 63). LYCONIDE a montré envers la douce Phaedra un peu de la violence du loup, lækow.

(05) ab eo donatur auro. Cet argument, s'il n'est pas l'ouvrage de Priscien, fut composé du moins par quelque grammairien du Bas-Empire, lorsqu'on possédait beaucoup de collections manuscrites des oeuvres de Plaute. C'est d'après un de ces exemplaires non mutilés que l'auteur fit cet argument analytique, lequel ne permet pas de douter que Plaute n'ait violé cette règle dictée par la raison, bien avant qu'Horace l'eut formulée dans ses vers :
....... Servetur ad imum
Qualis ab incoepto processerit, et sibi constet.
« Et qu'il soit jusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord. »

Filio. Cette manière de parler, donatur ..... filio, caractérise bien les habitudes de la loi romaine. La fille non mariée était en la puissance de son père, in manu ; tout ce qui naissait d'elle était la propriété du père, comme les fruits que produit un domaine appartiennent au maître. Euclion était donc le maître du nouveau-né.

(06) Venerans. Le mot venerari signifiait proprement le sentiment du respect religieux, puis, par extension, l'expression de ce respect, les voeux et la prière. Onle voit employé comme synonyme de precari, precibus petere. HORACE Sat. II, 6.
Si veneror stultus nihil horum. 

(07) Aliqui. C'est la même chose que aliquo, aliqua re. Nous avons vu, et nous verrons encore qouvent qui, syncope de l'ablatif ancien quoi, employé comme indéclinable, tantôt pour quo ou qua, tantôt pour quibus, v. 458.

(08) LE DIEU LARE. L'apparition de Mercure, au commencement de l'Amphytrion, n'avait rien qui nous étonnât. Ce merveilleux était en harmonie avec le genre du drame. Nous savions qu'on nous avait transportés dans un monde surnaturel. Mais ici les acteurs seront de simples mortels, fripons, fous ou vicieux pour la plupart ; à peine un ou deux d'honnêtes et de raisonnables ; enfin l'ordre commun des choses. Et voici que le génie domestique, le dieu du foyer, se montre à nos yeux, vivant et parlant. Avant qu'il nous eût dit qui il était, nous l'avions reconnu à sa figure et à son costume, une couronne de fleurs et de laine sur la tête, la dépouille d'un chien sur les épaules, peut-être un chien auprès de lui ; car c'est le dieu gardien de la maison. Cette vue a bien aussi quelque chose d'imposant. Le culte des Lares se confond, par une vieille origine, avec celui des Lémures ; ou des fantômes et des revenants. Avant qu'une sage loi eût ordonné de séparer la demeure des morts de celle des vivants on enterrait dans la maison les membres de la famille. C'est un usage qui subsiste encore à présent chez les Égyptiens. Les âmes des aïeux habitaient leurs anciens foyers, protégeaient leurs familles ; c'étaient les dieux Lares. Ainsi les dieux domestiques s'associaient dans les opinions religieuses des Romains avec le culte des ancêtres. Dieux bons et désintéressés d'ailleurs, ils se contentaient, comme le Génie, de fleurs, de quelques grains d'encens, d'un peu de vin ou de lait. (Voyez Mémoires de l'académie des Inscriptions, tom. I , pag. 26. ) 
Mais n'est-ce pas une trop grande hardiesse à Plaute, d'employer les machines tragiques dans la comédie.? Accordez-lui cette licence ; autrement il la prendra de sa propre autorité, par le droit du talent, qui sait combiner et façonner toutes choses pour ses desseins. Vous en verrez bien d'autres ! Tantôt la Débauche avec sa fille la Pauvreté (Trinumus), tantôt l'étoile Arcture (Rudens), tantôt le dieu Secours (Cistellaria). Mais toutes ces divinités seront si bien disantes, si gaies, ou si sages, que vous oublierez vos préceptes sur les bienséances des genres et les vraisemblances du spectacle. Elles vous mettront en belle humeur, ou vous feront pressentir avec intérêt la moralité, du drame. Après les avoir entendues, vous seriez bien fâché qu'elles n'eussent pas osé mettre le pied sur une scène comique. Ici, l'à-propos suffirait pour justifier le choix du personnage.
On doit nous faire connaître le grand mystère de l'action ; car les Romains n'aiment pas ou ne savent pas deviner. II faut qu'on les mette au fait d'avance, qu'on leur donne un programme. Si ce n'est Euclion qui vient lui-même nous révéler son secret, il faut bien que ce soit le dieu Lare, car il en est l'unique dépositaire.

(09) Thesauram. Il est souvent question de trésor dans la comédie ancienne (voyez le Trinumus, l'Eunuque de Térence, prol. vers 10, et la préface de cette pièce-ci, page 5). C'est que, dans la réalité, les trésors étaient d'un usage fort commun, et ils devaient l'être. En effet, pour tout ce qui n'était pas négociant de profession, il n'y avait pas d'autre placement d'argent que le prêt à usure ou des achats de domaines. On ne savait pas ce que c'était qu'une entreprise sociale de commerce ; l'industrie était dans la main des esclaves, et l'on n'aurait jamais pu, sans se déshonorer, être marchand ou industriel. Que faire d'une somme qu'on voulait tenir en sûreté à sa disposition ? pas de moyen de la convertir en papier, point de rentes sur l'état, point de banque nationale ou particulière. Ajoutez la crainte des guerres intestines ou des guerres d'invasion, le pillage à tout propos, dans des pays divisés en une multitude de cités qui avaient toujours l'ennemi à leurs portes, ou des séditions dans leurs murs. Pour dérober son or aux hommes, on le confiait à la terre. Mais, soit dans l'exil ou pendant un voyage, soit par le glaive de l'ennemi ou par le poignard des brigands, une mort soudaine emportait le propriétaire, et le propriétaire emportait avec lui son secret. C'est à de tels accidens que nos musées modernes doivent les trois quarts de leurs médailles. O providence des antiquaires ! et cependant ils n'ont fait que glaner après les favoris d'Hercule. Car beaucoup de richesses qui devaient être dévolues à la science, furent interceptées par ce dieu jaloux de nos plaisirs. Combien de gens firent fortune en déterrant un trésor, par la grâce d'Hercule ! Aussi ne manquaient-ils pas d'en consacrer la dixième partie à Hercule inventeur, comme depuis, dans le monde chrétien, l'église préleva la dîme pour tous les biens de la terre, qu'on devait à sa bénédiction. La part d'Hercule était devenue expression proverbiale, de même que parmi les souhaits ordinairement formés par la cupidité des hommes, les moralistes comptaient celui de découvrir un trésor caché. (HORACE, Sat. II, 6, 8-13 ; PERSE, Sat. 2, 10.)
Enfin il s'établit une jurisprudence, une législation dans l'empire romain, sur cette matière, comme pour les autres affaires de la vie civile.
Les empereurs supplantèrent le dieu. Son privilège tout au moins fut abandonné à la bonne volonté du découvreur. Mais ils réglèrent eux-mêmes leur droit dans le partage, et ne se contentèrent pas de la part d'Hercule : Constantin passa pour généreux en ne prenant que moitié (COD. THEOD., X, Tit. 18). Quelques-uns de ses prédécesseurs avaient tout pris (JAC. GOTHOG., Ad h. l.). Les dieux de la terre coûtaient plus cher que ceux du ciel. Mais enfin l'empereur Léon le Jeune, plus équitable, renonça entièrement à celle spoliation légale (C. JUSTIN, X, Tit. 15).

(10) Cereris vigiliis . On reconnaît ici la trace de l'original grec. Les législateurs romains, gens austères et soupçonneux, avaient réservé le mystérieux de la religion, comme celui de la politique, pour les hommes d'état ; les actes de la foule devaient être vus et surveillés en toute espèce de cause. Point de culte secret, point de fêtes nocturnes parmi les femmes : c'était la maxime du gouvernement de Rome (CIC. de Legib., II, 9). Les féries latines étaient célébrées en partie pendant la nuit, mais par les sénateurs et sous leurs yeux (LUCAN., Phars., V, 402 ; VII, 394). Le culte de Cérès, adopté par les Romains , ne l'avait pas été sans quelque modification.
Mais les Grecs n'étaient ni si craintifs ni si sévères ; et, entre leurs fêtes nocturnes, celles d'Éleusis, les Thesmophories, attiraient le plus grand concours de dévôts et de curieux de tous les pays de la Grèce et du monde La cinquième nuit seulement, elles étaient couronnées par la Dadouchie, on procession des flambeaux. Pendant cette longue solennité, tandis que les initiés se préparaient par le jeûne et par toutes sortes de purifications, Cérès sait ou ne sait pas tout ce qui se passait dans cette réunion confuse, où se mêlaient tant de jeunes gens animés de tout autre sentiment que la piété. Les violences, les enlèvements étaient favorisés par l'obscurité de la nuit ; et les étroites limites du territoire de chaque cité devaient exciter l'audace par la facilité d'échapper aux poursuites. Quelques lieues parcourues, le coupable se trouvait en pays étranger ; il avait mis plusieurs états entre lui et le lieu du crime ; et l'on n'avait pas encore inventé le droit d'extradition.
Si les aventures de cette espèce n'avaient pas été fréquentes, on n'en aurait pas fait un ressort de comédie. La vraisemblance théâtrale a son fondement dans les habitudes de la vie commune (Cistell., I, 3, 10; Epidicus, IV, I, 13).

(11) Stimulorum seges. Plaute est admirable pour la fécondité de son imaginative à trouver des qualifications comiques pour les esclaves. L'un est, comme ici, assimilé à un champ où poussent en abondance les bâtons ferrés ; un autre sera une statue de coups de fouets (verberea statua) ; un autre, l'enfer des verges (ulmorum acheruns).

(12) Malae rei. A combien de dangers n'était-on pas exposé chez les anciens ! Tantôt c'était un sort que jetait une main mauvaise ou un mauvais regard, mala manus, malus oculus, et l'on perdait la raison; on bien la rencontre de Cérès ou de Bacchus pouvait rendre un homme fou. A présent, ce ne sont plus les sorts et les fascinations qui troublent l'esprit ; c'est c'est autre chose. Il faut bien que folie ne manque jamais sur terre.

(13) Literam longam. Cette lettre longue est un grand I. L'i se doublait en hauteur dans les mots où l'orthographe exigeait qu'il fût double : DIS, AUSPICI ; ou quand il était long par la prononciation, c'est-à-dire quand il valait le double d'une brève, CIVIS, OCCISUS. La vieille s'imagine que son cadavre pendu et allongé, les bras tombant contre les côtes, fera une figure pareille. Si la plaisanterie n'est pas fine, elle est juste au moins. Elle semble mieux placée dans le discours d'une servante, que dans l'épigramme du poète Ausone.

(14) Araneis. Catulle (épigr. XIII) disait à peu près de même : Nam tui Catulli Plenus sacculus est aranearum.

(15) Philippam.... Darium. Les rois de Perse furent de tout temps renommés pour leur opulence ; et leur nom , comme celui du roi de Lydie, passa en proverbe pour exprimer une immense fortune. Philippe, le père d'Alexandre, qui avait commencé par être un roi fort pauvre, finit par mériter le même honneur, si c'en est un. « Ayant appris qu'il existait dans ses états des mines exploitées dès les temps les plus anciens, et de bon temps abandonnées, il fit fouiller celles qu'on avait ouvertes auprès du mont Pangée. Le succès remplit son attente, et ce prince, qui auparavant ne possédait en or qu'une petite fiole qu'il plaçait la nuit sous son oreiller, tira tous les ans de ces souterrains plus de mille talens. » (Voyage du jeune Anacharsis, chap. IX, à la fin.) Cela fit que la majeure partie de la monnaie d'or en circulation était frappée à l'effigie du roi Philippe. Les Philippes, aurum philippeum, étaient alors en aussi grande faveur, que le furent chez les peuples modernes les ducats d'Espagne. On sait que les trésors de Persée apportés à Rome par Paul Émile y firent cesser entièrement les tributs que payaient les citoyens ( CIC., de Offic., II, 22. ).

(16) Quid agam. C'est une chose qui mérite une attention particulière que ces termes du langage familier, qui reviennent à chaque instant dans le dialogue. A les prendre à la lettre, ils signifieraient tout autre chose que ce qu'on veut dire. Vous verrez les personnages des comédies entrer en conversation par cette formule : Quid agis ? Prendrez-vous cette interrogation pour une inquisition impérieuse ou pour une curiosité indiscrète ? Vous serez dans l'erreur. Cela équivaut tout simplement à nos expressions : Comment vous en va ? Comment vont les affaires ? Comment cela va-t-il ? Cette locution a ses variétés : Quid agitur ? Quid fit ? On conçoit alors combien Euclion a l'esprit ombrageux de s'effaroucher de ces paroles. Il y a dans la langue allemande une manière de parier tout-à-fait analogue : Was machen Sie ? Quelquefois, par l'équivoque du sens étymologique et de la signification d'usage et de convention, cette phrase donnait lieu à des jeux de mots. Quid agis? - Quod miser, etc. (Epidic., V, I, 8 ). Cicéron raconte que le tribun Drusus, dont l'ambition troublait l'état, salua un jour un crieur public nommé Granius en se servant de la formule ordinaire : Quid agis, Grani ? L'autre lui répondit avec autant d'esprit que de hardiesse : Imo vero tu, Druse, quid agis ? (Pro Plancio, 14.)

(17) Odiosas. Les Romains étaient peu mesurés dans leurs expressions ; ils ne connaissaient guère, du moins dans les temps anciens, ces nuances de langage qu'on s'étudie à saisir chez les nations polies. Un même mot, chez eux, confondait l'ennui avec la haine. « Vous m'ennuyez , vous m'êtes odieux, » c'était même chose, au moins dans les termes. « Ecce odium meum, » dit un personnage de Plaute. Ne signale-t-il pas un ennemi ? Non, ce n'est qu'un importun.

(18) Merito omneis habemur. Les femmes ne devaient pas aimer Plaute, car il les a fort maltraitées. Tous ces lieux communs des mauvais plaisans sur leur babil, sur leur humeur fantasque, sur les chagrins qu'elles causent aux maris, se reproduisent en cent façons dans ses comédies. Du reste, c'étaient propos renouvelés des Grecs. Ne trouve-t-on pas ce dialogue dans Aristophane :
« Les hommes disent que nous sommes actives pour le mal ; et ils disent vrai. » ( Lysist. , V. 11.) Et plus bas : « Quelle sage pensée pourrait entrer dans l'imagination d'une femme ? » Singulière perpétuité de méchantes traditions ! étrange opiniâtreté de la malice satirique ! Car nous préserve le ciel de croire qu'il y ait rien de vrai au fond de tout cela ! Je ne pardonne pas à Plaute ces impertinences. Encore s'il les avait mises sur le compte de quelque fripon d'esclave ! Mais ce sont les gens les plus raisonnables de ses pièces qu'il fait parler en ce sens, un Amphitryon, un Périplectomène dans le Guerrier fanfaron, un Mégaronide, un Calliclès dans le Trinumus, enfin tout-à-l'heure un Mégadore, et Eunomie elle-même, qui vient accuser tout son sexe avec elle. La méchanceté du poète lui porte malheur ; car il oublie ici les règles de la vraisemblance , et quelquefois ailleurs celles de la bienséance, lorsqu'il prête aux détracteurs des femmes des lazzis peu dignes de leur âge et de leur caractère.
Mais le peuple romain, qui entendait ces discours, en riait sans s'inquiéter des convenances. Il paraît que ses magistrats ne l'accoutumaient pas â être fort délicat sur ce point. Voici une allocution du censeur Metellus au peuple romain : « Si nous pouvions nous conserver sans épouses, Romains, nous nous passerions de cet ennui. Mais puisque la nature a voulu qu'il soit également impossible d'être heureux avec les femmes, et d'exister sans elles, il faut sacrifier le bonheur de notre vie à la conservation de l'état. » (AULU-GELLE, N. A., I, 6.)
Que conclure de toutes ces attaques ? Ce ne sont que de vaines médisances de sujets révoltés contre une puissance qu'ils ne peuvent décliner, et dont ils se vengent par des chansons. Les Romains, très durs envers les femmes dans leurs lois, étaient fort bonnes gens dans leurs maisons et dans la pratique de la vie. On cite une parle naïve de Thémistocle : « Cet enfant, disait-il en montrant son fils en bas âge, gouverne les Athéniens ; car je commande aux Athéniens ; ma femme me commande , et il commande à sa mère. » Il y avait beaucoup de Thémistocles parmi les bourgeois de Rome, sous le rapport de la subordination domestique.

(19) Da mi operam. Locution vulgaire qui peut s'accommoder à différents usages. Prêter son soin à quelqu'un qui veut parler, c'est l'écouter avec attention, comme ici , et plus bas, vers 156, et dans le prologue des Captifs, vers 6, et en mille autres lieux. Ce sera aussi accompagner quelqu'un dans une course ou dans une promenade ; comme faisaient Dave et Antiphon auprès de Phédria, lorsqu'il allait voir sa belle (TERENT., Phormio, 1, 2, 37). En un mot, c'est faire ce que désire quelqu'un. Mais la signification la plus commune est celle d'écouter ; et Plaute. quelquefois tourne l'expression en plaisanterie selon sa coutume : Aurium operam tibi dico.

(20) Cerebrum excutiunt. On disait proverbialement « ce discours me fend la tête, » quand on entendait quelque chose de fâcheux (voyez les Deux Bacchis, v. 216).

(21) Factiones Ce mot, dans le vieux langage de Plaute, signifie l'opulence, la puissance d'un particulier (Cistellar., 271 ; Trinum., 393, 408, 432 , 438), et même factiosus prend le sens analogue de opulent, puissant (voyez plus bas, 185). Factio et factiosus, dit le grammairien Festus, étaient des termes honorables dans le principe ; d'où l'on a conservé factiones histrionum, factiones quadrigariorum (voyez aussi Nomus MARCELLUS, c. IV, n° 191). La signification changea bien par la suite.. Comment se fit le changement ? Dans l'origine, les riches furent les patrons des familles pauvres, autant pour profiter de leur secours que pour les protéger. Les clients se cotisaient pour payer la rançon du patron, s'il était pris à la guerre, ou pour grossir la dot de sa fille ; ils le soutenaient de toutes leurs forces dans ses candidatures. La clientèle était en quelque sorte une tribu sous l'empire du patron. Mais quand les idées de gouvernement devinrent plus nettes et plus régulières , et que l'on comprit que les particuliers ne devaient point être des puissances dans l'état, mais que l'état devait être la seule puissance, les partisans dont on s'entourait, clients, créatures, de l'appui desquels on avait abusé trop souvent pour se disputer les honneurs dans le forum, ne furent plus regardés que comme des instruments de l'ambition contre, l'autorité des lois : les mots désignèrent alors ce que faction et factieux expriment dans notre langue.

(22) Curialium. Ce mot ne signifiait, au temps de Plaute, que les particuliers composant la curie, comme tribules, les membres de la même tribu. Mais depuis que la conquête eut multiplié les colonies et les municipes dans le monde romain, et que des villes eurent obtenu le droit de cité romaine, chaque commune eut son sénat, curia, et tous les citoyens qui participaient par leurs suffrages aux élections et aux affaires municipales, en raison de leur fortune, se nommaient curiales, à la différence des plébéiens, plebs urbana ; malheureux patriciens de province, surchargés d'impôts au profit de la métropole, qui les avait adoptés, comme une avide et impitoyable marâtre. La législation du Bas-Empire concernant ces pauvres curiales, fait frémir (voyez Cod. Theod. , liv. XII).

(23) Magister. Romulus, ou les législateurs antiques représentés par ce personnage, avaient distribué le peuple de la ville en trente parties, qu'on appela curie, et qui avaient chacune leur temple nommé aussi curia, leurs dieux et leurs héros protecteurs, leurs féries, leur culte. C'étaient comme les paroisses modernes. A Rome particulièrement, les divisions civiles furent établies sur les bases de l'administration religieuse et mïlitaire. Il y avait un chef de la curie qui présidait aux actes de la religion (sacris) ; il avait le titre de magister curuae, ou de curio. C'était lui aussi qui faisait notifier les jours de marché, et qui réglait les affaires communes de la curie. Il cumulait les fonctions analogues à celles de maire et de curé.

(24) Animus domi 'st. Un de nos célèbres contemporains (M. Charles Nodier) a dit avec grâce : "On annonça cette démarche en termes trop flatteurs à Paris et dans les provinces, où mon coeur vit pour le moins autant qu'à Paris." Cicéron affaiblit une pensée semblable par la prolixité en parlant de Balbus, qui aimait toujours son pays natal, quoique devenu citoyen de Rome : Laetandum hujus L. Cornelii benivolentiam erga suos remanere Gadibus, gratiam et facultatem commendandi in hac civitate versari. (Pro Balbo ,18.)

(25) Harpagatum. Heureux emprunt fait aux Grecs, énergique expression, que les Latins plus modernes auraient dit conserver. On ne retint que les mots harpaga, harpago, pour nommer une espèce de main de fer, avec laquelle on accrochait les vaisseaux ennemis, afin de les prendre à l'abordage. Le mot de Plaute n'a pas été perdu pour Molière, et l'honneur d'avoir nommé la famille immortelle des Harpagons se partage entre lui et le poète latin.

(26) Ex paupertate. Les interprétations varient pour ces mots : des savans entendent « par l'effet de la pauvreté. » J'ai préféré l'autre sens , parce qu'il ne semble pas renfermer, comme celui-ci, une sorte d'excuse du vice que l'auteur veut flétrir, et parce qu'il donne à l'expression plus d'élégance comique. D'ailleurs Plaute dit, dans une autre pièce, de sodalitate pour e sodalibus. (Mostell., V, 2 , 4. )

(27) Salvom'st, si quid, etc. (v. 164).Ce malheureux, toujours inquiet, toujours ingénieux à se tourmenter, craint d'en avoir trop dit par ces mots « elle est sauvée. » Il se reprend aussitôt : « une chose est sauvée, quand elle n'est point perdue. Il ne faut pas que je donne trop de portée à mes paroles ; mon trésor est sauvé jusqu'à présent ; mais il n'est pas sauvé pour toujours, sa sûreté ne m'est pas garantie. "

(28) Fide. Sous-entendez quali. La fortune réglait le rang des citoyens, d'après l'institution de Servius Tullius ; le prolétaire n'était rien dans l'état ; les riches, en petit nombre, faisaient la majorité des centuries, et donnaient ou obtenaient les honneurs. Il paraîtra donc naturel que les personnages de Plaute montrent tant d'estime pour ceux qui prennent soin de conserver et d'augmenter leur bien (res) ; qu'ils fassent de ce soin le premier devoir de l'homme vertueux, de celui qui prétend à la considération. Le monologue du jeune Lysitèle, dans le Trinumus, est très-curieux par rapport à cette particularité des moeurs romaines. C'est d'après ces idées qu'on doit traduire ici le mot fides. L'opinion qu'on a de la solvabilité d'un citoyen, son crédit, est une partie de sa fortune, en est la garantie, et en même temps la base de son état d'homme considéré et considérable. Voilà pourquoi ces deux mots res bien, et fides crédit, honneur, se trouvent si souvent joints ensemble dans Plaute lui-même (Epidic. 192 ; Mostellar., 144 ; Trinum., 220.) Qu'on s'étonne après cela qu'avec le progrès du temps ces habitudes aient engendré la romaine avarice.

(29) Quae res recte vortat. Cette phrase est une des nombreuses formules du langage usuel, qui tenaient aux habitudes graves et religieuses du peuple romain. Ils redoutaient les paroles de mauvais augure, et recherchaient celles d'heureux présage, au commencement de toute chose. C'est pour cela que les particuliers, dans leurs transactions, les magistrats et les orateurs, dans les actes publics, faisaient précéder leurs discours de quelque précaution de piété ou de superstition, comme on voudra l'appeler (CICERON, de Divin. , I, 45 ; VARR., de Ling. lat. , V , 9 ). Le jeune Lyconide tout-à-l'heure n'y manquera pas (v. 738), non plus qu'Hégion, dans les Captifs (v. 29o), et Philton, dans le Trinumus (v. 441).

(30) Desponde. Chez les Romains, peuple circonspect, rigide observateur de la tradition et de la règle, tout se réduisait en formules. Dans les premiers temps, les patriciens s'étaient emparés des grandes magistratures par le privilège des auspices. Lorsqu'on'eut enfin démontré, établi en droit qu'un plébéien pouvait prendre les auspices sans profanation, et par conséquent n'être plus exclus du consulat et de la préture, les principaux citoyens imaginèrent d'assujétir à une infinité de formalités et de formules, tous les actes et les termes des contrats civils, ce qui mettait les ignorans en la dépendance des hommes instruits, le petit peuple à la merci des grands. L'aristocratie reprenait, par les rapports de patronage et de clientèle , ce qu'elle avait perdu en prérogatives politiques. Tout citoyen considérable était le jurisconsulte de ses clients.
Romae dulce diu fuit et solenne, reclusa 
Mane domo vigilare, clienti promere jura.
(HORAT., Epist. II, I,, 103.)
.. Dans Rome plus sauvage, on se piqua longtemps 
D'ouvrir, au point du jour, sa porte à ses clients."
(DARU.)
Cicéron se moquait, avec beaucoup d'esprit, de l'abus des. formules, comme on s'est moqué chez nous du style de la pratique. De son temps, elles avaient perdu de leur mystérieuse autorité (pro Murena, 11, 12 , 13 ). Plaute se conformait au génie de ses contemporains, lorsqu'il reproduisait, à chaque occasion, les formules du droit civil : ici, celle des fiançailles (sponsalia) ; dans les Bacchis (v. 832, 834), celle d'une rançon à payer ; dans les Captifs ( v. 111, 113) , celle d'une vente.

(31) Castrandum. Cette idée n'est pas romaine, du moins pour cette époque. Ce n'est que vers la fin du sixième siècle , longtemps après la mort de Plaute, que les femmes commencèrent à user de ce luxe effronté, qui était venu de l'Asie dans la Grèce, et qui passa de la Grèce à Rome. Ménandre, traduit par Térence, atteste qu'il était du bon ton chez les Grecs, dans les grandes maisons, d'avoir des eunuques parmi ses esclaves (Eunuch., I, 2 , 81). Les eunuques dûrent titre introduits en foule à Rome, avec tout l'attirail de la mollesse asiatique, après la conquête du royaume d'Antiochus-le-Grand par L. Scipion, frère de l'Africain (TITE-LIVE, XXXIX, 6). Ils devinrent une partie essentielle du service des dames romaines, service dont le fabuliste Phèdre donne l'inventaire abrégé en quelques vers (IV, 5, 22 ). Ensuite ils figurèrent dans le palais impérial, parmi les favoris du prince ; ils gouvernèrent l'empire; quelques-uns commandèrent les armées.

(32) Quem... ludos facias. Cette expression mérite qu'on la remarque : faire de quelqu'un un jeu, un spectacle.

(33) Num quae causa 'st. On rencontrera très souvent dans Plaute cette locution avec la réponse. Quand on proposait à quelqu'un un traité, un arrangement, on lui disait ainsi : Numquae causa, ou plutôt Numquid causae est, quin id fiat, « y a-t-il une cause qui empèche de faire telle chose ? » S'il acceptait, il répondait : Imo optuma, ou simplement optuma , ou optumum 'st. " Non certes, il y a un très bon motif pour qu'elle se fasse. » En cas de refus, il disait : Nulla, c'est-à-dire, il n'y a point de motif de la faire (voyez les Captifs, vers 247 ; Trinumus, avant-dernier vers ; TÉR., Andr., V, 2 , 46).

(34) Vascula. Voilà bien l'avare, toujours tremblant qu'on ne le ruine, ou qu'on ne le croie trop riche. Les autres font préparer et nettoyer les ustensiles des sacrifices, vasa pura adornari (Amph., vers 785). Mais Euclion emploie un diminutif; ses apprêts doivent être chiches et pauvres comme lui-même.

(35) Mistum. Chez les anciens, on ne pouvait guère boire le vin pur ; il était trop fumeux et trop noir. Le mélange était fait d'avance par les esclaves, suivant les proportions réglées par le roi du festin ou par le maître de la maison (magister, arbiter bibendi, pater cenae). Les échansons puisaient dans les cratères où le mélange était préparé. De là miscere, pour dire apprêter, verser à boire. Ainsi il ne faut pas écrire ici malum maerore mistum, ce qui serait insignifiant. La vieille veut dire qu'elle aura à avaler un terrible chagrin ; le sort lui a préparé le breuvage, mistum moerorem. Cette métaphore est toute naturelle dans le langage de la vieille, dont le nom seul nous fait soupçonner des habitudes d'ivrognerie, et dont le langage confirmera cette opinion (v. 305). Toutes les vieilles de la comédie latine sont grandes buveuses (voyez Curcul., vers 96 et suiv.; Cistell., vers 20). Et la vieille de la fable de Phèdre n'est-elle pas digne de rivaliser avec elles (III, 1) ?

(36) Conduxit cocos. Voyez la différence des coutumes de vivre entre les personnages de Plaute et ceux de Térence, c'est-à-dire avant et après la seconde guerre punique. Chez Plaute, les citoyens vont eux-mêmes au marché (Bacch.; Captiv.; Mercator). Ils n'ont point d'habiles cuisiniers parmi les esclaves de leur maison. C'est une servante qui fait leur ménage (Mercat.). S'ils ont un repas à donner, ils vont au Forum louer un cuisinier (nec coquos vero habebant in servitiis, eosque ex macello conducebant, PLINE, XVIII, 28). Voilà le vieux temps. Mais il n'est pas question de ces cuisiniers de louage dans Térence. On pourrait les regretter, car ils sont fort plaisants, du moins sur la scène de Plaute. Je crois qu'ils donnaient plus de tourment que d'envie de rire à ceux qui les employaient. C'étaient des centimanes pour le larcin ; Argus , avec tous ses yeux, n'aurait pas pu être assuré contre eux. Encore, s'ils avaient connu tous les secrets de l'art, culinaire ! Quand les Metellus, les Fulvius, les Sulpicius eurent goûté les mets friands de la Sicile, de la Grèce et de l'Asie, ils renvoyèrent aux petites gens les cuisiniers ambulants, qui n'eurent désormais qu'à mourir de faim. Les Romains alors surent apprécier un bon cuisinier, tandis que, chez leurs ancêtres, gens grossiers et ignorants, cet office avait été abandonné aux plus vils esclaves (TITE-LIVE, XXXIX, 6 ). Un bon cuisinier se paya jusqu'à vingt mille sesterces (16.000 fr.). Les Romains n'étaient pas des amateurs moins fins, moins sensibles du vrai mérite, que ce marin qui, après un repas, fit venir son cuisinier et lui dit : « Viens, çà, coquin, que je t'embrasse ; je ne veux mourir que de ta main. » L'art de la cuisine prit à Rome, selon le témoignage de Pline, un rang proportionné à son perfectionnement, et il finit par commander aux maîtres du monde, imperatoribus quoque imperaverunt (Hist. nat., XXIV, I). Horace dit même que la jeunesse romaine avait encore plus de goût pour la cuisine que pour les plaisirs de l'amour, nec Veneris tantum quantum studiosa culinae.

(37) Tibicinas. Les joueurs ou les joueuses de flûte étaient de toutes les fétes. Point de solennités de famille sans un sacrifice, point de sacrifice sans joueuse de flûte ou de cithare (voyez Epidic., v. 194). Je me souviens d'avoir lu dans Plutarque, qu'un jour Scipion Émilien, voyant arriver dans une assemblée un homme qui lui voulait mal, dit d'un air railleur : « Est-ce que nous allons faire un sacrifice ? » Cet homme avait été joueur de flûte. Si l'on en croit le témoignage de Plaute (v. 514), les musiciennes aimaient beaucoup à boire. Ovide fait une réputation pareille aux hommes de la même profession (Fast., VI, 672-684 ).

(38) At scin'.... quomodo ?. Locution elliptique, rarement complétée dans le discours ordinaire, mais qui se complète quelquefois, comme au huitième vers de cette pièce. Elle exprime tantôt l'annonce d'une chose surprenante, comme ici; tantôt, et très-souvent, la menace, comme dans le vers cité tout-à-l'heure, et dans Amphitryon, v. 200.

(39) Cocus nundinalis. Ce passage a fort exercé les commentateurs, qui, selon leur habitude, ne s'accordent point ensemble. Quelques-uns veulent que Congrion témoigne son mépris pour Anthrax, en disant qu'il n'est bon qu'à faire des repas funèbres : ces repas se donnaient ordinairement le neuvième jour. Mais, outre qu'il n'est pas certain que Plaute eût mis indifféremment nundinalis à la place de novemdialis, terme consacré pour cet usage, Anthrax aurait-il pu regarder comme une injure qu'on l'appelât un cuisinier de repas funèbre ? Les amis et les parents étaient invités à ces festins aussi somptueux que le permettait la fortune de la famille ; et dans ces réunions, tout en honorant le mort, les vivants s'occupaient à bien vivre. C'était pour les riches et les grands une occasion de montrer leur magnificence. Il y en avait qui faisaient des sacrifices publics (visceratio), et qui distribuaient au peuple la chair des victimes. Cet usage des repas funèbres subsiste encore en beaucoup de pays, et l'on n'y épargne ni la bonne chère ni le vin, quand on en a. Dans un petit canton de notre Bretagne, on a coutume de s'assembler à table après les funérailles ; on chante des antiennes, on pousse des cris en forme de refrain, et l'on boit à chaque repos, et les repos sont fréquens, et l'on s'enivre en mémoire du mort.
Décidément Anthrax ne faisait point de repas funèbre. Mais il pouvait bien. travailler pour les habitans de la campagne, qui venaient toutes les nondines, ou tous les neuf jours, à Rome, pour leurs affaires civiles ou pour les marchés. Les nondines étaient des jours fériés, quant aux travaux des champs, mais non pour les occupations de la ville et pour les jugements. Il y avait, ces jours-là, dans Rome, grande affluence des habitants de la banlieue : c'était alors que le tribunal du préteur et l'atrium des jurisconsultes étaient assiégés par les solliciteurs et les plaideurs, tandis que le Forum fourmillait de gens qui achetaient et qui vendaient. Les affaires finies, ceux qui ne s'en retournaient pas chez eux en toute hâte, allaient prendre du bon temps à la table de leurs amis. Anthrax est donc un de ces cuisiniers qui ne trouvent d'emploi qu'une fois en neuf jours, et pour servir des gens rustiques ; malheureux fripe-sauce, comme dit maître Rabelais.

(40) Temeti nihil. II était prescrit de s'abstenir de vin pendant la fête de Cérès, et de jeûner jusqu'au soir, en commémoration de la douleur de la déesse, qui n'avait pris ni repos ni aliments, tandis qu'elle cherchait sa fille enlevée. Cette fête était célébrée principalement par les femmes, et l'on sait que l'usage du vin leur fut interdit, sous peine de mort, par les lois de Romulus. Croirait-on qu'il y eut un homme assez cruel ou assez fou pour faire l'application de cette loi à sa femme , et qu'il se trouva un historien assez niais pour louer cette atrocité de sauvage parmi les traits de sévérité antique (VALER. MAX. , VI, 3, 9) ?

(41) Ipsus. On trouve encore cette forme du pronom ipse dans Térence (Hecyr., III, 5, 5), dont la diction a une physionomie beaucoup plus moderne que celle de Plaute, et aussi dans Lucrèce VI, 402). Le mot ipse, désignant soit le maître de la maison, soit les chefs, par rapport aux disciples ou aux soldats, se voit très fréquemment (Casina, IV, 2, 11 ; VIRG., Georg., IV, 82 ). C'est le õ aétñw des Grecs, ipse dixit.

(42) In puteo. La maison de chaque citoyen était pourvue d'un office pénal, d'un arsenal patibulaire : correcteurs, bourreaux, prison, instruments de tortures et de supplice, rien n'y manquait. On appelait la prison puteus, parce qu'elle était enfoncée dans un souterrain, où l'on attachait les coupables à un poteau (voyez le Poenulus, v. 955; les Bacchis, v. 776). Tel est le régime de la servitude domestique. Il serait difficile de dire si elle outrage plus l'humanité, dans la personne de l'esclave, qu'elle ne la pervertit dans celle du maître. Que devient la morale publique et privée avec ces habitudes de puissance abusive et cruelle ? Il n'y eut jamais de civilisation véritable, qu'après l'abolition. de l'esclavage. C'est de ce montent aussi que cessa l'état de guerre dans l'intérieur des foyers, entre le maître entouré de captifs qu'il craignait, et la foule des esclaves qui haïssaient leur maître. Voulez-vous voir un monument curieux des misères de cette tyrannie domestique, lisez le discours de C. Cassius dans les Annales de Tacite (XIV, 43, 44).

(43) Congrum, muraenam. On commençait alors à connaître le prix d'un poisson friand chez les Romains. Mais qu'on était loin de ce degré de perfection auquel on parvint ensuite dans la science du gourmet ! Les Romains du siècle de Plaute, et même les contemporains de ce Gallonius, surnommé Gurges, qui se fit mettre à l'amende pour avoir mangé un énorme esturgeon (LUCIL., Sat. II), se seraient-ils doutés que leurs descendants distinguerainet le poisson de mer pris dans la mer même, de celui qui attrait été pêché, en eau douce, après avoir remonté le Tibre (HORACE, Sat. II, 2, 31) ? Auraient-ils cru, qu'un jour, des viviers passeraient par les salles à manger, pour donner aux convives le plaisir de voir pécher devant eux la murène, et de la regarder mourir dans de grands vases transparents, et d'observer ainsi les diverses nuances que prenait sa peau, selon les progrès de l'agonie (SENEC., Quaest. nat., III, 17) ? On a dit que les Romains engraissaient leurs murènes avec la chair de leurs esclaves, pour lesquels ils avaient imaginé ce genre de supplice. On s'est trop hâté de conclure d'un fait particulier l'existence d'un usage commun. Cette barbarie d'Asinius Pollion révolta Octave lui-même. Il est vrai qu'Octave portait alors le nom d'Auguste.

(44) Quantum potes. Locution très-usitée comme synonyme de quam celerrime, au plus vite (TÉRENCE , Andr., V, 2 , 20 ; Adelph., III, 2, 72). Quelquefois on emploie quantum potest d'une manière absolue (Asinaria, v. 585 ; TÉRENCE, Adelph., IV, 7, 25).

(45) Artoptam. Le pain cuit dans un moule ou vase de terre (artopticius ) était plus délicat que le pain cuit simplement dans le four (furnaceus). Pline dit qu'autrefois , avant la conquête de la Macédoine, il n'y avait pas de boulangers à Rome, et que chacun faisait son pain chez soi ; c'était l'office des femmes. Mais, chez les riches, ce soin regardait les cuisiniers de louage; car on n'avaitpas encore de cuisiniers en sa propriété (Hist. nat., XVIII, 27, 28). Plaute confirme parfaitement ce récit. Je ne vois pas pourquoi les savants, du temps de Pline, disputaient entre eux pour décider si ce vers était on n'était pas de Plaute, et comment il leur paraissait présenter un anachronisme. On pouvait avoir des moules à pain sans qu'il y eût des boulangers (voyez le passage de Pline).

(46) Si sapis. Cette manière de parler, fort en usage dans la conversation des Romains, si l'on en juge par le dialogue de Plaute, correspond à notre locution française: « je vous le conseille ; » elle exprime souvent plus qu'un simple avis ; elle donne de la force au commandement et même à la menace ( Mercat., 575 ; Mostell., 510).

(47) Volsus ludius. Le nom de ludius, le même que ludio (TITE-LIVE, VII, 2), désigne un danseur chez Plaute : les acteurs sont nommés histriones. Ces danseurs figuraient, soit dans les intervalles des pièces dramatiques, soit pendant les pièces mêmes dans des intermèdes. Ils s'attachaient surtout à paraître jeunes et jolis, et à se donner un air de femme. Un de leurs soins particuliers était de se faire épiler : leur peau devait être douce, blanche et très unie. Il y avait des instruments à cet usage, volsellae; Plaute en a parlé (Curcul., 485). Cette grande application à se donner une figure efféminée, finissait par leur persuader qu'ils étaient femmes, et il n'y avait que trop de disposition dans les moeurs antiques à les prendre pour tels. Danseur et mignon étaient devenus termes synonymes (voyez vers 372, et le Persan à la fin).

(48) Bacchas. Les Bacchantes, furieuses, forcenées, battaient, déchiraient (voyez Amph., 451). C'était l'inspiration divine, ou l'ivresse de l'orgie, ou l'audace du charlatanisme. Euclion s'est comporté en Bacchante enragée envers Congrion (voyez les Bacchis, p. 214).
Peut-être ce vers réveillait-il le souvenir d'un évènement qui avait mis Rome en émoi pendant quelque temps. Si ma conjecture était vraie, cette comédie ne serait pas de beaucoup postérieure à l'an 566 de Rome. Il s'était formé une association secrète, à la faveur des mystères de Bacchus : on y attirait surtout les femmes et les jeunes gens. Le bruit courut qu'on s'y liait par des cérémonies et des imprécations effroyables, et qu'on s'abandonnait, dans des réunions ténébreuses, à d'horribles débauches. Les consuls assemblèrent le sénat , on disposa des gardes dans les principaux quartiers, et Rome eut, durant quelques jours, l'apparence d'une ville occupée militairement. On sévit contre les chefs, et l'association fut dissoute et proscrite par un sénatus-consulte, dont le texte est parvenu jusqu'à nous. On appela cet évènement la conjuration de Bacchanales.
Le poète pouvait bien ici toucher comiquement des questions sérieuses, comme en plusieurs passages de cette pièce et de quelques autres, frappant du ridicule ce que la sanction de la loi avait condamné, et même ce qu'elle n'atteignait pas.

(49) Ligna proeberi. Le cuisinier n'est pas tellement effrayé, qu'il ne joue sur les mots en faisant allusion à une partie des prestations en nature, que les alliés ou les sujets de Rome étaient obligés de fournir aux messagers ou aux magistrats romains en voyage ( HORACE, Sat. I , 5 , 45 : Villula tectum Praebuit, et parochi, quia debent, ligna salemque). Le Sosie de Rotrou fait aussi une plaisanterie sur le bois qu'on a fourni trop libéralement à son maître et à lui en différentes manières :
Si le bois nous manquait, les dieux en ont eu soin; 
Ils nous en ont chargés, et plus que de besoin.

(50) Ad treisviros. Les triumvirs étaient des magistrats de police et de justice. Lorsqu'il s'agissait de rétablir l'ordre, ils intervenaient comme agents de la force publique, avec les édiles, dont le ministère se rapprochait davantage des fonctions de l'officier municipal (TITE-LIVE, XXV, I). Ils jugeaient les délits des personnes de basse condition, qui n'avaient pas le droit de demander des juges au préteur. Les esclaves, les courtisanes dépendaient de leur ressort (Amphit., v. 3 ; Asinaria, v. 116) ils avaient la surveillance et l'administration des prisons (AULU-GELLE, III, 3 ; TITE-LIVE, XXXII, 26). On les appelait triumviri capitales.

(51) Cultrum habes. Ce forcené d'Euclion fait un abus comique de la loi des Douze-Tables, laquelle ordonnait de tuer le voleur nocturne, en tout état de cause, et le voleur armé, pendant le jour, si se telo defenderit. Le couteau du cuisinier est une arme aux yeux de l'avare. Ne pourrait-on pas retrouver quelquefois, chez les modernes, un pareil génie d'interprétation.

(52) Si hoc caput sentit. Cette forme de langage se retrouve avec peu de changement dans le Pseudolus (v. 712), « si caput hoc vivet. » Elle est tout-à-fait analogue à celle-ci, si vivo, qui se rencontre fréquemment dans le dialogue de Plaute (Bacch., v. 720, 989 ; Casin. v. 28) et dans celui de Térence (Andr., V, 2, 24). Elle se joignait ordinairement aux promesses ou aux menaces. C'est une de ces locutions conditionnelles qui, au lieu de restreindre ou d'atténuer l'affirmation, y ajoutent un degré d'énergie.

(53) Ita me amet. Voici une des formules de serment les plus usitées chez les Latins : Ita me amet Jupiter, etc. ; Ita me di deaeque ament, ut, etc. (Bacch., v. 78, Mil. Glor. , v. 400). Souvent, au lieu du subjonctif, on mettait le futur, comme cela se pratiquait aussi dans les voeux (voyez le Persan, vers 16 ). On trouve même le subjonctif et le futur à la fois, dans le serment qui contient une double attestation (Curcul., v. 400-401 ). Au reste, cette alliance de modes différents n'était pas sans exemple (PIND., Olymp., VI, strophe a b‹somen... ákvmai. Le serment pouvait varier dans les détails de l'expression. Catulle a dit (de Coma Beren. v. 1,8 ) : Non, ita me divi, vera gemunt, juerint, pour juverint. « Les pleurs des vierges qu'on mène à l'autel de l'hyménée, ne sont pas sincères, j'en jure par les dieux. » ( Les dieux me soient en aide, comme il est vrai qu'elles ne pleurent pas sincèrement.) Properce jure par son bonheur : Atque, ita sim felix, primo contendis Homero (édit. Brouck., I, 7, 3). De même les personnages de Plaute jurent par les objets qui leur sont chers ou sacrés, le guerrier par son épée et son bouclier (Curcul. v. 597), le parasite par la déesse Saturité (Captiv., v. 400), le cuisinier par la patronne des voleurs. Rabelais a imité cette forme (Gargantua, liv. I, ch. 28) : « Je proteste, je jure devant toy, ainsy me soys-tu favorable, si jamais, etc. » Nous avons bien, dans le langage moderne, des affirmations analogues : « Que je, meure, que le ciel me punisse, que la terre m'engloutisse, si, etc.,. Mais il y a cette grande différence, que, supposant le contraire de ce qui doit être, nous faisons le serment par une imprécation contre nous-mêmes. Les anciens se seraient bien gardés de ces paroles de mauvais augure ; ils aimaient mieux appeler la protection des dieux, avec l'hypothèse de l'affirmative : « Que les dieu me soient en aide, comme il est vrai que , etc. »

(54) Laverna. La déesse Laverne partageait avec Mercure l'honneur de protéger les voleurs. Elle avait un autel auprès d'une porte de Rome, qui prit de là le nom de Porte Lavernale ; et un bois sacré, sur la voie Salarienne, dans l'ombre duquel les voleurs se donnaient rendez-vous pour faire le partage de leur butin. Les cuisiniers ambulants, qui exerçaient deux genres d'industrie, l'un avoué, l'autre qu'ils n'avouaient pas, mais au sujet duquel ils avaient une réputation faite, étaient dignes d'invoquer la déesse. Ils l'invoquaient moins ouvertement que ce cuisinier de la comédie, mais tout bas, comme le galant dont parle Horace (Ep. I, 16): « O belle Laverne, dit-il, en remuant à peine les lèvres de peur d'être entendu. » Cependant la déesse ne recevait pas seulement les hommages des fripons ; les honnêtes gens la priaient de les épargner, comme les braves et les gens en santé sacrifiaient à la Peur et à la Fièvre. Les édiles firent un jour une épigramme sanglante contre les bouchers fraudeurs, et plus spirituelle que ne sont ordinairement les épigrammes de l'autorité. Avec l'argent des amendes qu'ils leur avaient infligées, ils firent construire une chapelle à la déesse Laverne, avec une belle inscription sur le frontispice, afin que personne n'ignorât qui avait fourni les deniers, et à quelle occasion.

(55) Pipulo. Vieux mot qui rappelle un antique usage né dans des siècles d'ignorance et de grossièreté, lorsqu'on se faisait justice par soi-même, et pans l'intervention de l'autorité publique. Si l'on avait été outragé, si l'on avait éprouvé quelque tort grave, on allait, ou seul, ou accompagné de témoins, faire carillon à la porte de l'offenseur ; l'on tâchait de le déshonorer par cette avanie. Le mot convicium remplaça celui de pipulum. Cette coutume existe chez les Turcs : il y a quelques années qu'un négociant turc, établi à Paris, éprouva une banqueroute de la part de son associé. Il se mit à la fenêtre de sa maison, et proclama le nom et la friponnerie du banqueroutier. Les charivaris ont bien quelque chose qui ressemble à cet usage, quant au degré de civilisation.

(56) Numo. Ce terme numus, qui ne signifie en général qu'une pièce de monnaie, a dû laisser les lecteurs modernes de Plaute errer dans le vague ; peut-être quelques-uns de ses spectateurs s'y trompaient-ils eux-mêmes. On a entendu par ce mot, tantôt un sesterce, tantôt un denier, une drachme, un didrachme, un auceus. Plaute résoudra la difficulté. Dans le Truculentus, un personnage dit : « J'ai prélevé sur une mine cinq numi ; c'est la part d'Hercule. » Cinq numi équivalent donc au dixième d'une mine ou de cent drachmes, ou un seul à un didrachme.Le cuisinier du Pseudolus méprise ses confrères, qui se louent pour une drachme ; lui, on ne peut l'avoir que pour un numus. Ce numus ne peut être qu'un didrachme. C'est une valeur de 1 fr. 5o cent. de notre monnaie. Voilà ce que coûtera le médecin à Congrion. Les visites des médecins sont plus chères à présent. C'est qu'alors on ne connaissait pas l'art de guérir : peut-être guérissait-on sans art. Aujourd'hui .....

(57) Venalium. Lorsque les hommes étaient une marchandise qui se vendait en place publique, le terme venalis fut synonyme d'esclave (voyez HORACE , Sat, II , I, 447). On a pu abolir l'esclavage, mais non pas la vénalité.

(58) Peculiaris. Grande bonté des législateurs romains : les personnes qui ne s'appartenaient pas , pouvaient posséder quelque chose, des épargnes, des cadeaux. Mais comme la condition du propriétaire détermine celle de la propriété, il s'en-suivait que la possession du pécule était chose bien précaire, dont le possesseur ne pouvait disposer sans l'agrément de celui en la puissance, et, comme disaient les Latins, en la main duquel il était lui-même. C'est ainsi que le fils de famille et l'esclave avaient leur pécule (voyez l'Asinaria, v. 523, et les Captifs, Prol., v. 20). Car, pour le droit de propriété sur les personnes, le père et le maître étaient assimilés par l'effet de la loi.

(59) Gallo. On voit que Plaute cherche à toute force une plaisanterie dans l'ambiguïté du nom Gallus, qu'il rend encore plus saillante par l'explication rejetée au dernier mot de la phrase. Les Romains devaient aimer beaucoup à rire au spectacle de ces Gaulois qui leur avaient fait et leur faisaient toujours tant de peur. Il n'y avait pas long-temps qu'on avait vu à Rome un spectacle plus honteux pour les Romains que pour les Gaulois, celui d'un homme et d'une femme de cette nation enterrés vivants par un peuple effrayé et superstitieux (TITE-LIVE, XX, 34 ; XXII, 57).

(60) Civitas concordior. Ces paroles si sages du comique n'avertissaient-elles pas les Romains du mal qui couvait dans le sein de la république, et qui devait éclater bientôt et faire sortir, des séditions de la multitude nécessiteuse, la tyrannie de Sylla, puis celle des triumvirs, enfin celle de Tibère ? Les Romains, qui n'en voulaient pas croire Plaute, entendirent dans le siècle suivant ces discours des Gracchus qui ébranlaient Rome jusqu'en ses fondemens : « Les bêtes sauvages, dans lItalie, ont au moins un gîte, une tanière, et les hommes qui combattent pour sa gloire et pour sa puissance errent avec leurs femmes et leurs enfants, sans foyers, sans asile où reposer leur tête. Les généraux mentent aux soldats, quand ils les exhortent à combattre pour leurs foyers et leurs autels. II n'y a pas un seul de ces malheureux qui puisse montrer une maison qui soit à lui, une sépulture qui appartienne à sa famille. » 

(61) Praefectum. Il y avait à Athènes un gynéconomos ; à Rome, le tribunal de famille et les censeurs.

(62) Plus plaustrorum. Ces termes sont curieux à observer, comme traits caractéristiques d'une époque dans l'histoire des moeurs romaines. Nous voyons là un temps de transition ; la Grèce entre à Rome ; l'antique rusticité se façonne lourdement encore à l'élégance nouvelle. Le luxe naissait alors chez les Romains, comme Milton représente, dans le tableau de la création, le lion et le tigre, à moitié sortis du limon, et s'efforçant d'en tirer le reste de leur corps pour paraître tout entiers à la lumière. On commençait à contracter des besoins de magnificence et de mollesse, et l'on se ressentait en même temps de la rudesse des vieux âges. Ici Mégadore se plaint de la mullitude des chariots qu'on rencontre clans les maisons de ville, et qu'on dérobe au service des champs (plus PLAUSTRORUM in aedibus quam RURI). Il y avait loin de là aux chars brillants et aux litières dorées des Scaurus et des Salluste. Ainsi sont les commencements en toutes choses. Les dames de la cour de Charles VI, qui se firent traî,er dans des tonneaux fixés sur des roues, furent plus remarquées sans doute que les femmes de nos riches banquiers, qui promènent sur les boulevards leurs somptueux équipages. Plaute a parlé, il est vrai, de chars ornés d'ivoire, eburata vehicula (v. 127) ; mais on reconnaît là le travail des ouvriers grecs. En avait-on déjà beaucoup vu à Rome ?

(63) Fullo. Les anciens portaient peu de linge : leurs vêtements étaient presque tous de tissus de laine. Le métier des foulons répondait à celui de nos dégraisseurs, calendreurs. C'étaient les blanchisseurs des anciens. (Voyez tom. I, pag. 391, et DION CASSIUS, XLVI, 4, 7, éd. de Reymar.)  

(64) Phrygio, etc. Ces douze ou treize vers, avec une douzaine d'autres dans Épidique (206-216), sont ce qu'on trouve de plus détaillé sur les atours des femmes dans l'antiquité : broderies à l'aiguille et par application (phrygio, caupo patagiarius), bijouterie (aurifex), lainages (lanarius), linge (linteones), teintures de toutes couleurs, rouge de feu, violet, jaune pâle, safran orangé (caupones flammearii, violarii, carinarii, crocotarii), tuniques de dessous ou chemises, robes à manches (iudusiarii, manulearii), réseaux ou écharpes pour retenir la gorge (strophiarii), ceintures pour serrer la taille (semizonarii), chaussures de toute espèce, pour la chambre, pour la marche, pour la table (sedentarii, diabathrarii, solearii ), chaussures parfumées et teintes en mauve (murobathrarii, molochinarii), bordures de différens tissus (textores limbolarii). II fallait nettoyer, raccommoder tout cela; on avait les fullones et les sarcinatores. Aristophane représente aussi l'armée de Lysistrate, toute parée, toute fleurie avec des manteaux aurore, et de longues robes, et de belles chaussures (Lysist., v. 43 et suiv.) ; mais tout cela n'était rien encore en comparaison de cette recherche et de cette coquetterie effrontée que décrit Sénéque (Cons. ad Helviam, II, 16 ; de Benef. VII, 9).

(65) Cedunt. Neuf vers plus bas on retrouve encore cedit dans le même sens. Plaute emploie souvent ce verbe simple pour les composés incedere, accedere, comme ire, au lieu de venire, abire.

(66) Miles... aes petit. L'an 349 de Rome, le sénat créa la solde pour les citoyens enrôlés dans les légions ; les plébéiens étaient accoutumés à faire la guerre à leurs dépens, et à se ruiner pour conquérir des terres qui grossissaient la fortune des sénateurs et des patriciens opulents, auxquels on les vendait à bas prix, au nom de l'état. Les pauvres en étaient venus à ce point de détresse, qu'ils n'avaient plus de quoi s'armer pour aller verser le sang qui leur restait. On leur accorda une solde, et le tribut avec lequel on devait la payer fut réparti selon les fortunes. Les plébéiens crurent, dans le premier moment, que cet acte de politique était une générosité ; ils étaient tentés de baiser les pas des sénateurs. Cela fut l'origine des tributs, qui durèrent jusqu'à la conquête de la Macédoine par Paul Émile. Il y eut dans la suite une caisse militaire, aerarium militare, sous les empereurs ; mais elle futinstituée par Auguste, pour les récompenses des vétérans.
Ce n'étaient pas les soldats qui venaient demander leur solde de porte en porte, comme le ferait penser la phrase elliptique de Plaute, si on la prenait à la lettre. Il veut dire qu'on vient demander l'argent destiné aux soldats. II s'est exprimé plus catégoriquement dans Épidique : At tributus quom inperatur, negant pendi potesse (v. 219).

(67) E senatu sevocas. On retrouve les moeurs et les coutumes d'un peuple dans les métaphores les plus usitées du langage familier. La religion, la politique, la guerre et l'agriculture fournissent presque tous les termes du discours figuré chez ces vieux Romains. Ici, c'est une allusion au sénat, comme dans le vers 619 (Voyez aussi Mil. glorios., v. 588, 590; Mostellar., v. 683, 1038). Nous avons déjà vu, et nous verrons encore, les esclaves assimiler à chaque instant leurs prouesses aux opérations militaires (Asinar., Casin., Epid., Pers.). 

(68) Curionem. Le curion était le président d'une curie. Mégadore a bien raison de ne pas comprendre la plaisanterie. Il fait preuve de bon esprit, autant que ceux qui riaient de l'explication du jeu de mots montraient de mauvais goût. 

(69) STROBILUS (p. 88). Ce Strobile n'est pas le même que le Strobile qui s'entretenait tout-à-l'heure avec les cuisiniers. Car il n'aurait pas paru alors si étranger aux amours de son jeune maître Lyconide ; il ne parlerait pas maintenant des noces de Mégadore comme d'une nouvelle qu'on vient de leur apprendre (v. 555). Mais est-il vraisemblable que Plaute ait mis dans une pièce deux esclaves différents sous le même nom ? On peut croire que le nom de ce second esclave étant écrit en abrégé, STR., les copistes en auront fait, par erreur, Strobile ; c'était peut-être Strabon, ou Straton, ou Stratilax. Heureusement le nom ne fait rien à l'affaire. 

(70) Corvos  Observation parfaitement conforme aux préceptes des augures : le corbeau à droite était un heureux présage, comme la corneille à gauche (CICER., de Divin. I, 39).

(71) Tertiam. Plaute ici n'est que bouffon ; Molière est plaisant : "viens çà que je voie. Montre-moi tes mains. - Les voilà. - Les autres. - Les autres ? - Oui. - Les voilà. "
Chappuzeau est vraiment comique (le Riche vilain) : Çà montre-moi ta main. - Tenez. - L'autre. - Tenez ; voyez jusqu'à demain. - L'autre. - Allez la chercher; en ai-je une douzaine ? 

(72) Facin' injuriam. Un article de la loi des Douze-Tables portait : « Si quelqu'un fait injure à un autre, qu'il paye une amende de 25 asses. » Injuria, c'était une chose bien vague , et 372, NOTES sujette à beaucoup de gradations, depuis le simple outrage en paroles" jusqu'aux voies de fait. Il paraît que les coups étaient compris dans ce que l'on appelait injuria, pourvu qu'ils n'allassent pas jusqu'à la blessure. On connaît cette malice bizarre d'un extravagant, qui, dans un temps où les valeurs monétaires étaient bien changées depuis les décemvirs, s'amusait à courir les rues en donnant des soufflets aux passants, et leur faisait compter aussitôt, par un esclave qui le suivait avec un sac plein de cuivre, les 25 asses de la loi des Douze-Tables. Mais si l'on privait quelqu'un d'un membre, la loi voulait que le coupable subit la peine du talion, espèce de réparation qui ne réparait rien. Quand il y avait seulement fracture d'un os, le patient recevait une forte indemnité en argent. Les injures de paroles donnaient lieu aussi à des poursuites ; mais quelquefois on se justifiait par un serment, sous la foi duquel on déclarait, ou qu'on n'avait point outragé réellement, ou qu'on n'avait point voulu outrager. Jupiter offre ainsi le serment à sa prétendue épouse (Amph., v. 770). Dans les Adelphes de Térence, un homme qu'on insulte prévoit que les offenseurs chercheront à s'acquitter de cette manière (II, 1, 8). Ici le cuisinier usurpe comiquement les droits de l'homme libre, et constate l'injure, aux termes de la loi, comme si l'on pouvait faire injure à un drôle tel que lui, sans existence civile.

(73) Sublevit os. Des enfans espiègles, et même des gens qui n'étaient plus en âge de faire des espiègleries, s'amusaient à barbouiller de noir ou d'autres couleurs le visage des personnes qu'ils voulaient exposer à la risée. Ils avaient soin qu'elles ne s'en aperçussent point, ou bien ils les surprenaient dans le sommeil. Delà est venue l'expression sublinere os, pour dire attraper, jouer quelqu'un. 

(74) Te advorsum mentiar. Bon jeune homme, qui se ferait un cas de conscience de manquer, par un mensonge, au respect qu'il doit à sa mère ! On trouvera ses pareils chez Térence ; comme cet étourdi de Ctésiphon, qui, dans ses plus grands emportements, n'oublie pas la piété filiale. « Puisse mon père courir encore longtemps, et me laisser ici tranquille, pourvu toutefois que sa santé ne soit pas compromise (Adelph., IV, I, 1).  Mais les mauvais sujets du théâtre de Plaute ne sont pas si délicats (Voyez le Mostellaria, v. 233). 

(75) Picos. Nonius Marcellus (voc. Picos), citant ce vers de Plaute, dit que « les anciens jugèrent que les pici étaient les mêmes que les grèfew des Grecs. » Tout le monde connaît la fable des Griffons, espèce d'animaux surnaturels, qui, selon Hérodote, gardaient, aux extrémités septentrionales de l'Europe, des montagnes d'or, et qui étaient sans cesse en guerre avec les Arimaspes, race d'hommes qui n'avaient qu'un oeil (IV, 13 ; PLIN., Hist. nat., VII, 2, X, 70). M. de Heeren explique cette fable par les mines d'or qui se trouvent en Sibérie (Ideen, etc.. tom. 1, pag. 112 et suiv.). 

(76) Qui vestitu et creta. La forme vestitu et creta est ce qu'on appelle en termes de rhétorique hendyadys, pour cretato, albato vestitu, comme dans Virgile patera et auro, au lieu de patera aurea.
Les toges bien blanches étaient l'habillement des gens riches, des citoyens qui remplissaient la première moitié des centuries, et qui tenaient ainsi un rang dans l'état. C'était ce qu'au siècle de Louis XIV on appelait les honnêtes gens, et ce qu'on appela même à Rome boni homines, bonté qui consistait dans la fortune et non dans le caractère. Il ne s'agit point, comme l'ont pensé quelques interprètes, des candidats, qui n'avaient rien à faire ici. Euclion, par une hardiesse bouffonne qu'on pardonne en riant au poète comique, désigne les spectateurs à qui leurs clients ou leurs esclaves avaient fait faire place sur les gradins rapprochés du proscenium. Le peuple en tuniques brunes, qui assiégeait les parties hautes et reculées de la cavea, ne devait pas trouver la plaisanterie mauvaise. 

(77) In nervo enicem Ce jeune homme est de noble maison, et Euclion voudrait le faire périr chez lui, en prison, à la chaîne comme un esclave, ou comme un débiteur insolvable adjugé par le préteur au créancier.

(78) Vini vitio. Singulière excuse d'amoureux, et qui peint bien la brutalité des moeurs anciennes. Nous verrons encore ailleurs un autre coupable s'excuser de même pour un attentat pareil (Truculent., à la fin).

(79) Benedice. Au moment d'une stipulation, ces imprécations du vieillard étaient intempestives, comme paroles de mauvais augure: Quand non entendait un homme dire quelque chose de fâcheux, qu'on pouvait redouter, on se hâtait de l'interrompre, en s'écriant : Benedice ( Asin., v. 724).

In faba sereperisse. Qu'est-ce que les enfants trouvaient dans la fève, et nommaient en criant ? Il parait que c'était une chose de très peu de valeur. Festus dit : Hilum putant esse, quod fabae grano adhaeret. Unde nihil et nihilum. Les botanistes modernes se servent du mot hile pour désigner la cicatricule ou ombilic dans les graines , c'est-à-dire , la trace du funicule, qui est le cordon ombilical des plantes. C'est dans les fèves et les haricots que le hile est plus apparent. Les Latins exprimaient, par le mot hilum, ce qui n'avait aucun prix. Ils affectaient au même usage , le mot naucum, cloison ligneuse qui sépare les quartiers de la noix ; non naucifacere, homo non nauci. Le mot floccus, brin de laine détaché d'une toison et volant au gré du vent, avait la mémé signification, flocci facio. Était-ce donc hilum que criaient les enfants en ouvrant la fève ?