extraits tirés du Journal asiatique de 1841 et 1842.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
traduite de l'arabe
par le baron Mac Guckin De Slane. :
En l'an 119 (787 de J. C.), Hanzala fut nommé gouverneur de l'Egypte par Hischam, et il continua à remplir cette charge jusqu'au temps où il reçut le gouvernement de la province d'Afrique. Il y arriva au mois de rébi second de l'an 124 (février-mars 742 de J. C.), et il n'avait encore séjourné que peu de temps à Kairewan, lorsque Okasa le safrite s'y rendit dans l'intention de l'attaquer, avec une telle multitude de Berbers, que jamais pareil rassemblement ne s'était vue en Afrique. Ce fut après sa défaite qu'il parvint à former cette nombreuse armée, dans laquelle toutes les tribus des Berbers se trouvèrent réunies. En même temps, un autre corps très considérable s'avança sous les ordres d'Abd el-Wahid Ibd Yézid, de la tribu berbère de Hewara, pour attaquer Hanzala. Ces chefs rebelles partirent tous deux à la fois de la province du Zab : Okasa, en prenant la route de Meddjana, pour se rendre à el-Karn, et Abd el-Wahid en suivant le chemin des montagnes, pour se porter sur Tabînas.[82]
L'avant-garde du dernier était commandée par Abou Amra el-Ateki.[83] Hanzala sentit la nécessité d'attaquer Okasa avant que les autres troupes eussent pu le rejoindre, et il marcha à sa rencontre avec un corps composé du peuple[84] de Kairewan. Les deux partis en vinrent aux mains à el-Karn ; le combat devint opiniâtre, le carnage fut immense, Okasa et les siens prirent la fuite, et un grand nombre de Berbers furent taillés en pièces. Hanzala revint alors à Kairewan, craignant qu'en son absence Abd el-Wahid ne vînt l'occuper. On raconte qu'à l'arrivée de ce dernier à Badja,[85] Hanzala envoya contre lui quarante mille cavaliers, sous le commandement d'un homme de la tribu de Lakhm, qui ne cessa pendant un mois de l'attaquer dans les fossés et les terrains inégaux qui entourent la ville ; mais il finit par être repoussé jusqu'à Kairewan, après avoir essuyé une perte de vingt mille hommes. Okasa vint alors, à la tête de trois cent mille combattants, et prit position à el-Asnam (les Idoles) de Djerâwa, lieu éloigné de trois milles de Kairewan. Hanzala, de son côté, tira des dépôts toutes les armes qui s'y trouvèrent, et fit un appel au peuple, donnant à chaque personne une cotte de mailles et cinquante dinars. Ce moyen lui attira tant de volontaires, qu'il diminua ensuite le don jusqu'à quarante dinars, puis jusqu'à trente, et il ne choisit plus que des soldats jeunes et valides.
Il passa toute la nuit entouré de flambeaux, et occupé de l'armement de ses recrues, dont cinq mille reçurent des cottes de mailles et cinq mille des flèches.[86] Dès le matin, les Arabes marchèrent au combat, après avoir brisé les fourreaux de leurs épées[87] ; les fantassins attaquèrent avec impétuosité la cavalerie ennemie, et gagnèrent du terrain[88] ; l'aile gauche des Berbers et celle des Arabes fléchirent en même temps ; mais cette dernière revint à la charge et renversa l'aile droite des Berbers, dont la déroute fut complète. Abd el-Wahid y perdit la vie, et sa tête fut portée à Hanzala, qui se prosterna pour remercier Dieu. On dit que jamais un conflit aussi sanglant n'eut lieu sur la terre, et que cent quatre-vingt mille Berbers restèrent sur le champ de bataille. Ces gens-là étaient safrites ; ils regardaient comme permis de répandre le sang (des musulmans), et de réduire leurs femmes en servitude. Hanzala se fit ensuite amener son prisonnier Okasa, et, l'ayant mis à mort, il écrivit à Hischam pour l'informer de sa victoire. El-Leith Ibn Saad disait de cette bataille : Après le combat de Bedr,[89] il n'en est pas d'autre que j'eusse plus désiré voir que celui d'el-Karn et el-Asnam.
Abd er-Rahman était fils de Habib, fils d'Abou Obéidah, fils d'Okba, fils de Nafî, de la tribu de Fihr. Lors de la défaite de Kolthoum, il s'était réfugié en Espagne, où il essaya sans relâche, mais infructueusement, de s'emparer du pouvoir. Enfin, lorsque Abou'l-Khattâb Ibn Dirar el-Kelbi eut été envoyé dans ce pays par Hanzala en qualité de gouverneur et que tous eurent reconnu son autorité, Abd er-Rahman, concevant des craintes pour sa sûreté personnelle, s'embarqua secrètement pour se rendre à Tunis, où il débarqua au mois de djoumada premier de l'an 127 (février 745 de J. C.). Il fit aussitôt un appel aux habitants, et les rallia sous ses ordres ; puis il alla camper à Sebkha, (le marais salé).[90] Dès lors les partisans de Hanzala voulurent marcher pour attaquer le rebelle ; mais ce chef les en empêcha, à cause de la répugnance qu'il éprouvait à répandre le sang musulman : pénétré de la crainte de Dieu, il passa sa vie dans la mortification des sens, et il ne croyait pas qu'il fût permis de se servir de l'épée excepté contre les infidèles et les safrites, secte qui enseignait que l'assassinat des musulmans était une chose légale ; mais il fit partir une députation composée des principaux personnages de la province d'Afrique, et chargée de faire renoncer Abd er-Rahman à sa tentative et de le ramener à l'obéissance. Quand ils se présentèrent pour remplir leur mission, Abd er-Rahman les chargea de fers et déclara qu'il les ferait mourir si quelqu'un des leurs osait même lui jeter une pierre. Cette menace produisit une impression profonde sur le peuple (de Kairewan), et Hanzala, en voyant leur découragement, appela le kadi et les hommes les plus distingués par leur piété et leur mérite pour l'accompagner au trésor public. Ayant ouvert ce dépôt, il prit mille dinars sans toucher au reste, et dit aux assistants : Je n'en prends que la somme que réclament mes besoins et qui m'est nécessaire pour parvenir à ma destination. Il quitta ensuite l'Afrique au mois de djoumada dernier 127 (mars-avril 746 de J. C.), et Abd er-Rahman Ibn Habib entra à Kairewan et ordonna par la voix d'un héraut que personne n'allât auprès de Hanzala, pas même pour l'escorter jusqu'à quelque distance de la ville. Alors Hanzala, dont le ciel exauçait toujours les prières, fit cette invocation : O mon Dieu ! ne souffre pas qu'Abd er-Rahman ibn Habib jouisse de son autorité usurpée ! Que ses partisans ne tirent aucun profit de cet attentat, et qu'ils répandent le sang les uns des autres ! Suscite, Seigneur, contre eux ce que tu as créé de plus méchant parmi les hommes ! Il prononça aussi des imprécations contre le peuple de la province d'Afrique, et il survint une épidémie pestilentielle qui dura sept années consécutives, excepté pendant de courts intervalles en été et en hiver.
L'historien dit ensuite : Lorsqu'Abd er-Rahman se trouva en possession du pouvoir, beaucoup d'Arabes et de Berbers se soulevèrent contre lui. Orwa ibn ez-Zobeir es-Sadefi[91] se révolta et s'empara de Tunis ; puis, les Arabes établis sur les bords de la mer (es-sazuz) se mirent en état d'insurrection. Ibn Attaf el-Azdi vint prendre une position menaçante à Tabinas; les Berbers se soulevèrent dans les montagnes ; Thabit es-Sonhadji (de la tribu berbère de Sonhadj) suscita une révolte à Badja et se rendit maître de la ville ; enfin, deux hommes, berbers de race et kharidjites de religion, l'un nommé Abd el-Djebbar, et l'autre El-Harith, prirent les armes aux environs de Tripoli. Abd er-Rahman marcha en personne contre eux tous, les défit les uns après les autres, soumit à l'obéissance le Maghrib entier et humilia l'orgueil de toutes les tribus (Berbers)[92] ; son armée fut toujours victorieuse, rien n'arrêta le progrès de ses étendards, et la terreur qu'il inspira fut partagée par tous les habitants du Maghrib. Il envoya ensuite des présents à Merwân ibn Mohammed, accompagnés d'une lettre dans laquelle il attribua à Hanzala des méfaits dont il ne s'était jamais rendu coupable, et il reçut de ce khalife, en réponse, sa nomination au gouvernement du Maghrib et de l'Espagne.
Quelque temps après l'élévation d'Abd er-Rahman, Merwân fut tué et le pouvoir des Abbasides s'établit sur les ruines de la dynastie Omeyade. Aussitôt Abd er-Rahman écrivit à Abou'l-Abbas es-Seffah pour reconnaître son autorité et il fit proclamer la souveraineté de la famille d'Abbas. Lorsqu'Abou Djâfer el-Mensour eut en main le souverain pouvoir, il envoya une lettre à Abd er-Rahman dans laquelle il l'engageait à se montrer un serviteur dévoué, et celui-ci répondit à son exhortation par un écrit renfermant l'assurance de sa fidélité. Il envoya aussi avec sa lettre un cadeau d'objets rares et recherchés, entre autres, des faucons et des chiens de chasse ; faisant savoir au khalife que toute l'Afrique professait l'islamisme, et qu'on avait cessé, par conséquent, d'y faire des esclaves, et qu'ainsi le khalife ne devrait pas exiger ce qu'on ne saurait lui donner. La lecture de cette communication excita la colère d'el-Mensour qui répondit à Abd er-Rahman par une lettre pleine de menaces. Un violent transport d'indignation s'empare aussitôt du gouverneur, il ordonne qu'on fasse l'appel à la prière ; et, quand le peuple est réuni dans la mosquée, il s'y rend lui-même, portant une robe de soie et chaussé de sandales. Montant alors en chaire, il célébra la gloire de Dieu et le loua de ses bienfaits ; il invoqua la bénédiction divine sur Mahomet le prophète, et se livra ensuite à des invectives contre Abou Djâfer el-Mensour. Je m'étais imaginé, dit-il, que ce tyran voulait propager et maintenir la vérité ; mais je viens de découvrir qu'il tient une conduite tout opposée à la vérité et à la justice, bien qu'il se fût engagé à les défendre, lors que je lui faisais serment de fidélité. Ainsi, maintenant, je le rejette loin de moi comme je rejette ces sandales. Alors, du haut de la chaire où il se tenait, il lança ses sandales au loin et ordonna qu'on lui apportât la robe d'honneur qu'il avait reçue d'el-Mensour ; ce vêtement, marqué de couleur noire, qui était celle de la livrée des Abbasides, fut porté pour la première fois dans la province d'Afrique, quand Abd er-Rahman fit la prière pour el-Mensour. Il fit déchirer cette robe en mille lambeaux, et il ordonna à son secrétaire, Khalid ibn Rabiâ, de dresser un acte de renonciation à l'autorité abbaside, destiné à être lu du haut de toutes les chaires de la province. Ces ordres furent exécutés.
Lors de la mort de Merwan ibn Mohammed, surnommé El-Himar, quelques Omeyades se sauvèrent par la fuite, et arrivèrent avec leurs familles dans la province d'Afrique, où ils s'allièrent, par mariage, à Abd er-Rahman et ses frères. Parmi ces réfugiés se trouvaient deux fils d'El-Welîd ibn Yézid ibn Abd el-Melik, dont l'un se nommait El-Kadi et l'autre El-Moumin. Ils avaient une cousine qui épousa El-Yas ibn Habib (frère d'Abd Rahman). Abd erRahman les logea dans l'hôtel (dur) de Schebba ibn Hassan ; mais, en même temps, il les guetta, afin d'entendre leurs discours. (Un soir) pendant qu'ils étaient à boire du nebid (du vin) et que leur page remplissait les coupes, El-Kadi dit à son frère : Comme Abd er-Rahman s'aveugle ! croit-il que nous le laisserons jouir en paix de l'autorité qu'il possède, nous qui sommes fils de khalifes ! Abd er-Rahman se retira aussitôt, sans être aperçu, et il donna l'ordre de les faire périr. Quand leur cousine en eut connaissance, elle dit à son époux El-Yas : S'il tue tes parents, tu encourras notre mépris ; vois, du reste, comme Abd er-Rahman a nommé son propre fils Habib pour lui succéder, tandis que c'est toi qui conduis ses armées et portes son épée, l'instrument de sa tyrannie ! Elle continua ainsi d'exciter El-Yas contre son frère, et une autre circonstance accrut cette animosité.
Chaque fois qu'il éclatait une révolte, Abd er-Rahman envoyait El-Yas pour la comprimer ; mais il attribuait ensuite à son propre fils Habib l'honneur de la victoire ; il avait aussi désigné Habib pour son successeur, ce qui porta El-Yas et son frère Abd el-Warith à projeter la mort d'Abd er-Rahman ; plusieurs des habitants de Kairewan, des Arabes et d'autres personnes entrèrent dans ce complot. Il fut décidé qu'El-Yas serait déclaré gouverneur, et que la prière publique se ferait au nom d'Abou Djâfer el-Mensour.
Pour accomplir ce projet, El-Yas alla une nuit, après la dernière heure du soir, trouver son frère et demanda à être introduit auprès de lui. Qui peut le ramener ici ? dit Abd er-Rahman, il vient déjà de prendre congé de moi avant de se rendre à Tunis. Il était, dans ce moment, en déshabillé, n'ayant conservé que sa robe intérieure, qui était de couleur rosé, et il tenait un de ses enfants sur ses genoux ; toutefois il reçut son frère, et pendant cette entrevue, qui dura longtemps, le troisième frère, Abd el-Warith, faisait, en cachette, des signes à El-Yas. Ce dernier se leva enfin pour se retirer et embrassa Abd er-Rahman, sous prétexte de lui dire adieu ; mais, pendant qu'il se penchait sur lui, il lui enfonça un poignard entre les épaules, de sorte que la pointe en sortit par la poitrine. Abd er-Rahman poussa un cri. Fils d'une prostituée ! dit-il, tu m'as assassiné. Il chercha alors à parer avec le bras un coup d'épée qu'El-Yas lui porta ; mais il eut la main abattue et il succomba couvert de blessures. L'assassin lui-même fut si troublé des suites de son propre forfait, qu'il s'enfuit de la chambre. Qu'as-tu fait ? lui dirent ses compagnons qui l'attendaient. — Je l'ai tué, répondit-il. — Retournes-y donc lui couper la tête ; autrement nous sommes tous perdus. Il se conforma à ce conseil ; mais déjà l'alarme était donnée, le peuple occupait les portes du palais, et, Habib, le fils d'Abd er-Rahman, ayant entendu ce bruit, se sauva de Kairewan et arriva le lendemain à Tunis, où il rejoignit son oncle Imran, fils de Habib. Les mewlas d'Abd er-Rahman vinrent alors, de tous côtés, se rallier autour d'eux, et El-Yas s'avança avec ses partisans jusqu'à Semendja pour leur livrer bataille. Habib et Imran allèrent à sa rencontre et se préparèrent au combat ; mais un accommodement s'effectua entre les deux partis, par suite duquel Imran garda le gouvernement de Tunis, de Satfoura[93] et de la péninsule (de Scherîk)[94] ; Habib conserva le commandement de Kafsa, Kastiliya et Nifzawa, et El-Yas obtint pour lui-même le reste de la province d'Afrique et le Maghrib. Alors, Habib s'en retourna à Kairewan et El-Yas accompagna son frère Imran à Tunis, où il le fit arrêter bientôt après, ainsi qu'Omer ibn Nâfi ibn Abi Obéidah el-Fihri, El-Aswed ibn Mousa ibn Abd er-Rahman ibn Okba et Ali ibn Katan; les ayant fait jeter tous dans les fers, il les embarqua pour l'Espagne, afin de les livrer à Yousef ibn Abd er-Rahman ibn Okba. Il retourna ensuite à Kairewan où il apprit des choses, sur la conduite de Habib, qui lui causèrent de vives appréhensions.[95] Cette découverte le porta à faire naître la désaffection parmi les sujets de son neveu, et il envoya aussi un agent auprès de lui pour le décider à se rendre en Espagne. Habib accueillit cette proposition et s'embarqua dans un navire fourni par El-Yas ; mais un vent contraire le força de rentrer au port. De là il écrivit à El-Yas pour l'informer que le mauvais temps l'avait mis dans l'impossibilité de partir ; mais, celui-ci, craignant le voisinage de son neveu, fit prévenir Soleïman ibn Ziad ar-Rœini, le gouverneur de l'endroit, de se tenir sur ses gardes (prévoyance inutile) : déjà les anciens mewlas (clients) d'Abd er-Rahman s'étaient ralliés à son fils ; ils se saisirent de Soleïman et le garrottèrent ; ils enlevèrent Habib aux troupes qui le gardaient, et, l'ayant conduit dans le pays ouvert, ils le proclamèrent leur chef et marchèrent sur la ville d'El-Orbes[96] dont ils prirent possession. Aussitôt qu'El-Yas eut appris ce qui venait d'arriver, il marcha contre son neveu. Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, Habib s'adressa à son oncle et lui dit : Ne souffre pas que notre querelle particulière devienne funeste à nos partisans et nos serviteurs dévoués ; car ce sont eux qui font notre force : avance plutôt toi-même, et qu'un combat singulier décide entre nous. De cette manière nous n'aurons plus rien à craindre l'un de l'autre ; si tu me tues, tu n'auras fait que m'envoyer rejoindre mon père, et si je te tue, j'aurai vengé sa mort. El-Yas hésita longtemps à accepter ce défi ; mais une clameur générale s'éleva contre lui : La proposition est très juste, s'écria-ton ; ne sois pas poltron, et que ta lâcheté ne t'expose pas, ainsi que tes enfants, à l'opprobre général. Il se décida donc à combattre, et les deux adversaires coururent l'un sur l'autre ; d'un coup d'épée El-Yas blessa Habib à travers ses habits et sa cotte de mailles ; Habib riposta en lui portant un coup qui le renversa de son cheval : sautant aussitôt à terre, il se jeta sur son oncle et lui coupa la tête. D'après ses ordres, cette tête fut élevée au bout d'une lance, et Abd el-Wârith s'enfuit avec ses partisans et chercha un refuge chez une tribu berbère nommée El-Werfadjjouma.[97] Habib entra alors dans Kairewan, en faisant porter devant lui la tête d'El-Yas, celle de Mohammed ibn Abi Obéidah ibn Nafi, l'oncle de son père, et celle de Mohammed ibn el-Mogheira ibn Abd er-Rahman, de la tribu de Koreïsch. A son arrivée, il eut la visite de Mohammed ibn Amr ibn Mosâb el-Fézari, qui avait épousé la tante de son père Abd er-Rahman ; il était venu féliciter Habib sur son succès ; mais celui-ci lui coupa la tête. Tous ces événements se passèrent dans le mois de redjeb 138 (décembre 755 de J. C.).
L'historien dit : Abd el-Warith arriva avec ses compagnons chez les Werfadjjouma, et il reçut l'hospitalité d'Aasim ibn-Djemîl, un des membres de cette tribu. Habib le somma, par écrit, de se rendre auprès de lui, et, sur son refus, il confia le commandement de la ville de Kairewan au kadi Abou Koreib Djamîl ibn-Koreib, et se mit en marche pour l'y contraindre ; mais Aasim vint lui livrer bataille et le força à prendre la fuite. Par suite de cet événement, la puissance des Werfadjjouma s'accrut au point que plusieurs des notables de Kairewan conçurent des craintes pour leur propre sûreté et entrèrent en correspondance avec eux. Aasim et son frère Mokrem marchèrent à la tête d'une armée composée de Berbers et de gens qui s'étaient ralliés à eux, et arrivèrent dans le voisinage de Cabes. De là ils se dirigèrent sur Kairewan, et à leur approche Abou Koreib sortit pour arrêter leur marche. Quand les deux partis se trouvèrent en présence, plusieurs habitants de cette ville s'avancèrent des rangs des Berbers et invitèrent leurs compatriotes à passer du côté d'Aasim. Aussitôt la majeure partie des troupes d'Abou-Koreib l'abandonna, et il se trouva obligé de rentrer dans la ville, où il fit une vigoureuse résistance, à l'aide d'environ mille combattants qui lui restèrent fidèles. C'étaient des personnes éminentes et des gens distingués par leur prudence ou par leur piété. Cependant les Werfadjjouma les attaquèrent avec vigueur, et Abou Koreib fut tué dans cet assaut, ainsi que ses compagnons, qui succombèrent tous en combattant. Les Berbers se trouvant ainsi maîtres de la ville, violèrent la sainteté des harems et se portèrent aux excès les plus horribles. Après cette victoire, Aasim alla camper dans un endroit nommé le Mosalla[98] de Rouh, et ayant confié le gouvernement de Kairewan à Abd el-Mélik ibn-Abi Djâda de la tribu de Nifzawa tsi, il alla attaquer Habib, qui se trouvait à Cabes. Habîb fut défait de nouveau et obligé de se réfugier dans le mont Aouras, où demeuraient les parents d'une tante de son père. Aasim le suivit de près et lui livra une nouvelle bataille ; mais cette fois il perdit lui-même la vie, ainsi que la plupart de ses compagnons. Habib se porta aussitôt sur Kairewan, et il mourut en combattant Ibn Abi-Djâda, qui était sorti pour s'opposer à sa marche. Ces événements arrivèrent dans le mois de moharrem de l'an 140 (juin 787 de J. C.). Ainsi s'éteignit la branche de la famille de Fihr, qui habitait le Magbrib. Abd er-Rahman ibn Habib gouverna dix ans et quelques mois ; son frère El-Yas n'exerça l'autorité que six mois. Quant à Habib, fils d'Abd er-Rahman, son règne ne fut que d'un an et six mois.
Plus loin, l'historien dit : Les Werfadjjouma, devenus maîtres de Kairewan, livrèrent aux tortures les plus cruelles et à la mort les membres de la tribu de Koreïsch qui y étaient restés ; ils logèrent leurs montures dans la grande mosquée même de la ville, et (par cette conduite scandaleuse) ils firent éprouver à leurs alliés de vifs regrets d'avoir coopéré à leurs succès.
Quelque temps après, ajoute l'historien, un Ibadite, que ses affaires avaient appelé à Kairewan, vit quelques hommes de la tribu de Werfadjjouma faire violence à une femme aux regards du public ; à cette vue, ne pensant plus au motif qui l'avait amené, il sort de la ville et va trouver Abou l-Khaltâb abd el-Alâ Ibn as-Semah el-Maafiri, auquel il raconte le fait dont il vient d'être témoin. Abou 'l-Khattâb s'élance aussitôt de sa tente en invoquant Dieu : Me voilà, dit-il, prêt à te servir, ô mon Dieu ! je réponds à ton appel. Ses amis lui arrivent de tous côtés, il marche sur Tripoli, s'en empare après en avoir expulsé Omar Ibn Othman le Koreischite. De là il se porte sur Kairewan et, ayant rencontré Abd el-Mélik Ibn Abi Djâda, qui vient avec les Werfadjjouma pour s'opposer à ses progrès, il lui livre bataille, le tue avec ses partisans, poursuit les fuyards, les extermine et s'en retourne prendre possession de Kairewan. Cet événement arriva au mois de safer de l'an 141 (juin-juillet 758 de J. C.). Les Werfadjjouma étaient restés maîtres de Kairewan pendant quatre mois. Ayant confié le commandement de la ville à Abd er-Rahman ibn Rustem, Abou'l-Khaltâb se rendit à Tripoli, d'où il étendit son autorité sur toute la province d'Afrique. Les choses demeurèrent en cet état jusqu'à l'an 144, alors que le khalife Abou Djâfer el-Mensour fit partir Mohammed ibn el-Aschâth, de la tribu de Kozaâ, pour prendre le gouvernement du pays. Abou'l-Khattâb et ses partisans étaient hérétiques (kharidjites) ; ils suivaient, les uns les doctrines des Safrites, et les autres celles des Ibadites.
Après le massacre des Arabes par les Werfadjjouma, rapporte notre historien, quelques-uns des survivants profitèrent du succès des Safrites pour se rendre auprès d'Abou Djâfer el-Mensour afin de solliciter du secours contre les Berbers. Au nombre de ces hommes se trouvaient Abd er-Rahman ibn Ziad ibn Anâm, Nafî ibn Abd er-Rahman as-Sélémi,[99] Abou'l-Bohloul ibn Obéidah et Abou'l-Irbad. Le khalife ayant entendu d'eux le récit de leurs souffrances, nomma Mohammed ibn el-Aschâth gouverneur de l'Egypte, et celui-ci envoya en Afrique Abou'l-Ahwas Amr ibn el-Ahwas, de la tribu d'Idjl. Ce nouveau général fut battu par Abou'l-Khattâb, en l'an 142, et Ibn el-Aschâth reçut alors d'el-Mensour l'ordre écrit de se rendre en personne en Afrique à la tête d'un corps de troupes que le khalife lui expédia. Il se mit en marche avec quarante mille cavaliers, dont trente mille khorasanites[100] et dix fournis par (les Djonds) de la Syrie. el-Mensour le fit accompagner par El-Aghleb ibn de la tribu de Temîm,[101] El-Moharib ibn Hilal, de la province de Fars, et El-Mokharik ibn Ghifar, de la tribu de Taï. Il enjoignit aux troupes d'obéir en toutes choses à Abou'l-Aschâth ; si quelque malheur arrivait à ce chef, elles devaient reconnaître El-Aghleb pour leur général ; si elles le perdaient, elles devaient se mettre sous le commandement d'El-Mokharik, et, à son défaut, elles prendraient les ordres d'El-Moharib. Mais ce dernier mourut avant leur arrivée en Afrique. A la nouvelle de l'approche d'ibn el-Aschâth, Abou'l-Khattab rassembla ses partisans et sortit, à la tête d'une multitude innombrable de combattants, pour se porter à sa rencontre. Arrivé à Sort, il rappela de Kairewan Abd er-Rahman ibn Rustem avec les troupes qu'il commandait. Il se trouva ainsi maître d'une force immense, et mit Ibn el-Aschâth, qui venait d'en être instruit, dans l'impossibilité de rien entreprendre. Mais bientôt la désunion se mit parmi les tribus berbères de Zenata et de Hewara ; quelques personnes appartenant à cette dernière tribu avaient tué un homme d'entre les Zenata, et un grand nombre de ceux-ci abandonnèrent Abou'l-Khattab, qu'ils soupçonnaient de partialité à l'égard de la tribu de Hewara.
Cet événement engagea un grand nombre de ses partisans à l'abandonner ; la nouvelle en étant parvenue à la connaissance d'Ibn el-Aschâth, lui causa une vive satisfaction, et il intercepta toutes les communications, afin d'empêcher Abou'l-Khattab d'être informé de ses opérations. Celui-ci revint ensuite à Tripoli, et de là il se rendit à Werdasa,[102] afin d'atteindre Ibn el-Aschath qui était entré à Sort. Quand ce dernier se trouva dans le voisinage de son adversaire, il dit à ses troupes qu'il venait de recevoir du khalife el-Mansour l'ordre de revenir en Egypte, leur laissant apercevoir la grande joie qu'il en éprouvait. Cette nouvelle ne tarda pas à devenir publique, et alors il rétrograda d'un mille. Abou'l-Khattab en eut connaissance, ainsi que son armée, et un nombre considérable de ses soldats se retirèrent (pensant que leur présence ne serait plus nécessaire). Le lendemain Ibn el-Aschâth rétrograda encore de quelques milles, feignant d'être embarrassé dans sa marche par ses bagages. Il en fit encore autant le troisième jour ; mais alors il choisit parmi ses troupes les hommes les plus robustes, et il marcha toute la nuit avec eux : au point du jour il tomba à l'improviste sur Abou'l-Khattab, dont l'armée était déjà en grande partie désorganisée. Au commencement de l'action un grand nombre des cavaliers d'Ibn el-Aschâth mirent pied à terre pour combattre. Les Berbers furent mis en déroute et Abou'l-Khattab périt avec la plupart des siens. Cette affaire eut lieu au mois de rébi premier de l'an 144 (juin-juillet 761 de J. C.). Cette bataille coûta la vie à quarante mille Berbers. Lorsque la nouvelle en parvint à Abd er-Rahman Ibn-Rostem, il alla se réfugier dans le lieu où il jeta alors même les fondements de la ville de Teihart.[103] Quand les habitants de Keirewan apprirent la chute d'Abou'l-Khattab, ils jetèrent dans les fers le lieutenant d'Ibn Rostem et ils mirent à leur tête Amr ibn Othman, de la tribu des Koreisch, en attendant l'arrivée d'Ibn el-Aschâth. Celui-ci venait d'entrer à Tripoli, dont il confia le commandement à el-Mokharik ibn Ghifar, de la tribu de Taï. Il envoya aussi Ismaïl ibn Akrema el-Khozai à la ville de Zawîla et aux environs, et celui-ci se rendit maître de ces pays, dont il extermina tous les Kharidjites qui s'y trouvaient. Ibn el-Aschath lui-même arriva à Kairewan le samedi 1er du mois de zou'l-kâda, et ordonna de relever les murailles de cette ville. Ce travail, commencé le samedi 10 du mois de djoumada premier, fut terminé dans le mois de redjeb 146 (sept.-oct. 763 de J. C.). Ibn el-Aschâth réduisit la province d'Afrique sous sa domination et s'attacha à exterminer tous les Berbers qui lui opposaient de la résistance. Cette manière d'agir les ayant frappés d'épouvanté, ils s'empressèrent de se soumettre à son autorité. Quelque temps après le bruit se répandit parmi la milice (djond) qu'il avait reçu une lettre de rappel du khalife el-Mensour, à laquelle il refusait d'obéir ; ce corps résolut unanimement de le renvoyer et de lui substituer un nommé Isa ibn Mousa, natif de Khorasan. Convaincu que toute résistance était inutile, Ibn el-Aschâth quitta le pays au mois de rébi premier de l'an 148 (mai 765 de J. C.). Isa ibn Mousa prit alors le commandement, sans l'autorisation du khalife et contrairement aux vœux du peuple ; car il n'avait reçu son pouvoir que des seuls chefs Modarites.[104]
L'historien rapporte qu'el-Mensour, ayant appris la conduite des Modarites, envoya à el-Aghleb, qui se trouvait alors à Tobna, l'investiture de la province d'Afrique. Il arrive à Kairewan au mois de djoumada second de l'an 148, et il en expulsa Isa ibn Mousa, ainsi que plusieurs des chefs Modarites, et tout rentra ainsi dans l'ordre. Plus tard Abou'l-Korra, soutenu d'une multitude de Berbers, se révolta ; mais el-Aghleb s'étant mis en marche avec tous ses généraux[105] pour l'aller combattre, il prit la fuite, et el-Aghleb s'avança jusqu'au pays de Zab. De là il voulait faire une expédition jusqu'à Telemsen et à Tanger ; mais ses troupes, ne s'accommodant pas d'une telle entreprise, se mirent à le quitter pendant la nuit en prenant la route de Kairewan ; de sorte qu'il ne lui resta plus qu'un petit nombre d'officiers. Pendant ces entrefaites el-Hasen ibn Harb el-Kindi (de la tribu arabe de Kînda), qui était à Tunis lorsqu'el-Aghleb allait combattre Abou’l-Korra, écrivit à plusieurs généraux sous les ordres de ce dernier : un certain nombre de ceux qui avaient abandonné el-Aghleb dans le pays du Zab étant venus se joindre à lui, et soutenu d'ailleurs par les généraux Bistam ibn el-Hodeil, el-Fadl ibn Mohammed et d'autres, il marcha sur Kairewan, où il entra sans éprouver la moindre résistance, et il fit jeter dans les fers Salim ibn Sewada, de la tribu de Temîm, lieutenant d'el-Aghleb, pendant que ce dernier était en expédition. Cette nouvelle étant parvenue à el-Aghleb, il se porta sur Kairewan avec le petit nombre de ceux qui lui étaient restés fidèles, et il écrivit à el-Hasen pour lui exposer les avantages de l'obéissance et les dangers de l'insoumission. Il en reçut une réponse que terminaient les trois vers suivants :
Va dire à el-Aghleb, de la part d'el-Hasen, une nouvelle qui retentira dans toutes les tribus.
Dis-lui que la tyrannie est pour lui un pâturage malsain, et qu'il lui arrivera malheur s'il ose s'y établir ;
Et s'il refuse de me demander la paix, qu'il vienne affronter mes lances et mes épées ![106]
Alors el-Aghleb se porta contre lui à marches forcées. Cependant, d'après le conseil de ses officiers, il se dirigea vers Cabès, et il essaya d'opérer une défection parmi les troupes de son adversaire. Il arriva ensuite à el-Aghleb un messager chargé par el-Mensour de se rendre auprès d'el-Hasen ibn Harb pour l'exhorter à rentrer dans le devoir ; mais il n'y réussit pas. Alors eut lieu un combat acharné qui amena la défaite d'el-Hasen et la mort d'un grand nombre de ses partisans. El-Aghleb entra à Kairewan et son adversaire se retira à Tunis, où il fit des levées considérables, et il marcha bientôt, à la tête d'une nombreuse armée, contre Kairewan. De son côté el-Aghleb rassembla les officiers de sa maison et ses amis intimes, et leur fit part de son intention d'attaquer el-Hasen en combat singulier, sans l'intervention de personne. A l'approche d'el-Hasen, el-Aghleb fondit sur lui ; en même temps son adversaire, à la tête des siens, charge vigoureusement son aile gauche ; mais il est repoussé, et el-Aghleb revint de nouveau à l'attaque en prononçant ces mots :
Il ne me reste qu'à enfoncer le centre ou à mourir.
Que la guerre me menace de ses flammes, elle ne fait qu'exciter mon ardeur !
Je veux mourir plutôt que fuir ![107]
Il dit, et chargea le centre de l'ennemi avec une impétuosité que rien n'arrêta ; mais il succomba à la fin, frappé à mort par une flèche. Cet événement eut lieu au mois de schaban de l'an 150 (septembre 767 de J. C.). L'historien raconte qu'à la chute d'el-Aghleb on s'écria : l'émir est mort ! et que mille voix le répétèrent. Il dit encore ailleurs : Salim ibn Sewada, qui commandait l'aile droite, dit à Abou'l Anbes, qui se trouvait à côté de lui : Je ne veux pas survivre à ce jour ; et qu'en même temps il se précipita sur l'ennemi, dont il fit un carnage affreux, et el-Hasen lui-même fut trouvé au nombre des morts.
(Hezarmard est un mot persan qui signifie mille hommes.) Quand el-Mensour apprit la mort d'el-Aghleb, il appela au gouvernement d'Afrique Omer ibn Hafs, homme distingué par sa bravoure et son courage, qui était l'un des fils de Kabîsa ibn Abi Sofra et neveu d'el-Mohelleb. Il arriva en Afrique au mois de safar de l'an 151 (mars 768 de J. C.), suivi de cinq cents cavaliers. Les principaux du pays étant venus se joindre à lui. Il leur fit des présents et les traita avec beaucoup de bonté, de sorte que les affaires se rétablirent et que la paix régna durant trois ans et quelques mois. Mais ce nouveau gouverneur reçut alors une lettre d'el-Mensour par laquelle il lui ordonnait de se rendre dans le pays du Zab pour rétablir la ville de Tobna.[108] Il s'y rendit, laissant le commandement de Kairewan à son lieutenant Habîb ibn Habîb ibn Yézid ibn el-Mohelleb ; et la province d'Afrique se trouvant ainsi dépourvue de troupes (djond), les Berbers se révoltèrent. Habîb sortit pour aller les combattre et perdit la vie. Les Berbers se rassemblèrent alors dans les environs de Tripoli et se choisirent pour chef Abou-Hatim-Yakoub ibn Habîb, mewla de la tribu de Kinda, le même que (les historiens) nomment Abou-Kadim. Celui qui gouvernait Tripoli (au nom d'Omer) se nommait el-Djoneid ibn Yessar, de la tribu d'Azd. Djoneid envoya contre les insurgés un corps de cavalerie, sous les ordres d'Hazim ibn Soleïman ; mais celui-ci fut défait et obligé de rentrer dans Tripoli, auprès du gouverneur. Alors el-Djoneid écrivit à Omer pour lui demander du secours, et celui-ci lui envoya quatre cents cavaliers, commandés par Khalid ibn Yézid el-Mohellebi. Ce renfort encouragea el-Djoneid à livrer bataille aux Berbers ; mais il éprouva une défaite et fut obligé, ainsi que Khalid, de se réfugier à Cabes. Dans ces circonstances, Omer ibn Hafs leur envoya Soleïman ibn Abbâd el-Mohellebi, à la tête d'une troupe de milices. Celui-ci rencontra Abou-Hazim près de Cabes ; mais il fut battu et obligé de se réfugier à Kairewan, où son adversaire vint le bloquer. Tandis que l'incendie de la guerre dévastait l'Afrique entière, Omer restait alors (inactif) à Tobna, où bientôt les Berbers, au nombre de douze armées, arrivèrent de toutes les contrées pour l'y assiéger. Abou-Korra le Safrite y arriva à la tête de quarante mille cavaliers ; Abd er-Rahman ibn Rostem l'Ibadite, avec quinze mille ; Abou-Hatim, autre chef ibadite, à la tête d'un nombre considérable ; Aasim as-Sedrati[109] l'Ibadite vint avec six mille cavaliers ; el-Meswarjij, chef ibadite de la tribu de Zenata, avec dix mille ; Abd el-Melik ibn Sokerdîd[110] le Safrite, de la tribu de Sonhadja, avec deux mille cavaliers, suivis d'un grand nombre d'autres encore. Omer n'avait à leur opposer qu'un faible corps de cinq mille cinq cents hommes. A la vue du danger qui le menaçait, il assembla ses généraux[111] et leur demanda s'il fallait aller à la rencontre de l'ennemi ; ils lui conseillèrent de ne pas quitter la ville. Il eut alors recours à la ruse pour détacher les Safiïtes de la coalition : il leur envoya un homme de la tribu de Miknasa nommé Ismaïl ibn Yakoub, auquel il avait donné quarante mille dirhams et un grand nombre de robes d'honneur, avec ordre de les offrir à Abou-Korra pour le déterminer à quitter ses alliés. Lorsqu'il lui présenta ces divers objets, Abou-Korra lui adressa ces mots : Pensez-vous que moi, qui suis honoré du titre d'imam depuis quarante ans, je puisse sacrifier à un misérable intérêt temporel, qui ne m'est du reste d'aucun avantage, le devoir sacré qui m'est imposé de vous faire la guerre ? Frustré dans sa tentative, l'envoyé se rendit auprès du fils d'Abou-Korra, ou, d'après une autre version, chez son frère, auquel il donna quatre mille dirhems et plusieurs robes, à condition qu'il engagerait son père à se retirer, ou, en cas d'insuccès près de celui-ci, qu'il amènerait les Safrites à retourner dans leur pays. Ces propositions furent acceptées, et pendant la nuit, sans perdre de temps, il agit en conséquence, de sorte que le lendemain Abou-Korra, voyant ses troupes parties, se trouva dans la nécessité de les suivre. Immédiatement après le départ des Safrites, Omer envoya quinze cents hommes, sous la conduite de Marner ibn Isa, de la tribu de Saad, pour combattre Ibn Rustem, qui se trouvait à Tehouda,[112] à la tête de quinze mille cavaliers. Une rencontre eut lieu, et Ibn Rostem, ayant éprouvé une défaite, se relira à Téhart. Omer partit alors pour délivrer Kairewan, après avoir confié le commandement de Tobna à el-Mohenna ibn el-Mokharik ibn Ghifar, de la tribu de Taï. Abou-Korra ayant appris le départ d'Omer, rassembla ses troupes et alla bloquer el-Mohenna à Tobna ; mais celui-ci fit une sortie, l'attaqua, le mit en fuite et pilla son camp. Il y avait déjà huit mois qu'Abou-Hatim assiégeait Kairewan, et le trésor de la ville, ainsi que les magasins de vivres, se trouvaient totalement épuisés. Pendant tout ce temps les assiégés (djond) furent obligés de combattre les Berbers chaque jour, du matin au soir ; et, pressés par la faim, ils s'étaient trouvés dans la nécessité de manger leurs montures et leurs chiens mêmes. Dans une pareille extrémité, les habitants de la ville commençaient à en sortir pour se réfugier dans le camp ennemi. A cette nouvelle, Omer, à la tête de sept cents miliciens, marcha sur Kairewan, et lorsqu'il fut arrivé à el-Orbos, les Berbers levèrent le siège et se portèrent à sa rencontre. Informé de leur approche, Omer se porta rapidement aux environs de Tunis, et les Berbers allèrent prendre position à Semendja.[113] Alors Omer sortit de Tunis et vint au puits d'es-Selama, où il effectua sa jonction avec (son frère utérin) Djemîl ibn Sakhr, qui arrivait de Kairewan. Omer entra dans cette ville et envoya sa cavalerie dans les environs pour chercher des approvisionnements en vivres, en bois et autres choses nécessaires ; il fit aussi des dispositions pour soutenir un siège : il forma un camp retranché à la porte d'Abou'r-Rebî où il établit ses milices. Alors arriva Abou-Hatim, à la tête d'une armée de cent trente mille hommes. Omer et les siens lui livrèrent un combat terrible ; mais, accablés par le nombre, ils furent obligés de rentrer dans leurs retranchements. De là ils sortaient chaque jour pour combattre l'ennemi, ce qui dura jusqu'à l'épuisement entier de leurs approvisionnements ; et les montures et les chats eux-mêmes leur servaient d'aliments. La position d'Omer devint très fâcheuse : ses soldats, découragés, commençaient déjà à désespérer du succès de leurs efforts. Dans une telle extrémité, il leur adressa ces paroles : Vous aviez déjà éprouvé les plus horribles souffrances quand Dieu a voulu vous en délivrer en partie par mon ci arrivée ; vous voyez maintenant la position où vous êtes ; je vous propose donc de choisir, pour vous commander, Djemîl ou Mokharite, et alors je ferai une incursion, avec un corps de milices, dans le pays des ennemis, afin d'enlever leurs familles, et de vous apporter des provisions. Ils acceptèrent unanimement les propositions de leur chef. Kairewan se trouvait alors entourée par trois cent cinquante mille Ibadites, dont trente-cinq mille cavaliers, les uns et les autres sous le commandement d'Abou-Hatim. Lorsque Omer se disposait à sortir de la ville, une grande agitation se manifesta parmi les siens. On lui disait : Tu veux sortir et nous laisser ici sous les coups d'un siège ; ne sors pas et reste avec nous. — Oui, répondit-il, je resterai, mais je ferai partir Djemîl ou Mokharik à la tête des hommes que vous aurez désignés ; ce à quoi ils consentirent. A l'instant même où ce détachement allait sortir de la ville, ceux qui le composaient lui dirent : Tu veux rester tranquille ici et nous faire sortir pour nous exposer au danger. Non, par Allah ! nous ne le ferons pas. — Soit, leur dit-il, outré de colère ; mais, par Allah ! je vous mènerai à l'abreuvoir de la mort ! Cependant le siège durait encore lorsqu'il reçut une lettre, de sa femme, Kholeida, fille d'el-Moarik, qui l'informait que le chef des croyants, se plaignant de sa lenteur, envoyait dans la province d'Afrique Yézid ibn Hatim, à la tête d'une armée de soixante mille hommes, et qu'en de pareilles conjonctures il ne lui restait plus qu'à mourir. — Il demanda à me voir, dit Khirasch ibn Idjlan ; en arrivant, je l'ai trouvé le front inondé de sueur, ce qui manifestait en lui un violent accès de colère. Pendant que je lisais la lettre de sa femme, je versais des larmes. Qu'avez-vous ? me dit-il. —Et vous-même ? Quel mal y a-t-il qu'un membre de ta famille vienne te délivrer et te rendre au repos ? — Oui, reprit-il, c'est un repos qui durera jusqu'au jour de la résurrection. Sois donc attentif à mes dernières volontés. Il me les dicta, et, sortant alors comme un chameau furieux, il se précipita sur les assiégeants, et ne cessa de frapper à coups de lance et à coups d'épée jusqu'à ce qu'enfin il reçût lui-même un coup mortel. Cet événement eut lieu le dimanche 15 du mois de zou'l-hidja de l'an 154 (fin d'octobre 771 de J. C.). A sa mort, Djemîl ibn Sakhr, son frère utérin et son successeur, continua la résistance ; mais le siège traînait tellement en longueur, qu'il chercha à faire la paix avec Abou-Hatim, aux conditions suivantes : qu'il n'exigerait pas des assiégés de renoncer à l'autorité de leur souverain ni à déposer le vêtement noir (la livrée des Abbasides) ; que les Berbers ne se vengeraient pas sur eux du sang déjà répandu ; qu'enfin aucun soldat de la milice ne serait obligé de se défaire de ses armes ni de sa monture. Ces conditions ayant été acceptées, Djemîl ouvrit les portes de la ville, et en même temps un grand nombre de miliciens partirent pour Tobna. Abou-Hatim mit le feu aux portes de la ville et démantela les murailles ; mais à la nouvelle de l'approche d'Yézid ibn Hatim, il partit pour Tripoli, laissant à Abd el-Aziz ibn es-Semh el-Maafiri le commandement de Kairewan. Ensuite Abou-Hatim lui envoya l'ordre de désarmer les miliciens, de les empêcher de se réunir deux dans le même endroit et de les lui envoyer un à un ; mais, encouragés par l'approche de Yézid ibn Hatim, ils tinrent conseil et s'obligèrent, sous les serments les plus solennels, à ne pas se soumettre à cet ordre. Ils allèrent ensuite trouver Omer ibn Othman el-Fihri[114] et lui proposèrent de le mettre à leur tête. Il accepta, et attaquant sur le champ les partisans d'Abou-Hatim, il les tailla en pièces. Ce dernier, en apprenant cette nouvelle, partit aussitôt de Tripoli pour aller châtier Omer ibn Othman. Bientôt s'engagea entre eux un combat dans lequel beaucoup de Berbers périrent. Omer, à la tête de ses compagnons, prit alors la direction de Tunis, lorsque Djemîl ibn Sakhr et el-Djoneid ibn Seiyar se retiraient en désordre vers l'orient. Abou Hatim se mit à la poursuite d'Omer ibn Othman, se faisant précéder de Djerîr ibn Mesoud, de la tribu berbère de Medyouna, à la tête de l'avant-garde. Celui-ci atteignit Omer à Djîdjel, dans le pays de la tribu de Kitama. Un combat s'en suivit. Djerîr et ses partisans y périrent, et Omer entra à Tunis, accompagné d'el-Mokharik. Abou-Hatim se rendit à Tripoli, où il resta jusqu'à ce qu'il apprit l'approche de Yézid ibn Hatim ; pendant ce temps Djemîl ibn Sakhr opéra sa jonction avec Yézid, qui était à Sort, où il séjourna quelque temps avant de marcher à la rencontre d'Abou-Hatim. On rapporte que, depuis la révolte des Berbers contre Omer ibn Hafs jusqu'à leur déroute complète, ils livrèrent aux milices trois cent soixante-cinq combats.
L'historien dit : Quand el-Mensour apprit la position d'Omer ibn Hafs et plus tard sa mort, il en éprouva un profond chagrin, et il fit aussitôt partir Yézid ibn Hatim, à la tête de trente mille des yens de Khorasan et soixante mille des gens de Basra, de Koufa et de la Syrie. Arrivé à Sort, il fut rejoint par Djemîl ibn Sakhr et par quelques milices qui avaient quitté Kairewan pour se rallier à lui. De là il marcha sur Tripoli, et Abou-Hatim l'Ibadite prit la route des montagnes de Nefousa[115] ; mais il fut atteint par l'avant-garde de Yézid, commandée par Salim ibn Sewada, de la tribu de Temîm. Ils combattirent avec acharnement, et Salim et les siens furent mis en déroute et se replièrent sur l'armée de Yézid. Cependant Abou-Hatim, effrayé des forces de son adversaire, choisit une position très forte et presque inabordable, dans laquelle il se retrancha avec son armée. Yézid arrive, l'attaque avec acharnement, force les retranchements, tue Abou-Hatim et ses principaux partisans, et met ses troupes en déroute. La cavalerie de Yézid s'élance à la poursuite des fuyards et en fait un horrible massacre. Trente mille d'entre eux restèrent sur le champ de bataille, et selon quelques-uns la milice ne perdit que trois (hommes). Ce combat fut livré le lundi 27 du mois de rabi premier de l'an 155 (commencement de mars 772 de J. C.). Yézid resta environ un mois sur le lieu du combat, et il envoya sa cavalerie à la poursuite des Kharidjites et les fit tailler en pièces partout où il les rencontra. Après cette bataille, il partit pour Cabès, où il entra le 20 du mois de djoumada premier (mai), et l'ordre fut partout rétabli. Il fit rebâtir la grande mosquée de Kairewan en l'an 157 (774 de J.-C.), et il établit dans cette ville des bazars pour chaque métier. Ainsi on pourrait dire, sans trop s'écarter de la vérité, qu'il fut le fondateur de Kairewan ; et ce pays ne discontinua pas de jouir de l'ordre et du repos jusqu'à la fin de ses jours. Il mourut au mois de ramadan de l'an 170 (mars 787 de J. C.), pendant le khalifat d'er-Reschid. Il était généreux, brave, clairvoyant, d'une libéralité extrême et connu dans, tout le pays par sa renommée. C'est lui qui disait :
La monnaie qui porte une empreinte ne s'habitue pas avec notre bourse ; elle n'y séjourne qu'un instant et reprend bien vite sa liberté.
Elle n'a fait qu'y passer, et la bourse la repousse. Je suis un homme que les richesses n'ont jamais pu empêcher de rester pauvre.[116]
Pendant qu'il était en Afrique, il fit plusieurs traits qui décelaient la noblesse de son caractère et l'élévation de son âme, et parmi les plus connus est celui-ci : un de ses intendants vint un jour Je trouver et lui dit qu'on avait offert une somme considérable des fèves qui avaient été semées dans la plaine de Kairewan. Yézid, sans rien répondre, ordonna à son premier intendant et à ses cuisiniers de se rendre dans ces champs, commandant à ses valets d'y dresser un grand nombre de tentes, et il s'y rendit ensuite lui-même avec ses amis pour y passer la journée et y prendre un repas. Etant sur le point de s'en revenir, il appela son intendant et lui fit infliger une punition en lui adressant ces paroles : Fils d'une prostituée ! tu veux que je sois déshonoré à Basra et qu'on dise que Yézid, fils de Hajtim, est un marchand de légumes ? Convient-il à un homme comme moi de vendre des fèves, scélérat que lu es ! Il donna ensuite l'ordre de laisser les champs ouverts à tout le monde ; il s'y rendit lui-même pour manger, boire et faire des parties de plaisir ; de sorte que bientôt tout fut dévasté. Voici une autre anecdote qu'on raconte de lui : étant allé un jour faire une promenade vers Moniat el-Kheil, il rencontra sur son chemin un nombreux troupeau de moutons et demanda à qui ils appartenaient. On lui répondit qu'ils étaient la propriété de son fils Ishak. Il le fit aussitôt venir et lui dit : Ces moutons sont-ils à toi ? —Oui, répondit-il. — Pourquoi en élèves-tu ? Il répondit : Je mange les agneaux, je bois le lait, je tire profit de la laine. —Si tu fais cela, reprit son père, rien ne te distingue des marchands de moutons ni des bouchers ; et il ordonna que ce troupeau fût livré au public ; de sorte que tout fut enlevé, égorgé et mangé. On en jeta les peaux sur une colline qui porte encore aujourd'hui le nom colline des peaux (kodyet el-djoloud). Il serait, du reste, trop long de rapporter ici tous les beaux traits de sa vie.
Dans sa dernière maladie, dit l'historien, Yézid nomma pour son successeur son fils Dawoud, qui prit le commandement à la mort de son père. Une révolte éclata aussitôt parmi les Berbers des montagnes de Badja ; elle fut suivie d'une autre des Ibadites à la tête desquels figurait Salih ibn Noseir, de la tribu berbère de Nifzawa. El-Mohelleb, fils de Yézid, attaqua ce dernier à Badja ; mais il fut défait et perdit un grand nombre de ses compagnons. Alors Dawoud envoya contre les Berbers Soleïman ibn As-samma ibn Yézid ibn Habib ibn el-Mohelleb, à la tête de dix mille cavaliers. Celui-ci livra bataille aux Berbers, les mit en déroute, les poursuivit et en tua plus de dix mille, sans que les milices sous ses ordres eussent éprouvé aucune perte. L'historien dit ensuite : Un grand nombre des chefs des Berbers se joignirent à Salih ibn Noseir ; mais Soleïman marcha contre eux, et, les principaux étant tombés sous ses coups, il revint à Kairewan. Dawoud continua à gouverner ta province d'Afrique jusqu'à ce que son oncle Roflh ibn Hatim y arrivât pour en prendre le commandement. Après avoir administré pendant neuf mois et quinze jours, Dawoud se rendit en Orient, où le khalife er-Reschîd le reçut avec distinction et mit entre ses mains le commandement de l'Egypte, et plus tard le gouvernement de Sind, où il mourut.
L'historien dit qu'après avoir appris la mort de Yézid ibn Hatim, er-Reschîd nomma au gouvernement du Maghrib Rouh ibn Hatim, le frère aîné de Yézid. Il arriva à Kairewan au mois de redjeb de l'an 171 (décembre ou janvier de l'an 788 de J. C.), à la tête de cinq cents cavaliers de milice, et il y fut bientôt rejoint par son fils Kabîsa ayant sous ses ordres quinze cents cavaliers. Pendant tout le temps de son administration il y régna une paix parfaite, les routes furent toujours sûres, et il sut inspirer aux Berbers une crainte salutaire ; il désira aussi très vivement de faire la paix avec Abd el-Wahhab ibn Rostem l'Ibadite, prince de Taïhort, le même dont les Wehbites tirent leur nom (et la paix fut faite).Les affaires ne cessèrent pas, pendant toute son administration, d'être dans un état très satisfaisant. Il gouverna l'Afrique sans interruption jusqu'à sa mort, qui arriva le 19 ramadan, l'an 174 (fin de janvier 791 de J. C.).
L'historien rapporte qu'à cause de sa vieillesse et de sa décrépitude, Rouh ibn Hatim avait l'habitude de s'abandonner au sommeil pendant les audiences publiques qu'il donnait. En conséquence, le maître de la poste aux chevaux[117] et le kaïd Abou'l-Anber écrivirent à Er-Reschîd pour l'informer de l'état du gouverneur, lui exprimant la crainte que leur inspirait l'éventualité de sa mort, qui pouvait arriver d'un jour à l'autre ; et que, la province se trouvant dans le voisinage de l'ennemi, le gouvernement ne saurait se maintenir sans un chef d'une grande énergie. Dans la même lettre, ils nommèrent Noseïr ibn Habib ; ils vantèrent sa sagesse et sa capacité administrative, ils parlèrent de sa popularité et proposèrent au chef des croyants de le nommer secrètement à la place de Rouh, en cas que quelque malheur atteignît celui-ci, et cela provisoirement. Cette recommandation décida Er-Reschîd à lui envoyer en secret sa nomination. A la mort de Rouh, la grande mosquée fut tendue de tapisseries pour l'inauguration de son fils Kabîsa, qui, s'étant assis, reçut du peuple assemblé serment de fidélité. Pendant que ces choses se passaient, le maître de poste et Abou'l-Anber montèrent à cheval et allèrent trouver Noseïr auquel ils communiquèrent la lettre qui le nommait au gouvernement de la province d'Afrique ; ils le saluèrent du titre d'émir, ils l'amenèrent à cheval, au milieu d'une escorte, à la grande mosquée. Là ils firent lever Kabîsa et mirent Noseïr à sa place ; ils donnèrent lecture au public de la lettre du khalife qui nommait Noseïr gouverneur, à l'autorité duquel tout le peuple s'empressa de se soumettre. Noseïr fit fleurir la justice, il gouverna le peuple avec bonté, et son administration dura deux ans et trois mois. Lors de la mort de Rouh, son fils al-Fadl était amil de la province du Zab, et lorsque la lettre d'Er-Reschîd, qui nommait Noseïr gouverneur, fut rendue publique, il alla trouver le khalife, et il ne cessa de lui faire la cour jusqu'à ce qu'il eût lui-même obtenu sa nomination pour la province d'Afrique.
L'historien dit que, lorsqu'Er-Reschîd eut nommé El-Fadl, il envoya des ordres écrits dans la province d'Afrique, dans le but de déposer Noseïr et de le remplacer par El-Mohelleb ibn Yézid, en attendant l'arrivée d'El-Fadl. Celui-ci arriva à sa destination au mois de moharrem 177 (avril ou mai 793 de J. C.). Il donna aussitôt le commandement de Tunis à son neveu El-Mogheira ibn Bosr, ibn Rouh. Ce dernier était d'une grande légèreté de caractère et avait l'habitude de montrer peu d'égards pour la milice, qu'il traitait d'une manière tout opposée à celle de ses devanciers, pensant que son oncle ne voudrait pas le destituer. Les milices, s'étant alors assemblées, écrivirent à El-Fadl pour l'instruire des mauvais procédés d'El-Mogheira à leur égard, ainsi que de la tyrannie de son administration ; mais, El-Fadl tardant à leur répondre, elles regardèrent cette négligence comme un nouveau grief à ajoutera ceux dont elles avaient à se plaindre de la part d'el-Fadl, qui ne les consultait pas et faisait tout de sa propre autorité. S'étant enfin réunies, elles se choisirent pour chef Abd Allah ibn el-Djaroud, surnommé Abdaweih auquel elles prêtèrent serment de fidélité, après avoir exigé de lui certains engagements. Elles cernèrent ensuite la maison d'El-Mogheira, qui leur fit demander ce qu'elles voulaient. Elles répondirent : Il faut que tu partes d'ici, toi et les tiens, pour aller rejoindre ton maître. Ibn el-Djaroud écrivit en même temps au gouverneur de la province : A l'émir El-Fadl, de la part d'Abd Allah ibn el-Djaroud. Ce n'est point par esprit de révolte que nous avons chassé El-Mogheira, mais seulement à cause de certains de ses actes qui auraient amené la ruine de l'Etat. Mettez donc à notre tête celui qui vous plaira, ou bien nous y aviserons nous-mêmes, et alors vous n'aurez plus de droits à notre obéissance. Adieu. El-Fadl leur répondit en ces termes : De la part d'El-Fadl ibn Rouh à Abd Allah ibn el-Dja rond. Le Dieu tout-puissant rend les jugements qui lui conviennent, et ce que les hommes veulent ou ne veulent pas lui est indiffèrent. Ainsi, que vous ayez un gouverneur de mon choix ou du vôtre, les volontés du ciel ne s'en accompliront pas moins à a votre égard. Je vous donne maintenant un autre gouverneur ; si vous le repoussez, ce sera de votre part une marque de rébellion. Adieu. En même temps il envoya à Tunis, pour gouverneur, Abd Allah ibn Yézid el-Mohellebi, accompagné d'En-Nodar ibn Hafs, d'Abou'l-Anber et d'El-Djoneïd ibn Seiyar. Lorsqu'ils furent arrivés aux portes de Tunis, les partisans d'Ibn el-Djaroud lui conseillèrent de les faire tous arrêter et emprisonner. Ils allèrent donc à la rencontre d'Ibn Yézid, fondirent sur lui, le mirent à mort et se saisirent de ses compagnons. Ibn el-Djaroud, ayant appris cet événement, leur dit : Ce n'était point pour cela que je vous avais envoyés à leur rencontre ; mais, puisque ce fait est accompli, je vous demande ce qu'il faut que nous fassions. Ils furent tous d'avis de répudier l'autorité légitime. Ils se livrèrent alors à des intrigues, et Mohammed ibn el-Farisi, le moteur principal des troubles, prit la direction des affaires d'Ibn el-Djaroud, et il écrivit aux chefs (qui se trouvaient sous les ordres d'El-Fadl) pour les séduire, promettant à chacun en particulier de lui conférer l'autorité supérieure. Ces sourdes menées compromirent la situation d'El-Fadl. Il en résulta des événements qu'il serait trop long de raconter, et une guerre qui eut pour résultat d'amener Ibn el-Djaroud et ses partisans à marcher contre Kairewan. Il attaqua El-Fadl, le chassa de la ville, et s'en rendit maître. Bientôt après, El-Fadl tomba au pouvoir d'Ibn el-Djaroud, qui voulait le retenir prisonnier ; mais les partisans de ce dernier lui firent observer que la guerre n'aurait pas de terme tant qu'El-Fadl vivrait (et qu'il fallait le mettre à mort). Mohammed ibn el-Farisi essaya, par ses conseils, de sauver la vie du prisonnier ; mais les autres révoltés se précipitèrent sur lui et le tuèrent. Ensuite Ibn el-Djaroud renvoya de l'Afrique El Mohelleb ibn Yézid, Nasr ibn Habib, et les. deux fils de Yézid, Khalid et Abd Allah.
Après la mort d'El-Fadl et la prise de Kairewan par Ibn el-Djaroud, dit l'historien, un des généraux, nommé Schemdoun, ayant appris le sort qui avait atteint El-Fadl, se proclama le vengeur de sa mort. Il se rendit à El-Orbos, où le général (al-kaïd) Felah ibn Abd er-Rahman el-Kilai se joignit à lui ainsi qu'El-Mogheira et d'autres ; il fut aussi rejoint par Abou Abd Allah Malik ibn el-Mondir, de la tribu de Kelb, gouverneur de Mila, qui arriva de cette ville à la tête d'un corps nombreux. Ils choisirent celui-ci pour les commander, et, beaucoup de monde s'étant réuni à eux, ils allèrent livrer bataille à Ibn el-Djaroud. Malik ibn el-Mondir périt dans ce combat, et ses partisans furent mis en déroute et poursuivis jusqu'aux portes d'el-Orbos. Pendant ces entrefaites, Schemdoun écrivit à el-Alâ ibn Saïd, qui était dans la province du Zab, de venir le rejoindre. Il vint en effet à El-Orbos se joindre à El-Mogheira, Schemdoun, Felah et les autres, et de là il marcha sur Kairewan ; mais, pendant qu'il se dirigeait vers cette ville, il rencontra Ibn el-Djaroud qui en était sorti pour aller au devant de Yahia ibn Mo usa, lieutenant de Herthema ibn Oaïn. Voici ce qui motiva l'arrivée de ce dernier : le khalife Er-Reschîd, ayant appris la révolte d'Ibn el-Djaroud contre El-Fadl et la ruine des affaires en Afrique, y envoya Yektîn ibn Mousa, qu'il avait choisi d'abord à cause de ses éminents services rendus aux Abbasides, du rang élevé qu'il occupait à la cour ; ensuite en raison de son grand âge et de la haute estime dont il était l'objet parmi les Khorasanites. Il lui conseilla d'employer la modération et l'adresse pour déterminer Ibn el-Djaroud à quitter le pays. Le khalife le fit accompagner par El-Mohelleb ibn Rafi, et y envoya plus tard Mensour ibn Ziad et Herlhema ibn Oaïn ; celui-ci devait être gouverneur du Maghrib ; mais il s'arrêta à Barca. Quant à Yektîn, il s'avança jusqu'à Kairewan, où il eut une longue entrevue avec Ibn el-Djaroud, auquel il communiqua les lettres du khalife. Après en avoir pris lecture, Ibn el-Djaroud parla ainsi : Je suis entièrement soumis au chef des croyants, et ce papier m'informe qu'il a nommé Herthema ibn Gain gouverneur de la province ; il est maintenant à Barra, et il va bientôt arriver. (Je dois cependant vous faire observer que) El-Alâ est à la tête des Berbers, et que, si je quitte la forteresse de Kairewan, ils en prendront possession, et plus tard ils mettront à mort El-Alâ. Alors jamais aucun gouverneur du khalife n'y mettra le pied ; de sorte que je me trouverai, moi, avoir frappé la ville de la plus grande calamité qui pût l'atteindre ; je vous propose donc d'aller à la rencontre d'El-Alâ, et si je succombe, la forteresse vous restera ; si, au contraire, je gagne la bataille, j'attendrai l'arrivée de Herthema, et me rendrai ensuite auprès du chef des croyants. Alors Yektîn (désespérant de l'amener à un accommodement) eut une entrevue avec son partisan Mohammed ibn Yézid el-Farisi, et lui promit un poste éminent, le commandement de mille cavaliers, de riches présents et un apanage dans tel lieu qu'il préférerait, à condition qu'il porterait la désorganisation dans les affaires d'Ibn el-Djaroud. Mohammed accepta cette proposition, et se mit sur-le-champ à indisposer, par ses trames, 'les esprits contre Ibn el-Djaroud et à engager les troupes à se remettre sous l'autorité du khalife. Ayant, en effet, cédé à ses exhortations, elles se joignirent à lui et se mirent en révolte contre Ibn el-Djaroud. Celui-ci marcha contre elles pour les combattre, et, lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, il dit à Mohammed ibn Yézid : Venez me parler, et soyons seuls afin que personne ne nous entende. Mohammed s'avança, et, pendant qu'il était absorbé par le sujet de la conversation, un nommé Abou Talib, qui avait été posté par Ibn el-Djaroud pour l'assassiner, fondit sur lui et lui porta, par derrière, un coup mortel dans les reins, au moment où il s'y attendait le moins. Saisis de terreur, ses compagnons prirent la fuite. Yahya ibn Mousa, lieutenant de Herthema, étant arrivé à Tripoli pendant ces entrefaites, présida à la prière de la fête des victimes et prononça le prône (khotba). Un grand nombre de chefs se rangèrent sous son autorité, qui s'en accrut considérablement. El-Alâ se porta alors sur Kairewan, et Ibn el-Djaroud, se voyant dans l'impuissance de lui résister, écrivit à Yahya de venir prendre possession de la ville, et il lui annonça, en même temps, qu'il était disposé à se soumettre à l'autorité du khalife. Yahya partit de Tripoli avec ses troupes au mois de moharrem de l'an 179 (avril 795 de J. C.), pour se rendre à Kairewan, et presque tous les miliciens de cette ville vinrent se joindre à lui lorsqu'il fut arrivée à Cabès. Ibn el-Djaroud, après avoir gouverné Kairewan sept mois, en sortit au commencement du mois de safer (mai), y laissant pour commandant Abd el-Melek ibn Abbas. En même temps, El Alâ ibn Saïd et Yahya ibn Mousâ tâchèrent de se devancer pour y arriver : Mais El-Alâ, y étant entré le premier, fit massacrer un grand nombre de partisans d'ibn el-Djaroud. Alors Yahya lui fit dire que s'il reconnaissait l'autorité du khalife, il devait congédier ses troupes. Il les renvoya, en effet, et, à la tête de trois cents de ses partisans dévoués, il partit pour Tripoli, où déjà l'avait devancé Ibn el-Djaroud. Alors celui-ci partit pour l'Orient, accompagné de Yektîn ibn Mousa, dans l'intention de se présenter devant Haroun er-Reschîd. L'historien ajoute que El-Ala écrivit à Mensour et à Herthema pour s'attribuer l'honneur d'avoir expulsé de la province d'Afrique Ibn el-Djaroud. Herthema, dans sa réponse, l'invita à se rendre auprès de lui, et lui donna une riche récompense ; et Haroun, ayant entendu parler de ses services, lui adressa un écrit au moyen duquel il toucherait cent mille dirhems, et cela indépendamment des robes d'honneur qui lui étaient destinées. Il mourut peu de temps après en Egypte.
Au commencement du mois de rébi second i79 (juin 798 de J. C.), dit l'historien, Herthema arriva à Kairewan, où il proclama une amnistie générale, et traita le peuple avec une grande douceur. Il bâtit, en l'année 180, le grand château de la ville de Monastîr ; il éleva aussi la muraille de Tripoli du côté de la mer. Cependant, à la vue de l'esprit d'opposition et de l'insoumission qui se manifestaient dans la province, il écrivit à Er-Reschîd pour lui demander un successeur, et il reçut son rappel en Orient, où il retourna au mois de ramadan 181 (novembre 797 de J. C.).
L'historien nous apprend que lorsque Herthema eut sollicité son rappel, le khalife Haroun nomma pour gouverner le Magreb son propre frère de lait Mohammed ibn Mokatil, qui arriva à Kairewan au mois de ramadan 181 (novembre 797 de J. C.). Par sa mauvaise administration, il jeta la perturbation dans les affaires, et il indisposa les milices contre lui en faisant des retenues sur leur paye, et en les tyrannisant ainsi que le peuple lui-même. Il en résulta que le général Felah se mit en révolte avec les troupes syriennes et khorasanites, et ils résolurent unanimement de se donner pour chef Morra ibn Makhled, de la tribu d'Azd. En même temps, le propre lieutenant d'Ibn Mokatil, Temmam ibn Témîm el-Témîmi, se révolta à Tunis contre lui ; et plusieurs des chois et des soldats syriens et khorasanites lui prêtèrent serment d'obéissance. Puis vers le milieu du mois de ramadan de l'an 183 (octobre 799 de J. C.), il marcha sur Kairewan, et Ibn Mokatil vint avec ses troupes lui livrer bataille dans les environs de Moniet el-Kheil. Après un combat acharné, Ibn Mokatil fut défait et rentra à Kairewan le mercredi 26 ramadan, et il obtint de Temmam la promesse que sa vie et ses biens seraient respectés, à condition qu'il quitterait le pays. Il partit cette nuit même pour Tripoli, d'où il se rendit à Sort ; mais il revint plus tard à Tripoli sur l'invitation écrite de quelques Khorasanites. En même temps, Ibrahim ibn el-Aghleb, indigné de la conduite de Temmam envers Ibn Mokatil, partit du Zab pour aller le combattre. A la nouvelle de son approche, Temmam évacua Kairewan, et Ibrahim y fit son entrée, et dans la lihotba d'usage, qu'il prononça dans la grande mosquée, il informa le peuple qu'Ibn Mokatil était encore leur maître. Il écrivit ensuite à Ibn Mokatil de revenir, et il revint. Temmam se mit alors à entretenir des correspondances avec les gens (de guerre), afin de les indisposer contre Ibn Mokatil ; et ils ne se montrèrent pas indifférents à ses menées ; de sorte que, ayant réuni une troupe nombreuse, il se flatta de pouvoir attaquer son adversaire Ibn Mokatil, auquel il adressa la lettre suivante : Ibrahim ibn el-Aghleb ne t'a pas rétabli. dans le pouvoir par reconnaissance pour les honneurs que vous lui avez accordés, ni pour cette soumission dont il fait parade ; mais bien dans la crainte qu'en apprenant qu'il est maître du pays, tu ne viennes le lui demander et le mettre ainsi dans la nécessité, soit de te le refuser, ce qui serait un acte de rébellion, soit de le livrer, ce qu'il ferait alors contre son gré. (Il a donc choisi un autre moyen :) c'est de t'inviter à venir, dans l'intention de t'exposer à des périls où tu dois trouver la mort ; car demain tu recevras de nouveau une leçon semblable à celle que tu as déjà reçue hier en te mesurant avec nous. Sa lettre était terminée par ces deux vers :
En te rendant la forteresse, Ibrahim n'agissait pas par esprit de dévouement, mais bien dans le but de te faire périr ;
Et si tu as assez d'intelligence pour pénétrer ses perfides desseins, ô Ibn Mokatil ! tu n'accepteras pas.[118]
Après avoir lu cette lettre, Ibn Mokatil la communiqua à Ibn el-Aghleb, qui dit en riant : Dieu l'a donc maudit ! car c'est la seule faiblesse de son esprit qui a pu l'amener à écrire de pareilles choses. Ibn Mokatil répondit en ces termes à sa lettre : De la part d'Ibn Mokatil au traître Temmam. J'ai reçu ta lettre, et son contenu m'a prouvé ton peu de jugement ; j'ai compris ce que tu as dit d'Ibn el-Aghleb. Dans le cas même où ton avertissement serait sincère (je ne puis en tirer profit), car celui qui a trahi Dieu et son prophète, et qui est du nombre des réprouvés, n'est pas de ceux que l'on prend pour conseillers ; et si ce que tu me dis est une ruse, sache que c'est une bien mauvaise ruse que celle dont on s'aperçoit. Quant à tes insinuations au sujet des intentions secrètes qui ont porté Ibrahim à reconnaître mon autorité lorsque nous nous sommes rencontrés, je jure par l'âme de mon père que tu les connaîtras ! car c'est à Ibrahim lui-même que tu auras affaire. Tu me dis que j'éprouverai demain, en te rencontrant, ce que j'ai éprouvé hier ; mais sache que la guerre est un véritable jeu de bascule, et qu'avec l'aide de Dieu ce sera demain mon tour de remporter la victoire. Cette lettre finissait par les deux vers suivants :
Lorsque tu rencontreras Ibn el-Aghleb au jour du carnage, tu seras inévitablement défait, et tu périras.
C'est alors que tu auras rencontré un brave qui, dans le fort de la mêlée, marche précédé de la mort, et qui soutient avec sa lance une gloire héréditaire.[119]
Dans ces circonstances, Temmam sortit de Tunis à la tête d'une armée innombrable, et Ibn Mokatil ordonna à tous ceux qui lui étaient dévoués, de marcher à sa rencontre pour lui présenter la bataille, et il les mit sous le commandement d'Ibrahim ibn el-Aghleb. Un combat s'engagea, Ternmam fut poursuivi jusqu'à Tunis, et il perdit, dans cette affaire, un grand nombre de ses partisans.
Ibn el-Aghleb retourna ensuite à Kairewan ; mais il reçut l'ordre de revenir à Tunis pour combattre Temmam. Cet événement se passa dans le mois de moharrem 184 (février 800 de J. C.). En apprenant qu'il s'approchait, Temmam lui écrivit pour lui demander grâce, et il l'obtint. Ibn, el-Aghleb arriva à Kairewan avec Temmam le vendredi 8 du même mois ; et, lorsqu'il eut le pouvoir en main, il envoya Temmam à Bagdad avec d'autres chefs des milices dont le métier était de se révolter contre l'autorité établie ; et là ils furent tous jetés dans la prison d'état (matbek). L'historien nous apprend plus loin qu'Ibn Mokatil conserva l'autorité à Kairewan jusqu'à ce que, ayant été déposé par le khalife er-Ischîd, il fût remplacé par Ibrahim ibn el-Aghleb, comme nous Talions dire dans l'histoire de la dynastie des Aghlabites.[120]
[1] Schihab ed-Din Ahmed ibn abd el-Wehhab appartenait à la tribu de Bekr, qui est une branche de celle de Teim, et naquit en Egypte au village d’en-Noweira, dans la province de Behnesa. Il mourut l'an 732 ou 733 de l'hégire (1331-2-3 de J. C). Parmi les ouvrages qu'il a laissés, le plus célèbre est sa grande encyclopédie intitulée : Nihayet el-areb fi fonoun el-adeb, c'est-à-dire « le but des efforts touchant les différentes branches des belles-lettres. » Cette immense compilation est divisée en cinq sections ou fenn, dont chacune renferme plusieurs parties ; on en trouvera l'indication détaillée dans les Prodidagmata de Reiske. Voy. le Tabula Syriœ de Koehler, p. 232. La cinquième section comprend la partie historique, et c'est le sixième chapitre de la cinquième partie de cette section que je donne ici. C'est une des meilleures portions de l'ouvrage, et on reconnaît que l'auteur a puisé à des bonnes sources. Les extraits qu'Otter et Cardonne en ont faits ne suffisent malheureusement pas pour donner une juste idée de l'ouvrage, et j'ai pensé qu'une traduction exacte et complète pourrait seule servir à en faire apprécier le vrai mérite.
Cette traduction est faite d'après les manuscrits de la Bibliothèque du roi nos 702, 702 A et 638. Le n° 702 est très bien écrit, mais le copiste a souvent supprimé les points diacritiques ; en bien des cas aussi il les a mal placés par inadvertance. Cardonne s'est servi de ce manuscrit, mais il ne paraît pas qu'il se soit aperçu de l'absence de trois feuillets vers le commencement, lesquels renfermaient une portion de l'histoire des Aghlebites. Il semblerait, d'après une note écrite à la fin du volume par le copiste lui-même, que cet exemplaire aurait été transcrit par la main de l'auteur ; on y remarque cependant des incorrections si étranges qu'on a de la peine à les attribuer à un homme si instruit qu'En-Noweïri. Le ms. n° 702 A est composé d'un nombre de cahiers écrits de différentes mains, et renfermant des portions de la cinquième section. Un fragment considérable contient la plus grande partie de l'histoire des Aghlebites, et comble les lacunes du n° 702. Le man. n° 638 est composé des t. II et V de la chronique d'Ibn Shâkir, intitulée : Oiyoun et-tewarikh ; mais, sur les marges d'un grand nombre de ses feuillets, on remarque des longs extraits de l'ouvrage d'En-Noweïri, écrits en écriture taalik et très lisibles. Une portion très considérable de l'histoire de l'Afrique s'y trouve, à commencer du fol. 27 du cinquième volume ; et cet extrait m'a été d'un grand secours pour corriger les fautes des deux autres manuscrits. Les deux volumes dont ce numéro se composait viennent d'être reliés séparément.
N. B. : Les notes du traducteur ne sont pas reproduites intégralement.
[2] Telle est la vraie prononciation du nom que les auteurs européens écrivent Amrou ibn As.
[3] A la lettre : tant que mes yeux porteront des larmes.
[4] Le général des musulmans. On verra cependant que ce fut Abd-Allah ibn Saad qui commandait en chef.
[5] Dans le ms. n° 638, on lit de Morr.
[6] J'adopte l'orthographe donnée par Es-Soyouti dans son dictionnaire géographique, le Merasid el-ittila. — L'un des manuscrits d'Ibn Noweïri porte el-Harb et l'autre el-Harf.
[7] Le ms. n° 702 porte Merwan.
[8] Mohammed ibn Schihab ez-Zohri, célèbre rapporteur d'anciennes traditions, mourut vers l’an 124 de l’hégire. Sa vie se trouve dans le Dictionnaire biographique d’Ibn Khallikan, texte arabe, tome I, p. 632 de mon édition.
[9] C’est-à-dire, il bloqua la ville pour l’affamer.
[10] Ceci est manifestement une exagération : le narrateur, qui paraît avoir été un simple soldat de l'expédition, ne devait pas être bien instruit du nombre des ennemis.
[11] Règle générale : quand un écrivain arabe rapporte un récit ou donne un extrait d'un autre auteur, il le fait précéder du mot (dixit) ; et chaque fois qu'il en supprime un passage ou qu'il ajoute de ses propres observations, il a soin, en reprenant sa citation, de la commencer par ce même mot.
[12] Dans le man. 638 ce nom est écrit Yakouba.
[13] A la lettre : et la guerre déposait ses fardeaux ; expression assez souvent employée par les écrivains arabes.
[14] On sait que les troupes grecques portaient une croix en guise de drapeau.
[15] Le droit du souverain sur le butin est d’un cinquième ; tout le reste appartient à l’armée. Le quint réservé au souverain n’est proprement ni pour lui, ni pour le trésor public : il est au profit des pauvres. — D’Ohsson, Tableau général de l’empire ottoman, code militaire.
[16] Ceci paraît une exagération. S’il s’agissait de dirhems, ou pourrait l’admettre.
[17] Ceci est probablement le même lieu que l’Edrisi nomme Mar madjina. Ce lieu doit être situé dans le voisinage de Ribsa. Voyez aussi El-Bekri, Notices et Extraits, t. XII, p. 597.
[18] La plaine des roseaux.
[19] En arabe, ce qu’ils avaient attrapé ; s’il se fût agi non pas du butin , mais d’une terre conquise, l’auteur aurait écrit différemment. — En traduisant ce passage, Cardonne a commis une erreur que M. Saint-Martin a négligé de relever dans ses notes sur l’histoire du Bas-Empire.
[20] Le ms. n° 702 porte Aoulima.
[21] Dans le ms. n° 702 on lit Elatilion et dans le n° 638 Elatérion.
[22] M. Saint-Martin a cru que ce fut Moawia qui mourut à Alexandrie. Par suite de cette méprise, il a fait des changements au texte de l'Histoire du Bas-Empire de Lebeau, t. XI, p. 396 et 397, lesquels changements sont autant d'inexactitudes.
[23] A la lettre : et cela devint guerre après avoir été feu.— Cette expression proverbiale renferme une allusion à une coutume des anciens Arabes : ils allumaient du feu sur une colline pour annoncer que la guerre était imminente. Voyez Rasmussen, Additamenta ad hist. ar. p. 68.
[24] Milices, en arabe djond. Après la conquête de la Syrie par les premiers musulmans, ce pays fut partagé en cinq arrondissements militaires (djonds), dans lesquels les troupes arabes furent cantonnées. — Dans la traduction de la Géographie d'Aboulféda, maintenant sous presse, M. Reinaud a traité des djonds dans une note à laquelle je renvoie le lecteur.
[25] On verra plus loin que la ville de Kairewan fut bâtie sur l'emplacement d'une forteresse grecque nommée Kamounia.
[26] La bien arrosée, en arabe el-memtour.
[27] Je lis ce mot ainsi Nigfour.
[28] Le man. n° 638 porte Sentirt. et le n° 702 Santabarta. Voy. Procope, de Aedificius, éd. de Venise, p. 472.
[29] A la lettre : aussitôt que l’ombre se penchait ; c’est-à-dire que les ombres projetées par le soleil se penchaient vers l'orient.
[30] El-Beladori, l'auteur du Livre des conquêtes faites par les musulmans, mourut vers l'an 279 de l'hégire. M. Hamaker a donné une notice sur cet écrivain dans son Specimen catal. Lugd. Bat. p. 7.
[31] L'histoire de Sicile par En-Noweïri a été traduite en français par feu M. Caussin.
[32] Les historiens cités par En-Noweïri dans cette partie de son ouvrage sont Ibn el-Athir, Ibn Scheddad, Ibn er-Rakik et Ibn Reschik. Le premier est l'auteur de la chronique célèbre, le Kamil ; le second était un descendant des Zirites, souverains de la province d'Afrique ; il se nommait, selon en-Noweïri, Abû Mohammed abd el-Aziz, fils de Scheddâd, fils de l’émir Temîm, fils d’Al-Mo’izz, fils de Badis ; il est auteur de l’ouvrage intitulé : EI-jamo wel-beian, c’est-à-dire Collection et explication touchant l'histoire du Maghreb et de Kairewan. Quant à Ibn er-Rekik, qu'on ne doit pas confondre avec Ibn Reschik, il se nommait le katib ou écrivain, Abou Ishak Ibrahim ibn er-Rekik, et son ouvrage, l'Histoire d'Afrique et de Kairewan, a été mis à contribution par En-Noweïri, Ibn Khaldoun, Léon l'Africain et el-Makkari. — Ibn Reschik a composé aussi un ouvrage sur le même sujet ; sa vie a été donnée par Ibn Khallikan : voyez t. 1, p. 195 de mon édition de ce biographe.
[33] Il veut dire une personne revêtue de l'autorité spirituelle et temporelle ; tels étaient les généraux de ce temps-là quand ils agissaient comme délégués du khalife.
[34] Selon Ibn Khallikan, Kairewan fut ainsi nommé parce qu'une caravane, kirwân, avait fait halte sur le lieu où la ville fut bâtie plus tard.— Voyez mon édition d'Ibn Khallikan, t. I, p. 19 du texte arabe, et t. I, p. 35 de la traduction. Il restera toujours à expliquer comment le mot persan kirwan aurait été connu et usité en Afrique.
[35] En-Noweïri donne ce conte sur l'autorité des historiens qu'il a consultés ; il faut donc reconnaître que les traditions arabes, d'après lesquelles ces historiens ont travaillé, avaient reçu une forte teinture du romanesque avant de leur parvenir.
[36] La kibla veut dire le côté de l'horizon qui est dans la direction de la Mecque. Il faut connaître la kibla pour orienter une mosquée, et pour savoir de quel côté se tourner pour faire la prière.
[37] Le mihrab est une niche pratiquée dans le mur de la mosquée et dans l'intérieur de l'édifice ; il sert à marquer la direction de la kibla.
[38] Moslema, le patron d'Abou'l-Mohadjir, était un de ces Médinois qui avaient aidé Mahomet, et qui reçurent pour cette raison le titre d'Ansars (aides). Voyez le Telkih d'Ibn el-Djewzi, man. n° 631 ; on y trouve les noms de tous les Mohadjirs et des principaux Ansars.
[39] Melisch, telle est la leçon du man. n° 702 ; le ms. n° 638 porte Lemisch.
[40] Il s'agit ici du célèbre personnage connu sous le nom du comte Julien. On a élevé des doutes sur la prononciation de ce mot, et on a cru y reconnaître la transcription d'Elien. ou Aelian. Dans le manuscrit n° 706 de la Bibl. du roi, on lit Youlian, ce qui me porte à croire que l'ancienne prononciation est correcte.
[41] Okba savait son Koran, et les aventures de Zou'l-Karnein lui étaient familières. Ce conquérant pénétra dans l'occident jusqu'au lieu du coucher du soleil, et il le vit descendre dans un puits rempli de boue noire. Cette histoire authentique est racontée dans la sourate de la Caverne, à commencer du verset 72.
[42] Chaque réka est composé d'un certain nombre de prières, invocations et prostrations. (Voyez d'Ohsson, Tableau général de l'empire othoman. t. II, p. 82.)
[43] Abou Obeïd el-Bekri donne une description de ces deux villes ; voyez Notices et Extraits, t. XII, p. 531.
[44] El-Aorbi, membre de la tribu berbère d'Aorba. Aorba fut fils de Bernés, fils de Berr.
[45] Le poète Abou Mihdjen fils de Hobeib de la tribu de Thakîf, fut un des compagnons de Mahomet. On n’est pas d’accord sur son véritable nom ; les uns l’appellent Abil Allah et les autres Malik. Il fut tellement adonne au in, que le khalife Omer lui fit donner la bastonnade plusieurs fois et finit par le mettre en prison. Abou Mihdjen parvint enfin à s’évader, et alla joindre l’armée de Saad ibn Ahi Wekkas quelque temps avant la bataille de Kadisiya ; mais ce général reçut bientôt une lettre d’Omer, qui lui ordonna de mettre Abou Mihdjen dans les fers à cause de sa conduite scandaleuse. Au jour de la bataille, le poète désirait ardemment y prendre part, et prononça, en se lamentant, les deux vers cités ici par En-Noweïri. La femme de Saad l’ayant entendu, le débarrassa de ses liens et lui fournit un cheval et une lance. Abou Mihdjen courut au combat, et, par des traits d’une rare prouesse, s’attira les regards du général, lequel fut si content de sa conduite qu’il lui donna la permission de boire du vin tant qu’il en voudrait. Abou Mihdjen lui répondit : « J’en buvais dans le temps où je ne craignais d’autre punition que la bastonnade ; mais maintenant que c’est à Dieu seul que je dois en répondre, je n’en boirai plus. » Ce poète fut enterré à Djordjan ou Aderbidjan. — (Es-Soyouti, Scher shewahid el-Moghni. man. de la Bibl. du roi, n° 1238, fol. 26.)
[47] En garnison (morabit) ; le not morabit désigne celui qui demeure dans un ribat Le ribat était une espèce de caserne fortifiée, et toujours située sur la frontière ennemie. Comme la guerre contre les infidèles est un devoir pour les musulmans, beaucoup d’entre eux recherchaient la faveur divine en faisant une retraite religieuse dans un de ces établissements, où on passait dans la dévotion le temps qui n’était pas employé à combattre l’ennemi. Ibn Haukal a donné deux bonnes notices sur les ribats, qu’on trouvera reproduites dans notre édition du texte arabe de la Géographie d’Aboulféda, p. 235, 487. Voyez aussi ma traduction d’Ibn Khallikan, t. I, p. 159.
[48] Probablement quelques chefs (le ces tribus qui étaient alors établies dans les djonds ou arrondissements militaires.
[49] Soit parce que leurs chevaux avaient été mis hors de combat soit pour montrer qu’ils ne voulaient pas reculer.
[50] Karthadjinna est la transcription arabe du mot Carthagini.
[51] Mont Auras, l'Aurasius de Corippus et l’Αυρασίον de Procope.
[52] Es-Soyouti fait mention de cette rivière dans son dictionnaire géographique, le Merasid el-ittila ; il dit seulement que c'est une rivière du Maghrib. On voit sur la carte de l'Algérie par le lieutenant général Pelet, que le lieu nommé Niny est situé à environ deux lieues au sud-est de Beghaiya. C'est le Neeny de Shaw.
[53] Le mot signifie « garçon, domestique, jeune esclave blanc ou mamlouk ».
[54] Castîliya est la province dont Touzer est la capitale. Cette ville est placée sur la carte du lieut. général Pelet en lat. 33° 21’, et en long. 6° 15’.
[55] Voyez El-Bekri, Notices et Extraits, p. 503, et l'Edrisi, t. I, p. 254.
[56] Le participe passif renferme souvent l'idée d'un temps futur, ou plutôt il indique que l'action exprimée par le verbe doit être faite ou mérite d'être faite.
[57] L'arabe dit : « Il avait avec lui, en fait de prisonniers, trente-cinq mille têtes ».
[58] Telle est l'orthographe ponctuée des manuscrits d'En-Noweïri, d'Ibn el-Goutiya, de l'Histoire d'Espagne par Ibn el-Abbâr el-Kodai, du Silat d'Ibn Beschkowal, du Nujoum ez-Zahira d'Abou'l-Mehasin, etc.
[59] Abou'l-Harith el-Leith Ibn Saad, célèbre docteur de la loi, naquit en Egypte l'an 92 de l'hégire ; il mourut en 175. Il possédait de grandes richesses dont il faisait un noble emploi ; il maria une de ses filles à Ibrahim Ibn el-Aghleb, le premier prince de cette dynastie. Sa vie se trouve dans le dictionnaire biographique d'Ibn Khallikan. (Voyez t. 1, p. 613 de mon édition du texte arabe de cet ouvrage.)
[60] Voyez El-Bekri, p. 506, et l'Edrisi, t. I, p. 269.
[61] Le man. n° 638 porte Bischr ibn Artâ ; si cette leçon est admise, il faut prononcer ce nom Bosr, et non pas Bischr. Abou'l-Mehasin le dit positivement dans son El-Bahr ez-Zakhir, man. de la Bibl. du roi, n° 659 A, sous l’année 41.
[62] Le terme mewla désigne également l'esclave et le maître, l'affranchi et le patron ; mais Tarik était encore esclave.
[63] Je supprime ici la matière d'environ deux pages d'impression, ne voulant pas reproduire un ramas de fables et d'erreurs qu'Ibn el-Athir donne comme une esquisse de l'ancienne histoire d'Espagne ou Andalos, comme les Arabes l'appellent. Il y a cependant un passage qui mérite attention ; il dit que ce pays tire son nom, soit d'Andalos fils de Japhet, soit d'un peuple nommé Andalos (Vandales) qui s'y établit. Cette dernière dérivation est plus raisonnable que celle donnée par Casiri, qui veut que ce nom vienne du mot arabe-handalos, signifiant, selon lui, regio vespertina et tenebrosa, atque etiam occidentis finis. En cela il se trompe singulièrement, car, selon le lexique arabe intitulé le Kamous, ce mot, qui doit se prononcer handalis et non pas handalos. signifie « une femelle de chameau qui marche lourdement et dont la chair est lâche et pendante, ou bien aussi « une femelle de chameau de bonne race. » Il y aurait bien des passages semblables à relever dans la Bibliotheca Arabica. Pour en revenir a Ibn el-Athir, je dois dire que les renseignements donnés par lui et beaucoup d'autres historiens musulmans, sur les événements antérieurs à l'islamisme, ne méritent que peu de confiance. Dans leur ignorance de la matière, les Arabes acceptèrent aveuglément toutes les fables que les Guèbres, les juifs et les chrétiens leur débitaient ; et quand on trouve un écrivain de cette nation se montrer bien instruit de l'histoire des anciens, on peut être presque assuré qu'il a tiré ses connaissances de l'ouvrage d'Orose ou de la Bible.
[64] Ibn el-Koutiya parle de trois fils qu'il nomme Alamond, Romlo, et Artobas. (Man. n° 706, fol 1.)
[65] Ce nom est estropié dans les manuscrits.
[66] El-djezirat el-Khadrâ, l'île verte. Ce lieu est appelé à présent Algésiras.
[67] A la lettre : « son œil le vainquit. »
[68] Nahr Leka ; peut-être Wadi Léka (Guadalete). Ibn el-Koutiya l'appelle Wadi Bekka, et l'auteur anonyme de la Conquête de l'Espagne dit que le combat eut lieu près du lac (Man. n° 706, fol. 3 et 52.)
[69] Le man. 702 porte esbeja ; dans Ibn el-Koutiya et dans l'auteur anonyme, on lit estidja.
[71] Dans l'absence du khalife, son lieutenant présidait à la prière du vendredi. Ce devoir fut donc une attribution spéciale aux gouverneurs de province, a. moins que le kadi ne fût chargé de la remplir ; mais cela n'était qu'un cas exceptionnel.
[72] Ali ez-zimma. Les juifs, les chrétiens et les sabéens rentrent sous cette dénomination.
[73] Ce fut à la bataille de Siffîn qu’Abou’l-Aawer commandait la cavalerie de Moawia. (Voy. Price, Retrospect of muhammedan history, t. I, p. 263 et suiv.)
[74] Agent, en arabe aamil. Ce terme désigne les gouverneurs des villes et des cantons, et les collecteurs du revenu.
[76] Il faut lire el-Madghari. ou bien el-Matghari. Matghar est le nom d'une grande tribu berbère.
[77] La secte des Kharidjites parut pour la première fois dans l'islamisme pendant les démêlés d'Ali et Moavia ; elle rejetait également l'autorité de ces deux khalifes. On trouvera des détails sur leur histoire dans les Annales d'Aboulféda, le Retrospect de Price, les Annales d'Et-Taberi (man. de la Bibl. du roi, supplément), l'ouvrage d'Abou'l-Mehasin intitulé El-bahr ez-Zakhir (man. n° 659 A), et dans l'histoire d'Ibn Khaldoun.
Ils se partagèrent, dans la suite, en plusieurs sectes, dont les plus remarquables étaient les Nedjdia, les Azarika, les Ibadites et les Safrites. Ces deux dernières jouent un grand rôle dans l'histoire d'Afrique ; leurs croyances y avaient été introduites par les troupes arabes qui venaient de l'Irak. Les doctrines que professaient ces sectaires ne sont pas parfaitement connues dans leurs détails. Voici ce qu'on en sait de plus positif : les Ibadites rejetaient l'autorité du khalife ; ils enseignaient que les musulmans qui professaient une autre doctrine que la leur étaient infidèles (et par conséquent dignes de mort) ; que le musulman qui commet un péché grave est unitaire et non fidèle, car les œuvres font partie intégrante de la foi ; et ils regardaient comme infidèles Ali et la plupart des compagnons de Mahomet. On voit par là combien ces principes étaient opposés aux doctrines orthodoxes de l'islamisme, et quelles suites funestes durent résulter de leur application. Ils croyaient aussi que celui qui ne répondait pas à l'appel pour la guerre sainte était infidèle, par conséquent digne de mort, et sa famille digne de l'esclavage ; que la différence de croyance brisait les liens du sang, et que les enfants de ceux qu'ils tenaient pour infidèles méritaient la mort. Telles étaient les doctrines des Ibadites. Les Safrites professaient les mêmes doctrines, à l'exception des trois dernières qu'ils n'admettaient aucunement.
Les Berbers, toujours hostiles à la domination arabe, se distinguèrent, dans le principe, par leurs fréquentes apostasies, et lorsque, plus tard, l'islamisme eut été définitivement établi parmi eux, ils se montrèrent toujours empressés à adopter l'hérésie comme moyen de ressaisir l'indépendance. Les Ibadites sont ainsi appelés du nom de leur fondateur Abd Allah, fils d'Ibad, qui était contemporain d’Ibn ez-Zobeïr. On n'est pas d'accord sur la prononciation ni sur l'origine du mot safrite ou sifrite ; quelques-uns disent que ces sectaires furent ainsi appelés du nom de leur fondateur Ziad ibn el-Asfer, ou de celui d'Abdallah ibn Saffar.
[78] La colère d’un Arabe. Le poète El-Abîwerdi a employé une expression semblable dans un poème composé pour exciter les musulmans à la guerre sainte contre les croisés ; il y dit : « On attend de nous une attaque impétueuse telle que les Arabes savent les faire, et à la suite de laquelle les Romains se mordront longtemps les doigts. »
[79] Le texte porte du peuple de la Syrie. Ce fut ainsi qu'on désignait les tribus arabes cantonnées dans les djonds ou arrondissements militaires de ce pays.
[80] Ifrikiya, le nom de la province d'Afrique, fut aussi donné à la ville de Kairewan, qui en était la capitale. En parlant du même événement, Ibn Khaldoun dit positivement que les Africains et les Égyptiens se retirèrent à Kairewan.
[81] Le texte est obscur et peut signifier qu'Okasa s'insurgea à la tête des habitants de Kabes.
[82] Le man. n° 702 porte ici et plus loin (Tabibas) ; on lit dans le man. n° 638 (Tabinas).
[83] Membre de la tribu arabe d'Atîk, une branche de celle d'Azd.
[84] Le mot (peuple) est employé pour désigner les musulmans.
[85] Badja. Voyez Hartmann, p. 258, Edrisi, t. I, p. 266. Aboulféda, texte arabe, p. 141.
[86] C'est-à-dire, probablement, cinq mille cavaliers ou cuirassiers, et autant de fantassins ou tireurs d'arc.
[87] Voyez ci-devant, tom. XI, p. 130.
[88] Il faut peut-être lire . Dans ce cas, la phrase arabe doit se rendre ainsi : Les fantassins tinrent ferme, en mettant le genou à terre.
[89] Le premier combat de Mahomet contre la tribu de Koreïsch.
[90] Voyez El-Bekri, Notices et Extraits, t. XII, p. 493.
[91] As-Sadefi, membre de la tribu d'Es-Sidef, une branche de celle de Kinda. On sait que Kinda était Himyarite et descendait de Kahtân.
[92] Tribus. Les tribus nomades de la race arabe ne s'établirent dans la province d'Afrique qu'au ve siècle de l'hégire. Avant d'arriver à l'histoire de cette époque, l'auteur ne peut désigner que les Berbers par le mot Kabaîl, ou la forme du singulier Kabila.
[93] Je suis porté à croire que cette région fut appelée Satfoura parce que la tribu berbère de ce nom y habitait dans les-temps anciens ; la même tribu fut nommée plus tard Koumia, et produisit le célèbre Abd el-Moumin. La province de Satfoura renfermait les pays maritimes qui s'étendent depuis Tunis jusqu'à Tabarca.
[94] Voyez El-Bekri, p. 499. Sur les cartes modernes, cette péninsule est nommée el-Dakhela.
[95] Il y a ici une lacune de deux feuillets dans le man. n° 702 ; mais on trouve dans les deux autres manuscrits la partie qui y manque.
[96] La ville d'El-Orbos est placée sur la carte du général Pelet en latitude, 35°, 15' ; longitude, 6" 27'. Il l'appelle Alarbos. Corippus en fait mention dans le Johannide, livre VI, ligne 143 et suiv. où il dit :
Urbs Laribus mediis surgit tutissima silvis
Et muris munita novis, quos condidit ipse
Justinianus.
Procope la nomme Λαριβους; voyez Bellum Vandalicum, p. 533 de l'édition des Historiens byzantins imprimée à Bonn. Dans les manuscrits arabes ce nom est souvent écrit el-Aris; mais la véritable orthographe en est donnée par es-Soyouti dans son dictionnaire géographique, le Merasid el Ittila.
[97] Les manuscrits portent el-Werkadjouma ; mais l'orthographe de ce nom, tel qu'on le trouve écrit dans l'histoire d'Ibn Khaldoun, paraît préférable.
[98] Ce qu'on appelle Mosalla (ou lieu de prières) est une grande place en plein air, où le peuple se réunit pour faire la prière dans certaines occasions, et principalement aux deux beirams. (Voy. la Chrestomathie de M. de Sacy, tom. I, p. 191.)
[99] As-Sélémi, descendant des Ansars de la tribu de Séléma.
[100] Ce fut, en grande partie, aux tribus arabes établies, depuis la conquête, en Khorasan, que les Abbasides durent le succès de leur entreprise et leur triomphe sur les Omeyades. La nouvelle dynastie était très embarrassée pour récompenser les troupes dont elle avait reçu l'appui, et elle profita de cette occasion pour en envoyer une forte partie en Afrique.
[101] Voici le premier des Aghlébites arrivant en Afrique.
[102] Voyez l'Edrisi, tom. I, p. 274.
[103] Ce nom s'écrit indifféremment teihart et tahart.
[104] C’est-à-dire les chefs arabes qui tiraient leur origine de Modar, l’ancêtre des tribus de Koreisch, Temîm, Kinana, etc. Voyez l’ouvrage intitulé Monumenta antiquissima historiae Arabum, par Eichhorn, tab. i.
[105] C'est ainsi que je rends le mot el-kowad, que l'historien cité par En-Nowaïri emploie pour désigner les chefs des différentes tribus ou portions de tribus arabes qui servaient dans les pays conquis.
[108] La ville de Tobna est située dans la province du Zab, au nordouest de Biskera. Son emplacement est marqué, sur la carte de l'Algérie par le lieutenant général Pelet, en latitude : 35° 10’ ; en longitude : 2° 30’.
[109] Sedrata ou Sedderata est le nom d'une tribu berbère.
[110] Les deux manuscrits portent Sekrouid ; mais j'ai adopté l'orthographe d'Ibn-Khaldoun dans son Histoire des Berbers.
[111] Généraux, en arabe kowad, le pluriel de kaïd. (Voyez sur ce mot la note précédente.)
[112] Cette ville est située au midi du mont Aouras.
[113] J'avais cru d'abord qu'il fallait lire, « le marais salé » (voyez Notices et Extraits, tom. XII, p. 493) ; mais ce nom se rencontre plusieurs fois dans les manuscrits, et il est toujours écrit de la même manière.
[114] El-Fihri signifie un descendant de Fihr, l'ancêtre de la tribu de Koreïsch.
[115] La montagne de Nefousa est située à trois journées de Tripoli, en allant vers le midi.
[117] J’ai déjà fait observer ailleurs que le maître de poste correspondait directement avec le khalife, et qu’il le tenait au courant de la conduite du gouverneur provincial.
C'est ainsi qu'il faut lire ces deux vers ; ils sont altérés dans les manuscrits.
[120] Cet extrait de l'ouvrage d'En-Noweïri, ainsi que l'histoire des Edrisites, Aghlebites, Zîrites et Fatimites, sera réimprimé avec les éclaircissements nécessaires, dans la partie supplémentaire de l'histoire des Berbers d'Ibn Khaldoun. Le texte arabe de ce dernier ouvrage est actuellement sous presse, et la traduction qui doit l'accompagner se prépare en ce moment. M. le ministre de la guerre, auquel je dois l'honneur d'être, chargé de ce travail, m'a autorisé d'y ajouter quelques chapitres supplémentaires relativement ans événements qui se passèrent en la province d'Afrique pendant les trois premiers siècles de l'occupation musulmane. En profitant de cette permission, j'aurai la satisfaction de rendre publics, pour la première fois, plusieurs passages importants tirés des ouvrages d'En-Noweïri, d'Ibn el-Athir, d'Ibn el-Abbâr et d'autres historiens arabes. — (M. G. de S.)