Djouveini

En-Noweïri (AL-NOWAÏRI)

 

 

HISTOIRE DE LA PROVINCE D'AFRIQUE ET DU MAGHRIB Partie I - Partie II

Traduction française : baron Mac Guckin De Slane.

extraits tirés du Journal asiatique de 1841 et 1842.
 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

HISTOIRE

De la province d'Afrique et du Maghrib,

traduite de l'arabe

d'En-Noweïri,[1]

par le baron Mac Guckin De Slane. :

 

La première expédition des musulmans dans la province d'Afrique et dans le Maghrib se fit l'an 27 de l'hégire (647-8 de J.C.). Othman ibn Affan venait d'être élevé au khalifat, et il avait confié le gouvernement de l'Egypte à son frère utérin, Abd Allah ibn Saad ibn Abi's Sarh, après avoir destitué Amr ibn el-Aasi.[2] Abd Allah expédia alors quelques détachements de cavalerie musulmane, qui rapportèrent un butin considérable de la province d'Afrique, et il écrivit à Othman pour l'en informer. Le khalife, ayant conçu le projet de subjuguer ce pays, consulta les compagnons de Mahomet, qui furent d'avis qu'il fallait y envoyer une armée ; un seul d'entre eux, Abou 'l-Aawer Saïd ibn Yézid, en exprima sa désapprobation, et répondit à Othman, qui lui demandait la raison de son dissentiment, qu'il avait entendu (le khalife) Omer ibn el-Khattab dire ces paroles : Aucun musulman n'y fera une expédition tant que je vivrai;[3] et qu'il ne lui conseillerait jamais une démarche qui serait en opposition avec la déclaration d'Omer. L'affaire en resta là pendant quelque temps, mais Othman fit alors venir Zeid ibn Thabit et Mohammed ibn Moslema pour leur demander leur avis, et comme ils lui conseillèrent d'y envoyer une armée, il appela les musulmans à la guerre sainte. Cette armée fut nommée Djeisch el-Abadila (l'armée des Abd Allah). Voici la liste de ceux qui prirent part à l'expédition :

Abd Allah ibn Abbâs, le général des musulmans,[4] et son frère Obeïd Allah, de la famille de Haschim ; Abd er-Rahman, fils (du khalife) Abou Bekr es-Siddik, et Abd er-Rahman ibn Talha de la tribu de Teim, avec un certain nombre de leur peuple ; une troupe de la tribu d'Adi avec Abd Allah, fils (du khalife) Omer ibn el-Khattab, Abd er-Rahman ibn Zeïd ibn el Khattab, Obeïd Allah ibn Omer et Aasim ibn Amr. Dans une bande de la tribu d'Ased se trouvait Obeïd Allah, fils d'Abd Allah ibn ez-Zobeir. Il y avait aussi une troupe de la tribu de Sehm, et avec elle Abd Allah ibn Amr ibn el-Aasi et El-Mottelib ibn es-Saïb ibn Abi Wedaâ et Merwan ibn al-Hakem accompagna l'armée avec son frère El-Harith, et quelques membres de la famille d'Omeiya. Une troupe de la tribu de Zehra s'y trouvait, et avec elle El-Miswar ibn Makhrima ibn Neufel et Abd er-Rahman ibn el-Aswed ibn abd Yaghouth : de plus, une compagnie de la tribu d'Aamir ibn Lowi ibn Ghalib, avec es Saïb ibn Aamir ibn Hischam et Bosr ibn Arta; et une troupe de la tribu de Hodeil avec Abou Dîb Khoweilid ibn Khalid, membre de cette tribu : celui-ci mourut dans la province d'Afrique, et ce fut Abd Allah ibn ez-Zobeir qui présida à son enterrement. Dans cette armée se trouvèrent aussi Abd Allah ibn Ans, Abou'd-Dorr el-Ghaffari, El-Mikdad ibn Amr de la tribu de Behra, Bellal ibn al-Harith el-Mozeni, El-Aasim et Moawia ibn Khodeidj, Fodala ibn Obeïd, Roweifa ibn Thabit, Hamza ibn Khoweilid, Abou Zama el-Belawi, El-Moseiyeb ibn Djoun, Djebela ibn Amr es-Saïdi, Zïad ibn al-Harith, Keis ibn Besschar ibn Moslema, Zoheir ibn-Keis, Abder-Rahman ibn Sokhr, Amr ibn Aout et Okba ibn Nafi el-Fihri. On y comptait encore six cents hommes de la tribu de Djoheina, trois cents de la tribu d'Aslem, avec Hamza ibn Amr el-Aslemi et Selema ibn el-Akra ; huit cents de la tribu de Mozeina[5] ; quatre cents de celle de Soleim ; cinq cents fournis par les tribus d'ed-Dîl, Somra et Ghaffar ; sept cents par celles de Ghatafan, Aschja et Fezara, et quatre cents de la famille de Kaab ibn Amr : ceux-ci furent les derniers qui vinrent se joindre à Othman, au camp d'el-Djorf,[6] situé à trois milles de Médine. Othman fournit à ses frais mille chameaux pour servir de montures aux musulmans pauvres ; il donna aussi des chevaux pour le même objet ; ensuite il distribua des armes aux soldats, et il leur accorda une gratification : ceci se passait au mois de moharrem de l'année 27 de l'hégire (octobre 647 de J. C). Othman monta alors en chaire et exhorta les troupes à combattre pour la cause de Dieu ; il leur dit ensuite : J’ai mis à votre tête El-Harith[7] ibn el-Hakem qui vous conduira auprès d'Abd Allah ibn Saad, lequel prendra alors le commandement, et maintenant je vous recommande à la garde de Dieu !

L'armée, étant arrivée en Egypte, fut renforcée par un corps considérable qu’Abd Allah ibn Saad avait rassemblé, et le nombre des combattants se trouva ainsi porté à vingt mille. Ibn Saad nomma alors Okba ibn Nafi son lieutenant en Egypte, et se mit en route lui-même avec les troupes.

Nous donnerons ici, sur l'autorité d'Ez-Zohri,[8] le récit suivant que lui avait fait Rabia ibn Abbad, de la tribu d’ed-Dîl : A notre arrivée, Abd Allah envoya en avant des éclaireurs et des corps avancés, et moi-même j’accompagnais les éclaireurs aussi souvent que cela me fut possible ; et, par Allah ! nous voilà arrivés sous Tripoli, et nous trouvâmes pie les Grecs l’avaient mis en état de défense pour nous résister. Abd Allah y mit le siège[9] ; mais ensuite, ne voulant pas se laisser détourner du but qu’il avait en vue, il donna l’ordre de décamper. Pendant que nous faisions nos préparatifs, nous aperçûmes des vaisseaux qui venaient d’aborder la côte ; aussitôt nous courûmes sus, et nous jetâmes à l’eau ceux qui s’y trouvaient. Ils firent quelque résistance, mais ensuite ils demandèrent grâce, et nous leur liâmes les mains derrière le dos ; ils étaient au nombre de quatre cents. Abd Allah vint alors nous joindre, et il leur trancha la tête. Nous prîmes ce qui était dans les vaisseaux, et cela fut notre premier butin. Abd Allah marcha alors sur Cabes et y mit le siège, mais les compagnons du prophète lui conseillèrent d’y renoncer, pour ne pas être détourné de son projet contre la province d’Afrique ; il se remit donc en route. et envoya dans toutes les directions des détachements qui lui ramenèrent des bœufs, des moutons et du fourrage.

Le même narrateur ajoute : Leur prince se nommait Djirdjîz, et son autorité s'étendait depuis Tripoli jusqu'à Tanger ; il gouvernait au nom de Herakl (Héraclius). Quand il eut avis de l'approche de l'armée musulmane, il rassembla des troupes et se disposa à combattre : le nombre de ses soldais montait à cent vingt mille.[10]

Le narrateur dit plus loin[11] : Nous marchâmes à sa rencontre pendant qu'il faisait ses préparatifs, et nous passâmes quelques jours en pourparlers. Nous l'invitâmes à embrasser l'islamisme, mais il fit le fier et répondit avec hauteur qu'il n'y accéderait jamais. Nous lui fîmes alors la proposition de payer un tribut annuel ; mais il répondit : Si vous me demandiez un seul dirhem, je ne le donnerais pas ! Nous nous apprêtâmes donc à le combattre, après l'avoir averti (des conséquences de sa résistance). Abd Allah ibn Saad disposa son armée en aile droite, aile gauche et centre ; le prince des Grecs en fit autant, et la rencontre eut lieu dans une plaine étendue nommée Bakouba,[12] laquelle est éloignée du siège du gouvernement grec, Sobeitela (Safetala), d'un jour et une nuit de marche ; elle est située à la même distance de Kartadjenna (Carthage). Karthadjenna est une vaste cité renfermant des édifices très élevés ; ses murs sont de marbre blanc, et il y a des colonnes et des marbres de couleurs variées en quantité immense.

Plus loin ce narrateur dit : La guerre se prolongea des deux côtés, et Othman, ne recevant plus de nouvelles des musulmans, fit partir Abd Allah ibn ez-Zobeir avec douze cavaliers de sa tribu. Ibn ez-Zobeir pressa sa marche pour joindre les musulmans, et son arrivée, qui eut lieu de nuit, excita la joie de l'armée. Le bruit en fut si grand que les Grecs furent effrayés, pensant qu'on venait les attaquer, et ils passèrent une mauvaise nuit. Un espion, envoyé à la découverte, revint informer leur prince que les musulmans avaient reçu des renforts. Les musulmans et les Grecs se battaient tous les jours jusqu'à l'heure de midi ; alors les deux partis se retiraient dans leur camp, et le combat cessait.[13] Ibn ez-Zobeir présida le lendemain à la prière du matin, et marcha ensuite au combat avec les musulmans ; ce jour-là les Grecs éprouvèrent des pertes immenses. Mais Ibn ez-Zobeir n'avait pas vu Ibn Saad au nombre des combattants, et ayant demandé où il était, on lui répondit que depuis plusieurs jours, il ne sortait plus de sa tente. Comme Ibn ez-Zobeir n'avait pas encore en d'entrevue avec lui, il alla le trouver, et, après l'avoir salué, il lui communiqua les instructions d'Othman, et demanda le motif qui le retenait loin du combat. Ibn-Saad lui répondit : Le prince grec a fait faire cette proclamation en langues grecque et arabe par la voix d'un Hérault. Grecs et musulmans ! quiconque tuera Abd Allah ibn Saad aura ma fille en mariage avec cent mille dinars. (Or sa fille était d'une beauté merveilleuse, et elle l'accompagnait à cheval au combat, habillée des étoffes les plus riches, et portant sur sa tête un parasol en plumes de paon). — Et il ne t'est pas caché, continua Ibn Saad, que la plupart de ceux qui m'accompagnent ont été nouvellement convertis à l'islamisme ; ainsi je dois craindre que l'offre de Djirdjîz ne les porte à me tuer ; voilà la raison de mon absence du combat. — Chasse cette crainte de ton âme, répondit Ibn ez-Zobeir, et fais proclamer dans ton armée, et de sorte que les Grecs puissent l'entendre : Musulmans et Grecs ! quiconque tuera le prince Djirdjîz aura sa fille et cent mille dinars. Cette proclamation vaudra bien l'autre. Ibn Saad suivit ce conseil, et quand le prince des Grecs entendit la proclamation, son cœur fut rempli de crainte et celui de notre général en fut délivré. La guerre continuait de la même manière qu'auparavant, jusqu'à ce qu'il vînt une idée à Ibn ez-Zobeir, qui alla de nuit trouver Ibn Saad et lui dit : J'ai réfléchi sur l'affaire dans laquelle nous nous sommes engagés, et je vois qu'elle traînera en longueur : l'ennemi est chez lui ; il vit dans l'abondance pendant que nous voyons diminuer nos ressources, et j'ai appris que le commandant ennemi a envoyé de tous côtés rassembler des troupes et faire des recrues. Maintenant je vois que ses gens, lorsqu'ils entendent annoncer (chez nous) l'heure de la prière, remettent l'épée dans le fourreau et se retirent dans leurs tentes ; les musulmans en font de même, selon leur coutume. Ainsi donc, je te conseille de laisser les plus braves d'entre les musulmans dans leurs tentes, avec leurs chevaux et leurs armes, pendant que les autres iront se battre comme à l'ordinaire, et feront durer le combat jusqu'à ce que l'ennemi soit accablé de fatigue ; alors, quand il sera rentré dans son camp et aura déposé ses armes, les musulmans monteront à cheval et chargeront sur lui pendant qu'il ne s'y attendra pas. Peut-être que Dieu nous aidera et nous donnera la victoire, car c'est de Dieu que vient tout secours ! Ibn Saad ayant entendu ce conseil, fit venir Abd Allah ibn Abbas avec ses frères, ainsi que les compagnons de Mahomet et les chefs de tribu, pour leur soumettre la proposition d'Ibn ez-Zobeir. Ils l'approuvèrent en rendant grâces à Dieu, et ils tinrent ce projet secret. Ils passèrent ensuite la nuit en prières, se dévouant à Dieu pour l'exaltation de sa religion et la manifestation de sa parole. Le matin arrivé, les braves de l'islamisme restèrent dans leurs tentes, ayant leurs chevaux à côté d'eux, pendant qu'Ibn ez-Zobeir et Ibn Saad marchèrent au combat avec les autres troupes. On se battit avec acharnement, et comme il faisait très chaud ce jour-là, on en ressentit des deux côtés une lassitude extrême. Le prince des Grecs était à cheval, et encourageait ses troupes ; il avait avec lui la croix[14] et portait un diadème sur sa tête, vu son rang élevé. Le conflit se prolongea jusqu'à ce que l'appel à la prière de midi se fît entendre, et les Grecs allaient se retirer comme d'habitude, quand Ibn ez-Zobeir fit durer le combat une heure de plus. La chaleur était devenue excessive, et on en fut tellement accablé que les soldats des deux côtés ne pouvaient plus soutenir le poids de leur armure, et encore moins combattre. Ils rentrèrent donc dans leurs tentes, y déposèrent leurs armes, puis lâchèrent leurs chevaux et se jetèrent sur leurs lits. Alors Ibn ez-Zobeir fit lever les braves des musulmans, qui mirent aussitôt leurs cottes de mailles et montèrent à cheval dans leurs tentes ; lui-même s'habilla comme un ambassadeur (ayant passé une robe par dessus son armure), et se dirigea vers l'ennemi après avoir ordonné à ses guerriers de charger comme un seul homme lorsqu'ils le verraient près du camp grec. Quand il en fut rapproché, les musulmans poussèrent des cris d'Allah akber (Dieu est grand) ! la elaha illa 'llah (il n'y a d'autre dieu que Dieu) ! et fondirent sur leurs adversaires. Les Grecs se hâtèrent de mettre leurs cuirasses et de monter à cheval, mais ils furent mis en déroute, et un nombre immense en fut tué ainsi que leur prince. Le reste se sauva dans la ville, et les musulmans pillèrent le camp ennemi, et firent prisonnière la fille du prince. On l'amena à Ibn Saad qui lui demanda ce qu'était devenu son père. Il est mort, répondit-elle. — Savez-vous, dit-il, qui l'a tué ? — Je le reconnaîtrais si je le voyais, fut la réponse. Or, il y avait plusieurs musulmans qui, tous, prétendaient l'avoir tué ; mais quand on les présentait à la fille du prince grec, elle disait que ce n'était aucun de ceux-là. On fit alors venir Ibn ez-Zobeir, et comme elle le reconnut pour être celui qui avait tué son père, Ibn-Saad lui dit : Qui t'a empêché de nous en informer, afin que nous pussions te donner ce que nous avons promis ? — Puisse Dieu te disposer au bien ! lui répondit Ibn ez-Zobeir ; ce n'est pas pour obtenir ce que tu as promis que je l'ai tué, mais bien pour plaire à celui qui sait ce que j'ai fait, et m'en donnera une récompense plus excellente que celle que tu m'as destinée, et je n'ai pas besoin d'une autre. Ibn Saad lui fit alors cadeau de la fille du prince, et l'on dit qu'elle devint sa concubine. Les musulmans prirent ensuite position contre la ville, et après un blocus rigoureux. Dieu les en rendit maîtres. Ils y firent beaucoup de prisonniers, et s'emparèrent de leurs richesses dont la majeure partie consistait en or et en argent. Ibn Saad réunit le butin en masse, et en fit le partage après en avoir prélevé le quint.[15] La portion de chaque cava lier fit de trois mille dinars, et celle de chaque fantassin de mille.[16]

Ibn Saad envoya alors des détachements de la ville de Sobeitela pour battre la campagne et la piller ; ces cavaliers s’avancèrent jusqu’aux châteaux de kafs où ils enlevèrent des captifs et du butin ; de là ils passèrent jusqu’à Mermadjenna.[17]

Cette défaite abattit le courage des Grecs qui (restaient encore en Afrique, et les frappa de terreur : les uns se refugièrent dans les châteaux et les forteresses, mais la grande majorité se réunit dans Fahs al-Adjom,[18] autour du château qui était un des plus forts de la province d’Afrique. De là ils envoyèrent à Ibn Saad pour lui offrir trois cents kintars (talents) d’or, à condition qu’il ferait cesser les hostilités et qu’il évacuerait le pays ; après avoir fait quelques difficultés, il accéda à cette proposition. — Suivant un autre récit, il leur accorda la paix moyennant une somme de deux millions cinq cent mille (dinars) qu'on lui compta, et une des conditions du traité portait que les musulmans garderaient tout le butin qu'ils avaient fait[19] pendant la guerre, mais qu'ils rendraient ce qu'ils avaient enlevé depuis le commencement des pourparlers. — Ibn Saad appela alors Ibn ez-Zobeir et lui dit : Personne ne mérite mieux que toi de porter à Médine cette bonne nouvelle ; ainsi pars et annonce à Othman et aux musulmans la faveur que Dieu tout-puissant leur a accordée. Ibn ez-Zobeir se mit aussitôt en route, et il fit tant de diligence qu'il ne mit que vingt jours pour se rendre de Sobeitela à Médine. — Quelques personnes disent qu'il y mit vingt-quatre jours. — Une telle promptitude n'a rien d'étonnant de la part d'un homme tel que lui. A son arrivée, il monta en chaire d'après les ordres d'Ichman, et fit part au peuple de la victoire que Dieu leur avait donnée. Son père, ez-Zobeir, ayant appris ce qui se passait, vint à la mosquée en faire des reproches à Othman : Comment, disait-il, Abd Allah, le fils d'ez-Zobeir, a l'audace de monter à un endroit où le prophète de Dieu a posé les pieds ! Plut à Dieu que je fusse mort avant qu'une telle chose fût arrivée-On raconte cependant qu'Ibn ez-Zobeir ne monta pas dans la chaire, mais qu'il se plaça seulement devant pour s'adresser au peuple, et qu'Othman lui-même y était assis.

Le narrateur continue son récit : La prouesse d'Abd Allah ibn ez-Zobeir en Afrique fut pareille à celle de Khalid ibn al-Welîd en Syrie, et d'Amr ibn el-Aasi en Egypte. Il dit plus loin : L'armée resta quinze mois dans la province d'Afrique, et elle ne perdit que quelques hommes. Ibn Saad, en partant de Sobeitela, y laissa un nommé Djenaha comme gouverneur à la place de Djirdjîz. — Ensuite eurent lieu l'assassinat d'Othman et les contestations entre Ali et Moawia. Quand l'autorité de ce dernier fut solidement établie, il confia le gouvernement de la province d'Afrique à Moawia ibn Khodeidj.

GOUVERNEMENT DE MOAWIA IBN KHODEIDJ EL-KINDI,

ET SECONDE INVASION DE LA PROVINCE D'AFRIQUE.

Moawia ibn Khodeidj, de la tribu de Kinda, fut chargé du gouvernement de la province d'Afrique en l'an 45 de l'hégire (665-6 de J. C). Le motif de sa nomination est ainsi raconté : Héraclius, le seigneur de Constantinople, recevait chaque année un tribut fixe qui lui était payé par chacun des princes de la terre et de la mer. En apprenant à quelles conditions Abd Allah ibn Saad ibn Abi's-Sarh avait fait la paix avec les habitants de la province d'Afrique, il y envoya un patrice nommé Walima[20] pour exiger d'eux trois cents talents d'or, somme égale à celle qu'ils avaient donnée à Ibn Abi's-Sarh. Le patrice débarqua à Kartadjenna (Carthage), et leur fit part de l'ordre de son souverain, mais ils refusèrent d'y satisfaire, disant que ce qu'Ibn Abi's-Sarh leur avait pris était pour le rachat de leurs vies, et que le prince, leur seigneur, n'aurait que le même tribut qu'ils avaient l'habitude de lui payer chaque année. Djenaha, qui gouvernait la province de l'Afrique à la place de Djirdjîz, chassa alors le patrice, et les habitants du pays se rassemblèrent et se mirent sous les ordres d'un nommé Eleuthère.[21] Quant à Djenaha, il passa en Syrie, alla trouver Moawia ibn Abi Sofyan à qui il exposa la situation de l'Afrique, et demanda à y être renvoyé à la tête d'une armée arabe. (Ayant obtenu l'assentiment du khalife Moawia,) il partit pour Alexandrie avec Moawia ibn Khodeidj et un corps nombreux de troupes ; arrivé en cette ville il mourut, et Ibn Khodeidj marcha avec l'armée contre l'Afrique[22] : ainsi la guerre qui s'annonçait depuis quelque temps éclata de nouveau.[23] Dans cette armée se trouvèrent Abd el-Melik ibn Merwân, Yahia ibn el-Hakem, Koreib ibn Ibrahim ibn es-Sabbagh et Khalid ibn Thabit de la tribu de Koreïsch. L'on rapporte aussi qu'Abd Allah, fils d'Omer ibn el-Khattab, s'y trouva avec Abd Allah ibn ez-Zobeir, et les personnages les plus éminents des milices[24] de Syrie et d'Egypte ; les habitants de la province d'Afrique n'eurent aucun doute que Djenaha n'était plus de l'expédition. Ibn Khodeidj campa au pied d'une colline située à dix parasanges à l'occident de Kamounia.[25] Il y essuya un tel temps de pluie qu'il disait : Notre montagne est la bien arrosée [26]; et ce nom est resté à la montagne jusqu'à ce jour. Il dit ensuite : Marchons à ce pic de montagne (karn) ; et ce lieu fut appelé Karn dans la suite.

Alors le roi des Grecs envoya un patrice nommé Nicéphore[27] lequel, avec trente mille hommes, vint débarquer à (Sabairta ?),[28] où il fut rencontré par un détachement de cavalerie envoyé par Ibn Khodeidj. Dans le combat qui s'ensuivit, les troupes grecques furent défaites et forcées de regagner leurs vaisseaux. Ibn Khodeidj lui-même dirigea ses attaques contre Djeloula, et allait se battre jusqu'à la porte de cette ville. Chaque matin il livrait combat aux habitants, mais, aussitôt passé midi,[29] il se retirait dans son camp à Karn. Un certain jour il venait de se battre avec eux et s'éloignait pour rentrer au camp, quand Abd el-Melik ibn Merwan revint sur ses pas prendre son arc qu'il avait laissé suspendu à un arbre, et s'aperçut qu'un côté de la ville venait de s'écrouler : il rappela aussitôt les troupes, et, après un combat acharné, la ville fut prise d'assaut. Les musulmans s'emparèrent de tout ce qu'elle renfermait, tuant les soldats et faisant esclave le reste. Mais, selon un autre récit, Ibn Khodeidj s'était tenu à Karn, et il envoya Abd el-Melik à la tête de mille cavaliers pour bloquer Djaloula pendant quelques jours : cette tentative ayant échoué, ils s'en retournaient en déroute ; mais ils s'étaient à peine éloignés qu'ils virent des tourbillons de poussière s'élever derrière eux. Pensant que c'était l'ennemi qui se mettait à leur poursuite, ils firent volte-face pour le recevoir, et alors ils s'aperçurent que tout un côté de la muraille de la ville venait de s'écrouler. Aussitôt ils y livrèrent l'assaut et ils tuèrent, pillèrent et firent des esclaves. Abd el-Melik se rendit ensuite auprès d'Ibn Khodeidj, qui l'attendait dans son camp à Karn. Il lui remit le butin ; mais une dissidence s'éleva au sujet du partage : Abd el-Melik réclamait le tout pour ses compagnons, et Ibn Khodeidj voulait en faire la distribution à tous les musulmans. A la fin, on écrivit au (khalife) Moawia, lequel répondit qu'il fallait rappeler les corps détachés et faire le partage du butin entre tout le monde. Dans la distribution qui eut lieu, chaque cavalier reçut trois cents dinars. El-Beladori[30] dit que Moawia ibn Khodeidj fut le premier qui envoya une expédition en Sicile ; le chef se nommait Abd Allah ibn Keis ; nous en parlerons dans l'histoire de Sicile.[31] (l'auteur de l'histoire d'Afrique que nous avons cité précédemment) dit[32] : Moawia ibn Khodeidj revint alors en Egypte, et reçut du (khalife) Moawia le gouvernement de ce pays en échange de celui de la province d'Afrique, qui devint ainsi un gouvernement séparé, ne dépendant pas de celui d'Egypte, mais relevant directement du khalife.

GOUVERNEMENT D’OKBA IBN NAFÎ EL-FIHRI, ET TROISIEME EXPEDITION EN AVRIQUE.

L’historien dit : En l’an 50 (670 de J.C.), Moawia ibn Abi Sofyan envoya en Afrique Okba ibn Nafî de la tribu de Fihr, lequel était resté Barka et Zewîla pendant qu’Amr ibn el-Aasi était gouverneur (de l’’Egypte). Okba rassembla alors les Berbers prosélytes, et les incorpora dans l’armée que Moawia venait de lui envoyer, et dans laquelle se trouvaient dix mille cavaliers musulmans. Il marcha aussitôt contre l’Afrique, et, y ayant pénétré, il passa tout au fil de l’épée et extermina les chrétiens qui y restaient. Il dit alors (à ses troupes) : Quand un imâm[33] entre en Afrique, les habitants de ce pays mettent leurs vies et leurs biens à l'abri du danger en faisant profession de l'islamisme, mais aussitôt que l'imam s'en retire, ces gens-là se rejettent dans l'infidélité. Je suis donc d'avis, ô musulmans ! de fonder une ville qui puisse servir de camp et d'appui à l'islamisme jusqu'à la fin des temps. Ce conseil fut adopté.

FONDATION DE LA VILLE DE KAIREWAN.

Les historiens disent : Quand Okba et les musulmans se furent accordés sur la nécessité de fonder la ville de Kairewan,[34] il les mena à l'emplacement qu'elle devait occuper, et qui était alors couvert d'un fourré impénétrable. Voici, dit-il, notre affaire. — Comment ! lui répondirent ses camarades, tu nous ordonnes de bâtir dans un fourré marécageux où personne ne puisse pénétrer, et où nous aurons à craindre les animaux féroces, les serpents et les autres reptiles de la terre ! Alors Okba, dont les vœux furent toujours exaucés, se mit à prier le Dieu tout-puissant, et ses compagnons d'y répondre amen. Il y avait aussi dans l'armée dix-huit des compagnons du prophète ; les ayant réunis, il cria à haute voix : Serpents et bêtes féroces ! nous sommes les compagnons du prophète béni ; ainsi retirez-vous, car nous allons nous établir ici, et nous tuerons quiconque de vous s'y trouvera après cet avertissement. Alors on vit, en ce jour-là, les animaux féroces et les serpents emporter leurs petits, et à ce spectacle, beaucoup de Berbers se convertirent.[35] Okba ordonna, par proclamation, de les laisser partir sans leur faire injure, et quand ils se furent retirés, il marcha, accompagné de ses principaux officiers, autour du lieu qu'il avait choisi, et adressa cette prière à Dieu : O mon Dieu ! remplis cette ville de science et de la connaissance de ta loi. Fais qu'elle soit habitée par des hommes pieux et dévoués à ton service, et protège-nous contre les puissants de la terre. Il descendit alors en suivant le cours du ruisseau, et ordonna à ses hommes de tracer les fondations de la ville et d'arracher les arbrisseaux.

L'historien dit plus loin : Et il traça les fondations de l'hôtel du gouvernement et de la grande mosquée ; la construction de celle-ci n'était pas encore commencée quand il y fit célébrer la prière. Alors un différend s'éleva parmi le peuple au sujet de la kibla [36] ; ils disaient que les Arabes se régleraient d'après la kibla de cette mosquée quand ils en construiraient d'autres, et qu'ainsi le commandant ne devait s'épargner aucun effort pour en déterminer la vraie position. On laissa donc écouler un temps considérable afin d'observer les levers des étoiles dans l'hiver et dans l'été, et de prendre les azimuts du soleil à son lever. Cette incertitude fut pour Okba une cause de soucis, et s'étant adressé au Dieu tout-puissant, il vit, pendant son sommeil, une figure qui vint à lui et lui dit : Favori du maître de l'univers ! quand le jour se lèvera, prends ton étendard et mets-le sur ton épaule ; tu entendras alors devant toi des cris d'Allah akber (Dieu est grand !) et nul autre ne les entendra ; à l'endroit où ces cris cesseront, là sera la kibla et le mihrab[37] de ta mosquée. Car Dieu tout-puissant a agréé cette ville et cette mosquée ; par elle, il exaltera sa religion et humiliera les infidèles jusqu'à la fin des siècles. Okba se réveilla plein d'effroi, et après avoir fait une ablution, il se mit, avec les principaux d'entre les musulmans, à prier dans la mosquée projetée. Au moment où il faisait sa prosternation, il entendit devant lui le cri d'Allah akber ! Ayant demandé aux personnes à l'entour si elles entendaient quelque chose, elles répondirent que non. C'est donc un ordre du Dieu tout-puissant ! s'écriât-il. Prenant alors l'étendard sur son épaule, il suivit le cri qui se faisait entendre devant lui, et, arrivé au lieu où le mihrab devait être placé, ce cri cessa, et il ficha son étendard dans la terre, disant : Voici votre mihrab. On commença ensuite à bâtir des palais, des maisons et d'autres mosquées, et la ville fut peuplée. Sa circonférence était de trois nulle six cents toises, et les travaux furent achevés en l'an 55 (675 de J. C). Le peuple s'y établit alors, et elle devint une place d'importance. Il existait, sur le lieu où Kairewan fut bâtie, un petit château fondé par les Grecs et appelé Komounia. — Okba continua à administrer avec habileté la province d'Afrique, jusqu'à ce que (le khalife) Moawia nomma Moslema Ibn Mokhalled el-Ansari, gouverneur de ce pays ainsi que de l'Egypte, dont il retira le gouvernement des mains de Moawia Ibn Khodeidj.

GOUVERNEMENT DE MOSLEMA IBN MUKHALLED.

L'historien dit : A son arrivée en Egypte, Moslema fit choix d'un de ses affranchis nommé Dinar et surnommé Abou'l-Mohadjir, pour être son lieutenant dans la province d'Afrique. Ceci eut lieu en l'an 55 (675 de J. C). Le nouveau gouverneur se rendit à sa destination ; mais, ayant de la répugnance à se fixer dans la ville fondée par Okba, il alla camper à deux milles de là, et y traça les fondations d'une autre ville, afin de perpétuer le souvenir de son nom et de rendre inutile l'ouvrage de son prédécesseur. Cette nouvelle ville fut nommée par les Berbers Bi-Geirewan. Quand la construction en fut commencée, il ordonna qu'on détruisît la ville d'Okba, et celui-ci en fut tellement indigné, qu'il se rendit auprès du khalife Moawia, et lui adressa ces paroles : C'est pour toi que j'avais attaqué et subjugué cette province ; j'y ai bâti des mosquées, établi des lieux de halte (pour les voyageurs), et donné au peuple (musulman) des domiciles fixes ; et tu viens d'y envoyer un esclave des Ansars[38] qui m'a remplacé en m'insultant ! Moawia lui fit alors des excuses et promit de le rétablir dans son gouvernement ; mais l'affaire traîna en longueur jusqu'à la mort du khalife. Mais lors de l'élévation de Yézid, fils de Moawia, ce khalife apprit avec indignation le traitement qu'Okba avait éprouvé, et lui donna l'ordre de se rendre à Kairewan, afin d'en prévenir la ruine totale, en le nommant de nouveau gouverneur de la province d'Afrique.

OKDA GOUVERNEUR POUR LA SECONDE FOIS.

L'historien dit : Okba ayant été renommé gouverneur en l'an 62 (681-682 de J. C.), il quitta la Syrie, et en passant par l'Egypte, il fut rencontré par Moslema Ibn Mokhalled, qui était monte, à cheval pour aller le recevoir. Moslema lui offrit ses salutations, et tâcha de se disculper d'avoir participé aux actes d'Abou'l-Mohadjir, jurant que cet homme avait enfreint ses ordres. Okba accueillit ses excuses et partit en toute hâte pour la province d'Afrique. A son arrivée il mit Abou'l-Mohadjir aux fers, ordonna la destruction de la ville que celui-ci avait commencée, et ramena le peuple à Kairewan. S'étant décidé dans la suite à faire une expédition militaire, il laissa dans la ville une partie des milices (Djond), sous les ordres de Zobeir Ibn Keis, et, ayant appelé ses fils, il leur dit : J'ai vendu mon âme à Dieu, et j'ai fait un excellent marché : je dois combattre l'infidélité jusqu'à ce que je comparaisse devant lui. Je ne sais si vous me reverrez jamais ou si je vous reverrai, car mon souhait est de mourir dans la voie de Dieu. Tenez ferme à l'islamisme. O mon Dieu ! accueille mon âme avec bonté ! Il partit alors avec une armée nombreuse et arriva sur le haut de la colline qui domine la ville de Baghaya. Ayant livré combat aux habitants, après une lutte opiniâtre, il leur enleva une quantité de chevaux, les plus forts que les musulmans eussent jamais vus dans leurs expéditions. Comme les Grecs s'étaient retirés dans la forteresse, Okba ne voulut pas s'y arrêter, mais marcha sur Melîsch,[39] une de leurs plus grandes villes. Le peuple des environs s'y réfugia à son approche, et dans une sortie, l'on se battit avec un tel acharnement que les Arabes furent consternés, et ils s'imaginèrent que leur dernière heure était venue. Okba parvint cependant à repousser l'ennemi, et, l'ayant poursuivi jusqu'à la porte de la forteresse, il lui enleva beaucoup de butin. Comme il ne voulait pas s'arrêter (pour bloquer la place), il partit pour le pays du Zab, et là il demanda quelle était la ville principale ; on lui désigna la ville d'Arba, où le chef résidait, et qui servait de point de réunion aux princes du Zab : elle était entourée de trois cent soixante villages, tous très peuplés.

Les habitants, ayant été instruits de son approche, se retirèrent, les uns dans leurs forteresses, et les autres dans les montagnes et les lieux d'accès difficile. A l'heure du soir, Okba prit position contre la ville, et. le lendemain il ordonna l'attaque. Plusieurs combats eurent lieu, et les musulmans perdaient à la fin tout espoir de la vie, quand Dieu leur donna la victoire. L'ennemi fut mis en déroute, la plupart des cavaliers grecs furent tués, et le reste évacua le Zab, leur fierté ayant été rabaissée pour toujours. De là Okba se dirigea vers Tahort ; les Grecs ayant été prévenus de son dessein, demandèrent et obtinrent le secours des Berbers. Alors Okba fit halte, et, s'adressant à ses troupes, il les excita au combat. Dans l'action qui s'ensuivit, les Grecs et les Berbers ne purent résister aux musulmans ; ils perdirent beaucoup de monde en peu de temps, et les troupes grecques évacuèrent la ville. Okba vint ensuite camper près de Tanger, et un grec nommé Julien[40] qui tenait un haut rang dans son peuple, vint à sa rencontre, et eut l'adresse de se le concilier en lui offrant de beaux cadeaux et en se mettant entièrement à ses ordres. Okba le questionna relativement à la mer d'Espagne, et ayant appris qu'elle était bien gardée, il lui dit : Dirige-moi où je puisse trouver des hommes parmi les Grecs et les Berbers. — Quant aux Grecs, répondit Julien, tu les a laissés derrière toi ; mais devant toi sont les Berbers et leurs cavaliers ; Dieu seul en sait le nombre. — Où se tiennent-ils ? demanda Okba. Dans es-Sous el-Adna, répondit l'autre ; c'est un peuple sans religion ; ils mangent des charognes, ils boivent le sang de leurs bestiaux, et ils sont comme des brutes, car ils ne croient pas en Dieu, et ils ne le connaissent même pas. Sur cela, Okba dit à ses camarades : Marchons avec la bénédiction de Dieu ! De Tanger il se dirigea du côté du midi, vers es-Sous el-Adna, et il vint jusqu'à une ville nommée Taroudant. Là il rencontra les premières troupes berbères, et il en fit un grand carnage : le reste prit la fuite, et sa cavalerie se détacha à leur poursuite et pénétra dans es-Sous el-Adna. Les Berbers se réunirent alors en nombre si grand que Dieu seul pouvait les compter ; mais Okha les attaqua avec un acharnement in oui. Il en fit un grand massacre, et s'empara de quelques-unes de leurs femmes, lesquelles étaient (d'une beauté) sans pareille : on rapporte qu'une de leurs jeunes filles, qui avait été amenée en Orient, fut estimée à environ mille pièces d'or (mithkal). Ayant continué sa marche, il vint jusqu'à l'océan Atlantique (el-Bakr el-Mohit), sans avoir éprouvé de résistance, et il entra-dans la mer jusqu'à ce que l'eau atteignît le poitrail de son cheval : levant alors la main vers le ciel, il dit : Seigneur ! si cette mer ne m'en empêchait, j'irais dans les contrées éloignées et dans le royaume de Zou'l-Karnein,[41] en combattant pour ta religion, et tuant ceux qui ne croient pas à ton existence ou qui adorent d'autres dieux que toi. S'adressant ensuite à ses camarades, il leur dit : Retournons sur nos pas avec la bénédiction de Dieu. La terreur des infidèles était devenue si grande qu'ils fuyaient les pays que l'armée traversait, et l'expédition se dirigea vers la province d'Afrique. Quand on fut à hauteur de la source d'eau qui est aujourd'hui appelée el-Férés (l'eau du cheval), mais qui n'existait pas alors, Okba et ses troupes furent réduits à la dernière extrémité par la soif. Il fit en conséquence une prière de deux rékas,[42] et invoqua le Dieu tout-puissant : aussitôt son cheval commença à gratter la terre avec son pied, et à écarter le gravier, quand il en sortit de l'eau qu'il se mit à boire. Alors Okba ordonna à ses troupes de creuser la terre, et ils ouvrirent soixante et dix puits, lesquels leur fournirent assez d'eau pour étancher leur soif et pour faire leur provision. Ce fut alors que ce lieu reçut le nom de Ma el-Férés. De là il se rendit à Tobna, petite ville à huit journées de Kairewan, et dans l'assurance que le pays tout entier était soumis, et qu'il n'y avait plus d'ennemi digne d'être craint, il ordonna à ses troupes de se rendre successivement, par détachements, à Kairewan. Il se dirigea ensuite vers Tehouda et Badis[43] pour en faire la reconnaissance, et pour voir combien il faudrait de cavalerie pour bloquer ces deux villes. Il y laissa les hommes nécessaires pour cet objet, et les Grecs, le voyant avec un petit nombre d'hommes, fermèrent les portes de leurs châteaux et lui lancèrent des flèches, des pierres et des malédictions : pour lui, il les appelait (à se convertir) à Dieu. Quand il fut parvenu dans le cœur du pays, les Grecs envoyèrent un agent auprès de Koseila Ibn Behrem el-Aorbi,[44] lequel se trouvait avec l'armée d'Okba.

RÉVOLTE DE KOSEILA, MORT D'OKBA IBN NAFÎ, ET PRISE DE KAIREWAN.

Koseila était un des hommes principaux parmi les Berbers. Devenu musulman pendant le gouvernement d'Abou'l-Mohadjir, il fut si sincère dans sa conversion, que celui-ci en parla à Okba qui venait d'arriver, et l'instruisit de la grande influence et autorité que Koseila exerçait sur les Berbers. Okba ne fit aucune attention à cette recommandation ; au contraire, il ne témoigna pour Koseila que de l'indifférence et du mépris. Parmi les traits insultants qu'il se permit envers lui, on raconte le suivant : il venait de recevoir des moutons, et, voulant en faire égorger un, il ordonna à Koseila de l'écorcher. Puisse Dieu diriger l'émir au bien ! lui dit le chef Berber, j'ai ici mes gens et mes esclaves qui pourront m'éviter cette peine. Mais Okba répondit par des paroles offensantes, et lui ordonna de se lever (et de quitter sa présence). Koseila se retira en colère, et, ayant égorgé le mouton, il essuya sa main encore sanglante sur sa barbe. Les Arabes qui passaient lui disaient : Que fais-tu, Berber ? et il répondait : Cela est bon pour les poils. Mais un vieillard d'entre les Arabes passa et leur dit : Ce n'est pas pour cela ; c'est une menace que ce Berce ber vous fait. Alors Abou'l-Mohadjir s'adressa à Okba et lui dit : Qu'as-tu fait ? voilà un homme qui exerce une grande influence sur son peuple, un homme qui était encore polythéiste il y a peu de temps, et tu prends à tâche de faire naître la rancune dans son cœur ! Je te conseille de lui faire lier les mains derrière le dos, car je crains que tu ne sois victime de sa perfidie. Okba ne fit aucune attention à ces paroles, et Koseila, se voyant en correspondance avec les Grecs, profita d'un instant favorable et prit la fuite. Bientôt il se trouva entouré de ses cousins, de ses gens et de plusieurs Grecs qui se rallièrent à lui. Abou'l-Mohadjir recommanda alors à Okba de l'attaquer sans lui donner le temps d’organiser ses forces ; car, pendant toutes ses expéditions, Okba menait Abou’l-Mohadjir avec lui et le tenait dans les fers. Okba marcha alors contre Ko-sella, lequel se retirait devant lui. Les Berbers disaient à leur chef : Pourquoi te retirer ? ne sommes-nous pas cinq mille : A chaque jour, leur répondit Koseila, notre nombre grossira et le sien diminuera. D’ailleurs, ses hommes l’abandonnent, et je ne veux aller l’attaquer qu’à son retour vers la province d’Afrique. Quant à Abu’l-Mohadjir, il prononça ces vers d’Abou-Mihdjen,[45] en les appliquant à sa propre position

C’est pour moi bien assez de douleur d’être laissé dans les liens pendant que les chevaux et les cavaliers s’élancent au combat !

Quand je me lève, le poids de mes chaînes m'accable, et les portes qui mènent au festin se ferment devant moi.[46]

Ceci ayant été rapporté à Okba, il le fit mettre en liberté, et lui ordonna d'aller rejoindre les musulmans (à Kairewan), et d'en prendre le commandement ; car quant à moi, lui dit-il, je veux gagner le martyre. Et moi aussi, répondit Abou'l-Mohadjir, je veux gagner ce que tu gagneras. Okba fit alors une prière de deux rékas, et brisa ensuite le fourreau de son épée : Abou'l-Mohadj en fit de même, ainsi que les musulmans qui étaient avec eux. Les cavaliers mirent pied à terre par l'ordre d'Okba, et combattirent avec intrépidité jusqu'à ce qu'ils furent tués ; pas un n'échappa. Zoheir Ibn Keis prit alors la résolution d'attaquer les Berbers ; mais ses troupes refusèrent de lui obéir. Il quitta en conséquence la ville de Kairewan et se rendit à Barka, où il s'arrêta et où la plupart des musulmans vinrent le rejoindre. Quant à Koseila, il se trouva à la tête d'une immense multitude, et se dirigea vers Kairewan, où quelques musulmans qui n'avaient pu emporter leurs biens et leurs familles restaient encore. ils offrirent de rendre la ville pourvu qu’on leur fît grâce, et Koseila, y ayant consenti, fit son entrée dans Kairewan, et se rendit maître de la province d’Afrique. Il y resta jusqu’au temps où l’autorité d’Ahd el-Melik ibn Merwan se raffermit. Mention ayant été faite alors, en présence du khalife, du triste état de la ville de Kairewan et des musulmans qui s’y trouvaient, ses compagnons lui conseillèrent d’y envoyer des troupes. afin de délivrer ce pays de Koseila.

GOUVERNEMENT DE ZOHEIR IBN KEIS, ET MORT DE KOSEILA LE BERBER.

L’historien dit Abd el-Melik accueillit le conseil d’envoyer des troupes en Afrique, disant que la personne chargée de venger sur les polythéistes la mort d’Okba, devait lui ressembler en piété : alors ses conseillers lui désignèrent unanimement Zoheit Ibn Keis. C’est le compagnon d’Okba, lui disaient-ils, c’est lui qui est le mieux au courant de ses projets, et le plus digne de venger sa mort. Zoheit était en garnison[47] à Barka ; il reçut d’Abd el-Melik l’ordre de se rendre à bride abattue dans la province d'Afrique. Il répondit au khalife qu'il lui fallait des renforts d'hommes et d'argent, et ces secours lui furent envoyés. Parmi les nouveaux venus se trouvèrent plusieurs personnages importants de la Syrie.[48] En l'an 69 (688-9 de J.-C.) Zoheir arriva avec une armée nombreuse dans la province d'Afrique ; et Koseila, qui avait reçu avis de son approche, rassembla les Berbers et quitta Kairewan pour se rendre à Memesch (?). Zoheir vint alors se poster aux environs de Kairewan, et, après avoir pris trois jours de repos pour lui-même et son armée, il marcha contre Koseila. La rencontre fut terrible ; chaque côté fit des pertes immenses ; mais la bataille se termina par la mort de Koseila, et d'un grand nombre de ses partisans. Les musulmans poursuivirent les fuyards et tuèrent tous ceux qu'ils purent atteindre : les officiers des Grecs et des Berbers, leurs nobles et leurs princes y périrent tous. Zoheir revint à Kairewan, et voyant que la province d'Afrique formait un empire très étendu (il pensa à s'y fixer) ; mais ensuite, comme il était rempli de dévotion et de l'esprit de mortification, il se dit : Je veux combattre pour la cause de Dieu, car je crains de périr si je cède à mon penchant pour le monde. Ayant laissé alors quelques troupes à Kairewan, il se mit en marche avec un corps nombreux pour se rendre en Orient. Les Grecs de Constantinople avaient déjà été informés qu'il était parti pour la province d'Afrique, et qu'il avait laissé Barka dégarnie de défenseurs. Ils vinrent donc de l'île de Sicile sur plusieurs grands navires, et attaquèrent cette ville en y portant le massacre et le pillage. Mais Zoheir venait de quitter la province d'Afrique, et il arriva à Barka pendant que les Grecs y étaient encore. Il les attaqua avec ardeur ; lui et ses compagnons combattaient à pied[49] ; la bataille fut terrible ; mais, accablés par le nombre des Grecs, les Arabes succombèrent, et pas un seul n'échappa. Abd al-Melik fut très affligé de la mort de Zoheir, laquelle avait tant d'analogie avec celle d'Okba ; mais la sédition d'Ibn ez-Zobeir l'empêcha de s'occuper des affaires de Kairewan. Ce ne fut qu'à la mort de ce dernier, qu'il y envoya comme gouverneur Hassan Ibn en-Noman, de la tribu de Ghassân.

GOUVERNEMENT DE HASSAN IBN EN-NOMÂN EL-GHASSANI.

L’historien dit : Abd el-Melik avait déjà donné ordre à Hassan ibn-Noman de rester en Egypte avec une armée de quarante mille hommes, afin d’être prêt à tout événement ; et maintenant il lui écrivit de se mettre en marche pour la province d’Afrique : Je te laisse les mains libres ; disait-il dans sa lettre, prends des trésors de l’Égypte ce que tu voudras, et donnes-en à tes compagnons et à ceux qui se joindront à toi. Ensuite pars, faire la guerre sacrée dans la province d’Afrique, et que la bénédiction de Dieu soit sur toi ! Ibn el-Athir dit, dans son ouvrage historique intitulé le Kamil, qu’Abd el-Melik nomma Hassan gouverneur, en l’an 711 (693-4 de J. C.), quelque temps après la mort d’Ibn ez-Zobeir ; mais selon Ibn er-Rakik, le khalife envoya Hassan avec des troupes en Afrique l’an 69 ; ce dernier dit ensuite : Il arriva dans la province d’Afrique avec la plus forte armée qui y eût jamais mis le pied.

PRISE ET DESTRUCTION DE KARTHADJINNA (CARTHAGE).

L’historien dit : Aussitôt entré à Kairewan, Hassan demanda s’il restait encore des princes dans la province d’Afrique, et on lui désigna le commandant de Karthadjinna,[50] une grande ville qui n’avait pas encore été prise, et contre laquelle Okba avait échoué. Hassan se mit en marche de suite, et ayant livré un assaut furieux la ville, il força les Grecs qui s’y trouvaient de prendre la fuite et de s’embarquer. Les uns passèrent en Espagne, les autres en Sicile ; et lui, ayant pénétré dans la ville par la force de l'épée, il pilla, tua et fit des captifs. Il expédia alors des détachements pour parcourir les environs, et donna ordre de mettre la ville en ruines. Les musulmans en avaient détruit tout ce qu'ils avaient pu, quand leur général apprit que les Grecs et les Berbers s'étaient l'assemblés à Setfoura et Benzert. Il alla aussitôt les attaquer et il en tua un grand nombre : les musulmans s'emparèrent de leur territoire, et il ne resta plus une seule de leurs places fortes qui n'eût pas été soumise. Les habitants de la province d'Afrique en furent frappés de terreur ; les Grecs mis en déroute se réfugièrent dans la ville de Badja, et les Berbers dans celle de Bône. Hassan retourna ensuite à Kairewan pour prendre du repos et en donner à ses troupes.

GUERRE DE HASSAN AVEC LA KAHINA, DEVASTATION DE LA PROVINCE D'AFRIQUE, ET MORT DE LA KAHINA.

L'historien dit : Hassan demanda alors quel était le prince le plus puissant qui restait encore dans la province d'Afrique ? On lui désigna une femme qui gouvernait les Berbers et qui était généralement connue sous le nom d'el-Kahina (la devineresse). Elle demeure, dirent-ils, à Mont Auras[51] ; elle est d'origine berbère, et depuis la mort de Koseila les Berbers se sont ralliés à elle. Cette femme prédisait l'avenir, et tout ce qu'elle annonçait s'accomplissait. On lui parlait encore de la puissance qu'elle exerçait, en l'assurant que la mort de cette femme mettrait un terme aux révoltes des Berbers.

Hassan se mit aussitôt en marche pour aller la trouver ; mais à la nouvelle de son approche, la Kahina fit démolir le château de Baghaiya, dans la pensée que c'était à la possession des forteresses que le général musulman visait. Hassan s'avança pourtant contre elle sans se soucier de ce qu'elle venait de faire, et il lui livra bataille sur le bord de la rivière Nînî.[52] Après un combat acharné, les musulmans furent mis en déroute ; un grand nombre d'entre eux perdit la vie, et plusieurs des compagnons de Hassan furent faits prisonniers. La Kahina les traita honorablement, et les renvoya tous, à l'exception de Khalid Ibn Yézid de la tribu de Keis, homme éminent par son rang et par sa bravoure, qu'elle adopta pour fils. Dans sa retraite, Hassan évacua la province d'Afrique, et écrivit à Abd el-Melik pour l'informer de sa position. Le khalife répondit à sa lettre en lui enjoignant de rester où il était jusqu'à nouvel ordre, et Hassan demeura dans la province de Barka pendant cinq ans, et l'endroit où il s'était établi reçut le nom de Kosour Hassan (les châteaux de Hassan). La Kahina, devenue maîtresse de toute la province d'Afrique, tyrannisa les habitants de ce pays. A la fin, Abd el-Melik envoya à Hassan des troupes et de l'argent, avec ordre de rentrer dans la province d'Afrique. A son approche, la Kahina dit à son peuple : Les Arabes veulent s'emparer des villes, de l'or et de l'argent, et nous ne désirons posséder que des champs pour la culture et le pâturage. Je pense donc qu'il n'y a qu'un seul plan à suivre : c'est de dévaster le pays afin de les décourager. Elle envoya alors ses partisans de tous côtés pour détruire les villes, démolir les châteaux, couper les arbres et enlever les biens des habitants. Abd er-Rahman Ibn Zîad Ibn el-Anam rapporte que tout le pays, depuis Tripoli jusqu'à Tanger, n'était qu'un seul bocage et une succession continuelle de villages ; mais tout fut-détruit par cette femme. Quand Hassan s'approcha de la province, il eut le plaisir de voir les Grecs venir à sa rencontre et implorer son secours contre la Kahina. Il se dirigea alors sur Cabes, dont les habitants vinrent au-devant de lui pour lui présenter une somme d'argent et faire leur soumission. Dans un autre temps, ils avaient résisté à des généraux arabes, et pour cette raison Hassan leur donna pour gouverneur un esclave.[53] De là il se rendit à Cafsa qui se soumit à son autorité, ainsi que Castîliya[54] et Nifzawa.[55] Quand son avant-garde fut arrivée près de la Kahina, elle fit venir ses deux fils ainsi que Khalid Ibn Yézid, et leur dit qu'elle-même serait tuée,[56] et que, pour eux, ils devaient se rendre auprès de Hassan et solliciter de lui leur grâce. Ils suivirent ce conseil, et le général musulman mit les fils de la Kahina sous la sauvegarde d'un (de ses officiers) et ordonna à Khalid de se porter en avant au galop. Ayant rejoint la Kahina, Hassan lui livra bataille ; on se battit avec acharnement, et le carnage fut si grand que tous s'attendaient à être exterminés ; mais Dieu vint au secours des musulmans, et les Berbers furent mis en déroute, après avoir éprouvé des pertes énormes. La Kahina fut atteinte et tuée pendant qu'elle s'enfuyait. Les Berbers demandèrent grâce à Hassan, et obtinrent leur pardon à la condition de fournir aux musulmans un corps auxiliaire de douze mille hommes, qui furent aussitôt mis, par Hassan, sous les ordres des deux fils de la Kahina. Dès cette époque, l'islamisme se propagea parmi les Berbers, et, la guerre étant ainsi terminée, Hassan revint à Kairewan, après avoir rétabli heureusement les affaires de la province. Il fut déposé de son commandement par Abd el-Aziz Ibn Merwan, gouverneur de l'Egypte et de l'Afrique, lequel le rappela lors de la mort d'Abd el-Melik et de l'avènement d'el-Welid, fils de ce khalife. Abd el-Aziz envoya en même temps quarante de ses principaux officiers pour avoir soin de tout ce qui se trouvait en la possession de Hassan ; mais celui-ci, ayant deviné leur commission, cacha dans des outres à eau les pierreries, les perles et l'or qu`il avait entre les mains, et laissa ces outres exposées dans le camp ; quant au reste du butin, il le mit sous leurs yeux. Étant arrivé en Égypte, il alla voir Abd el-Aziz, et le pria de choisir deux cents des plus beaux esclaves, tant filles que garçons, qu`il avait amenés avec lui. On dit que le nombre de ses captifs montait à trente-cinq mille.[57] Abd el-Aziz en prit tout ce qui lui convenait, ainsi que plusieurs chevaux appartenant au général. Hassan partit avec ce qui lui restait, et alla se plaindre à El-Welîd Ibn Abd el-Melik, lequel se montra fort indisposé contre son oncle Abd el-Aziz, déclarant qu`il avait agi sans autorisation. Hassan ordonna alors à ses gens de lui apporter les outres, et il les vida en présence du khalife qui resta muet d'étonnement à l`aspect de tant de pierreries, de perles et d'or. Commandeur des croyants, lui dit-il, je suis parti avec l'unique intention de combattre dans la voie de Dieu, et je n`ai trahi mon devoir ni envers lui, ni envers le khalife.-Retourne dans ton gouvernement, lui répondit El-Welîd, et sois assuré de ma bienveillance. Je jure, reprit Hassan, que jamais je n'accepterai un commandement sous la dynastie des Omeyades ! Par sa fidélité et sa probité, Hassan s'était acquis (parmi le public) le titre d'Es-Scheikh el-Amin (le vieillard intègre). Il eut pour successeur Mousa Ibn Noseir.[58]

GOUVERNEMENT DE MOUSA IBN NOSEIR.

A. H. 89 (708 DE J. C.).

Sur le refus de Hassan, El-Welîd écrivit à son oncle Abd el-Melik d'envoyer en Afrique Mousa Ibn Noseir, et il lui signifia que cette province serait indépendante de celle d'Egypte, et qu'elle relèverait immédiatement du khalife. A son arrivée. Mousa déposa Salih, lieutenant de Hassan, et, ayant appris qu'il se trouvait sur les frontières des gens qui s'étaient soustraits à l'obéissance, -il envoya contre eux son fils Abd Allah, qui les défit dans une bataille, et en ramena à son père cent mille prisonniers. Son second fils, Merwan, qu'il avait envoyé d'un autre côté, rentra également avec cent mille prisonniers. Moussa lui-même marcha dans une autre direction, et revint avec le même nombre de captifs. Ce jour-là, dit El-Leith Ibn Saad,[59] le quint légal montait à soixante mille prisonniers; chose inouïe depuis l'établissement de l'islamisme. Mousa fit ensuite une expédition vers Tanger, pour attaquer les Berbers qui s'y trouvaient encore. Ils prirent la fuite à son approche, et Mousa les poursuivit, en les massacrant, jusqu'à ce qu'il parvînt à Es-Sous el-Adna. Les Berbers n'osaient plus alors lui résister, et ils se soumirent pour éviter la mort. Mousa fit périr le prince  qui les commandait, et il leur donna un nouveau chef Tarik Ibn Zîad reçut de lui le commandement de Tanger et des environs ; il eut sous ses ordres dix-neuf mille cavaliers berbers et un petit nombre d'Arabes que Mousa lui avait laissés pour leur apprendre le Koran et les devoirs de l'islamisme. A son retour vers la province d'Afrique, Mousa passa près du château de Meddjana,[60] dont la garnison fit quelque résistance, et il y laissa Bischr, fils de…[61] avec quelques troupes pour en faire le siège. Bischr emporta la place, qui fut nommée dans la suite Kalât Bischr (le château de Bischr). Il ne se trouvait plus alors en Afrique ni Berbers, ni Grecs disposés à résister.

INVASION DE L'ESPAGNE.

Cette invasion eut lieu l'an 92 de l'hégire (710-711 de J. C.) sous la conduite de Tarik Ibn Zîad, mewla[62] de Mousa Ibn Noseir. Dans la chronique intitulée le Kamil (complet), Ibn el-Athir a donné des détails sur les événements qui se sont passés en Espagne et sur l'ancienne histoire de ce pays : nous reproduirons ici les renseignements qu'il en a fournis, attendu que cette conquête fut un des plus brillants triomphes des armes musulmanes. Après quelques notions préliminaires sur l'ancienne histoire d'Espagne,[63] cet auteur donne une nomenclature des souverains, les uns idolâtres et les autres chrétiens, qui régnèrent sur cette contrée. Voici ce qu'il dit de la famille de Witiza. Ce prince régna jusqu'à l'an 77 de l'hégire (696-7 de J. C). Il laissa, en mourant, deux fils,[64] mais le peuple, ne voulant pas vivre sous leur autorité, se donna pour souverain un nommé Rodéric,[65] qui s'était distingué par sa bravoure, mais qui n'appartenait pas à la maison royale. Les princes d'Espagne avaient coutume d'envoyer leurs enfants des deux sexes à Tolède, où ils entraient au service du roi, qui ne prenait pas d'autres serviteurs. Quand ils avaient reçu une éducation convenable et atteint l'âge de puberté, le prince les mariait entre eux et se chargeait de la dot. A l'avènement de Rodéric, Julien, seigneur d'El-Djeziret el-Khadrâ,[66] Ceuta et autres lieux, plaça sa fille à la cour, et le roi, frappé de sa beauté, lui fit violence ; elle écrivit à son père pour l'en informer, et celui-ci, pénétré d'indignation, adressa à Mousa Ibn Noseir, le gouverneur d'Afrique, une lettre dans laquelle il se déclara prêt à reconnaître son autorité. Sur l'invitation de Mousa, il se rendit auprès de lui et l'introduisit dans les villes dont il était le maître ; il prit aussi l'engagement d'obéir aux volontés du chef musulman et des siens. Il lui dépeignit l'état de l'Espagne et le pressa de s'y rendre : ces choses se passaient vers la fin de l'an 90 (mois d'octobre 709 de J. C). Mousa écrivit en conséquence à El-Welîd pour obtenir de lui l'autorisation d'y faire une descente, et ce khalife donna son consentement à cette entreprise avec d'autant plus de facilité, qu'il n'y avait qu'une mer étroite à traverser. Mousa fit alors partir un de ses mewlas, nommé Tarif, accompagné de quatre cents fantassins et de cent cavaliers ; quatre navires les transportèrent dans l'île nommée depuis l'île de Tarif (Tarifa). De là il fit une incursion dans Algéziras et revint sain et sauf avec un riche butin. Ce fait avait lieu au mois de ramadan de l'an 91 (juillet 710 de J. C.). Témoins de la suite heureuse de cette incursion, les autres musulmans se hâtèrent de prendre part à une nouvelle expédition. Mousa fit alors venir son mewla Tarik Ibn Zîad, qui commandait son avant-garde, et il l'envoya en Espagne, à la tête de sept mille musulmans, pour la plupart berbers et mewlas. S'étant embarqués, ils se dirigèrent vers une montagne qui s'élève dans la mer et touche d'un côté au continent. Ce fut là qu'ils abordèrent, et cette montagne fut nommée Djebel Tarife (la montagne de Tarik, Gibraltar). Lors des conquêtes d'Abd el-Moumîn, ce prince y fit bâtir une ville, et changea le nom de la montagne en Djebel el-Feth (Mont-Victoire ou Montagne de l'Entrée) ; mais cette nouvelle dénomination ne se maintint pas, et on a continué à l'appeler par son premier nom. Le débarquement de Tarik s'effectua au mois de redjeb de l'an 92 (avril-mai, 711 de J.C.). Ibn el Athir rapporte que, durant la traversée, Tarik, s'étant abandonné au sommeil,[67] vit le Prophète béni, accompagné de ceux qui avaient émigré de la Mecque pendant la persécution, et des Médinois qui lui avaient accordé leur appui (el-Mohadjerin w'el-Ansar). Ils portaient l'épée au côté et l'arc sur l'épaule. Le prophète lui adressa ces paroles : O Tarik ! avance et accomplis ton entreprise ; sois humain envers les musulmans et fidèle à tes engagements. Tarik regarda alors et il vit le Prophète béni, et ceux qui l'accompagnaient, entrer en Espagne devant lui. A son réveil il annonça cette bonne nouvelle à ses compagnons ; il sentit son courage se ranimer et, dès lors, il ne douta plus de la victoire. Quand tout son monde fut débarqué à la montagne, il descendit dans la plaine et pénétra dans Algésiras où une vieille femme vint à sa rencontre et lui parla en ces termes : J'avais un mari qui prévoyait l'avenir ; il annonça au peuple qu'un émir entrerait dans leur ville et en prendrait possession ; il leur décrivit la figure du conquérant, qui devait avoir, selon lui, une grosse tête et une tache velue sur l'épaule gauche. Tarik se dépouilla aussitôt de ses vêtements et eut le plaisir de voir qu'il s'y trouvait, en effet, une tache telle qu'elle l'avait décrite. Le même historien dit encore : Lorsque Tarik eut quitté la forteresse de la Montagne et subjugué Algésiras, la nouvelle en fut portée à Rodéric, qui était alors engagé dans une expédition militaire ; ce dernier trouva cette circonstance si grave, qu'il renonça à son entreprise et rassembla une armée de cent mille hommes pour l'opposer à Tarik, qui venait de pénétrer dans son pays. Tarik écrivit alors à Mousa pour l'instruire de son succès et lui demander des renforts ; il obtint un secours de cinq mille hommes, et le nombre des musulmans se trouva ainsi porté à douze mille. Julien les accompagna, pour les diriger vers les endroits faibles du pays et leur procurer des renseignements. Sur ces entrefaites, Rodéric vint avec son armée leur livrer bataille ; le choc eut lieu sur le bord de la rivière Léka,[68] dans le gouvernement de Sidonia, le vingt-huitième jour du mois de ramadan de l'an 92 (18 juillet, 711 de J. C.). Huit jours se passèrent en combats successifs. Les deux fils de l'ancien roi commandaient chacun une aile de l'armée de Rodéric, et, comme ils le détestaient, ils résolurent, d'accord avec d'autres princes, de prendre la fuite ; car, disaient-ils, quand les musulmans auront la main remplie de butin, ils s'en retourneront dans leur pays, et le royaume nous restera. Ils se retirèrent alors en désordre, et, Dieu ayant mis Rodéric et les siens en fuite, ce prince se noya dans le fleuve. Tarik les poursuivit jusqu'à la ville d'Ecija[69] dont les habitants, ainsi qu'un grand nombre de fuyards qui s'étaient ralliés à eux, vinrent lui livrer bataille. Après un combat acharné, les Espagnols furent défaits, et Tarik s'arrêta à quatre milles d'Ecija près d'une source qui a été appelée depuis la source de Tarik.

Plus loin, l'historien dit : La nouvelle de cette double défaite jeta la terreur parmi les Goths, et ils abandonnèrent leurs villes pour se réfugier à Tolède. Julien conseilla alors à Tarik de partager son armée en plusieurs corps, vu qu'il n'y avait plus rien à craindre de la part des peuples espagnols, et il lui recommanda de marcher en personne sur Tolède. Tarik accueillit cette proposition, et, d'Ecija ( il était), il fit partir un corps de troupes pour Cordoue, un autre pour Grenade, un troisième pour Malaga, un quatrième pour Tadmîr (Murcie ?) et il marcha lui-même sur Tolède avec le corps le plus considérable. En y arrivant, il la trouva déserte ; les habitants l'ayant abandonnée pour se retirer dans une autre ville nommée Maiya, qui était située derrière la montagne. L'historien ajoute que les autres détachements prirent les villes contre lesquelles ils avaient été envoyés, " et que Tarik établit dans Tolède les juifs avec quelques-uns de ses compagnons et se dirigea vers Wadi 'l-Hidjara (Guadalajara). Il traversa la montagne en suivant un défilé qui porte, depuis, le nom de défilé de Tarik (Fedj Tarik). De là il arriva à une ville située derrière la montagne et appelée Medinet el-Maîda (la ville de la Table). Dans cette ville se trouvait la table de Salomon, fils de David ; c'était une seule émeraude verte dont les bords et les pieds étaient garnis de perles, de corail, de rubis et d'autres pierres précieuses : trois cent soixante pieds soutenaient cette table magnifique. De là, Tarik passa à Maiya où il enleva quelque butin et d'où il revint à Tolède, en l'an 93 (711-12 de J. C.). D'autres disent qu'il fit une incursion en Galice, et pénétra jusqu'à Astorga, après avoir tout livré aux flammes sur son passage, et, qu'ensuite il rentra à Tolède, où les détachements qu'il avait fait partir d'Ecija vinrent le rejoindre, après s'être rendus maîtres de toutes les villes dont il les avait chargés de faire la conquête.

Au mois de ramadan de l'an 93 (juin-juillet, 712 de J. C.), Mousa Ibn Noseir arriva en Espagne avec des troupes nombreuses, et il éprouva un vif sentiment de jalousie en apprenant les hauts faits de Tarik. En débarquant à Algésiras, il rejeta le conseil qu'on lui donnait de suivre la route que Tarik avait prise. Alors ses guides lui dirent : Nous vous mènerons par un chemin où il y aura plus d'honneur à acquérir[70] que dans celui que votre devancier avait choisi, et vous y trouverez des villes qui n'ont pas encore été subjuguées. Julien lui prédisait aussi une grande victoire, ce qui le combla de joie, et ils partirent tous pour la ville d'Ibn es-Selim (ou es-Soleim) qu'ils emportèrent d'assaut. De là, il se rendit à Carmona, la ville la plus forte d'Espagne, et Julien s'y fit recevoir avec ses officiers, en se donnant pour des vaincus qui fuyaient les musulmans. Mousa envoya alors de la cavalerie contre la ville, et, les affidés de Julien leur en ayant ouvert les portes pendant la nuit, les musulmans en prirent possession.

Mousa se dirigea ensuite vers Séville, l'une des villes les plus grandes et les plus célèbres d'Espagne, et s'en empara, après un siège de quelques mois. Comme les habitants s'étaient enfuis, Mousa y établit des juifs, et il en partit pour aller assiéger Mérida. Les habitants de cette place ayant fait plusieurs sorties vigoureuses, Mousa plaça des troupes en embuscade parmi des débris de rochers où les infidèles ne purent les apercevoir, et, dès le point du jour, il s'avança pour les attaquer ; les assiégés étant sortis, comme de coutume, pour combattre les musulmans, ils furent enveloppés soudain par les soldats embusqués qui prirent position entre eux et la ville : le combat fut long et sanglant, et ceux qui parvinrent à se soustraire à la mort rentrèrent dans la ville, qui était très forte, et qui, déjà, soutenait un siège de plusieurs mois. Lorsque Mousa s'avança pour faire pratiquer une brèche à ses murailles, le peuple fit une sortie vigoureuse et tailla en pièces un nombre considérable de musulmans au pied de la tour nommée depuis la tour des Martyrs. Mérida se rendit enfin, le dernier jour du mois de ramadan de l'an 94 (29 juin 713 de J. C.). La base de la capitulation portait que les musulmans seraient mis en possession des biens de ceux qui périrent lors de l'embuscade, de ceux qui avaient abandonné la ville pour fuir en Galice, et des propriétés des églises, ainsi que des églises principales.

Le peuple de Séville s'étant alors assemblé courut sur les musulmans et il extermina tous ceux qui se trouvaient dans la ville. Mousa y envoya son fils, Abd el-Aziz, à la tête d'une armée, pour en faire le siège, et celui-ci en fit périr tous les habitants. Puis, il alla s'emparer de Lebla (Niebla) et Badja, et retourna ensuite à Séville. Le même historien dit plus loin : Mousa ayant quitté Mérida, au mois de schewal, pour se rendre à Tolède, Tarik vint au-devant de lui et descendit de cheval sitôt qu'il le vit ; mais Mousa le blessa à la tête d'un coup de fouet, parce qu'il avait transgressé les ordres qu'il lui avait donnés. Arrivé à Tolède, Mousa exigea de Tarik la remise du butin et de la table. Un des pieds de cette table avait été enlevé par Tarik, et, Mousa l'ayant interrogé à ce sujet, il lui répondit qu'il l'avait trouvée ainsi. Alors Mousa y fit mettre un nouveau pied en or, et il marcha contre Saragosse, dont il s'empara ainsi que des villes environnantes. Il pénétra ensuite dans le pays des Francs et arriva dans un vaste désert et une plaine où étaient des puits ; il trouva là une idole (représentant un homme) debout et portant cette inscription : Enfants d'Ismaïl ! c'est ici le terme de votre marche ; ainsi, rebroussez chemin. Désirez-vous savoir ce que vous trouverez à votre retour ? je vous le dirai : des dissensions intestines, dans lesquelles vous vous couperez la tête les ans aux autres. Alors Mousa revint sur ses pas, et, chemin faisant, il rencontra un messager qui lui portait l'ordre de quitter l'Espagne et de se rendre auprès d'El-Welîd. Cet ordre le contraria beaucoup, et il dupa l'envoyé du khalife par différents prétextes, tout en faisant des expéditions dans d'autres endroits que celui où se trouvait l'idole, s'occupant à tuer, à faire des captifs, à détruire les églises et à en briser les cloches. Arrivé au rocher de Belaî (Pelage), situé sur les bords de la mer Verte (le golfe de Gascogne), il avait toujours eu pour lui la force et la victoire, lorsqu'un autre messager lui arriva, de la part d'El-Welîd, pour lui enjoindre de presser son retour. Cet envoyé saisit par la bride la mule qui portait Mousa, et il l'emmena ainsi. Ce fut dans la ville de Lok (Lugo ?) en Galice que cette rencontre eut lieu. Mousa traversa, en s'en revenant, un défilé appelé depuis le défilé de Mousa, et il fut rejoint par Tarik, qui revenait de la frontière supérieure, (Aragon). Il obligea Tarik à partir avec lui, et laissa, en qualité de lieutenant, son fils, Abd el-Aziz Ibn Mousa. Ayant passé le détroit, il confia à son autre fils, Abd el-Melik, le commandement de Ceuta, Tanger et des lieux voisins ; et nomma Abd Allah, son fils aîné, gouverneur de la province d'Afrique et des pays qui en dépendaient. Il partit ensuite pour la Syrie emmenant avec lui trente mille jeunes vierges, filles des princes des Goths et de leurs chefs, et emportant les dépouilles de l'Espagne, la table de Salomon ainsi qu'une quantité immense de pierreries et de toutes sortes d'objets précieux. A son arrivée en Syrie, il apprit la mort d'El-Welîd et l'élévation de Soleïman ibn Abd-el-Melik. Le nouveau khalife, qui n'aimait pas Mousa ibn Noseir, lui ôta toutes ses charges, le bannit de sa présence et lui imposa une amende si considérable, que pour l'acquitter Mousa fut obligé de faire des emprunts aux Arabes du désert. Selon une autre relation, El-Welîd vivait encore lors du retour de Mousa, qui lui avait écrit pour s'attribuer la conquête de l'Espagne, et pour lui annoncer la prise de la table. Quand il parut devant le khalife, il lui présenta ce qu'il avait apporté, sans oublier la table ; mais Tarik, qui l'accompagnait, revendiquant lui seul l'honneur de l'avoir prise, il en reçut de la part de Mousa un démenti formel. Sur cela, il pria El-Welîd de demander à Mousa ce qu'était devenu le pied qui y manquait, et, comme celui-ci n'en avait aucune connaissance, Tarik fit voir ce pied au khalife en lui disant que c'était pour cette raison qu'il l'avait caché. El-Welîd reconnut alors la véracité de Tarik qui, en agissant ainsi, voulait se venger de Mousa qui l'avait fait battre et emprisonner jusqu'au jour où El-Welîd lui fit rendre la liberté. Quelques-uns disent cependant que Mousa ne l'emprisonna pas.

On rapporte qu'il y avait en Espagne, sous la domination romaine, une maison-à laquelle chaque nouveau gouverneur ajoutait une serrure ; leurs successeurs, les Goths, en firent de même ; mais, lors de l'avènement de Rodéric, ce prince ouvrit les serrures et trouva dans la maison des images représentant des Arabes portant des turbans rouges et montés sur des chevaux gris ; on y voyait aussi l'inscription suivante : Lors de l'ouverture de cette maison, le peuple que voici pénétrera dans ce pays. Et l'invasion de l'Espagne eut lieu dans cette même année.

EXPEDITION EN SARDAIGNE.

Après son entrée en Espagne, dit le même historien, Mousa envoya un détachement de troupes contre cette île, située dans la mer Romaine, et qui abonde en fruits. Elles y arrivèrent en l'an 92 (710-11 de J. C.), et les chrétiens jetèrent dans une pièce d'eau tous leurs vases d'or et d'argent, et cachèrent (le reste de) leurs richesses entre les deux toits de l'église principale. Les musulmans firent un immense butin, mais ils en détournèrent la majeure partie. L'un d'eux, en se baignant, trouva son pied engagé dans quelque chose qu'il ramassa aussitôt ; c'était un plat d'argent. Les musulmans retirèrent alors de l'eau tout ce qui s'y trouvait ; et un autre musulman étant entré dans l'église, décocha une flèche contre un pigeon qu'il n'atteignit pas ; mais le trait, ayant pratiqué une ouverture dans le plancher, en fit tomber quelques pièces d'or, et les musulmans prirent tout ce qui était caché dans est endroit, et de nombreuses soustractions frauduleuses eurent lieu en cette circonstance. L'un des soldats, ayant tué un chat, le farcit de pièces de monnaie, le jeta sur la route, et le reprit en se retirant : un autre remplit d'or le fourreau de son épée dont il avait enlevé la lame et remis la poignée à sa place. Lorsqu'ils se furent embarqués, une voix leur fit entendre ces paroles : « O mon Dieu, noyez-les ! » et ils périrent tous dans les flots.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED IBN YEZID ; MORT D'ABD EL-AZIZ, FILS DE MOUSA IBN NOSEIR.

L'historien dit : Soliman ibn Abd el-Melik confia le gouvernement de la province d'Afrique à Mohammed ibn Yézid, un mewla de la tribu de Koreïsch, et, au moment de sa nomination, il lui adressa les paroles suivantes : O Mohammed ! crains le Dieu unique et fais fleurir la vérité et la justice dans les pays que je te confie. 0 mon Dieu ! sois témoin (de cette recommandation). Alors Mohammed se retira, en disant qu'il serait sans excuse s'il ne gouvernait pas avec équité. Sa nomination eut lieu l'an 99 (717-18 de J. C). Pendant son administration, qui dura deux ans et quelques mois, il reçut une lettre de Soleïman ibn Abd el-Melik qui lui intimait l'ordre de faire arrêter la famille et tous les protégés de Mousa ibn Noseir, de les garder jusqu'à ce qu'ils eussent acquitté l'amende imposée à Mousa, et dont le restant s'élevait à trois cent mille dinars : il ne devait pas même leur épargner les tortures. En exécution de cet ordre, Mohammed ibn Yézid fit arrêter et emprisonner Abd Allah, gouverneur de Kairewan ; et quelque temps après, il reçut par un courrier l'ordre de lui trancher la tête. Quant à Abd el-Aziz, l'autre fils que Mousa avait laissé en Espagne comme gouverneur, il réduisit le pays en servitude, en fortifia les frontières et prit plusieurs villes dont son père ne s'était pas rendu maître. Ce fut un homme de bien et de talent. Il épousa la veuve du roi Rodéric et la traita avec tant de prévenances et d'égards, qu'elle parvint à exercer une haute influence sur son esprit. Elle chercha même à l'amener à exiger de ses compagnons qu'ils se prosternassent en se présentant devant lui, selon ce qui se pratiquait envers son premier mari ; et, bien qu'il lui fît observer qu'une telle cérémonie n'était pas dans les mœurs des Arabes, elle insista et eut enfin la satisfaction d'obtenir de lui qu'on pratiquât une porte basse dans la salle où il donnait audience, de sorte que ceux qui entraient fussent obligés d'incliner la tête comme pour se prosterner. Encouragée par ce succès, elle lui dit ensuite : Tu es maintenant au nombre des rois, il ne me reste plus qu'à faire pour toi un diadème avec l'or et les perles que je possède. Malgré la résistance d'Abd el-Aziz, elle réussit à lui faire porter le diadème ; mais les soupçons des musulmans s'en étant éveillés, ils disaient ouvertement qu'il s'était fait chrétien, et, pénétrant enfin l'intention qu'il avait eue en faisant pratiquer la porte basse, ils se jetèrent sur lui et le tuèrent, vers la fin de l'an 99 (juillet 718 de J. C.). Ceci se passa dans les derniers temps du khalife Soleïman ibn Abd el-Melik. Pendant l'année suivante ils demeurèrent sans imam pour les présider à la prière du vendredi.[71] L'historien El-Wakidi nous a transmis la tradition suivante : quand Abd el-Aziz apprit les malheurs qui avaient frappé son père, son frère et les gens de sa maison, il renonça à l'obéissance et leva l'étendard de la révolte. Soleïman lui dépêcha un envoyé pour le ramener à la soumission ; mais, comme cette démarche n'eut aucun succès, il écrivit secrètement à Habib ibn abi Obéidah, petit-fils d'Okba ibn Nafî, ainsi qu'aux principaux parmi les Arabes, leur donnant l’ordre de le faire périr. Abd el-Aziz sortit (quelque temps après,) pour présider à la prière ; il récita le fatiha (ou première sourate du Koran), et il lisait la haffa (le coup inévitable, la soixante-neuvième sourate du même livre), quand Habib lui dit : Ce coup est arrivé pour toi, fils d'une prostituée et au même instant sa tête tombait sous son cimeterre. Cette tête, ainsi que celle d'Abd Allah, furent portées à Mousa, leur père, et déposées devant lui. Mousa fut alors mis à la torture jusqu'à ce qu'il mourût. Le gouvernement d'Espagne fut alors réuni de nouveau à celui de la province d'Afrique, et Mohammed nomma pour son lieutenant, dans ce premier pays, El-Horr ibn abd er-Rahman de la tribu de Keis. Mohammed continua de gouverner l'Afrique jusqu'à la mort de Soleïman et l'avènement au trône d'Omar ibn Abd el-Aziz : il fut déposé par ce nouveau khalife et remplacé par Ismaïl ibn Abd Allah.

GOUVERNEMENT D'ISMAÏL IBN ABD ALLAH IBN ABI'L-MORADJIR, MEWLA DE LA TRIBU DE MAKHZOUM.

L'historien dit : Quand Omar ibn Abd el-Aziz devint khalife, il nomma Ismaïl administrateur de la province d'Afrique. Ce fut un excellent gouverneur ; il fit un appel à ces Berbers qui n'avaient pas encore embrassé l'islamisme, et ils se convertirent, de sorte que cette religion prévalut dans tout le Maghrib. Il gouvernait encore l'Afrique en l'an 101 (720 de J. C), époque à laquelle il fut destitué par Yézid ibn Abd el-Melik, successeur d'Omer ibn Abd el-Aziz. Il fut remplacé par Yézid ibn Abi Moslim.

GOUVERNEMENT DE YEZID IBN ABI MOSLIM, MEWLA D'EL-HEDJJADJ.

Yézid arriva dans la province d'Afrique l'an 102, et il voulait y tenir la même conduite qu'el-Hedjjadj avait tenue envers ces habitants du Sewâd (la Babylonie) qui descendaient d'ancêtres tributaires.[72] El-Hedjjadj l'envoyait dans leurs villages pour les obliger à payer la capitation (djezya) comme ils le faisaient avant leur conversion à l'islamisme. Yézid voulait suivre le même système dans la province d'Afrique, mais les habitants, d'un commun accord, le firent périr et se mirent de nouveau sous la conduite de leur ancien gouverneur, Mohammed ibn Yézid.

MOHAMMED IBN YEZID GOUVERNEUR POUR LA SECONDE FOIS.

Ils écrivirent alors au khalife Yézid ibn el-Melik, pour lui déclarer qu'ils n'avaient pas renoncé à leur fidélité, mais que Yézid ibn Abi Moslim les avait traités d'une manière outrageante devant Dieu et les musulmans, et qu'ils venaient de se remettre sous l'autorité de leur ancien gouverneur. Le khalife leur fit une réponse par laquelle il désapprouvait la conduite d'Ibn Abi Moslim et confirmait le choix qu'ils avaient fait de Mohammed ibn Yézid.

GOUVERNEMENT DE BISCHR IBN SAFWAN AL-KELBI.

Dans la suite, Bischr ibn Safwan, de la tribu de Kelb, fut chargé d'administrer la province d'Afrique. Il y arriva en l'an 103 (721-22 de J. C.), et destitua Al-Horr ibn Abd er-Rahman, gouverneur d'Espagne, qu'il remplaça par Anbesa el-Kelbi. Il fit alors une expédition en Sicile, d'où il s'en retourna avec un riche butin. Sa mort eut lieu à Kairewan, l'an 109 (727-28 de J. C), pendant le khalifat de Hischam ibn Abd el-Melik, qui le remplaça par Obéidah ibn Abd er-Rahman de la tribu de Soleim.

GOUVERNEMENT D'OBEIDA IBN ABD ER-RAHMAN ES-SOLEMI (MEMBRE DE LA TRIBU DE SOLEIM.)

Obéidah ibn Abd er-Rahman était le fils du frère d'Abou'l-Aawer, qui avait commandé la cavalerie de Moawia.[73] En arrivant il fit emprisonner les agents[74] de Bischr et leur arracha de l'argent par toutes sortes de mauvais traitements et de tortures. L'un d'entre eux, Abou'l-Khattab ibn Safwan as-Solémi, chef d'un rang élevé, composa à ce sujet les vers suivants et les envoya au kalife Hischam :

[75]Les enfants de Merwân (les Omeyades) nous ont lésés dans nos personnes et mis biens ; mais la justice de Dieu est là, s'ils n'agissent pas avec équité.

On dirait, vraiment, qu'ils ne m'ont jamais vu au combat, ni vu, jusqu'à présent, un homme de mérite !

C'est cependant vous que nous avons protégés contre les lances en leur présentant nos poitrines, dans ce temps où vous ne possédiez d'autres guerriers que nous !

Mais vous atteignîtes depuis le but de vos souhaits (l’empire), et, avec lui, toutes les délices de la vie ;

Ainsi, vous tâchez de nous oublier, comme si vous n'aviez jamais eu en nous des amis dévoués, comme si vous n'aviez jamais recherché notre alliance ! mais cela, vous ne sauriez l'oublier.

A la lecture de ces vers, Hischam entra en courroux et prononça la déposition d'Obéidah. Celui-ci, en quittant la province d'Afrique, y laissa pour lieutenant gouverneur, Okba ibn Kodama et-Todjîbi, et pour kadi Abd Allah ibn el-Mogheira ibn Berda de la tribu de Koreich. Ceci se passait au mois de schewal de l'an 114 (commencement de décembre 732 de J. C.).

GOUVERNEMENT D'OBEID ALLAH IBN EL-HABHÂB.

Obeïd Allah Ibn el-Habhâb, mewla de la tribu de Seloul, occupait une place éminente dans l'administration civile, s'exprimait avec élégance et savait par cœur la poésie des Arabes du désert, l'histoire de leurs journées célébrés et les récits de leurs combats. Ce fut lui qui bâtit la grande mosquée de Tunis, ainsi que l'arsenal de la marine. Sa nomination au gouvernement de la province d'Afrique eut lieu au mois de rébi premier de l'an 116 (avril 734 de J. C.). Il confia le commandement de Tanger et ses dépendances à Omer Ibn Abd Allah el-Moradi ; mais celui-ci se conduisit avec injustice et commit des illégalités dans la perception de la dîme aumônière et la répartition du butin. Il voulait prélever le quint sur les biens des Berbers, sous prétexte que les propriétés de ce peuple étaient un butin acquis aux musulmans, chose qu'aucun aamil avant lui n'avait osé faire ; ce fut seulement sur ceux d'entre eux qui refusèrent d'adopter l'islamisme que les gouverneurs imposaient ce tribut. Cette conduite porta les Berbers de Tanger à la révolte, et ils se mirent tous en insurrection contre lui, en l'année 122 (739-40 de J.-C.). Ce fut la première fois que, dans la province d'Afrique, des troubles éclatèrent au sein de l'islamisme. Meisera el-Medari[76] se soustrait (à la domination des Arabes), et tue Omer el-Moradi. Alors parurent en Maghrib des gens qui professaient les doctrines des kharidjites,[77] et dont le nombre ainsi que la puissance prit de grands accroissements. L'historien dit plus loin : Alors Obeïd Allah fit partir des troupes, choisies parmi les Arabes nobles, pour combattre Meisera. Il en commit le commandement à Rhah'd ibn abi Habib el-Fihri, auquel il donna pour lieutenant Habib ibn abi Obéidah. Khalid vint livrer bataille à Meisera sous (les murs) de Tanger ; le combat fut soutenu avec un acharnement inouï ; mais, à la fin, Meisera rentra vainqueur dans la ville. Les Berbers firent ensuite des peintes amères contre la conduite de leur chef, et ceux qu’il' avaient proclamé khalife et lui avaient prêté serment de fidélité, secouant le joug de son autorité, le mirent à mort ; puis ils décernèrent le pouvoir suprême à Khalid Ibn Homeid Owî, de la tribu de Zenata. Ibn abi Habib vint une seconde fois livrer bataille aux Berbers ; mais, au plus fort de l'action, il fut attaqué par Ibn Homeid, à la tête d'une armée formidable. Les Arabes furent mis en déroute, et Ibn abi Habib et quelques-uns de ses compagnons, trop fiers pour prendre la fuite, se précipitèrent dans les rangs ennemis, où ils trouvèrent tous une mort glorieuse. Les Arabes les plus braves et leurs cavaliers les plus intrépides succombèrent dans ce combat, qui fut nommé le combat des nobles (wakât el-aschraf). Par suite de ce revers, la révolte se propagea dans le pays, et la position des affaires devint si mauvaise que le peuple se réunit et déposa son gouverneur Obeïd Allah. En apprenant ce malheur, Hischam ibn Abd el-Melik s'écria : Qu'on me fasse venir des hommes ! amenez-moi ces Arabes qui se sont présentés (pour m'offrir leurs services). — Oui ! répondirent ses serviteurs. — Par Allah ! reprit-il, je me fâcherai contre eux de la colère d'un Arabe[78] ! Je leur enverrai une armée telle qu'ils n'en virent jamais dans leur pays : la tête de la colonne sera chez eux pendant que la queue en sera encore chez moi. Je ne laisserai point de château berber sans établir à côte un camp de guerriers de la tribu de Keis ou de celle de Temîm. Il envoya alors à Obeïd Allah Ibn el-Habhâb une lettre de rappel. Celui-ci quitta la province d'Afrique au mois de djoumada premier de l'an 128 (mars ou avril 741 de J. C.). En arrivant dans la province d'Afrique, dit plus loin l'historien, Obeïd Allah avait destitué Anbesa, gouverneur de l'Espagne, et nommé Okba Ibn el-Hadjjadj à sa place ; mais sur la nouvelle de la révolte des Berbers, le peuple de ce pays déposa Okba et confia le commandement à Abd el-Mélik Ibn Katan, el-Fihri. L'historien ajoute qu'Hischam Ibn Abd el-Mélik nomma alors Kolthoum Ibn Aiyad, de la tribu de Koscheir, gouverneur de l'Afrique.

GOUVERNEMENT DE KOLTHOUM IBN AIYAD EL-KOSCHEIRI.

Au mois de ramadan 128 (juillet-août 741 de J. C.), il arriva dans la province d'Afrique. Avant de partir, il avait reçu le commandement, de douze mille hommes de cavalerie fournis par les établissements militaires de Syrie,[79] et il écrivit de tous côtés pour qu'on vînt prendre part à son expédition. Il partit ensuite, ayant avec lui les aâmils de l'Egypte, de Barka et de Tripoli. En arrivant dans la province, il tourna Kairewan et marcha directement sur Ceuta, après avoir donné à Abd er-Rahman Ibn Okba el-Ghaffâri le commandement de la première ville. Abd er-Rahman était alors kadi de la province d'Afrique. Kolthoum ayant appris que Habib ibn abi Obéidah résistait toujours aux Berbers, alla à leur rencontre et les trouva, au nombre de trente mille sur le bord de la rivière de Tanger, wadi Tandja, où ils furent aussitôt rejoints par Khalid Ibn Homeid ez-Zenati. Cette multitude immense s'ébranla et marcha contre les musulmans. Le combat fut terrible ; Kolthoum y périt, ainsi qu'Ibn abi Obéidah, Soleïman ibn abi Mohadjir et les principaux d'entre les Arabes : le reste prit la fuite. Les Syriens passèrent en Espagne, et les Egyptiens ainsi que les habitants de la province d'Afrique se réfugièrent en Ifrikiya.[80] Quand la nouvelle de cette défaite fut portée à Kairewan, le peuple se révolta ; et, en même temps, Okasa Ibn Aiyoub el-Fezâri s'insurgea contre ceux de Kabes.[81] Okasa était safrite, et il commandait l'avant-garde des Syriens, lors de leur entrée en Afrique avec Obeïd Allah ibn el-Habhâb. Alors Abd er-Rahman ibn Okba marche contre lui et l'attaque ; Okasa prend la fuite ; un grand nombre de ses partisans sont tués et le reste dispersé. Quand Hischam ibn Abd el-Mélik apprit l'état dans lequel la province se trouvait, il y envoya Hanzala Ibn Safwan, de la tribu de Kalb.

suite

 


 

[1] Schihab ed-Din Ahmed ibn abd el-Wehhab appartenait à la tribu de Bekr, qui est une branche de celle de Teim, et naquit en Egypte au village d’en-Noweira, dans la province de Behnesa. Il mourut l'an 732 ou 733 de l'hégire (1331-2-3 de J. C). Parmi les ouvrages qu'il a laissés, le plus célèbre est sa grande encyclopédie intitulée : Nihayet el-areb fi fonoun el-adeb, c'est-à-dire « le but des efforts touchant les différentes branches des belles-lettres. » Cette immense compilation est divisée en cinq sections ou fenn, dont chacune renferme plusieurs parties ; on en trouvera l'indication détaillée dans les Prodidagmata de Reiske. Voy. le Tabula Syriœ de Koehler, p. 232. La cinquième section comprend la partie historique, et c'est le sixième chapitre de la cinquième partie de cette section que je donne ici. C'est une des meilleures portions de l'ouvrage, et on reconnaît que l'auteur a puisé à des bonnes sources. Les extraits qu'Otter et Cardonne en ont faits ne suffisent malheureusement pas pour donner une juste idée de l'ouvrage, et j'ai pensé qu'une traduction exacte et complète pourrait seule servir à en faire apprécier le vrai mérite.

Cette traduction est faite d'après les manuscrits de la Bibliothèque du roi nos 702, 702 A et 638. Le n° 702 est très bien écrit, mais le copiste a souvent supprimé les points diacritiques ; en bien des cas aussi il les a mal placés par inadvertance. Cardonne s'est servi de ce manuscrit, mais il ne paraît pas qu'il se soit aperçu de l'absence de trois feuillets vers le commencement, lesquels renfermaient une portion de l'histoire des Aghlebites. Il semblerait, d'après une note écrite à la fin du volume par le copiste lui-même, que cet exemplaire aurait été transcrit par la main de l'auteur ; on y remarque cependant des incorrections si étranges qu'on a de la peine à les attribuer à un homme si instruit qu'En-Noweïri. Le ms. n° 702 A est composé d'un nombre de cahiers écrits de différentes mains, et renfermant des portions de la cinquième section. Un fragment considérable contient la plus grande partie de l'histoire des Aghlebites, et comble les lacunes du n° 702. Le man. n° 638 est composé des t. II et V de la chronique d'Ibn Shâkir, intitulée : Oiyoun et-tewarikh ; mais, sur les marges d'un grand nombre de ses feuillets, on remarque des longs extraits de l'ouvrage d'En-Noweïri, écrits en écriture taalik et très lisibles. Une portion très considérable de l'histoire de l'Afrique s'y trouve, à commencer du fol. 27 du cinquième volume ; et cet extrait m'a été d'un grand secours pour corriger les fautes des deux autres manuscrits. Les deux volumes dont ce numéro se composait viennent d'être reliés séparément.

N. B. : Les notes du traducteur ne sont pas reproduites intégralement.

[2] Telle est la vraie prononciation du nom que les auteurs européens écrivent Amrou ibn As.

[3] A la lettre : tant que mes yeux porteront des larmes.

[4] Le général des musulmans. On verra cependant que ce fut Abd-Allah ibn Saad qui commandait en chef.

[5] Dans le ms. n° 638, on lit de Morr.

[6] J'adopte l'orthographe donnée par Es-Soyouti dans son dictionnaire géographique, le Merasid el-ittila. — L'un des manuscrits d'Ibn Noweïri porte el-Harb et l'autre el-Harf.

[7] Le ms. n° 702 porte Merwan.

[8] Mohammed ibn Schihab ez-Zohri, célèbre rapporteur d'anciennes traditions, mourut vers l’an 124 de l’hégire. Sa vie se trouve dans le Dictionnaire biographique d’Ibn Khallikan, texte arabe, tome I, p. 632 de mon édition.

[9] C’est-à-dire, il bloqua la ville pour l’affamer.

[10] Ceci est manifestement une exagération : le narrateur, qui paraît avoir été un simple soldat de l'expédition, ne devait pas être bien instruit du nombre des ennemis.

[11] Règle générale : quand un écrivain arabe rapporte un récit ou donne un extrait d'un autre auteur, il le fait précéder du mot (dixit) ; et chaque fois qu'il en supprime un passage ou qu'il ajoute de ses propres observations, il a soin, en reprenant sa citation, de la commencer par ce même mot.

[12] Dans le man. 638 ce nom est écrit Yakouba.

[13] A la lettre : et la guerre déposait ses fardeaux ; expression assez souvent employée par les écrivains arabes.

[14] On sait que les troupes grecques portaient une croix en guise de drapeau.

[15] Le droit du souverain sur le butin est d’un cinquième ; tout le reste appartient à l’armée. Le quint réservé au souverain n’est proprement ni pour lui, ni pour le trésor public : il est au profit des pauvres. — D’Ohsson, Tableau général de l’empire ottoman, code militaire.

[16] Ceci paraît une exagération. S’il s’agissait de dirhems, ou pourrait l’admettre.

[17] Ceci est probablement le même lieu que l’Edrisi nomme Mar madjina. Ce lieu doit être situé dans le voisinage de Ribsa. Voyez aussi El-Bekri, Notices et Extraits, t. XII, p. 597.

[18] La plaine des roseaux.

[19] En arabe, ce qu’ils avaient attrapé ; s’il se fût agi non pas du butin , mais d’une terre conquise, l’auteur aurait écrit différemment. — En traduisant ce passage, Cardonne a commis une erreur que M. Saint-Martin a négligé de relever dans ses notes sur l’histoire du Bas-Empire.

[20] Le ms. n° 702 porte Aoulima.

[21] Dans le ms. n° 702 on lit Elatilion et dans le n° 638 Elatérion.

[22] M. Saint-Martin a cru que ce fut Moawia qui mourut à Alexandrie. Par suite de cette méprise, il a fait des changements au texte de l'Histoire du Bas-Empire de Lebeau, t. XI, p. 396 et 397, lesquels changements sont autant d'inexactitudes.

[23] A la lettre : et cela devint guerre après avoir été feu.— Cette expression proverbiale renferme une allusion à une coutume des anciens Arabes : ils allumaient du feu sur une colline pour annoncer que la guerre était imminente. Voyez Rasmussen, Additamenta ad hist. ar. p. 68.

[24] Milices, en arabe djond. Après la conquête de la Syrie par les premiers musulmans, ce pays fut partagé en cinq arrondissements militaires (djonds), dans lesquels les troupes arabes furent cantonnées. — Dans la traduction de la Géographie d'Aboulféda, maintenant sous presse, M. Reinaud a traité des djonds dans une note à laquelle je renvoie le lecteur.

[25] On verra plus loin que la ville de Kairewan fut bâtie sur l'emplacement d'une forteresse grecque nommée Kamounia.

[26] La bien arrosée, en arabe el-memtour.

[27] Je lis ce mot ainsi Nigfour.

[28] Le man. n° 638 porte Sentirt. et le n° 702 Santabarta. Voy. Procope, de Aedificius, éd. de Venise, p. 472.

[29] A la lettre : aussitôt que l’ombre se penchait ; c’est-à-dire que les ombres projetées par le soleil se penchaient vers l'orient.

[30] El-Beladori, l'auteur du Livre des conquêtes faites par les musulmans, mourut vers l'an 279 de l'hégire. M. Hamaker a donné une notice sur cet écrivain dans son Specimen catal. Lugd. Bat. p. 7.

[31] L'histoire de Sicile par En-Noweïri a été traduite en français par feu M. Caussin.

[32] Les historiens cités par En-Noweïri dans cette partie de son ouvrage sont Ibn el-Athir, Ibn Scheddad, Ibn er-Rakik et Ibn Reschik. Le premier est l'auteur de la chronique célèbre, le Kamil ; le second était un descendant des Zirites, souverains de la province d'Afrique ; il se nommait, selon en-Noweïri, Abû Mohammed abd el-Aziz, fils de Scheddâd, fils de l’émir Temîm, fils d’Al-Mo’izz, fils de Badis ; il est auteur de l’ouvrage intitulé : EI-jamo wel-beian, c’est-à-dire Collection et explication touchant l'histoire du Maghreb et de Kairewan. Quant à Ibn er-Rekik, qu'on ne doit pas confondre avec Ibn Reschik, il se nommait le katib ou écrivain, Abou Ishak Ibrahim ibn er-Rekik, et son ouvrage, l'Histoire d'Afrique et de Kairewan, a été mis à contribution par En-Noweïri, Ibn Khaldoun, Léon l'Africain et el-Makkari. — Ibn Reschik a composé aussi un ouvrage sur le même sujet ; sa vie a été donnée par Ibn Khallikan : voyez t. 1, p. 195 de mon édition de ce biographe.

[33] Il veut dire une personne revêtue de l'autorité spirituelle et temporelle ; tels étaient les généraux de ce temps-là quand ils agissaient comme délégués du khalife.

[34] Selon Ibn Khallikan, Kairewan fut ainsi nommé parce qu'une caravane, kirwân, avait fait halte sur le lieu où la ville fut bâtie plus tard.— Voyez mon édition d'Ibn Khallikan, t. I, p. 19 du texte arabe, et t. I, p. 35 de la traduction. Il restera toujours à expliquer comment le mot persan kirwan aurait été connu et usité en Afrique.

[35] En-Noweïri donne ce conte sur l'autorité des historiens qu'il a consultés ; il faut donc reconnaître que les traditions arabes, d'après lesquelles ces historiens ont travaillé, avaient reçu une forte teinture du romanesque avant de leur parvenir.

[36] La kibla veut dire le côté de l'horizon qui est dans la direction de la Mecque. Il faut connaître la kibla pour orienter une mosquée, et pour savoir de quel côté se tourner pour faire la prière.

[37] Le mihrab est une niche pratiquée dans le mur de la mosquée et dans l'intérieur de l'édifice ; il sert à marquer la direction de la kibla.

[38] Moslema, le patron d'Abou'l-Mohadjir, était un de ces Médinois qui avaient aidé Mahomet, et qui reçurent pour cette raison le titre d'Ansars (aides). Voyez le Telkih d'Ibn el-Djewzi, man. n° 631 ; on y trouve les noms de tous les Mohadjirs et des principaux Ansars.

[39] Melisch, telle est la leçon du man. n° 702 ; le ms. n° 638 porte Lemisch.

[40] Il s'agit ici du célèbre personnage connu sous le nom du comte Julien. On a élevé des doutes sur la prononciation de ce mot, et on a cru y reconnaître la transcription d'Elien. ou Aelian. Dans le manuscrit n° 706 de la Bibl. du roi, on lit Youlian, ce qui me porte à croire que l'ancienne prononciation est correcte.

[41] Okba savait son Koran, et les aventures de Zou'l-Karnein lui étaient familières. Ce conquérant pénétra dans l'occident jusqu'au lieu du coucher du soleil, et il le vit descendre dans un puits rempli de boue noire. Cette histoire authentique est racontée dans la sourate de la Caverne, à commencer du verset 72.

[42] Chaque réka est composé d'un certain nombre de prières, invocations et prostrations. (Voyez d'Ohsson, Tableau général de l'empire othoman. t. II, p. 82.)

[43] Abou Obeïd el-Bekri donne une description de ces deux villes ; voyez Notices et Extraits, t. XII, p. 531.

[44] El-Aorbi, membre de la tribu berbère d'Aorba. Aorba fut fils de Bernés, fils de Berr.

[45] Le poète Abou Mihdjen fils de Hobeib de la tribu de Thakîf, fut un des compagnons de Mahomet. On n’est pas d’accord sur son véritable nom ; les uns l’appellent Abil Allah et les autres Malik. Il fut tellement adonne au in, que le khalife Omer lui fit donner la bastonnade plusieurs fois et finit par le mettre en prison. Abou Mihdjen parvint enfin à s’évader, et alla joindre l’armée de Saad ibn Ahi Wekkas quelque temps avant la bataille de Kadisiya ; mais ce général reçut bientôt une lettre d’Omer, qui lui ordonna de mettre Abou Mihdjen dans les fers à cause de sa conduite scandaleuse. Au jour de la bataille, le poète désirait ardemment y prendre part, et prononça, en se lamentant, les deux vers cités ici par En-Noweïri. La femme de Saad l’ayant entendu, le débarrassa de ses liens et lui fournit un cheval et une lance. Abou Mihdjen courut au combat, et, par des traits d’une rare prouesse, s’attira les regards du général, lequel fut si content de sa conduite qu’il lui donna la permission de boire du vin tant qu’il en voudrait. Abou Mihdjen lui répondit : « J’en buvais dans le temps où je ne craignais d’autre punition que la bastonnade ; mais maintenant que c’est à Dieu seul que je dois en répondre, je n’en boirai plus. » Ce poète fut enterré à Djordjan ou Aderbidjan. — (Es-Soyouti, Scher shewahid el-Moghni. man. de la Bibl. du roi, n° 1238, fol. 26.)

[47] En garnison (morabit) ; le not morabit désigne celui qui demeure dans un ribat Le ribat était une espèce de caserne fortifiée, et toujours située sur la frontière ennemie. Comme la guerre contre les infidèles est un devoir pour les musulmans, beaucoup d’entre eux recherchaient la faveur divine en faisant une retraite religieuse dans un de ces établissements, où on passait dans la dévotion le temps qui n’était pas employé à combattre l’ennemi. Ibn Haukal a donné deux bonnes notices sur les ribats, qu’on trouvera reproduites dans notre édition du texte arabe de la Géographie d’Aboulféda, p. 235, 487. Voyez aussi ma traduction d’Ibn Khallikan, t. I, p. 159.

[48] Probablement quelques chefs (le ces tribus qui étaient alors établies dans les djonds ou arrondissements militaires.

[49] Soit parce que leurs chevaux avaient été mis hors de combat soit pour montrer qu’ils ne voulaient pas reculer.

[50] Karthadjinna est la transcription arabe du mot Carthagini.

[51] Mont Auras, l'Aurasius de Corippus et l’Αυρασίον de Procope.

[52] Es-Soyouti fait mention de cette rivière dans son dictionnaire géographique, le Merasid el-ittila ; il dit seulement que c'est une rivière du Maghrib. On voit sur la carte de l'Algérie par le lieutenant général Pelet, que le lieu nommé Niny est situé à environ deux lieues au sud-est de Beghaiya. C'est le Neeny de Shaw.

[53] Le mot signifie « garçon, domestique, jeune esclave blanc ou mamlouk ».

[54] Castîliya est la province dont Touzer est la capitale. Cette ville est placée sur la carte du lieut. général Pelet en lat. 33° 21’, et en long. 6° 15’.

[55] Voyez El-Bekri, Notices et Extraits, p. 503, et l'Edrisi, t. I, p. 254.

[56] Le participe passif renferme souvent l'idée d'un temps futur, ou plutôt il indique que l'action exprimée par le verbe doit être faite ou mérite d'être faite.

[57] L'arabe dit : « Il avait avec lui, en fait de prisonniers, trente-cinq mille têtes ».

[58] Telle est l'orthographe ponctuée des manuscrits d'En-Noweïri, d'Ibn el-Goutiya, de l'Histoire d'Espagne par Ibn el-Abbâr el-Kodai, du Silat d'Ibn Beschkowal, du Nujoum ez-Zahira d'Abou'l-Mehasin, etc.

[59] Abou'l-Harith el-Leith Ibn Saad, célèbre docteur de la loi, naquit en Egypte l'an 92 de l'hégire ; il mourut en 175. Il possédait de grandes richesses dont il faisait un noble emploi ; il maria une de ses filles à Ibrahim Ibn el-Aghleb, le premier prince de cette dynastie. Sa vie se trouve dans le dictionnaire biographique d'Ibn Khallikan. (Voyez t. 1, p. 613 de mon édition du texte arabe de cet ouvrage.)

[60] Voyez El-Bekri, p. 506, et l'Edrisi, t. I, p. 269.

[61] Le man. n° 638 porte Bischr ibn Artâ ; si cette leçon est admise, il faut prononcer ce nom Bosr, et non pas Bischr. Abou'l-Mehasin le dit positivement dans son El-Bahr ez-Zakhir, man. de la Bibl. du roi, n° 659 A, sous l’année 41.

[62] Le terme mewla désigne également l'esclave et le maître, l'affranchi et le patron ; mais Tarik était encore esclave.

[63] Je supprime ici la matière d'environ deux pages d'impression, ne voulant pas reproduire un ramas de fables et d'erreurs qu'Ibn el-Athir donne comme une esquisse de l'ancienne histoire d'Espagne ou Andalos, comme les Arabes l'appellent. Il y a cependant un passage qui mérite attention ; il dit que ce pays tire son nom, soit d'Andalos fils de Japhet, soit d'un peuple nommé Andalos (Vandales) qui s'y établit. Cette dernière dérivation est plus raisonnable que celle donnée par Casiri, qui veut que ce nom vienne du mot arabe-handalos, signifiant, selon lui, regio vespertina et tenebrosa, atque etiam occidentis finis. En cela il se trompe singulièrement, car, selon le lexique arabe intitulé le Kamous, ce mot, qui doit se prononcer handalis et non pas handalos. signifie « une femelle de chameau qui marche lourdement et dont la chair est lâche et pendante, ou bien aussi « une femelle de chameau de bonne race. » Il y aurait bien des passages semblables à relever dans la Bibliotheca Arabica. Pour en revenir a Ibn el-Athir, je dois dire que les renseignements donnés par lui et beaucoup d'autres historiens musulmans, sur les événements antérieurs à l'islamisme, ne méritent que peu de confiance. Dans leur ignorance de la matière, les Arabes acceptèrent aveuglément toutes les fables que les Guèbres, les juifs et les chrétiens leur débitaient ; et quand on trouve un écrivain de cette nation se montrer bien instruit de l'histoire des anciens, on peut être presque assuré qu'il a tiré ses connaissances de l'ouvrage d'Orose ou de la Bible.

[64] Ibn el-Koutiya parle de trois fils qu'il nomme Alamond, Romlo, et Artobas. (Man. n° 706, fol 1.)

[65] Ce nom est estropié dans les manuscrits.

[66] El-djezirat el-Khadrâ, l'île verte. Ce lieu est appelé à présent Algésiras.

[67] A la lettre : « son œil le vainquit. »

[68] Nahr Leka ; peut-être Wadi Léka (Guadalete). Ibn el-Koutiya l'appelle Wadi Bekka, et l'auteur anonyme de la Conquête de l'Espagne dit que le combat eut lieu près du lac  (Man. n° 706, fol. 3 et 52.)

[69] Le man. 702 porte esbeja ; dans Ibn el-Koutiya et dans l'auteur anonyme, on lit estidja.

[71] Dans l'absence du khalife, son lieutenant présidait à la prière du vendredi. Ce devoir fut donc une attribution spéciale aux gouverneurs de province, a. moins que le kadi ne fût chargé de la remplir ; mais cela n'était qu'un cas exceptionnel.

[72] Ali ez-zimma. Les juifs, les chrétiens et les sabéens rentrent sous cette dénomination.

[73] Ce fut à la bataille de Siffîn qu’Abou’l-Aawer commandait la cavalerie de Moawia. (Voy. Price, Retrospect of muhammedan history, t. I, p. 263 et suiv.)

[74] Agent, en arabe aamil. Ce terme désigne les gouverneurs des villes et des cantons, et les collecteurs du revenu.

[76] Il faut lire el-Madghari. ou bien el-Matghari. Matghar est le nom d'une grande tribu berbère.

[77] La secte des Kharidjites parut pour la première fois dans l'islamisme pendant les démêlés d'Ali et Moavia ; elle rejetait également l'autorité de ces deux khalifes. On trouvera des détails sur leur histoire dans les Annales d'Aboulféda, le Retrospect de Price, les Annales d'Et-Taberi (man. de la Bibl. du roi, supplément), l'ouvrage d'Abou'l-Mehasin intitulé El-bahr ez-Zakhir (man. n° 659 A), et dans l'histoire d'Ibn Khaldoun.

Ils se partagèrent, dans la suite, en plusieurs sectes, dont les plus remarquables étaient les Nedjdia, les Azarika, les Ibadites et les Safrites. Ces deux dernières jouent un grand rôle dans l'histoire d'Afrique ; leurs croyances y avaient été introduites par les troupes arabes qui venaient de l'Irak. Les doctrines que professaient ces sectaires ne sont pas parfaitement connues dans leurs détails. Voici ce qu'on en sait de plus positif : les Ibadites rejetaient l'autorité du khalife ; ils enseignaient que les musulmans qui professaient une autre doctrine que la leur étaient infidèles (et par conséquent dignes de mort) ; que le musulman qui commet un péché grave est unitaire et non fidèle, car les œuvres font partie intégrante de la foi ; et ils regardaient comme infidèles Ali et la plupart des compagnons de Mahomet. On voit par là combien ces principes étaient opposés aux doctrines orthodoxes de l'islamisme, et quelles suites funestes durent résulter de leur application. Ils croyaient aussi que celui qui ne répondait pas à l'appel pour la guerre sainte était infidèle, par conséquent digne de mort, et sa famille digne de l'esclavage ; que la différence de croyance brisait les liens du sang, et que les enfants de ceux qu'ils tenaient pour infidèles méritaient la mort. Telles étaient les doctrines des Ibadites. Les Safrites professaient les mêmes doctrines, à l'exception des trois dernières qu'ils n'admettaient aucunement.

Les Berbers, toujours hostiles à la domination arabe, se distinguèrent, dans le principe, par leurs fréquentes apostasies, et lorsque, plus tard, l'islamisme eut été définitivement établi parmi eux, ils se montrèrent toujours empressés à adopter l'hérésie comme moyen de ressaisir l'indépendance. Les Ibadites sont ainsi appelés du nom de leur fondateur Abd Allah, fils d'Ibad, qui était contemporain d’Ibn ez-Zobeïr. On n'est pas d'accord sur la prononciation ni sur l'origine du mot safrite ou sifrite ; quelques-uns disent que ces sectaires furent ainsi appelés du nom de leur fondateur Ziad ibn el-Asfer, ou de celui d'Abdallah ibn Saffar.

[78] La colère d’un Arabe. Le poète El-Abîwerdi a employé une expression semblable dans un poème composé pour exciter les musulmans à la guerre sainte contre les croisés ; il y dit : « On attend de nous une attaque impétueuse telle que les Arabes savent les faire, et à la suite de laquelle les Romains se mordront longtemps les doigts. »

[79] Le texte porte du peuple de la Syrie. Ce fut ainsi qu'on désignait les tribus arabes cantonnées dans les djonds ou arrondissements militaires de ce pays.

[80] Ifrikiya, le nom de la province d'Afrique, fut aussi donné à la ville de Kairewan, qui en était la capitale. En parlant du même événement, Ibn Khaldoun dit positivement que les Africains et les Égyptiens se retirèrent à Kairewan.

[81] Le texte est obscur et peut signifier qu'Okasa s'insurgea à la tête des habitants de Kabes.